Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de

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Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
Histoire du Proche-Orient ottoman - 2e semestre : Le Proche-Orient ottoman au temps des Tanzîmât
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Le problème historiographique
 La plupart des histoires de l’Empire ottoman sont des histoires nationales
o L’histoire est cloisonnée à cause des frontières actuelles qui sont différentes de
celles de l’époque ottomane
o Les histoires sont nationales et nationalistes
 Chacun se voit comme un cas particulier et met en avant sa singularité
pour expliquer son indépendance
 Or l’indépendance n’était pas toujours en germe dans ces provinces et il
n’était pas forcément nécessaire d’avoir un statut particulier pour
prétendre à l’indépendance
 De nombreuses histoires de l’Empire ottoman partent d’une vision anthropologique de
celui-ci, vision aujourd’hui remise en cause
o Le XVIIIe siècle n’est plus vu comme la confirmation du déclin progressif de
l’Empire
o S’agissant du XIXe siècle, les historiens ne mettent plus l’accent sur « l’homme
malade » que serait l’Empire ottoman, mais insistent sur le processus de
réformes et la volonté de se maintenir et de se moderniser
o Cette remise en cause suscite cependant de nouveaux questionnements : si le
XVIIIe siècle n’est pas parcouru par des crises, alors pourquoi les réformes
paraissent-elles si nécessaires au XIXe siècle ?
 L’historiographie traditionnelle partait de ruptures chronologiques claires
o 1798 : Campagne de Bonaparte en Egypte et début de la pénétration
européenne dans les provinces
o 1839 : 1er texte fondateur de la période des Tanzîmât
CM 1 et 2 : La politique des réformes
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Entre 1789 et 1923, l’Empire ottoman connaît une ère de réformes, connue sous le nom de
période des Tanzîmât (« réorganisation »)
 Ces réformes concernent tous les domaines de l’État : militaire, économique,
administratif, judiciaire
 Objectif : renforcer l’État ottoman
 Ces réformes ont longtemps été vues comme une forme d’occidentalisation, subies par
un État passif
 En réalité, le pouvoir ottoman a beaucoup plus de poids dans ce processus
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Contexte du XIXe siècle
 Période d’affirmation des nationalismes (action centrifuge contre l’Empire)
o l’Empire ottoman cherche lui-même à fédérer ses provinces et de valoriser
l’Empire ottoman comme Etat national
 Menaces extérieures
o Expansion coloniale européenne (surtout la France et la Grande-Bretagne)
o Menace de la Russie
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 Le XIXe siècle est une époque à la fois de renouveau et de crise
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5 dates clés
 1836 et 1856 : Promulgation des deux textes fondateurs des Tanzîmât
 1876: Constitution de l’Empire ottoman
 1878: Fin de la guerre russo-turque, l’Empire perd l’essentiel de ses provinces
européennes, il se recentre sur sa partie asiatique et l’Orient
 1908: Révolution jeune-turque
I.
Des réformes venues du sommet de l’État
1) Les prémisses
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Selim III (1789-1807)
 Réformes dans le domaine militaire
o Déjà amorcée par Abdül Hamîd Ier (1774-1789) après la défaite contre les Russes
(1769-1774) et le traité de Küçük Kaïnardji, très défavorable à l’Empire : la Russie
devient la protectrice des chrétiens orthodoxes de l’Empire tandis que la Crimée
devient indépendante (elle sera finalement annexée par la Russie en 1779)
 Création d’une artillerie moderne
 Création d’une marine moderne
 Présence de conseillers militaires étrangers, en particulier français
(renvoyés en 1787)
o Création d’un nouveau corps d’infanterie, le nizâm-i jedîd (« la nouvelle
organisation »)
 But : créer une nouvelle armée différente des janissaires et des sipâhî
 Entraîné par des officiers français, anglais et allemands
 Soldats recrutés essentiellement en Anatolie par voie de conscription
o 1795 : Création de l’École du génie militaire
 Destinée à former des officiers spécialisés, notamment pour l’artillerie
o Poursuite de la modernisation de la marine
o N. B. : Ces réformes ont un lourd impact sur les finances publiques de l’Empire et
provoquent le mécontentement de nombreux dignitaires locaux, qui craignent le
renforcement de l’État central à leurs dépens
 Réformes dans le domaine civil
o Généralement, elles sont d’ampleur beaucoup moins importante que dans le
domaine militaire
 Réorganisation des finances
 Approvisionnement des villes
 Meilleur contrôle du respect des traditions vestimentaires
 L’administration reste largement « sclérosée, corrompue ou
incompétente » (Mantran)
 Recrutement moins par le devchirme qu’au sein des élites
musulmanes locales : favorise le népotisme
 Enseignement n’a pas évolué depuis deux siècles
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o
Une exception : réformes importantes dans le domaine de la diplomatie
 Représentations permanentes en Europe
 1793 : Londres
 1795 : Prusse et Autriche
 1797 : Paris (rupture des relations en 1798 suite à l’expédition de
Bonaparte en Égypte)
 Si les ambassadeurs nommés dans les différentes capitales sont souvent
incompétents, leurs secrétaires, nettement plus instruits, participeront
plus tard à la mise en place des Tanzîmât
 La réforme militaire n’arrive pas à son terme
o 1807 : Selim III est déposé suite à une révolte des janissaires (hostile à la
nouvelle armée concurrente dont elle réclame l’abolition)
o 1807-1808 : Mustafa IV, personnalité faible soutenue par les contreréformateurs, mais les deux camps s’affrontent
o 1808 : Selim III est assassiné et Mustafa IV aussi peu après, Mahmud II est
proclamé sultan
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Mahmud II (1808-1839)
 Véritable initiateur des réformes dans l’Empire ottoman
o Contexte : insurrection grecque (1821-1830), modèle de Mehmed Ali en Égypte
o Peut compter sur un certain nombre de jeunes fonctionnaires bien formés
(certains ont été secrétaires d’ambassade en Europe) et acquis à l’esprit des
réformes
 Parachève la réforme militaire
o Élimine les janissaires et les sipâhî en 1826 et les remplace par une armée
moderne (celle-ci remplacera bientôt le turban par le fez, adapté de la chéchia
tunisienne)
o 1827 : Création d’une école de médecine militaire (volonté d’améliorer l’armée
et la santé publique)
 En 1827, Mehmet Ali fonde aussi la 1e école de médecine en Egypte
o Les premiers officiers sont formés en Europe (surtout en France et dans les États
allemands)
 Réforme administrative
o Réforme du gouvernement central
 Gouvernement divisé en ministères et départements (évolution
progressive qui ne s’achèvera que dans les années 1870)
 Ex. en 1836, le bureau des chefs des secrétaires est transformé
en ministère des Affaires étrangères
 Autres ministères : Intérieur, Justice, Finances, Agriculture,
Travaux publics, Commerce
 Mise en place d’un Conseil de la Sublime Porte qui a pour tâche
d’examiner les propositions de loi
o Réformes touchant les sujets de l’Empire
 Recensements de la population
 Cadastre
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
Collecte des impôts non plus par des fermiers, mais par des agents
salariés de l’État (l’affermage sera toutefois partiellement rétabli par la
suite)
o Réforme du statut des fonctionnaires
o Participe à la rédaction de la future charte de Gülkhâne, proclamée 4 mois après
sa mort
 Nouvelle manière de régner
o Apparition du sultan en public, organisation de réceptions et de bals
o Voyages dans les provinces
o Ouverture à l’étranger (le sultan parle le français et a adopté le costume à
l’européenne)
 1839 : Mahmud II meurt de la tuberculose, il est remplacé par Abdül-Mejîd (1839-1861)
2) L’ère des réformes (1839-1876)
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3 novembre 1839 : khatt-i cherîf (charte impériale ou noble rescrit) de Gülkhâne
 Préparé par Mahmud II mais promulgué par Abdül-Mejîd
 Rôle important de Mustafâ Rechîd Pacha (1800-1858), parfois considéré comme le
« père » des Tanzîmât (Paul Dumont)
o Origines modestes : fils d’un administrateur de waqf de Constantinople
 Profil atypique : ni esclave du palais ni membre de la haute aristocratie
 Toutefois, il doit être noté que Mustafâ Rechîd Pacha partage ce type de
profil – tout comme une jeunesse vouée aux études religieuses, un
apprentissage progressif des rouages de l’État et une bonne
connaissance de l’Occident – avec d’autres chefs de file des Tanzîmât,
tels Mehmet Emîn Alî Pacha (1815-1871), Mehmet Fû’âd Pacha (18151869) et Midhat Pacha (1822-1884)
o Grâce à ses relations, il entre au bureau du grand vizir et monte les échelons
o Devient ambassadeur en France et en Grande-Bretagne, où il s’affilie à la francmaçonnerie
o Devient ministre des Affaires étrangères en 1837 et grand vizir en 1846
 Contenu
o Deux parties : un préambule et l’annonce des réformes
o Marqué par une influence européenne et musulmane
 Volonté de revenir aux lois de l’Empire (charia)
 Réformer l’assiette et prélèvement de l’impôt, protéger les biens et les
personnes, améliorer l’administration de la justice, rationaliser l’Etat
 Développer l’attachement des sujets à l’Empire
o Limites
 Ne prononce pas d’égalité entre citoyens
 Il ne s’agit pas d’une constitution
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18 février 1856 : khatt-i Hümayün
 Promulgué une semaine avant la Conférence de Paris qui met fin à la guerre de Crimée
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 Les réformes sont toujours en lien avec les interventions européennes sous couvert de
protéger les minorités
 Amplification de la réforme de 1839 (texte plus précis et plus long)
 Contenu plus proche de l’esprit des Lumières
o Egalité des sujets quelles que soient la religion et la classe
 Liberté de culte
 Disparition du statut de dhimmi
 Égalité devant l’impôt, fin de la jaziya
 Égalité devant la justice, l’accès aux emplois, le service militaire
(toutefois : possibilité pour les non-musulmans de payer le bedel, taxe
permettant le rachat du service militaire)
o Invite toutefois les communautés à s’organiser elles-mêmes
 Chaque communauté doit se doter de textes réglementaires, souvent
appelés constitutions
 « Une arme à double tranchant » (Paul Dumont)
 Mesure censée susciter la bienveillance des communautés
minoritaires envers l’Empire
 Or, en leur accordant de gérer librement leurs affaires internes,
elle les autorise aussi, du même coup, à s’enfermer dans leurs
particularismes (une véritable vie politique parallèle se crée au
sein de certaines communautés, notamment chez les
Arméniens)
-
Constitution de 1876
 Mise en place
o Élaborée sous l’impulsion de Midhat Pacha, devenu grand vizir en 1876
o Promulguée par Abdül-Hamîd II (1876-1908)
 Arrivé au pouvoir après deux dépositions de sultan
 Affaibli par un manque de légitimité et un contexte de crise
o But : Réfréner les velléités d’intervention des puissances européennes dans
l’Empire
 Contenu
o Etablit deux assemblées
 Une assemblée de notables nommés à vie par le sultan
 Une assemblée élue
 Parlement réuni pour la 1re fois en mars 1878
 Vote le budget et les lois mais son pouvoir est faible
o Limites
 Le sultan n’est responsable devant personne
 Le sultan nomme et démet les ministres, convoque et dissout le
Parlement
 Peut recourir à des décrets pour contourner le pouvoir du Parlement
 Peut exiler des individus sur base d’un simple rapport de police (c’est
d’ailleurs ce qui arrivera à l’un des auteurs de la Constitution de 1876)
o Le texte contient néanmoins des nouveautés importantes
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Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding



Le pouvoir du sultan est limité par un texte
Élection d’une Assemblée rend possible un débat public
Constitue un précédent (son rétablissement sera réclamé par les JeunesTurcs en 1908)
 Une concession aux Européens
o Efficacité limitée : en 1876, la France et la Grande-Bretagne laissent la Russie
établir sa protection sur les Balkans
 1878 : la Constitution est suspendue et Abdül-Hamîd exerce une autocratie
o Toutefois, les réformes se poursuivent dans les domaines administratif, militaire,
éducationnel
3) Les inflexions du règne d’Abdül-Hamîd (1876-1908)
-
Arrivée au pouvoir d’Abdül-Hamîd
 Contexte de crise : en mai-août 1876, 3 sultans se succèdent
o Abdül- Azîz (1861-1876) est déposé suite à des révoltes dans les Balkans
 Ces révoltes sont favorisées par les Russes
 Abdül-Azîz a d’autant plus de mal à en venir à bout que les puissances
protectrices traditionnelles de l’Empire ottoman (le Royaume-Uni et la
France) sont sensibles aux nationalismes dans les Balkans
 Le sultan est déposé par une coalition disparate comprenant des
conservateurs estimant que la répression n’est pas assez sévère et des
libéraux désireux de réaliser des réformes pour couper l’herbe sous le
pied des Européens
o Murad V (mai-août 1876)
 Neveu d’Abdül-Azîz
 Candidat des libéraux : il est franc-maçon et proche des partisans des
réformes
 Toutefois, il se montre incapable d’assumer le pouvoir, sans doute parce
qu’il est malade, psychologiquement fragile et alcoolique (il n’arrive
même pas à se rendre à la cérémonie d’intronisation)
 Abdül-Hamîd, frère de Murad V, complote derrière son dos pour le
déposer
o Abdül-Hamîd II
 Lors de son avènement, il est plus ou moins inconnu : l’on ignore ses
orientations politiques
 Il apparaît d’abord comme un sultan libéral, puis se montre de plus en
plus despotique
 Formation et goûts d’Abdül-Hamîd II
o Instruit au sein du palais, avec différents maîtres particuliers
o Parle arabe, persan, français
o A reçu un enseignement islamique
o Savait travailler le bois
o Savait jouer le piano, goût pour la musique classique
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o
Aimait peu la littérature romanesque : il préférait les policiers, qu’il se faisait
traduire
o Très intéressé par la finance et l’économie
o Très croyant (ce qui ne l’empêchait pas de boire un verre de champagne de
temps en temps pour calmer ses nerfs)
 Instabilité du règne d’Abdül-Hamîd à ses débuts
o Deux tentatives d’attentat contre sa personne pendant les deux premières
années de son règne
o Abdül-Hamîd se montre de plus en plus obsédé par la peur de perdre son trône
et la crainte d’un dépeçage de l’Empire
 Mise en place d’un « absolutisme constitutionnel » (Niyazi Berkes)
o La Constitution de 1876 n’est pas abrogée, mais seulement suspendue
o Le sultan gouverne directement : les grands vizirs, nommés et révoqués à tour de
bras, deviennent de simples exécutants de la volonté impériale
o Empire gouverné par le biais d’une administration qui croît rapidement
o Mise en place d’un État policier : police politique, indicateurs, délation, système
de passeports (l’Empire ottoman est le 1er pays à avoir établi ce système, avec la
Russie)
o Renforcement de la censure
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Évolution de l’historiographie au sujet d’Abdül-Hamîd
 Longtemps décrié, surtout par l’historiographie kémaliste, comme ayant mis fin aux
réformes
 Sa figure a subi une certaine réévaluation ces dernières années
o Les tenants de l’islam politique y voient un pionnier, quitte à lisser un peu son
image
 Politique « panislamiste »
 Envoi d’émissaires dans d’autres pays musulmans
 Promotion du califat, présenté comme une sorte de papauté (ce
qui n’était nullement conforme à la tradition)
 Rôle accru de l’islam dans l’enseignement
 Construction de nombreuses mosquées
o La plupart des historiens contemporains, y compris en Europe, estiment que le
règne d’Abdül-Hamîd n’a pas mis fin à toute réforme
 Renforcement de l’État et de l’administration
 Développement de l’enseignement
 Modernisation de la justice
 Extension des infrastructures
II. Une nouvelle administration
1) Une législation nouvelle
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Code pénal
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 Promulgué en 1840, révisé en 1851, remplacé en 1858 par un code d’inspiration
française
 But : instaurer l’égalité des citoyens devant la loi pénale, exclure le recours à la coutume
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Code foncier (1858)
 Établissement d’un cadastre dans les provinces
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Codification de la sharî’a dans le mejelle (1870-1877)
 Équivalent ottoman du Code civil
 Impact important sur les provinces arabes provinces arabes
-
L’ensemble de ces textes émane des bureaux de la Sublime Porte (c--à-d. du gouvernement),
qui ne cesse de croître
 Mise en place progressive d’organes spécialisés : création de conseils, qui se
transforment après en ministères
 Toutefois, Abdül-Hamîd, estimant que trop de décisions ont été prises par la Sublime
Porte, s’efforce de faire prendre un nombre plus important de décisions au Palais
 Augmentation du nombre de fonctionnaires
o Fin XVIIIe : 2 000 scribes
o Fin XIXe : 35 000 à 70 000 fonctionnaires
2) Une nouvelle administration provinciale
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Administration régie par loi de 1864, modifiée en 1867 et 1871
 Nombreuses modifications
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Découpage territorial (liste par ordre décroissant)
 Vilâyet (province)
 Sandjak
 Kazâ
 Nâhiye
 Village ou quartier
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Toutefois, les différences entre provinces sont très importantes
 L’Égypte est quasiment indépendante du sultan depuis l’avènement de Mohamed Ali en
1805
o Mohamed Ali met lui-même en place des réformes économiques et sanitaires
 Développement de la culture du coton
 Création de la première école de médecine du Caire sous la direction du
médecin français Clot Bey (1827)
 Le Liban bénéficie d’un nouveau statut en 1861 à la suite du conflit très meurtrier entre
chrétiens (maronites surtout) et druzes au Mont-Liban en 1860 (conflit précédé de 20
ans de troubles à partir de 1840)
o Certaines réformes sont donc le résultat de crises politiques circonscrites dans le
temps et l’espace
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o
o
Le nouveau statut prévoit que le gouverneur du sandjak du Mont-Liban (siégeant
à Bayt el-Dîn) sera chrétien et nommé d’un commun accord par les grandes
puissances européennes et l’Empire ottoman
Jusqu’en 1914, le Mont-Liban ne connaîtra quasiment plus de troubles
3) De nouvelles relations intercommunautaires
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En 1856, on abolit de fait le statut de dhimmi
 Ce changement et les nouveaux droits qui l’accompagnent heurtent en partie les
populations musulmanes (il est en partie à l’origine des troubles de 1860)
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Les chrétiens sont en expansion économique au XIXe siècle
 Certaines révoltes ont une dimension sociale : les massacres à Damas en 1860 ont avant
tout pour cible les quartiers riches chrétiens (les quartiers populaires sont largement
épargnés)
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Mise en place du système des millet
 XIXe siècle : désigne surtout les gens du Livre
 Auparavant, le terme renvoyait surtout à des ethnies (ex. les Kurdes)
 Les Européens s’intéressent de plus en plus aux différentes communautés, dans lesquels
ils voient des nations en devenir
 Cet intérêt est à son tour instrumentalisé par certaines communautés ou par des
membres de celles-ci
III. Nationalisme et appétits européens : les difficultés de l’Empire
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Les réformes se déroulent dans un contexte très difficile pour l’Empire ottoman et en
réponse à celui-ci
1) La question d’Orient
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Terme renvoie globalement à la question de savoir quelle devait être la politique des grandes
puissances européennes à l’égard de l’Empire ottoman
-
Émergence avec la question de l’indépendance grecque
 Révolte grecque dès 1826
 Mohamed Ali chargé de mater la révolte avec l’aide de son fils Ibrahim Pacha
 Grecs défendus par la Russie (question grecque va au-delà des seuls Grecs : touche aussi
les populations balkaniques)
 À la conférence de Londres en avril 1830, les Ottomans reconnaissent l’indépendance de
la Grèce et l’autonomie de la Valachie, de la Moldavie et de la Serbie
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Conquête de la Syrie par Mohamed Ali (1833-1840)
 En récompense des services rendus, Mohamed Ali avait demandé la Crète
 Suite au refus du sultan, il conquiert la Syrie (1833)
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 Le sultan est obligé de reconnaître Ibrahim Pacha gouverneur de Syrie, du Hedjaz et de
Cilicie
 En 1840, le sultan parvient à déloger Ibrahim Pacha, lâché par les Français, avec l’aide
des Britanniques (qui redoutent surtout le développement de la puissance maritime de
Mohamed Ali)
 Mohamed Ali obtient toutefois un certain nombre de concessions
o Le gouvernorat héréditaire sur l’Égypte, qu’il gouverne avec le titre de khédive
o La domination sur l’ensemble de la vallée du Nil
 La Syrie traverse toutefois une période de troubles jusqu’en 1860
2) La guerre de Crimée (1853-1855)
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À l’origine : question de l’accès aux lieux saints (1851-1852)
 Les catholiques demandent à avoir accès à l’église de la Nativité et au Saint-Sépulcre
 Les orthodoxes refusent, arguant du fait qu’ils disposent d’un firman du sultan ottoman
datant de la fin du XVIIIe siècle
 En 1852, le sultan accorde 3 clefs aux catholiques, qui ont le droit de traverser le
sanctuaire mais pas celui d’y officier
 Le firman de 1852 est vécu comme un affront par les Russes, qui chercheront désormais
un prétexte pour intervenir dans l’Empire, réclamant au sultan de placer formellement
l’Église orthodoxe sous la protection de la Russie
 Le tsar était apparemment d’avis que les Britanniques le laisseraient faire : en 1853, il fait
une remarque restée célèbre à l’ambassadeur d’Angleterre en Russie, comparant
l’Empire ottoman à un « homme malade » au sujet duquel il faudrait prendre « les
dispositions nécessaires »
o Les Russes proposent un partage des dépouilles de l’Empire
 Les Russes recevraient la Moldavie, la Valachie, la Serbie et la Bulgarie
 Les Anglais pourraient s’établir en Égypte et en Crète
 Istanbul deviendrait un port libre
o Les Anglais refusent de répondre favorablement à ces propositions
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Guerre sur deux fronts
 Balkans
o Les Russes commencent les hostilités, franchissant le Danube en mars 1854
o Toutefois, leurs forces courent à la débâcle, face à la rapide progression des alliés
anglo-franco-ottomans (ce sont surtout ces derniers qui supportent l’essentiel du
poids des hostilités)
 Mer Noire
o Objectif des Anglais : anéantir la puissance maritime russe
o Bataille de Sébastopol (1854-1855)
 Enjeu : port militaire fortifié de la flotte russe de la Mer Noir
 Préfigure les guerres du XXe siècle : engagement d’effectifs très
nombreux, photographie, presse
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Traité de Paris de 1855
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



Met fin à la guerre
Garantit intégrité de l’Empire
Sanctionne en même temps les ingérences européennes dans les affaires de l’Empire
Interdit le passage de flottes militaires par les Détroits, y compris pour les puissances
riveraines (donc aussi pour les Ottomans!)
 Français et Anglais apparaissent désormais comme les garants de l’intégrité de l’Empire
3) La crise balkanique de 1876
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Révolte paysanne en Bosnie, en Herzégovine et en Bulgarie
 Paysans (souvent chrétiens) se révoltent contre la pression fiscale et les grands
propriétaires musulmans
 Effets importants de cette révolte fiscale
o L’Empire souffre déjà de problèmes financiers
o Se mue de plus en plus en révolte nationale soutenue par les puissances
occidentales
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Constitution proclamée pour amadouer les puissances européennes
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Les Russes attaquent en 1877, s’approchent d’Istanbul début 1878
 Traité initial trop favorable aux Russes aux yeux des autres puissances européennes :
réécrit à Berlin en juillet 1878
 Pertes territoriales importantes pour l’Empire ottoman
o Bosnie et Herzégovine (occupées et administrées par l’Autriche-Hongrie
o Roumanie, Monténégro, Serbie (indépendance pleine et entière)
o Bulgarie (principauté autonome)
o Régions de Kars et d’Ardahan (cédées à la Russie)
o Chypre cédée à la Grande-Bretagne en récompense de son effort pendant la
guerre de Crimée et son soutien diplomatique pendant la crise des Balkans
 Pertes totales : 220 000 km2, 5,5 millions d’habitants (soit près de 20 % de la population
totale de l’Empire)
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Conséquence : un Empire plus asiatique et plus musulman
 Entre 1876 et les années 1880, la part de musulmans dans la population totale est passée
de 68 % à 76 %
 Conformément à la politique d’Abdül-Hamîd II, l’islam remplace l’«ottomanisme »
comme principe de solidarité de l’Empire
Réformes poursuivies, mais de plus en plus critiquées dans la mesure où elles n’ont pu
empêcher les pertes territoriales de l’Empire
Méfiance accrue envers l’Europe et les minorités au sein de l’Empire
Jusqu’à la fin du siècle, sous le règne d’Abdül-Hamîd, l’Empire connaîtra moins de crises
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Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
CM 3 : Les familles au Moyen-Orient à l’époque ottomane
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Il s’agit d’un champ de recherche qui se développe depuis environ 15 ans
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Cliché courant (cf. aussi les écrits de Naguib Mahfouz)
 À l’origine, il y avait une grande famille : unie, patriarcale, hiérarchisée
 Aujourd’hui, on est arrivé à une famille plus nucléaire, mettant davantage en valeur les
individus
 Cette évolution est commentée positivement ou négativement, selon le point de vue des
auteurs
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Le cliché susmentionné est remis en question par les historiens pour différentes raisons
 Vision trop linéaire
 Vision trop eurocentriste
 Vision trop téléologique
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Sources exploitées par la recherche moderne
 Archives des tribunaux (exploitées systématiquement seulement depuis 15 ans) :
divorces, séparations, querelles conjugales, etc.
 Recueils de fatwas
o Problème : on ne sait jamais si les fatwas répondent à des vraies questions
émanant des croyants ou de questions posées par le mufti lui-même
 Actes de fondations pieuses (waqfiyya)
o waqf souvent détourné pour léguer des biens à des concubines, etc.
o permettent d’avoir une idée du patrimoine
 Recensements
o Recensements ottomans au XVIe siècle (hâne) se faisaient par foyer (5 personnes
en moyenne)
o 1er recensement par tête : Égypte, 1848
 Fait sur la base de la méthode française
 Vient seulement d’être analysé, avec des enseignements spectaculaires
er
o 1 recensement ottoman : 1885
 Sources littéraires
o Terme désigne toutes les sources qui ne sont pas des archives : lettres, écrits
personnels, etc.
-
État actuel de la recherche
 surtout limitée aux villes
 limitée à certaines régions : Anatolie, Syrie-Liban-Palestine, Le Caire
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Acquis ayant émergé de la recherche récente
 la famille nucléaire était plus répandue qu’on ne l’avait pensé
o il s’agissait probablement de la forme dominante de famille : 50-60 %
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Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
o
cela contredit non seulement les hypothèses autrefois émises par les chercheurs
occidentaux, mais aussi ceux véhiculés par les savants musulmans
 foyer-type : une famille tantôt nucléaire, tantôt élargie (famille à géométrie variable)
o changement de la structure familiale entraînée par la mort du chef de famille
 variables déterminant la présence d’une famille nucléaire ou élargie
o propriété terrienne
o classe sociale
o prospérité économique
-
Terminologie
 usra et ‘âila ne sont pas employées à l’époque
 on utilise plutôt ahl et qarâba
-
Caractéristiques de la famille-type dans un environnement urbain
 Famille nucléaire réduite (surtout dans les grandes villes comme Istanbul ou Le Caire)
 Espérance de vie courte des membres de la famille
 Importance des relations avec les voisins
o Certains immeubles de rapport (loués) au Caire pouvaient héberger jusqu’à 100
personnes
o Dans ces immeubles, des gens de différentes familles cohabitent : la séparation
des sexes est souvent difficile
o Les voisins sont au courant de tout ce qui se passe dans la famille : tout le monde
est notamment au courant des disputes conjugales et témoigne au tribunal
o Dans ces espaces semi-privés, les voisins se comportaient souvent comme les
membres d’une même famille (toutefois, ils n’étaient pas considérés comme des
membres de la famille pour ce qui était des successions)
 Recensement à Istanbul en 1907
o 60 % de la population vivait dans des familles nucléaires ou seul
o Moyenne : 4,2 personnes/foyer
 Suppose une contraception énergique
 Suppose une ambition de natalité limitée
o 46 % des foyers d’Istanbul comptaient moins de 3 personnes
o Estimations s’agissant de la campagne : 5-6 personnes/foyer
 Recensement au Caire en 1848
o Majorité des foyers sont des familles conjugales, des personnes seules ou des
célibataires partageant un même foyer
o Moyenne : 3,54 personnes par foyer
o 16 % des ménages ont une femme à leur tête (on pense que ce chiffre est même
en-dessous de la réalité : souvent, un fils adolescent était déclaré comme chef de
famille, alors que dans les faits, c’était sa mère qui prenait les décisions)
o La majorité des femmes travaillent
 À domicile
 À l’extérieur : ouvrières du textile, colporteuses, coiffeuses, masseuses,
cuisinières, entremetteuses, blanchisseuses, sages-femmes, nourrices,
laveuses de cadavres, chanteuses, danseuses
13
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
o
o
-
Dès l’âge de 10-14 ans, 70 % des garçons vivaient sans leurs parents
 Soit, ils avaient perdu leurs parents
 Soit, ils vivaient ailleurs
 Ces garçons sont souvent déclarés comme chefs de ménage
Le patriarcat ne pouvait pas vraiment se développer, car l’espérance de vie des
pères était réduite : les patriarches, si patriarches il y avait, avaient entre 35 et
40 ans
Le mariage (nikâh)
 Le terme arabe susmentionné véhicule l’idée de contrat (par opposition à une idée de
sacralité)
 À l’époque, tout le monde se mariait (aujourd’hui, il y a 9 millions de célibataires en
Égypte !)
o L’individu en tant que tel a peu de valeur : on n’a un statut que si on est marié
 Le mariage moyen était peu durable (en dépit de l’image des familles bourgeoises telles
qu’on les trouve p. ex. chez Naguib Mahfouz)
o La répudiation (talâq) se faisait à l’initiative de l’homme, sans formalités
o Toutefois, en vertu du mécanisme du khul’, la femme pouvait réclamer d’être
répudiée en échange d’une renonciation aux droits dont elle aurait normalement
pu jouir en cas de divorce
 Renonciation au mahr
 somme d’argent donné par le mari à la femme en échange du
mariage
 une part est versé à la consommation du mariage, une autre à la
répudiation
 Renonciation au nafaqa
 mari doit subvenir aux besoins de sa femme pendant la durée du
mariage
 Don nuptial (sadâq)
 Bijoux
 Comment se mariait-on ?
o L’endogamie (de préférence avec la cousine paternelle : bint al-‘âm) est
fréquente, mais souvent atypique
 Il y plus de mariages du côté maternel
 Toutefois, l’endogamie n’est pas aussi dominante qu’on l’a cru
o La polygamie
 Pas répandue du tout
 Toutefois, il y avait des variantes énormes (chiffres du XIXe siècle)
 À Bursa, 1 % des hommes mariés étaient polygames
 Idem dans les Balkans
 5 % à Damas et au Caire
 16 % à Naplouse
 Causes de cette désaffection de la polygamie
 Économiques : à la campagne, la polygamie était plus répandue
qu’en ville
14
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding

 Idéologiques
 Se limite à certaines classes sociales
 Oulémas
 Descendants du prophète
 Bédouins
Les maris polygames épousent rarement 4 femmes : ils sont plus souvent
bigames, avec cependant un certain nombre de concubines
-
Le harem
 A disparu avec la disparition de l’esclavage
 Lieu de pouvoir important : le sultan vivait dans son harem
 Dirigés par des eunuques
o La grande féministe égyptienne Hoda Sha’râwî, qui s’est dévoilée publiquement
en 1923, avait été élevée par des eunuques et mariée à 12 ans (la réalité qu’elle
décrivait et dénonçait était toutefois minoritaire)
 Adbül Hamid II avait renoncé au harem et prenait ses repas seul avec sa femme,
conformément aux idéaux petit-bourgeois de l’ère victorienne et de la IIIe République
française
-
Le nom
 La femme ne perd jamais son nom et garde des liens avec sa famille de naissance (dans
laquelle elle peut se réfugier en cas de divorce)
 Dans la plupart des provinces, le nom de famille apparaît tardivement
o Exceptions : Syrie, Algérie, Tunisie
o Algérie : loi française de 1882 contraint les Algériens de s’enregistrer avec un
nom de famille (d’où aussi l’orthographe souvent déroutante des noms
algériens, enregistrés par des fonctionnaires français)
o Iran : vers 1930, l’État impose des noms de famille (quelquefois, les familles ont
pu choisir leur nom)
o Turquie : dans les années 1930, les autorités proposent un nombre très limité de
noms de famille (d’où beaucoup d’homonymes en Turquie)
-
Renforcement du patriarcat au XIXe siècle (Empire ottoman, Maroc)
 Facteurs
o Travail industrialisé
o Modernisation sanitaire
 Enseignement d’une politique nataliste aux sages-femmes
 Avant la mise en place d’une politique sanitaire publique et réglementée,
les femmes recouraient à des sages-femmes non seulement pour
l’accouchement mais aussi pour des avortements
-
Les esclaves
 Même les familles modestes avaient un esclave
 Traditionnellement, ils étaient convertis à l’islam
15
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
 Restes très liés à la famille du marchand qui les a formés, et dont ils portent souvent le
nom (ils font partie de sa bayt)
 Affranchis, ils héritaient parfois de la fortune de leur maître
Le conflit de générations au début du XXe siècle
 Concomitant avec la 1re phase de la transition démographique : natalité forte, mortalité
recule
16
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
CM 4 : Les transformations des campagnes
-
Introduction : données démographiques (cf. statistiques sur le plan du cours)
 Les statistiques concernant les provinces arabes sont moins fiables que celles relatives au
cœur de l’Empire (Istanbul, Roumélie)
 La population de l’Empire a stagné ou décru au début du XIXe siècle
o La croissance des populations musulmanes ne commencera qu’à partir des
années 1870
o Toutefois : croissance plus forte des populations chrétiennes et juives
 Mortalité des chrétiens diminue plus vite et plus tôt (à partir de 1830) :
phénomène corrélé à la prospérité relative de ces communautés
 Conséquences sur les rapports sociaux
 Dans certaines régions ou villes, les chrétiens sont plus riches
que les musulmans
 Cet enrichissement est dû au rôle d’intermédiaire joué par les
minoritaires entre les autorités ottomanes et l’occident
 La montagne libanaise est entièrement mise en valeur : les
chrétiens progressent vers le Chouf, traditionnellement occupé
par les druzes
 Quid des Juifs ?
 Moins de sources exploitées, moins d’ouvrages
 Quelques publications récentes
I.
Transformation des populations des campagnes
1) Les migrations, conséquences des pertes territoriales
-
Pertes territoriales (au profit de puissances chrétiennes)
 Caucase (Russie)
 Balkans (États indépendants, Russie, Autriche-Hongrie)
-
Émigration de nombreux musulmans des territoires perdus vers l’intérieur de l’Empire
 Ces émigrants sont appelés muhâjir
 Nombre très important : on estime qu’il y a eu 3 millions de migrants venus du Caucase,
de Crimée, du Kuban et des Balkans entre 1854 et 1908
 Utilisés par le pouvoir central pour coloniser des régions considérées comme marginales
ou peu peuplées
o Une loi de 1867 leur promet des lopins de terre et leur accorde des exemptions
d’impôts et du service militaire pouvant s’étendre sur plus de 10 ans, en fonction
du lieu d’installation choisi
o Territoires particulièrement concernés : Jordanie (installation de Tcherkesses ou
Circassiens), zones sous-peuplées de la Roumélie et de l’Anatolie
-
Perte de populations
17
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
 Avec l’indépendance de la Grèce et la progression de la Russie, des chrétiens de l’Empire
décident de quitter celui-ci
 Émigration vers les États-Unis
 Toutefois, le solde global est positif pour l’Empire : il reçoit plus de musulmans qu’il ne
perd de chrétiens
2) La sédentarisation des bédouins
-
Objectifs
 Mise en culture de certaines terres
 Éviter les razzias contre les villages et les voyageurs
 Augmentations des rentrées fiscales
-
Conséquences positives en Cilicie
 Boom agricole suite à la sédentarisation des bédouins
 Cf. aussi les romans de Yaşar Kemal sur cette époque, notamment Mehmet le Mince
-
Sédentarisation des bédouins en Syrie/Palestine
 1re phase à l’époque de la domination égyptienne : mise à l’écart des bédouins
 2e phase après la Guerre de Crimée
3) L’exode rural
-
Explique en grande partie la croissance des villes
-
Se nourrit de la croissance démographique
-
Lié au développement de l’endettement des paysans
 Ex. dans le Hauran (région près de Damas), des villages entiers sont désertés
II. Le contrôle de la terre
-
Développement de la propriété privée, qui n’existait pas de la même façon avant cette
époque
-
Constitution de grands domaines fonciers
 Appartiennent souvent à des grands propriétaires absents
1) Du village aux grands propriétaires
-
Le village ne perd pas son rôle, même si celui-ci se retrouver concurrence par celui des
grands propriétaires
-
Conseil des anciens
 Regroupe cheikhs du village
18
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
 Forme lien entre villageois et autorités
 Doit se charger du gîte et de la nourriture des armées passant par le village
-
Grands propriétaires
 Exemples
o À la fin de son règne, Ismaïl (1863-1879) possède 1 million de feddans (40
millions d’ares), c’est-à-dire 1/5 de la superficie utile de l’Égypte
o Abdelkader en exil à Damas avait acquis 4 villages dont les habitants ne
pouvaient payer les dettes
o La famille Sursoq possédait de très nombreuses terres en Palestine (qu’ils
vendront par la suite au Fonds national juif)
 Concentration des moyens permet de développer l’agriculture, y compris en recourant à
des techniques modernes
2) Les transformations du statut de la terre
a) Avant le XIXe siècle
-
Terres mulk (terres en pleine propriété)
 Très minoritaires
-
Terres miri (terres appartenant au sultan)
 Attribuées aux fermiers de l’impôt, conformément au système de l’iltizâm
 Attribuées parfois à des paysans
 Leur loyer devait être défini chaque année, en théorie
-
Waqf
 Permettent d’échapper au statut de terres miri
b) Évolution au cours du XIXe siècle
-
Terres miri se rapprochent du statut des terres mulk
 Toutefois, l’État vérifie à chaque fois que les terres sont bien mises en culture : si tel n’est
pas le cas, il les reprend
-
L’Égypte de Mohamed Ali a précédé l’Empire ottoman en abolissant entièrement le système
de l’iltizâm
3) Les impôts
-
Transformation d’un système d’affermage en système à perception publique
 Permet, en théorie, des impôts plus justes
-
Mise en œuvre inégale
 En Égypte, l’abolition de l’iltizâm est inégale
19
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
 En Syrie/Palestine, l’affermage demeure en vigueur jusqu’au début du XXe siècle
III. Les nouvelles cultures
1) Les encouragements à la modernisation de l’agriculture
-
Rentre dans le cadre des politiques des Tanzîmât
-
Institutions mises en place
 Ministère de l’Agriculture créé en 1846
 Banque agricole créée en 1888
-
Rôle joué par l’Administration de la dette ottomane
 Organe créé en 1881 regroupant des créanciers (essentiellement britanniques et
français) de l’Empire
 Principe : créanciers se remboursent sur les richesses de l’Empire avant que celles-ci ne
rentrent dans le budget de l’État
 Certains impôts ottomans vont directement dans les caisses de l’Administration de la
dette (notamment celui sur la soie)
 Les industries les plus lucratives sont donc encouragées, dans la mesure où elles
enrichissent les créanciers de l’Empire
 À la fin du règne d’Abdül-Hamîd II, cet organisme était devenu un véritable « État dans
l’État » (François Georgeon), employant 5 500 personnes, plus que le ministère des
Finances et contrôlant 30 % du revenu de l’État
2) Le développement des cultures commerciales
-
Boom du coton (notamment en Égypte et en Syrie) pendant la Guerre de Sécession aux USA
(1861-1865)
 Reprise de la demande après 1900
-
Industrie de la soie
 Exportations vers la France :
309 000 kg en 1855
1,265 t en 1875
-
Oranges « de Jaffa » (Palestine et Liban)
 D’abord destinées au marché ottoman
 Expédiées en Europe à partir de 1870 (meilleur conditionnement)
-
Autres produits d’exportation
 Céréales
 Fruits secs (en particulier les raisins et les figues)
 Tabac
 Opium
20
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
CM 5 : Croissance des villes et transformations du réseau urbain
-
Deux facteurs essentiels de transformation des villes
 Augmentation de la population en général et de la population urbaine en particulier
 Les Tanzîmât
o Transformations politiques : pouvoir central exerce un contrôle plus fort sur les
provinces et, partant, sur les villes qu’il dote d’infrastructures essentielles
o Transformations économiques : développement des échanges
I.
Croissance des villes, changements dans le réseau urbain
-
Transformation du réseau urbain (c.-à-d. de la hiérarchie des villes entre elles)
 Des villes moins importantes deviennent importantes
o Cf. Beyrouth (quelques milliers d’habitants seulement au début du XIXe siècle)
o Concerne surtout les villes côtières
 Des villes importantes deviennent moins importantes
o Cf. Acre, Saïda, Alep, Damas
o Il s’agit surtout de villes de l’intérieur
-
Transformation de la fonction des villes
-
Changements dans l’aménagement urbain et dans l’habitat
1. La croissance urbaine
-
Période difficile dans la 1re moitié du XIXe siècle : épidémies récurrentes
 Peste (revient tous les 5-10 ans)
o Alep en 1827 : entre 20-25 % de la population meurt de la peste
o Bagdad en 1831 : 7 000 personnes meurent en deux semaines (sur moins de
100 000 habitants à l’époque)
o Cf. France : dernière peste en 1720 à Marseille
 Choléra
o Vient de l’Inde via le Hedjaz
o Apparaît d’abord dans les provinces de l’Irak dans les années 1820
o Beyrouth en 1865 : 3 000 morts par le choléra
 Conséquences
o Populations s’enfuient
o Tout le monde n’est pas touché de la même manière : p. ex. les chrétiens
catholiques du Liban ont plus de facilités pour s’enfuir dans la montagne
libanaise, ou ils ont souvent de la famille
o Mesures sanitaires
 Quarantaine (ex. Beyrouth en 1834)
 Création d’hôpitaux militaires
21
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
Toutes les villes ne croissent pas de la même façon (cf. le tableau sur le plan de cours)
 Croissance importante des grandes villes portuaires : Istanbul, Salonique, Izmir (Smyrne),
 Toutefois, certaines villes intérieures sont également concernées
o Jérusalem (immigration juive)
 28 000 habitants en 1870
 75 000 habitants en 1914
-
Facteurs
 Exode rural (ex. la montagne libanaise est pleine)
2. Une faible augmentation du taux d’urbanisation
-
Le nombre relatif d’urbains augmente très peu
 Le taux d’urbanisation serait passé de 17 à 22 % entre 1800 et 1914
o Irak : 25 %
o Grande Syrie : 25 %
 Cette évolution contraste avec l’urbanisation des pays occidentaux qui auparavant
étaient moins urbanisés que l’Empire ottoman
-
Raisons
 Déclin de certaines villes
 Déclin de certaines activités économiques (cf. industrie textile à Alep et à Damas)
3. Les transformations du réseau urbain
-
Certaines villes de l’intérieur décroissent beaucoup
 Diyarbekir (affrontements entre Kurdes et chrétiens)
-
Certaines villes côtières croissent à un rythme très rapide
 Istanbul, Salonique, Izmir (Smyrne), etc.
-
Cas de Jérusalem
 Croissance surtout due à immigration juive
 Changement de la population juive : désormais, la majorité des juifs sont Ashkénazes
II. De nouvelles fonctions pour les villes
1. Politiques
-
Construction de nouveaux bâtiments
 Casernes
 Palais pour les gouverneurs
 Hôpitaux
 Bâtiments administratifs
22
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
Structures municipales mises en place
 1854 : Istanbul gouvernée par un maire assisté par des conseillers municipaux
 Change aussi recrutement des fonctionnaires, qui auparavant étaient majoritairement
issus du corps des oulémas
 1877 : Nouvelle méthode d’administration municipale étendue au reste de l’Empire
(cette réforme est mise en place progressivement)
 Développement progressive d’une nouvelle forme de bureaucratie
-
Création de quartiers administratifs
 Cf. Vieux sérail à Damas
2. Économiques
-
Transports
 Tramway à traction animale
 Métro d’Istanbul (vérifier date)
-
Communications
 Télégraphe
-
Routes
 Route Beyrouth-Damas (1860-1863) : on met désormais 24h pour aller d’une ville à
l’autre (contre 4 jours auparavant)
 Quelques rares automobiles avant 1914
-
Ports
 1890-1895 : agrandissement du port de Beyrouth
 Embauchent de nombreux ouvriers
 Désormais, les villes dynamiques commercent surtout avec l’Europe
-
Modernisation favorise tourisme
-
Banques
 Souvent à capitaux européens
3. Culturelles
-
Institutions d’enseignement
 L’enseignement ne passe plus nécessairement par des institutions religieuses
 Même les différentes communautés religieuses créent des établissements en dehors des
mosquées, des couvents ou des synagogues
III. Nouveaux quartiers, nouveaux aménagements, nouveaux modes de vie
1. De nouveaux quartiers
23
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
Autour des ports
-
Dans les faubourgs
 Villes sortent des murs
-
Intérieur des villes se densifie
 Surtout dans les villes comptant un nombre important d’ouvriers
-
Changements dans le tissu urbain
 Ex. à Jérusalem, les juifs s’établissent désormais surtout à l’ouest de la Jérusalem
2. Les aménagements urbains
-
Changements architecturaux
 Maisons à toits de tuile (et non plus à toits plats)
 Voirie élargie et pavée
 Percement d’avenues
 Places (la place des Martyrs de Beyrouth s’appelait autrefois place Hamidiyye)
3. De nouveaux modes de vie
-
Nouveaux types d’ameublements
 Auparavant, on dormait sur des nattes qui étaient rangés la nuit et on mangeait avec les
mains sur des tables basses
 Apparition de lits, d’armoires, de tables de salle à manger, de couverts
 L’usage de se déchausser se perd (les gens ne sont plus assis par terre)
 N. B. : à l’époque, ces changements se limitent aux milieux urbains !
24
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
CM 6 : Circulations et migrations
-
En matière de circulations, la rupture se situe moins au début du XIXe siècle (expédition de
Bonaparte) qu’à partir des années 1860
I.
De nouveaux moyens de circulation qui n’effacent pas les anciens
1) Amélioration des routes anciennes, construction de routes nouvelles
-
Nouvelles routes
 Route Beyrouth-Damas (1860-1863)
 Route Jérusalem-Jaffa (1869)
o Les 60 km séparant les deux villes pouvaient désormais être parcourus en 12h,
contre 24h auparavant
-
Réfaction de routes anciennes
 Règlementations nouvelles publiées en 1863 et 1869 : précisent largeur des routes,
matériaux à utiliser, etc.
 Recours à la corvée : recrutement forcé d’hommes pour une période limité
o Mal acceptée par la population
o Réglementée en 1869
o Supprimée en 1879
o Remplacée par un impôt pour l’entretien des routes en 1891
2) Les voies de chemin de fer
-
Évolution générale
 1878 : 1 800 km
 1908 : 5 800 km
-
1892 : une voie de chemin de fer double la route Jaffa-Jérusalem
-
De manière générale, ces voies sont construites sous le régime de la concession
 Le concessionnaire est le plus souvent une entreprise européenne, avec toutefois des
intermédiaires locaux
o Les concessionnaires locaux ne peuvent pas toujours réunir les fonds nécessaires
 Cf. renonciation de la famille Sursok à construire une ligne Haïfa-Damas
 Des concessionnaires français finiront par construire une ligne BeyrouthDamas, ouverte en 1895
 Ce système est également appliqué pour les routes, les ports et l’électricité
-
Mise en place de lignes de chemin de fer renforce certaines dynamiques économiques
 Avec la mise en place du chemin de fer, Beyrouth devient réellement le port de Damas
25
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
3) Les transports maritimes
-
Évolution plus ancienne : navigation à vapeur date du milieu des années 1830
-
Lignes françaises des Messageries Maritimes
 Certains armateurs reçoivent des subventions pour emprunter certaines lignes avec
régularité : facilite communications
 Exemples de lignes
o Marseille-Le Pirée/Smyrne-Istanbul
o Smyrne-Beyrouth-Alexandrie
o Marseille-Istanbul
o Marseille-Malte-Beyrouth (1845)
 Favorise régularité
o Années 1830 : lettres mettent jusqu’à 6 mois, se perdent souvent
o Années 1860 : lettres mettent 1 mois, ne se perdent plus
-
Disparition de la course
 Commerce maritime devient plus sûr
-
Canal de Suez
 Construit par Ferdinand de Lesseps entre
 Établissement d’une ligne Marseille-Aden
-
À côté des grandes lignes, le cabotage continue à jouer un rôle important
4) À pied, à dos d’âne, de cheval ou de chameau
-
Moyens de transport prédominants
 Moins sûrs que les moyens de transport maritimes
-
Années 1830 : on voyage encore en caravane entre Beyrouth et Damas
 La Bekaa constitue un point de rassemblement de plusieurs petites caravanes se rendant
à Damas
 Voyage la nuit, accompagnée d’une escorte armée (des razzias de bédouins se
produisent encore à l’époque)
-
Jusqu’en 1856, les chrétiens et les juifs n’ont théoriquement pas le droit de monter à cheval
en ville
 Cette interdiction n’est cependant pas toujours appliquée, notamment après la conquête
de la Syrie par l’Égypte
26
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
II. Circulations anciennes, circulations nouvelles
1) Des biens et des hommes
-
Marchandises : pas de différence par rapport au XVIIIe siècle, sauf pour ce qui est de la nature
des biens exportés
 Moins de café
 Plus de soie, plus de coton
-
Types de personnes en circulation
 Administrateurs (de plus en plus avec le développement de la bureaucratie)
 Religieux
o Développement des pèlerinages
 La Mecque
 Jérusalem : de plus en plus après 1850 (surtout des Russes)
o Formation
 Musulmans
 Al-Azhar
 Jabal ‘Amil
 Catholiques
 Rome
 Jérusalem, Beyrouth (formation sur place encourage plutôt que
formation en Europe)
 Diplômés
o professions
 Médecins (reviennent souvent dans leur ville ou village natal avant de
repartir, notamment vers l’Égypte, vue comme la plus prometteuse des
provinces arabes en termes d’opportunités de carrière et d’affaires)
 Avocats
 Ingénieurs (recherchent du travail dans les villes)
o Lieux de formation
 Robert College (1863)
 Syrian Protestant College (1866)
 Faculté de Médecine de l’Université Saint-Joseph (1883)
2) La place de l’Égypte
-
Croissance rapide de certaines villes : cf. Alexandrie
 Fin XVIIIe :
5 000 habitants
e
 Fin XIX :
450 000 habitants
 (aujourd’hui :
5 000 000 habitants)
-
Présence de nombreuses minorités : juifs, chrétiens, « Grecs »
27
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
 Certaines personnes s’inscrivent auprès de consulats étrangers sans pour autant être
ressortissantes du pays en question : beaucoup de « Grecs » d’Orient ne sont en fait que
des chrétiens orthodoxes d’origine levantine
3) Les migrations internes à l’Empire
-
Immigration de musulmans venant des Balkans ou de Russie
 Entre 5 et 7 millions entre 1783 et 1914 (avec une légère majorité en provenance de la
Russie)
-
Début de l’immigration juive en Palestine
 Commence à inquiéter les autorités ottomanes à la veille de la Première Guerre
mondiale
 Évolution de la population juive en Palestine (données appliquées au territoire de la
future Palestine mandataire)
o 1883-1884 : 15 000 (contre 412 000 musulmans et 45 000 chrétiens)
o 1913-1914 : 38 754 (contre 602 000 musulmans et 81 800 chrétiens)
 La population juive reste certes minoritaire, mais elle s’accroît le plus rapidement
III. Les migrations vers l’étranger
1) Une croissance progressive
-
Différents facteurs évoqués
 1860 : émeutes communautaires
 1890
 1908-1909 : Les Jeunes-Turcs introduisent la conscription
-
Le poids exact de chacun de ces facteurs fait débat
 Les massacres de 1860 ont probablement moins poussé à l’émigration que les
événements de 1890
2) Un mouvement général
-
L’émigration des Ottomans fait partie d’un mouvement général d’émigration vers le Nouveau
Monde, mouvement dans lequel ils sont minoritaires
 1 million d’Ottomans ont émigré vers les Amériques (contre 6 millions d’Italiens)
3) Qui sont les migrants ?
-
Surtout syro-libanais
 Devancent d’autres foyers d’émigration : Macédoine, Albanie, Thrace
Hommes jeunes (entre 15 et 45 ans)
Majorité chrétienne
 Toutefois, beaucoup d’émigrants musulmans parmi les Syro-libanais
28
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
4) Les conséquences sur place
-
1/3 des migrants rentrent, plus ou moins tôt
 Apportent leur expérience et leur savoir-faire
-
Envois d’argent
-
Dans certains villages, au veille de la Première Guerre mondiale, les émigrés représentent
entre 1/6 à 1/3 de la population du village
 A posé un certain nombre de questions s’agissant du bénéfice du droit de vote
29
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
CM 7 : L’expansion européenne et américaine
-
Acteurs
 France, Angleterre
 Italie (très présente en Syrie depuis des siècles), Russie
 Allemagne (fin XIXe siècle)
I.
L’influence politique : une situation semi-coloniale ?
-
Une situation semi-coloniale ?
 Terme en vigueur à l’époque de l’historiographie « décliniste »
 Aujourd’hui, ce terme est partiellement remis en question
1) La crise de 1860 au Mont-Liban et ses conséquences
-
Antécédents de la crise de 1860
 Entre 1832 et 1840, Mohammed Ali domine la Syrie
 En 1840, les Ottomans l’en chassent, aidés par les Britanniques
 Toutefois, il laisse une situation très anarchique dans la région du Mont-Liban
o Les notables locaux, souvent alliés à Mohammed Ali, sont écartés par les
autorités de l’Empire
o Les nouvelles élites ont du mal à asseoir leur autorité
 Tentative de reprise en main par l’Empire
o Division du Mont-Liban en deux arrondissements (qaymmaqam), l’un dirigé par
un druze, l’autre par un chrétien
o Toutefois, les deux zones sont mixtes
o La zone druze comporte de plus en plus de chrétiens
o Accroissement des tensions entre paysans et seigneurs
 Refus de payer l’impôt
 Dimension confessionnelle : dans la zone druze, les paysans sont souvent
chrétiens
-
Les événements de 1860
 Affrontements confessionnels (juin 1860)
o Chrétiens se battent contre druzes
o Administration ottomane ne parvient pas à imposer son autorité, prend souvent
le parti des druzes (chrétiens désarmés, livrés aux druzes)
o Bilan : 6 000 à 10 000 morts, destruction de centaines de villages, de 500 églises,
de 40 monastères, de 30 écoles
o Dans l’ensemble, il s’agissait cependant moins de massacres que de batailles
rangées
 Pillage du quartier chrétien de Damas (3 jours en juillet 1860)
o Dimension sociale : ce sont surtout les familles chrétiennes riches qui sont visées
o Bilan : environ 20 000 morts
30
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
o
o
Abd el-Qader protège les chrétiens
Répercussions importantes en Europe
 Campagnes de presse
 Collectes d’argent
 Fondation de l’Alliance Israélite Universelle, qui participe à la campagne
en faveur des chrétiens
 Envoi d’une expédition militaire française
o Arrive en août 1860, après le rétablissement de l’ordre par les autorités
ottomanes
 Présentée par certains auteurs comme l’un des premiers exemples
d’ingérence « humanitaire »
 Politique de faire rentrer les réfugiés chrétiens dans la montagne
 Envoi d’une commission internationale
o Membres : France, Angleterre, Russie, Autriche, Prusse
o Impose la création d’un sandjak du Mont-Liban, décision entérinée avec
l’adoption du règlement organique du Mont-Liban en juin 1861 (revu en 1864)
 Autonomie financière, judiciaire et administrative
 Ce sandjak devra être gouverné par un gouverneur chrétien dont la
nomination doit être approuvée par les puissances européennes
 Dans les faits, ce chrétien sera toujours catholique (et non pas maronite)
 De même, il ne sera jamais originaire du Mont-Liban, mais plutôt
originaires des Balkans ou Arménien
 La plupart des gouverneurs du Mont-Liban seront toutefois tout à fait
représentatifs de l’Empire ottoman des Tanzîmât
2) La domination britannique en Égypte
-
Dynastie égyptienne
 Successeurs de Mohammed Ali
o Abbas Ier (1848-1854)
o Säid (1854-1863)
o Ismâ’îl (1863-1879)
 Percement du canal de Suez
 Importance du coton égyptien pendant la Guerre de Sécession aux ÉtatsUnis (1861-1865), chute des revenus après cette Guerre, endettement
 Le sultan le force à la démission en 1879
o Tewfiq (1879)
o Abbas Hilmi II (1892-1914)
 Caractéristiques de ce gouvernement
o Personnes originaires de la classe paysanne occupent des fonctions de plus en
plus importantes
o Il est désormais important et bien vu d’être d’origine égyptienne
o L’arabe devient la langue de gouvernement
o Le français est la langue de l’élite
31
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
Condominium franco-anglais
 1876 : faillite financière de l’Égypte
 Angleterre et France administrent conjointement la dette égyptienne
 En 1882, les Européens souhaitent contrôler plus étroitement les finances égyptiennes
 Une partie de l’armée, menée par Urabi Pacha, d’origine paysanne, s’oppose à
l’intervention européenne et au khédive
 Intervention militaire anglaise (les Français ont déjà obtenu la Tunisie et l’opinion
publique française n’est pas favorable à cette intervention)
-
Pérennisation de la présence militaire anglaise
 Motifs officiels
o Dette égyptienne
o Conquête du Soudan
 La période de 1882-1914 est parfois désignée comme « protectorat voilé » :
officiellement, l’Égypte reste ottomane
 Présence de nombreux « conseillers » britanniques
 Rôle d’Evelyn Baring, Lord Cromer (1841-1817)
3) Une autre forme d’influence : les capitulations
-
Beaucoup d’orientaux, souvent issus de minorités, demanderont à bénéficier des
capitulations
 Ainsi, chaque ambassadeur européen avait droit à un certain quota de traducteurs
(drogmans) lesquels bénéficiaient de la protection du régime capitulaire
 Ces relations sont très importantes aux yeux des occidentaux, auxquels elles permettent
de se constituer une clientèle locale en vue de satisfaire leurs ambitions économiques ou
territoriales
 Un nombre important de sujets ottomans échappent donc à la juridiction de leur pays
 Toutefois, contrairement aux attentes des occidentaux, de nombreux « protégés » ne se
sentent pas particulièrement attachés à la puissance dont ils dépendent : souvent, ils
s’en servent comme d’un moyen parmi d’autres, rentrant par exemple en relation avec
plusieurs puissances étrangères en même temps
II. Une plus grande dépendance économique et financière
1) L’expansion du commerce avec l’Europe
-
Augmentations des exportations anglaises vers la Méditerranée orientale
 Phénomène né au moment des guerres révolutionnaires et napoléoniennes en Europe
 Chiffres
o 1814 :
154 000 livres
o 1840-1844 :
1 500 000 livres
o 1850 :
2 515 000 livres
-
Conséquences
32
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
 Augmentation du nombre d’Européens dans certains ports : ex. Alexandrie, Beyrouth,
Smyrne
 Bénéfices accrus pour les commerçants locaux
2) 1881 : la perte de l’indépendance financière
-
Déficit commercial avec l’Europe
 Importation de biens manufacturés, exportation de matières premières
 Même les investissements européens réalisés sur place, comme les chemins de fer,
aboutissent souvent à l’achat de davantage de biens manufacturés en Europe
 Toutefois, si la balance commerciale avec l’Europe devient déficitaire, les relations avec
d’autres pays dans la région sont souvent favorables à l’Empire ottoman : ex. la balance
commerciale entre la Syrie et l’Égypte penche en faveur de la première
-
Mise en place de l’Administration de la dette ottomane (1881)
 Dette désormais consolidée : réduite à un seul emprunt (taux moindre, durée plus
longue)
 Structure distincte du ministère des Finances
 Composée de 7 membres, dont 1 Ottoman, 1 Français, 1 Italien, 1 Autrichien, 1 Anglais, 1
Allemand et 1 banquier de Galata)
 Rôle économique : intéressée au développement de certains secteurs de l’économie
 Constituait sorte d’État dans l’État
o À la fin du règne d’Abdül-Hamîd, elle compte 720 succursales pour collecter les
taxes dans les provinces, emploie 5 5000 personnes (plus que le ministère des
Finances) et contrôle 30 % des revenus de l’État
 Cette mesure a certes renforcé la confiance des investisseurs dans l’économie ottomane,
mais elle a rapproché l’Empire ottoman de la situation de pays comme la Tunisie ou le
Maroc
3) L’augmentation des capitaux étrangers
-
Évolution de l’origine des capitaux investis
 Déclin des capitaux britanniques
 Augmentation des capitaux français et allemands
-
Domaines d’investissement
 Transports : chemins de fer, ports, quais (73 %)
 Banques
-
Logique politique coloniale
 Investissements ne visent pas à soutenir la production ottomane locale
 Vise essentiellement à renforcer les capacités d’exportation de matières premières
III. L’emprise culturelle de l’Europe et des États-Unis
33
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
1) Le développement des missions dans l’Empire
-
Missions les plus prestigieuses : les missions américaines
 1819: American Board of Commissioners for Foreign Missions (AB)
o Implanté dès les années 1830 dans l’Empire ottoman
o Y développe son activité surtout à partir de 1870
 Permettent la création d’établissements dispensant leurs enseignements dans les
langues européennes
o Syrian Protestant College de Beyrouth (1866)
o Robert College d’Istanbul (1860)
 Recrute surtout des Arméniens
 Les Turcs ne forment que 5 % des élèves
 Missions protestantes très marquées par le millénarisme
o Imprégnées de l’idée que la fin du monde est proche et qu’il faut augmenter le
nombre de convertis entretemps
o La fin du monde commencera à Jérusalem : il faut hâter le « retour » des juifs à
Jérusalem et encourager les chrétiens à y être présents
o Même si l’idée de conversions massives est vite écartée, les missionnaires
protestants sont plus conquérants que les missionnaires catholiques, lesquels
restent sur la défensive
 Au lieu de s’occuper essentiellement des hommes, elles s’occupent aussi des femmes
o Les pasteurs protestants sont généralement mariés
o Les épouses de pasteurs fondent souvent des écoles de filles
o Les missions catholiques y répondront notamment en envoyant des nonnes qui à
leur tour fonderont des écoles pour filles
2) Les « œuvres missionnaires » et le développement d’un réseau scolaire
-
Mission laïque française (début XXe siècle)
 Fonde des écoles non religieuses
-
Création d’hôpitaux
-
Fondation d’associations
 Souvent spécialisées en fonction du sexe et/ou de la catégorie socioprofessionnelle de
leurs membres
3) Transformations des mœurs, idées nouvelles
-
Diffusion des idées
 Presse
 Voyages entre l’Europe et l’Orient (cf. texte de Jurjî Zaydân distribué en cours)
-
Idées nouvelles
34
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
 Revalorisation du rôle social de la femme : en tant qu’éducatrice de ses enfants, la
femme doit elle-même être éduquée
35
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
CM 8 : L’éducation dans l’Empire ottoman au XIXe siècle
-
transformations de l’éducation au XIXe siècle
 l’éducation devient un service assuré par l’Etat
 repose sur l’idée que toutes les personnes doivent bénéficier d’une certaine éducation
pour pouvoir tenir leur place dans l’Etat
 toutefois, il ne s’agit pas forcément de former des citoyens ni des électeurs (cf. France : loi
Guizot de 1833)
 de même, l’école n’est pas vue comme un ascenseur social à l’époque
-
éducation traditionnelle en Orient
 religieuse : donnée surtout dans les kuttâb et les madrasa (pour les musulmans)
 écoles ou précepteurs pour les esclaves du sultan
 formation professionnelle au sein des corporations
-
les Tanzîmât, loin de faire disparaître ces anciennes structures, vont les réformer et y
rajouter des nouvelles
-
réformes émanent aussi bien de l’Etat que d’initiatives privées, en particulier des
missionnaires
 s’agissant de ces derniers, l’enseignement devient une fonction prépondérante (sans
doute sous l’impulsion des missionnaires protestants, pour qui savoir lire et écrire était
particulièrement important)
 l’influence des missionnaires est parfois indirecte : certains musulmans fondent ainsi des
écoles modernes ou des associations pour éviter que leurs enfants ne soient formés par les
missionnaires
 offre pléthorique : système non cloisonné
I.
Le développement d’une éducation sécularisée dans le cadre des réformes
1. Le développement des écoles à Istanbul et en Egypte
-
création des grandes écoles
 L’Empire ottoman commence par créer des grandes écoles (plutôt que de réformer le
système d’enseignement par le bas)
o années 1830 : écoles militaires (officiers, ingénieurs, médecins, vétérinaires, etc.)
o 1859 : école d’administration
o 1866 : école de médecine
o 1862 : école normale
o 1870 : école normale féminine
 Grandes écoles en Egypte
o 1827 : école de médecine (dirigée par Clot bey, un Français)
o Années 1830-1840 : création de nombreuses grandes écoles, fermées peu après par
manque de moyens
36
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
2. Les différents types d’établissements séculiers
-
Ibtida’iye (école primaire)
 Enseignement de l’arithmétique, de l’histoire ottomane, de la géographie
 Cours de religion
-
Rüchdiye (collège : 10-15 ans)
 Enseignement des langues : turc, persan et arabe
 Enseignements des mathématiques, de géométrie, d’histoire, de géographie et de
religion
-
Idâdi (lycée)
 Nombre accru de disciplines enseignées
o Langues orientales
o Français
o Algèbre, arithmétique, économie, comptabilité, physique, chimie
o Philosophie, histoire, géographie
o Travaux manuels
-
Système reste longtemps embryonnaire
 Phases de développement
o 1869 : loi sur l’éducation
o 1876 : Abdül-Hamîd promeut les écoles séculières
 Méfiance du sultan envers les écoles religieuses
 Volonté de lutter contre les écoles des missionnaires, soupçonnées
d’éloigner les enfants de l’Empire et de la religion
-
Mekteb-i sultâni (lycées à l’occidentale)
 Création du lycée Galata Saray, avec l’appui du gouvernement français (1868)
 Système développé sous Abdül-Hamîd
 Leur généralisation prendra du temps : Maktab Anbar de Damas seulement fondé en
1893
 Enseignement des sciences modernes, des langues orientales et européennes, des
matières religieuses classiques
 Importance de l’enseignement moral et religieux (volonté d’Abdül-Hamîd d’affirmer le
caractère musulman de l’Empire)
-
Echec de la mise en place d’une université (Dar ül-fünûn)
 Créée en 1870, fermée en 1871 suite aux attaques des oulémas et à la mort du grand
vizir Alî Pacha, principal soutien du projet
 Ce n’est qu’en 1900 qu’une université est mise en place de manière définitive
3. L’école des tribus d’Istanbul (1892-1907)
-
objectif : scolariser les fils de cheikhs et de chefs de tribu du monde arabe et d’Anatolie
(Kurdes)
37
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
contexte : intérêt renouvelé pour les provinces arabes suite à la perte des provinces
balkaniques
-
scolarité
 enfants de 11-16 ans
 enseignement
o arabe, osmanli, persan, français
o mathématiques
o enseignement religieux
-
fermée suite à une révolte des étudiants en 1907
 doléances : nourriture insuffisante et de piètre qualité, dépaysement (certains élèves
venaient de régions aussi éloignées que la péninsule arabique), discipline très dure
 succès de toute façon relativement mitigé de cette école
II.
Les écoles étrangères
1. Tableau d’ensemble
-
écoles très nombreuses et diverses
-
scolarisent les filles comme les garçons dès les années 1830
 pendant longtemps, les chrétiennes seront donc généralement plus éduquées que les
musulmanes
-
visent des milieux différents
 Ex. les filles d’origine modeste sont formées à êtres bonnes ou ouvrières (souvent
destinées à travailler chez des non-chrétiens : d’où un enseignement moral important pour
résister aux éventuelles tentatives de conversion ou aux avances du patron)
-
statistiques (chiffres difficilement vérifiables, souvent gonflés)
 1866 : les écoles congrégationnistes françaises éduqueraient 35 000 élèves
(congrégations : jésuites, lazaristes, filles de la Charité)
 1870 : les écoles américaines auraient sous leur responsabilité 250 écoles en Anatolie et
en Syrie (N. B. : cela ne signifie pas que des missionnaires étaient présents dans 250 écoles : il
n’y avait même pas 250 missionnaires au Proche-Orient à l’époque)
-
financement
 fonds d’origine privée (campagnes de dons bien organisées) et publique, y compris de la
France républicaine et laïque (« L’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation. », aurait
dit Gambetta)
2. Des petites écoles aux prestigieux pensionnats
-
écoles de campagne
 moyens modestes : enseignement à l’extérieur, absence de bancs, enseignement surtout
oral (absence de cahiers)
38
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
internats
 accueillent exclusivement des chrétiens catholiques, sauf quelques rares exceptions
 milieux assez bourgeois (les externes, quant à eux, sont souvent issus de milieux plus
modestes)
 mode de vie plus occidental
 les jésuites, qui recourent beaucoup au théâtre comme outil pédagogique, ont joué un
rôle indirect dans la Nahda
-
séminaires
 recrutent dans des milieux assez pauvres
 restent dans un mode de vie modeste au cours de leur scolarité
3. Les deux universités de Beyrouth
-
Syrian Protestant College
 fondé en 1866, devenu l’université américaine de Beyrouth en 1920
-
Université Saint-Joseph
 fondée en en 1870 (reste avant tout un collège pendant longtemps)
-
caractéristique commune : peu d’élèves avant la Première Guerre mondiale
III.
Maintien et réforme de l’enseignement traditionnel, initiatives privées et locales
1. Le maintien de l’enseignement traditionnel
-
en Egypte, les kuttâb alphabétisaient à peu près un tiers de la population au début du XIXe
siècle
-
réformes à l’époque khédivale
 passaient notamment par la formation des enseignants
 primes données aux kuttâb (peu nombreux) accueillant des filles
 toutefois, l’enseignement dans ces établissements n’était pas encouragé par les autorités
britanniques
-
enseignement
 importance de l’enseignement religieux
 absence de langues étrangères
-
nouvelle vague de réformes au début du XXe siècle
2. Les initiatives privées et locales
-
création du Collège de la Sagesse à Beyrouth en 1875
39
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
1880 : un cheikh de Tripoli fonde al-Madrasa al-Wataniyya, qui a notamment formé Rachid
Rida
-
Les élèves des écoles religieuses échappaient au service militaire
-
Beyrouth (1913-1915)
 136 écoles publiques élémentaires, 8 000 élèves, dont 80 % de garçons
 150 écoles privées musulmanes, 6 000 élèves
 157 écoles étrangères, 13 000 élèves
-
La différence entre écoles locales et étrangères est à nuancer
 mêmes conditions de fonctionnement : financement modeste et surtout local,
enseignement assez semblable, même poids de la religion
 la vraie différence se situe entre les écoles urbaines et celles rurales, ou encore entre les
écoles pour classes aisées et celles pour les classes plus modestes
-
conséquences sur les Jeunes Turcs
 l’enseignement promu par Abdül-Hamîd, très marqué par la religion et peu orienté vers
les sciences modernes, aurait favorisé la politique d’occidentalisation prônée par les Jeunes
Turcs
40
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
CM 9 : Nahda et réformisme
-
sécularisation (XIXe siècle)
 le religieux devient une partie de la vie sociale parmi d’autres
 deux façons de l’appréhender
o étape vers une émancipation de la religion
 correspond à la vision de la sécularisation telle qu’elle est conçue au XIXe
siècle en Europe
o transformation de la façon dont le religieux s’inscrit dans le monde
 ceux qui s’inspirent du religieux repensent la manière dont ils agissent
dans le monde
 correspond davantage à la sécularisation dans l’Empire ottoman (cf.
Nadine Picaudou)
-
questions récurrentes
 quel est le bon gouvernement ?
o le bon gouvernement doit être à la fois juste et utile
o question très prégnante à l’époque des Tanzîmât
 comment faire pour qu’il y ait une cohésion sociale ?
o question en partie liée au fait que beaucoup de réformateurs ont voyagé en
Europe où ils ont été confrontés à la notion de citoyen
o implique d’autres questions
 question de l’égalité
 question du patriotisme
 comment rattraper le retard de l’Orient sur l’Occident ?
o question de la civilisation, qui est à la fois un processus et un but à atteindre
-
toutes ces questions vont avoir des répercussions dans le domaine de l’éducation
 pour les réformateurs, l’éducation joue un rôle crucial : beaucoup d’entre eux ont
d’ailleurs écrit des manuels
-
question de la langue
 nécessité de moderniser l’arabe pour l’adapter aux nouvelles réalités
I.
Aux origines du réformisme
-
Vision traditionnelle : le réformisme commence avec les voyages des orientaux en Occident
-
Vision actuelle : le réformisme dans le monde arabo-musulman remonte aux XVIIIe et XIXe
siècle
 L’islam se transforme pour permettre un nouveau type d’engagement dans la société
 Ces transformations ont plusieurs origines
1) Le renouveau du soufisme
41
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
Se fait surtout dans la péninsule arabique et au Caire
-
Caractéristiques du réformisme soufi
 Le prophète Muhammad occupe désormais une place centrale (d’où le terme de tarîqa
muhammadiyya)
o Sorte de modèle à imiter
o Héros fondateur,
Guide
 Valorisation de l’engagement du croyant dans la société
2) Le wahhabisme
-
Accent désormais mis sur l’unicité du culte de Dieu
 Idée qu’il n’y a qu’une seule voie pour accéder au divin
 D’où condamnation de nombreuses pratiques jugées « déviantes », notamment le culte
des saints et de la famille du prophète
-
Rejet des enseignements théologiques classiques
 Ces enseignements étaient souvent marqués par des influences extérieures au monde
arabe (p. ex. la philosophie grecque)
 Nécessité d’un contact direct entre le fidèle et Dieu : tout croyant peut interpréter les
textes, même sans formation préalable (ce qui soulève l’inquiétude des oulémas)
-
Etablissement de nouvelles frontières : sectarisme
 Les musulmans pratiquant leur foi en dehors de l’orthodoxie sont désormais considérés
comme non-musulmans
II. Autour de la Nahda : langue et traduction
-
Traduction de livres anciens et modernes, arabes et étrangers
-
Naissance de l’imprimerie, même si les manuscrits continuent à jouer un rôle important
-
Progrès de l’enseignement
-
Modernisation et unification de la langue
1) Rifa’a Badawi Rafi’ al-Tahtawi (1801-1873)
-
Éléments biographiques
 Né dans une famille de Haute-Égypte
 Etudie à Al-Azhar
 Séjour à Paris (1826-1831) : accompagne une délégation d’étudiants égyptiens en tant
qu’imam
42
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
 A son retour de France, il travaille dans une école de langues et dans un bureau de
traduction
 Emploie sa vie à traduire des ouvrages français en arabe et à écrire des livres proposant
des réformes pour moderniser l’Égypte
-
Tahtawi reste cependant un musulman traditionnel
 Question du bon souverain
o Tahtawi était en France lors des Trois Glorieuses de juin 1830
o Toutefois, il ne remet pas en cause le rôle traditionnel du souverain
o Il insiste plutôt sur la nécessité d’une bonne formation des oulémas pour pouvoir
appliquer correctement la loi et d’une bonne éducation (morale) de la société en
général
 Rôle la société
o Elle doit en premier lieu accomplir la volonté divine
o Elle doit également viser le bien-être de tous
 Rôle de l’éducation
o Doit transmettre la morale
o Doit transmettre l’amour de la patrie (hubb el-watan)
 Pour Tahtawi, cette patrie est égyptienne (et non pas arabe)
2) Les chrétiens formés au contact de l’Occident
-
Jouent un rôle très important dans la renaissance des lettres arabes
-
Nassif al-Yazigi (1800-1871)
 Issu d’une famille de lettres maronites
 Considéré comme l’un des plus grands maîtres de la langue arabe au XIXe siècle
 A formé beaucoup d’homme de lettres
-
Faris al-Shidyaq (1804-1887)
 Maronite converti au protestantisme puis à l’islam puis à nouveau au catholicisme
maronite
 Nombreux voyages : Égypte, Malte, Paris, Londres ( ?), Istanbul
 Traduction de nombreux documents diplomatiques et politiques
-
Butrus al-Bustâni (1819-1883)
 Très marqué par les missionnaires protestants
 Crée en 1863 une école moderne (al-madrassa al-wataniyya)
 Persuadé qu’il faut emprunter à l’Europe pour moderniser l’Orient – la question est de
savoir ce qu’il faut lui emprunter
o L’amour de la patrie (se considère comme sujet du sultan, mais s’il estime que sa
patrie est la Grande Syrie)
o La liberté religieuse et une certaine mise à l’écart du religieux
o L’égalité
 Publications
43
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
o
o
Encyclopédie (poursuivie par ses fils)
Nombreux ouvrages sur la langue arabe
III. Les nouveaux « clercs intellectualisés » (N. Picaudou)
1) Les cercles réformistes du début du siècle
-
Jamal al-Dîn al-Afghanî (1838-1897)
 Il est Persan mais se dit Afghan (pour cacher son chiisme)
 Formé à Kerbala
 Chassé d’Égypte en 1879
 A vécu en Russie, en Europe, à Istanbul
 Connu pour son enseignement oral, qui a beaucoup marqué la pensée musulmane
-
Muhammad Abduh (1849-1905)
 Disciple d’al-Afghanî : a vécu à Paris en même temps que lui dans les années 1880
 Rentre en Égypte à la fin des années 1880 et y poursuit une carrière de théologien
musulman (devient grand mufti d’Égypte à la fin de sa vie)
2) Une nouvelle façon de dire l’islam
-
Al ‘urwa al-wuthqa (Le lien indissoluble)
 Revue publiée par al-Afghanî et Abduh
-
Nouvelle manière de penser l’islam
 Dichotomie entre la tradition et de la modernité
o La modernité, manifestée notamment par l’idée de civilisation, est du côté de
l’Europe
o La tradition sclérosante est du côté de l’Orient
o Influence de Gustave Lebon
 Succession de plusieurs civilisations ayant eu chacune son moment de
grandeur et de déclin
 Conduit notamment à dire que le déclin des civilisations musulmanes
n’est ni inéluctable ni nécessairement lié à la religion
 Engagement dans la société
o Permet de promouvoir la grandeur de l’islam
o Doit être accompagné d’un effort sur soi-même
 Union des musulmans (notamment contre la mainmise européenne)
o Un des facteurs d’échec des musulmans réside dans leur division
o L’union des musulmans se fait autour des principes de la loi islamique plutôt
qu’autour d’un homme
 Importance de l’éducation (qui seule permet l’engagement et l’union)
o Enseignement moderne
o Enseignement moral (notamment pour en finir avec les « superstitions »)
 Idéalisation de la société musulmane des débuts
44
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
Conclusion
-
-
Hommes d’origines et de formations différentes, mais qui posent les mêmes questions
Toutefois, il est souvent difficile d’établir la généalogie intellectuelle entre les différents
auteurs, et même au sein de l’œuvre d’un même auteur
 Cette tâche est encore compliquée par le fait que ces auteurs ont beaucoup voyagé et
traduit de nombreux ouvrages étrangers : qui a influencé qui ?
La question de l’arabe n’est pas forcément liée au nationalisme
 Entre la langue comme héritage culturel et comme élément essentiel d’une communauté
de destin, il y a un pas important à franchir (il le sera plutôt pendant l’Entre-deuxguerres)
45
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
CM 10 : De la révolution jeune-turque à la fin de l’Empire
I.
La révolution jeune-turque
-
En arabe, on utilise le terme inqilâb pour désigner cette révolution
François Georgeon préfère parler d’un « coup de force réussi »
 Le remplacement des classes dirigeantes n’est en effet pas toujours très net
1) L’opposition jeune-turque
-
Principaux acteurs : les jeunes militaires et médecins
-
Diversité des milieux
 Jeunes-Turcs issus de tout l’Empire
 Jeunes-Turcs issus de toutes les confessions
 Beaucoup d’entre eux sont originaires des classes moyennes de la province
-
Les débuts du mouvement
 Comité de l’Union ottomane créé en 1889 (centenaire de la Révolution française) par des
étudiants de l’École de médecine militaire à Istanbul
 Mouvement s’organise en cellules clandestines sur le modèle des Carbonari italiens
 A l’époque, il s’agit moins d’un mouvement centralisé que d’une « nébuleuse » (François
Georgeon) réunissant des groupes d’opposants à l’intérieur et à l’extérieur de l’Empire
 Répression/mise au pas à la fin des années 1890
-
Renaissance au début du XXe siècle
 1902 : Congrès des Jeunes-Turcs à Paris
 Organisation à travers le Comité Union et Progrès (CUP)
 Forte implantation à Salonique, surtout auprès des militaires
o Ville multiconfessionnelle (50 % de juifs)
o Ville dynamique économiquement
o Ville ouverte sur le monde
-
Revendications des Jeunes-Turcs
 Ne demandent pas un renversement ou la fin du sultanat
 Exigent le rétablissement de la Constitution
 Veulent assurer l’intégrité territoriale de l’Empire et restaurer la paix et l’ordre intérieur
-
Deux tendances
 Tendance centralisatrice et autoritaire : prince Sabâheddîn (1877-1948)
 Tendance décentralisatrice et libérale : Ahmed Rîza (1859-1930)
 Toutefois, au-delà de leurs différences, ces deux tendances visent chacune à renforcer
l’État ottoman
46
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
Motivations
 Pour certains : libéralisme
 Pour d’autres : haine d’Abdül-Hamîd, dont la politique est vue comme une menace à
l’intégrité de l’Empire
o Cela vaut en particulier pour les officiers jeunes-turcs de l’armée de Macédoine
(région directement menacée par la Russie et l’Autriche-Hongrie)
2) La révolution : « un coup de force réussi » (François Georgeon)
-
Les prémisses
 1905 : Jeunes-Turcs enhardis par la victoire japonaise contre la Russie et les
bouleversements politiques au sein de celle-ci
 Troubles intérieurs, augmentation de l’interventionnisme étranger, notamment en
Macédoine
 Crise économique à partir de l’hiver 1906-1907 : le mécontentement gagne les casernes
 1907 : Le mouvement s’organise
o Fusion du CUP et du Comité ottoman de la Liberté à Salonique (le nom de CUP
est maintenu, mais c’est le comité de Salonique, et non plus les exilés, qui donne
le ton)
o Les groupes d’Ahmed Rîza et celui du prince Sabâheddin se mettent d’accord,
envisageant un coup de force militaire
 1908 : Une rencontre secrète d’Édouard VII (Angleterre) et de Nicolas II (Russie) à Reval,
témoignant du rapprochement de ces deux pays autrefois rivaux, suscite les craintes au
sujet d’un éventuel démembrement de l’Empire
-
Mutineries en 1908
 Le mouvement part des casernes macédoniennes, où de jeunes officiers et leurs
partisans décident de prendre le maquis en juin 1908
 Les soldats anatoliens envoyés en Macédoine pour réprimer la rébellion se joignent à
elle : la situation échappe désormais complètement au contrôle du Palais
 16 juillet 1908 : ultimatum à Abdül-Hamîd : soit il rétablit la Constitution, soit l’armée fait
un coup d’État
 23 juillet 1908 : proclamation spontanée de la Constitution à Monastir et dans d’autres
villes de Macédoine
 24 juillet 1908 : rétablissement par Abdül-Hamîd de la Constitution dans tout l’Empire
-
Effervescence s’étend à tout l’Empire
 Liesse populaire qui transcende les communautés
 Penseurs arabes accueillent la révolution avec enthousiasme
-
« Un coup de force réussi » (François Georgeon)
 Dans un premier temps, le personnel politique reste le même : les Jeunes-Turcs,
« putschistes intimidés par le pouvoir » (dont ils n’ont guère l’expérience), restent en
marge des institutions
 Les véritables changements s’effectueront dans les dix ans à venir
47
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
Election au parlement (novembre-décembre 1908)
 147 députés turcs
 60 députés arabes
 27 députés albanais
 2 députés grecs
 14 députés arméniens
 10 députés slaves
 4 députés juifs
-
Déposition du sultan
 13 avril 1909 : tentative d’une contre-révolution
o Mutineries anti-CUP à Istanbul (plusieurs députés sont tués)
o Pillage du quartier arménien et massacres à Adana
 L’armée de Macédoine marche sur Istanbul et l’investit le 24 avril
 27 avril 1909 : Abdül-Hamîd est déposé et remplacé par son frère, Mehmet V
3) Dans les provinces arabes
-
Enthousiasme tourne vite à la déception
 Cause : politique du CUP vécue comme très (trop) centralisatrice
o Met accent sur langue turque
o Politique jeune-turque moins libérale que prévue
 Censure
 Manipulation des élections de 1912
o Remplacement des notables arabes par des fonctionnaires turcs dans
l’administration provinciale
 Lance réflexion sur l’autonomie des provinces arabes
II. L’Empire ottoman miné par les nationalismes et les ambitions européennes
1) Les ambitions européennes
-
1911 : début de la conquête italienne de la Tripolitaine
 Résistance farouche dans l’arrière-pays
 L’Empire ottoman aurait peut-être vaincu en Tripolitaine si la Première Guerre mondiale
n’avait pas eu lieu
-
Visées anglaises sur la Palestine
 Surtout depuis la construction de la Bagdadbahn
 But : protéger la route des Indes
2) Les guerres balkaniques
-
Conséquences sur la politique intérieure
48
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
 Renforce la politique conservatrice et centralisatrice des Jeunes-Turcs
-
1re guerre balkanique (1912)
 Perte de toutes les provinces européennes (à l’exception de la banlieue d’Istanbul)
-
2e guerre balkanique (1913)
 Thrace orientale reconquise suite aux dissensions entre alliés européens (notamment
entre Grecs et Bulgares)
 Andrinople (Édirne) reprise
3) La montée du nationalisme arabe
-
Se fait surtout dans les années 1910
 Auparavant : la Nahda est avant tout un mouvement culturel
 A la veille de la Première Guerre mondiale, vision de plus en plus négative des JeunesTurcs
 Se nourrit de deux considérations
o Langue arabe supérieure à la langue turque
o Histoire arabe plus prestigieuse que l’histoire turque
-
Les Syro-Libanais de Paris
 Favorables à l’autonomie du Liban
 Nouent des relations avec la France (importance après la Première Guerre mondiale)
-
Parti de la décentralisation ottomane
 Fondé au Caire en 1913 (Rachid Rida)
 Proche des Anglais
-
Comité pour les réformes de Beyrouth
 Demande des réformes dans le cadre de l’Empire ottoman
-
Congrès de Paris en 1913
 Demandes
o Service militaire local (sauf en cas de nécessité)
o Recrutement arabe
 Conséquences : concessions
o Service militaire local
o Langue arabe reconnue
o Ministres arabes nommés
 Toutefois : confiance non rétablie
-
Deux moyens d’action
 Recours aux grandes puissances
 Création d’organisations secrètes
o Al-Ahd (Le Serment)
49
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
o
 Regroupe surtout des officies irakiens
 Fondateur égyptien, gracié par le sultan sur intervention britannique
Al Fatat
 Organisation étudiante fondée en 1911 à Londres
 Siège déplacé par la suite à Damas
III. L’Empire ottoman dans la guerre (cf. cours de L1)
1) L’Empire dans la guerre…
2) …se heurte aux Britanniques (et à leurs alliés arabes)
3) Difficultés économiques et revendications nationalistes
-
Liban affamé
 Jamal Pacha privilégie la troupe par rapport aux populations civiles
 Disette, épidémies
-
Répression
 Nationalistes déportés en Anatolie ou pendus (d’où le nom de la place des Martyrs à
Beyrouth)
-
Découpage du Proche-Orient arabe au lendemain de la Première Guerre mondiale
 Le traité de Lausanne de 1923 reprend le traité de Sèvres pour ce qui est des provinces
arabes
50
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
CM 11 : Autour de L’Orientalisme (E. Saïd)
I.
L’orientalisme : faire l’histoire d’une idée et de ses liens avec la politique
-
Idée générale
 L’Orient n’est pas un terme géographique objectif (un point cardinal), mais une idée
construite socialement et intellectuellement (donc une invention)
 Cette idée s’est élaborée au fil de plusieurs siècles
 Elle a eu une influence politique considérable dans le sens où elle a orienté les politiques
des occidentaux envers cette région
 Toutefois, la notion d’Orient n’est pas la même en Europe qu’aux États-Unis, dont les
rapports avec l’Orient sont plus récents
 E. Saïd se concentre surtout sur le Moyen-Orient, région qu’il connaît mieux
 Il examine l’image que les Européens se font de cette réalité
1) Définitions de l’Orientalisme
-
Définition de la discipline de l’orientalisme
 Toute personne qui enseigne, écrit ou fait des recherches sur l’Orient de manière
générale
 Définition générique, qui a pu heurter un certain nombre d’intellectuels
 Définition liée à la division des spécialités aux États-Unis, où l’on est spécialiste d’une aire
géographique avant d’être spécialiste d’une discipline (cf. le terme de Middle East
Studies p. ex.)
-
Autre définition : se fonde sur une distinction nette entre l’Orient et l’Occident
 Elargit le spectre de la définition
-
Définition politique
 L’orientalisme est avant tout un style occidental de domination et d’autorité sur l’Orient
 E. Saïd vise par cela tous les discours qui ont pour but, depuis le XVIIIe siècle, de
transformer le Moyen-Orient
 Cette définition s’applique surtout à l’Angleterre et à la France, États qui ont le plus
façonné le Moyen-Orient au XIXe siècle
2) Un discours politique qui dit quelque chose de l’Occident
-
L’Orientalisme en tant que discours occidental
 Ne dit pas grand-chose de l’Orient, mais plutôt de ce que les Occidentaux voient
 Le fait de voir l’Orient comme quelque chose d’autre que les Occidentaux devraient
transformer est très prégnant du discours politique occidental
 Echange et circulations d’idées entre auteurs/scientifiques et décideurs politiques
occidentaux
51
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
Ces stéréotypes ont une vie longue et ont été corroborés par la politique occidentale menée
depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale
 Cf. préjugés négatifs contre les Arabes confirmés par le rôle des Occidentaux dans le
conflit israélo-palestinien
3) Histoire du discours et de la représentation
-
Idée : faire une généalogie de l’Orientalisme depuis la fin du XIXe siècle
 D’où un plan chronologique
-
1re partie : définition et genèse de l’Orientalisme
 Naissance d’un discours au XIXe siècle dénonçant l’« immobilisme » de l’Orient
 Recours notamment aux textes d’Ernest Renan, qui comparait défavorablement les
langues sémites, supposées immobiles, aux langues européennes, supposées
dynamiques
 Faire revivre l’Orient, c’est la tâche des Européens
-
2e partie : généalogie des grands penseurs de l’Orientalisme aux XVIIIe et XIXe siècle
 Cite surtout les voyageurs : Sylvestre de Sacy, Chateaubriand, Flaubert, Nerval, etc.
-
3e partie : l’Orientalisme se politise davantage au début du XXe siècle
 Il est moins le fait des voyageurs que des administrateurs coloniaux
 Le discours devient parfois moins condescendant et plus sympathique envers les
populations concernées
 La politique américaine reprend les idées des orientalistes (cf. notamment le rôle de
Bernard Lewis)
II. Un livre salué et contesté
-
Tous les chercheurs se sont sentis visés par le livre d’E. Saïd
 Beaucoup y ont vu une attaque contre toute forme de travail occidental sur l’Orient
 Le livre de Saïd les a obligés à se situer par rapport au discours de leurs aînés et à se
départir d’un regard essentialiste
1) Se départir d’un regard essentialiste
-
De ce point de vue, le livre d’E. Saïd se situe dans le courant des Postcolonial Studies qui vise
à faire des populations concernées à nouveau des auteurs de leur histoire
 Cet aspect du livre a dans l’ensemble été plutôt salué
 Fonction de mise en garde appréciée par de nombreux chercheurs par la suite
2) Des critiques fortes
-
Le choix des auteurs cités par Saïd est souvent contesté
 Auteurs d’époques différentes
52
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
 Auteurs ayant eu des fonctions différentes
Beaucoup de textes sont analysés sans avoir eu recours à l’histoire de la science
 Les textes ne sont souvent pas mis dans leur contexte
 P. ex. l’idée qu’il faut classer les populations par leurs « races » ou religions est très
présente au XIXe siècle, pas seulement s’agissant de l’Orient
 Le concept de l’Orientalisme devient du coup assez anhistorique : comme l’Orient,
l’Orientalisme est figé dans le temps
-
Saïd met l’accent sur l’instrumentalisation politique des textes cités
 Or, il n’est pas sûr qu’un auteur comme Nerval ait eu avant tout des visées politiques en
écrivant ses textes
-
Le ton polémique du livre a également été critiqué
III. Une immense influence intellectuelle
-
Comme il s’agit d’une analyse du discours, il a stimulé un grand nombre d’autres études sur
le discours
1) D’autres études sur l’Orientalisme et les représentations européennes
-
Etudes d’autres types de discours
 Orientalisme pictural
 Etude des textes des voyageurs : distinction, notamment, entre voyageurs scientifiques
et voyageurs littéraires
-
Etudes sur les catégories en sciences sociales
 Ex. étude et déconstruction du découpage géographique du monde en 5-6 continents
 Cf. Jack Goody : l’Europe a imposé une certaine vue de l’histoire de façon à ce qu’elle
devienne le continent de la modernité à partir de la Renaissance
2) Caractéristiques et réalité de la fracture Orient/Occident
-
Renouvellement du débat avec Le choc des civilisations et ses critiques
 Cf. notamment : CORM, Georges : Orient, Occident, la fracture imaginaire, Paris, La
Découverte, 2002, 187 p.
3) L’Occident vu d’Orient
-
B. HEYBERGER, C. WALBINER : Les Européens vus par les Libanais à l’époque ottomane,
Beyrouth, Orient Institut der DMG, « Beiruter Texte und Studien », vol. 74 (2002), 244 p.
 Le discours européen, notamment sur la succession de différentes civilisations, est vite
relayé en Orient
 Montre que la fracture nette entre Occident et Orient n’est pas toujours opératoire
53
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
-
ROUSSILLON, Alain : Identité et modernité. Les voyageurs égyptiens au Japon (XIXe-XXe
siècle), Arles, Actes Sud, 2005, 252 p.
 De nombreux savants égyptiens se sont intéressés au Japon après sa victoire conte la
Russie en 1905
 Le Japon était vu comme modèle dans la mesure où il s’était développé et modernisé
très rapidement à partir de l’avènement des Meiji
 Montre que les Orientaux ne regardent pas que vers l’Europe
Conclusion du CM 11
-
Le terme d’orientaliste est désormais péjorativement connoté
E. Saïd a donné une très grande force à l’histoire des discours sur différentes régions
54
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
CM 12 : L’orientalisme ottoman
-
Une partie des Ottomans reprennent les clichés occidentaux sur l’Orient, notamment
s’agissant de la nature prétendument arriérée de celui-ci
I.
Un orientaliste ottoman, Osman Hamdi Bey
1) Osman Hamdi Bey (1842-1910), peintre et fonctionnaire ottoman
-
Contexte familial : le père d’Osman Hamdi Bey
 Mamlouk : esclave chrétien rescapé des massacres de Chio (1822) et formé au sein de la
maison d’un grand dignitaire ottoman
 Etudes à Paris de 1830 à 1838 (contexte des Tanzîmât)
 Revenu diplômé de l’École royale des Mines
 A assisté aux nombreux troubles du Paris des années 1830
 Épouse la fille d’un marchand aisé d’Istanbul
 Deviendra grand vizir en 1877
-
Formation d’Osman Hamdi Bey
 Envoyé à Paris en 1860 pour étudier le droit
 Ne se montre pas très assidu : il préfère la peinture et réussit d’ailleurs à exposer
quelques-unes de ses œuvres au Salon, tout en menant une vie de bohême
 Son père le force à rentrer à Istanbul en 1868 et le place dans l’équipe de Midhat Pacha
(1822-1884), gouverneur de Bagdad, chef de file des Tanzîmât et « un des agents les plus
efficaces de la centralisation ottomane » (Paul Dumont)
-
Fonctionnaire à Bagdad
 Contexte : volonté des Ottomans de développer Bagdad afin de mieux d’intégrer cette
ville frontalière dans le tissu administratif
2) Un regard orientaliste (cf. les extraits de lettres d’Osman Hamdi Bey à son père)
-
Mépris de la population
 Négation de la culture arabe
 Distinction caricaturale entre plusieurs catégories de la population
o Bédouins : primitifs
o Citadins : dépravés et malhonnêtes
o Chiites : danger pour l’Empire
-
Importance du développement économique
 Assimilation du progrès au bonheur
 Exploitation des ressources naturelles
 Importance des transports
o Permettent de véhiculer des biens et des idées
55
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
o
-
Permettent de resserrer les liens entre le centre et la périphérie de l’Empire
Volonté de transformer l’administration de l’Empire
 Critique de l’iltizâm (système d’affermage), qui favorise la corruption et la spoliation des
populations
3) D’autres préoccupations orientalistes : l’archéologie et les costumes
-
Osman Hamdi publie en 1873 Les costumes populaires de la Turquie, en collaboration avec
Victor-Marie de Launay
 Ouvrage commandé par le gouvernement ottoman à l’occasion de l’Exposition
universelle de Vienne de 1873
 Contexte historique : le XIXe siècle a inventé le folklore, qui s’exprime tout
particulièrement par les costumes dits « traditionnels » ou « populaires »
-
Etudes archéologiques
 Participation à des fouilles à Saïda (Sidon), où Osman Hamdi Bey prétendit avoir
découvert le sarcophage d’Alexandre le Grand, découverte contestée aujourd’hui
 En 1881, il est nommé à la direction du musée impérial ottoman
-
Conclusion sur Osman Hamdi Bey
 A la fois persuadé que l’Empire ottoman doit emprunter à l’occident et que l’Empire doit
parallèlement « civiliser » ses provinces arabes « arriérées »
 Ambiguïté d’Osman Hamdi Bey par rapport à la culture arabe : tout en la niant chez les
habitants des provinces arabes, il se montre fasciné par la culture islamique ancienne
(dont il représente souvent des motifs dans ses peintures) et s’extasie devant la beauté
de Damas
 Doute souvent de la capacité de l’Empire ottoman – et même des Européens – à civiliser
les populations d’Orient, jugées intrinsèquement arriérées
 Il s’agit d’un personnage assez exceptionnel, ne serait-ce que par la longue durée de son
séjour en France et sa fréquentation des grands artistes comme Gérôme
II. Orientalisme et ottomanisme
1) Orientalisme et colonialisme
-
L’Empire ottoman ne se modernise pas simplement par rapport à l’Europe, mais crée
également une politique interne de modernisation, qui vise en particulier les provinces
arabes
 Ambiguïté : les élites orientalistes ottomanes voient dans l’Empire un espace devant être
civilisé et civilisateur à la fois
 Investissements massifs de l’Empire dans les provinces arabes sous le règne d’AbdülHamîd II (volonté d’éventuelles forces centrifuges présentes dans ces provinces)
o Damas est équipée de l’éclairage et de tramways électriques en 1906, c’est-àdire avant Istanbul
56
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
o
1882-1908 : 2 350 km de voies ferrées construites en Syrie et au Hedjaz, contre
« seulement » 1 850 en Anatolie
 Envoi des meilleurs hauts-fonctionnaires
2) L’orientalisme ottoman
-
Les élites ottomanes dénoncent le retard des provinces arabes, et en particulier de l’Arabie
 Lutte contre les wahhabites
-
Volonté de « civiliser » toutes les populations des l’Empire dans un projet ottomaniste
 Ottomaniser la société, créer un « homme nouveau » ottoman
 Création de l’école des tribus en 1892 à Istanbul
-
Discours repris par certains auteurs arabes : cf. Boustani, Arslan
3) D’un discours nationaliste ottoman à un discours nationaliste turc
-
Discours nationaliste turc prend de l’ampleur après la révolution jeune-turque de 1908
-
Affirmation du prestige des Turcs
 Considérés comme ayant une histoire plus prestigieuse que celle des Arabes
 Placés au somme d’une hiérarchie des « races » englobant les différentes populations de
l’Empire
-
La Première Guerre mondiale renforce cette dynamique et la modifie
 On passe de l’idée que les Arabes doivent être « civilisés » à l’idée que les Arabes sont
des traîtres
 Toutefois, l’idée de « civiliser » les Arabes n’est pas complètement abandonnée, même
au cours de la Première Guerre mondiale (d’autant plus qu’une grande partie des SyroLibanais étaient favorables à l’Empire ottoman)
III. Un discours révélateur du changement de mode de gouvernance de l’Empire
-
Révélateurs de plusieurs choses
 Comment l’Empire se voit lui-même
 Comment l’Empire voit les relations avec ses sujets
1) Nouveau rapport au temps, nouveau rapport à l’espace
-
Le colonialisme est en large mesure tributaire de l’idée d’un décalage temporel entre les
sociétés (cf. Johannes Fabian : Time and the Other : How Anthropology Makes its Object, New
York, 1983)
-
Nouveau rapport par rapport aux provinces
57
Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding
 Auparavant : rôle très limité et purement « utilitaire » des provinces
o Glacis défensif
o Rentrées fiscales
o Réservoir d’hommes
 Désormais, les provinces doivent être véritablement intégrées à l’Empire
o Cf. l’édification d’horloges monumentales dans de nombreuses villes des
provinces arabes (Jérusalem, Naplouse, Alep, etc.)
2) Nouveau rapport aux différences religieuses
-
Avec les Tanzîmât, on proclame la volonté d’intégrer les différentes communautés dans
l’Empire
 cette politique perdurera pendant 50 ans
Conclusion
-
Un discours de la modernisation et de la modernité
 Projet de régénérescence de l’Empire
o Unit d’abord les élites des différentes communautés
o Finit par se faire dans la séparation
 Différence avec l’âge classique
o Auparavant, en cas de troubles (notamment politiques), on prônait le retour au
statu quo ante
o Avec la modernité, on prône le changement de système plutôt que le retour à un
modèle antérieur mythique : le passé n’offre plus de solutions, il est confiné dans
les musées et les manifestations folkloriques
58
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