Les trigrammes sont-ils universels ? On constate assez régulièrement un travers très gênant chez des praticiens n'ayant pas appris à se positionner correctement. Ils pensent, certes de bonne foi, que leur pratique est universellement efficace. Cet excès d'enthousiasme et de confiance présente certains avantages pour le patient, mais aussi des inconvénients qui peuvent être graves. L'avantage, c'est de redonner confiance à un patient qui parfois a tout essayé en vain. Le simple fait de "remonter le moral" et de dessiner avec assurance une issue positive peut être extrêmement revigorant. L'inconvénient, c'est qu'une pratique universellement efficace, cela n'existe pas. Dans l'idéal, il faudrait s'efforcer de donner confiance, tout en étant conscient des limites de sa propre pratique. Il faudrait une foi inébranlable, plus la capacité de dire : "sur ce cas-là, je ne suis pas indiqué". Ceci vaut également pour les trigrammes. Quelle que soit mon implication dans ce système, il faut dire ceci bien clairement : un système universellement efficace, cela n'existe pas. On peut simplement tendre vers l'universalité. Pas l'atteindre. Mettons tout de même un bémol à ce bémol. Les Trigrammes sont un méta-système : un système qui sert à gérer des systèmes. Ce qui augmente très nettement l'efficacité. Bien sûr, plus on appuie sur le côté "méta-système", et plus il faut augmenter la maîtrise : plus la maison est vaste, plus elle implique de responsabilités. Le rythme bipolaire, tel qu'il se manifeste en particulier dans les Trigrammes, est un très puissant outil d'analyse et de réharmonisation. Il correspond ostensiblement à une organicité précise des états psychiques (ainsi qu'à une organicité tout court, aspect qui n'a pas été abordé dans cet ouvrage), organicité que nous pouvons expérimenter de façon très concrète par une simple "statistique saisonnière" telle que foie-printemps, ou automne-poumons. Nous pouvons toutefois être plus réceptifs à un autre rythme, qu'il soit ternaire, pentarythmique ou autre. Cela étant, le Yi-King tel qu'il est présenté au fil de ces pages, c'est-à-dire le Yi-King qui a retrouvé sa nature bipolaire, présente l'avantage de projeter sur nos "carences polaires" un éclairage par définition très contrasté, et donc susceptible, dans beaucoup de cas, de moins d'ambigüité. L'ayant longuement expérimenté en conseil, il me semble qu'il est un peu plus vite maîtrisable qu'une technique comme l'astrologie, qui demande véritablement une pratique extrêmement longue pour arriver à synthétiser une masse de données colossale. En effet, en Astrologie, le problème en général n'est pas tellement de "dire quelque chose". Mais plutôt d'arriver à en dire très peu, de façon très synthétique. Dire beaucoup de choses en astrologie est très facile, c'est à la portée de tout débutant : il suffit de prendre les uns après les autres les planètes et autres objets astrologiques, de détailler leur signification en signe, en maison, en aspect avec telle autre planète... la croissance des données est très rapide, et on peut facilement "frapper juste" par l'énoncé de choses "vraies", ou assez vraies... mais au bout du compte, on trouve tout et le contraire de tout, et rien de véritablement "sur mesure". Et lorsque se pose la vraie question : que dois-je faire ici et maintenant, on ne sait y répondre, faute de synthèse. La méthode présentée ici a l'avantage d'être directement orientée sur un couple problème / solution, l'un et l'autre étant diamétralement opposés, et de déboucher directement sur des outils thérapeutiques. Par contre on ne trouvera pas dans les trigrammes de détails abondants, on ne pourra pas, comme en astrologie, faire une étude psychologique complète et détaillée du fonctionnement de la personne dans tous les secteurs de sa vie. Tout au moins, dans la méthode telle qu'elle est présentée ici. Sous son aspect actuel, cette méthode a en effet pour seul et unique résultat de définir et de lutter contre la ou les carences polaires essentielles. Cela dit, par une pratique assidûe, on parvient à une connaissance de soi très complète, et obligatoirement intégrée. La personne qui a pu se débarrasser de la ou les "épines dans le pied" peut envisager beaucoup plus sereinement une exploration complète des paramètres de sa propre caractérologie. Il est plus facile de se préoccuper de son look lorsque l'on remarche aisément. Et c'est une préoccupation qui, alors, prend toute son importance. Les travaux présentés dans cet ouvrage sont le fruit de quinze années de recherches intensives, avec de constantes vérifications pratiques. Au cours de ces recherches, j'ai de plus en plus pris conscience de l'ampleur des dégâts opérés par le "cloisonnement" dans tous les champs de l'expérience humaine. Ce n'est pas une très bonne idée que de séparer la "thérapeutique" de l' "entreprise" : on y récolte des conditions de travail inhumaines. Ce n'est pas une très bonne idée que de se croire totalement distinct de la nature. En voulant trop se dissocier de celle-ci, on pense peut-être effectuer un progrès rapide, hardi, le plus "technologique" possible, et donc : le plus efficace. Quelle splendide capacité de transformation des conditions de vie ! Mais en réalité, la véritable technologie de pointe, c'est celle qui ne tue pas son opérateur, directement ou indirectement, un peu ou beaucoup. Se dissocier de la nature, c'est se dissocier de... soi-même. En dernière analyse, qu'est-ce donc que ce cloisonnement qui tue ? C'est l'incapacité à examiner le réel de façon bipolaire, et donc l'incapacité à faire preuve d'une maturité somme toute élémentaire. Etre adulte, c'est être capable d'aborder le réel sous plusieurs angles différents, et de choisir le meilleur dosage des différents points de vue, ou le meilleur angle d'approche... à un moment donné. En fonction du moment, et non d'une idéologie. C'est ne pas être affligé d'une "carence polaire". Que penserait-on d'un aviateur capable d'aborder un terrain d'atterrissage uniquement s'il est orienté Nord-Sud ? Eminemment et fondamentalement bipolaire, le yi-king décrypté de façon cohérente est un outil qui peut connaître de nombreuses déclinaisons, non seulement dans le champ thérapeutique, mais aussi dans le secteur de l'entreprise : le groupe considéré comme une unité bénéficie de la puissance de ce système, au même titre qu'un individu. La carence polaire... cette expression pourrait résumer une bonne partie de l'histoire de l'humanité. Le défaut humain, trop humain, qui consiste à ne cultiver qu'une face de la pièce et à rejeter l'autre par des moyens plus ou moins violents a probablement été la cause principale de déséquilibres individuels ou collectifs. Examinée sous cet angle, notre histoire apparaît comme l'expression d'un "unijambisme mental" qui a constamment fait des ravages et reste, à l'heure actuelle, une des principales forces opérantes. C'est d'ailleurs une autre façon de décrire la force d'inertie, laquelle, rappelons-le, ne consiste pas à ne rien faire, mais à toujours faire les choses de la même façon. Il arrive qu'un individu ou une collectivité, ayant longuement utilisé la jambe droite, avec tout l'inconfort que cela entraîne, et ayant cherché le remède à cet inconfort, trouve "la solution" dans la jambe gauche. Alors il ou elle se "convertit", et déifie la jambe gauche ! Bien entendu la vérité se trouve dans les deux jambes, et dans leur judicieuse alternance. Vérité à usage interne, dont résulte l'harmonie personnelle, mais aussi à usage externe, permettant une démarche adaptée. L'harmonie personnelle, à terme, est bien plus qu'une simple "absence de problèmes psychologiques". C'est la reconquête d'un espace de liberté fulgurant, et pourtant sain et naturel. Fulgurant, car fonder sa vie sur le cycle saisonnier ne peut que mettre en contact avec une énergie prodigieuse. Sain et naturel, car le cycle saisonnier l'est par définition, même s'il nous ouvre au renouvellement constant. Si nous envisageons un progrès radical dans la pratique de la bipolarité, sur un plan personnel ou collectif, quel avenir pouvons-nous souhaiter ? Quelle réalité pourrait être générée par une bonne intégration des opposés ? L'écrivain britannique Michaël Moorcock, célèbre outre-Manche pour sa contribution au genre littéraire qu'il est convenu d'appeler "Heroic fantasy", a intitulé l'un de ses romans "Les Danseurs de la Fin des Temps". Puissions-nous tous devenir des Danseurs de la Fin des Temps, libres d'accéder à toutes nos polarités, capables d'utiliser, avec flexibilité et pertinence, les multiples facettes de notre Etre, improvisant constamment de nouvelles chorégraphies, toujours issues des mêmes principes sans âge, toujours différentes, libres réponses à des situations qu'elles valorisent en s'y intégrant au mieux.