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Deuxième partie : Le Bouddhisme dans la société française : approche
historico sociologique (1970-2006)
Le phénomène « contre-culture » en Occident (la manifestation contre la guerre de
Viêt-Name aux Etats-Unis, Mai 68 en France), dans les années soixante favorise la
recherche un nouveau système de significations, y compris, la nouvelle croyance,
pour les jeunes de cette génération.
Ils se retournent vers l’Orient pour trouver les nouvelles valeurs spirituelles
d’expérience intérieure et de réalisation de soi (opposée à la réussite sociale de la
culture dominante), de lien avec le cosmos (opposé à l’exploitation de la nature), de
lien, ou de communion avec le gourou (l’opposé à l’organisation bureaucratique).
1
Un autre phénomène politique facilite la rencontre entre ces deux mondes, l’exile du
Dalaï Lama et d’autres lamas du courant Vajrayâna en 1959 à Dharamsala, en Inde.
La route des Himalaya devient le lerinage obligé de la jeunesse « contre-culture »
occidentale en quête d’« authentiques maîtres spirituels ».
2
Pour la France, dans la même perspective, Arnaud Desjardins, journaliste et
réalisateur de lévision, se rend en 1964, après du Dalaï Lama en Inde pour filmer
des cérémonies initiatiques secrètes dans le but de faire les découvrir aux
occidentaux. Ce documentaire, intitulé « Messages des tibétains », a été diffusé pour
la première fois en juin 1966 et rediffusé en octobre dans la même année. Cette
diffusion audiovisuelle a créé non seulement un important écho dans le paysage
médiatique pour le Bouddhisme, mais également a donné une motivation pour les
futurs disciples français, comme Lamas Denys, directeur de l’Institut Karma-Ling en
Savoie à Arvillard, ou Mathieu Ricard, aujourd’hui, moine et interprète du Dalaï
Lama.
En même temps, cette décennie marquerait un début de l’arrivée de divers courants
bouddhiques, grâce à l’immigration des maîtres en France, par de raisons différents.
1. L’implantation du Bouddhisme en France
Les trois grandes écoles traditionnelles du Bouddhisme ont bien implanté en France.
Le hīnayāna ou Theravâda ou « voie du Petit Véhicule », répandu principalement en
Asie du Sud (au Sri Lanka) et en Asie du Sud-Est (en Birmanie, au Cambodge, au
Laos et en Thaïlande), le mahāyāna, ou « voie du Grand Véhicule », en Asie de l’Est
(au Japon) et le vajrayāna, ou « voie du Diamant » en Tibet.
1.1. Zazen de Taisen Deshimaru
Grâce à la connaissance d’un adepte français au Japon, Taisen Deshimaru, maître
japonais, du bouddhisme Zen, un courant du mahāyāna, est arrivé à Grenoble en
1967. Il s’est installé ensuite à Paris dans un magasin d’alimentation macrobiotique
1
Lenoir F., La rencontre du Bouddhisme et de lOccident, p. 263
2
Lenoir, op.cit., p. 271
2
il pratique zazen
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dans l’arrière-boutique. Ce qui attire à lui progressivement des
disciples qu'il initie ainsi au Zen.
Plus tard, il a installé dans la banlieue parisienne au centre de Gretz, et a fondé une
première association intitulée Association Zen d’Europe, qui se transforme en
Association Zen Internationale en 1979. Grâce à sa personnalité et sa manière
simple et efficace d’enseigner, il a conquis un grand nombre des disciples et
contraint à trouver un endroit plus apte pour les recevoir. Il est revenu, en 1972, à
Paris, rue Pernety, pour fonder le premier dôjô
4
en France.
En 1979, Taisen Deshimaru, a fondé La Gendronnière, le plus grand temple Sôtô
zen du monde, dans un domaine de 75 hectares en Touraine. Ce lieu peut accueillir
jusqu’à 400 participants et organise actuellement toute l’année des activités liés à
l’enseignement et de la pratique Zazen, assurées principalement par les disciples
proches de Taisen Deshimaru.
Taisen Deshimaru, survenu en 1982, a fondé plus de cents dôjôs en France et à
travers Europe.
1.2. Le bouddhisme engagé de Thich Nhât Hanh
Dans le but de la réconciliation entre le Nord et le Sud du Vietnam, Thich Nhât Hanh,
Maître du Bouddhisme zen vietnamien, a fondé, en 1963, l’Ordre de l’Inter-être,
destiné aux moines et aux laïques bouddhistes conscients de la nécessité d’un
engagement social. Il a dirigé également un mouvement de résistance non-violente.
En 1964, il a crée l’Ecole de la jeunesse pour le service social, une institution qui
formera des milliers de volontaires pour porter secours aux victimes et reconstruire
les villages bombardés. Il a également fondé l’université bouddhique Van Hanh et
une maison d’édition, publier des romans, de la poésie et des pamphlets pacifistes,
qui ont été censurés.
En 1966, contraint à l’exil en raison de ses activités, il a obtenu le droit d’asile en
France et a enseigné à la Sorbonne. Il a présidé la légation bouddhiste lors des
négociations devant aboutir aux accords de Paris en 1973.
Il s’établit alors en France il fonda dans les années 70 la communauté des
Patates Douces dans la petite commune de Fontvannes, à 150 km au sud-est de
Paris. En 1982, il fonde une autre communauté, Le Village des Pruniers, dans le
3
Le mot Zazen est construit avec les mots japonais za, s’asseoir, et zen. Le mot zen vient du mot
chinois ch’an qui est à son tour une translittération du mot sanscrit dhyâna, qui signifie «méditation».
In., « Introduction au Bouddhisme et à la Pratique de Zazen ,Les enseignements de Gudô Nishijima
Rôshi », p. 5.
La pratiquant assume la posture assise, jambes croisées, dos droit et observe les contenus de son
esprit sans intervenir, en maintenant la présence et la discipline posturale.
In, Lenoir F., op.cit., p. 362
4
« Lieu de la voie », tout lieu l’on pratique une discipline extrême-orientale. En Occident, a pris le
sens de Zendô, lieu l’on pratique la médiation zen, quand il ne s’agit ni d’un temple ni d’un
monastère.
In, Lenoir F., op.cit., p. 356
3
Sud-ouest de la France, pour répondre à la demande croissante des vietnamiens
exilés et des occidentaux qui souhaitaient participer à ses retraites.
Même si Thich Nhât Hanh appartient à l’école zen vietnamienne, son enseignement
se veut sans particularisme, ouvert aux bouddhistes comme aux non-bouddhistes. Il
n’utilise pas le système des kôan
5
, lui préférant une forme de méditation attentive dit
de "la pleine conscience". Celle-ci peut se pratiquer dans l’assise ou dans une forme
de marche lente aussi bien qu’au sein de toutes les activités.
Chaque année le village des Pruniers accueille, à l’occasion des différentes retraites,
plus d’un millier de retraitants venus du monde entier. A cause de son expansion
rapide ces dernières années, la communauté est à présent disséminée sur trois
départements dans plusieurs hameaux : les Hameaux du Haut, du Milieu, de l’Ouest
et du Bas se trouvent au sud-est de Ste Foy-La-Grande (Dordogne). Le Nouveau
Hameau est situé à l’ouest de la petite ville de Duras (Gironde).
Le calendrier des retraites proposées par le Village des Pruniers est varié et choisi
selon le public différent ou « à la carte ». La retraite de l’hiver est l’équivalent de la
traditionnelle retraite de trois mois, au rythme continu et soutenu, qui a lieu dans les
monastères bouddhistes de toutes traditions, lors de la saison des pluies. Elle est
réservée traditionnellement aux moines et moniales ordonnés et formés par Thich
Nhât Hanh, mais aujourd’hui est ouverte également aux les religieux et les
religieuses d’autres traditions et les pratiquants laïques, qui doivent néanmoins rester
une semaine au minimum. Les enseignements sont tournés plus vers une formation
à la fois pratique et érudite. L’attention porte plus sur les textes offerts par le Buddha
et à l’origine authentique de ces sûtras
6
.
D’autres retraites varient selon la nationalité des participantes, francophones, italiens
ou selon les thèmes proposés, par exemple, la retraite concernant l’éthique, la
santé. Un autre type de retraite qui a un succès auprès des publics familiaux est celle
de l’été, il y a des programmes pour les enfants de différentes tranches d’âge (6 à 12
et 13 à 19 ans). Les thèmes abordés sont la joie, l’amour, la responsabilité. Les
enseignements sont en trois langues, vietnamien, français et anglais. Nous verrons
plus loin que la pratique pendant ce période devient une représentation type de cette
communauté dans les journaux télévisés français.
7
Actuellement, Thich Nhât Hanh partage son temps entre la France, les États-Unis et
de nombreux pays où il donne régulièrement des séminaires.
5
Dans le Zen Rinzai, court problème énigmatique posé par le maître à son disciple, destiné à faire
voler en éclat l’esprit conceptuel et à provoquer le satori
Le satori signifie l’éveil soudain et désigne un moment d’expérience directe et non duelle de la réalité
absolue qui équivaut à une révolution de la conscience.
6
Sûtra : « discours du Bouddha », désigne tous les textes commençant par la formule « Ainsi ai-je
entendu… », qui traitent tous des enseignements en principe dispensés par le Bouddha pendant les
cinquante années de son ministère.
In, Lenoir F., op.cit., p. 360
7
Cf. le chapitre Bouddhisme et les vacances
4
1.3. Les lamas tibétains
Selon Fédéric Lenoir
8
, après l’exile du Dalaï Lama et d’autres lamas en 1959 en
Inde, deux logiques s’imposent sur le phénomène de la diffusion du Bouddhisme du
courant vajrayāna en Occident. L’invitation des lamas par les occidentaux qui se sont
rendus en Inde, vers la fin des années 60, qui créeront plus tard des centres pour
répondre à la demande des disciples. Pour l’autre mouvement, ce sont des jeunes
lamas tibétains, mandatés par les chefs de lignées pour étudier l’anglais et la culture
occidentale, principalement en Grande Bretagne et aux Etats-Unis. Ils fondront
également les centres, suite à la demande des occidentaux.
Pour la France, la rencontre entre le maître, Kalou Rinpoché de l’école Kagyüpa du
Bouddhisme tibétain
9
, et ses disciples Anne Berry et Denis Eysseric
10
en Inde vers
la fin des années 60 est l’origine de la diffusion de l’enseignement du Bouddhisme du
courant tibétain. Grâce à l’invitation d’Anne Berry, en 1971,Kalou Rinpoché se rend à
Paris pendant son premier tournée hors de l’Inde. En 1975, pour répondre à la
demande des disciples qui souhaitent effectuer sous sa direction la grande retraite
de trois ans en Occident, il décide de construire un premier centre de retraite dans le
domaine du château de Plaige, en Bourgogne, offert par Chris Gallo et Didier
Granger de Plaige. Et un an plus tard, des disciples ont commencé la première
« grande retraite » de trois ans, et recevront par Kalou Rinpoché à la sortie le titre de
« lama ». Il est intéressant de noter que ce phénomène intéresse également le
journal télévisé de la chaîne 2 qui sera analysé dans notre corpus plus loin. Kalou
Rinpoché, décédé en 1989, a fondé plusieurs dizaines de grands centres de
médiation en Europe.
Au cours des années 70, la Dordogne, spécialement la côte de Jor, est devenue un
lieu de la concentration de centres du Vajrayâna, grâce au mécénat du Bernard
Benson, riche inventeur franco-américain, qui s’installé avec sa famille dans cette
région. L’origine de sa foie est la rencontre avec Kangyur Rinpoché, grand maître de
l’école Nyingma
11
du Bouddhisme tibétain, en Inde, grâce à la projection du film
documentaire de son ami, Arnaud Desjardin. Kangyur Rinpoché, qui n’est jamais
quitté l’Inde, a prononcé les prédictions d’expansion du bouddhisme en Occident.
Plusieurs grands lamas viennent visiter la France et la Dordogne, En 1974, grâce à
leur accord, Bernad Benson a fondé des centres dans sa propriété Château Chaban,
nommé Dhagpo Kagyu Ling en 1977. En 1988, l’Etat français attribue un statut légal
à la congrégation monastique Karmé Dharma Chakra dont les lamas enseignent au
Centre. Il s’agit de la première congrégation non catholique ainsi reconnue. Le
bouddhisme de la tradition tibétaine se voit donc désigné officiellement par l’Etat
comme une religion établie et pratiquée en France.
Ce centre et ses environs deviennent aujourd’hui
8
In, Lenoir F., op.cit., p. 291
9
10
Devenu Lamas Denis et directeur de l’Institut Karma Ling. Nous le verrons plus loin dans plusieurs
JT.
11
Le courant nyingma ou nyingmapa (tib. rNying-ma-pa) est la plus ancienne des traditions du
bouddhisme tibétain, parmi les cinq écoles principales reconnues par le Dalaï Lama. Les moines
nyingmapa sont parfois appelés Bonnets rouges. L'école nyingmapa est la branche la plus orientée
vers le tantrisme avec des pratiques parfois inspirées du chamanisme.
5
parcourut toute la France, s’arrêtant chez Arnaud Desjardins en Auvergne,
enseignant à Chanteloube en Dordogne. Puis il se rendit en Scandinavie, en Grande
Bretagne, et enfin aux Etats-Unis. Lors du voyage de retour en Inde, il fit escale à
Paris et y laissa Tulku Pema Wangyal. Ce dernier demeura en France et y réside
encore aujourd’hui.
La Dordogne
1.4. Les années soixante-dix et quatre-vingt
Entre deux cents et trois cents milles, cambodgiennes,
Le Bouddhisme Theravâda met principalment l’accent sur la vie monastique et
développ
1.5
Les trente dernières années du XX ème, l'Occident a accueilli des représentants de
presque toutes les écoles bouddhiques existantes en Asie, soit à la demande
d'Occidentaux, soit par l'émigration de réfugiés.
En effet, les contacts multipliés par les rencontres « pionniers » entre l’Occident et
l’Asie (surtout au Japon et au Népal) et la diffusion des ouvrages en langue
occidentale des enseignants bouddhistes (le Tibétain Chögyam Trungpa, le Sri-
lankais Walpola Rahula...) dans le grand public, dans les années 60, ont favorisé la
création de centres d’enseignements en Europe à partir des années 1970.
Deux grandes écoles bouddhistes bénéficieront surtout de cette implantation : le
bouddhisme Vajrayâna tibétain et le bouddhisme Zen, japonais et vietnamien.
L'intérêt qu'elles suscitent auprès des Européens est largement lié à la
personnalité de trois maîtres : le Tibétain Kalou Rinpoché, le Japonais Taisen
Deshimaru et le Vietnamien Thich Nhat Hanh.
On ne peut sous-estimer l'importance de la situation politique en Asie sur ce
phénomène d'introduction du bouddhisme en Occident. Ainsi la curiosité
éveillée par le bouddhisme Zen est-elle due en partie à la fascination qu'exerça
le Japon, vaincu en 1945, sur l'Occident et, notamment les Etats-Unis.
L'invasion du Tibet par les Chinois, en 1959, a notablement attiré l'attention des
Occidentaux sur la personnalité du Dalaï-Lama qui, comme le pape catholique,
est aussi un chef d'état. La guerre d'Indochine puis la guerre du Vietnam ont
joué un rôle évident dans l'installation, notamment en France, d'importantes
communautés d'exilés du Sud-est asiatique.
12
Il existe aujourd’hui environ 300 centres bouddhistes en France.
13
Mais seulement
quarantaines sont membres de l’Union Bouddhiste de France (UBF), fondée en
12
Information communiquée par Bouddhisme Université (http://www.bouddhisme-
universite.org/decouverte.html)
13
« Le fait religieux : Principes, rites et pratiques des religions »,
URL :http://cultureetloisirs.france2.fr/patrimoine/dossiers/14888357-fr.php?page=23 (consulté le
19/05/08)
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