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Imagerie par laser à impulsions ultracourtes :
Pourquoi deux photons valent mieux qu’un ?
François AMBLARD
Laboratoire de Physico-Chimie, Institut Curie, Paris
Introduction
L’imagerie optique est utilisée pour le diagnostic et la recherche en
biologie, comme outil privilégié d’accès à la structure intime des tissus et
des cellules avec la résolution micrométrique. Quelles que soient les
modalités employées, les informations fournies par ces images proviennent
des propriétés physiques des tissus vis-à-vis de la lumière, touchant à sa
propagation absorption, polarisation, biréfringence ou à des propriétés
de photo-émission induite fluorescence, phosphorescence.
Dans ce champ méthodologique, les lasers ont apporté de
nouvelles possibilités d’imagerie comme l’imagerie confocale, et les
applications destinées initialement à la recherche en biologie sont
progressivement mises au service de la pratique médicale. En particulier,
l’optique non-linéaire et les lasers à impulsions ultracourtes durant
typiquement 10-13 s ont été introduits en microscopie en 1978 [Sheppard
1978, Denk 1990], et ont apporté des innovations radicalement nouvelles :
l’intensité considérable des impulsions produit des effets non-linéaires dont
les conséquences sont particulièrement utiles en biologie [Diaspro 2002].
L’imagerie que ces effets permettent est dite « non-linéaire » ou, de façon
équivalente, « imagerie multiphotonique ». Il devient possible de « voir »
dans la profondeur d’un tissu, et de pratiquer des « biopsies optiques » à la
façon d’une tomographie, ce qui est impossible en optique linéaire.
Cet article vise principalement à présenter les bases physiques
essentielles de l’imagerie non-linéaire et les ordres de grandeur importants.
Nous mentionnerons de façon succincte les conditions de mise en œuvre,
les applications actuelles en biologie et les développements en direction de
la médecine.
I - Le paradoxe de l’imagerie en profondeur et le bénéfice
de la non-linéarité optique
1. Voir dans un objet épais : conjugaison et exigences
paradoxales
La formation d’une image, illustrée sur la figure 1, nécessite un
dispositif (L) qui conjugue chaque point du plan objet (o) à un point du plan
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image (i). Par définition de la conjugaison optique, tout rayon lumineux issu
d’un point objet donné passera par son point image, dans la limite des
diverses aberrations du système optique employé. L’information
transportée par cette conjugaison, contenu même de l’image, repose soit
sur l’émission de lumière produite directement par les points du plan (o)
comme c’est le cas pour la luminescence, soit sur la modification de la
couleur, de l’intensité, de la phase, ou de la direction de propagation de la
lumière d’une source servant à exciter l’objet. Dans le second cas, qui
recouvre l’essentiel des applications de l’imagerie optique et de la
microscopie, on trouve les techniques basées sur la fluorescence, le
contraste de phase ou d’absorption, le contraste de réflectivité, etc. autant
de méthodes pour lesquelles une source de lumière (s) est nécessaire pour
éclairer l’échantillon. Dans le cas simple d’un objet plan, le seul problème
posé par la source est qu’elle doit être assez intense pour que l’image soit
bien « visible » par le détecteur situé dans le plan (i) ou dans un autre plan
conjugué à celui-ci.
Figure 1 : Illustration de la notion de conjugaison optique à la base des dispositifs
d’imagerie. Une source (s) éclaire un plan objet (o) conjugué point par point avec un plan
image (i) via un système optique (L). La résolution latérale de ce dispositif est égale à
0,6./ON, est la longueur d’onde de la lumière employée et ON l’ouverture numérique
du système optique. L’ouverture ON est donnée par n.sin(), où est le demi-angle au
sommet des rayons issus de l’objet, et n l’indice de réfraction du milieu de propagation. La
profondeur de champ vaut n/ON2.
Cependant, le cas le plus général et surtout le plus intéressant en
biologie est celui d’échantillons épais. La notion d’épaisseur intervient pour
deux raisons au moins : la conjugaison d’une part, et la propagation des
rayons lumineux dans l’objet. Si l’on considère en effet un objet étendu,
dans la direction perpendiculaire aux plans (o) et (i), cette extension
affectera la conjugaison si elle dépasse la profondeur de champ du
dispositif (L). Dans les applications de microscopie qui nous concernent, la
profondeur de champ est relativement faible, de l’ordre de quelques
microns, et nombre d’échantillons intéressants sont donc épais dans ce
sens-là. Considérons donc un objet épais, et cherchons à obtenir l’image
d’un plan de mise au point (o) plus mince que cet échantillon et « enfoui »
dans son épaisseur [figure 2]. Moyennant les corrections liées aux sauts
d’indice suivant les règles de l’optique géométrique, il est possible de
construire à nouveau un plan image (i) conjugué du plan (o) enfoui. Les
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rayons noirs illustrent cette conjugaison. Cependant, si l’échantillon est
constitué d’une matière homogène, alors les processus qui transforment la
lumière de la source (s) en réponse lumineuse utile pour la construction de
l’image n’ont aucune raison d’être localisés dans le plan de mise au point
(o), et ont également lieu à la surface de l’objet par exemple. On a donc,
outre les rayons provenant de points du plan (o) enfoui, des rayons
provenant de points de la surface (rayons gris), et plus généralement de
tous les plans excités. L’image nette formée dans le plan (i) par
conjugaison avec le plan (o) sera donc brouillée par une composante floue
apportée par les rayons lumineux provenant de points hors du plan de mise
au point.
Figure 2 : Illustrations du paradoxe de l’imagerie des objets épais. L’image d’un plan enfoui
dans un objet épais est formée par les rayons lumineux (noirs) produits par ce plan en
réponse à l’excitation lumineuse apportée par une source (s). Une image nette sera formée
dans le plan (i) si celui-ci est optiquement conjugué au plan (o) via le système optique (L). Si
le milieu de l’échantillon répond de façon homogène à l’excitation de la source, alors l’image
dans le plan (i) sera « brouillée » par les rayons lumineux (gris) correspondant à la réponse
de points ne se trouvant pas dans le plan (o) de mise au point.
Imager un plan objet (o) enfoui dans un échantillon épais requiert
donc idéalement deux propriétés contradictoires : la lumière de la
source (s) doit interagir avec ce plan, et les plans autres que ce plan objet
doivent être transparents à cette lumière. Si l’échantillon est de constitution
homogène, ces deux exigences sont naturellement incompatibles. Ces
exigences paradoxales de l’imagerie des objets épais ont conduit à
plusieurs solutions classiques :
a) La première solution est celle sur laquelle repose la microscopie
confocale [Pawley 1995]. L’idée centrale est de sélectionner la lumière
provenant du plan de mise en point en plaçant un trou d’aiguille dans le
plan conjugué. On imagine à l’aide de la figure 2, qu’un tel trou, placé au
point de convergence des rayons noirs, éliminera l’essentiel des rayons
indésirables (rayons gris). Ceci ne fonctionne cependant que point par
point. D’où le principe de la microscopie confocale : la lumière d’excitation
produite par un laser est focalisée en un point qui balaye l’échantillon au
cours du temps, et l’on crée par conjugaison optique un foyer confocal fixe
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est placé un trou d’aiguille qui ne laissera passer à chaque instant que
la réponse provenant du point focal.
b) La seconde solution est la microscopie par déconvolution [Carrington
2002]. On exploite ici l’idée que, si le système optique (L) est connu, alors
on peut calculer la distribution, dans le plan image, de l’intensité lumineuse
provenant d’une source ponctuelle, qu’elle soit dans l’échantillon.
Inversement, il est possible par le calcul de remonter de la distribution de
cette intensité dans le plan (i) à la distribution des sources ponctuelles qui
en sont la cause. Cette approche est dite de déconvolution, car il s’agit
d’inverser la relation mathématique fondamentale de l’imagerie : l’image
par un système optique est le produit convolution de la distribution des
sources par la fonction réponse ponctuelle du système. Grâce à la
puissance de calcul accrue des ordinateurs courants, cette approche par
déconvolution est de plus en plus pratiquée en biologie.
Notons que ces solutions classiques répondent chacune à leur
manière au paradoxe, soit en bloquant la lumière produite hors du plan de
mise au point, soit en calculant d’où elle provient. La solution offerte par
l’imagerie non-linéaire décrite ci-dessous est de ce point de vue
radicalement différente.
2. L’excitation non-linéaire est localisée
Pour les besoins de la démonstration (figure 3) nous considérons un
faisceau lumineux collimaté issu d’un laser, de puissance P0 dispensée sur
une surface circulaire S0, qui se réduit dans la direction z par focalisation à
travers une lentille (L); la surface S(z) atteint au foyer z = 0 son minimum
limité par la diffraction. En amont de la lentille, l’intensité I0 et la surface S0
sont reliées par l’équation P0 = I0.S0. On suppose que le milieu excitable est
suffisamment dilué pour rendre négligeable la perte d’énergie du faisceau
résultant de l’interaction avec le milieu ; la conservation de la puissance
s’écrit donc I(z).S(z) = P0 = I0.S0. L’intensité I est le produit du flux de
photon () par l’énergie individuelle des photons considérés. On suppose
que l’intensité I(z) est distribuée uniformément sur l’étendue de la section
S(z). Cette hypothèse n’est pas réaliste, mais elle est commode et
n’invalide pas le résultat par rapport à ce qu’on obtiendrait avec une
distribution d’intensité plus raisonnable.
Suivant une hypothèse très naturelle de réponse linéaire, on peut
considérer localement que la densité F de la réponse du milieu nombre de
photons par unide volume et par unité de temps est proportionnelle au
flux d’excitation : F(z) = .I(z). Alors la réponse R(z), intégrée sur la surface
S(z), vaut R(z) = .P0. Autrement dit le nombre de photons S(z).dz produits
par unité de temps est le même pour chaque tranche perpendiculaire à
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l’axe. La réponse n’est pas localisée, mais seulement plus concentrée
autour du point focal.
En revanche, l’hypothèse d’une réponse non-linéaire, par exemple
quadratique avec F(z) = .I2(z), conduit à R(z) = .P02 / S(z). La réponse est
donc maintenant localisée, au sens elle est plus élevée dans les
sections voisines du point focal. Plus précisément, dans une géométrie très
courante, on peut voir le faisceau lumineux comme une enveloppe conique,
S(z) est proportionnel à z2, sauf au voisinage de la singularité au point
focal z = 0. Au-delà de ce voisinage, la réponse R(z) est donc
proportionnelle à 1/z2, et l’intégrale de cette réponse sur des volumes
emboîtés de taille croissante autour du volume focal est convergente. C’est
dans ce sens de convergence que nous entendons la notion de
localisation. Le résultat général est le suivant : si un matériau répond non-
linéairement à une excitation lumineuse de flux I par une réponse
localement donnée par F = .I1+, avec > 0, alors la réponse à un faisceau
lumineux convergent est intrinsèquement localisée au voisinage du point
focal. Cette conséquence de la non-linéarité est très générale, car aucune
hypothèse particulière n’a été faite sur la nature de la réponse. Le volume
caractéristique de localisation est de l’ordre de (/ON)3. Quand l’ouverture
numérique est grande (voisine de 1), le volume de localisation est
typiquement 1 µm3.
Figure 3 : Géométrie d’un faisceau convergent et localisation des interactions non-linéaires.
Un faisceau laser de puissance P et de section S est focalisé suivant l’axe z par une
lentille (L) dans un milieu homogène jusqu’à un point focal z = 0. On suppose que la
puissance n’est pas atténuée par le milieu et que l’intensité I croît donc suivant I.S = P. La
réponse non-linéaire du milieu est localisée autour du point focal dans un volume de l’ordre
de (/ON)3.
3. Réponse non-linéaire d’une molécule : modèle simple
d’oscillateur
La propriété de localisation décrite plus haut s’exprime simplement
en termes mathématiques. Quelle est sa signification physique ? Nous
voulons illustrer qualitativement comment peut apparaître une réponse
optique non-linéaire. Pour cela, rappelons que la lumière transporte un
champ électrique perpendiculaire à sa direction de propagation et qu’une
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