9/4/2013 5:55:00 PM Sophie Van der Meeren Clermont-Ferrand 13/09/2013 : « Quelques considérations sur le « genre » du « dialogue chrétien » : à propos des Dialogues de Cassiciacum de saint Augustin » Éléments de bibliographie I. Le dialogue (chrétien) dans la littérature de l’Antiquité tardive (a) M. Hoffmann, Der Dialog bei den christlichen Schriftstellern der ersten vier Jahrhunderte (TU 96), Berlin, 1966. La finalité de la recherche : l’ouvrage se présente comme un inventaire des dialogues chrétiens des 4 premiers siècles, suivant les lignes directrices que sont l’histoire des formes littéraires et de leur évolution, et l’histoire des idées. Hoffmann (un théologien) est le premier à entreprendre d’enquêter sur les dialogues dans leur particularité et à chercher, à partir de là, à proposer une vue d’ensemble de la littérature dialogique tardive. — Pas de « genre » du dialogue chrétien, mais dérivation systématique à partir du logos sokratikos et de la fonction maïeutique de celui-ci. Lignes directrices de l’étude : L’ouvrage de Hoffmann est divisé en chapitres thématiques ; ces « thèmes » représentent en réalité des types de dialogues. Hoffmann adopte pour critère essentiel la distinction entre disputatio et oratio continua, deux formes de discours différentes qui reflèteraient deux modes d’accès à la vérité. (b) B.-R. Voss, Der Dialog in der frühchristliche Literatur, Wilhelm Fink Verlag, München, 1970. Finalité de la recherche : Voss présente son propre travail comme quelque chose de totalement différent du projet qui avait guidé Hoffmann ; il présente son étude comme une contribution à l’histoire de la littérature. Son travail sera celui non d’un théologien, mais d’un philologue. — les deux éléments caractérisant le « dialogue » sont, d’une part, l’ « échange », et, de l’autre, la façon dont le « thème » ou l’ « argument » est traité dans la « conversation ». En fonction de cette définition, Voss accorde une grande importance aux aspects littéraires et à l’« esthétique » de la conversation, ainsi, d’un autre côté, qu’à la mise en place d’une argumentation pour traiter des thèmes. Lignes directrices de l’étude : La monographie est organisée par ordre chronologique et par auteur. — Augustin : Voss regroupe les dialogues augustiniens selon des critères littéraires, en deux catégories : les dialogues scéniques/les dialogues non scéniques. Et il prend en compte les éléments suivants : les principes de composition ; l’organisation et le déroulement du discours ; la signification des éléments scéniques, qu’il ramène souvent à une esthétique de l’ « agrément ». L’examen des différents dialogues scéniques d’Augustin est suivi d’un petit chapitre synthétique dans lequel il envisage en particulier les liens avec la tradition littéraire : notamment Platon et Cicéron, tout en montrant la grande originalité des dialogues augustiniens, qui sont éminemment « personnels » (p. 303) : ils reproduisent avec une grande intensité la vie intérieure. (c) L. Schmidt, « Zur Typologie und Literarisierung des frühchristlichen lateinischen Dialogs », dans Christianisme et formes littéraires de l’Antiquité tardive en Occident, Entretiens sur l’Antiquité classique (Fondation Hardt) Tome XXIII, 1976. Finalité de la recherche : Le point de vue de Schmidt est double : il s’agit pour lui, d’une part, de rendre compte du dialogue chrétien comme genre à l’intérieur d’une histoire des genres (qui, selon lui, n’a été qu’ébauchée par Voss), et, d’autre part, de rattacher systématiquement les dialogues à une fonction. L’étude du contenu du dialogue, de ses caractéristiques littéraires, n’a de sens, selon lui, que par rapport à la fonction revêtue par le dialogue. Lignes directrices : La question de la fonction : en plaçant au centre de son étude l’interrogation sur la fonction spécifique de chaque dialogue, la démarche de Schmidt se présente (par rapport aux deux auteurs précédents) non comme une simple description, mais comme une véritable entreprise d’interprétation des textes. — On peut résumer les intentions des dialogues augustiniens, d’après Schmidt, de la manière suivante : a) Avec les Dialogues de Cassiciacum Augustin expérimente le sens d’une philosophie chrétienne b) Avec les Soliloques, il donne une nouvelle expression au dialogue cicéronien c) Avec les « disciplinarum libri », il christianise le dialogue traditionnel entre le maître et l’élève. (d) J. Doignon, « Etat des questions relatives aux premiers Dialogues de saint Augustin » (Internationales Symposion über den Stand der Augustinus-Forschung, 1989). Selon lui, il faudrait se demander « comment le cours des débats épouse les modes de réflexion d’un groupe en état de ‘dialogue’ » et s’intéresser au « fonctionnement » de la disputatio. Il insiste sur l’absence de travaux portant sur ce qu’il appelle la « facture dialogale » des dialogues augustiniens et propose des perspectives à explorer qui permettent d’aller plus loin dans l’étude de la forme et du fond ou dans celle de la « fonction » des dialogues. Remarques donc deux carences : — certaines ressources littéraires et formelles insuffisamment exploitées — la question de la fonction reste à creuser. (e) M. P. Steppat, sur le De ordine précisément : Die Schola von Cassiciacum, Augustinus « De ordine », Bad Honnef, 1980. Aspects pédagogiques des Dialogues. (f) V. Hösle, Der philosophische Dialog. Eine Poetik und Hermeneutik, C. H. Beck, München, 2006. (g) G. Catapano, Il concetto di filosofia nei primi scritti di Agostino. Analisi dei passi metafilosofici dal Contra Academicos al De uera religione, Institutum Patristicum Augustinianum, Roma, 2011. II. Sur le « genre » du « dialogue philosophique » Le dialogue : introduction à un genre philosophique, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2004. D. Maingueneau1 : Les hypergenres ne sont pas des « dispositifs de communication définis historiquement, mais des modes d’organisation textuelle aux contraintes pauvres qui sont en vigueur sur des périodes parfois très longues et qui autorisent les mises en scène les plus variées. Le dialogue nous semble un bon exemple d’hypergenre : il suffit de faire converser au moins deux personnages. » F. Cossutta : « enfin, on peut distinguer le dialogue comme genre textuel proprement dit lorsque le dialogisme resserré sur le jeu d’alternance des questions et réponses entre interlocuteurs, devient le dispositif de construction qui unifie et définit le mode d’expression d’une œuvre. Encore faudra-t-il distinguer divers types de dialogues. »2 « Un genre est un modèle stabilisé d’organisation de la textualité, il offre ses contraintes pour l’exposition et l’articulation interne des contenus en s’appuyant sur les propriétés du langage : y aurait-il des dialogues sans l’inscription dans la langue des marqueurs de l’interlocution, y aurait-il des romans sans l’existence de structures morpho-syntaxiques permettant la narration ? Les genres n’existent pas dans un répertoire de formes fixé une fois pour toutes, ils naissent dans certaines conditions particulières de l’activité philosophique dont ils traduisent certains rituels. »3 « Chaque philosophie doit ajuster ses façons de dire à ce qu’elle dit, et pour cela doit se démarquer de façons de dire périmées : une définition nouvelle de la philosophie est solidaire de la mise en avant d’une nouvelle façon de philosopher. Les genres philosophiques jouent aussi bien leur rôle comme genres constitués que comme genres constituants. »4 « Peut-on en effet dissocier l’étude du dialogue philosophique d’une philosophie du dialogue ? La philosophie en occident, au moins depuis Platon, ne s’est-elle pas définie en posant le dialogue à la fois comme une valeur et comme une pratique ? Elle se présente comme un mode de 1 « Le dialogue philosophique comme hypergenre », Le dialogue : introduction à un genre philosophique, p. 85- 103 (p. 87). 2 « Approches méthodologiques », Le dialogue : introduction à un genre philosophique, p. 30. 3 « Avant-propos », Le dialogue : introduction à un genre philosophique, p. 9. 4 Ibid., p. 10. discours qui repose sur la valeur accordée à la prise en considération de la parole de l’autre, à l’effort pour objecter, réfuter, répondre, à la recherche argumentée d’un accord. On devrait dès lors pouvoir poser une équivalence entre l’emploi de la forme dialoguée et la valeur philosophique accordée au dialogue. »5 5 « Approches méthodologiques », Le dialogue : introduction à un genre philosophique, p. 19. Extraits des Dialogues de Cassiciacum La fonction heuristique des Dialogues (1) Contra Academicos, I, i, 4 : « Ainsi, après qu’un très petit nombre de jours se fut écoulé depuis le début de notre séjour à la campagne, je les trouvai, les ayant « exhortés » (hortans) et « stimulés » (animans) à l’étude, prêts et presque plus enthousiastes que ce que j’avais espéré. Je voulus alors examiner leurs possibilités en fonction de leur âge (uolui temptare pro aetate quid possent), d’autant que l’Hortensius de Cicéron paraissait les avoir gagnés dans une large mesure à la philosophie (eos ex magna parte conciliasse philosophiae). » Le dialogue, reflet et constitution d’une « histoire intérieure » (2) : Début des entretiens du Contra Academicos, texte joint. (3) Contra Academicos, II, i, 4 : « Enfin, si je goûte maintenant la joie du repos, si je me suis arraché aux rets des vains désirs, si, ayant abandonné le fardeau des soucis terrestres, je respire, je reprends mes sens, je reviens à moi ; si je cherche avec grande ardeur la vérité (quaero intentissimus ueritatem), si je commence à la trouver, si j’ai l’espoir de m’élever jusqu’à la perfection de cette mesure, c’est toi qui m’y as encouragé, toi qui m’y a poussé, par toi que cela s’est fait. » (4) Contra Academicos, I, i, 4 : « Pour t’inciter (incitarem) à t’y (sc. la philosophie) attacher et à y puiser plus avidement, encore que je connaisse bien la soif que tu en as, j’ai voulu t’en donner un avant-goût (gustum), et je compte n’avoir pas espéré en vain que tu le trouveras très agréable et qu’il te sera, si j’ose dire, un apéritif (inductorium). Je t’envoie en effet avec cette lettre la discussion (disputationem) qui a eu lieu entre Trygetius et Licentius. » (5) Contra Academicos, II, iii, 8 : « Restent deux défauts, deux obstacles (duo uitia et impedimenta) empêchant de trouver la vérité, mais que je ne crains pas beaucoup pour toi, encore que je redoute que tu ne te déprécies et ne désespères de trouver, ou du moins que tu ne t’imagines avoir trouvé. Le premier, si toutefois il est réel, cette discussion t’en délivrera peut-être (ista tibi disputatio fortasse detrahet). » (6) Contra Academicos, III, i, 1 : « Mais, avant d’aborder, avec l’exposé de mon avis, l’explication de ce qui se rapporte à la question, veuillez, je vous prie, écouter, sur l’espérance, sur la vie, sur les principes de la conduite, quelques observations qui ne sont pas étrangères à notre sujet. C’est pour nous une affaire ni banale ni superflue, mais nécessaire et capitale (negotium nostrum non leue aut superfluum sed necessarium ac summum), que de rechercher de toutes nos forces la vérité : nous en sommes, Alypius et moi, tombés d’accord. » (7) Ibid. : « Les Académiciens ont professé que le sage devait déployer les plus grands efforts à découvrir <la vérité> et qu’en fait il y mettait tout son soin, mais que la vérité, étant soit cachée loin des regards, soit confuse et indiscernable, il n’avait, pour diriger sa vie, qu’à suivre ce qui se présentait comme probable et vraisemblable. C’est d’ailleurs ce que vous aviez établi dans votre discussion d’hier (pristina disceptatione). En effet, l’un affirme que l’homme atteint le bonheur par la découverte de la vérité, l’autre qu’il suffit à l’homme de chercher soigneusement le vrai, mais il n’est douteux pour aucun de nous qu’il n’y a rien que nous devions mettre au-dessus de cet enjeu (nihil esse a nobis huic negotio praeponendum). » (8) Ibid. : « Licentius s’est occupé à faire des vers, chose qui l’enflamme d’une telle passion que c’est surtout pour lui que j’ai cru devoir instituer cette discussion, afin que la philosophie prenne et conserve dans son esprit — il en est temps — une place plus grande non seulement que la poésie, mais que n’importe quelle discipline. » (9) Contra Academicos, I, iv, 11 : « Quant à être heureux, cela lui (sc. l’homme qui cherche toujours la vérité) est très facile : je n’irai pas en chercher bien loin la preuve, car, si nous pouvions nous-mêmes vivre chaque jour comme nous avons vécu hier, je ne vois pas pourquoi nous hésiterions à nous proclamer heureux. Nous avons en effet vécu dans une grande tranquillité d’esprit, écartant de notre âme toute souillure corporelle (ab omni corporis labe animum uindicantes), nous tenant très éloignés du feu des passions, nous adonnant, autant qu’il est permis à l’homme, aux travaux de l’intelligence, c’est-à-dire que nous avons vécu selon cette partie divine de l’âme dont nous sommes tombés d’accord, dans notre définition d’hier, qu’elle fait le bonheur de la vie (quam beata uitam esse hesterna inter nos definitione conuenit). Or, me semble-t-il, nous n’avons rien trouvé ; nous n’avons fait que chercher la vérité. » Statut des échanges et statut de la vérité (10) De beata uita, 4, 35 : « Un certain avertissement (admonitio autem quaedam) qui œuvre en nous pour que nous nous souvenions de Dieu, le cherchions et, bannissant toute satiété, ayons soif de Lui (eum pulso omni fastidio sitiamus), s’écoule en nous de la source même de la vérité. Ce soleil mystérieux répand la lumière qui éclaire notre regard intérieur (interioribus luminibus nostris), c’est de lui que procèdent toutes les vérités que nous proférons (…). » (11) Ibid. : « Cependant, aussi longtemps que nous cherchons (quamdiu quaerimus), sans être encore comblés par la source même ou, pour nous servir de ce fameux mot, de la plénitude (nondum plenitudine saturati), avouons que nous n’avons pas encore atteint notre mesure (nondum ad nostrum modum nos peruenisse). Et c’est pourquoi, bien que déjà Dieu nous aide, nous ne sommes cependant pas encore sages et heureux (sapientes ac beati sumus) ». (12) De beata uita, 4, 36 : « Je rends grâce de toutes mes forces au grand et vrai Dieu, Père et Seigneur libérateur des âmes, ensuite à vous qui, invités par moi de tout cœur, m’avez aussi comblé de bienfaits. » La scénographie des Dialogues (13) Contra Academicos, III, xii, 27 : « Que choisis tu ? Si tu me demandes ce que j’en pense, j’estime que c’est dans l’âme que réside le souverain bien de l’homme. Mais maintenant c’est sur la science que porte notre enquête. Interroge donc le sage, qui ne peut ignorer la sagesse. » (14) Contra Academicos, III, xiv, 31 : « En effet, imaginons un instant, je vous prie, ce spectacle (quasi ante oculos tale spectaculum constituamus) : une dispute (rixam) entre le sage et la sagesse. Que dit la sagesse, sinon qu’elle est la sagesse ? Mais le sage, au contraire : Je ne le crois pas, dit-il. — Qui est-ce qui dit à la sagesse : je ne crois pas à l’existence de la sagesse ? qui, sinon celui à qui elle a pu parler et en qui elle a daigné habiter, c’est-à-dire le sage ? Venez donc me demander de lutter contre les Académiciens ! Voici un nouveau genre de combat (nouum certamen) : le sage et la sagesse se disputent entre eux. » (15) De ordine, I, i, 1 : « Suivre et observer l’ordre des choses (ordinem rerum) approprié à chacune, Zenobius, mais surtout voir ou encore révéler celui de l’univers (ordinem universitatis), ordre qui contient et gouverne ce monde, est une chose très difficile pour les hommes et, de ce fait, très rare. » (16) De ordine, I, i, 2-ii, 3 : « Les hommes trop peu instruits, incapables, à cause de la faiblesse de leur esprit, d’embrasser et d’examiner la cohérence et l’harmonie universelle des choses (uniuersam rerum coaptationem atque concentum), si l’une d’elles les a choqués, pensent, parce que cela est d’importance pour leur esprit, qu’une grave laideur est inhérente aux choses. La cause la plus importante de cette erreur est que l’homme est un inconnu pour lui-même. S’il veut cependant se connaître, il a besoin d’une grande habitude de se retirer des sens, de recueillir son esprit en lui-même (consuetudine recedendi a sensibus et animum in seipsum colligendi) et de le maintenir en lui-même. C’est ce qu’obtiennent seulement ceux qui cautérisent par la solitude (solitudine) ou soignent par des études libérales certaines blessures que causent des opinions et que le cours de la vie quotidienne leur inflige. Car l’âme ainsi rendue à ellemême comprend quelle est la beauté de l’univers, dont le nom vient assurément de « un ». » (17) De ordine, I, viii, 25 : « Nous avions commencé à nous rendre aux bains (…) quand voici que, devant la porte, nous remarquâmes des coqs engagés dans un combat très ardent. Il nous plut d’y porter attention (adtendere). Car que ne prospecte pas, par où ne se promène pas le regard des amants à l’affût d’un signe donné de quelque côté par la beauté de la raison, qui organise et gouverne toutes choses (…). On pouvait voir (erat uidere)… le signe du vaincu, les plumes de la tête arrachées et entièrement laid, dans son cri comme dans sa démarche, et, par là-même, je ne sais comment, en harmonie avec les lois de la nature et du beau. Nous nous posions beaucoup de questions (multa quaerebamus). Pourquoi étaient-ils tous comme cela ? (…) Qu’y avait-il en nous qui aspirât à des réalités éloignées des sens ? » (18) De ordine, II, iii, 12 : « Qu’y a-t-il de plus repoussant qu’un bourreau ? Y a-t-il quelque chose de plus farouche et de plus sinistre qu’une âme comme celle-là ? Mais, au milieu même des lois, il occupe une place nécessaire et il s’intègre dans l’ordre d’une cité bien réglée et s’il est nuisible par ses sentiments, par l’ordre qui n’est pas le sien, il est le châtiment des gens nuisibles. » (19) De ordine, II, xi, 34 : « C’est pourquoi, dans cet édifice même, en regardant bien chaque détail, nous ne pouvons pas ne pas être choqués de voir une porte sur le côté, l’autre presque au milieu sans être cependant placée au milieu. En effet, dans les choses fabriquées, si aucune nécessité ne l’impose, une dissymétrie des parties semble causer une offense à l’aspect lui-même. (…) De là vient déjà que les architectes, eux, appellent cela d’un mot qui leur est propre, une raison (ratio), et disent que les parties qui sont discordantes par leur emplacement n’ont pas de raison. » (20) De ordine, II, xx, 53 : « N’as-tu pas montré à découvert aujourd’hui presque sous nos yeux (abs te nostris etiam paene oculis reserata est) cette science vénérable et presque divine tenue et reconnue à juste titre pour être celle de Pythagore ? » (21) De ordine, I, ii, 3-4 : « Car, de même que dans un cercle, aussi étendu qu’on veut, il n’y a qu’un point médian, où tout converge — les géomètres l’appellent centre —, et quoique les portions de la circonférence entière puissent être divisées à l’infini, il n’y a rien cependant en dehors de ce point unique, qui serve à mesurer également tout le reste et qui commande à tout par une sorte de droit d’égalité ; et si l’on veut s’en écarter vers une direction quelconque, on perd tout, dans la mesure où l’esprit, qui s’est répandu hors de lui-même, se brise sous l’effet d’une sorte d’infini et s’épuise dans une véritable indigence, étant donné que sa nature le force à chercher partout l’unité et que la multiplicité ne lui permet pas de la trouver. » (22) De ordine, I, iii, 8 : « ‘Je suis irrité, lui dis-je, de te voir t’acharner sur des vers que tu composes sur tous les rythmes, chantant, vociférant : ce sont eux qui, peu à peu, élèvent entre toi et la vérité un mur plus cruel qu’entre tes deux amants. Une lézarde qui avait grandi dans le mur leur permettait au moins d’échanger leur souffle.’ C’était sur Pyrame et Thisbé en effet qu’il s’essayait à composer des vers. » (23) De ordine, I, iii, 9 : « Et moi aussi, peut-être me trouverai-je (inueniar) aujourd’hui. » « Car c’est la philosophie — je commence à croire les preuves que tu nous en donnes chaque jour — qui est notre véritable et inébranlable demeure (uera et inconcussa nostra habitatio). » (24) De ordine, I, iii, 10 : « Pourquoi, en effet, hésiterais-je à abattre le mur, dont tu as fait mention, avant qu’il ne se soit dressé complètement ». (25) De ordine, I, vi, 16 : « Le voilà qui s’installait, d’un grand bond (toto impetu), au cœur de la philosophie (in mediam philosophiam) comme en une possession qu’il eût à protéger (quasi respecta possessione). » (26) De ordine, I, viii, 21 : « J’ai perdu du coup mon entrain pour les vers. Sous une autre, une tout autre lumière resplendit maintenant à mes yeux je ne sais quoi. La philosophie est, je l’avoue, plus belle que Thisbé, que Pyrame, que Vénus et Cupidon même et que tous les amours de ce genre. »