CEDH3-DL-FP-Citoyenn.. - Cahiers Europeens d`Houjarray

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Citoyenneté européenne, citoyennetés nationales
Une connaissance mutuelle de base est un point de départ pour mieux
appréhender les éléments qui rapprochent ou éloignent les nations
européennes les unes des autres, favoriser une meilleure compréhension et
préserver la paix.
Cette nouvelle rubrique propose des extraits de l’ouvrage réactualisé
« Citoyennetés nationales, citoyenneté européenne » conçu et coordonné par
Françoise Parisot. Il a été publié en 1998 par les Editions Hachette
Education avec l’aimable soutien de : la Commission européenne (programme
SOCRATES - Education des Adultes), le ministère délégué aux Affaires
européennes, le ministère de l’Education nationale, la Caisse des dépôts et
consignations, la Fondation Maginot.
Sous le thème générique, « Les éléments fondateurs, Les citoyennetés des
Européens : histoire et vécu », les 15 pays membres de l’Union européenne seront
traités selon le calendrier suivant :
CEDH n°3
CEDH n°4
CEDH n°5
CEDH n°6
CEDH n°7
CEDH n°8
CEDH n°9
: La Grèce et l’Italie
: L’Espagne et le Portugal
: La France et la Belgique
: Le Royaume-Uni et l’Irlande
: L’Allemagne et l’Autriche
: Les Pays-Bas et le Luxembourg
: Le Danemark, la Finlande et la Suède
Dans ce premier volet, nous aborderons donc la Grèce et l’Italie.
1
Citoyenneté européenne, Citoyennetés nationales
Pourquoi ce dossier ?1
« La coopération entre les nations viendra du fait
qu’elles se connaîtront mieux et que les éléments
divers qui les composent auront pénétré les
éléments correspondants des nations voisines. »
Jean Monnet, Mémoires, Fayard, Paris, 1976.
« La véritable union ne fond pas les éléments
qu’elle rapproche ; par fécondation et adaptation
réciproques, elle leur donne un renouveau de
vitalité. C’est l’égoïsme qui durcit et neutralise
l’étoffe humaine. L’union différencie. » Pierre
Teilhard de Chardin, L’Énergie humaine, Le Seuil.
Nous portons tous sur nos voisins européens des regards et des jugements plus
ou moins a priori, telles des « images d’Épinal ». Certains événements,
impressions ou rumeurs nous ont incités à porter de tels regards, à les figer et,
sans plus se poser de questions, à les perpétuer au risque de nous fourvoyer et
1
Originalement cette série d’articles incorporés à une nouvelle rubrique des Cahiers européens d’Houjarray ont
été publiés sous forme de livre aux Editions Hachette Education.
2
d’offenser. Nous devons sortir de ces « images » pour mieux nous comprendre.
La connaissance mutuelle est la base du respect des uns envers les autres et pardelà, de l’entente.
Cette entente est le socle de la paix que les peuples européens, après des siècles
d’affrontements, veulent et doivent préserver pour eux-mêmes et les
générations futures.
Alors que les pays européens sont amenés à partager de plus en plus un destin
commun, il nous a paru intéressant, bien que de façon non exhaustive, de
contribuer à cette connaissance réciproque au travers des cheminements
historiques, de réflexions sur l’histoire de la citoyenneté et sur la culture.
L’ambition de cette série d’articles va au-delà. Nous souhaitons aussi faire mieux
comprendre la portée historique de la construction européenne, la place que
l’Europe pourrait et devrait tenir dans le monde si elle était plus unie, si ses
différentes composantes voulaient bien admettre que chacun serait « plus » dans
un ensemble européen qui, tout en respectant les différences, serait plus
cohérent.
Il nous a paru nécessaire avant d’aborder l’histoire de la citoyenneté des quinze
pays de l’Union d’expliquer quelques notions préalables.
 Notions et définitions préalables
« L’Union européenne repose sur un large éventail
de valeurs, qui plongent leurs racines dans
l’Antiquité et le Christianisme et qui, au fil de
deux mille ans, ont évolué pour former ce que
nous considérons aujourd’hui comme les
fondements de la démocratie moderne, de l’État
de droit et de la société civile. »
Vaclav Havel 2
« C’est dans le gouvernement républicain que l’on
a besoin de toute la puissance de l’éducation. La
vertu politique est un renoncement à soi-même,
qui est toujours une chose pénible. »
Montesquieu3
2
Extrait de l’allocution du Président de la République Tchèque au Parlement européen de Strasbourg le 8 mars
1994.
3
Dans les communes de France, sous la Révolution française, les habitants
s’apostrophaient en s’appelant « citoyens » et non Monsieur ou Madame. Ce mot
était chargé de sens. Que voulait-il dire ? Il signifiait que l’on était un habitant
de ce pays, bénéficiant de ce fait de droits et de libertés. En contrepartie, il
vous incombait des devoirs.
Les pays de l’Union européenne sont des démocraties. Ils ont des « traditions
constitutionnelles communes »4, même s’ils sont riches de diversités exprimées
dans leurs Constitutions5, notamment sur la conception de la nation. Mais si l’on
se réfère aux valeurs démocratiques, ce sont tous des États de droit6avec des
systèmes parlementaires et une séparation des pouvoirs. L’affirmation du
respect des droits de l’homme est constante. Le mot citoyen se traduit de
différentes façons selon les pays, mais il a, dans les grandes lignes, pour les
raisons que nous venons de citer brièvement, une signification semblable. Depuis
la signature du traité sur l’Union européenne (Maastricht, 7 février 1992), si l’on
possède la nationalité d’un pays membre, on est citoyen européen. Il en découle
des droits et des libertés, ainsi que des devoirs.
Citoyen, citoyenneté, nous verrons ultérieurement comment ces mots se
traduisent dans les quinze pays de l’Union européenne que nous étudions. Mais il
est d’ores et déjà nécessaire de préciser ces notions en français et de souligner
les nuances qui existent entre la citoyenneté proprement dite, qui est liée au
contenu des textes constitutionnels, et un comportement dit civique qui est
respectueux des personnes, de leurs biens et de l’environnement.
« La citoyenneté est la qualité de la personne disposant dans une communauté
politique donnée de l’ensemble des droits civils et politiques. »7 Aujourd’hui, la
citoyenneté est abordée en tant que système de valeurs à concrétiser dans des
actes, et aussi comme un ensemble de pratiques sociales.
Dans les nations démocratiques telles que les nôtres, l’État et les institutions
politiques donnent corps à la nation. L’État intègre les populations en une
communauté de citoyens, dont l’existence légitime l’action. Il n’y a pas de
De l’esprit des lois.
Traité sur l’Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992.
5
Constitution : ensemble de règles écrites qui déterminent la forme de l’Etat (unitaire ou fédéral), la
transmission et l’exercice du pouvoir.
6
Ensemble des rapports politiques et sociaux soumis au droit.
7
Dictionnaire Larousse
3
4
4
citoyens sans État et pas d’État démocratique sans citoyens. Ils sont
inséparables.
 Droits et devoirs afférents aux citoyens
Alors qu’est-ce qu’un comportement de citoyen ? C’est le comportement de celui
qui, appartenant à une communauté politique donnée, en suit les règles et
participe à la vie démocratique.
En quoi consistent-t-ils ?
D’après le Traité d’Amsterdam (article 6, Titre premier), « l’Union est fondée
sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de
l’Homme8 et des libertés fondamentales, ainsi que de l’Etat de droit, principes
qui sont communs aux Etats membres ».
Quels sont les droits essentiels et les libertés ?
Après les Grecs et les Anglais, les philosophes du XVIIIe siècle, de l’époque dite
des Lumières et de la Révolution française, sont pour une grande part à l’origine
de ces droits. Au XIXe siècle, les mouvements des chrétiens sociaux ont de
même exercé une influence marquante. Au XXe siècle, les luttes syndicales ont
été déterminantes pour les conditions de travail.
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » (1er article de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1789 – Déclaration universelle
des Droits de l’Homme, 10 décembre 1948). Le texte fondamental se poursuit et
parle des droits « naturels et imprescriptibles » que sont « la liberté, la
propriété, la sûreté (au sens de sécurité), la résistance à l’oppression » avant de
passer à leurs conséquences pratiques, tout en rappelant que « La liberté
consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art. 4, 1789).
Citons les droits considérés actuellement comme essentiels:
– droit à la nationalité (ONU, 1948) ;
– droit de vote ;
– droit d’expression (penser, dire et écrire) ;
– droit à l’information ;
– droit à l’instruction ;
– droit de propriété ;
8
Convention européenne des droits de l’Homme signée à Rome le 4 novembre 1950 et ratifiée par les pays
membres du Conseil de l’Europe.
5
– droit d’entreprendre ;
– droit d’association ;
– droit de grève.
Ces droits n’atteignent leur pleine mesure que dès lors qu’ils sont exercés.
Ainsi, dans certains pays, le vote est obligatoire, et là où il ne l’est pas, il
constitue une « obligation morale » malgré le désintérêt actuel pour la vie
politique, pour la « chose publique ». Si nous souhaitons faire évoluer les lois et
par là même faire évoluer la société, il est nécessaire d’avoir la possibilité de
changer les représentants du peuple, et donc de voter.
Depuis 1789, les droits des citoyens se sont beaucoup enrichis, notamment de
droits économiques et sociaux, tels le droit au travail, l’interdiction des
discriminations raciales et sexistes, le droit à la santé, etc…
Mais avoir un « comportement de citoyen », c’est aussi participer, coopérer,
s’engager, militer soit au sein de sa commune, soit au niveau régional, national,
européen et même mondial.
Quels sont ces contraintes ou devoirs ?
– Respecter les lois et les principes généraux du droit.
– Respecter les personnes.
– Respecter la propriété et les biens d’autrui.
– Payer ses impôts.
– Effectuer un service national ou civique selon les obligations en cours dans les
différents pays.
– Combattre toutes les discriminations fondées sur la race, le sexe, etc.
– Être capable d’intervenir pour la sauvegarde des personnes, etc.
Pourquoi ces devoirs ?
Pour certains, ils sont issus de valeurs que nous souhaitons défendre, valeurs
débattues, fruits de réflexions, choisies au fil des années, prenant leur source
dans les origines de la démocratie en Grèce et dans la civilisation judéochrétienne. Pour d’autres, ces devoirs sont une nécessité pour assurer le bon
fonctionnement de tous les services publics dont nous bénéficions (tels les
services de santé, les services sociaux, la voirie, l’entretien, tout ce qui est
service public plus ou moins étendu selon les pays). Ils impliquent le
développement du sens des responsabilités vis-à-vis de soi-même, vis-à-vis des
6
autres, la nécessité d’acquérir du recul par rapport à son intérêt personnel pour
prendre en considération l’intérêt général. Il est souhaitable de réfléchir à leur
utilité, à leur raison d’être et d’essayer d’en comprendre réellement le sens. Le
citoyen informé a le droit et le devoir de souhaiter d’éventuelles
transformations et d’agir en vue de les effectuer. C’est cela aussi la démocratie.
Mais il y a aussi le « comportement civique » non explicitement lié aux
Constitutions (en France tout au moins9) et dont le champ d’action est beaucoup
plus étendu. Il ne se réfère pas seulement à des règles établies au niveau de
l’État, mais encore au sens des responsabilités, au sens de l’intérêt général, du
bien commun, aux qualités de cœur, au souci que l’on a des autres, à l’intérêt et à
l’attention que l’on peut leur porter, à la protection de l’environnement. Le
philosophe T. H. Marshall, dans ses études sur la citoyenneté, prône un modèle
incluant les préoccupations sociales.
Ainsi, laisser sa place à quelqu’un qui souffre ou est âgé dans un moyen de
transport, ramasser et ne pas jeter de papiers par terre, respecter les lieux
publics, ne pas les dégrader, se préoccuper du sort des malheureux, des démunis,
des handicapés, pratiquer la politesse du cœur et la gentillesse, sont autant de
comportements civiques. Le comportement civique c’est aussi s’engager
lucidement pour une cause humanitaire ou sociale, dans un syndicat, une
association, un parti, etc.
On parle beaucoup de « l’entreprise citoyenne », de « la citoyenneté dans
l’entreprise », qu’est-ce que cela signifie ? En réalité il s’agit là encore de
comportements « civiques », mais lesquels ? Pour les responsables : ne pas
fabriquer des produits nuisibles à l’environnement humain et naturel en
privilégiant le développement durable, ne pas employer de procédés techniques
destructeurs (pollution de l’air, des eaux et des sols, etc.). C’est aussi avoir un
comportement respectueux du droit humain et social vis-à-vis de son personnel
(formation, information et dialogue), surtout en cette période de mutation
technologique et économique, de chômage ; essayer ainsi de réaliser l’adéquation
difficile entre la mondialisation des échanges et le respect de l’homme. Pour
tous : respect de l’outil de travail, conscience professionnelle, recherche
d’adaptation et de compréhension, notamment de l’influence des avancées
technologiques sur l’évolution du monde économique avec toutes leurs
conséquences et une recherche de dialogue éclairé. Le monde bouge, souvent à
notre insu, les structures doivent aussi bouger, bien sûr dans une direction
bénéfique pour l’homme. Et comme chacun sait, ce qui stagne recule.
9
Ce qui n’est pas le cas dans d’autres constitutions.
7
Souvent découragés par les gaspillages, les revirements de politique, les
contradictions, les manques de réalisme et de transparence, les individus
favorisent leur propre intérêt ou celui d’un groupe restreint, en oubliant l’intérêt
général. Pourtant, ce qui fait la valeur de la démocratie est l’intérêt que chacun
porte à la « chose publique », sa participation informée, réfléchie et active, si
possible, et non seulement un consentement passif et contraint. Il faut trouver
un équilibre entre l’individuel et le collectif, de même qu’entre les droits et les
devoirs, la solidarité et l’assistanat, faute de quoi le citoyen s’en trouve
déresponsabilisé.
 L’espace du citoyen
L’espace du citoyen s’est élargi avec le développement des techniques de
communication, des échanges économiques, des problèmes d’environnement, de la
pollution. Les nuages de Tchernobyl ne se sont pas arrêtés aux frontières, les
rivières coulent, le vent pousse les nuages, les virus ne demandent pas de visa,
les entreprises sont multinationales, les échanges de toutes sortes, personnels
et économiques, s’intensifient de par le monde et particulièrement entre
Européens.
Ces phénomènes transgressent les territoires : ainsi, la notion d’espace
transcende celle de territoire telle qu’héritée de notre histoire. Selon les
domaines, le champ du citoyen est plus ou moins étendu. L’appartenance à une
communauté de destin, telle que l’Union européenne, doit conduire à un
élargissement du concept de la citoyenneté. L’article 8 du traité sur l’Union
introduit la notion de citoyenneté européenne : « il est institué une citoyenneté
de l’Union ». De portée très générale, il énumère les droits du citoyen européen
qui viennent s’adjoindre aux droits et devoirs des citoyens nationaux. Quatre
thèmes principaux sont abordés dans cet article10:
– l’appartenance à un territoire commun : « est citoyen de l’Union européenne
toute personne ayant la nationalité d’un pays membre ». (Le territoire qui fonde
la citoyenneté européenne est constitué par l’ensemble des sols nationaux) ;
– la liberté de circulation et de séjour sur ce territoire ;
– le droit de vote aux élections européennes et municipales ;
– la défense du citoyen avec droit de pétition.
 La monnaie
La monnaie est un attribut de la souveraineté et de la citoyenneté. Il s’agit d’une
compétence régalienne, c’est-à-dire qui relève de l’État. Seul l’État national, issu
10
D’après le traité sur l’Union et les commentaires d’Europe locale, n°5.
8
des XVIIIe et XIXe siècles, peut désormais « battre monnaie ». Dans des temps
très anciens, les échanges dans la cité s’effectuaient par le troc, puis l’objet a
acquis une valeur marchande et pour plus de commodité, petit à petit, la monnaie,
des pièces de monnaie (or, argent ou métal pauvre) ont remplacé le troc.
Pourtant, à certaines époques, notamment à partir du XVIe siècle, toutes les
« bonnes monnaies » dont le florin, circulaient dans la totalité de l’espace
européen où les princes étaient conduits à publier des ordonnances monétaires
donnant les descriptifs et les cours de ces différentes monnaies afin de faciliter
les échanges. D’or et d’argent, la monnaie n’est certes pas « unique » mais
« commune » en Europe au XIXe siècle. (Pour plus d’informations sur l’histoire
des monnaies voir notre dossier introductif dans les Cahiers européens
d’Houjarray n°1)
Enfin, cette Europe, après avoir été celle des Six, des Douze, puis des Quinze et
qui sera demain celle des Vingt, des Trente et au-delà, est à un tournant
important de son histoire avec la mise en place de l’euro le 1er janvier 2002.
Ainsi l’Union européenne dispose d’une monnaie unique, la même pour tous ceux
qui sont dans les pays qui répondent aux critères jugés indispensables 11. Elle se
substitue aux monnaies nationales qui n’ont plus cours. Cette monnaie unique mise
en place avec succès est un facteur de rapprochement entre les citoyens de
l’Union européenne et permet d’éviter les incertitudes liées aux variations de
change à l’intérieur de l’Union et les spéculations nuisibles.
A ce bouleversement économique devra nécessairement succéder une implication
plus large du citoyen dans la poursuite de la construction européenne. Cela
nécessite des réflexions. C’est pourquoi, après le désenchantement du Traité de
Nice (conclu dans la nuit du 10 au 11 décembre 2000), il a été décidé par les
Quinze (durant le Conseil européen de Laeken de décembre 2001) de charger une
Convention de réfléchir pendant un an à l’avenir de l’Europe.
L’originalité de cette Convention, présidée par Valéry Giscard d’Estaing,
s’observe à plusieurs niveaux. D’une part, dans la diversité de ses participants :
des représentants des Etats-membres comme des pays candidats y sont réunis ;
des personnalités des divers Parlements nationaux y retrouvent des membres
des institutions communautaires. D’autre part, dans ses méthodes de
fonctionnement : la Convention s’appuie dans ses travaux sur les conclusions des
débats nationaux et implique la société civile dans ses recherches. Ainsi, un
Forum a été ouvert aux organisations représentant la société civile (partenaires
11
Pays entrés dans le zone euro, au 1er janvier 1999 : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France,
Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal. La Grèce y est entrée le 1er janvier 2001.
9
sociaux, milieux économiques, organisations non gouvernementales, milieux
académiques…). (lien futurum avec notre article sur la Convention)
Après ce bref rappel de la signification de la citoyenneté dans la vie quotidienne,
nous allons aborder l’histoire des institutions de chacun des quinze pays que nous
étudions, leurs origines, les valeurs qu’elles sous-tendent, quelques événements
marquants, mais aussi parler du comportement des citoyens, de leurs réactions,
de leurs façons de vivre cette citoyenneté. Par la suite, nous pourrons effectuer
des comparaisons : déterminer ce qui nous rapproche et ce qui nous différencie.
Cette Europe, qui nous a déjà beaucoup apporté au travers de tous les liens
tissés grâce aux échanges, à la liberté de circulation des biens, des personnes,
des services, au travers de la Politique Agricole Commune, des fonds structurels
destinés aux régions défavorisées, et autres financements, que voulons-nous
qu’elle soit ? Quelle est sa spécificité par rapport aux autres continents ? Qu’at-elle à apporter au monde ? Et que représente-t-elle pour le reste de la
planète ?
Françoise Parisot
Tableau de définitions sommaires12
Démocratie : système de gouvernement dans lequel, originellement, la loi émane
de la communauté des citoyens et s’applique à tous, actuellement principalement
faite par les représentants élus par le peuple pour le peuple. « Dans une
démocratie, la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses
représentants13 et par voie du référendum14» (si l’on se réfère à l’article 3 de la
Constitution française de 1958). Elle implique le pluralisme des candidats à la
représentation du peuple et un vote libre.
Notions actuellement attachées au concept de démocratie : égalité devant la loi,
droits de l’homme.
République (res publica) : « forme d’organisation politique dans laquelle les
détenteurs du pouvoir exercent ce pouvoir en vertu d’un mandat conféré par le
corps social », « Régime dans lequel on vote », dit-on aussi communément, mais il
faut préciser les limites territoriales dans lesquelles s’exerce le pouvoir : qui
vote, qui peut être élu, la périodicité des votes, la régularité des consultations.
12
Les définitions sont souvent figées dans le temps et deviennent caduques. De ce fait, nous les avons souhaitées
très générales. Elles sont sujettes à variations selon les pays.
13
Forme de démocratie représentative.
14
Forme de démocratie directe.
10
Dans une république démocratique, il y a séparation des pouvoirs : le législatif
est exercé par le Parlement, l’exécutif par le chef de l’État et le gouvernement,
le judiciaire par les magistrats.
État : collectivité organisée, regroupant généralement une ou plusieurs nations
ayant un nom, un territoire déterminé, des frontières et une population
dénombrée. L’État, dans les pays démocratiques, tire sa légitimité du Droit. Un
État de droit est un État dans lequel l’exercice du pouvoir est encadré par des
règles de droit destinées à limiter au mieux l’arbitraire. Dans les pays de l’Union
européenne, l’État est démocratique. Les textes qui régissent les États sont les
Constitutions. Elles sont écrites, ou orales, comme en Angleterre (cf. chapitre
sur le Royaume-Uni). Plusieurs pays de l’Union européenne sont gouvernés par des
monarchies constitutionnelles (héréditaires). Comme les républiques, elles ont
des régimes démocratiques.
Monarchie constitutionnelle : monarchie limitée, celle où le monarque a consenti à
se limiter en établissant une Constitution et en acceptant l’existence à côté de
lui d’autres organes subordonnés mais efficients (notamment une assemblée
élue)15. Elles sont au nombre de 7 dans l’Europe des Quinze.
Etat de droit : Etat dans lequel les pouvoirs publics sont effectivement soumis
au respect de la légalité par voie de contrôle juridictionnel.
Patrie : désigne une communauté de dimension plus ou moins grande, héritée de
l’histoire, à laquelle on est sentimentalement attaché et que l’on défend en cas
d’agression.
Nation : « un ensemble de personnes vivant sur un même territoire, ayant en
commun un certain nombre de traits tels que la langue, la culture, l’attachement à
des mêmes valeurs politiques et sociales, la conscience de constituer ensemble
une personnalité morale », une communauté politique, et le désir de construire
ensemble l’avenir.
Il est important de ne pas confondre patriotisme et nationalisme.
Rechercher la signification de ces deux mots et bien en faire la différence : le
premier fait principalement référence au passé commun, et le second a donné
naissance à des déviations et à de véritables perversions. Il est à l’origine des
guerres qui ont ruiné l’Europe et causé tant de malheurs.
15
Cf. « Lexique », in Termes juridiques, Dalloz, 10ème édition.
11
Confédération : association d’États indépendants qui ont délégué l’exercice de
certaines de leurs compétences à un organe commun, dont presque toutes les
décisions doivent être prises à l’unanimité.
État fédéral : L’Allemagne est un État fédéral dans lequel les compétences sont
réparties, selon le principe de subsidiarité16, entre l’État et les Länder ; entre le
Bundestag, qui réunit les représentants de l’ensemble du peuple, élus au suffrage
universel, et le Bundesrat, qui se compose de membres des gouvernements des
Länder qui les nomment et les révoquent. La délimitation de la compétence de la
Fédération et des Länder s’effectue selon les dispositions de la Loi
fondamentale. (constitution allemande)
Fédération : système de gouvernement organisant une répartition des
compétences et des pouvoirs entre divers niveaux, le niveau supérieur ayant la
primauté. Dans une Fédération, en règle générale, les décisions se prennent à la
majorité, l’unanimité étant l’exception.
16
Ce principe régit également les compétences entre les Etats membres et la Communauté. La Communauté
intervient seulement « si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être réalisés de
manière suffisante par les Etats membres […] », in Termes juridiques, Dalloz, 10ème édition.
12
Partie 1
Les éléments fondateurs
Les citoyennetés des Européens :
histoire et vécu
Une connaissance mutuelle de base est un point de départ pour mieux
appréhender les éléments qui rapprochent ou éloignent les nations
européennes les unes des autres, favoriser une meilleure compréhension et
préserver la paix.
Ces 15 pays seront traités selon le calendrier suivant :
CEDH n°3
CEDH n°4
CEDH n°5
CEDH n°6
CEDH n°7
CEDH n°8
CEDH n°9
: La Grèce et l’Italie
: L’Espagne et le Portugal
: La France et la Belgique
: Le Royaume-Uni et l’Irlande
: L’Allemagne et l’Autriche
: Les Pays-Bas et le Luxembourg
: Le Danemark, la Finlande et la Suède
Les chapitres concernant les pays de l’Union européenne que nous abordons
maintenant comprennent quatre parties :
• Un rappel historique succinct.
• Une réflexion élaborée par un de nos partenaires ; la diversité des textes,
chacun exprimant son point de vue, en fait la richesse.
• Des suggestions de réflexion.
• Quelques points importants de la Constitution en vigueur dans chacun de ces
pays.
En tête de chaque chapitre, nous mentionnons la traduction des mots « cité » et
« citoyen ».
13
1
La Grèce
Cité : Polis
Citoyen : Polites
 Un peu d’histoire…
La Grèce était à l’origine, du fait de son relief morcelé, divisée en un grand
nombre d’unités indépendantes, dispersées à travers le pays et faiblement
reliées entre elles. Ce fait a incité au développement d’une intense activité
maritime.
Nous pouvons distinguer plusieurs étapes dans l’histoire de la Grèce.
La Grèce antique
La première grande civilisation de la mer Égée s’était épanouie en Crète, elle
était dite minoenne17.
Dans les temps que l’on appelle « préhelléniques », des vagues de différents
peuplements se sont succédés, avant les Hellènes qui viennent de l’Europe
centrale et des Balkans :
C’est à l’époque du Moyen Âge hellénique (du XIème siècle au VIIIème siècle av.
J.C.) que se sont progressivement façonnés les premiers fondements de la
civilisation grecque classique avec, en premier, l’organisation politique et sociale
de la cité ou polis. C’est vers 700 av J.C. que la monnaie fait son apparition à
partir des cités grecques d’Ionie et devient un moyen d’échange international.
Dans les temps archaïques (du VIIIème siècle au VIème siècle avant J.C.), un
régime aristocratique s’étend à toutes les cités grecques18. Aux VIIe et
VIe siècles avant J.C., une poussée démographique importante, suppose-t-on, est
responsable d’une grande émigration vers d’autres rivages (Italie du Sud, Sicile,
Afrique du Nord et Pont Euxin19), les terres cultivables étant entre les mains
des nobles. Dans ces régions, les Grecs se trouvaient en rivalité avec les
17
Etymologiquement de Minos, Roi légendaire de Cnossos (Crète).
Privilégiés par la naissance et la fortune les Eupatrides exercent l’autorité en Attique.
19
Nom donné dans l’Antiquité à l’actuelle mer Noire.
18
14
Étrusques et les Phéniciens20. Ceux qui ont développé le commerce réclament des
droits politiques. Les paysans et la main-d’œuvre urbaine souhaitent une
révolution sociale. Malgré les réformes de Solon21 et les lois qu’il promulgue, les
mesures prises ne sont pas suffisantes. Dans certaines cités, un tyran22 se voit
confier l’autorité, tel Pisistrate, pour rééquilibrer les institutions sociales. Mais
les régimes tyranniques ne résistent pas à la volonté des citoyens de prendre
leurs responsabilités politiques. La valeur des institutions alors élaborées
contribue à la victoire lors des guerres médiques (490 av J.C./479 av J.C.) sur
les Perses, notamment à Marathon et à Salamine.
C’est ensuite l’époque de la primauté d’Athènes (479 av J.C./431av J.C.). Avec la
plupart des cités de la mer Égée, Athènes constitue une confédération maritime
dont le siège est à Délos. Son objectif est de protéger les Grecs du joug perse.
Mais la politique impérialiste d’Athènes est mal supportée par les autres cités
grecques, notamment Sparte. En 436 av J.C., la paix, dite de Trente Ans,
reconnaît le partage de la Grèce en deux zones d’influence, ce qui permet
pendant une courte période (446 av J.C./431 av J.C.) le développement de la
civilisation classique (495 av J.C./ 429 av J.C.). Athènes reconstruite atteint
alors son apogée par la richesse de ses monuments. Grâce à ses réformes
politiques, la démocratie culmine sous Périclès.
De 431 av J.C.à 404 av J.C., la guerre du Péloponnèse oppose les confédérations
de Sparte (État aristocratique) et d’Athènes (État démocratique). Après le
désastre de l’expédition en Sicile (415 av J.C./413 av J.C.), Athènes est
définitivement vaincue. C’est alors, l’hégémonie de Sparte, mais elle est
contrainte à des compromis avec la Perse. Athènes reconstitue une
confédération maritime. Ces guerres continuelles entre cités ont épuisé la Grèce.
Une crise de la Cité sévit au IVème siècle avant J.C. : le petit peuple dépouillé de
ses terres, et concurrencé dans son travail par les esclaves, s’oppose aux riches
commerçants, manufacturiers et gros propriétaires. Les philosophes, tels
Socrate, Xénophon et Platon, ont ressenti la nécessité de réformer la politique
de la cité. L’individu réclame ses droits sous l’influence des sophistes23. Le
procès et la mort de Socrate en 399 av J.C. traduisent le trouble existant.
20
Les Etrusques étaient les habitants de l’Etrurie. Les Phéniciens étaient originaires du Liban actuel et
occupaient l’Ouest de la Sicile, l’Afrique du Nord (Carthage) et ont fondé Gadès, l’actuelle Cadix. La ville de
Marseille a été fondée par les Phocéens (habitants de Phocée) aux environs de 600 avant J-C.
21
Solon, législateur à Athènes, est chargé d’arbitrer les conflits. Il rédige des lois écrites, applicables à tous.
22
Tyran : n’a pas à l’origine le sens qui lui sera donné plus tard, mais celui de « souverain investi d’un pouvoir
absolu ». S’appuyant sur les classes populaires, les tyrans ont souvent modifié les institutions et développé les
activités économiques.
23
Le nom vient de Sophia qui signifie sagesse. Les sophistes s’intéressent aux problèmes de société. Ils créent la
logique et la rhétorique. L’individu est au centre de l’explication philosophique. Mais dans ses extrêmes, le
15
Philippe II de Macédoine (359 av J.C/323 av J.C.) utilise les désordres des cités
pour intervenir en Grèce et disloque l’Empire athénien (338 av J.C.). La Ligue de
Corinthe donne alors à la Grèce une organisation nouvelle. Les cités doivent vivre
en paix et adhérer à la Ligue, dont Philippe II est le généralissime (hêgemon).
À la mort de Philippe II, son fils, Alexandre le Grand (356 av J.C./323 av J.C.),
part libérer les cités grecques d’Asie. En fait, il va conquérir tout l’Empire perse
jusqu’à la frontière de l’Inde et créer un monde nouveau dont la civilisation
hellénique sera le ciment.
Après la mort d’Alexandre le Grand, en - 323, les cités grecques se soulèvent et
sont vaincues par les Macédoniens. De graves crises sociales et une dépopulation
les affaiblissent. Mais Athènes reste le centre intellectuel et les philosophes y
font le siège de leur école.
À la fin du IIIème siècle avant J.C., Rome intervient dans les Balkans et chasse
de Grèce le roi de Macédoine (197 av J.C.). C’est la fin de l’indépendance pour le
monde grec. Progressivement, il passe sous la domination romaine et la Grèce
devient alors un « conservatoire » de culture classique. L’esprit d’entreprise des
Grecs, le progrès, tant dans le domaine des sciences qu’en géographie,
provoquent l’essor du grand commerce. Dans les villes nouvelles qui se créent,
langues et religions différentes se côtoient. C’est au IIIème siècle avant
J.C. qu’est commencée la traduction de la Bible en grec.
À l’époque romaine, la Grèce – soumise par Rome, qui a conquis par les armes les
territoires hellénistiques – conquiert à son tour son vainqueur en lui
transmettant sa langue, sa philosophie, sa littérature et ses modes de vie.
Histoire de la période byzantine : 330-145324
Le transfert de la capitale de l’Empire romain de Rome à Byzance (l’ancienne
colonie Mégaréenne) en l’an 330 après J.C. a eu des retentissements sur le
développement du peuple grec et de l’ensemble de la région méditerranéenne. La
fondation de la nouvelle Rome ou Constantinople (cité de Constantin) ainsi que la
reconnaissance du christianisme comme la religion officielle de l’État (les deux
actes politiques marquants de Constantin le Grand) annoncèrent l’émergence de
« l’Empire romain d’Orient », mieux connu sous le nom d’« Empire byzantin ».
sophisme conduit au subjectivisme et à une dissolution de la morale collective. Socrate s’est toujours opposé au
relativisme démoralisant des sophistes.
24
D’après Nikos FRANGAKIS.
16
Le nom « Byzantin », dérivé de l’ancien nom de la capitale, est donné au XVIIème
siècle par des savants français qui se consacrèrent à l’édition de textes grecs
médiévaux. L’empire ne s’est jamais appelé Byzance ou Rome d’Orient. C’était
l’« Empire romain », car Constantin et ses successeurs n’abandonnèrent jamais
l’idée d’un unique empire, continu et indivisible, et la population se nommait ellemême les Romaioi.
L’image qu’un Byzantin se faisait de sa société a changé en fonction des
circonstances historiques, mais ce ne fut jamais celle d’une nation, ni même d’un
groupe ethnique et linguistique.
Les frontières de l’Empire byzantin, bien qu’elles aient pu rester pendant de
longues périodes avec seulement quelques modifications mineures, étaient
parfois sujettes à des changements impromptus et souvent violents. Malgré ces
perturbations territoriales, la continuité de la structure politique, de la
légitimité de la religion et de l’unité culturelle étaient maintenues et les
Byzantins étaient conscients de ce fait.
Durant les onze cent années de l’Empire byzantin, Constantinople, en vertu de sa
position centrale et de son commerce florissant, a rassemblé des éléments
culturels grecs, orientaux, romains et chrétiens et des institutions vinrent à
former ce qui s’appelle plus communément la civilisation byzantine.
Par souci de simplicité, la longue histoire de l’Empire byzantin peut être divisée
en quatre périodes :
•
La période de transition, depuis la fondation de Constantinople, en 330,
jusqu’à la mort d’Héraclius en 641.
C’est une période de consolidation, à la fois pour le christianisme (Concile de
Nicée, 32525) et pour l’empire (codification de la loi romaine par Justinien dans
son corpus Juris Civilis26) .
De longues guerres furent menées contre les Perses, les Arabes, les Wisigoths
et les Ostrogoths, les Huns et les Avars.
•
Le début de la période byzantine, depuis la mort d’Héraclius jusqu’à
l’accession au pouvoir de Basile le Macédonien en 867.
25
Le premier concile œcuménique (Nicée en 325, les articles de foi du Symbole de Nicée constituent le Credo)
et cinq autres furent tenus pour combattre les hérésies sur les deux natures (humaine et divine) du Christ.
26
La loi romaine fut codifiée et restaurée par Justinien dans son Corpus Juris Civilis, qui fut écrit en latin. De
nouvelles lois furent promulguées par Justinien et ses successeurs en Grèce.
17
C’est la période de la crise iconoclaste, un mouvement dirigé contre le « culte des
images » qui a duré plus d’un siècle. Le culte des icônes rétabli en 842 par
l’impératrice Théodora, marqua la victoire finale de la particularité religieuse et
culturelle de l’état d’esprit grec par rapport aux interdictions de la
représentation de Dieu par les Juifs ou les Musulmans. Ce retour coïncide avec la
défaite des Arabes dans le domaine militaire.
Léon III fut le législateur le plus important après Justinien. Son « Ecloga »
(Selection) voulait adapter la loi romaine aux concepts éthiques chrétiens. Son
organisation de la famille est particulièrement remarquable (égalité du mari et
de la femme, autorité parentale partagée entre les deux parents, protection de
la veuve et de l’orphelin).
•
Le milieu de la période byzantine, de l’accession au pouvoir de Basile le
Macédonien jusqu’à la prise de Constantinople pendant la quatrième croisade en
1204.
Deux familles royales importantes – les Macédoniens et les Comnènes – offrirent
à l’Empire une longue période d’administration de qualité, de prospérité et
d’apogée de la culture byzantine. Des codes légaux furent créés pour rendre la
loi plus accessible et transparente (le code « Basilica » ou code impérial) ; des
mesures législatives furent prises pour protéger la propriété des petits
agriculteurs indépendants et les professions furent réglementées (Livre du
Préfet).
Cette période est également marquée par la conversion pacifique des Slaves, des
Bulgares et des Russes au christianisme ; la nouvelle foi fut prêchée en langue
slave et l’on inventa un alphabet slave, ce qui permit aux Slaves de créer leur
propre culture.
Un autre événement religieux de dimension universelle se produisit pour diverses
raisons politiques, ecclésiastiques et dogmatiques : le schisme qui divisa l’Église
chrétienne entre catholiques et orthodoxes fut déclaré officiellement en 1054.
On compte, parmi les empereurs macédoniens, de grands stratèges et de
vaillants guerriers connus pour leurs exploits contre les anciens et les nouveaux
ennemis : les Bulgares et les Arabes, les Lombards et les Normands, les Slaves
et les Russes.
18
Un nouveau défi attendait les Comnènes : les croisades. Le passage des armées
des croisés fut marqué par des désordres et des excès ; un fort ressentiment
anti-latin se développa parmi le peuple byzantin.
Au cours de la quatrième croisade, les croisés prirent Constantinople en 1204 et
pillèrent la ville pendant trois jours commettant de nombreuses atrocités. Cet
événement marqua un changement durable dans les relations entre l’Europe de
l’Est et l’Europe de l’Ouest.
•
La fin de la période byzantine, de 1204 à la prise de Constantinople par les
Turcs en 1453.
Les croisés se partagèrent autant de territoires de l’Empire qu’ils étaient
capables d’en occuper. Trois petits « États » grecs survécurent : deux en Asie
Mineure (Trébizonde et Nicée) et l’Épire. Des familles différentes dirigeaient
ces États. Ce fut Michel Paléologue qui reconquit Constantinople en 1261 ; il
fonda une dynastie qui resta au pouvoir pendant cent quatre-vingt-douze ans
jusqu’à la prise de Constantinople par les Turcs ottomans et par Mohammed le
Conquérant le 29 mai 1453.
La Grèce sous l’occupation ottomane
La fin du XVIème siècle et le début du XVIIème furent marqués par les révoltes
successives des Grecs, qui étaient souvent fomentées par des agents russes ou
occidentaux. Le résultat de ces insurrections locales importantes furent des
carnages permanents et une émigration. Au même moment, beaucoup de Grecs se
réfugièrent dans les montagnes où ils formèrent des bandes armées (les
Klefts)27.
Les Grecs demeuraient hostiles aux lois turques ; ils gardèrent leur conscience
nationale, leur religion et leur langue.
L’Église orthodoxe joua un rôle important. Pendant l’occupation, elle devint non
seulement le leader spirituel mais aussi le leader politique de tous les chrétiens
orthodoxes asservis, qu’ils soient grecs ou non.
Pendant l’occupation, les Grecs bénéficièrent d’un redressement économique et
social. Les marchands grecs s’installèrent dans les différentes villes du centre
de l’Europe, de l’Italie et de la Russie, établissant des commerces, des banques
et des entreprises immobilières, pendant que les armateurs des îles d’Hydra et
27
Dont l’importance apparaîtra au moment de la lutte pour l’indépendance.
19
Spetsai multipliaient leur flotte, et que la marine marchande grecque s’éleva au
premier rang.
La conquête de l’indépendance
La lutte pour l’indépendance nationale commença au Péloponnèse en mars 1821.
Les Grecs proclamèrent leur indépendance en 1822, près d’Épidaure, où une
Assemblée Nationale fut réunie et une première constitution établie. Les quatre
premières années furent un succès. Mais les Ottomans contre-attaquèrent, le
sultan demanda de l’aide auprès de son puissant vassal égyptien. Les deux
armées, ravageant ce qui restait du Péloponnèse et de la Grèce continentale,
convergèrent sur Missolonghi. La ville fut prise après un exode dramatique de
ses défenseurs qui, auparavant, avaient enduré un siège durant l’année 1826.
Puis, les Grandes Puissances (Russie, France, Grande-Bretagne) intervinrent ; la
vieille « question d’Orient » fut à nouveau soulevée et ce ne fut pas seulement
aux puissants Philhéllènes de décider du sort de l’État naissant.
Les Grecs pourraient être libres, mais seulement sous certaines conditions, et il
était encore impossible de dire combien ces limites seraient restreintes. Des
accords furent conclus à Londres en 1830 et 1832 pour fixer la frontière nord
du nouveau royaume grec. La Grèce se devant d’avoir un roi, les Grandes
Puissances désignèrent Otto de Bavière qui régna presque trente ans, et fut
remplacé en 1863 par le prince Guillaume George du Danemark.
Depuis la fondation du Royaume, la préoccupation majeure de la Grèce était de
récupérer les territoires restés hors des frontières (1832) et peuplés de Grecs.
À l’issue de la guerre des Balkans en 1912-1913, qui opposa les alliés balkaniques à
l’Empire ottoman, ces territoires furent rattachés à la Grèce (Épire, Macédoine,
îles de la mer Égée).
Le roi Constantin Ier abdiqua en 1917. A l’issue de la Première Guerre Mondiale,
les puissances victorieuses signèrent avec la Turquie le Traité de Sèvres (10
août 1920) qui confia à la Grèce la gestion administrative de l’Anatolie. Cela
déclencha la révolte des Turcs, dirigés par Mustafa Kemal, contre cette
administration grecque. De violents combats débutèrent en 1921 qui aboutirent à
l’annulation du Traité de Sèvres et à un échange de populations (Traité de
Lausanne de juillet 1923). Les deux groupes ethniques se retrouvèrent sur des
territoires distincts. La République grecque fut alors proclamée (1924).
20
Vénizélos, ancien Premier ministre du temps de la Première Guerre mondiale (qui,
lui non plus, n’avait pu faire triompher la « grande idée »28), proposa, en 1933,
une entente entre la Grèce et la Turquie d’Atatürk. Mais les deux hommes
moururent avant la réalisation de ce projet.
Membre de l’Entente balkanique depuis 1934, la Grèce fut envahie en 1940 par
les Italiens, puis par les troupes d’Hitler en 1941. Elle fut libérée en 1944, mais
une guerre civile éclata. Celle-ci ne se termina qu’en 1949 avec la défaite des
communistes. Les Américains profitèrent de cette situation pour faire de la
Grèce, terrain stratégique par sa position géographique entre Orient et
Occident, un bastion du bloc occidental. Le pays commença à intégrer les
organisations internationales occidentales (Conseil de l’Europe en 1947 ; OTAN
en 1952 - en même temps que la Turquie).
En 1955, l’affaire de Chypre provoque une crise grave dans le pays 29. La nuit du
20 au 21 avril 1967, le colonel Papadopoulos prend le pouvoir. Le roi Constantin II
s’enfuit du pays huit mois plus tard. Le régime des colonels est devenu
tristement célèbre. En 1973, une pseudo-République est proclamée et devant la
révolte des étudiants d’Athènes, durement réprimée, la branche dure de la
Junte renverse Papadopoulos et proroge la loi martiale.
En juillet 1974, le conflit latent avec le gouvernement de Chypre s’envenime et la
junte militaire renverse le président Makarios. Ceci fournit un prétexte aux
Turcs pour envahir Chypre et occuper une partie importante de l’île. La situation
étant très difficile, la junte remet le pouvoir aux civils. Constantin Caramanlis,
de retour d’exil, rétablit les libertés. Après un référendum, au cours duquel les
Grecs se prononcent en faveur d’un président à la place d’un roi, une constitution
est approuvée par la Chambre en 1975, et Constantin Caramanlis est nommé
président de la République. Il fait adhérer la Grèce à la CEE en janvier 1981. En
octobre de cette même année, Andréas Papandréou devient premier ministre.
Son gouvernement démocratise le pays par le biais de nombreuses mesures
(droit de vote à 18 ans, abolition de la peine de mort, laïcisation des Institutions,
rapatriement de certains réfugiés politiques). En 1995, Kostis Stephanopoulos
accède à la Présidence tandis qu’un an plus tard, le socialiste Konstandinos
Simitis est nommé à la tête du gouvernement.
Le 15 mai 2000, le gouvernement décide la suppression de la mention de la
religion sur la carte d’identité nationale grecque, provoquant une violente
28
La Grande idée est « le projet de constitution d’une Grande Grèce sur les traces de l’Empire byzantin » d’après
Georges PREVELAKIS, Géopolitique de la Grèce, Editions Complexe, Bruxelles, 1997, p. 135.
29
La Grèce demande que soit donné au peuple de Chypre, qui est dans sa grande majorité ethniquement grec, le
droit à l’autodétermination.
21
polémique dans ce pays où l’orthodoxie fait figure d’élément constitutif de
l’identité nationale. Les tensions se sont apaisées après plusieurs mois de
contestations, puisque cette mesure venait clore un vieux débat avec Bruxelles
(qui considérait la mention de la religion comme un manquement aux règles
communautaires de la démocratie) et ce, peu après la proposition de la
Commission que la Grèce devienne le 12ème membre de la zone euro (2 mai 2000).
Le 2 janvier 2001, la Grèce adopte la monnaie unique. L’abandon de la drachme
(une des plus anciennes monnaies occidentales) n’a pas empêché l’enthousiasme
des Grecs en faveur de la nouvelle devise. La Grèce a ainsi confirmé son
engagement au sein de l’UE. Toutefois, plusieurs contentieux subsistent.
L’intervention de l’OTAN contre la Serbie (1991-1999) et la reconnaissance de la
Macédoine (1993) avaient déjà suscité de vives réactions de la part d’Athènes.
Les principales pommes de discorde restent cependant les questions turque et
chypriote. La Turquie qui accuse la Grèce de l’empêcher d’entrer dans l’Union
européenne, menace de freiner, voire de bloquer, la prochaine adhésion de
Chypre. Des pourparlers entre Glafcos Clerides et Rauf Denktash,
respectivement chef de la communauté chypriote grecque et turque de l’île, ont
finalement débuté en 2002 sous l’égide de l’ONU. Mais le statut de la mer Egée
continue d’opposer les deux pays, et ceci malgré un timide rapprochement.
22
INSTITUTIONS, CITOYENNETE ET VALEURS30
 Les différents apports
Les apports de la Grèce ancienne
La citoyenneté, pour les Grecs anciens, se définissait en termes de communauté
politique, de société civile et de sphère publique, bien différente de la notion
actuelle d’État-nation.
Les Athéniens considéraient l’individu comme faisant partie d’une société
politiquement constituée dans le cadre de la cité ou polis31. Le citoyen athénien
(polites) jouissait d’un statut caractérisé par une identité individuelle lui
conférant des droits et la possibilité de se protéger de l’État. Il jouissait de
l’égalité devant la loi, isonomia, et du droit à la libre expression, iségoria.
Selon Aristote, un citoyen peut être défini par sa participation à l’exercice de la
justice et du gouvernement. En réalité, le citoyen jouissait pratiquement, au sein
des limites de la cité, d’une complète liberté en ce qui concernait ses droits de
circulation, d’établissement, de commerce et autres activités économiques,
tandis que la fonction publique était (en principe) ouverte à tous les citoyens.
Même pendant les périodes où les droits politiques étaient limités ou restreints
(sous la monarchie ou la tyrannie), les gouvernants ne furent jamais vus comme
les détenteurs d’une quelconque autorité divine mais comme des chefs d’État
avec un pouvoir temporaire non limité.
Si le contraire de la notion de citoyen existait, ce concept de « non-citoyen »
comprendrait les caractéristiques d’un certain nombre de personnes telles que
30
Contribution de Nikos FANGAKIS, directeur du Centre Hellénique de recherches et d’études européennes,
Athènes.
31
Dans son Traité de la Politique, Aristote écrivait : « La Cité est une sorte de Communauté (koinônia) et la
participation commune des citoyens à un système de gouvernement (politeia) ». La polis ou cité ne se définit pas
par un territoire, ni par un peuplement homogène, mais par la soumission d’un groupe à une loi commune. La
cité ignore par définition l’idée de droits individuels, conçus comme des droits subjectifs originaires et antérieurs
à toute organisation politique. A Sparte, au VIIème siècle avant J.C., suite à une grave crise sociale, une réforme
est élaborée ; son maître mot est « l’eunomia », c’est-à-dire l’ordre, la discipline qui impliquent beaucoup de
renoncements et de sacrifices de la part des nobles et des possédants. Pour Solon à Athènes, c’est aussi dans
« l’eunomia » (l’ordre et la mesure) que se résolvent les problèmes. L’ordre des valeurs est alors exactement
inversé par rapport à nos conceptions modernes, où les droits de l’homme, antérieurs et inaliénables, sont la
justification de toute organisation sociale et politique. Après 507, Clisthène « remit l’Etat (la politeia) entre les
mains du peuple (pléthos : la masse des citoyens) et inventa l’ostracisme ». L’égalité des droits s’affirme
(isonomia) mais il s’agit encore de « droits proportionnels aux charges ». La démocratie (demokratia) atteint son
apogée sous Périclès. Lire la célèbre oraison funèbre qu’il a prononcée en 431 en l’honneur des morts du
Péloponnèse. Cf. Michel HUMBERT, Institutions politiques et sociales de l’Antiquité, Précis Dalloz.
23
celles des femmes (gynai), des métèques (étrangers originaires d’une autre cité
grecque), des étrangers (xenoi), des esclaves (douloi), des hommes libres, leur
statut personnel variant selon la ville et la période historique en question.
Dans notre quête sur l’essence de la citoyenneté des temps anciens, et en
particulier dans la Grèce classique, nous sommes confrontés à deux notions
conflictuelles :
a) La notion d’esclave32 différait en grande partie dans son contenu (légal et
moral aussi bien qu’économique) de celle des autres civilisations. Les Grecs,
comme tous les peuples civilisés de l’Antiquité et de nombreux autres depuis,
possédaient des esclaves. Pourtant, l’esclavage agricole était rare tandis que les
esclaves domestiques étaient plus ou moins équivalents (en nombre et en
traitement) aux domestiques européens du XIXème siècle. Les esclaves
industriels et miniers connaissaient une vie plus dure, mais en général les
esclaves avaient une liberté considérable et beaucoup de protection légale.
b) Au mot « grec » s’oppose « barbare », à l’origine, « celui qui parle une autre
langue », barbaros. Selon H.D.F Kitto, homme de lettres anglais, « les Grecs se
sentaient eux-mêmes, de façon simple et naturelle, différents de tous les autres
peuples qu’ils connaissaient ». Tout au moins les Grecs de la période classique
avaient l’habitude de diviser la famille humaine en hellènes et en barbares. Le
mot grec « barbaros » ne signifie pas « barbare » au sens où on l’entend
actuellement. Ce terme ne contenait pas de mépris. Il ne signifiait pas des gens
vivant dans des cavernes et mangeant de la viande crue. Il voulait simplement
dire des gens qui « émettaient des sons comme « bar bar » au lieu de parler grec.
Si l’on ne parlait pas grec, on était un « barbare » ; peu importe si on appartenait
à une tribu sauvage de Thrace ou à une des villes opulentes de l’est, ou à l’Égypte,
laquelle, et les Grecs le savaient bien, avait été stable et civilisée de nombreux
siècles avant que la Grèce n’existe.
Il faut également souligner que la femme n’a pas le rang de « citoyenne ». S’agitil d’une exclusion consciente ? Dans le vocabulaire, le mot athénien athènaios est
réservé aux hommes, citoyens d’Athènes ; son équivalent féminin n’existe pas.
Les femmes ne jouent aucun rôle politique officiel.
32
Pour Michel HUMBERT, op.cit., l’esclave dans la cité est « juridiquement exclu mais économiquement
intégré » (car il joue un rôle majeur dans le développement économique) et l’esclave est à la fois personne et
chose « res et persona ». Dans la pensée, notamment d’Aristote, l’esclavage est à la fois conforme et contraire à
la nature humaine, l’âme d’esclave étant celle qui accepte de plein grè sa soumission, mais est libre par nature
celui qui a subi malgré lui sa condition.
24
Les apports des chrétiens orthodoxes
La notion de personne, prosopon, est la contribution la plus importante de la
théologie orthodoxe à l’élaboration de la question de la citoyenneté. L’Homme est
doté par Dieu de la qualité d’être une « personne » et d’avoir une
« personnalité », prosopikotes, et, en d’autres termes, d’exister de la même
façon que Dieu existe. Chaque homme a une conscience propre.
Mis à part l’impact de la pensée théologique sur la formulation d’une théorie
politique ou légale, l’influence particulièrement forte de l’Église sur les Grecs
avait rendu sa position extrêmement importante, même dans des affaires situées
hors de son champ. Comme on l’a vu plus haut, ceci fut particulièrement valable
pendant l’occupation turque de la Grèce (1453-1821). Durant cette période,
l’Église avait joué le rôle de « leader » national et avait réussi à maintenir, sans
parler de l’intégrité religieuse de ses croyants, la cohérence nationale et
linguistique autant que la mémoire collective historique et le sens de la
continuité. Pendant presque quatre siècles, le sentiment d’appartenance et
d’allégeance fut dirigé vers l’Église orthodoxe et la notion abstraite d’ethnie
hellénique plutôt que vers un État-nation qui, de fait, n’avait jamais existé
jusque-là. Pour cette raison, il y eut parmi les Grecs, à une époque où la
citoyenneté n’existait pas, un sens assez fort d’identité mais plus en tant que
qualité morale que lien légal.
 La citoyenneté dans l’État grec
Même avant la création de l’État grec moderne, pendant la première année de la
guerre d’indépendance contre les Turcs, dans le premier embryon du texte de la
Constitution (le Décret légal de « La Grèce continentale de l’Est », du
15 novembre 1821), il existait des clauses se référant à la citoyenneté : tous les
habitants de la Grèce croyant au Christ étaient des Grecs ; tous les habitants de
la Grèce ne croyant pas au Christ étaient considérés comme des métèques et les
chrétiens qui étaient sous protection étrangère étaient des étrangers.
La distinction entre Grecs et non-Grecs est alors apparemment liée à leur
appartenance religieuse, bien que le critère principal soit celui du domicile qui
appartient au principe du « droit du sol », jus soli. Cependant, dans certains cas,
est utilisé également le principe du « droit du sang », jus sanguinis.
La religion, comme facteur déterminant pour l’acquisition de la citoyenneté
grecque, fut maintenue dans des textes constitutionnels durant toute la guerre
d’indépendance.
25
La phase suivante concernant la citoyenneté est liée à la naissance de l’État grec
et à sa reconnaissance internationale (1830). Les protocoles internationaux
prirent un soin particulier à l’égard des habitants musulmans de la Grèce. Ils ont
prévu que tous les musulmans choisissant de rester dans le pays devaient se
soumettre à la législation grecque et, de ce fait, acquéraient la citoyenneté
grecque. Tout musulman désirant émigrer, signifiant ainsi une préférence pour la
citoyenneté ottomane, était libre de vendre ses biens en Grèce durant une
période limitée.
Le terme de « citoyenneté hellénique » fut formellement introduit par la loi du
15-27 mai 1835, traitant spécifiquement du problème de la citoyenneté. Cette loi
et ses amendements confirmaient définitivement le domicile comme facteur
déterminant pour la création d’un lien légal entre le citoyen et l’État grec. Il faut
noter que dans la législation imprécise qui caractérise l’Empire ottoman à cette
époque, le fait d’établir des principes clairs concernant la citoyenneté hellénique
ouvrait des perspectives nouvelles pour tous les groupes ethniques qui se
battaient pour leur expression politique. Il est intéressant de voir que l’idée de
« pureté ethnique » du XIXème siècle, qui existait chez les peuples alors sous
gouvernement ottoman, persiste de nos jours dans beaucoup d’endroits des
Balkans, avec des conséquences dramatiques.
En conclusion de ce bref tableau historique, il est à noter que pendant les
premières années de l’existence de l’État grec moderne, le terme Ellen, hellène,
n’est pas clairement défini et ne doit pas être obligatoirement identifié comme
synonyme de citoyen grec. Ceci est probablement dû à sa signification plus large
incluant des connotations de « pré-citoyenneté » de caractère ethnique, se
référant aux sentiments nationaux des périodes de la Byzance tardive et de
l’occupation ottomane.
 La citoyenneté dans la Grèce d’aujourd’hui
Comportements et attitudes
La Grèce est un pays homogène où une très grande proportion de la population
descend de l’ethnie hellénique et pratique la religion orthodoxe. La notion
d’hellénisme, ou de forte identité nationale hellénique, a été historiquement
amplifiée et continue à influencer la société grecque moderne. Elle n’est pas
limitée aux frontières de l’État grec mais comprend une diaspora d’au moins
6 millions de personnes, dispersées de par le monde. La situation géographique et
l’histoire de la Grèce sont des facteurs qui expliquent cette amplification.
26
Cependant, ces mêmes facteurs engendrent aussi un sens de l’insécurité qui peut,
par extension, mener à un ethnocentrisme et à un climat de méfiance envers
« l’altérité » (les autres, ceux qui sont différents). Un tel climat pourrait faire
que certains groupes – autant des citoyens que des étrangers – se sentent
parfois exclus, particulièrement dans une période comme celle d’aujourd’hui,
quand le pays fait l’expérience d’une affluence sans précédent d’immigrants
étrangers illégaux.
D’autre part, l’adhésion de la Grèce à la Communauté européenne a donné aux
citoyens grecs un sentiment renouvelé d’appartenance à une « famille »
européenne plus large. Ceci forme aujourd’hui un des piliers de leur identité,
l’autre étant leur origine « orientale » de tradition orthodoxe, mêlée à leur
héritage ancien.
Les Grecs ont une attitude contradictoire envers la nation comme un tout. D’une
part, la plupart des citoyens soutiennent fortement les idéaux et les intérêts
nationaux. D’autre part, ces mêmes citoyens n’hésitent pas à se comporter sans
considération aucune ni respect pour le bien-être de la communauté en général.
Une autre contradiction tient à la façon dont les Grecs conçoivent leur propre
identité nationale. D’une part, il existe une très forte estime de soi, fondée sur
une soi-disant supériorité, tandis que, d’autre part, il y a un net sentiment
d’infériorité envers les autres Européens qui sont considérés comme étant « plus
avancés » (à maints égards) et méritent en cela d’être imités.
Ces contradictions expliquent d’une certaine manière les relations inconfortables
des Grecs avec leur propre pays, un syndrome « d’amour et de haine » : la Grèce
est regardée à la fois comme un pays de rêve et comme un échec.
Dans un pays où l’individualisme est si fort, alors que les structures sociales et
politiques existantes (dont la plupart sont sous contrôle de l’État directement ou
indirectement) ne laissent pas suffisamment d’espace à la société civile pour
respirer, il est difficile de dire si l’homme de la rue se sent comme un « vrai »
citoyen et de ce fait bénéficiaire des droits fondamentaux politiques et civils.
Le citoyen ressent encore le besoin d’un certain patronage politique dans le but
de renforcer ses droits, au lieu de simplement évoquer la loi devant
l’administration ou la justice. À cet égard, une amélioration récente des
attitudes est à noter.
27
Les Grecs ne sont, a priori, pas opposés à une citoyenneté européenne, à
condition qu’elle soit complémentaire de leur propre citoyenneté nationale, une
preuve et une consolidation de leur option occidentale, et leurs propres
caractéristiques nationales, à savoir leur identité culturelle, religieuse et
historique, ne soient pas mises en danger. L’acceptation de la citoyenneté
européenne se fera sur la base de ses avantages pratiques et politiques, plutôt
que sur quelque fondement idéologique.
Constitution de la République de Grèce du 9 juin 1975
Des points importants
Dispositions fondamentales
Le régime politique de la Grèce est celui d’une république parlementaire.
La souveraineté populaire en constitue le fondement.
Tous les pouvoirs émanent du peuple.
Le respect et la protection de la valeur humaine constituent l’obligation
primordiale de la République.
La Grèce poursuit l’affermissement de la paix et de la justice.
La religion dominante en Grèce est celle de l’Église orthodoxe orientale du
Christ.
Libertés, droits et devoirs
La liberté individuelle est inviolable.
La liberté de déplacement est reconnue.
Libertés publiques et droits sociaux :
Les Hellènes sont égaux devant la loi.
Les hommes et les femmes hellènes ont des droits égaux et des obligations
égales.
Seuls les citoyens hellènes sont admis à toutes les fonctions publiques, sauf
exceptions.
Les citoyens contribuent aux charges publiques, à la défense de l’État.
Chacun a le droit de développer librement sa personnalité et le droit de
participer à la vie sociale, économique et politique du pays.
Des protections importantes existent contre les violations de domicile, les
arrestations et jugements arbitraires, les tortures, etc.
Les droits de pétition, de réunion paisible et sans armes, d’association, de
conscience religieuse, d’expression, de presse sont garantis.
L’instruction constitue une mission fondamentale de l’État, notamment le
développement d’une conscience nationale et religieuse. Les années de scolarité
obligatoires sont de neuf ans.
28
Le droit de propriété et le droit au travail sont sous la protection de l’État,
liberté syndicale dans les limites de la loi, droit de grève.
La République reconnaît et protège les droits fondamentaux et imprescriptibles
de l’Homme.
Organisation et fonctions de l’État
La fonction législative est exercée par la Chambre des députés et le président
de la République.
La fonction exécutive est exercée par le président de la République et le
gouvernement.
La liberté de créer des partis politiques est assurée.
Afin de servir un intérêt national important et de promouvoir la collaboration
avec d’autres États, il est possible de reconnaître par voie de traité ou d’accord
des compétences prévues par la Constitution à des organes d’organisations
internationales.
Le président de la République
Le président de la République est élu par la Chambre des députés pour une
période de cinq ans par scrutin nominal lors d’une séance spéciale de celle-ci à la
majorité des deux tiers du nombre total des députés. Il prête serment au nom
de la Trinité Sainte.
Aucun acte du président de la République n’est valable sans le contreseing du
ministre compétent.
Le président de la République nomme le Premier ministre.
La Chambre des députés
Les députés sont élus au suffrage universel direct et secret par les citoyens
âgés de 18 ans au moins et ayant droit de vote, pour une durée de quatre ans.
L’exercice du droit de vote est obligatoire.
Peut être élu député tout citoyen hellène possédant le droit de vote et étant âgé
de 25 ans et plus. Les députés prêtent serment au nom de la Trinité Sainte ou de
leur propre religion s’ils ne sont pas chrétiens.
Le droit d’initiative des lois appartient à la Chambre des députés et au
gouvernement.
Pour
•
•
•
•
aller plus loin, il serait intéressant :
de repérer les déplacements de populations ;
d’étudier l’organisation des pouvoirs dans la cité démocratique ;
de réfléchir à l’évolution de la place et du rôle du citoyen au cours du
temps ;
de les comparer avec ceux de la Constitution de 1975 en vigueur.
29
Pour en savoir plus
Quelques sites internet
- http://grece.classique.free.fr
- http://greceantique.free.fr
- http://www.chez.com/olympos
- http://www.amb-grece.fr : le site de l’ambassade de Grèce en France
30
2
L’Italie
CITÉ : CIVITAS
CITOYEN : CIVIS
 Un peu d’histoire…33
Il est difficile en quelques pages de rappeler le passé tellement riche de Rome
et de l’Italie, mais voyons-en les grandes lignes pour situer l’évolution des
événements dans le temps.
Les temps légendaires
Dans les marécages du Latium existent des cabanes en bois. Énée, le héros
troyen, y aurait fondé Lavinium qui deviendra Rome. Vers 753 av J.C., selon la
légende, Romulus et Rémus fondent Rome sur le Palatin. Autour du Latium (d’où le
terme « latin ») vivaient deux grandes civilisations : grecque au sud (la Grande
Grèce et la Sicile), étrusque34au nord (Toscane).
Jusqu’en 616 av J.C., quatre royautés latine et sabine se sont succédées. On se
souvient peut-être de « l’enlèvement des Sabines » !35. Le roi sabin Pompilius
dota la communauté de ses institutions religieuses. Sous son successeur Tullus
Hostilius la victoire des Horaces sur les Curiaces aboutit à la destruction d’Albe.
C’est à la fin du VIIème siècle avant J.C. qu’est fondé le port d’Ostie, à
l’embouchure du Tibre.
La légende rapporte que Rome fut ensuite gouvernée par des rois étrusques : les
Tarquins. Rome devient alors une ville, « urbs », à la suite de l’assèchement des
marécages du forum. Sur le Capitole, le temple de Jupiter, Junon et Minerve est
construit.
Les historiens confirment les grandes lignes de la légende, à savoir : occupation
du site dès le VIIème siècle av J.C., intervention des Étrusques, construction
33
Contribution de Marie-Thérèse Drouillon et Françoise Parisot.
Les Etrusques sont des orientaux. Leur alphabet ressemble à celui des Grecs, mais leur langue n’est pas indoeuropéenne, comme les langues gréco-latines. La civilisation étrusque est très brillante par ses réalisations
artistiques (voir le musée de la Villa Julia à Rome), architecturale (elle a inventé « l’arc en plein cintre » qui fait
la beauté des églises romanes) et sa capacité à créer et à organiser des villes sur tous les plans, y compris
politique.
35
Les Latins souhaitaient « prendre femme ». Latins et Sabins se sont finalement entendus et ont gouverné
ensemble.
34
31
d’une cité et d’un sanctuaire à trois « cellae » (sanctuaires des Dieux) sur le
Capitole.
La République entre -509 et le début de l’ère chrétienne
Après la chute des rois étrusques, les Romains élaborent les institutions de la
République (res publica) à la suite de longues luttes entre les patriciens et les
plébéiens. Les magistrats, élus pour un an, sont toujours au moins deux par
fonction ; les magistrats sortis de charge forment le Sénat. Aux Comices,
assemblée des citoyens, les riches votent les premiers et le vote est arrêté
quand la majorité est atteinte, les pauvres ne votent jamais. Rome est donc
gouvernée par une oligarchie ; mais les plébéiens ont obtenu un « droit de veto »
inviolable, accordé aux « tribuns de la plèbe », pour défendre leurs droits.
La conquête de l’Italie : du IVème au IIème siècle av J.C., les Romains se
rendent maîtres de toute l’Italie. La conquête de l’Italie du Sud et de la Sicile
provoque un conflit avec la puissance concurrente de Carthage36. Entre 264 et
146, trois guerres puniques37 assurent le succès définitif de Rome sur sa
dangereuse rivale. Après la destruction de Carthage, Rome peut étendre sa
domination sur l’est de l’Espagne et sur la Gaule du Sud. Puis elle se lance à la
conquête de l’Orient grec, soumet les royaumes hellénistiques de Grèce, de
Syrie, de Pergame et d’Égypte. Au premier siècle, les Romains peuvent parler de
la Méditerranée en disant « Mare nostrum ».
Les conquêtes ont bouleversé l’économie et la société, mis en cause des
institutions inadaptées à un espace aussi étendu. La crise de la République révèle
des dysfonctionnements dramatiques. Dès le second siècle, les Gracques avaient
tenté, en vain, de reconstituer la classe moyenne des petits propriétaires (ruinés
par la concurrence des régions conquises) qui avaient fait la grandeur et la
stabilité de l’État.
Le premier siècle est une période de guerres civiles au cours desquelles ni
l’octroi de la citoyenneté à tous les Italiens, ni les tentatives de Sylla ou de
César pour adapter les institutions ne peuvent régler le problème politique et
social posé par les conquêtes. L’État est miné par les luttes de partis et le
clientélisme.
36
Les habitants de Carthage sont les Phéniciens, peuple de marins et de commerçants, qui à partir des côtes du
Liban actuel a constitué un réseau commercial dans toute la méditerranée, y compris à Carthage, leur point
d’ancrage, en Sicile, où ils se sont implantés, et dans la péninsule ibérique. Hannibal fut le valeureux
commandant des armées carthaginoises.
37
Les trois guerres ont opposé Rome à Carthage. L’adjectif punique est dérivé de Poeni, nom par lequel les
Carthaginois, descendants des Phéniciens, étaient connus des Romains. Le conflit avait pour objectif la
suprémacie en Méditerranée, et Rome remporta à chaque fois la vitoire.
32
Le Principat et le Haut-Empire
En 44 av J.C., accusé de vouloir rétablir la monarchie, Jules César est assassiné
en plein Sénat. Ce meurtre ouvre une période de luttes pour le pouvoir dont
Octave, petit neveu de César adopté par testament, sort victorieux après
plusieurs années de troubles à Rome, en Italie et dans les provinces. Devenu
Tribun de la plèbe – et de ce fait sacro-saint – Octave finit par rendre tous ses
pouvoirs au Sénat. Celui-ci, reconnaissant, lui accorde, en 27 av J.C., le surnom
d’« Auguste ». En réalité il détient tous les pouvoirs : « Imperator », il est le
chef des armées et contrôle les provinces ; « Auguste », il possède une autorité
qui est comparable à celle des Dieux.
Cette nouvelle organisation met fin aux guerres civiles et inaugure une longue
période d’ordre et de relative paix intérieure. Le « siècle d’Auguste » est celui
de Virgile, Tite-Live, Horace…
C’est aussi l’époque des grandes constructions alliant la gravité romaine et les
techniques grecques.
Peu à peu de nouvelles institutions38 sont élaborées pour répondre aux besoins
nouveaux. Au second siècle, sous Trajan, Hadrien, Antonin, Marc-Aurèle, l’œuvre
législative se développe et le droit devient une science complexe. En 131, sous
Hadrien, l’édit de Salvus Julianus met à jour le droit romain à l’usage des
fonctionnaires et des juges.
Rome a toujours accordé largement les droits politiques aux peuples vaincus ; le
champ d’application du droit s’élargit avec la diffusion de la citoyenneté
accordée soit individuellement, soit collectivement par les empereurs. Mais ce
régime profite davantage aux riches qu’aux pauvres, aux habitants des villes qu’à
ceux des campagnes.
Le Bas-Empire
Au début du IIIe siècle (212), l’édit de Caracalla accorde la citoyenneté à tous
les hommes libres de l’Empire, sans pour autant détruire les droits locaux. Ainsi
s’achève une évolution qui liait très étroitement romanisation et droit de
citoyenneté.
38
Quelle est la place des femmes dans la société ? Au 1er siècle, la situation de la femme romaine se modifie à
son avantage. A la tutelle du père ou du mari se substitue peu à peu le mariage sine manu c’est-à-dire sans
tutelle.
33
Mais les incursions des Barbares mettent fin à la « Pax Romana ». Déjà, au
second siècle, les empereurs avaient tenté d’enrayer leur pénétration en
organisant le limes, ligne défensive construite parallèlement à la frontière. Au
IIIème siècle, il s’agit moins de conquêtes que de sauvegarde de l’Empire.
La difficulté à y parvenir décide Dioclétien (284-305) à faire de grandes
réformes : par la tétrarchie39, il divise en deux le territoire (Orient et
Occident) et confie l’administration de chaque partie à un « Auguste » et à un
« César ». L’unité impériale cependant demeure : il ne s’agit que d’un partage des
tâches. Lorsqu’en 476 le Barbare Odoacre (Germain) prend Rome (capitale
occidentale) et renverse Romulus Augustule, il renvoie les insignes impériaux au
seul empereur subsistant dans la capitale orientale de l’Empire, à savoir
Constantinople.
Constantin, après les persécutions religieuses de Dioclétien, prend le pouvoir,
arrête la persécution et signe l’édit de Tolérance de Milan (313). Mais l’idée de
tolérance ne peut encore s’incarner durablement dans la vie politique. Finalement,
en 392, l’Empire devient chrétien et les cultes païens sont interdits à leur tour.
La fin de l’Empire romain et le Haut Moyen Âge
L’Europe est envahie par les Barbares. Rome est saccagée par les Goths en 410,
par les Vandales en 455. Au VIème siècle, l’empereur Justinien tente une
reconquête de la partie ouest de son Empire, mais sa tentative ne lui survit pas.
L’Italie se développe désormais autour de trois pôles : Pavie, capitale du royaume
des Lombards, Ravenne autour de laquelle s’épanouit une brillante civilisation
marquée par l’influence orientale, Rome où le pouvoir pontifical s’organise sous
Grégoire le Grand (590-604).
Pour résister à l’expansionnisme lombard, la papauté fait appel aux Carolingiens.
Charlemagne lui fait attribuer les territoires qui constituent le noyau des futurs
États de l’Église. Le couronnement de Charlemagne, en 800, crée en Occident un
Empire distinct de l’Empire romain (qui subsiste en Orient, sous le nom d’Empire
byzantin) et dont le souverain se considère comme le protecteur du pape. Empire
peu durable auquel fait suite le morcellement féodal.
De nouvelles invasions accroissent la confusion : les Normands ravagent l’Italie,
les Sarrasins envahissent la Sicile (827), pillent Rome (846). Otton Ier, roi de
39
Système institutionnel comprenant deux Auguste et deux César.
34
Germanie, fait valoir ses « droits » sur l’Italie et se fait couronner « empereur »
à Rome par le pape Jean XII (962) dans une perspective européenne. Ainsi naît
le Saint-Empire romain germanique40.
L’Italie impériale
L’Église étant intégrée à la féodalité, les conflits sont nombreux entre les
empereurs et les papes. Les seconds veulent s’affranchir du contrôle des
premiers sur la nomination des évêques et l’élection pontificale. L’épisode le plus
fameux de cette longue « querelle des investitures » est l’affrontement au cours
duquel l’empereur germanique Henri IV doit s’humilier à Canossa41 (1077).
Dans le même temps, les villes se développent et se dotent d’institutions propres.
Le Mouvement communal s’épanouit en Lombardie (1081), en Toscane (1138), en
Ligurie.
Les villes prennent parti pour le pape (les guelfes) ou pour l’empereur (les
gibelins) ; mais, surtout, elles modifient la vie politique en Italie en donnant le
pouvoir aux laïcs. Le Mouvement communal affaiblit le pouvoir des évêques et
introduit un ferment égalitaire dans des sociétés encore fortement
hiérarchisées. De plus, chaque cité tend à agrandir son territoire et à consolider
son indépendance. Ceci contribue à affaiblir l’emprise des pouvoirs étrangers
(empereurs germaniques, angevins, aragonais) sur l’Italie, tout en faisant reculer
la perspective de l’unité.
Jusqu’aux guerres du XVème siècle, la péninsule se trouve morcelée entre des
États régionaux. Une civilisation communale, portée par l’essor économique,
permet le développement d’une culture laïque, notamment grâce à des universités
telles que celles de Bologne (1088) ou de Padoue (1222).
Après les crises du XIVème siècle, le pouvoir passe aux mains des grandes
familles : les Visconti puis les Sforza à Milan, les Médicis à Florence. Gênes et
Venise restent des républiques aristocratiques. Ces villes, et surtout Florence,
connaissent un développement extraordinaire sur les plans artistique et
littéraire, qui en feront de brillants foyers de la Renaissance.
40
L’appellation date du XVème siècle
La querelle des Investitures constitue la première tentative de la papauté pour imposer sa théocratie. Elle éclate
suite à la décision prise par le Pape Grégoire VII de nommer les évêques et les abbés, charge qui appartenait
jusque-là aux souverains. L’empereur Henri IV décide de faire déposer le pape, qui réplique en l’excommuniant
et en le déposant. Il se trouve dès lors en butte à l’hostilité des princes allemands et est contraint de faire la paix
avec Grégoire VII. Celle-ci est conclue lors de l’entrevue de Canossa (1077) pendant laquelle Henri IV fait
pénitence et demande son absolution. Cet épisode historique a donné naissance à l’expression « aller à
Canossa », c’est-à-dire faire amende honorable, s’humilier devant son adversaire.
41
35
Cependant, l’Italie, riche et raffinée, attire les convoitises de la France, de
l’Espagne, de l’Autriche.
La domination étrangère
Les guerres d’Italie (1494-1559), qui voient la rivalité de la France et de
l’Espagne, affaiblissent les différentes républiques italiennes et s’achèvent par
la domination espagnole sur la quasi- totalité de la péninsule. Seul le pouvoir
pontifical représente un contrepoids à cette puissance espagnole.
Le concile de Trente, réuni par l’Eglise catholique pour répondre à la réforme
protestante de Luther et ainsi à la rupture de l’unité chrétienne due au
développement du protestantisme, stérilise la vie culturelle.
La fin de l’hégémonie espagnole en Europe, entérinée par le traité d’Utrecht
(1713), redistribue les zones d’influence en Italie : l’Autriche des Habsbourg
domine le Nord et la branche espagnole des Bourbons conserve le Sud. Les
Habsbourg redonnent un souffle culturel et politique durable, notamment à
Venise : théâtre de Goldoni, peintures de Tiepolo, Canaletto… Le Piémont
s’affirme.
Le Risorgimento et l’unité
Ce renouveau et cette ouverture expliquent que la Révolution française ait été
assez bien accueillie par la bourgeoisie et que Bonaparte, dans un premier temps,
ait été acclamé. Le traité de Campoformio en 1797 marque la fin de l’ancien
régime dans la péninsule. Bonaparte y crée d’éphémères républiques. Après sa
victoire à Marengo, il conquiert l’Italie dont une partie est annexée à la France
(Piémont, Toscane, une partie des États pontificaux). Après la chute de l’Empire
napoléonien, le Congrès de Vienne s’attache à effacer l’œuvre française et
rétablit en Italie les souverains renversés. Cependant, le retour de l’absolutisme
provoque la création de sociétés secrètes, inspirées de la Révolution française
(les carbonari), qui fomentent des complots durement réprimés. Après 1830, ces
mouvements réapparaissent autour du républicain Giuseppe Mazzini, créateur de
la « jeune Italie », et de Gioberti, partisan de l’unification et du Risorgimento
sous l’égide de la Maison de Savoie. À la suite des soulèvements de 1848, la
Lombardie et la Vénitie expulsent les Autrichiens. Le nouveau souverain
piémontais Victor-Emmanuel II et son ministre Cavour obtiennent l’appui de
Napoléon III pour réaliser l’unité italienne. Puis ce sera l’union de l’Italie
36
centrale et celle du royaume de Naples conquis par Garibaldi en 1860 à la suite
de l’expédition des « Mille ».
Le royaume d’Italie
Le royaume d’Italie est proclamé en 1861. La défaite autrichienne de Sadowa
(1866) rendit définitivement la Vénétie aux Italiens, mais ils durent attendre la
chute de l‘Empire français (1870) pour entrer dans Rome, qui devint la capitale
du Royaume le 2 octobre 1870. Les gouvernements de droite comme de gauche
poursuivent l’unification. En 1879, l’instruction primaire est devenue obligatoire
mais les difficultés économiques impliquèrent la dépréciation. Le peuple connaît
une grande misère et une partie de la population est contrainte à l’émigration.
L’Italie cherche à mener une politique coloniale en Tunisie et en Éthiopie, puis en
Libye. C’est le courant nationaliste qui pousse l’Italie à intervenir dans la
Première Guerre mondiale afin de récupérer des terres sur l’Autriche. Les
traités de Saint-Germain-en-Laye (1919) et de Rapallo (1920) déçoivent les
ambitions italiennes. Par ailleurs, en 1920-1922, une grave dépression économique
engendre une violente agitation dans toute la péninsule. Mussolini se fait alors
reconnaître avec ses Faisceaux42 comme le seul recours pour faire face à la
situation. Il est appelé au pouvoir par Victor-Emmanuel III. Peu à peu un ordre
dictatorial fasciste (1925) et corporatiste (1926) s’instaure. Les réalisations
intérieures (grands travaux, résorption du chômage, règlement de la question
romaine par les accords de Latran) et extérieures lui assurent une adhésion
populaire. Cette logique d’exaltation nationaliste conduit au rapprochement avec
l’Allemagne nazie (Pacte d’acier en 1939) et à la guerre.
L’Italie contemporaine
En juin 1946, la République est établie par référendum. Après avoir signé le
traité de Paris en 194743, l’Italie se dote d’une constitution en décembre avec un
régime parlementaire où le pouvoir essentiel est aux mains des Chambres. Il est
tempéré par la faculté de faire des référendums populaires sur les grands
problèmes sociaux et par la régionalisation. La reconstruction est menée par un
démocrate-chrétien, Alcide de Gasperi qui fait adhérer son pays à la CECA
(1951), puis à la CEE (1957). L’industrialisation connaît des succès, mais bien des
problèmes demeurent, notamment l’écart de développement entre le Nord et le
42
Nom des brigades qui donnera naissance au terme « fascisme ».
Les traités de Paris (à ne pas confondre avec le Traité de Paris du 18 avril 1951 créant la CECA) ont été signés
entre les puissances victorieuses et l’Italie, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie et la Finlande. L’Italie cédait à
la France quelques territoires, entres autres les hautes vallées de la Roya, de la Tinée et de la Vésubie, Tende et
la Brigue ; une partie de l’Istrie et Zara à la Yougoslavie ; elle cédait les îles du Dodécanèse à la Grèce. Elle
payait de lourdes indemnités aux pays avec lesquels elle avait été en guerre.
43
37
Sud. La gauche progresse face aux difficultés. Le terrorisme déstabilise le pays.
Le compromis historique établi en 1979 entre les communistes et les
démocrates-chrétiens permet de rétablir l’ordre. Mais l’Italie souffre du
retentissement des « affaires », malgré l’opération « mains propres ».
Le gouvernement très européen, dirigé par Romano Prodi, a cherché à assainir la
situation et à stabiliser le pouvoir politique. Il a œuvré pour que l’Italie fasse
partie des pays qui ont adopté l’euro en 1999. Mais le retour au pouvoir, en 2001,
du magnat de la communication, Silvio Berlusconi (dirigeant de Forza Italia), qui
s’est allié notamment à l’Alliance nationale (ex-MSI post-fasciste) et à la Ligue
du Nord –une formation à tendance xénophobe – a inquiété les Européens.
D’autant que certains membres du nouveau gouvernement ont tenu des propos
« anti-européens». Cela a entraîné une mise au point du Premier ministre italien
afin de confirmer son engagement en faveur de l’Union et de la monnaie unique.
Cependant, les relations entre l’Italie et la France ainsi qu’avec d’autres pays de
l’UE se sont indéniablement tendues, fragilisant ainsi l’un des piliers historiques
de l’Europe communautaire.
Institutions, citoyenneté et valeurs
(texte rédigé par Luigi Majocchi44 et adapté par Françoise Parisot)
 Réflexions générales sur les notions d’État, de citoyenneté et de nation45
Aujourd’hui, en dépit d’une certaine confusion qui entoure les termes de
« citoyenneté » et de « nation », il suffit de se référer au sens commun pour
s’apercevoir de la différence profonde qui existe entre ces deux termes. Un
Français, par exemple, peut bien se rendre en Italie, y établir sa résidence et
devenir citoyen italien, c’est-à-dire avoir un passeport italien, voter pour ses
représentants à la Chambre des députés et au Sénat, y être élu, tout en
conservant sa nationalité française. Pour rester encore au niveau du sens
commun, le traité de Maastricht reconnaît la citoyenneté européenne, qui
n’efface pas la citoyenneté italienne, française ou allemande. Par conséquent, il
est opportun, semble-t-il, de distinguer les deux concepts de façon claire.
La tâche n’est pas facile, car, si le concept de citoyenneté peut se référer à un
univers de discours précis – celui du discours juridique –, le concept de nation,
quant à lui, n’est pas très clair, non seulement sur le terrain du sens commun,
44
45
Professeur d’histoire de l’intégration européenne, Chaire Jean Monnet, Université de Pavie, Italie.
Contribution de Luigi MAJOCCHI, Chaire Jean Monnet, université de Pavie.
38
mais aussi sur celui de la science politique. Essayons donc d’apporter les
éclaircissements nécessaires par le biais de l’analyse historique.
 Historique des notions d’État, de citoyenneté et de nation
Athènes
Dans l’Athènes classique, la citoyenneté n’impliquait pas seulement, comme elle le
fait aujourd’hui, la titularité de droits et de devoirs – civils (reconnus aussi aux
métèques) et politiques (attribut exclusif de la citoyenneté) –, elle impliquait
également une communauté de langue, d’ethnie (ethnos) et même de religion,
Athéna étant la divinité poliade (qui protège la cité) d’Athènes. Le citoyen était
conçu comme une cellule d’un organisme vivant. Son loyalisme devait s’exercer de
façon exclusive envers la communauté politique. Athènes identifiait donc non
seulement sa citoyenneté, mais aussi sa nation. L’expression la plus limpide de
cette façon de penser se retrouve dans l’oraison funèbre de Périclès, une page
mémorable de La Guerre du Péloponnèse.46
Rome
Les choses n’étaient pas différentes dans la Rome républicaine. La condition de
citoyen romain identifiait non seulement le droit de participer aux institutions de
la démocratie directe mais aussi une référence naturelle aux traditions des
ancêtres. Celles-ci étaient codifiées dans le droit civil – un ensemble de règles
décrivant les comportements consolidés par rapport aux coutumes, à l’ethnie et
même à la religion. En d’autres termes, dans l’Athènes de Périclès, comme dans la
Rome républicaine, l’ensemble des citoyens constituait un peuple – c’est-à-dire un
État – et ce peuple coïncidait avec la nation. L’élargissement de la communauté
politique par des formules institutionnelles ne produisait pas de loyalismes
différents et d’identités nouvelles. En effet, ces formules institutionnelles
n’étaient rien d’autre que des réseaux de règles entre communautés dont les
sujets gardaient leurs propres citoyenneté et nationalité.
L’unité entre nation et citoyenneté se rompit à la suite de la concession de la
citoyenneté romaine d’abord aux Italiques, au temps de Sylla47, et, par la suite, à
l’Empire tout entier (Constitutio Antoniniana, 212 après J.C.). Par ces actes, la
citoyenneté, en tant que titularité de droits et de devoirs, était reconnue à des
sujets qui demeuraient différents du point de vue de leur nationalité et se
46
Nom donné à la guerre qui opposa les deux grandes puissances du monde grec, Athènes et Sparte, entre 431 et
404 avant J.-C. Le Péloponnèse est l’une des 9 régions géographiques de la Grèce.
47
Général et homme politique romain (138 av. J.C.– 78 av. J.C.) : après s’être opposé à Marius, il prit le pouvoir
puis abdiqua peu avant sa mort.
39
reconnaissaient comme tels. Le peuple romain – l’ensemble des citoyens, un sujet
juridico-politique – ne coïncidait plus avec la nation – sujet par sa nature non
politique – qui grâce à ses connotations ethniques, religieuses, culturelles,
linguistiques, etc., définissait l’identité d’un individu bien plus que son
appartenance à la communauté politique.
La féodalité
La chute de l’Empire romain et l’avènement de l’âge de la féodalité – les anciens
statuts furent alors remplacés par des relations de droit privé à l’intérieur de
communautés de destin extrêmement fragmentées – rendirent les deux concepts
de nationalité et de citoyenneté presque insignifiants. Si l’on voulait trouver un
corrélatif au terme de « nationalité », on pourrait peut-être se référer au
sentiment d’appartenance à la communauté universelle qui signifiait, en termes
religieux, un loyalisme envers la communauté catholique.
La Révolution française
Une situation analogue, bien que présentant des caractéristiques différentes
dans plusieurs régions du Saint-Empire, survécut jusqu’à la Révolution française.
Tout au cours de l’Ancien Régime, avant la Convention, le terme de nation
identifiait des communautés spontanées, non organisées par le pouvoir politique.
Son élément constitutif – l’étymologie le dit clairement : natio (de nascor
= naître), était le sentiment d’appartenir, avant tout, à la communauté dans
laquelle les hommes naissaient, vivaient et mouraient, et, ensuite, à une langue, à
des coutumes et traditions de caractère surtout local. Ce sentiment d’ailleurs
n’excluait pas les sentiments d’appartenance à d’autres groupes sociaux qui, en
quelque sorte, concourraient à définir l’identité des hommes. Il se pouvait qu’un
individu de Strasbourg, au-delà des sentiments d’appartenance à son propre
quartier et à sa propre ville, – quelque étroits qu’ils fussent – se sentit
appartenir aussi à l’Alsace (sa communauté linguistique), à la région du Rhin (le
bassin naturel du commerce), à la Lotharingie (qui, dans le passé, mais peut-être
encore aujourd’hui, identifiait une communauté de coutumes et de traditions), au
royaume de France, à la « République de l’Europe des lettres », à la chrétienté,
et finalement au monde entier, selon les principes du cosmopolitisme et de
l’humanisme du siècle des Lumières.
Ces phénomènes d’identification pouvaient aisément cœxister. En fait, ils
cœxistaient de façon normale car les hommes se considéraient comme au centre
d’une série de cercles concentriques qui du quartier pouvaient s’étendre jusqu’au
genre humain tout entier.
40
Au temps de la Révolution, l’affirmation du principe de la souveraineté nationale
eut comme conséquence que l’un de ces cercles prit le dessus sur les autres en
les réduisant au rang d’entités subordonnées ou même en les faisant disparaître.
En France, le cercle qui coïncidait avec la communauté politique n’était plus une
nation parmi les autres, mais la Nation qui devenait ainsi synonyme de peuple
(citoyens titulaires de la souveraineté). Mais les Français, s’ils étaient un peuple,
n’existaient pas en tant que nation, au moins au sens exclusif du terme. C’est
l’État qui au cours d’un processus séculaire avait accentué sa centralisation et
s’était doté d’une bureaucratie de plus en plus large. L’école publique, d’une part,
imposa à tous la langue d’oïl et, d’autre part, la levée en masse des armées
contribua à implanter la conception d’un destin commun sous un drapeau commun.
Le sentiment d’appartenance aux différentes infra-nationalités et
supranationalités spontanées fut ainsi occulté dans le cœur des Français, tandis
que s’installait le sentiment d’appartenir à une nationalité unique et exclusive,
organisée par le pouvoir politique : l’État-nation. Ce qui s’est passé en France sous
une forme si limpide s’est reproduit, tôt ou tard, et avec des analogies plus ou
moins marquées, dans les autres pays d’Europe occidentale.
La crise de l’État-nation
Les dégâts du nationalisme n’ont pas encore été complètement réparés. Les
préjugés nationaux existent encore. Mais la réalité évolue heureusement. En
effet, la formule nationale est entrée dans une crise profonde à la fin de la
Deuxième Guerre mondiale. Le processus d’unification européenne nous a amenés
au seuil d’une nouvelle situation qui n’est pas destinée à effacer les nations déjà
organisées, mais à nier leur caractère exclusif, en organisant une
supranationalité jusqu’à présent seulement spontanée. En outre, à la suite de la
crise de l’État-nation, d’autres nationalités qui gardaient un simple caractère de
spontanéité se sont organisées ou vont le faire. Il s’agit, dans ce cas,
d’infranationalités spontanées. Cela s’est passé en Allemagne, par la création des
Länder, en Espagne et en Italie par la régionalisation, en Belgique par la nouvelle
Constitution fédérale. Il s’agit d’un processus en cours qui est destiné à
s’approfondir. Au fur et à mesure de l’achèvement de la construction européenne,
le fédéralisme s’affirmera.
Il est donc légitime de soutenir que la société européenne est en train de se
consolider avec des caractères suffisamment unitaires : d’un côté grâce à
l’interdépendance croissante provoquée par le développement des forces
productives, de l’autre grâce à la crise du nationalisme. Elle est pourtant plus
segmentée et articulée qu’elle ne l’était il y a cinquante ans. Une telle affirmation
41
n’est absolument pas contradictoire. En vérité, il s’agit d’une société qui est en
train de nier le principe de la nationalité exclusive tout en affirmant une
multiplicité de loyalismes nouveaux (nouvelles « nationalités ») qui cherchent à
s’organiser par niveaux de gouvernements différents avec de nouvelles
citoyennetés.
 Comment ces notions sont-elles vécues en Italie ?
Un esprit de clocher bien enraciné
Le phénomène des communes a eu une importance particulière dans l’Italie du
Centre et du Nord. La ville, une fois redevenue le centre de la vie quotidienne, le
carrefour du commerce et de la production de richesse, fut le cadre d’une
relance spectaculaire de la civilisation par l’éclosion de l’art roman, des
universités, des républiques maritimes (Venise, Gênes, Pise et Amalfi). Celui qui
habitait la ville (le bourg) était le bourgeois, dont la participation à la vie
publique – en particulier aux institutions de la démocratie directe – était
organisée par les corporations. Il serait erroné de dire que cette expérience
historique reproduisait l’identité entre nation et citoyenneté qui était l’essence
de la polis. Toutefois, on retrouve ici certains traits qui marquent encore
aujourd’hui le sentiment national en Italie, c’est-à-dire un esprit de clocher
particulièrement vif. Même à présent, on dit que le mot « Toscane » ne reflète
pas parfaitement l’identité d’un Florentin puisqu’il sous-entendrait une similarité
avec les Pisans qui, jusqu’à la principauté des Médicis, furent leurs ennemis
acharnés. À Florence on peut entendre, même aujourd’hui, le proverbe suivant :
« Il est mieux d’avoir un mort chez soi qu’un Pisan à la porte » !
Comment espérer que ce même Florentin puisse se définir exclusivement comme
un Italien ?
Cette remarque nous permet de constater à quel point le nationalisme dans ce
pays, bien qu’il ait été la patrie de Mazzini, et en dépit de l’expérience néfaste
du fascisme, est toujours resté un phénomène de surface. Le fait que l’idéal
national n’ait jamais réussi à s’enraciner profondément dans le cœur des Italiens
est bien prouvé par leur résistance au fascisme. Les antifascistes demeuraient
fidèles à la valeur de la liberté plutôt qu’à celle de la Patrie et s’identifiaient
avec ceux qui menaient le même combat en Europe plutôt qu’avec leurs
compatriotes qui étaient restés loyaux à Mussolini. De la même façon, les
Italiens ont toujours été disposés favorablement envers l’Europe, et ce avec
constance depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
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L’État unitaire en Italie
Le modèle d’État-nation évoqué ci-dessus a été élaboré avec un regard tout à
fait particulier sur l’histoire de la France, mais sa validité ne se borne pas à
l’Hexagone. Au contraire, il permet de sélectionner et d’interpréter la plus
grande partie des phénomènes qui se sont produits dans presque tous les pays de
l’Europe occidentale. Cela est certainement vrai pour ce qui est de l’histoire de
l’Italie.
Il en va en particulier ainsi de l’histoire de l’État unitaire. À vrai dire, pour ce qui
est de la structure constitutionnelle de l’État, il faut garder présent à l’esprit
qu’un débat très vif se déroula après l’unification, au cours duquel même
l’hypothèse fédéraliste de Carlo Cattaneo48 avait été prise en considération.
Presque tous se disaient libéraux et favorables à l’introduction, dans la
Constitution, du modèle britannique qui était respectueux de l’autonomie locale.
Les catholiques, en particulier (il suffit de se rappeler du Père jésuite Taparelli
d’Azeglio), étaient hostiles à l’institution de l’État-nation et, partant, opposés à
l’identification citoyenneté/nationalité. En dépit de cela, on fit le choix de
construire l’État selon le modèle napoléonien. Les justifications données étaient
la crainte du retour des Bourbons à Naples, le brigandage, la question romaine, la
question de Venise, etc. Toutefois, ce qui fit le caractère définitif de ce choix
fut la conviction que ce modèle d’État était le plus adéquat à la situation
internationale de l’Europe après le tournant de 1870. A la rage de trouver sa
place au soleil se mêlait l’espoir d’assurer l’autosuffisance du pays. C’est dans ce
contexte qu’il faut replacer les aventures coloniales qui furent entreprises avec
beaucoup de témérité par Crispi ou encore la guerre de Libye. On peut aisément
expliquer tout cela sur la base de la théorie de la Raison d’État.
Tous les phénomènes qui ont été rappelés ici concernaient un État édifié sur une
base sociale extrêmement mince. Voici donc les raisons de sa faiblesse : Massimo
d’Azeglio l’exprimait en disant que « l’Italie ayant été faite, il faut faire les
Italiens », ce qui était beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Une telle difficulté
découlait directement d’une donnée essentielle de la vie constitutionnelle
italienne depuis l’unification et qui est le fait du « parti unique de
gouvernement ». On a déjà dit que la base sociale de l’État après l’unification
était mince. La masse des « exclus » – ceux qui ne se reconnaissaient pas dans
l’État et se trouvaient en opposition par rapport non seulement au gouvernement
mais aussi au régime – était énorme. Dans ces rangs l’on trouvait : les
républicains (ceux qui s’y référaient), les activistes (ceux qui se référaient à
Garibaldi), les fédéralistes (ceux qui se référaient à Cattaneo), les anarchistes,
48
Carlo Cattaneo avait employé en 1848 l’expression « les Etats-Unis d’Europe ».
43
les socialistes et, last but not least, après la promulgation de l’encyclique papale
« non expedit »49, tous les catholiques. L’État-nation qui était en train de se
faire ne se fondait que sur cette base sociale réduite qui se reconnaissait dans
l’État. On comprend fort bien alors pourquoi la tâche proposée par Massimo
d’Azeglio était si difficile. Il s’agissait d’imposer l’idéologie nationale non
seulement à un nombre considérable d’analphabètes, mais aussi à la grande
majorité des Italiens qui se sentaient avant tout socialistes, catholiques,
républicains, etc. Ceux-ci n’éprouvaient aucun loyalisme envers l’État et étaient
tout sauf citoyens au sens que le mot avait acquis dans la culture de Rousseau et
de la Révolution française.
Tout ceci suffit largement à expliquer pourquoi les Italiens, s’ils éprouvent de
l’orgueil pour leur propre littérature, musique, peinture, architecture, pour leurs
villes historiques et – pourquoi pas ? – pour leur mode de vie, éprouvent aussi une
sorte d’embarras à déclarer leur appartenance à l’État italien. Cet embarras
explique deux comportements différents : le premier positif, le second négatif.
La disposition favorable des Italiens envers le fédéralisme
La culture du fédéralisme, qui vise à créer des niveaux de gouvernement
institutionnalisés, du quartier au monde entier, s’est exprimée par le biais de
personnalités remarquables en Italie, comme en témoigne la pensée et l’action
d’Altiero Spinelli et du Mouvement fédéraliste européen. C’est grâce à cette
culture largement répandue dans les milieux antifascistes que la Constitution
italienne (à l’article 11) déclare de façon solennelle la disponibilité de l’Italie aux
transferts de souveraineté.
Aujourd’hui, la culture fédéraliste revendique une modification en profondeur de
l’État qui puisse élargir les garanties d’indépendance, reconnues aux minorités
ethniques (Vallée d’Aoste et Tyrol du Sud), aux autres régions sur la base du
principe de subsidiarité et en adoptant les règles du fédéralisme fiscal. Ces
revendications ne sont plus avancées seulement par les avant-gardes
fédéralistes ou par la Ligue du Nord, mais par toutes les forces politiques, à
l’exception d’Alleanza nazionale et Rifondazione comunista.
Une telle culture se retrouve d’une façon également claire dans le fait que le
racisme et l’antisémitisme en Italie sont des phénomènes tout à fait marginaux.
49
Par laquelle, au lendemain du 20 septembre 1870, date de la prise de Rome, la participation à la vie politique
était interdite aux fidèles de l’Eglise romaine.
44
Une transition difficile
Le nationalisme italien est donc très faible, particulièrement aujourd’hui. D’un
côté, cette situation favorise le passage au fédéralisme, c’est-à-dire à cette
transition qui, par la reconnaissance de la citoyenneté européenne, amènera
inévitablement à la reconnaissance d’une pluralité de citoyennetés liées à des
niveaux de gouvernement « indépendants et coordonnés ». D’un autre côté, tant
que la transition ne sera pas accomplie, elle implique une décadence effrayante
de l’esprit civique. Si tout ce qui est public est identifié à l’État, on explique
facilement pourquoi en Italie ce qui est public est considéré comme
n’appartenant à personne. Les actes de vandalisme envers ce qui est public sont
en règle générale justifiés et même approuvés ; le manque de respect pour
l’environnement naturel est très répandu ; tout le monde essaie d’échapper aux
impôts, etc.
Il est donc évident que, tant que des nationalités spontanées – qu’elles soient
vieilles ou nouvelles – ne seront pas reconnues et organisées par des institutions
politiques capables d’affirmer des citoyennetés nouvelles, il sera fort difficile de
donner à nouveau aux Italiens le sentiment d’être les membres d’une communauté
de destin qui leur appartient et qui, par conséquent, doit être respectée et
renforcée.
 La citoyenneté européenne
La citoyenneté européenne : un élément décisif
Le jour où la citoyenneté européenne sera effective, les Italiens pourront
retrouver un sentiment de nationalité fort. Si l’on peut être en même temps
Italien et Européen, on pourra également être Toscan, Florentin et, un jour ou
l’autre, citoyen du monde entier. Ce jour là, les Italiens n’éprouveront plus le
déchirement qui les a frappés une fois que la nationalité a été identifiée avec
l’État. Celui-ci n’est plus une communauté de destin, n’étant pas en mesure de
garantir la sécurité et la croissance. Ils comprendront qu’on peut être en même
temps citoyen de plusieurs communautés, chacune étant une entité pour laquelle
il faut garder du respect, comme l’on en garde pour tout ce qui contribue à nous
donner une expérience directe de l’altérité et à enrichir notre personnalité.
Le traité de Maastricht : une occasion manquée
En vertu de ce traité nous sommes devenus citoyens européens car l’Union est
devenue une communauté de destin. Mais de quel genre de citoyen s’agit-il s’il n’a
45
même pas le pouvoir d’élire son gouvernement et par là même de participer d’une
façon active au processus de décision ? Malgré tout ce qu’on dit, au sein de
l’Union le pouvoir est toujours bien gardé par le Conseil où les États sont
représentés en tant que détenteurs effectifs de la souveraineté. Le principe qui
demeure toujours incontesté est donc encore celui qui reconnaît l’État-nation
comme la seule forme d’État. La transformation de l’Union en une fédération
adaptée aux spécificités de notre continent européen permettra, il faut le
souhaiter, de sortir de cette vision restrictive. Il sera alors possible de
s’orienter vers une citoyenneté à plusieurs dimensions complémentaires.
Constitution de la République italienne50 du 27 décembre 1947
Des points importants
Tous les citoyens ont une même dignité sociale et sont égaux devant la loi sans
distinction de sexe, de race, de langue, de religion, d’opinions politiques, de
conditions personnelles et sociales.
La République reconnaît à tous les citoyens le droit au travail et crée les
conditions qui rendent ce droit effectif. La République est une et indivisible,
reconnaît et favorise les autonomies locales, réalise la plus ample
décentralisation administrative.
L’Italie consent aux limitations de souveraineté nécessaires, à condition de
réciprocité par les autres États, à un ordre qui assure la paix et la justice au sein
des nations ; elle aide et favorise les organisations internationales qui
poursuivent un tel but.
L’État et l’Église catholique sont, chacun dans son domaine particulier,
indépendants et souverains.
Toutes les confessions religieuses sont également libres devant la loi.
Le statut
L’Italie est une république démocratique, fondée sur le travail.
La République reconnaît et garantit les droits de l’homme.
Le statut juridique des étrangers est réglé par la loi, conformément aux traités
et usages internationaux.
Le droit d’asile politique est reconnu.
Droits et devoirs civiques
Titre I
La liberté personnelle est inviolable. Le domicile, la liberté et le secret de la
correspondance sont inviolables. Liberté de circulation, de réunion
50
D’après Henri OBERDORFF, Les Constitutions de l’Europe des Douze, La Documentation française, 1994
46
(pacifiquement), d’association (sauf secrètes et militaires), liberté de
confession, liberté de pensée et d’expression, presse, etc.
Titre II
La République reconnaît les droits de la famille comme société naturelle fondée
sur le mariage, elle protège la maternité, l’enfance et la jeunesse, la santé.
L’enseignement est ouvert à tous. L’instruction primaire, pendant au moins huit
ans, est obligatoire et gratuite.
Titre III
La femme qui travaille a les mêmes droits, les mêmes rémunérations et
protections sociales que l’homme, l’organisation syndicale est libre ; le droit de
grève s’exerce dans le cadre de la loi, le droit de propriété est reconnu.
Titre IV
Sont électeurs tous les citoyens, hommes et femmes, qui ont atteint l’âge de la
majorité ; c’est un devoir civique que de voter ; la défense de la patrie est un
devoir sacré du citoyen (service militaire) ; chacun est tenu de contribuer aux
dépenses publiques, tous les citoyens ont le devoir d’observer la Constitution et
les lois.
Organisation de la République
Le Parlement : la Chambre des députés et le Sénat.
Le Parlement est élu au suffrage universel direct, le Sénat sur la base régionale.
Il faut avoir 25 ans pour être député et 40 ans pour être sénateur. Ils sont élus
pour cinq ans.
Il y a référendum populaire sous certaines conditions.
Le président de la République est élu par le Parlement réuni en séance commune,
au scrutin secret, et à la majorité des 2/3 du Parlement. Il est élu pour sept ans.
Il est le chef de l’État et représente l’unité nationale.
Pour aller plus loin, il serait intéressant :
•
d’observer les frontières de l’Empire romain à son apogée, sachant que, par
l’édit de Caracalla, tous les hommes libres de l’Empire devenaient citoyens
romains ;
•
d’approfondir les influences exercées par la Grèce et Rome qui, pour
certaines, demeurent encore aujourd’hui.
•
de se remémorer la date de l’unification de l’Italie ;
•
de réfléchir aux raisons pour lesquelles les Italiens se sentent plus
européens et moins nationalistes que d’autres.
Pour en savoir plus
Quelques sites internet
47
- http://www.defusco.ch/fr2_italie.html
- http://www.italie1.com/hist.htm
Bibliographie générale
-
Lettres européennes, Histoire de la littérature européenne, BenoîtDusausoy A. et Fontaine G. (dir), Hachette Education, 1992.
Europe, la voie romaine, Criterion idées, 1993
La civilisation romaine, Grimal P., Arthaud, 1960.
Histoire de l’Europe, à l’initiative de Delouche F., Hachette Education,
1997.
48
Ont contribué à l’ouvrage original, paru chez Hachette Education en 1998 :
Jorge Bacelar Gouveia , constitutionaliste, Lisbonne, Portugal.
Gilles Cosson, président du Mouvement Européen Ile de France, Auteur.
Henk Dekker, professeur associé, Université de Leiden, Pays-Bas.
Marie-Thérèse Drouillon, professeur honoraire agrégée d’histoire.
Andrew Duff, député européen.
Nikos Frangakis, directeur EKEME, Athènes, Grèce.
An Hermans, député, professeur à l’Université de Louvain, Belgique.
Hubert Landier, président MCS.
Claire Loftus, avocate, membre de l’Institut d’Affaires Européennes de
Dublin,Irlande.
Andreas Maurer, Docteur en sciences politiques, Stiftung Wissenshaft und
Politik, Berlin.
Luigi Majocchi, professeur d’histoire de l’intégration européenne, chaire Jean
Monnet, université de Pavie, Italie.
Françoise Parisot, présidente de Futur Présent.
Ib Pedersen, avocat international, Danemark.
Benoît Pellistrandi, historien, directeur des études pour les époques modernes et
contemporaines, Casa de Velasquez, Madrid.
Sergio Santillan, avocat, directeur des services juridiques de l’Union générale
des travailleurs, Madrid, Espagne.
Stéphane Saurel, membre du Cabinet du Président du Conseil Régional Aquitaine.
Robert Toulemon, président de l’AFEUR.
Julien Weisbein, Docteur en sciences politiques, LASSP, IEP de Toulouse.
49
Les contributions des auteurs ont été adaptées par Futur Présent pour assurer
la cohérence de l’ouvrage.
La mise à jour a été réalisée par Françoise Parisot et Robert Toulemon, avec la
participation de Delphine Lemarinier, diplômée IEP Grenoble et Paris IXDauphine, et de Simon Parlier, Docteur en Sciences Politiques.
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