Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Histoire du Proche-Orient ottoman - 2e semestre : Le Proche-Orient ottoman au temps des Tanzîmât - Le problème historiographique La plupart des histoires de l’Empire ottoman sont des histoires nationales o L’histoire est cloisonnée à cause des frontières actuelles qui sont différentes de celles de l’époque ottomane o Les histoires sont nationales et nationalistes Chacun se voit comme un cas particulier et met en avant sa singularité pour expliquer son indépendance Or l’indépendance n’était pas toujours en germe dans ces provinces et il n’était pas forcément nécessaire d’avoir un statut particulier pour prétendre à l’indépendance De nombreuses histoires de l’Empire ottoman partent d’une vision anthropologique de celui-ci, vision aujourd’hui remise en cause o Le XVIIIe siècle n’est plus vu comme la confirmation du déclin progressif de l’Empire o S’agissant du XIXe siècle, les historiens ne mettent plus l’accent sur « l’homme malade » que serait l’Empire ottoman, mais insistent sur le processus de réformes et la volonté de se maintenir et de se moderniser o Cette remise en cause suscite cependant de nouveaux questionnements : si le XVIIIe siècle n’est pas parcouru par des crises, alors pourquoi les réformes paraissent-elles si nécessaires au XIXe siècle ? L’historiographie traditionnelle partait de ruptures chronologiques claires o 1798 : Campagne de Bonaparte en Egypte et début de la pénétration européenne dans les provinces o 1839 : 1er texte fondateur de la période des Tanzîmât CM 1 et 2 : La politique des réformes - Entre 1789 et 1923, l’Empire ottoman connaît une ère de réformes, connue sous le nom de période des Tanzîmât (« réorganisation ») Ces réformes concernent tous les domaines de l’État : militaire, économique, administratif, judiciaire Objectif : renforcer l’État ottoman Ces réformes ont longtemps été vues comme une forme d’occidentalisation, subies par un État passif En réalité, le pouvoir ottoman a beaucoup plus de poids dans ce processus - Contexte du XIXe siècle Période d’affirmation des nationalismes (action centrifuge contre l’Empire) o l’Empire ottoman cherche lui-même à fédérer ses provinces et de valoriser l’Empire ottoman comme Etat national Menaces extérieures o Expansion coloniale européenne (surtout la France et la Grande-Bretagne) o Menace de la Russie 1 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Le XIXe siècle est une époque à la fois de renouveau et de crise - 5 dates clés 1836 et 1856 : Promulgation des deux textes fondateurs des Tanzîmât 1876: Constitution de l’Empire ottoman 1878: Fin de la guerre russo-turque, l’Empire perd l’essentiel de ses provinces européennes, il se recentre sur sa partie asiatique et l’Orient 1908: Révolution jeune-turque I. Des réformes venues du sommet de l’État 1) Les prémisses - Selim III (1789-1807) Réformes dans le domaine militaire o Déjà amorcée par Abdül Hamîd Ier (1774-1789) après la défaite contre les Russes (1769-1774) et le traité de Küçük Kaïnardji, très défavorable à l’Empire : la Russie devient la protectrice des chrétiens orthodoxes de l’Empire tandis que la Crimée devient indépendante (elle sera finalement annexée par la Russie en 1779) Création d’une artillerie moderne Création d’une marine moderne Présence de conseillers militaires étrangers, en particulier français (renvoyés en 1787) o Création d’un nouveau corps d’infanterie, le nizâm-i jedîd (« la nouvelle organisation ») But : créer une nouvelle armée différente des janissaires et des sipâhî Entraîné par des officiers français, anglais et allemands Soldats recrutés essentiellement en Anatolie par voie de conscription o 1795 : Création de l’École du génie militaire Destinée à former des officiers spécialisés, notamment pour l’artillerie o Poursuite de la modernisation de la marine o N. B. : Ces réformes ont un lourd impact sur les finances publiques de l’Empire et provoquent le mécontentement de nombreux dignitaires locaux, qui craignent le renforcement de l’État central à leurs dépens Réformes dans le domaine civil o Généralement, elles sont d’ampleur beaucoup moins importante que dans le domaine militaire Réorganisation des finances Approvisionnement des villes Meilleur contrôle du respect des traditions vestimentaires L’administration reste largement « sclérosée, corrompue ou incompétente » (Mantran) Recrutement moins par le devchirme qu’au sein des élites musulmanes locales : favorise le népotisme Enseignement n’a pas évolué depuis deux siècles 2 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding o Une exception : réformes importantes dans le domaine de la diplomatie Représentations permanentes en Europe 1793 : Londres 1795 : Prusse et Autriche 1797 : Paris (rupture des relations en 1798 suite à l’expédition de Bonaparte en Égypte) Si les ambassadeurs nommés dans les différentes capitales sont souvent incompétents, leurs secrétaires, nettement plus instruits, participeront plus tard à la mise en place des Tanzîmât La réforme militaire n’arrive pas à son terme o 1807 : Selim III est déposé suite à une révolte des janissaires (hostile à la nouvelle armée concurrente dont elle réclame l’abolition) o 1807-1808 : Mustafa IV, personnalité faible soutenue par les contreréformateurs, mais les deux camps s’affrontent o 1808 : Selim III est assassiné et Mustafa IV aussi peu après, Mahmud II est proclamé sultan - Mahmud II (1808-1839) Véritable initiateur des réformes dans l’Empire ottoman o Contexte : insurrection grecque (1821-1830), modèle de Mehmed Ali en Égypte o Peut compter sur un certain nombre de jeunes fonctionnaires bien formés (certains ont été secrétaires d’ambassade en Europe) et acquis à l’esprit des réformes Parachève la réforme militaire o Élimine les janissaires et les sipâhî en 1826 et les remplace par une armée moderne (celle-ci remplacera bientôt le turban par le fez, adapté de la chéchia tunisienne) o 1827 : Création d’une école de médecine militaire (volonté d’améliorer l’armée et la santé publique) En 1827, Mehmet Ali fonde aussi la 1e école de médecine en Egypte o Les premiers officiers sont formés en Europe (surtout en France et dans les États allemands) Réforme administrative o Réforme du gouvernement central Gouvernement divisé en ministères et départements (évolution progressive qui ne s’achèvera que dans les années 1870) Ex. en 1836, le bureau des chefs des secrétaires est transformé en ministère des Affaires étrangères Autres ministères : Intérieur, Justice, Finances, Agriculture, Travaux publics, Commerce Mise en place d’un Conseil de la Sublime Porte qui a pour tâche d’examiner les propositions de loi o Réformes touchant les sujets de l’Empire Recensements de la population Cadastre 3 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Collecte des impôts non plus par des fermiers, mais par des agents salariés de l’État (l’affermage sera toutefois partiellement rétabli par la suite) o Réforme du statut des fonctionnaires o Participe à la rédaction de la future charte de Gülkhâne, proclamée 4 mois après sa mort Nouvelle manière de régner o Apparition du sultan en public, organisation de réceptions et de bals o Voyages dans les provinces o Ouverture à l’étranger (le sultan parle le français et a adopté le costume à l’européenne) 1839 : Mahmud II meurt de la tuberculose, il est remplacé par Abdül-Mejîd (1839-1861) 2) L’ère des réformes (1839-1876) - 3 novembre 1839 : khatt-i cherîf (charte impériale ou noble rescrit) de Gülkhâne Préparé par Mahmud II mais promulgué par Abdül-Mejîd Rôle important de Mustafâ Rechîd Pacha (1800-1858), parfois considéré comme le « père » des Tanzîmât (Paul Dumont) o Origines modestes : fils d’un administrateur de waqf de Constantinople Profil atypique : ni esclave du palais ni membre de la haute aristocratie Toutefois, il doit être noté que Mustafâ Rechîd Pacha partage ce type de profil – tout comme une jeunesse vouée aux études religieuses, un apprentissage progressif des rouages de l’État et une bonne connaissance de l’Occident – avec d’autres chefs de file des Tanzîmât, tels Mehmet Emîn Alî Pacha (1815-1871), Mehmet Fû’âd Pacha (18151869) et Midhat Pacha (1822-1884) o Grâce à ses relations, il entre au bureau du grand vizir et monte les échelons o Devient ambassadeur en France et en Grande-Bretagne, où il s’affilie à la francmaçonnerie o Devient ministre des Affaires étrangères en 1837 et grand vizir en 1846 Contenu o Deux parties : un préambule et l’annonce des réformes o Marqué par une influence européenne et musulmane Volonté de revenir aux lois de l’Empire (charia) Réformer l’assiette et prélèvement de l’impôt, protéger les biens et les personnes, améliorer l’administration de la justice, rationaliser l’Etat Développer l’attachement des sujets à l’Empire o Limites Ne prononce pas d’égalité entre citoyens Il ne s’agit pas d’une constitution - 18 février 1856 : khatt-i Hümayün Promulgué une semaine avant la Conférence de Paris qui met fin à la guerre de Crimée 4 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Les réformes sont toujours en lien avec les interventions européennes sous couvert de protéger les minorités Amplification de la réforme de 1839 (texte plus précis et plus long) Contenu plus proche de l’esprit des Lumières o Egalité des sujets quelles que soient la religion et la classe Liberté de culte Disparition du statut de dhimmi Égalité devant l’impôt, fin de la jaziya Égalité devant la justice, l’accès aux emplois, le service militaire (toutefois : possibilité pour les non-musulmans de payer le bedel, taxe permettant le rachat du service militaire) o Invite toutefois les communautés à s’organiser elles-mêmes Chaque communauté doit se doter de textes réglementaires, souvent appelés constitutions « Une arme à double tranchant » (Paul Dumont) Mesure censée susciter la bienveillance des communautés minoritaires envers l’Empire Or, en leur accordant de gérer librement leurs affaires internes, elle les autorise aussi, du même coup, à s’enfermer dans leurs particularismes (une véritable vie politique parallèle se crée au sein de certaines communautés, notamment chez les Arméniens) - Constitution de 1876 Mise en place o Élaborée sous l’impulsion de Midhat Pacha, devenu grand vizir en 1876 o Promulguée par Abdül-Hamîd II (1876-1908) Arrivé au pouvoir après deux dépositions de sultan Affaibli par un manque de légitimité et un contexte de crise o But : Réfréner les velléités d’intervention des puissances européennes dans l’Empire Contenu o Etablit deux assemblées Une assemblée de notables nommés à vie par le sultan Une assemblée élue Parlement réuni pour la 1re fois en mars 1878 Vote le budget et les lois mais son pouvoir est faible o Limites Le sultan n’est responsable devant personne Le sultan nomme et démet les ministres, convoque et dissout le Parlement Peut recourir à des décrets pour contourner le pouvoir du Parlement Peut exiler des individus sur base d’un simple rapport de police (c’est d’ailleurs ce qui arrivera à l’un des auteurs de la Constitution de 1876) o Le texte contient néanmoins des nouveautés importantes 5 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Le pouvoir du sultan est limité par un texte Élection d’une Assemblée rend possible un débat public Constitue un précédent (son rétablissement sera réclamé par les JeunesTurcs en 1908) Une concession aux Européens o Efficacité limitée : en 1876, la France et la Grande-Bretagne laissent la Russie établir sa protection sur les Balkans 1878 : la Constitution est suspendue et Abdül-Hamîd exerce une autocratie o Toutefois, les réformes se poursuivent dans les domaines administratif, militaire, éducationnel 3) Les inflexions du règne d’Abdül-Hamîd (1876-1908) - Arrivée au pouvoir d’Abdül-Hamîd Contexte de crise : en mai-août 1876, 3 sultans se succèdent o Abdül- Azîz (1861-1876) est déposé suite à des révoltes dans les Balkans Ces révoltes sont favorisées par les Russes Abdül-Azîz a d’autant plus de mal à en venir à bout que les puissances protectrices traditionnelles de l’Empire ottoman (le Royaume-Uni et la France) sont sensibles aux nationalismes dans les Balkans Le sultan est déposé par une coalition disparate comprenant des conservateurs estimant que la répression n’est pas assez sévère et des libéraux désireux de réaliser des réformes pour couper l’herbe sous le pied des Européens o Murad V (mai-août 1876) Neveu d’Abdül-Azîz Candidat des libéraux : il est franc-maçon et proche des partisans des réformes Toutefois, il se montre incapable d’assumer le pouvoir, sans doute parce qu’il est malade, psychologiquement fragile et alcoolique (il n’arrive même pas à se rendre à la cérémonie d’intronisation) Abdül-Hamîd, frère de Murad V, complote derrière son dos pour le déposer o Abdül-Hamîd II Lors de son avènement, il est plus ou moins inconnu : l’on ignore ses orientations politiques Il apparaît d’abord comme un sultan libéral, puis se montre de plus en plus despotique Formation et goûts d’Abdül-Hamîd II o Instruit au sein du palais, avec différents maîtres particuliers o Parle arabe, persan, français o A reçu un enseignement islamique o Savait travailler le bois o Savait jouer le piano, goût pour la musique classique 6 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding o Aimait peu la littérature romanesque : il préférait les policiers, qu’il se faisait traduire o Très intéressé par la finance et l’économie o Très croyant (ce qui ne l’empêchait pas de boire un verre de champagne de temps en temps pour calmer ses nerfs) Instabilité du règne d’Abdül-Hamîd à ses débuts o Deux tentatives d’attentat contre sa personne pendant les deux premières années de son règne o Abdül-Hamîd se montre de plus en plus obsédé par la peur de perdre son trône et la crainte d’un dépeçage de l’Empire Mise en place d’un « absolutisme constitutionnel » (Niyazi Berkes) o La Constitution de 1876 n’est pas abrogée, mais seulement suspendue o Le sultan gouverne directement : les grands vizirs, nommés et révoqués à tour de bras, deviennent de simples exécutants de la volonté impériale o Empire gouverné par le biais d’une administration qui croît rapidement o Mise en place d’un État policier : police politique, indicateurs, délation, système de passeports (l’Empire ottoman est le 1er pays à avoir établi ce système, avec la Russie) o Renforcement de la censure - Évolution de l’historiographie au sujet d’Abdül-Hamîd Longtemps décrié, surtout par l’historiographie kémaliste, comme ayant mis fin aux réformes Sa figure a subi une certaine réévaluation ces dernières années o Les tenants de l’islam politique y voient un pionnier, quitte à lisser un peu son image Politique « panislamiste » Envoi d’émissaires dans d’autres pays musulmans Promotion du califat, présenté comme une sorte de papauté (ce qui n’était nullement conforme à la tradition) Rôle accru de l’islam dans l’enseignement Construction de nombreuses mosquées o La plupart des historiens contemporains, y compris en Europe, estiment que le règne d’Abdül-Hamîd n’a pas mis fin à toute réforme Renforcement de l’État et de l’administration Développement de l’enseignement Modernisation de la justice Extension des infrastructures II. Une nouvelle administration 1) Une législation nouvelle - Code pénal 7 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Promulgué en 1840, révisé en 1851, remplacé en 1858 par un code d’inspiration française But : instaurer l’égalité des citoyens devant la loi pénale, exclure le recours à la coutume - Code foncier (1858) Établissement d’un cadastre dans les provinces - Codification de la sharî’a dans le mejelle (1870-1877) Équivalent ottoman du Code civil Impact important sur les provinces arabes provinces arabes - L’ensemble de ces textes émane des bureaux de la Sublime Porte (c--à-d. du gouvernement), qui ne cesse de croître Mise en place progressive d’organes spécialisés : création de conseils, qui se transforment après en ministères Toutefois, Abdül-Hamîd, estimant que trop de décisions ont été prises par la Sublime Porte, s’efforce de faire prendre un nombre plus important de décisions au Palais Augmentation du nombre de fonctionnaires o Fin XVIIIe : 2 000 scribes o Fin XIXe : 35 000 à 70 000 fonctionnaires 2) Une nouvelle administration provinciale - Administration régie par loi de 1864, modifiée en 1867 et 1871 Nombreuses modifications - Découpage territorial (liste par ordre décroissant) Vilâyet (province) Sandjak Kazâ Nâhiye Village ou quartier - Toutefois, les différences entre provinces sont très importantes L’Égypte est quasiment indépendante du sultan depuis l’avènement de Mohamed Ali en 1805 o Mohamed Ali met lui-même en place des réformes économiques et sanitaires Développement de la culture du coton Création de la première école de médecine du Caire sous la direction du médecin français Clot Bey (1827) Le Liban bénéficie d’un nouveau statut en 1861 à la suite du conflit très meurtrier entre chrétiens (maronites surtout) et druzes au Mont-Liban en 1860 (conflit précédé de 20 ans de troubles à partir de 1840) o Certaines réformes sont donc le résultat de crises politiques circonscrites dans le temps et l’espace 8 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding o o Le nouveau statut prévoit que le gouverneur du sandjak du Mont-Liban (siégeant à Bayt el-Dîn) sera chrétien et nommé d’un commun accord par les grandes puissances européennes et l’Empire ottoman Jusqu’en 1914, le Mont-Liban ne connaîtra quasiment plus de troubles 3) De nouvelles relations intercommunautaires - En 1856, on abolit de fait le statut de dhimmi Ce changement et les nouveaux droits qui l’accompagnent heurtent en partie les populations musulmanes (il est en partie à l’origine des troubles de 1860) - Les chrétiens sont en expansion économique au XIXe siècle Certaines révoltes ont une dimension sociale : les massacres à Damas en 1860 ont avant tout pour cible les quartiers riches chrétiens (les quartiers populaires sont largement épargnés) - Mise en place du système des millet XIXe siècle : désigne surtout les gens du Livre Auparavant, le terme renvoyait surtout à des ethnies (ex. les Kurdes) Les Européens s’intéressent de plus en plus aux différentes communautés, dans lesquels ils voient des nations en devenir Cet intérêt est à son tour instrumentalisé par certaines communautés ou par des membres de celles-ci III. Nationalisme et appétits européens : les difficultés de l’Empire - Les réformes se déroulent dans un contexte très difficile pour l’Empire ottoman et en réponse à celui-ci 1) La question d’Orient - Terme renvoie globalement à la question de savoir quelle devait être la politique des grandes puissances européennes à l’égard de l’Empire ottoman - Émergence avec la question de l’indépendance grecque Révolte grecque dès 1826 Mohamed Ali chargé de mater la révolte avec l’aide de son fils Ibrahim Pacha Grecs défendus par la Russie (question grecque va au-delà des seuls Grecs : touche aussi les populations balkaniques) À la conférence de Londres en avril 1830, les Ottomans reconnaissent l’indépendance de la Grèce et l’autonomie de la Valachie, de la Moldavie et de la Serbie - Conquête de la Syrie par Mohamed Ali (1833-1840) En récompense des services rendus, Mohamed Ali avait demandé la Crète Suite au refus du sultan, il conquiert la Syrie (1833) 9 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Le sultan est obligé de reconnaître Ibrahim Pacha gouverneur de Syrie, du Hedjaz et de Cilicie En 1840, le sultan parvient à déloger Ibrahim Pacha, lâché par les Français, avec l’aide des Britanniques (qui redoutent surtout le développement de la puissance maritime de Mohamed Ali) Mohamed Ali obtient toutefois un certain nombre de concessions o Le gouvernorat héréditaire sur l’Égypte, qu’il gouverne avec le titre de khédive o La domination sur l’ensemble de la vallée du Nil La Syrie traverse toutefois une période de troubles jusqu’en 1860 2) La guerre de Crimée (1853-1855) - À l’origine : question de l’accès aux lieux saints (1851-1852) Les catholiques demandent à avoir accès à l’église de la Nativité et au Saint-Sépulcre Les orthodoxes refusent, arguant du fait qu’ils disposent d’un firman du sultan ottoman datant de la fin du XVIIIe siècle En 1852, le sultan accorde 3 clefs aux catholiques, qui ont le droit de traverser le sanctuaire mais pas celui d’y officier Le firman de 1852 est vécu comme un affront par les Russes, qui chercheront désormais un prétexte pour intervenir dans l’Empire, réclamant au sultan de placer formellement l’Église orthodoxe sous la protection de la Russie Le tsar était apparemment d’avis que les Britanniques le laisseraient faire : en 1853, il fait une remarque restée célèbre à l’ambassadeur d’Angleterre en Russie, comparant l’Empire ottoman à un « homme malade » au sujet duquel il faudrait prendre « les dispositions nécessaires » o Les Russes proposent un partage des dépouilles de l’Empire Les Russes recevraient la Moldavie, la Valachie, la Serbie et la Bulgarie Les Anglais pourraient s’établir en Égypte et en Crète Istanbul deviendrait un port libre o Les Anglais refusent de répondre favorablement à ces propositions - Guerre sur deux fronts Balkans o Les Russes commencent les hostilités, franchissant le Danube en mars 1854 o Toutefois, leurs forces courent à la débâcle, face à la rapide progression des alliés anglo-franco-ottomans (ce sont surtout ces derniers qui supportent l’essentiel du poids des hostilités) Mer Noire o Objectif des Anglais : anéantir la puissance maritime russe o Bataille de Sébastopol (1854-1855) Enjeu : port militaire fortifié de la flotte russe de la Mer Noir Préfigure les guerres du XXe siècle : engagement d’effectifs très nombreux, photographie, presse - Traité de Paris de 1855 10 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Met fin à la guerre Garantit intégrité de l’Empire Sanctionne en même temps les ingérences européennes dans les affaires de l’Empire Interdit le passage de flottes militaires par les Détroits, y compris pour les puissances riveraines (donc aussi pour les Ottomans!) Français et Anglais apparaissent désormais comme les garants de l’intégrité de l’Empire 3) La crise balkanique de 1876 - Révolte paysanne en Bosnie, en Herzégovine et en Bulgarie Paysans (souvent chrétiens) se révoltent contre la pression fiscale et les grands propriétaires musulmans Effets importants de cette révolte fiscale o L’Empire souffre déjà de problèmes financiers o Se mue de plus en plus en révolte nationale soutenue par les puissances occidentales - Constitution proclamée pour amadouer les puissances européennes - Les Russes attaquent en 1877, s’approchent d’Istanbul début 1878 Traité initial trop favorable aux Russes aux yeux des autres puissances européennes : réécrit à Berlin en juillet 1878 Pertes territoriales importantes pour l’Empire ottoman o Bosnie et Herzégovine (occupées et administrées par l’Autriche-Hongrie o Roumanie, Monténégro, Serbie (indépendance pleine et entière) o Bulgarie (principauté autonome) o Régions de Kars et d’Ardahan (cédées à la Russie) o Chypre cédée à la Grande-Bretagne en récompense de son effort pendant la guerre de Crimée et son soutien diplomatique pendant la crise des Balkans Pertes totales : 220 000 km2, 5,5 millions d’habitants (soit près de 20 % de la population totale de l’Empire) - Conséquence : un Empire plus asiatique et plus musulman Entre 1876 et les années 1880, la part de musulmans dans la population totale est passée de 68 % à 76 % Conformément à la politique d’Abdül-Hamîd II, l’islam remplace l’«ottomanisme » comme principe de solidarité de l’Empire Réformes poursuivies, mais de plus en plus critiquées dans la mesure où elles n’ont pu empêcher les pertes territoriales de l’Empire Méfiance accrue envers l’Europe et les minorités au sein de l’Empire Jusqu’à la fin du siècle, sous le règne d’Abdül-Hamîd, l’Empire connaîtra moins de crises - 11 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding CM 3 : Les familles au Moyen-Orient à l’époque ottomane - Il s’agit d’un champ de recherche qui se développe depuis environ 15 ans - Cliché courant (cf. aussi les écrits de Naguib Mahfouz) À l’origine, il y avait une grande famille : unie, patriarcale, hiérarchisée Aujourd’hui, on est arrivé à une famille plus nucléaire, mettant davantage en valeur les individus Cette évolution est commentée positivement ou négativement, selon le point de vue des auteurs - Le cliché susmentionné est remis en question par les historiens pour différentes raisons Vision trop linéaire Vision trop eurocentriste Vision trop téléologique - Sources exploitées par la recherche moderne Archives des tribunaux (exploitées systématiquement seulement depuis 15 ans) : divorces, séparations, querelles conjugales, etc. Recueils de fatwas o Problème : on ne sait jamais si les fatwas répondent à des vraies questions émanant des croyants ou de questions posées par le mufti lui-même Actes de fondations pieuses (waqfiyya) o waqf souvent détourné pour léguer des biens à des concubines, etc. o permettent d’avoir une idée du patrimoine Recensements o Recensements ottomans au XVIe siècle (hâne) se faisaient par foyer (5 personnes en moyenne) o 1er recensement par tête : Égypte, 1848 Fait sur la base de la méthode française Vient seulement d’être analysé, avec des enseignements spectaculaires er o 1 recensement ottoman : 1885 Sources littéraires o Terme désigne toutes les sources qui ne sont pas des archives : lettres, écrits personnels, etc. - État actuel de la recherche surtout limitée aux villes limitée à certaines régions : Anatolie, Syrie-Liban-Palestine, Le Caire - Acquis ayant émergé de la recherche récente la famille nucléaire était plus répandue qu’on ne l’avait pensé o il s’agissait probablement de la forme dominante de famille : 50-60 % 12 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding o cela contredit non seulement les hypothèses autrefois émises par les chercheurs occidentaux, mais aussi ceux véhiculés par les savants musulmans foyer-type : une famille tantôt nucléaire, tantôt élargie (famille à géométrie variable) o changement de la structure familiale entraînée par la mort du chef de famille variables déterminant la présence d’une famille nucléaire ou élargie o propriété terrienne o classe sociale o prospérité économique - Terminologie usra et ‘âila ne sont pas employées à l’époque on utilise plutôt ahl et qarâba - Caractéristiques de la famille-type dans un environnement urbain Famille nucléaire réduite (surtout dans les grandes villes comme Istanbul ou Le Caire) Espérance de vie courte des membres de la famille Importance des relations avec les voisins o Certains immeubles de rapport (loués) au Caire pouvaient héberger jusqu’à 100 personnes o Dans ces immeubles, des gens de différentes familles cohabitent : la séparation des sexes est souvent difficile o Les voisins sont au courant de tout ce qui se passe dans la famille : tout le monde est notamment au courant des disputes conjugales et témoigne au tribunal o Dans ces espaces semi-privés, les voisins se comportaient souvent comme les membres d’une même famille (toutefois, ils n’étaient pas considérés comme des membres de la famille pour ce qui était des successions) Recensement à Istanbul en 1907 o 60 % de la population vivait dans des familles nucléaires ou seul o Moyenne : 4,2 personnes/foyer Suppose une contraception énergique Suppose une ambition de natalité limitée o 46 % des foyers d’Istanbul comptaient moins de 3 personnes o Estimations s’agissant de la campagne : 5-6 personnes/foyer Recensement au Caire en 1848 o Majorité des foyers sont des familles conjugales, des personnes seules ou des célibataires partageant un même foyer o Moyenne : 3,54 personnes par foyer o 16 % des ménages ont une femme à leur tête (on pense que ce chiffre est même en-dessous de la réalité : souvent, un fils adolescent était déclaré comme chef de famille, alors que dans les faits, c’était sa mère qui prenait les décisions) o La majorité des femmes travaillent À domicile À l’extérieur : ouvrières du textile, colporteuses, coiffeuses, masseuses, cuisinières, entremetteuses, blanchisseuses, sages-femmes, nourrices, laveuses de cadavres, chanteuses, danseuses 13 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding o o - Dès l’âge de 10-14 ans, 70 % des garçons vivaient sans leurs parents Soit, ils avaient perdu leurs parents Soit, ils vivaient ailleurs Ces garçons sont souvent déclarés comme chefs de ménage Le patriarcat ne pouvait pas vraiment se développer, car l’espérance de vie des pères était réduite : les patriarches, si patriarches il y avait, avaient entre 35 et 40 ans Le mariage (nikâh) Le terme arabe susmentionné véhicule l’idée de contrat (par opposition à une idée de sacralité) À l’époque, tout le monde se mariait (aujourd’hui, il y a 9 millions de célibataires en Égypte !) o L’individu en tant que tel a peu de valeur : on n’a un statut que si on est marié Le mariage moyen était peu durable (en dépit de l’image des familles bourgeoises telles qu’on les trouve p. ex. chez Naguib Mahfouz) o La répudiation (talâq) se faisait à l’initiative de l’homme, sans formalités o Toutefois, en vertu du mécanisme du khul’, la femme pouvait réclamer d’être répudiée en échange d’une renonciation aux droits dont elle aurait normalement pu jouir en cas de divorce Renonciation au mahr somme d’argent donné par le mari à la femme en échange du mariage une part est versé à la consommation du mariage, une autre à la répudiation Renonciation au nafaqa mari doit subvenir aux besoins de sa femme pendant la durée du mariage Don nuptial (sadâq) Bijoux Comment se mariait-on ? o L’endogamie (de préférence avec la cousine paternelle : bint al-‘âm) est fréquente, mais souvent atypique Il y plus de mariages du côté maternel Toutefois, l’endogamie n’est pas aussi dominante qu’on l’a cru o La polygamie Pas répandue du tout Toutefois, il y avait des variantes énormes (chiffres du XIXe siècle) À Bursa, 1 % des hommes mariés étaient polygames Idem dans les Balkans 5 % à Damas et au Caire 16 % à Naplouse Causes de cette désaffection de la polygamie Économiques : à la campagne, la polygamie était plus répandue qu’en ville 14 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Idéologiques Se limite à certaines classes sociales Oulémas Descendants du prophète Bédouins Les maris polygames épousent rarement 4 femmes : ils sont plus souvent bigames, avec cependant un certain nombre de concubines - Le harem A disparu avec la disparition de l’esclavage Lieu de pouvoir important : le sultan vivait dans son harem Dirigés par des eunuques o La grande féministe égyptienne Hoda Sha’râwî, qui s’est dévoilée publiquement en 1923, avait été élevée par des eunuques et mariée à 12 ans (la réalité qu’elle décrivait et dénonçait était toutefois minoritaire) Adbül Hamid II avait renoncé au harem et prenait ses repas seul avec sa femme, conformément aux idéaux petit-bourgeois de l’ère victorienne et de la IIIe République française - Le nom La femme ne perd jamais son nom et garde des liens avec sa famille de naissance (dans laquelle elle peut se réfugier en cas de divorce) Dans la plupart des provinces, le nom de famille apparaît tardivement o Exceptions : Syrie, Algérie, Tunisie o Algérie : loi française de 1882 contraint les Algériens de s’enregistrer avec un nom de famille (d’où aussi l’orthographe souvent déroutante des noms algériens, enregistrés par des fonctionnaires français) o Iran : vers 1930, l’État impose des noms de famille (quelquefois, les familles ont pu choisir leur nom) o Turquie : dans les années 1930, les autorités proposent un nombre très limité de noms de famille (d’où beaucoup d’homonymes en Turquie) - Renforcement du patriarcat au XIXe siècle (Empire ottoman, Maroc) Facteurs o Travail industrialisé o Modernisation sanitaire Enseignement d’une politique nataliste aux sages-femmes Avant la mise en place d’une politique sanitaire publique et réglementée, les femmes recouraient à des sages-femmes non seulement pour l’accouchement mais aussi pour des avortements - Les esclaves Même les familles modestes avaient un esclave Traditionnellement, ils étaient convertis à l’islam 15 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - Restes très liés à la famille du marchand qui les a formés, et dont ils portent souvent le nom (ils font partie de sa bayt) Affranchis, ils héritaient parfois de la fortune de leur maître Le conflit de générations au début du XXe siècle Concomitant avec la 1re phase de la transition démographique : natalité forte, mortalité recule 16 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding CM 4 : Les transformations des campagnes - Introduction : données démographiques (cf. statistiques sur le plan du cours) Les statistiques concernant les provinces arabes sont moins fiables que celles relatives au cœur de l’Empire (Istanbul, Roumélie) La population de l’Empire a stagné ou décru au début du XIXe siècle o La croissance des populations musulmanes ne commencera qu’à partir des années 1870 o Toutefois : croissance plus forte des populations chrétiennes et juives Mortalité des chrétiens diminue plus vite et plus tôt (à partir de 1830) : phénomène corrélé à la prospérité relative de ces communautés Conséquences sur les rapports sociaux Dans certaines régions ou villes, les chrétiens sont plus riches que les musulmans Cet enrichissement est dû au rôle d’intermédiaire joué par les minoritaires entre les autorités ottomanes et l’occident La montagne libanaise est entièrement mise en valeur : les chrétiens progressent vers le Chouf, traditionnellement occupé par les druzes Quid des Juifs ? Moins de sources exploitées, moins d’ouvrages Quelques publications récentes I. Transformation des populations des campagnes 1) Les migrations, conséquences des pertes territoriales - Pertes territoriales (au profit de puissances chrétiennes) Caucase (Russie) Balkans (États indépendants, Russie, Autriche-Hongrie) - Émigration de nombreux musulmans des territoires perdus vers l’intérieur de l’Empire Ces émigrants sont appelés muhâjir Nombre très important : on estime qu’il y a eu 3 millions de migrants venus du Caucase, de Crimée, du Kuban et des Balkans entre 1854 et 1908 Utilisés par le pouvoir central pour coloniser des régions considérées comme marginales ou peu peuplées o Une loi de 1867 leur promet des lopins de terre et leur accorde des exemptions d’impôts et du service militaire pouvant s’étendre sur plus de 10 ans, en fonction du lieu d’installation choisi o Territoires particulièrement concernés : Jordanie (installation de Tcherkesses ou Circassiens), zones sous-peuplées de la Roumélie et de l’Anatolie - Perte de populations 17 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Avec l’indépendance de la Grèce et la progression de la Russie, des chrétiens de l’Empire décident de quitter celui-ci Émigration vers les États-Unis Toutefois, le solde global est positif pour l’Empire : il reçoit plus de musulmans qu’il ne perd de chrétiens 2) La sédentarisation des bédouins - Objectifs Mise en culture de certaines terres Éviter les razzias contre les villages et les voyageurs Augmentations des rentrées fiscales - Conséquences positives en Cilicie Boom agricole suite à la sédentarisation des bédouins Cf. aussi les romans de Yaşar Kemal sur cette époque, notamment Mehmet le Mince - Sédentarisation des bédouins en Syrie/Palestine 1re phase à l’époque de la domination égyptienne : mise à l’écart des bédouins 2e phase après la Guerre de Crimée 3) L’exode rural - Explique en grande partie la croissance des villes - Se nourrit de la croissance démographique - Lié au développement de l’endettement des paysans Ex. dans le Hauran (région près de Damas), des villages entiers sont désertés II. Le contrôle de la terre - Développement de la propriété privée, qui n’existait pas de la même façon avant cette époque - Constitution de grands domaines fonciers Appartiennent souvent à des grands propriétaires absents 1) Du village aux grands propriétaires - Le village ne perd pas son rôle, même si celui-ci se retrouver concurrence par celui des grands propriétaires - Conseil des anciens Regroupe cheikhs du village 18 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Forme lien entre villageois et autorités Doit se charger du gîte et de la nourriture des armées passant par le village - Grands propriétaires Exemples o À la fin de son règne, Ismaïl (1863-1879) possède 1 million de feddans (40 millions d’ares), c’est-à-dire 1/5 de la superficie utile de l’Égypte o Abdelkader en exil à Damas avait acquis 4 villages dont les habitants ne pouvaient payer les dettes o La famille Sursoq possédait de très nombreuses terres en Palestine (qu’ils vendront par la suite au Fonds national juif) Concentration des moyens permet de développer l’agriculture, y compris en recourant à des techniques modernes 2) Les transformations du statut de la terre a) Avant le XIXe siècle - Terres mulk (terres en pleine propriété) Très minoritaires - Terres miri (terres appartenant au sultan) Attribuées aux fermiers de l’impôt, conformément au système de l’iltizâm Attribuées parfois à des paysans Leur loyer devait être défini chaque année, en théorie - Waqf Permettent d’échapper au statut de terres miri b) Évolution au cours du XIXe siècle - Terres miri se rapprochent du statut des terres mulk Toutefois, l’État vérifie à chaque fois que les terres sont bien mises en culture : si tel n’est pas le cas, il les reprend - L’Égypte de Mohamed Ali a précédé l’Empire ottoman en abolissant entièrement le système de l’iltizâm 3) Les impôts - Transformation d’un système d’affermage en système à perception publique Permet, en théorie, des impôts plus justes - Mise en œuvre inégale En Égypte, l’abolition de l’iltizâm est inégale 19 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding En Syrie/Palestine, l’affermage demeure en vigueur jusqu’au début du XXe siècle III. Les nouvelles cultures 1) Les encouragements à la modernisation de l’agriculture - Rentre dans le cadre des politiques des Tanzîmât - Institutions mises en place Ministère de l’Agriculture créé en 1846 Banque agricole créée en 1888 - Rôle joué par l’Administration de la dette ottomane Organe créé en 1881 regroupant des créanciers (essentiellement britanniques et français) de l’Empire Principe : créanciers se remboursent sur les richesses de l’Empire avant que celles-ci ne rentrent dans le budget de l’État Certains impôts ottomans vont directement dans les caisses de l’Administration de la dette (notamment celui sur la soie) Les industries les plus lucratives sont donc encouragées, dans la mesure où elles enrichissent les créanciers de l’Empire À la fin du règne d’Abdül-Hamîd II, cet organisme était devenu un véritable « État dans l’État » (François Georgeon), employant 5 500 personnes, plus que le ministère des Finances et contrôlant 30 % du revenu de l’État 2) Le développement des cultures commerciales - Boom du coton (notamment en Égypte et en Syrie) pendant la Guerre de Sécession aux USA (1861-1865) Reprise de la demande après 1900 - Industrie de la soie Exportations vers la France : 309 000 kg en 1855 1,265 t en 1875 - Oranges « de Jaffa » (Palestine et Liban) D’abord destinées au marché ottoman Expédiées en Europe à partir de 1870 (meilleur conditionnement) - Autres produits d’exportation Céréales Fruits secs (en particulier les raisins et les figues) Tabac Opium 20 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding CM 5 : Croissance des villes et transformations du réseau urbain - Deux facteurs essentiels de transformation des villes Augmentation de la population en général et de la population urbaine en particulier Les Tanzîmât o Transformations politiques : pouvoir central exerce un contrôle plus fort sur les provinces et, partant, sur les villes qu’il dote d’infrastructures essentielles o Transformations économiques : développement des échanges I. Croissance des villes, changements dans le réseau urbain - Transformation du réseau urbain (c.-à-d. de la hiérarchie des villes entre elles) Des villes moins importantes deviennent importantes o Cf. Beyrouth (quelques milliers d’habitants seulement au début du XIXe siècle) o Concerne surtout les villes côtières Des villes importantes deviennent moins importantes o Cf. Acre, Saïda, Alep, Damas o Il s’agit surtout de villes de l’intérieur - Transformation de la fonction des villes - Changements dans l’aménagement urbain et dans l’habitat 1. La croissance urbaine - Période difficile dans la 1re moitié du XIXe siècle : épidémies récurrentes Peste (revient tous les 5-10 ans) o Alep en 1827 : entre 20-25 % de la population meurt de la peste o Bagdad en 1831 : 7 000 personnes meurent en deux semaines (sur moins de 100 000 habitants à l’époque) o Cf. France : dernière peste en 1720 à Marseille Choléra o Vient de l’Inde via le Hedjaz o Apparaît d’abord dans les provinces de l’Irak dans les années 1820 o Beyrouth en 1865 : 3 000 morts par le choléra Conséquences o Populations s’enfuient o Tout le monde n’est pas touché de la même manière : p. ex. les chrétiens catholiques du Liban ont plus de facilités pour s’enfuir dans la montagne libanaise, ou ils ont souvent de la famille o Mesures sanitaires Quarantaine (ex. Beyrouth en 1834) Création d’hôpitaux militaires 21 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - Toutes les villes ne croissent pas de la même façon (cf. le tableau sur le plan de cours) Croissance importante des grandes villes portuaires : Istanbul, Salonique, Izmir (Smyrne), Toutefois, certaines villes intérieures sont également concernées o Jérusalem (immigration juive) 28 000 habitants en 1870 75 000 habitants en 1914 - Facteurs Exode rural (ex. la montagne libanaise est pleine) 2. Une faible augmentation du taux d’urbanisation - Le nombre relatif d’urbains augmente très peu Le taux d’urbanisation serait passé de 17 à 22 % entre 1800 et 1914 o Irak : 25 % o Grande Syrie : 25 % Cette évolution contraste avec l’urbanisation des pays occidentaux qui auparavant étaient moins urbanisés que l’Empire ottoman - Raisons Déclin de certaines villes Déclin de certaines activités économiques (cf. industrie textile à Alep et à Damas) 3. Les transformations du réseau urbain - Certaines villes de l’intérieur décroissent beaucoup Diyarbekir (affrontements entre Kurdes et chrétiens) - Certaines villes côtières croissent à un rythme très rapide Istanbul, Salonique, Izmir (Smyrne), etc. - Cas de Jérusalem Croissance surtout due à immigration juive Changement de la population juive : désormais, la majorité des juifs sont Ashkénazes II. De nouvelles fonctions pour les villes 1. Politiques - Construction de nouveaux bâtiments Casernes Palais pour les gouverneurs Hôpitaux Bâtiments administratifs 22 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - Structures municipales mises en place 1854 : Istanbul gouvernée par un maire assisté par des conseillers municipaux Change aussi recrutement des fonctionnaires, qui auparavant étaient majoritairement issus du corps des oulémas 1877 : Nouvelle méthode d’administration municipale étendue au reste de l’Empire (cette réforme est mise en place progressivement) Développement progressive d’une nouvelle forme de bureaucratie - Création de quartiers administratifs Cf. Vieux sérail à Damas 2. Économiques - Transports Tramway à traction animale Métro d’Istanbul (vérifier date) - Communications Télégraphe - Routes Route Beyrouth-Damas (1860-1863) : on met désormais 24h pour aller d’une ville à l’autre (contre 4 jours auparavant) Quelques rares automobiles avant 1914 - Ports 1890-1895 : agrandissement du port de Beyrouth Embauchent de nombreux ouvriers Désormais, les villes dynamiques commercent surtout avec l’Europe - Modernisation favorise tourisme - Banques Souvent à capitaux européens 3. Culturelles - Institutions d’enseignement L’enseignement ne passe plus nécessairement par des institutions religieuses Même les différentes communautés religieuses créent des établissements en dehors des mosquées, des couvents ou des synagogues III. Nouveaux quartiers, nouveaux aménagements, nouveaux modes de vie 1. De nouveaux quartiers 23 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - Autour des ports - Dans les faubourgs Villes sortent des murs - Intérieur des villes se densifie Surtout dans les villes comptant un nombre important d’ouvriers - Changements dans le tissu urbain Ex. à Jérusalem, les juifs s’établissent désormais surtout à l’ouest de la Jérusalem 2. Les aménagements urbains - Changements architecturaux Maisons à toits de tuile (et non plus à toits plats) Voirie élargie et pavée Percement d’avenues Places (la place des Martyrs de Beyrouth s’appelait autrefois place Hamidiyye) 3. De nouveaux modes de vie - Nouveaux types d’ameublements Auparavant, on dormait sur des nattes qui étaient rangés la nuit et on mangeait avec les mains sur des tables basses Apparition de lits, d’armoires, de tables de salle à manger, de couverts L’usage de se déchausser se perd (les gens ne sont plus assis par terre) N. B. : à l’époque, ces changements se limitent aux milieux urbains ! 24 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding CM 6 : Circulations et migrations - En matière de circulations, la rupture se situe moins au début du XIXe siècle (expédition de Bonaparte) qu’à partir des années 1860 I. De nouveaux moyens de circulation qui n’effacent pas les anciens 1) Amélioration des routes anciennes, construction de routes nouvelles - Nouvelles routes Route Beyrouth-Damas (1860-1863) Route Jérusalem-Jaffa (1869) o Les 60 km séparant les deux villes pouvaient désormais être parcourus en 12h, contre 24h auparavant - Réfaction de routes anciennes Règlementations nouvelles publiées en 1863 et 1869 : précisent largeur des routes, matériaux à utiliser, etc. Recours à la corvée : recrutement forcé d’hommes pour une période limité o Mal acceptée par la population o Réglementée en 1869 o Supprimée en 1879 o Remplacée par un impôt pour l’entretien des routes en 1891 2) Les voies de chemin de fer - Évolution générale 1878 : 1 800 km 1908 : 5 800 km - 1892 : une voie de chemin de fer double la route Jaffa-Jérusalem - De manière générale, ces voies sont construites sous le régime de la concession Le concessionnaire est le plus souvent une entreprise européenne, avec toutefois des intermédiaires locaux o Les concessionnaires locaux ne peuvent pas toujours réunir les fonds nécessaires Cf. renonciation de la famille Sursok à construire une ligne Haïfa-Damas Des concessionnaires français finiront par construire une ligne BeyrouthDamas, ouverte en 1895 Ce système est également appliqué pour les routes, les ports et l’électricité - Mise en place de lignes de chemin de fer renforce certaines dynamiques économiques Avec la mise en place du chemin de fer, Beyrouth devient réellement le port de Damas 25 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding 3) Les transports maritimes - Évolution plus ancienne : navigation à vapeur date du milieu des années 1830 - Lignes françaises des Messageries Maritimes Certains armateurs reçoivent des subventions pour emprunter certaines lignes avec régularité : facilite communications Exemples de lignes o Marseille-Le Pirée/Smyrne-Istanbul o Smyrne-Beyrouth-Alexandrie o Marseille-Istanbul o Marseille-Malte-Beyrouth (1845) Favorise régularité o Années 1830 : lettres mettent jusqu’à 6 mois, se perdent souvent o Années 1860 : lettres mettent 1 mois, ne se perdent plus - Disparition de la course Commerce maritime devient plus sûr - Canal de Suez Construit par Ferdinand de Lesseps entre Établissement d’une ligne Marseille-Aden - À côté des grandes lignes, le cabotage continue à jouer un rôle important 4) À pied, à dos d’âne, de cheval ou de chameau - Moyens de transport prédominants Moins sûrs que les moyens de transport maritimes - Années 1830 : on voyage encore en caravane entre Beyrouth et Damas La Bekaa constitue un point de rassemblement de plusieurs petites caravanes se rendant à Damas Voyage la nuit, accompagnée d’une escorte armée (des razzias de bédouins se produisent encore à l’époque) - Jusqu’en 1856, les chrétiens et les juifs n’ont théoriquement pas le droit de monter à cheval en ville Cette interdiction n’est cependant pas toujours appliquée, notamment après la conquête de la Syrie par l’Égypte 26 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding II. Circulations anciennes, circulations nouvelles 1) Des biens et des hommes - Marchandises : pas de différence par rapport au XVIIIe siècle, sauf pour ce qui est de la nature des biens exportés Moins de café Plus de soie, plus de coton - Types de personnes en circulation Administrateurs (de plus en plus avec le développement de la bureaucratie) Religieux o Développement des pèlerinages La Mecque Jérusalem : de plus en plus après 1850 (surtout des Russes) o Formation Musulmans Al-Azhar Jabal ‘Amil Catholiques Rome Jérusalem, Beyrouth (formation sur place encourage plutôt que formation en Europe) Diplômés o professions Médecins (reviennent souvent dans leur ville ou village natal avant de repartir, notamment vers l’Égypte, vue comme la plus prometteuse des provinces arabes en termes d’opportunités de carrière et d’affaires) Avocats Ingénieurs (recherchent du travail dans les villes) o Lieux de formation Robert College (1863) Syrian Protestant College (1866) Faculté de Médecine de l’Université Saint-Joseph (1883) 2) La place de l’Égypte - Croissance rapide de certaines villes : cf. Alexandrie Fin XVIIIe : 5 000 habitants e Fin XIX : 450 000 habitants (aujourd’hui : 5 000 000 habitants) - Présence de nombreuses minorités : juifs, chrétiens, « Grecs » 27 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Certaines personnes s’inscrivent auprès de consulats étrangers sans pour autant être ressortissantes du pays en question : beaucoup de « Grecs » d’Orient ne sont en fait que des chrétiens orthodoxes d’origine levantine 3) Les migrations internes à l’Empire - Immigration de musulmans venant des Balkans ou de Russie Entre 5 et 7 millions entre 1783 et 1914 (avec une légère majorité en provenance de la Russie) - Début de l’immigration juive en Palestine Commence à inquiéter les autorités ottomanes à la veille de la Première Guerre mondiale Évolution de la population juive en Palestine (données appliquées au territoire de la future Palestine mandataire) o 1883-1884 : 15 000 (contre 412 000 musulmans et 45 000 chrétiens) o 1913-1914 : 38 754 (contre 602 000 musulmans et 81 800 chrétiens) La population juive reste certes minoritaire, mais elle s’accroît le plus rapidement III. Les migrations vers l’étranger 1) Une croissance progressive - Différents facteurs évoqués 1860 : émeutes communautaires 1890 1908-1909 : Les Jeunes-Turcs introduisent la conscription - Le poids exact de chacun de ces facteurs fait débat Les massacres de 1860 ont probablement moins poussé à l’émigration que les événements de 1890 2) Un mouvement général - L’émigration des Ottomans fait partie d’un mouvement général d’émigration vers le Nouveau Monde, mouvement dans lequel ils sont minoritaires 1 million d’Ottomans ont émigré vers les Amériques (contre 6 millions d’Italiens) 3) Qui sont les migrants ? - Surtout syro-libanais Devancent d’autres foyers d’émigration : Macédoine, Albanie, Thrace Hommes jeunes (entre 15 et 45 ans) Majorité chrétienne Toutefois, beaucoup d’émigrants musulmans parmi les Syro-libanais 28 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding 4) Les conséquences sur place - 1/3 des migrants rentrent, plus ou moins tôt Apportent leur expérience et leur savoir-faire - Envois d’argent - Dans certains villages, au veille de la Première Guerre mondiale, les émigrés représentent entre 1/6 à 1/3 de la population du village A posé un certain nombre de questions s’agissant du bénéfice du droit de vote 29 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding CM 7 : L’expansion européenne et américaine - Acteurs France, Angleterre Italie (très présente en Syrie depuis des siècles), Russie Allemagne (fin XIXe siècle) I. L’influence politique : une situation semi-coloniale ? - Une situation semi-coloniale ? Terme en vigueur à l’époque de l’historiographie « décliniste » Aujourd’hui, ce terme est partiellement remis en question 1) La crise de 1860 au Mont-Liban et ses conséquences - Antécédents de la crise de 1860 Entre 1832 et 1840, Mohammed Ali domine la Syrie En 1840, les Ottomans l’en chassent, aidés par les Britanniques Toutefois, il laisse une situation très anarchique dans la région du Mont-Liban o Les notables locaux, souvent alliés à Mohammed Ali, sont écartés par les autorités de l’Empire o Les nouvelles élites ont du mal à asseoir leur autorité Tentative de reprise en main par l’Empire o Division du Mont-Liban en deux arrondissements (qaymmaqam), l’un dirigé par un druze, l’autre par un chrétien o Toutefois, les deux zones sont mixtes o La zone druze comporte de plus en plus de chrétiens o Accroissement des tensions entre paysans et seigneurs Refus de payer l’impôt Dimension confessionnelle : dans la zone druze, les paysans sont souvent chrétiens - Les événements de 1860 Affrontements confessionnels (juin 1860) o Chrétiens se battent contre druzes o Administration ottomane ne parvient pas à imposer son autorité, prend souvent le parti des druzes (chrétiens désarmés, livrés aux druzes) o Bilan : 6 000 à 10 000 morts, destruction de centaines de villages, de 500 églises, de 40 monastères, de 30 écoles o Dans l’ensemble, il s’agissait cependant moins de massacres que de batailles rangées Pillage du quartier chrétien de Damas (3 jours en juillet 1860) o Dimension sociale : ce sont surtout les familles chrétiennes riches qui sont visées o Bilan : environ 20 000 morts 30 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding o o Abd el-Qader protège les chrétiens Répercussions importantes en Europe Campagnes de presse Collectes d’argent Fondation de l’Alliance Israélite Universelle, qui participe à la campagne en faveur des chrétiens Envoi d’une expédition militaire française o Arrive en août 1860, après le rétablissement de l’ordre par les autorités ottomanes Présentée par certains auteurs comme l’un des premiers exemples d’ingérence « humanitaire » Politique de faire rentrer les réfugiés chrétiens dans la montagne Envoi d’une commission internationale o Membres : France, Angleterre, Russie, Autriche, Prusse o Impose la création d’un sandjak du Mont-Liban, décision entérinée avec l’adoption du règlement organique du Mont-Liban en juin 1861 (revu en 1864) Autonomie financière, judiciaire et administrative Ce sandjak devra être gouverné par un gouverneur chrétien dont la nomination doit être approuvée par les puissances européennes Dans les faits, ce chrétien sera toujours catholique (et non pas maronite) De même, il ne sera jamais originaire du Mont-Liban, mais plutôt originaires des Balkans ou Arménien La plupart des gouverneurs du Mont-Liban seront toutefois tout à fait représentatifs de l’Empire ottoman des Tanzîmât 2) La domination britannique en Égypte - Dynastie égyptienne Successeurs de Mohammed Ali o Abbas Ier (1848-1854) o Säid (1854-1863) o Ismâ’îl (1863-1879) Percement du canal de Suez Importance du coton égyptien pendant la Guerre de Sécession aux ÉtatsUnis (1861-1865), chute des revenus après cette Guerre, endettement Le sultan le force à la démission en 1879 o Tewfiq (1879) o Abbas Hilmi II (1892-1914) Caractéristiques de ce gouvernement o Personnes originaires de la classe paysanne occupent des fonctions de plus en plus importantes o Il est désormais important et bien vu d’être d’origine égyptienne o L’arabe devient la langue de gouvernement o Le français est la langue de l’élite 31 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - Condominium franco-anglais 1876 : faillite financière de l’Égypte Angleterre et France administrent conjointement la dette égyptienne En 1882, les Européens souhaitent contrôler plus étroitement les finances égyptiennes Une partie de l’armée, menée par Urabi Pacha, d’origine paysanne, s’oppose à l’intervention européenne et au khédive Intervention militaire anglaise (les Français ont déjà obtenu la Tunisie et l’opinion publique française n’est pas favorable à cette intervention) - Pérennisation de la présence militaire anglaise Motifs officiels o Dette égyptienne o Conquête du Soudan La période de 1882-1914 est parfois désignée comme « protectorat voilé » : officiellement, l’Égypte reste ottomane Présence de nombreux « conseillers » britanniques Rôle d’Evelyn Baring, Lord Cromer (1841-1817) 3) Une autre forme d’influence : les capitulations - Beaucoup d’orientaux, souvent issus de minorités, demanderont à bénéficier des capitulations Ainsi, chaque ambassadeur européen avait droit à un certain quota de traducteurs (drogmans) lesquels bénéficiaient de la protection du régime capitulaire Ces relations sont très importantes aux yeux des occidentaux, auxquels elles permettent de se constituer une clientèle locale en vue de satisfaire leurs ambitions économiques ou territoriales Un nombre important de sujets ottomans échappent donc à la juridiction de leur pays Toutefois, contrairement aux attentes des occidentaux, de nombreux « protégés » ne se sentent pas particulièrement attachés à la puissance dont ils dépendent : souvent, ils s’en servent comme d’un moyen parmi d’autres, rentrant par exemple en relation avec plusieurs puissances étrangères en même temps II. Une plus grande dépendance économique et financière 1) L’expansion du commerce avec l’Europe - Augmentations des exportations anglaises vers la Méditerranée orientale Phénomène né au moment des guerres révolutionnaires et napoléoniennes en Europe Chiffres o 1814 : 154 000 livres o 1840-1844 : 1 500 000 livres o 1850 : 2 515 000 livres - Conséquences 32 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Augmentation du nombre d’Européens dans certains ports : ex. Alexandrie, Beyrouth, Smyrne Bénéfices accrus pour les commerçants locaux 2) 1881 : la perte de l’indépendance financière - Déficit commercial avec l’Europe Importation de biens manufacturés, exportation de matières premières Même les investissements européens réalisés sur place, comme les chemins de fer, aboutissent souvent à l’achat de davantage de biens manufacturés en Europe Toutefois, si la balance commerciale avec l’Europe devient déficitaire, les relations avec d’autres pays dans la région sont souvent favorables à l’Empire ottoman : ex. la balance commerciale entre la Syrie et l’Égypte penche en faveur de la première - Mise en place de l’Administration de la dette ottomane (1881) Dette désormais consolidée : réduite à un seul emprunt (taux moindre, durée plus longue) Structure distincte du ministère des Finances Composée de 7 membres, dont 1 Ottoman, 1 Français, 1 Italien, 1 Autrichien, 1 Anglais, 1 Allemand et 1 banquier de Galata) Rôle économique : intéressée au développement de certains secteurs de l’économie Constituait sorte d’État dans l’État o À la fin du règne d’Abdül-Hamîd, elle compte 720 succursales pour collecter les taxes dans les provinces, emploie 5 5000 personnes (plus que le ministère des Finances) et contrôle 30 % des revenus de l’État Cette mesure a certes renforcé la confiance des investisseurs dans l’économie ottomane, mais elle a rapproché l’Empire ottoman de la situation de pays comme la Tunisie ou le Maroc 3) L’augmentation des capitaux étrangers - Évolution de l’origine des capitaux investis Déclin des capitaux britanniques Augmentation des capitaux français et allemands - Domaines d’investissement Transports : chemins de fer, ports, quais (73 %) Banques - Logique politique coloniale Investissements ne visent pas à soutenir la production ottomane locale Vise essentiellement à renforcer les capacités d’exportation de matières premières III. L’emprise culturelle de l’Europe et des États-Unis 33 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding 1) Le développement des missions dans l’Empire - Missions les plus prestigieuses : les missions américaines 1819: American Board of Commissioners for Foreign Missions (AB) o Implanté dès les années 1830 dans l’Empire ottoman o Y développe son activité surtout à partir de 1870 Permettent la création d’établissements dispensant leurs enseignements dans les langues européennes o Syrian Protestant College de Beyrouth (1866) o Robert College d’Istanbul (1860) Recrute surtout des Arméniens Les Turcs ne forment que 5 % des élèves Missions protestantes très marquées par le millénarisme o Imprégnées de l’idée que la fin du monde est proche et qu’il faut augmenter le nombre de convertis entretemps o La fin du monde commencera à Jérusalem : il faut hâter le « retour » des juifs à Jérusalem et encourager les chrétiens à y être présents o Même si l’idée de conversions massives est vite écartée, les missionnaires protestants sont plus conquérants que les missionnaires catholiques, lesquels restent sur la défensive Au lieu de s’occuper essentiellement des hommes, elles s’occupent aussi des femmes o Les pasteurs protestants sont généralement mariés o Les épouses de pasteurs fondent souvent des écoles de filles o Les missions catholiques y répondront notamment en envoyant des nonnes qui à leur tour fonderont des écoles pour filles 2) Les « œuvres missionnaires » et le développement d’un réseau scolaire - Mission laïque française (début XXe siècle) Fonde des écoles non religieuses - Création d’hôpitaux - Fondation d’associations Souvent spécialisées en fonction du sexe et/ou de la catégorie socioprofessionnelle de leurs membres 3) Transformations des mœurs, idées nouvelles - Diffusion des idées Presse Voyages entre l’Europe et l’Orient (cf. texte de Jurjî Zaydân distribué en cours) - Idées nouvelles 34 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Revalorisation du rôle social de la femme : en tant qu’éducatrice de ses enfants, la femme doit elle-même être éduquée 35 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding CM 8 : L’éducation dans l’Empire ottoman au XIXe siècle - transformations de l’éducation au XIXe siècle l’éducation devient un service assuré par l’Etat repose sur l’idée que toutes les personnes doivent bénéficier d’une certaine éducation pour pouvoir tenir leur place dans l’Etat toutefois, il ne s’agit pas forcément de former des citoyens ni des électeurs (cf. France : loi Guizot de 1833) de même, l’école n’est pas vue comme un ascenseur social à l’époque - éducation traditionnelle en Orient religieuse : donnée surtout dans les kuttâb et les madrasa (pour les musulmans) écoles ou précepteurs pour les esclaves du sultan formation professionnelle au sein des corporations - les Tanzîmât, loin de faire disparaître ces anciennes structures, vont les réformer et y rajouter des nouvelles - réformes émanent aussi bien de l’Etat que d’initiatives privées, en particulier des missionnaires s’agissant de ces derniers, l’enseignement devient une fonction prépondérante (sans doute sous l’impulsion des missionnaires protestants, pour qui savoir lire et écrire était particulièrement important) l’influence des missionnaires est parfois indirecte : certains musulmans fondent ainsi des écoles modernes ou des associations pour éviter que leurs enfants ne soient formés par les missionnaires offre pléthorique : système non cloisonné I. Le développement d’une éducation sécularisée dans le cadre des réformes 1. Le développement des écoles à Istanbul et en Egypte - création des grandes écoles L’Empire ottoman commence par créer des grandes écoles (plutôt que de réformer le système d’enseignement par le bas) o années 1830 : écoles militaires (officiers, ingénieurs, médecins, vétérinaires, etc.) o 1859 : école d’administration o 1866 : école de médecine o 1862 : école normale o 1870 : école normale féminine Grandes écoles en Egypte o 1827 : école de médecine (dirigée par Clot bey, un Français) o Années 1830-1840 : création de nombreuses grandes écoles, fermées peu après par manque de moyens 36 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding 2. Les différents types d’établissements séculiers - Ibtida’iye (école primaire) Enseignement de l’arithmétique, de l’histoire ottomane, de la géographie Cours de religion - Rüchdiye (collège : 10-15 ans) Enseignement des langues : turc, persan et arabe Enseignements des mathématiques, de géométrie, d’histoire, de géographie et de religion - Idâdi (lycée) Nombre accru de disciplines enseignées o Langues orientales o Français o Algèbre, arithmétique, économie, comptabilité, physique, chimie o Philosophie, histoire, géographie o Travaux manuels - Système reste longtemps embryonnaire Phases de développement o 1869 : loi sur l’éducation o 1876 : Abdül-Hamîd promeut les écoles séculières Méfiance du sultan envers les écoles religieuses Volonté de lutter contre les écoles des missionnaires, soupçonnées d’éloigner les enfants de l’Empire et de la religion - Mekteb-i sultâni (lycées à l’occidentale) Création du lycée Galata Saray, avec l’appui du gouvernement français (1868) Système développé sous Abdül-Hamîd Leur généralisation prendra du temps : Maktab Anbar de Damas seulement fondé en 1893 Enseignement des sciences modernes, des langues orientales et européennes, des matières religieuses classiques Importance de l’enseignement moral et religieux (volonté d’Abdül-Hamîd d’affirmer le caractère musulman de l’Empire) - Echec de la mise en place d’une université (Dar ül-fünûn) Créée en 1870, fermée en 1871 suite aux attaques des oulémas et à la mort du grand vizir Alî Pacha, principal soutien du projet Ce n’est qu’en 1900 qu’une université est mise en place de manière définitive 3. L’école des tribus d’Istanbul (1892-1907) - objectif : scolariser les fils de cheikhs et de chefs de tribu du monde arabe et d’Anatolie (Kurdes) 37 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - contexte : intérêt renouvelé pour les provinces arabes suite à la perte des provinces balkaniques - scolarité enfants de 11-16 ans enseignement o arabe, osmanli, persan, français o mathématiques o enseignement religieux - fermée suite à une révolte des étudiants en 1907 doléances : nourriture insuffisante et de piètre qualité, dépaysement (certains élèves venaient de régions aussi éloignées que la péninsule arabique), discipline très dure succès de toute façon relativement mitigé de cette école II. Les écoles étrangères 1. Tableau d’ensemble - écoles très nombreuses et diverses - scolarisent les filles comme les garçons dès les années 1830 pendant longtemps, les chrétiennes seront donc généralement plus éduquées que les musulmanes - visent des milieux différents Ex. les filles d’origine modeste sont formées à êtres bonnes ou ouvrières (souvent destinées à travailler chez des non-chrétiens : d’où un enseignement moral important pour résister aux éventuelles tentatives de conversion ou aux avances du patron) - statistiques (chiffres difficilement vérifiables, souvent gonflés) 1866 : les écoles congrégationnistes françaises éduqueraient 35 000 élèves (congrégations : jésuites, lazaristes, filles de la Charité) 1870 : les écoles américaines auraient sous leur responsabilité 250 écoles en Anatolie et en Syrie (N. B. : cela ne signifie pas que des missionnaires étaient présents dans 250 écoles : il n’y avait même pas 250 missionnaires au Proche-Orient à l’époque) - financement fonds d’origine privée (campagnes de dons bien organisées) et publique, y compris de la France républicaine et laïque (« L’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation. », aurait dit Gambetta) 2. Des petites écoles aux prestigieux pensionnats - écoles de campagne moyens modestes : enseignement à l’extérieur, absence de bancs, enseignement surtout oral (absence de cahiers) 38 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - internats accueillent exclusivement des chrétiens catholiques, sauf quelques rares exceptions milieux assez bourgeois (les externes, quant à eux, sont souvent issus de milieux plus modestes) mode de vie plus occidental les jésuites, qui recourent beaucoup au théâtre comme outil pédagogique, ont joué un rôle indirect dans la Nahda - séminaires recrutent dans des milieux assez pauvres restent dans un mode de vie modeste au cours de leur scolarité 3. Les deux universités de Beyrouth - Syrian Protestant College fondé en 1866, devenu l’université américaine de Beyrouth en 1920 - Université Saint-Joseph fondée en en 1870 (reste avant tout un collège pendant longtemps) - caractéristique commune : peu d’élèves avant la Première Guerre mondiale III. Maintien et réforme de l’enseignement traditionnel, initiatives privées et locales 1. Le maintien de l’enseignement traditionnel - en Egypte, les kuttâb alphabétisaient à peu près un tiers de la population au début du XIXe siècle - réformes à l’époque khédivale passaient notamment par la formation des enseignants primes données aux kuttâb (peu nombreux) accueillant des filles toutefois, l’enseignement dans ces établissements n’était pas encouragé par les autorités britanniques - enseignement importance de l’enseignement religieux absence de langues étrangères - nouvelle vague de réformes au début du XXe siècle 2. Les initiatives privées et locales - création du Collège de la Sagesse à Beyrouth en 1875 39 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - 1880 : un cheikh de Tripoli fonde al-Madrasa al-Wataniyya, qui a notamment formé Rachid Rida - Les élèves des écoles religieuses échappaient au service militaire - Beyrouth (1913-1915) 136 écoles publiques élémentaires, 8 000 élèves, dont 80 % de garçons 150 écoles privées musulmanes, 6 000 élèves 157 écoles étrangères, 13 000 élèves - La différence entre écoles locales et étrangères est à nuancer mêmes conditions de fonctionnement : financement modeste et surtout local, enseignement assez semblable, même poids de la religion la vraie différence se situe entre les écoles urbaines et celles rurales, ou encore entre les écoles pour classes aisées et celles pour les classes plus modestes - conséquences sur les Jeunes Turcs l’enseignement promu par Abdül-Hamîd, très marqué par la religion et peu orienté vers les sciences modernes, aurait favorisé la politique d’occidentalisation prônée par les Jeunes Turcs 40 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding CM 9 : Nahda et réformisme - sécularisation (XIXe siècle) le religieux devient une partie de la vie sociale parmi d’autres deux façons de l’appréhender o étape vers une émancipation de la religion correspond à la vision de la sécularisation telle qu’elle est conçue au XIXe siècle en Europe o transformation de la façon dont le religieux s’inscrit dans le monde ceux qui s’inspirent du religieux repensent la manière dont ils agissent dans le monde correspond davantage à la sécularisation dans l’Empire ottoman (cf. Nadine Picaudou) - questions récurrentes quel est le bon gouvernement ? o le bon gouvernement doit être à la fois juste et utile o question très prégnante à l’époque des Tanzîmât comment faire pour qu’il y ait une cohésion sociale ? o question en partie liée au fait que beaucoup de réformateurs ont voyagé en Europe où ils ont été confrontés à la notion de citoyen o implique d’autres questions question de l’égalité question du patriotisme comment rattraper le retard de l’Orient sur l’Occident ? o question de la civilisation, qui est à la fois un processus et un but à atteindre - toutes ces questions vont avoir des répercussions dans le domaine de l’éducation pour les réformateurs, l’éducation joue un rôle crucial : beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs écrit des manuels - question de la langue nécessité de moderniser l’arabe pour l’adapter aux nouvelles réalités I. Aux origines du réformisme - Vision traditionnelle : le réformisme commence avec les voyages des orientaux en Occident - Vision actuelle : le réformisme dans le monde arabo-musulman remonte aux XVIIIe et XIXe siècle L’islam se transforme pour permettre un nouveau type d’engagement dans la société Ces transformations ont plusieurs origines 1) Le renouveau du soufisme 41 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - Se fait surtout dans la péninsule arabique et au Caire - Caractéristiques du réformisme soufi Le prophète Muhammad occupe désormais une place centrale (d’où le terme de tarîqa muhammadiyya) o Sorte de modèle à imiter o Héros fondateur, Guide Valorisation de l’engagement du croyant dans la société 2) Le wahhabisme - Accent désormais mis sur l’unicité du culte de Dieu Idée qu’il n’y a qu’une seule voie pour accéder au divin D’où condamnation de nombreuses pratiques jugées « déviantes », notamment le culte des saints et de la famille du prophète - Rejet des enseignements théologiques classiques Ces enseignements étaient souvent marqués par des influences extérieures au monde arabe (p. ex. la philosophie grecque) Nécessité d’un contact direct entre le fidèle et Dieu : tout croyant peut interpréter les textes, même sans formation préalable (ce qui soulève l’inquiétude des oulémas) - Etablissement de nouvelles frontières : sectarisme Les musulmans pratiquant leur foi en dehors de l’orthodoxie sont désormais considérés comme non-musulmans II. Autour de la Nahda : langue et traduction - Traduction de livres anciens et modernes, arabes et étrangers - Naissance de l’imprimerie, même si les manuscrits continuent à jouer un rôle important - Progrès de l’enseignement - Modernisation et unification de la langue 1) Rifa’a Badawi Rafi’ al-Tahtawi (1801-1873) - Éléments biographiques Né dans une famille de Haute-Égypte Etudie à Al-Azhar Séjour à Paris (1826-1831) : accompagne une délégation d’étudiants égyptiens en tant qu’imam 42 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding A son retour de France, il travaille dans une école de langues et dans un bureau de traduction Emploie sa vie à traduire des ouvrages français en arabe et à écrire des livres proposant des réformes pour moderniser l’Égypte - Tahtawi reste cependant un musulman traditionnel Question du bon souverain o Tahtawi était en France lors des Trois Glorieuses de juin 1830 o Toutefois, il ne remet pas en cause le rôle traditionnel du souverain o Il insiste plutôt sur la nécessité d’une bonne formation des oulémas pour pouvoir appliquer correctement la loi et d’une bonne éducation (morale) de la société en général Rôle la société o Elle doit en premier lieu accomplir la volonté divine o Elle doit également viser le bien-être de tous Rôle de l’éducation o Doit transmettre la morale o Doit transmettre l’amour de la patrie (hubb el-watan) Pour Tahtawi, cette patrie est égyptienne (et non pas arabe) 2) Les chrétiens formés au contact de l’Occident - Jouent un rôle très important dans la renaissance des lettres arabes - Nassif al-Yazigi (1800-1871) Issu d’une famille de lettres maronites Considéré comme l’un des plus grands maîtres de la langue arabe au XIXe siècle A formé beaucoup d’homme de lettres - Faris al-Shidyaq (1804-1887) Maronite converti au protestantisme puis à l’islam puis à nouveau au catholicisme maronite Nombreux voyages : Égypte, Malte, Paris, Londres ( ?), Istanbul Traduction de nombreux documents diplomatiques et politiques - Butrus al-Bustâni (1819-1883) Très marqué par les missionnaires protestants Crée en 1863 une école moderne (al-madrassa al-wataniyya) Persuadé qu’il faut emprunter à l’Europe pour moderniser l’Orient – la question est de savoir ce qu’il faut lui emprunter o L’amour de la patrie (se considère comme sujet du sultan, mais s’il estime que sa patrie est la Grande Syrie) o La liberté religieuse et une certaine mise à l’écart du religieux o L’égalité Publications 43 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding o o Encyclopédie (poursuivie par ses fils) Nombreux ouvrages sur la langue arabe III. Les nouveaux « clercs intellectualisés » (N. Picaudou) 1) Les cercles réformistes du début du siècle - Jamal al-Dîn al-Afghanî (1838-1897) Il est Persan mais se dit Afghan (pour cacher son chiisme) Formé à Kerbala Chassé d’Égypte en 1879 A vécu en Russie, en Europe, à Istanbul Connu pour son enseignement oral, qui a beaucoup marqué la pensée musulmane - Muhammad Abduh (1849-1905) Disciple d’al-Afghanî : a vécu à Paris en même temps que lui dans les années 1880 Rentre en Égypte à la fin des années 1880 et y poursuit une carrière de théologien musulman (devient grand mufti d’Égypte à la fin de sa vie) 2) Une nouvelle façon de dire l’islam - Al ‘urwa al-wuthqa (Le lien indissoluble) Revue publiée par al-Afghanî et Abduh - Nouvelle manière de penser l’islam Dichotomie entre la tradition et de la modernité o La modernité, manifestée notamment par l’idée de civilisation, est du côté de l’Europe o La tradition sclérosante est du côté de l’Orient o Influence de Gustave Lebon Succession de plusieurs civilisations ayant eu chacune son moment de grandeur et de déclin Conduit notamment à dire que le déclin des civilisations musulmanes n’est ni inéluctable ni nécessairement lié à la religion Engagement dans la société o Permet de promouvoir la grandeur de l’islam o Doit être accompagné d’un effort sur soi-même Union des musulmans (notamment contre la mainmise européenne) o Un des facteurs d’échec des musulmans réside dans leur division o L’union des musulmans se fait autour des principes de la loi islamique plutôt qu’autour d’un homme Importance de l’éducation (qui seule permet l’engagement et l’union) o Enseignement moderne o Enseignement moral (notamment pour en finir avec les « superstitions ») Idéalisation de la société musulmane des débuts 44 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Conclusion - - Hommes d’origines et de formations différentes, mais qui posent les mêmes questions Toutefois, il est souvent difficile d’établir la généalogie intellectuelle entre les différents auteurs, et même au sein de l’œuvre d’un même auteur Cette tâche est encore compliquée par le fait que ces auteurs ont beaucoup voyagé et traduit de nombreux ouvrages étrangers : qui a influencé qui ? La question de l’arabe n’est pas forcément liée au nationalisme Entre la langue comme héritage culturel et comme élément essentiel d’une communauté de destin, il y a un pas important à franchir (il le sera plutôt pendant l’Entre-deuxguerres) 45 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding CM 10 : De la révolution jeune-turque à la fin de l’Empire I. La révolution jeune-turque - En arabe, on utilise le terme inqilâb pour désigner cette révolution François Georgeon préfère parler d’un « coup de force réussi » Le remplacement des classes dirigeantes n’est en effet pas toujours très net 1) L’opposition jeune-turque - Principaux acteurs : les jeunes militaires et médecins - Diversité des milieux Jeunes-Turcs issus de tout l’Empire Jeunes-Turcs issus de toutes les confessions Beaucoup d’entre eux sont originaires des classes moyennes de la province - Les débuts du mouvement Comité de l’Union ottomane créé en 1889 (centenaire de la Révolution française) par des étudiants de l’École de médecine militaire à Istanbul Mouvement s’organise en cellules clandestines sur le modèle des Carbonari italiens A l’époque, il s’agit moins d’un mouvement centralisé que d’une « nébuleuse » (François Georgeon) réunissant des groupes d’opposants à l’intérieur et à l’extérieur de l’Empire Répression/mise au pas à la fin des années 1890 - Renaissance au début du XXe siècle 1902 : Congrès des Jeunes-Turcs à Paris Organisation à travers le Comité Union et Progrès (CUP) Forte implantation à Salonique, surtout auprès des militaires o Ville multiconfessionnelle (50 % de juifs) o Ville dynamique économiquement o Ville ouverte sur le monde - Revendications des Jeunes-Turcs Ne demandent pas un renversement ou la fin du sultanat Exigent le rétablissement de la Constitution Veulent assurer l’intégrité territoriale de l’Empire et restaurer la paix et l’ordre intérieur - Deux tendances Tendance centralisatrice et autoritaire : prince Sabâheddîn (1877-1948) Tendance décentralisatrice et libérale : Ahmed Rîza (1859-1930) Toutefois, au-delà de leurs différences, ces deux tendances visent chacune à renforcer l’État ottoman 46 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - Motivations Pour certains : libéralisme Pour d’autres : haine d’Abdül-Hamîd, dont la politique est vue comme une menace à l’intégrité de l’Empire o Cela vaut en particulier pour les officiers jeunes-turcs de l’armée de Macédoine (région directement menacée par la Russie et l’Autriche-Hongrie) 2) La révolution : « un coup de force réussi » (François Georgeon) - Les prémisses 1905 : Jeunes-Turcs enhardis par la victoire japonaise contre la Russie et les bouleversements politiques au sein de celle-ci Troubles intérieurs, augmentation de l’interventionnisme étranger, notamment en Macédoine Crise économique à partir de l’hiver 1906-1907 : le mécontentement gagne les casernes 1907 : Le mouvement s’organise o Fusion du CUP et du Comité ottoman de la Liberté à Salonique (le nom de CUP est maintenu, mais c’est le comité de Salonique, et non plus les exilés, qui donne le ton) o Les groupes d’Ahmed Rîza et celui du prince Sabâheddin se mettent d’accord, envisageant un coup de force militaire 1908 : Une rencontre secrète d’Édouard VII (Angleterre) et de Nicolas II (Russie) à Reval, témoignant du rapprochement de ces deux pays autrefois rivaux, suscite les craintes au sujet d’un éventuel démembrement de l’Empire - Mutineries en 1908 Le mouvement part des casernes macédoniennes, où de jeunes officiers et leurs partisans décident de prendre le maquis en juin 1908 Les soldats anatoliens envoyés en Macédoine pour réprimer la rébellion se joignent à elle : la situation échappe désormais complètement au contrôle du Palais 16 juillet 1908 : ultimatum à Abdül-Hamîd : soit il rétablit la Constitution, soit l’armée fait un coup d’État 23 juillet 1908 : proclamation spontanée de la Constitution à Monastir et dans d’autres villes de Macédoine 24 juillet 1908 : rétablissement par Abdül-Hamîd de la Constitution dans tout l’Empire - Effervescence s’étend à tout l’Empire Liesse populaire qui transcende les communautés Penseurs arabes accueillent la révolution avec enthousiasme - « Un coup de force réussi » (François Georgeon) Dans un premier temps, le personnel politique reste le même : les Jeunes-Turcs, « putschistes intimidés par le pouvoir » (dont ils n’ont guère l’expérience), restent en marge des institutions Les véritables changements s’effectueront dans les dix ans à venir 47 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - Election au parlement (novembre-décembre 1908) 147 députés turcs 60 députés arabes 27 députés albanais 2 députés grecs 14 députés arméniens 10 députés slaves 4 députés juifs - Déposition du sultan 13 avril 1909 : tentative d’une contre-révolution o Mutineries anti-CUP à Istanbul (plusieurs députés sont tués) o Pillage du quartier arménien et massacres à Adana L’armée de Macédoine marche sur Istanbul et l’investit le 24 avril 27 avril 1909 : Abdül-Hamîd est déposé et remplacé par son frère, Mehmet V 3) Dans les provinces arabes - Enthousiasme tourne vite à la déception Cause : politique du CUP vécue comme très (trop) centralisatrice o Met accent sur langue turque o Politique jeune-turque moins libérale que prévue Censure Manipulation des élections de 1912 o Remplacement des notables arabes par des fonctionnaires turcs dans l’administration provinciale Lance réflexion sur l’autonomie des provinces arabes II. L’Empire ottoman miné par les nationalismes et les ambitions européennes 1) Les ambitions européennes - 1911 : début de la conquête italienne de la Tripolitaine Résistance farouche dans l’arrière-pays L’Empire ottoman aurait peut-être vaincu en Tripolitaine si la Première Guerre mondiale n’avait pas eu lieu - Visées anglaises sur la Palestine Surtout depuis la construction de la Bagdadbahn But : protéger la route des Indes 2) Les guerres balkaniques - Conséquences sur la politique intérieure 48 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Renforce la politique conservatrice et centralisatrice des Jeunes-Turcs - 1re guerre balkanique (1912) Perte de toutes les provinces européennes (à l’exception de la banlieue d’Istanbul) - 2e guerre balkanique (1913) Thrace orientale reconquise suite aux dissensions entre alliés européens (notamment entre Grecs et Bulgares) Andrinople (Édirne) reprise 3) La montée du nationalisme arabe - Se fait surtout dans les années 1910 Auparavant : la Nahda est avant tout un mouvement culturel A la veille de la Première Guerre mondiale, vision de plus en plus négative des JeunesTurcs Se nourrit de deux considérations o Langue arabe supérieure à la langue turque o Histoire arabe plus prestigieuse que l’histoire turque - Les Syro-Libanais de Paris Favorables à l’autonomie du Liban Nouent des relations avec la France (importance après la Première Guerre mondiale) - Parti de la décentralisation ottomane Fondé au Caire en 1913 (Rachid Rida) Proche des Anglais - Comité pour les réformes de Beyrouth Demande des réformes dans le cadre de l’Empire ottoman - Congrès de Paris en 1913 Demandes o Service militaire local (sauf en cas de nécessité) o Recrutement arabe Conséquences : concessions o Service militaire local o Langue arabe reconnue o Ministres arabes nommés Toutefois : confiance non rétablie - Deux moyens d’action Recours aux grandes puissances Création d’organisations secrètes o Al-Ahd (Le Serment) 49 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding o Regroupe surtout des officies irakiens Fondateur égyptien, gracié par le sultan sur intervention britannique Al Fatat Organisation étudiante fondée en 1911 à Londres Siège déplacé par la suite à Damas III. L’Empire ottoman dans la guerre (cf. cours de L1) 1) L’Empire dans la guerre… 2) …se heurte aux Britanniques (et à leurs alliés arabes) 3) Difficultés économiques et revendications nationalistes - Liban affamé Jamal Pacha privilégie la troupe par rapport aux populations civiles Disette, épidémies - Répression Nationalistes déportés en Anatolie ou pendus (d’où le nom de la place des Martyrs à Beyrouth) - Découpage du Proche-Orient arabe au lendemain de la Première Guerre mondiale Le traité de Lausanne de 1923 reprend le traité de Sèvres pour ce qui est des provinces arabes 50 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding CM 11 : Autour de L’Orientalisme (E. Saïd) I. L’orientalisme : faire l’histoire d’une idée et de ses liens avec la politique - Idée générale L’Orient n’est pas un terme géographique objectif (un point cardinal), mais une idée construite socialement et intellectuellement (donc une invention) Cette idée s’est élaborée au fil de plusieurs siècles Elle a eu une influence politique considérable dans le sens où elle a orienté les politiques des occidentaux envers cette région Toutefois, la notion d’Orient n’est pas la même en Europe qu’aux États-Unis, dont les rapports avec l’Orient sont plus récents E. Saïd se concentre surtout sur le Moyen-Orient, région qu’il connaît mieux Il examine l’image que les Européens se font de cette réalité 1) Définitions de l’Orientalisme - Définition de la discipline de l’orientalisme Toute personne qui enseigne, écrit ou fait des recherches sur l’Orient de manière générale Définition générique, qui a pu heurter un certain nombre d’intellectuels Définition liée à la division des spécialités aux États-Unis, où l’on est spécialiste d’une aire géographique avant d’être spécialiste d’une discipline (cf. le terme de Middle East Studies p. ex.) - Autre définition : se fonde sur une distinction nette entre l’Orient et l’Occident Elargit le spectre de la définition - Définition politique L’orientalisme est avant tout un style occidental de domination et d’autorité sur l’Orient E. Saïd vise par cela tous les discours qui ont pour but, depuis le XVIIIe siècle, de transformer le Moyen-Orient Cette définition s’applique surtout à l’Angleterre et à la France, États qui ont le plus façonné le Moyen-Orient au XIXe siècle 2) Un discours politique qui dit quelque chose de l’Occident - L’Orientalisme en tant que discours occidental Ne dit pas grand-chose de l’Orient, mais plutôt de ce que les Occidentaux voient Le fait de voir l’Orient comme quelque chose d’autre que les Occidentaux devraient transformer est très prégnant du discours politique occidental Echange et circulations d’idées entre auteurs/scientifiques et décideurs politiques occidentaux 51 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - Ces stéréotypes ont une vie longue et ont été corroborés par la politique occidentale menée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale Cf. préjugés négatifs contre les Arabes confirmés par le rôle des Occidentaux dans le conflit israélo-palestinien 3) Histoire du discours et de la représentation - Idée : faire une généalogie de l’Orientalisme depuis la fin du XIXe siècle D’où un plan chronologique - 1re partie : définition et genèse de l’Orientalisme Naissance d’un discours au XIXe siècle dénonçant l’« immobilisme » de l’Orient Recours notamment aux textes d’Ernest Renan, qui comparait défavorablement les langues sémites, supposées immobiles, aux langues européennes, supposées dynamiques Faire revivre l’Orient, c’est la tâche des Européens - 2e partie : généalogie des grands penseurs de l’Orientalisme aux XVIIIe et XIXe siècle Cite surtout les voyageurs : Sylvestre de Sacy, Chateaubriand, Flaubert, Nerval, etc. - 3e partie : l’Orientalisme se politise davantage au début du XXe siècle Il est moins le fait des voyageurs que des administrateurs coloniaux Le discours devient parfois moins condescendant et plus sympathique envers les populations concernées La politique américaine reprend les idées des orientalistes (cf. notamment le rôle de Bernard Lewis) II. Un livre salué et contesté - Tous les chercheurs se sont sentis visés par le livre d’E. Saïd Beaucoup y ont vu une attaque contre toute forme de travail occidental sur l’Orient Le livre de Saïd les a obligés à se situer par rapport au discours de leurs aînés et à se départir d’un regard essentialiste 1) Se départir d’un regard essentialiste - De ce point de vue, le livre d’E. Saïd se situe dans le courant des Postcolonial Studies qui vise à faire des populations concernées à nouveau des auteurs de leur histoire Cet aspect du livre a dans l’ensemble été plutôt salué Fonction de mise en garde appréciée par de nombreux chercheurs par la suite 2) Des critiques fortes - Le choix des auteurs cités par Saïd est souvent contesté Auteurs d’époques différentes 52 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - Auteurs ayant eu des fonctions différentes Beaucoup de textes sont analysés sans avoir eu recours à l’histoire de la science Les textes ne sont souvent pas mis dans leur contexte P. ex. l’idée qu’il faut classer les populations par leurs « races » ou religions est très présente au XIXe siècle, pas seulement s’agissant de l’Orient Le concept de l’Orientalisme devient du coup assez anhistorique : comme l’Orient, l’Orientalisme est figé dans le temps - Saïd met l’accent sur l’instrumentalisation politique des textes cités Or, il n’est pas sûr qu’un auteur comme Nerval ait eu avant tout des visées politiques en écrivant ses textes - Le ton polémique du livre a également été critiqué III. Une immense influence intellectuelle - Comme il s’agit d’une analyse du discours, il a stimulé un grand nombre d’autres études sur le discours 1) D’autres études sur l’Orientalisme et les représentations européennes - Etudes d’autres types de discours Orientalisme pictural Etude des textes des voyageurs : distinction, notamment, entre voyageurs scientifiques et voyageurs littéraires - Etudes sur les catégories en sciences sociales Ex. étude et déconstruction du découpage géographique du monde en 5-6 continents Cf. Jack Goody : l’Europe a imposé une certaine vue de l’histoire de façon à ce qu’elle devienne le continent de la modernité à partir de la Renaissance 2) Caractéristiques et réalité de la fracture Orient/Occident - Renouvellement du débat avec Le choc des civilisations et ses critiques Cf. notamment : CORM, Georges : Orient, Occident, la fracture imaginaire, Paris, La Découverte, 2002, 187 p. 3) L’Occident vu d’Orient - B. HEYBERGER, C. WALBINER : Les Européens vus par les Libanais à l’époque ottomane, Beyrouth, Orient Institut der DMG, « Beiruter Texte und Studien », vol. 74 (2002), 244 p. Le discours européen, notamment sur la succession de différentes civilisations, est vite relayé en Orient Montre que la fracture nette entre Occident et Orient n’est pas toujours opératoire 53 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding - ROUSSILLON, Alain : Identité et modernité. Les voyageurs égyptiens au Japon (XIXe-XXe siècle), Arles, Actes Sud, 2005, 252 p. De nombreux savants égyptiens se sont intéressés au Japon après sa victoire conte la Russie en 1905 Le Japon était vu comme modèle dans la mesure où il s’était développé et modernisé très rapidement à partir de l’avènement des Meiji Montre que les Orientaux ne regardent pas que vers l’Europe Conclusion du CM 11 - Le terme d’orientaliste est désormais péjorativement connoté E. Saïd a donné une très grande force à l’histoire des discours sur différentes régions 54 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding CM 12 : L’orientalisme ottoman - Une partie des Ottomans reprennent les clichés occidentaux sur l’Orient, notamment s’agissant de la nature prétendument arriérée de celui-ci I. Un orientaliste ottoman, Osman Hamdi Bey 1) Osman Hamdi Bey (1842-1910), peintre et fonctionnaire ottoman - Contexte familial : le père d’Osman Hamdi Bey Mamlouk : esclave chrétien rescapé des massacres de Chio (1822) et formé au sein de la maison d’un grand dignitaire ottoman Etudes à Paris de 1830 à 1838 (contexte des Tanzîmât) Revenu diplômé de l’École royale des Mines A assisté aux nombreux troubles du Paris des années 1830 Épouse la fille d’un marchand aisé d’Istanbul Deviendra grand vizir en 1877 - Formation d’Osman Hamdi Bey Envoyé à Paris en 1860 pour étudier le droit Ne se montre pas très assidu : il préfère la peinture et réussit d’ailleurs à exposer quelques-unes de ses œuvres au Salon, tout en menant une vie de bohême Son père le force à rentrer à Istanbul en 1868 et le place dans l’équipe de Midhat Pacha (1822-1884), gouverneur de Bagdad, chef de file des Tanzîmât et « un des agents les plus efficaces de la centralisation ottomane » (Paul Dumont) - Fonctionnaire à Bagdad Contexte : volonté des Ottomans de développer Bagdad afin de mieux d’intégrer cette ville frontalière dans le tissu administratif 2) Un regard orientaliste (cf. les extraits de lettres d’Osman Hamdi Bey à son père) - Mépris de la population Négation de la culture arabe Distinction caricaturale entre plusieurs catégories de la population o Bédouins : primitifs o Citadins : dépravés et malhonnêtes o Chiites : danger pour l’Empire - Importance du développement économique Assimilation du progrès au bonheur Exploitation des ressources naturelles Importance des transports o Permettent de véhiculer des biens et des idées 55 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding o - Permettent de resserrer les liens entre le centre et la périphérie de l’Empire Volonté de transformer l’administration de l’Empire Critique de l’iltizâm (système d’affermage), qui favorise la corruption et la spoliation des populations 3) D’autres préoccupations orientalistes : l’archéologie et les costumes - Osman Hamdi publie en 1873 Les costumes populaires de la Turquie, en collaboration avec Victor-Marie de Launay Ouvrage commandé par le gouvernement ottoman à l’occasion de l’Exposition universelle de Vienne de 1873 Contexte historique : le XIXe siècle a inventé le folklore, qui s’exprime tout particulièrement par les costumes dits « traditionnels » ou « populaires » - Etudes archéologiques Participation à des fouilles à Saïda (Sidon), où Osman Hamdi Bey prétendit avoir découvert le sarcophage d’Alexandre le Grand, découverte contestée aujourd’hui En 1881, il est nommé à la direction du musée impérial ottoman - Conclusion sur Osman Hamdi Bey A la fois persuadé que l’Empire ottoman doit emprunter à l’occident et que l’Empire doit parallèlement « civiliser » ses provinces arabes « arriérées » Ambiguïté d’Osman Hamdi Bey par rapport à la culture arabe : tout en la niant chez les habitants des provinces arabes, il se montre fasciné par la culture islamique ancienne (dont il représente souvent des motifs dans ses peintures) et s’extasie devant la beauté de Damas Doute souvent de la capacité de l’Empire ottoman – et même des Européens – à civiliser les populations d’Orient, jugées intrinsèquement arriérées Il s’agit d’un personnage assez exceptionnel, ne serait-ce que par la longue durée de son séjour en France et sa fréquentation des grands artistes comme Gérôme II. Orientalisme et ottomanisme 1) Orientalisme et colonialisme - L’Empire ottoman ne se modernise pas simplement par rapport à l’Europe, mais crée également une politique interne de modernisation, qui vise en particulier les provinces arabes Ambiguïté : les élites orientalistes ottomanes voient dans l’Empire un espace devant être civilisé et civilisateur à la fois Investissements massifs de l’Empire dans les provinces arabes sous le règne d’AbdülHamîd II (volonté d’éventuelles forces centrifuges présentes dans ces provinces) o Damas est équipée de l’éclairage et de tramways électriques en 1906, c’est-àdire avant Istanbul 56 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding o 1882-1908 : 2 350 km de voies ferrées construites en Syrie et au Hedjaz, contre « seulement » 1 850 en Anatolie Envoi des meilleurs hauts-fonctionnaires 2) L’orientalisme ottoman - Les élites ottomanes dénoncent le retard des provinces arabes, et en particulier de l’Arabie Lutte contre les wahhabites - Volonté de « civiliser » toutes les populations des l’Empire dans un projet ottomaniste Ottomaniser la société, créer un « homme nouveau » ottoman Création de l’école des tribus en 1892 à Istanbul - Discours repris par certains auteurs arabes : cf. Boustani, Arslan 3) D’un discours nationaliste ottoman à un discours nationaliste turc - Discours nationaliste turc prend de l’ampleur après la révolution jeune-turque de 1908 - Affirmation du prestige des Turcs Considérés comme ayant une histoire plus prestigieuse que celle des Arabes Placés au somme d’une hiérarchie des « races » englobant les différentes populations de l’Empire - La Première Guerre mondiale renforce cette dynamique et la modifie On passe de l’idée que les Arabes doivent être « civilisés » à l’idée que les Arabes sont des traîtres Toutefois, l’idée de « civiliser » les Arabes n’est pas complètement abandonnée, même au cours de la Première Guerre mondiale (d’autant plus qu’une grande partie des SyroLibanais étaient favorables à l’Empire ottoman) III. Un discours révélateur du changement de mode de gouvernance de l’Empire - Révélateurs de plusieurs choses Comment l’Empire se voit lui-même Comment l’Empire voit les relations avec ses sujets 1) Nouveau rapport au temps, nouveau rapport à l’espace - Le colonialisme est en large mesure tributaire de l’idée d’un décalage temporel entre les sociétés (cf. Johannes Fabian : Time and the Other : How Anthropology Makes its Object, New York, 1983) - Nouveau rapport par rapport aux provinces 57 Histoire du Proche-Orient ottoman – Cours de C. Verdeil – Notes de M. Erpelding Auparavant : rôle très limité et purement « utilitaire » des provinces o Glacis défensif o Rentrées fiscales o Réservoir d’hommes Désormais, les provinces doivent être véritablement intégrées à l’Empire o Cf. l’édification d’horloges monumentales dans de nombreuses villes des provinces arabes (Jérusalem, Naplouse, Alep, etc.) 2) Nouveau rapport aux différences religieuses - Avec les Tanzîmât, on proclame la volonté d’intégrer les différentes communautés dans l’Empire cette politique perdurera pendant 50 ans Conclusion - Un discours de la modernisation et de la modernité Projet de régénérescence de l’Empire o Unit d’abord les élites des différentes communautés o Finit par se faire dans la séparation Différence avec l’âge classique o Auparavant, en cas de troubles (notamment politiques), on prônait le retour au statu quo ante o Avec la modernité, on prône le changement de système plutôt que le retour à un modèle antérieur mythique : le passé n’offre plus de solutions, il est confiné dans les musées et les manifestations folkloriques 58