Thierry Maucour *: mariage, naufrage, sauvetage
Après vingt et un ans de mariage, son épouse demande le divorce. Tout s'effondre. Au cœur de la tempête, ce père de
quatre enfants se tourne vers Dieu. Qui l'invite à pardonner et à demeurer fidèle à l'alliance. Entretien.
"Que s'est-il passé " Après coup, on cherche mille raisons pour expliquer la rupture. En avez-vous trouvé une de
satisfaisante?
Satisfaisante, non, car personne ne s'approche de l'autel le jour de son mariage dans la perspective de divorcer. La seule
et unique raison de notre séparation vient de l'endurcissement de nos cœurs. Petit à petit, on s'enfonce dans la
désespérance, on cherche ailleurs, et surtout pas dans le Christ. On trouve mille bonnes raisons de placer le Seigneur,
non pas au centre de nos vies, mais à côté.
Au début de notre mariage, nous pratiquions. Puis nous avons pâti des pressions de la vie professionnelle, sociale, qui
m'ont fait préférer jouer au tennis le dimanche matin plutôt que d'aller à la messe.
Nous avons connu des alertes, bien sûr, qui se traduisaient par des fermetures - du cœur, du corps. Mais je les analysais
comme des crises normales, passagères, sans prendre conscience d'une altération du fond.
Qu'est-ce qui vous a le plus coûté, au début de votre séparation?
Tout ! parce que tout s'effondre. Tout m'a le plus coûté: l'absence de mon épouse à mes côtés, son remariage civil, le
frigo vide dont j'ignorais la fréquence de remplissage. J'ai pris un appartement, et, quand je suis allé chercher mes
enfants la première fois au domicile conjugal, pour le week-end, cela m'a fait bizarre...
Comment gérer le sentiment d'injustice face à la décision unilatérale du conjoint de rompre l'alliance?
On éprouve plutôt un sentiment de trahison lié à l'abandon. Dans les premiers temps, on ressent comme une volonté de
mise à mort du conjoint: "Tu as existé et maintenant tu n'existes plus, tu ne dois plus exister". Gardons-nous cependant
de considérer d'un côté une victime sans tache et de l'autre un bourreau sanguinaire.
Humainement, qu'est-ce qui vous a soutenu pendant cette douloureuse période?
Je me suis tourné vers quelques amis, souvent des connaissances communes. Certains ont su faire preuve d'accueil. La
famille soutient aussi, mais elle ne comprend pas toujours. Parfois, le réconfort vient de personnes auxquelles on s'attend
le moins.
Alors chef d'entreprise, j'avais coutume de déjeuner dans un petit bistro tenu par un couple qui me connaissait bien. La
patronne vient prendre ma commande. "Un verre d'eau..." J'avais plus envie de crever que de manger. Elle a réussi, avec
délicatesse, à me faire avaler quelque chose chaque jour. Je lui en suis infiniment reconnaissant.
Qu'attendiez-vous de vos amis?
L'essentiel: ne pas dire du mal de mon épouse. Elle est présente dans ma blessure puisque je souffre à cause d'elle.
Dans les premières années de la séparation, l'entourage devrait agir comme le bon Samaritain: il n'a pas lancé une vaste
enquête judiciaire pour savoir pourquoi ce blessé se trouvait dans le fossé ; il s'est contenté de le soigner. Comment
éviter que les enfants culpabilisent, et deviennent partie prenante de l'un ou l'autre parent? De toute façon, ils subissent.
Que signifie amoindrir leur souffrance? Je n'ai pas de recettes, hélas... A l'époque, nos aînés avaient 20, 18 et 16 ans, et
notre cadet 5 ans. Ma femme l'a inscrit chez un pédopsychiatre. C'est très bien, c'est un lieu de parole ; mais cela
n'empêche pas de souffrir. Justifier, expliquer cette "bonne décision" , ne les console pas davantage.
Comment exercer à distance votre rôle de père?
Dans un premier temps, l'autorité parentale conjointe semble un leurre. Elle ne peut s'exercer sans vie commune. Je l'ai
douloureusement expérimenté à l'adolescence de notre quatrième. Que vouliez-vous qu'il fasse seul à 13 ans, dans
l'appartement de sa mère partie en week-end? Il savait pertinemment que je pouvais intervenir partout... sauf là. C'est
dramatique, et terriblement déstructurant. Un soir, les aînés m'ont prévenu qu'il avait été odieux chez sa maman. Je leur
ai répondu: "Mes enfants, que voulez-vous que je fasse? Vous touchez du doigt la réalité de la séparation de vos
parents".
Le rôle du père consiste à intervenir quand le gamin dérape ; il le remet debout en lui expliquant: "Ça, c'est la ligne jaune,
tu ne la franchis pas. La route, c'est par là ". Mais que faire quatre jours plus tard, une fois la limite dépassée?
Puis, au fil des années, j'ai réalisé que je pouvais exercer ma paternité par la fidélité. J'ai mesuré combien il fallait
d'abord être époux pour être père. Du fait du lien de la chair, la maman a toujours une place dans le cœur de ses
enfants. Alors qu'il suffit à l'époux de dégrader sa relation à l'épouse pour dégrader sa relation à l'enfant. Sa paternité
s'obscurcit aussitôt.
Une femme qui "évacue" le père ou abîme son image, tend à surinvestir auprès des enfants. A l'inverse, la maman fidèle
à son mari infidèle le maintient à sa place de père dans leur cœur.
Quelle place dans votre famille, dans vos prières, pour le compagnon de votre épouse? Civilement, il est son mari. Dans
notre famille, il est un tiers. Et il convient que le tiers reste à sa place de tiers. L'époux civil n'a pas sa place dans
les réunions familiales. Il importe d'éviter toute confusion. Ce tiers est apparu assez vite après notre séparation. Je
le connaissais depuis longtemps, ainsi que sa femme et ses enfants. Prier pour lui... ça m'arrive, comme Dieu nous
appelle à prier pour nos ennemis. Le Seigneur ne me demande pas de les associer dans la prière. Mon épouse demeure
mon "unique plus proche prochain".
"Personne ne connaît mieux le cœur de l'épouse que l'époux", écrivez-vous. Le mari civil ne peut-il en dire autant?
Je persiste à croire que non. Quand nous vivons quelques grâces de réconciliation, nos deux cœurs se reconnaissent. Je
l'ai expérimenté au chevet de notre petit-enfant malade, à l'hôpital, ou lors d'un coup de fil inattendu pour nous souhaiter
mutuellement un joyeux Noël.
Certes, il existe une réalité affective dans ce lien nouveau. Mais par la fidélité offerte, l'union des époux continue à se
construire, mystérieusement. Non pas aux yeux des hommes, mais dans le corps du Christ. C'est un acte de foi au-delà
du vérifiable.
L'amertume du divorce s'atténue-t-elle avec le temps?
Heureusement, le Seigneur est grand et panse nos plaies. La douleur s'atténue, mais la blessure demeure. La
souffrance n'est pas l'enfer. C'est la souffrance non offerte qui l'est. Voilà notre combat spirituel: retomber dans la
souffrance, et nous y enfermer, ou vivre de l'offrande.