CONFERENCE DU MERCREDI 19 0CTOBRE 2005
RESISTANCE ET MONDE RURAL
ORGANISE PAR
LE CDDP de l’AUBE
L’OFFICE NATIONAL DES ANCIENS COMBATTANTS DE L’AUBE
salle des conférences du CDDP
Animé par Christian Lambart, intervenant au CDDP de l’Aube
M. Bruno Jonet, Directeur du CDDP de l’Aube accueille les participants. Il remercie M.
Michel Roche, Vice Président du Conseil Général de l’Aube, de sa présence et de son intérêt
pour les activités du CDDP de l’Aube. Il se jouit également de la présence des
représentants du monde associatif des anciens combattants et de la mémoire . Ainsi sont
présents Mme Jeanine Ludot pour l’association des Amis de la Fondation pour la Mémoire
de la Déportation et Marina Bruzon Bascon pour les Combattants Volontaires de la
sistance et MM Pierre Brision, vice président de l’ADIRP, Jacques Ricoux, président de
Rhin et Danube et de la délégation de la Fondation De Lattre et Bruno Collin, président des
Amis de la Résistance (Anacr). Il termine son propos en rappelant les efforts que son
établissement déploie pour le concours notamment par la création du site du CNRD et
l’appuie apporté par l’Inspection académique de l’Aube.
Mlle Sophie Ravailhe prend la parole à son tour
Monsieur JONET Bruno, Directeur du C.D.D.P.,
Messieurs les intervenants :
Monsieur THIEBOT, historien du Mémorial de Caen,
Monsieur COUILLARD Gilbert, témoin historique, ancien résistant et président du Comité ANACR et
Amis de Troyes-agglo.,
Monsieur LAMBART Christian, professeur d’histoire, animateur de la conférence,
Mesdames et Messieurs les membres du corps professoral,
Mesdames et Messieurs les représentants d’associations du monde combattant oeuvrant pour la
transmission de la mémoire citoyenne (ANACR-Ass. Nationale des anciens combattants de la
résistance- ; ANMR-Ass. Nat. Des médaillés de la résistance française- ; CVR-combattants
volontaires de la résistance- ; ADIRP-Ass. Des déportés et internés de la résistance et des patriotes- ;
ADADIF-Ass. Départ. Des anciens déportés, internés et familles de déportés- ;
Mesdames et Messieurs les élèves ;
C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai l’ honneur de représenter Monsieur le Préfet de l’Aube, qui
empêché par les devoirs de sa charge m’a rappelé combien ce concours créé en 1961 constituait la
pierre angulaire du système éducatif, en amenant les jeunes aubois à réfléchir sur un passé historique
riche d’évènements, véritable ciment de la conscience citoyenne.
La conférence de ce soir constitue une introduction au célèbre Concours de la Résistance et de la
Déportation-session 2006-, en posant les jalons circonstanciels de la thématique.
Dans le même temps cette conférence augure un autre événement majeur dans le traitement de la
Résistance, le 50ème anniversaire de l’érection du Monument de la Résistance et de la Déportation,
« Gloire de la Résistance auboise » le 12 novembre prochain.
Pour l’année scolaire 2005-2006, le thème du concours porte sur la « Résistance et monde rural » ;
l’occasion d’évoquer cette résistance de la ruralité française sous Vichy et l’occupation nazie souvent
occultée par l’historiographie de la Résistance.
Ce thème a pour objet de réfléchir sur la Résistance du monde rural, les rapports entre la résistance
urbaine et le monde rural, la relation des résistances avec l’espace rural.
Le département de l’Indre, département essentiellement rural, est un territoire qui peut se prêter de
manière exemplaire à cette réflexion ; il n’est pas inutile de rappeler que la plus importante
capitulation d’une colonne allemande obtenue par les forces de la résistance en France les 18 000
hommes de la colonne Elster- a eu lieu dans l’Indre à Issoudun en septembre 1944.
Le Vercors, terre nourricière de la résistance, les Cévennes ou encore le département de l’Aube
pourront également faire l’objet de recherches sur les aspects de la Résistance, par exemple les
maquis, les refuges, le camouflage des réfractaires et des persécutés, qui témoignent du rôle décisif
joué par la population des campagnes dans la lutte contre l’occupant.
Le thème du concours se veut donc une incitation à creuser un sillon dans un champ jusqu’ici laissé
en friches ou superficiellement travaillé alors que le monde rural constituait un groupe essentiel et
majoritaire de la société française des années noires. Entre 1940 et 1944, un bon tiers de la
population était employé dans l’agriculture et sept à huit millions de personnes vivaient en zone
rurale.
Cependant, il serait inexact de prétendre que le monde rural est absent du tableau que les historiens
dressent de la période, moins encore de la mémoire collective. Il affleure dans nombre des récits que
cette période convulsive a suscités.
A titre d’exemple, on peut évoquer l’important discours radiodiffusé du maréchal
Pétain, le 25 juin 1940. S’il y résume les clauses de l’armistice entrées en vigueur ce même jour, il y
énonce aussi la morale qui dictera sa conduite et sa politique. L’heure est à la contrition et à
l’examen de conscience, comme en font foi ces phrases et mots surprenants passés à la postérité : « La
terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la patrie elle-même. Un champ qui tombe
en friche, c’est une portion de la France qui meurt. Une jachère de nouveau emblavée, c’est une
portion de la France qui renaît. »
Au sortir de la troisième République agonisante, il apparaît clairement que Pétain nourrit de vastes
projets qui se fondent sur une vision de la France qui fait la part belle aux campagnes censées
perpétuer les valeurs ancestrales, afin de contrecarrer ce diagnostic : « Notre défaite est venue de nos
relâchements. L’esprit de jouissance détruit ce que l’esprit de sacrifice a édifié. »
Dès lors, le thème de la rédemption sera inlassablement décliné avec, dans une société que la défaite
a privée de ses points de repères les plus établis, pour vertus cardinales et rédemptrices celles d’un
monde rural magnifié comme jamais. Et la propagande vichyste de marteler : « La vie rurale n’est pas
une idylle, et le métier du paysan est un dur métier qui exige toujours de l’endurance, souvent du
courage, parfois de l’héroïsme. »
Pendant l’Occupation, l’ordre nouveau exigeait l’effacement d’une partie de l’humanité. Le
repliement forcé sur l’éternité factice des labours, des troupeaux et des artisanats villageois allait,
dans le pétainisme, avec le rejet, l’élimination de l’autre : du militant démocrate, du franc-maçon, du
juif surtout.
Choyés par le nouveau régime, encensés par ses propagandistes, les paysans font figure de gagnants
dans un contexte où on ne recense que des perdants. Ce cuisant renversement des positions sociales se
double d’une aisance matérielle qui, si elle est relative, n’en est pas moins éclatante vécue comme
telle en tout cas en regard de la vie de privations qui sévit dans les villes, il y a peu synonymes
d’abondance.
De là vient probablement l’image maréchaliste et pétainiste qui colle à la France rurale, cette France
de petits propriétaires qui aurait prospéré sur le marché noir, remplissant ses lessiveuses d’or. Un
mythe sans doute, mais un mythe qui a la vie dure, une perception muée en représentation durable.
Cette imagerie a quelque chose du cliché. Loin des envolées du lyrisme pétainiste et des
condamnations formulées rétrospectivement pour stigmatiser l’égoïsme rural, se niche une vie
paysanne avec ses peines, ses douleurs, ses ambivalences.
Penser la Résistance et le monde rural implique impérativement de connaître intimement, c’est à dire
de l’intérieur, un univers rétif à l’analyse. En effet, le constat de prime abord négatif, invite donc à
nuancer le tableau d’une France rurale confinée dans la dévotion pétainiste avant de se glisser
graduellement dans un attentisme prudent.
L’étude du monde rural met donc en évidence la diversité des attitudes au sein d’une société paysanne
qui vit coexister résistances, indifférences et collaboration.
Pour sortir des visions stéréotypées d’une ruralité devant une allégeance totale au régime vichyste,
penchons-nous sur le célèbre film « Le chagrin et la pitié » de Marcel Ophuls, les seuls véritables
héros étaient « les deux frères Grave, ces vieux paysans si tranquillement humains, héroïques et terre
à terre, qui disent que leurs exploits dans la sistance ont nui à leur réputation, (…), ces admirables
frères Grave, tellement en harmonie avec leurs collines, leurs terres et leur ferme, (…) des gens bien
adaptés, qui décidèrent que ce qu’ils avaient valait la peine que l’on combatte et que l’on mesure pour
le défendre ».
Si la France n’avait pas été unanimement résistante, les résistants les plus purs, c’est dans la
campagne qu’on les trouvaient.
La Résistance, véritable acte de foi trouvait son essence dans la lutte qu’engagèrent les élites
nouvelles et souvent insoupçonnées, qui se sont portées volontairement à la pointe du combat
clandestin.
La Résistance au sein du monde rural était bien l’expression forte et virile du patriotisme profond,
constant, meurtri ou outragé dont le seul dessein qui animait ses héros était de restaurer l’honneur de
la France et de rendre la liberté à la mère patrie.
Nous avons toutes et tous un devoir de moire en notre qualité d’héritiers de cette sombre page de
l’histoire de l’humanité, et ce devoir de mémoire implique et exige de cultiver au quotidien l’esprit de
tolérance, la solidarité et l’attitude de vigilance face à l’absurde et l’innommable.
Je vous remercie de votre bienveillante attention.
Présentation des intervenants et de la problématique du thème de l’année.
M. Gilbert Couillard est le président du Comité ANACR de Troyes Agglo et Amis. Il fut très jeune
un résistant dans le sillage de son père. M. Couillard avait 18 ans en 1943 et habitait un petit village
aubois d'une trentaine d'habitants: St Mards-en-Othe. Il habitait le ferme familiale. Fréquemment des
personnes venaient voir son père, chef départemental du Bureau des Opérations riennes (BOA), et
un jour il a découvert des tickets d'alimentation en grand nombre dans sa ferme. C'est alors qu'il s'est
douté que son père était résistant et qu'il devait suivre ce mode de conduite. Mais ce n'est pas sa
seule motivation pour se tourner vers la résistance, le manque de liberté comme le couvre feu,
l'interdiction de se rassembler, l'interdiction de faire la fête…, les quisitions, les privations… ont
également poussé M. Couillard à résister.
Ses premiers pas de résistant, il les a fait pour aider son père : il transportait de temps en temps des
papiers au compte du BOA. Par la suite, il a été affecté à la surveillance de la 5eme colonne (réseau
d'espionnage à la solde des allemands composé essentiellement de Français) puis à la recherche de
nouveaux terrains pour le parachutage. Trois terrains ont été homologués par le BOA autour de St
Mards, pour cela il fallait qu'ils soient faciles d'accès, plats, entourés de bois pour se dissimuler, larges
de 200 à 250 mètres et longs de 500 à 800 mètres.
Ensuite, il s'est occupé de recevoir les parachutages. Il fallait écouter tous les matins radio
Londres "les Français parlent aux Français" vers 9-10h. S'il entendait des messages codés (comme par
exemple : Bacchus n'aime pas le vin), ça signifiait qu'un parachutage était prévu sur un terrain
homologué. Dans ce cas, il fallait de nouveau écouter la radio à 13h pour avoir confirmation et pour
connaître le nombre d'avions qui participeront au parachutage. Et enfin, il fallait une dernière fois
écouter radio Londres à 19h pour préciser les conditions de réception du parachutage. Après la
réception de ce dernier message, il réquisitionnait des maquisards pour assurer la sécurité du
parachutage. Vers 23h, un ou plusieurs avions arrivaient, la zone devait alors être balisée en signe de
reconnaissance pour le pilote de l'avion. Il faisait des signaux lumineux avec une lampe torche pour
guider l'avion. Ainsi, lors du premier passage de l'appareil, les hommes étaient parachutés et lors du
second passage des containers étaient à leur tours parachutés. Ces containers contenaient de l'argent,
de la nourriture, des tickets d'alimentation, des vêtements, des médicaments, des explosifs, des
armes… En tout 17 parachutages ont été effectués sur la zone de St Mards-en-Othe pour récupérer
jusqu'à 45 tonnes de matériels. Le matériel des containers était destiné aux maquis, au BOA, ou bien
aux réseaux de résistances parisiens. Il était formellement interdit de redistribuer du matériel au FTP
(réseau de résistance bourguignon) pour des raisons d'appartenance politique mais parfois, les
dirigeants du BOA donnait du matériel à leur voisin bourguignon ce qui a valu à St Mards-en-Othes
d'être le seul village de France ayant un monument commémoratif du BOA et du FTP.
Emmanuel Thiébot, historien au Mémorial de Caen et organisateur des projets
pédagogiques, dossiers et mis en ligne à l’intention des enseignants et des élèves des collèges
et des lycées. Sa bibliographie est importante. Celle-ci est intégralement reproduite en fin de
dossier.
Le sujet est ensuite présenté dans sa problématique et ses composantes auboises. (lien avec la
sous rubrique le sujet dans l’Aube).
M. Thiébot prend la parole et précise qu’il donne les conclusions d’un travail collectif
réalisé par l'équipe de rédaction (dont il faisait partie) de la plaquette nationale qui sera
distribuée dans les établissements d'enseignement, sous l'égide de la Fondation de la
Résistance, à l'occasion du Concours de cette année.
Introduction
Être résistant signifie à partir de la défaite de juin 1940 qu’on souhaite poursuivre le combat
par une action volontaire, clandestine, avec pour but de lutter contre l’occupant nazi et le régime de
Vichy. Pour exprimer cette opposition, des hommes et des femmes, peu nombreux au sein de la
société française, ont utilisé plusieurs moyens d’action : contestations orales, graffitis, diffusion de
tracts et de journaux clandestins, recueils de renseignements pour les Alliés, protection de populations
discriminées par le nouveau pouvoir, mais aussi lutte armée et constitution de maquis.
Dans ces multiples gestes de résistance, la part du monde rural est importante : un maquis par
exemple ne peut survivre que grâce à l’aide des paysans fournissant l’alimentation, une ferme isolée
est également souvent un excellent refuge pour ceux qui doivent se cacher des autorités. Même si
l’ensemble du monde rural n’a pas été actif au sein de la Résistance, son appui a permis le
développement de multiples actions.
Rappelons qu’en 1939, la France est un pays fortement rural : la moitié de la population vit
dans les campagnes et l’agriculture est un secteur clé de l’économie du pays. Qu’entend on réellement
par « monde rural » ? Cette expression, qui n’est pas employée durant la Seconde Guerre mondiale (on
parle alors de monde des campagnes ou de France des paysans) désigne les espaces la population
est rassemblée dans des communes de moins de 2 000 habitants. Plus généralement, on associe à ces
petites communes les petites villes qui sont étroitement liées aux espaces ruraux, tant par leur mode de
vie que par les activités économiques.
Le monde rural se définit également par d’autres critères importants pour l’étude de la
Résistance : les collectivités rurales vivent en autonomie relative par rapport à l’ensemble de la
société. Le fonctionnement économique des campagnes permet d’être autonome, phénomène renforcé
en temps de guerre. Les ruraux peuvent mieux subvenir à leurs besoins et ont entre leurs mains les clés
du ravitaillement de l’ensemble de la population. Le monde rural est de plus composé de petits
ensembles, où tout le monde se connaît et qui ont de faibles relations avec l’extérieur. Dans ces petites
communautés, ceux qu’on appelle les notables, (maires, prêtres, instituteurs, gendarmes) jouent un
rôle décisif. On va en trouver à la tête des organisations résistantes qui se développent en milieu rural.
Le discours vichyste du « retour à la terre » :
un piège pour la paysannerie ?
Le régime de Philippe Pétain voit dans le monde rural un des piliers de la France nouvelle
qu’il souhaite instaurer grâce à son programme de Révolution nationale.
Après la défaite de juin 1940, l’agriculture française est fortement déstabilisée, d’abord par la
mobilisation militaire puis par la captivité des prisonniers de guerre, ce qui la prive de 13 % de sa
population active, mais aussi par les prélèvements allemands et le blocus anglais. Cela accroît un recul
des terres cultivées et de l’élevage qui provoque une rapide pénurie alimentaire. Lorsque le maréchal
Pétain et les hommes du gouvernement de Vichy instaurent leur programme politique, intitulé la
« Révolution nationale », qui s’appuie sur un ensemble d’idées réactionnaires, le monde rural ainsi que
l’artisanat en deviennent des composantes majeures. Sous l’égide de la devise « Travail , Famille,
Patrie » et sous couvert d’une longue tradition historique de la France rurale, ces hommes politiques
prônent le « Retour à la terre » face à une industrialisation qui aurait appauvrie la nation. Pétain
déclare dans un discours prononcé à Tulle, le 20 avril 1941, « La France redeviendra ce qu’elle
n’aurait jamais cesser d’être : une nation essentiellement agricole. Elle restaurera les antiques
traditions artisanales ». Le ministre de l’Agriculture et du ravitaillement, Pierre Caziot, surenchérit
quelques mois plus tard, le 21 septembre, en déclarant qu’ « il faut oser proclamer la primauté de la
paysannerie et la nécessité d’une politique donnant à la production agricole la première place dans
l’économie de la nation ».
La paysannerie est donc mise à l’honneur par une intense propagande qui souhaite maintenir le
poids de l’agriculture face au monde urbain, discours qui semble être entendu à l’heure des
restrictions.
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