Les maquis, incarnation de la Résistance dans l`espace rural

publicité
CONFERENCE DU MERCREDI 19 0CTOBRE 2005
RESISTANCE ET MONDE RURAL
ORGANISE PAR
LE CDDP de l’AUBE
L’OFFICE NATIONAL DES ANCIENS COMBATTANTS DE L’AUBE
salle des conférences du CDDP
Animé par Christian Lambart, intervenant au CDDP de l’Aube
M. Bruno Jonet, Directeur du CDDP de l’Aube accueille les participants. Il remercie M.
Michel Roche, Vice Président du Conseil Général de l’Aube, de sa présence et de son intérêt
pour les activités du CDDP de l’Aube. Il se réjouit également de la présence des
représentants du monde associatif des anciens combattants et de la mémoire . Ainsi sont
présents Mme Jeanine Ludot pour l’association des Amis de la Fondation pour la Mémoire
de la Déportation et Marina Bruzon Bascon pour les Combattants Volontaires de la
Résistance et MM Pierre Brision, vice président de l’ADIRP, Jacques Ricoux, président de
Rhin et Danube et de la délégation de la Fondation De Lattre et Bruno Collin, président des
Amis de la Résistance (Anacr). Il termine son propos en rappelant les efforts que son
établissement déploie pour le concours notamment par la création du site du CNRD et
l’appuie apporté par l’Inspection académique de l’Aube.
Mlle Sophie Ravailhe prend la parole à son tour
Monsieur JONET Bruno, Directeur du C.D.D.P.,
Messieurs les intervenants :
Monsieur THIEBOT, historien du Mémorial de Caen,
Monsieur COUILLARD Gilbert, témoin historique, ancien résistant et président du Comité ANACR et
Amis de Troyes-agglo.,
Monsieur LAMBART Christian, professeur d’histoire, animateur de la conférence,
Mesdames et Messieurs les membres du corps professoral,
Mesdames et Messieurs les représentants d’associations du monde combattant oeuvrant pour la
transmission de la mémoire citoyenne (ANACR-Ass. Nationale des anciens combattants de la
résistance- ; ANMR-Ass. Nat. Des médaillés de la résistance française- ; CVR-combattants
volontaires de la résistance- ; ADIRP-Ass. Des déportés et internés de la résistance et des patriotes- ;
ADADIF-Ass. Départ. Des anciens déportés, internés et familles de déportés- ;
Mesdames et Messieurs les élèves ;
C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai l’ honneur de représenter Monsieur le Préfet de l’Aube, qui
empêché par les devoirs de sa charge m’a rappelé combien ce concours créé en 1961 constituait la
pierre angulaire du système éducatif, en amenant les jeunes aubois à réfléchir sur un passé historique
riche d’évènements, véritable ciment de la conscience citoyenne.
La conférence de ce soir constitue une introduction au célèbre Concours de la Résistance et de la
Déportation-session 2006-, en posant les jalons circonstanciels de la thématique.
Dans le même temps cette conférence augure un autre événement majeur dans le traitement de la
Résistance, le 50ème anniversaire de l’érection du Monument de la Résistance et de la Déportation,
« Gloire de la Résistance auboise » le 12 novembre prochain.
Pour l’année scolaire 2005-2006, le thème du concours porte sur la « Résistance et monde rural » ;
l’occasion d’évoquer cette résistance de la ruralité française sous Vichy et l’occupation nazie souvent
occultée par l’historiographie de la Résistance.
Ce thème a pour objet de réfléchir sur la Résistance du monde rural, les rapports entre la résistance
urbaine et le monde rural, la relation des résistances avec l’espace rural.
Le département de l’Indre, département essentiellement rural, est un territoire qui peut se prêter de
manière exemplaire à cette réflexion ; il n’est pas inutile de rappeler que la plus importante
capitulation d’une colonne allemande obtenue par les forces de la résistance en France –les 18 000
hommes de la colonne Elster- a eu lieu dans l’Indre à Issoudun en septembre 1944.
Le Vercors, terre nourricière de la résistance, les Cévennes ou encore le département de l’Aube
pourront également faire l’objet de recherches sur les aspects de la Résistance, par exemple les
maquis, les refuges, le camouflage des réfractaires et des persécutés, qui témoignent du rôle décisif
joué par la population des campagnes dans la lutte contre l’occupant.
Le thème du concours se veut donc une incitation à creuser un sillon dans un champ jusqu’ici laissé
en friches ou superficiellement travaillé alors que le monde rural constituait un groupe essentiel et
majoritaire de la société française des années noires. Entre 1940 et 1944, un bon tiers de la
population était employé dans l’agriculture et sept à huit millions de personnes vivaient en zone
rurale.
Cependant, il serait inexact de prétendre que le monde rural est absent du tableau que les historiens
dressent de la période, moins encore de la mémoire collective. Il affleure dans nombre des récits que
cette période convulsive a suscités.
A titre d’exemple, on peut évoquer l’important discours radiodiffusé du maréchal
Pétain, le 25 juin 1940. S’il y résume les clauses de l’armistice entrées en vigueur ce même jour, il y
énonce aussi la morale qui dictera sa conduite et sa politique. L’heure est à la contrition et à
l’examen de conscience, comme en font foi ces phrases et mots surprenants passés à la postérité : « La
terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la patrie elle-même. Un champ qui tombe
en friche, c’est une portion de la France qui meurt. Une jachère de nouveau emblavée, c’est une
portion de la France qui renaît. »
Au sortir de la troisième République agonisante, il apparaît clairement que Pétain nourrit de vastes
projets qui se fondent sur une vision de la France qui fait la part belle aux campagnes censées
perpétuer les valeurs ancestrales, afin de contrecarrer ce diagnostic : « Notre défaite est venue de nos
relâchements. L’esprit de jouissance détruit ce que l’esprit de sacrifice a édifié. »
Dès lors, le thème de la rédemption sera inlassablement décliné avec, dans une société que la défaite
a privée de ses points de repères les plus établis, pour vertus cardinales et rédemptrices celles d’un
monde rural magnifié comme jamais. Et la propagande vichyste de marteler : « La vie rurale n’est pas
une idylle, et le métier du paysan est un dur métier qui exige toujours de l’endurance, souvent du
courage, parfois de l’héroïsme. »
Pendant l’Occupation, l’ordre nouveau exigeait l’effacement d’une partie de l’humanité. Le
repliement forcé sur l’éternité factice des labours, des troupeaux et des artisanats villageois allait,
dans le pétainisme, avec le rejet, l’élimination de l’autre : du militant démocrate, du franc-maçon, du
juif surtout.
Choyés par le nouveau régime, encensés par ses propagandistes, les paysans font figure de gagnants
dans un contexte où on ne recense que des perdants. Ce cuisant renversement des positions sociales se
double d’une aisance matérielle qui, si elle est relative, n’en est pas moins éclatante vécue comme
telle en tout cas en regard de la vie de privations qui sévit dans les villes, il y a peu synonymes
d’abondance.
De là vient probablement l’image maréchaliste et pétainiste qui colle à la France rurale, cette France
de petits propriétaires qui aurait prospéré sur le marché noir, remplissant ses lessiveuses d’or. Un
mythe sans doute, mais un mythe qui a la vie dure, une perception muée en représentation durable.
Cette imagerie a quelque chose du cliché. Loin des envolées du lyrisme pétainiste et des
condamnations formulées rétrospectivement pour stigmatiser l’égoïsme rural, se niche une vie
paysanne avec ses peines, ses douleurs, ses ambivalences.
Penser la Résistance et le monde rural implique impérativement de connaître intimement, c’est à dire
de l’intérieur, un univers rétif à l’analyse. En effet, le constat de prime abord négatif, invite donc à
nuancer le tableau d’une France rurale confinée dans la dévotion pétainiste avant de se glisser
graduellement dans un attentisme prudent.
L’étude du monde rural met donc en évidence la diversité des attitudes au sein d’une société paysanne
qui vit coexister résistances, indifférences et collaboration.
Pour sortir des visions stéréotypées d’une ruralité devant une allégeance totale au régime vichyste,
penchons-nous sur le célèbre film « Le chagrin et la pitié » de Marcel Ophuls, où les seuls véritables
héros étaient « les deux frères Grave, ces vieux paysans si tranquillement humains, héroïques et terre
à terre, qui disent que leurs exploits dans la résistance ont nui à leur réputation, (…), ces admirables
frères Grave, tellement en harmonie avec leurs collines, leurs terres et leur ferme, (…) des gens bien
adaptés, qui décidèrent que ce qu’ils avaient valait la peine que l’on combatte et que l’on mesure pour
le défendre ».
Si la France n’avait pas été unanimement résistante, les résistants les plus purs, c’est dans la
campagne qu’on les trouvaient.
La Résistance, véritable acte de foi trouvait son essence dans la lutte qu’engagèrent les élites
nouvelles et souvent insoupçonnées, qui se sont portées volontairement à la pointe du combat
clandestin.
La Résistance au sein du monde rural était bien l’expression forte et virile du patriotisme profond,
constant, meurtri ou outragé dont le seul dessein qui animait ses héros était de restaurer l’honneur de
la France et de rendre la liberté à la mère patrie.
Nous avons toutes et tous un devoir de mémoire en notre qualité d’héritiers de cette sombre page de
l’histoire de l’humanité, et ce devoir de mémoire implique et exige de cultiver au quotidien l’esprit de
tolérance, la solidarité et l’attitude de vigilance face à l’absurde et l’innommable.
Je vous remercie de votre bienveillante attention.
Présentation des intervenants et de la problématique du thème de l’année.
M. Gilbert Couillard est le président du Comité ANACR de Troyes Agglo et Amis. Il fut très jeune
un résistant dans le sillage de son père. M. Couillard avait 18 ans en 1943 et habitait un petit village
aubois d'une trentaine d'habitants: St Mards-en-Othe. Il habitait le ferme familiale. Fréquemment des
personnes venaient voir son père, chef départemental du Bureau des Opérations Aériennes (BOA), et
un jour il a découvert des tickets d'alimentation en grand nombre dans sa ferme. C'est alors qu'il s'est
douté que son père était résistant et qu'il devait suivre ce mode de conduite. Mais ce n'est pas là sa
seule motivation pour se tourner vers la résistance, le manque de liberté comme le couvre feu,
l'interdiction de se rassembler, l'interdiction de faire la fête…, les réquisitions, les privations… ont
également poussé M. Couillard à résister.
Ses premiers pas de résistant, il les a fait pour aider son père : il transportait de temps en temps des
papiers au compte du BOA. Par la suite, il a été affecté à la surveillance de la 5 eme colonne (réseau
d'espionnage à la solde des allemands composé essentiellement de Français) puis à la recherche de
nouveaux terrains pour le parachutage. Trois terrains ont été homologués par le BOA autour de St
Mards, pour cela il fallait qu'ils soient faciles d'accès, plats, entourés de bois pour se dissimuler, larges
de 200 à 250 mètres et longs de 500 à 800 mètres.
Ensuite, il s'est occupé de recevoir les parachutages. Il fallait écouter tous les matins radio
Londres "les Français parlent aux Français" vers 9-10h. S'il entendait des messages codés (comme par
exemple : Bacchus n'aime pas le vin), ça signifiait qu'un parachutage était prévu sur un terrain
homologué. Dans ce cas, il fallait de nouveau écouter la radio à 13h pour avoir confirmation et pour
connaître le nombre d'avions qui participeront au parachutage. Et enfin, il fallait une dernière fois
écouter radio Londres à 19h pour préciser les conditions de réception du parachutage. Après la
réception de ce dernier message, il réquisitionnait des maquisards pour assurer la sécurité du
parachutage. Vers 23h, un ou plusieurs avions arrivaient, la zone devait alors être balisée en signe de
reconnaissance pour le pilote de l'avion. Il faisait des signaux lumineux avec une lampe torche pour
guider l'avion. Ainsi, lors du premier passage de l'appareil, les hommes étaient parachutés et lors du
second passage des containers étaient à leur tours parachutés. Ces containers contenaient de l'argent,
de la nourriture, des tickets d'alimentation, des vêtements, des médicaments, des explosifs, des
armes… En tout 17 parachutages ont été effectués sur la zone de St Mards-en-Othe pour récupérer
jusqu'à 45 tonnes de matériels. Le matériel des containers était destiné aux maquis, au BOA, ou bien
aux réseaux de résistances parisiens. Il était formellement interdit de redistribuer du matériel au FTP
(réseau de résistance bourguignon) pour des raisons d'appartenance politique mais parfois, les
dirigeants du BOA donnait du matériel à leur voisin bourguignon ce qui a valu à St Mards-en-Othes
d'être le seul village de France ayant un monument commémoratif du BOA et du FTP.
Emmanuel Thiébot, historien au Mémorial de Caen et organisateur des projets
pédagogiques, dossiers et mis en ligne à l’intention des enseignants et des élèves des collèges
et des lycées. Sa bibliographie est importante. Celle-ci est intégralement reproduite en fin de
dossier.
Le sujet est ensuite présenté dans sa problématique et ses composantes auboises. (lien avec la
sous rubrique le sujet dans l’Aube).
M. Thiébot prend la parole et précise qu’il donne les conclusions d’un travail collectif
réalisé par l'équipe de rédaction (dont il faisait partie) de la plaquette nationale qui sera
distribuée dans les établissements d'enseignement, sous l'égide de la Fondation de la
Résistance, à l'occasion du Concours de cette année.
Introduction
Être résistant signifie à partir de la défaite de juin 1940 qu’on souhaite poursuivre le combat
par une action volontaire, clandestine, avec pour but de lutter contre l’occupant nazi et le régime de
Vichy. Pour exprimer cette opposition, des hommes et des femmes, peu nombreux au sein de la
société française, ont utilisé plusieurs moyens d’action : contestations orales, graffitis, diffusion de
tracts et de journaux clandestins, recueils de renseignements pour les Alliés, protection de populations
discriminées par le nouveau pouvoir, mais aussi lutte armée et constitution de maquis.
Dans ces multiples gestes de résistance, la part du monde rural est importante : un maquis par
exemple ne peut survivre que grâce à l’aide des paysans fournissant l’alimentation, une ferme isolée
est également souvent un excellent refuge pour ceux qui doivent se cacher des autorités. Même si
l’ensemble du monde rural n’a pas été actif au sein de la Résistance, son appui a permis le
développement de multiples actions.
Rappelons qu’en 1939, la France est un pays fortement rural : la moitié de la population vit
dans les campagnes et l’agriculture est un secteur clé de l’économie du pays. Qu’entend on réellement
par « monde rural » ? Cette expression, qui n’est pas employée durant la Seconde Guerre mondiale (on
parle alors de monde des campagnes ou de France des paysans) désigne les espaces où la population
est rassemblée dans des communes de moins de 2 000 habitants. Plus généralement, on associe à ces
petites communes les petites villes qui sont étroitement liées aux espaces ruraux, tant par leur mode de
vie que par les activités économiques.
Le monde rural se définit également par d’autres critères importants pour l’étude de la
Résistance : les collectivités rurales vivent en autonomie relative par rapport à l’ensemble de la
société. Le fonctionnement économique des campagnes permet d’être autonome, phénomène renforcé
en temps de guerre. Les ruraux peuvent mieux subvenir à leurs besoins et ont entre leurs mains les clés
du ravitaillement de l’ensemble de la population. Le monde rural est de plus composé de petits
ensembles, où tout le monde se connaît et qui ont de faibles relations avec l’extérieur. Dans ces petites
communautés, ceux qu’on appelle les notables, (maires, prêtres, instituteurs, gendarmes) jouent un
rôle décisif. On va en trouver à la tête des organisations résistantes qui se développent en milieu rural.
Le discours vichyste du « retour à la terre » :
un piège pour la paysannerie ?
Le régime de Philippe Pétain voit dans le monde rural un des piliers de la France nouvelle
qu’il souhaite instaurer grâce à son programme de Révolution nationale.
Après la défaite de juin 1940, l’agriculture française est fortement déstabilisée, d’abord par la
mobilisation militaire puis par la captivité des prisonniers de guerre, ce qui la prive de 13 % de sa
population active, mais aussi par les prélèvements allemands et le blocus anglais. Cela accroît un recul
des terres cultivées et de l’élevage qui provoque une rapide pénurie alimentaire. Lorsque le maréchal
Pétain et les hommes du gouvernement de Vichy instaurent leur programme politique, intitulé la
« Révolution nationale », qui s’appuie sur un ensemble d’idées réactionnaires, le monde rural ainsi que
l’artisanat en deviennent des composantes majeures. Sous l’égide de la devise « Travail , Famille,
Patrie » et sous couvert d’une longue tradition historique de la France rurale, ces hommes politiques
prônent le « Retour à la terre » face à une industrialisation qui aurait appauvrie la nation. Pétain
déclare dans un discours prononcé à Tulle, le 20 avril 1941, « La France redeviendra ce qu’elle
n’aurait jamais dû cesser d’être : une nation essentiellement agricole. Elle restaurera les antiques
traditions artisanales ». Le ministre de l’Agriculture et du ravitaillement, Pierre Caziot, surenchérit
quelques mois plus tard, le 21 septembre, en déclarant qu’ « il faut oser proclamer la primauté de la
paysannerie et la nécessité d’une politique donnant à la production agricole la première place dans
l’économie de la nation ».
La paysannerie est donc mise à l’honneur par une intense propagande qui souhaite maintenir le
poids de l’agriculture face au monde urbain, discours qui semble être entendu à l’heure des
restrictions.
Les paysans y sont d’autant plus sensibles, dans les premiers mois du régime vichyste, qu’ils
s’étaient sentis les laissés-pour-compte de la société française dans l’entre-deux-guerres, face à la
promotion de la civilisation mécanique et industrielle. La Corporation nationale paysanne n’est pas
vue d’un mauvais œil. Instaurée le 2 décembre 1940, elle regroupe sous un monopole l’ensemble des
structures syndicales agricoles d’avant guerre, ainsi que les organismes de propriétaires, de crédits ou
d’assurance. L’image qu’elle véhicule d’une solidarité paysanne venant au secours des populations
urbaines pour leur assurer le ravitaillement, est même valorisante. Pétain ne déclare-t-il pas dans son
discours du 1er janvier 1941 : « Je m’adresse aux Paysans de France. Il faut qu’ils tirent de la terre
tout ce qu’elle peut donner. Les rendements devront être augmentés en dépit de toutes les
difficultés » ? Ou bien encore, « Paysans, mes amis, je vous fais confiance et je compte sur votre
dévouement pour m’aider à relever la France ». La propagande vichyste s’empare de ces thèmes pour
mettre en avant la paysannerie et l’artisanat, l’idée étant d’affirmer qu’elle est garante de l’ordre social
face à la culture ouvrière et citadine, jugée responsable, entre autres, de la défaite.
Afin d’enrayer l’hémorragie des campagnes, une « Mission de restauration paysanne » est
créée pour remettre en état les cultures abandonnées, tandis qu’un « Service civique rural » est mis en
place, en mars 1941, qui fait participer les jeunes aux grands travaux agricoles pour pallier la main
d’œuvre masculine manquante. Un « pécule de Retour à la terre » est alloué, en mai 1941, aux familles
ayant un enfant à charge qui, exerçant une profession industrielle ou commerciale, s’engagent à
pratiquer un métier agricole pendant au moins six mois. Mesures qui ne sont que des pis-aller. Ce qui
grève avant tout les récoltes, ce sont les prélèvements des Allemands pour leurs propres troupes
d’occupation stationnées en France.
Dès l’été 1940, l’Allemagne organise les conditions d’un véritable pillage organisé qui touche
tous les secteurs de l’économie française. De plus, le taux de change de 1 Reichsmark contre 20
Francs favorise les achats par l’Allemagne et la baisse des stocks des magasins. Très vite apparaissent
les premières pénuries ponctuelles ou définitives. En septembre 1940, beurre, vin, œufs, charbon
deviennent rares.
La population, surtout urbaine, n’a que faire de cette propagande du « Retour à la terre ». Pour
elle, les campagnes sont devenues synonymes de ravitaillement. D’autant que certains paysans, par
réflexe ancestral des temps de disette, constituent des réserves qui ne sont pas livrées aux coopératives
malgré les appels à la raison du gouvernement. C’est dans ce surplus, parfois prémédité pour une
revente au prix fort dans le cadre du « marché noir », que les habitants des villes vont chercher à
améliorer leur ration alimentaire. De plus, certaines productions, faute de moyen de transport, ne
peuvent être vendues comme avant-guerre sur les marchés. La venue des citadins à la ferme est donc
une aubaine pour certains agriculteurs modestes. L’image d’une paysannerie redevenue le socle de
l’économie française n’a été que l’un des nombreux mythes de la période vichyste d’avance voué à
l’échec. Il n’en demeure pas moins que choyés par le régime de Vichy et souvent marqués par un
conservatisme politique, de nombreux ruraux ont manifesté dans un premier temps de la sympathie
pour Philippe Pétain, lui-même issu du monde rural et admiré pour son rôle durant la Première Guerre
mondiale.
Pourquoi s’opposer à l’occupant et à Vichy dans le monde rural ?
En zone occupée, l’intense propagande visant à présenter un occupant « correct » ne peut faire
oublier aux populations rurales, en premier lieu dans le nord de la France, les crimes commis par
l’armée allemande dans plusieurs zones de combats. Ce ressentiment est accru là où le vainqueur
impose l’hébergement chez l’habitant de ses soldats et s’empare des récoltes et des troupeaux.
Dans les deux zones, le nouveau régime politique mis en place par Vichy avec le soutien de
l’occupant bouleverse de manière brutale et autoritaire les cadres de vie traditionnels de la population.
L’encadrement de la population au sein de groupes tels les Corporations, les Offices, les Ordres
professionnels, etc., heurte en milieu rural des mentalités séculaires de petits producteurs
indépendants. Plus encore, l’interdiction de la chasse et la confiscation des armes qui remet en cause
une liberté acquise par le monde rural à la Révolution française, suscite refus et opposition.
En milieu rural, les mesures de répression contre des gens connus dont on est souvent proche
(élus, militants politiques et syndicaux, fonctionnaires, etc.) inquiètent. Dans des campagnes
majoritairement catholiques les premières mesures discriminatoires contre les Juifs heurtent souvent
les principes religieux et moraux de compassion et de tolérance de nombreux fidèles. En terre
protestante, dans les Cévennes particulièrement, ces réprobations sont unanimes.
La ligne de démarcation, véritable frontière, entrave gravement les échanges économiques
entre les deux zones donnant naissance à des pénuries de matières premières et de produits de
consommation (charbon et minerais extraits essentiellement en zone nord , huile, vin et fruits produits
majoritairement en zone sud). La production baisse et le chômage s’installe, les prix à la
consommation flambent. Les saisies, les réquisitions et les pillages organisés par l’occupant aggravent
cette situation.
Les premières actions concertées de résistance
De multiples signes de refus
Dès l’automne 1940, dans toutes les régions occupées, des signes d’hostilité envers l’armée
allemande se multiplient : cris et gestes d’insultes aux passages des troupes ou mutisme face à leurs
sollicitations, attitudes de mépris lors de l’exécution de l’hymne allemand, lacération d’affiches ou
inscription de graffitis sur les murs. Certains ramassent et cachent des armes abandonnées par l’armée
française durant l’exode et, malgré les injonctions des autorités, on refuse majoritairement de remettre
à la gendarmerie les armes de chasse familiales, malgré les risques d’arrestation et de déportation
encourus.
Des hommes et des femmes engagent, spontanément, des actions de franc-tireur contre
l’armée d’occupation : sabotage de panneaux indicateurs ou de lignes téléphoniques, tir au fusil contre
des patrouilles et des éléments isolés.
La répression de tous ces actes est immédiate et brutale : imposition d’amendes aux
populations, prises d’otages ou exécutions capitales. À titre d’exemple, l’ouvrier agricole Étienne
Achavanne est condamné à mort le 28 juin et fusillé le 6 juillet 1940 à Rouen pour avoir coupé les
lignes de communication reliant la Feldkommandantur de Rouen au terrain d’aviation de Boos (SeineMaritime). Ce sabotage avait rendu l’aéroport vulnérable ce dont avait profité l’aviation anglaise pour
le bombarder. Au final, l’acte isolé, sans moyen, d’Étienne Achavanne s’était soldé pour l’ennemi par
la perte de 18 avions et de 28 hommes. Blanche Joséphine Paughan pour des motifs similaires est
condamnée à mort le 17 septembre 1940 à Arras. Sa peine est commuée en détention. Déportée en
Allemagne, elle meurt au camp de concentration de Bergen -Belsen en avril 1945.
Face aux réquisitions et aux pillages dans de nombreuses régions, des paysans se rassemblent
sur les marchés ou les foires et manifestent leur colère comme 500 éleveurs à Chambéry (Savoie) le 30
octobre 1940. Ce dernier type d’action montre que dans les espaces ruraux comme dans les villes, une
Résistance encore balbutiante tend à se mettre en place.
Premiers jalons de la « dissidence »
Dans le même temps des groupes s’organisent et agissent en zone rurale en premier lieu dans
les régions annexées et occupées.
Les premiers actes visent à soutenir l’effort du Royaume uni seul encore en guerre et la France
Libre dirigée par le général de Gaulle. Ainsi naissent des réseaux de renseignement d’abord dans les
zones côtières tels « Alliance » au pays basque, « George France 51 » en Bretagne ou l’embryon de
la« Confrérie Notre Dame » dans les environs de Bordeaux.
D’autres créent des organisations clandestines de Résistance souvent en liaison avec des
éléments ou des groupes agissant dans les villes voisines. Dès l’armistice, dans le Cher, avec des
habitants de Vierzon et de la région, Berty Albrecht, cofondatrice du mouvement « Combat », met en
place des filières de franchissement de la ligne de démarcation pour les prisonniers évadés et les
premiers résistants. En pays nantais, autour de Marcel Paul naissent et agissent des premiers groupes
communistes de l’Organisation spéciale. Ces actions en milieu rural sont soutenues et popularisées par
la reparution du journal La Terre en mai 1941. Des ruraux et des citadins du Nord, de Bretagne et du
Cher fournissent les points d’appuis des activités de renseignement et d’évasion du réseau de
résistance parisien du « Musée de l’Homme ».
Ce qui n’est encore qu’actes isolés et embryons d’organisation, devient peu à peu l’incarnation
de l’esprit de Résistance dans l’espace rural.
La Résistance en action dans le monde rural
En fonction des opportunités, des disponibilités et des capacités à prendre et à accepter les
risques de l’engagement, des groupes se mettent en place et se structurent. L’impulsion peut être
donnée au sein du monde rural, mais elle provient plus généralement d’ailleurs, du monde urbain où la
Résistance intérieure se développe plus précocement et plus rapidement ou bien de l’étranger, qu’il
s’agisse des Britanniques ou des Français libres. Dans tous les cas, la Résistance rurale s’organise.
Aider les Alliés et la France Libre
Dès les premiers mois suivant la défaite, la nécessité d’avoir des informations sur place est une
préoccupation majeure des Britanniques et des Français libres. Les communications étant
interrompues, la priorité est de renouer des liens. Des agents sont envoyés dès la fin de l’année 1940
par les services britanniques (IS, Intelligence Service ou SOE Special Operation Executive) puis par
ceux de la France Libre (2e bureau puis BCRA, Bureau Central de Renseignement et d’Action). Les
résultats obtenus bien que maigres n’en sont pas moins précieux.
A cette époque, le monde rural est considéré de manière contrastée. D’une part, il est vu au
travers de l’image qu’en renvoie le régime de Vichy : un milieu rallié à la personne du maréchal Pétain
et à la Révolution nationale. La méfiance est donc de mise. On évoque sur les ondes britanniques le
pillage des ressources agricoles de la France, mais aucun appel n’est lancé spécifiquement en direction
des paysans.
Cependant, le monde rural ne peut être ignoré car le contact avec le sol français s’effectue par la force
des choses dans des secteurs de campagnes. Les premiers débarquements d’agents britanniques ou de
la France Libre ont lieu par vedette militaire le plus loin possible des localités ou, à l’inverse, par
bateau banalisé, dans un port si possible pas trop fréquenté, avec la complicité de pêcheurs locaux ; les
premiers parachutages ciblent les zones les moins peuplés des campagnes. À partir de la fin 1941,
l’utilisation du Lysander, avion capable de se poser et de décoller sur un terrain à peu près plat de
quelques centaines de mètres est un progrès même si au second semestre 1942, seule une opération sur
19 du BCRA ( Bureau Central de Renseignement et d’Action) est un succès.
Les premiers réseaux qui se constituent prennent le plus souvent appui sur des habitants des
villes petites, moyennes ou grandes, mais il apparaît rapidement que les ruraux peuvent être utiles
sinon indispensables. Certains ruraux deviennent pour les réseaux en plein essor des informateurs
attentifs et des hôtes bienveillants quand il s’agit de « planquer » un poste et son radio, de trouver un
gîte lors d’une mission de renseignement ou de sabotage. D’ailleurs, les aviateurs britanniques ont
pour consigne de prendre contact avec la première ferme qu’ils trouvent en arrivant sur le sol
français où ils devraient normalement y être bien accueillis. Ce que les faits confirment.
Le monde rural dans l’aide aux pourchassés
Le passage des frontières
Les conséquences de l'armistice imposent la mise en place de frontières intérieures étroitement
surveillées (les « lignes » entre les différentes zones), ainsi que le renforcement du contrôle des
frontières extérieures, surtout avec la Suisse et l’Espagne. Les premières actions de résistance, souvent
individuelles et peu organisées, consistent à faire franchir ces frontières de manière clandestine. Parmi
les premiers passeurs se trouvent des paysans, des bergers des bûcherons, des charbonniers ou des
gardes forestiers qui connaissent les chemins détournés. L’expérience acquise lors de la chasse (avantguerre, il y avait plus de deux millions de permis de chasse délivrés en France), associée aux pratiques
du braconnage, aide considérablement les candidats au passage.
L'augmentation de la demande et le resserrement de la surveillance, à partir de 1941,
entraînent la mise en place de véritables organisations dont les passeurs ne sont plus qu'un des
éléments. Des filières d'évasion sont constituées pour acheminer des aviateurs alliés, des résistants ou
des juifs pourchassés jusqu'à la frontière à franchir. Le réseau « Comète » parvient ainsi à faire passer
de Belgique en Espagne près de 300 militaires alliés, presque uniquement des aviateurs qui
franchissent la frontière franco-belge, la ligne de la zone interdite, la ligne de démarcation enfin la
frontière franco-espagnole au travers des Pyrénées (une zone interdite le long de la frontière est
rajoutée en 1943). Près de 2 000 volontaires participent à cette traversée du territoire français ; 800
sont arrêtés et 150 y perdent la vie.
Procurer un refuge
Très rapidement, le monde rural est considéré comme un espace où les pourchassés peuvent se
cacher. Ceux dont la sécurité est menacée s'éloignent souvent des villes jugées trop surveillées et
préfèrent « disparaître dans la nature » ou « se mettre au vert ». La géographie explique l'existence
d'espaces protecteurs, à l'écart des agglomérations, aux voies d'accès facile à contrôler. Sans
l'implication et la complicité de la population, il n'est pas d'abri sûr. Et chez les villageois, parler serait
trahir et manquer au devoir de solidarité entre les autres habitants. Evidemment, les cas de
dénonciations existent. Mais nombreux sont les exemples de complicités silencieuses. L’absence de
réaction concerne souvent également les autorités (notamment les maires et les gendarmes), les
responsables des organisations de l’État français voire plus exceptionnellement les partisans de la
collaboration, qui n’osent pas aller à l’encontre de la masse de leurs concitoyens et manifestent peu
d’empressement à appliquer les directives officielles.
Avec l'accentuation de la répression anti-résistante et de la persécution antisémite en 19411942, les besoins augmentent : il faut aider matériellement les résistants arrêtés et leur famille, il faut
déplacer et cacher de plus en plus d'hommes, de femmes et d'enfants, en leur donnant une nouvelle
identité. Les mouvements de résistance, dont les plus importants en nombre sont, entre autres,
« Combat », « Libération-Nord », « Armée secrète » ou « Défense de la France » ainsi que les
organisations de solidarité (Amitié chrétienne, Assistance française, Secours populaire clandestin,
OSE, CIMADE etc.) qui se constituent d’abord dans les villes, étendent leurs ramifications dans les
campagnes où ils peuvent trouver les relais indispensables à leurs actions. Face au durcissement de la
répression allemande, les résistants ont de plus en plus besoin de soutien dans la population des
campagnes.
Les réalités de la Résistance rurale
Etudier la structure et le développement de la Résistance en milieu rural, c’est se heurter à
d’importantes lacunes historiographiques. En effet, jusqu’à présent, les études sur la Résistance
intérieure se sont largement concentrées sur les mouvements fondateurs du Conseil national de la
Résistance, tous nés en ville, et s’est surtout intéressée aux terroirs pour étudier le développement des
maquis à partir de 1943. Ce déséquilibre est renforcé par le fait que les ruraux ont peu témoigné et
moins souvent fait valoir leurs droits de résistants que les citadins. De ces facteurs découle
l’impression que la Résistance est d’abord née en ville et n’a émergé que plus tardivement à la
campagne. Cette vision, qui alimente les préjugés anciens sur l’individualisme et le conservatisme des
paysans, doit être nuancée.
Un monde des campagnes de plus en plus en « dissidence »
La Résistance des campagnes, comme celle des villes, est restée minoritaire durant les
premières années d’occupation. Elle ne s’amplifie vraiment qu’avec les événements qui s’enchaînent
de l’été 1942 à l’hiver suivant. Si l’invasion du sud de la France ne fait que renforcer l’hostilité envers
l’envahisseur, les rafles de Juifs et la réquisition des travailleurs français touchent le monde rural.
L’extension du STO aux travailleurs agricoles en mai 1943 aggrave le mécontentement et accroît la
pénurie de main-d’œuvre.
La radicalisation de l’occupation place la Résistance devant des urgences nouvelles qui
rendent indispensable l’organisation d’une résistance rurale massive. La place accordée aux
campagnes à Radio-Londres et dans la presse clandestine intérieure reflète ces préoccupations.
Modeste jusqu’en 1942, elle augmente constamment ensuite. Des dizaines de nouveaux journaux aux
titres révélateurs apparaissent : Le Semeur, Jacques Bonhomme, éditions locales de La Terre, etc. Au
total, des centaines de milliers de publications illégales atteignent le monde rural en 1943-1944, visant
toutes les catégories sociales. Cette dynamique permet aux mouvements d’étendre leurs ramifications
et renforcent l’imbrication des résistances rurales et citadines.
Les actions de la résistance rurale se diversifient avec l’apparition de formes d’action
jusqu’alors surtout urbaines. On assiste, à partir du 14 juillet 1943, à un net essor des manifestations
patriotiques dans les villages jusqu’à présent réservées aux villes.
Par ailleurs, la Résistance rurale développe des logiques propres comme le prouve l’apparition
dans les années 1942-1943 de deux organisations appelées à devenir d’envergure nationale, la
Confédération générale de l’Agriculture (CGA) et les Comités d’Action et de Défense paysanne
(CDAP).
Deux grandes organisations de la Résistance rurale
La CGA est en grande partie l’œuvre de Tanguy Prigent. Ce dernier lance, fin 1940, le Bulletin
bi-mensuel de la Coopérative de Défense paysanne de Morlaix (Finistère) avec d’anciens dirigeants de
la Confédération nationale paysanne (CNP) située politiquement à gauche, dissoute par Pétain. Cette
publication, tolérée un temps par l’occupant, critique point par point la Corporation paysanne de
Vichy. Jugée dangereuse, car elle regroupe en un syndicat unique aussi bien le châtelain que ses
fermiers, celle-ci est accusée d’attenter aux libertés syndicales et de placer les paysans sous la tutelle
de l’État et des gros propriétaires terriens. Preuve d’un rejet croissant de la politique de Vichy, la
Coopérative de Morlaix passe de 3 062 à 4 390 adhérents en deux ans et diffuse, à partir de 1941, une
édition nationale du Bulletin dans 18 départements. Si le journal finit par être interdit, son audience a
conduit de nombreux paysans vers le Mouvement « Libération-Nord » et son réseau de renseignement
« Cohors-Asturie » ou à la SFIO illégale. Elle a aussi posé les bases d’un syndicat clandestin, baptisé
CGA fin 1943. Solidement ancrée tout d’abord dans quelques départements comme l’Yonne ou le
Finistère, la Confédération croit peu à peu dans les deux zones. Elle exprime ses ambitions dans son
organe, La Résistance paysanne. Tout en combattant les réquisitions de la production et des
travailleurs, elle réclame la dissolution de la Corporation créée par Vichy et l’épuration de ses cadres à
la Libération.
Le principal artisan de l’autre organisation de résistance spécifiquement rurale, les CDAP
(Comités d’Action et de Défense paysanne), est un vigneron du Loir-et-Cher, Bernard Paumier.
Communiste, membre de la Confédération générale des Paysans travailleurs (également dissoute),
Paumier réalise en 1940 des affichettes dénonçant les réquisitions allemandes. En 1941, il est appelé à
Paris par la direction du PCF pour diriger le travail paysan. Il œuvre notamment à la parution
clandestine du journal La Terre et au développement de l’agitation rurale. En 1942, il dirige les
comités paysans du Front national qui s’enracinent d’abord dans les Pays de la Loire, en Bretagne,
puis dans le Sud-Ouest. Les CDAP s’étendent ensuite et se fédèrent en comités départementaux et
régionaux, chapeautés par deux directions au sud et au nord du pays. Ils articulent actions semi-légales
et illégales et encouragent une lutte multiforme contre les réquisitions : opposition, parfois musclée,
aux fonctionnaires du Ravitaillement envoyés par Vichy, infiltration des syndics locaux de la
Corporation (certains passent entièrement sous leur contrôle), pression sur les maires, etc. Leur
campagne de grève des battages à l’été 1943 connaît un succès certain. Leur presse clandestine
dénonce la dégradation constante des conditions de vie et exige des réformes, comme la retraite pour
les « vieux paysans ». Ce socle revendicatif favorise la création de comités d’aide aux réfractaires,
réclamés par Henri Queuille à Radio-Londres, et l’essor de la lutte armée (incendies de récolte,
réception des armes parachutées, sabotages).
D’autres structures, pour la plupart ancrées à gauche se mettent également en place afin de
satisfaire aussi bien les revendications patriotiques que sociales des habitants des campagnes.
Cependant, l’existence d’un élan contestataire fort n’est pas toujours liée à la présence d’une
Résistance organisée. La Résistance propose en effet des structures suffisamment ouvertes pour
recruter des mécontents de toutes obédiences, y compris des déçus du Pétainisme, dont le nombre
augmente à mesure que Vichy s’enfonce dans la collaboration et que les paysans doivent faire face aux
difficultés économiques grandissantes. Ce que fera l’ancien ministre de l’Agriculture de Vichy,
Jacques Le Roy Ladurie, en 1943, comme il l’explique dans ses Mémoires : « comme ancien leader
national du syndicalisme agricole, j’ai conservé de nombreuses relations dans les campagnes, il me
serait possible d’y puiser des éléments actifs pour la Résistance ».
L’influence de la Résistance gagne, peu à peu, tout le pays. Á l’hiver 1943-1944, elle est
suffisamment forte dans certains terroirs pour fixer le prix des denrées qui garantit aux producteurs et
aux consommateurs des tarifs décents, à l’achat comme à la vente. Ces tentatives d’amélioration des
conditions de ravitaillement redorent l’image des paysans, souvent accusés de profiter de la pénurie
pour s’enrichir du marché noir. Ces préjugés, très répandus en ville à l’époque, ont été en partie
démentis par les historiens : les populations rurales ont apporté à la Résistance un soutien croissant,
bien qu’inégal selon les endroits, qui facilite le développement spectaculaire des maquis au printemps
1943 et préfigure l’ampleur des combats pour la Libération.
Les maquis, incarnation de la Résistance dans l’espace rural
Les liens entre les maquis et le monde rural sont en apparence évidents. Toutefois il est
nécessaire de revenir sur la signification du terme même de « maquis », de déceler ses liens avec
l’espace rural et aussi d’étudier les réactions des populations rurales face à cette forme organisée de
résistance, qui se développe surtout à partir de l’année 1943 au point de faire des maquisards au
moment de la libération du territoire français le symbole unique de la Résistance.
Qu’est-ce qu’un maquis ?
Un maquis est une expression d’origine corse désignant au départ un espace où la végétation
est touffue et dense au point d’en faire un territoire peu accessible à l’homme. Par extension ce terme
définit tous les refuges de résistants qui étaient alors, selon l’expression de l’époque « dans la
nature ». Il est tellement devenu par la suite emblématique de la Résistance, qu’on a longtemps réduit
l’action clandestine du monde des campagnes durant la Seconde Guerre mondiale à cette seule réalité.
Mais, dès les années de guerre, le terme de « maquis » ne recouvre pas une seule et même
réalité. Tous les maquis ont certes en commun d’être situés dans des zones forestières ou
montagneuses, là où les refuges et les cachettes sont plus nombreux. De ce fait même si le Sud semble
plus propice le nord n’en est pas dépourvu comme le maquis de Saint Marcel dans le Morbihan.
Le maquis, rassemblement d’hommes vivant dans l’illégalité, peut servir d’hébergement pour
les réfractaires au STO, bien que tous les réfractaires ne se cachent pas au maquis (20 % dans le Jura
par exemple). Cet apport massif de jeunes gens obligent la résistance à adapter les maquis. Est ainsi
constitué en août 1943 un Service National Maquis qui tente de structurer les groupes de maquisards.
Il faut enfin souligner qu’il existe deux catégories de réfractaires : ceux qui viennent au maquis pour se
cacher mais pas pour se battre et ceux qui sont décidés à la résistance active.
Pour les maquis, il s’agit alors de fournir un refuge aux résistants qui veulent continuer la lutte
mais doivent fuir leur terrain habituel d’action, souvent en ville, pour échapper à la répression ; des
maquis adoptant les techniques de la guérilla harcèlent les troupes allemandes et vichystes, d’autres
sont chargés de l’instruction militaire des combattants, souvent enthousiastes mais peu préparés. Plus
tard, au printemps 1944, ce qu’on a appelé les maquis mobilisateurs, comme ceux des Glières
(Savoie), du Vercors ou du Mont Mouchet ( Auvergne) rassemblent des centaines d’hommes en armes
qui ont notamment pour fonction de fixer les troupes allemandes en les empêchant de rallier les
territoires libérés par les Alliés comme la Normandie ou de créer les conditions propices à l’éclatement
d’un soulèvement menant à la libération du territoire. Certains hauts faits des maquisards, comme la
manifestation dans la ville d’Oyonnax dans le Jura, le 11 novembre 1943, sont évoqués dans la presse
clandestine ou à la radio de Londres faisant de ces hommes le symbole de l’engagement résistant
abouti.
Avec les maquis, la Résistance bénéficie d’un soutien plus populaire et dispose d’un ancrage
en profondeur dans la population des campagnes qui aide considérablement à la survie des clandestins
de plus en plus nombreux dans les espaces ruraux français. Aucun maquis ne peut survivre sans l’aide
du milieu rural avoisinant, et en premier lieu celui des paysans. Se mettent en place de vastes chaînes
de solidarités avec la participation de toutes les composantes de la société rurale : ravitaillement,
habillement, renseignement, courrier et sécurité sont autant d’actions qui exposent leurs auteurs à de
violentes répressions.
La contribution des ruraux à la Libération
Les offensives alliées à partir du printemps 1944 ont entraîné une accélération des
regroupements de résistants en vue de la libération du territoire français. Ainsi les maquis reçoivent
un apport d’hommes plus nombreux et se constituent des maquis mobilisateurs dont la fonction est de
réduire les capacités de défense de l’armée allemande mais aussi de favoriser la prise du pouvoir local
par les Résistants. Ainsi dans le plateau des Glières, plusieurs centaines de maquisards se rassemblent
en accord avec les instructions de la France Libre. Des combats sanglant se déroulent entre fin janvier
et le 26 mars 1944, jour de la destruction du maquis par les troupes allemandes. D’autres grands
maquis connaissent le même sort, comme celui du Vercors. En représailles, les Allemands s’en
prennent parfois aux populations civiles dans de nombreux villages, comme Oradour-sur-Glane, Dunles-Places, Villeneuve d’ Ascq, Maillé, La Chapelle-en-Vercors .
Dans les mois qui suivent le Débarquement allié en Normandie, la mobilisation des résistants
aboutit à la constitution de véritables contre-pouvoirs face à un gouvernement officiel qui n’a plus
aucun soutien populaire. Ainsi en Bretagne ou dans le Sud-Ouest de la France de vastes zones sont
contrôlées par les résistants et les maquisards qui établissent parfois avec difficulté le retour à la
légalité républicaine.
Le retour de la République au village
Une fois les villages libérés, il faut réinstaller le plus rapidement possible les institutions
républicaines. Couleurs nationales et symboles républicains ressortent des placards. La légalité est
parfois difficilement mise en place, tant certains veulent sanctionner au plus vite les coupables de
collaboration par des exécutions sommaires. Ainsi dans la petite commune de Pamiers, en Ariège, un
tribunal populaire se met en place, en dehors des prérogatives du gouvernement provisoire, et décide la
condamnation à mort de près de 200 personnes.
Dans les suites de la libération du territoire, mouvements armés, envoyés du gouvernement
provisoire du général de Gaulle et institutions locales comme les Comités Locaux de Libération (CLL)
ou les Comités Départementaux de Libération (CDL) peuvent se disputer la mainmise du pouvoir.
Cela ne dure que quelques semaines et très rapidement la République s’inscrit à nouveau dans l’espace
de tous les villages et les villes de France. On souhaite dans toutes les communes recouvrer un droit,
symbole de la démocratie : le droit de vote. De Gaulle agit de sorte que les élections municipales
soient le plus rapidement possible organisées partout en France.
Conclusion
Dans la suite des idées du programme du Conseil national de la Résistance, le gouvernement
provisoire du général de Gaulle souhaite doter le monde des campagnes de réformes durables. C’est le
nouveau ministre de l’Agriculture Tanguy Prigent, qui est chargé de mettre en place ces réformes. Il
faut le plus rapidement possible faire redémarrer l’économie dans ce secteur, retrouver des prix
abordables pour les matières premières et promulguer de nouvelles lois destinées à améliorer le sort
des habitants des campagnes. De nouveaux statuts du fermage (pour les paysans qui louent des terres
qu’ils cultivent) et du métayage (pour ceux qui louent les terres et le matériel en échange d’une partie
des récoltes) sont mis en place, un enseignement agricole se généralise, ainsi qu’un syndicalisme
agricole ou encore un ensemble de structures, comme les foyers ruraux destinés à améliorer le
quotidien du monde rural au sortir de la guerre.
Le redémarrage économique se fait rapidement, provoquant de multiples mutations dans les
espaces ruraux et dans les composantes de la société rurale. Il est impératif de moderniser
l’agriculture, ce qui entraîne inévitablement une transformation en profondeur du monde des
campagnes. Alors que la France en 1945 était encore un des pays industriels le plus marqué par la
ruralité, avec près d’un tiers des 40 millions de Français vivant de la terre, en une génération de 1950
à 1970, elle allait être bouleversé. Les traces et les souvenirs de la participation du monde des
campagnes à la Résistance allaient du coup être moins présents dans cette nouvelle société française. Il
nous appartient avec le thème du Concours de la Résistance et de la Déportation de cette année de le
faire renaître.
La parole est ensuite donnée à M. Gilbert Couillard.
Je ne vous parlerai uniquement de ce que j’ai vécu à 18 ans dans la Forêt d’Othe, plus
particulièrement de notre ferme de la Lisière des Bois.
Afin que la mémoire de la résistance locale perdure et ne soit ni trahie, ni travestie. Encore,
dernièrement, j’ai eu connaissance de rapports faisant état de statistique complètement
fantaisiste concernant des responsables de l’époque qui étaient chargés de faire respecter
l’ordre et les lois de Vichy dictées par l’occupant allemand, mettant en cause des faits
auxquels j’ai participé (et dont nous sommes encore une poignée de vivants à pouvoir
témoigner). Quand nous aurons fermé les yeux, seuls ces contrevérités, qui ne sont que des
ragots, seront retenues.
Les principales formations de la Résistance dans l’Aube :
L’AS sur Mussy, Chatillon, Bar sur Aube et Grancey.
Commandos M sur Brienne, Dienville, Siuslaine et Charmont
Libération-Nord sur les Grandes Chapelles, Laisnes aux bois, Aix en Othe
Les FTP sur Arcis sur Aube, Nogent sur Seine, Romilly sur Seine, Bar sur Seine, Ervy le
Chatel, La Grande Jaronnée et St Mards en Othe
Les BOA sur St Parres les Vaudes, Torvilliers, Villery, Bar sur Seine et St Mards en Othe.
Au tout début de l’occupation, la population était en état de choc et de soumission. Cette
période a favorisé la passivité, la lâcheté et l’égoïsme. Il est vrai que les premiers mois de
l’occupation, les soldats allemands qui composaient les troupes de choc, étaient assez
dominateurs et arrogants. Il s’imposèrent dans les fermes à la recherche d’une nourriture
moins militaire. Ils choisissaient sans en demander l’autorisation et sans payer Vaches, Veaux
et Porc qu’ils abattaient au revolver découpaient en laissant sur place Ventrées et peaux.
Cela a laissé planer un doute envers l’occupant, quoique par la suite les soldats d’occupation
beaucoup plus âgés étaient corrects. Ils payaient généreusement ce qu’ils venaient chercher
dans les fermes et ils offraient même chocolat et tabac. Tout cela pour nous inspirer confiance
alors que les dirigeants allemands avec l’appui de Vichy et ses fonctionnaires nous imposaient
restrictions, interdictions. C’était la disparition de nos libertés. Même les enfants des écoles
étaient obligés d’aller ramasser les doryphores dans les champs de pommes de terre, le jeudi
de repos (Doryphore était le surnom que l’on donnait aux soldats allemands car leur tenue
bigarrée ressemblait à la couleur de dessus des ailes de doryphores).
C’est alors qu’une poignée d’hommes qui avaient des engagements politiques et syndicaux
par le passé décidèrent de résister à Vichy et à l’occupant. Ce furent les premiers résistants.
Leur premier acte fut d’inciter les soldats français prisonniers à abandonner leur tenue
militaire (ou les lettres PG étaient inscrites au dos) et à se mettre en civil afin de rejoindre leur
domicile. Ce que très peu ont osé faire car ils pensaient être démobilisé, mais en 1941, les
Allemands avaient besoin de main d’œuvre et ils les expédièrent pour 4 ans en Allemagne.
Et puis il fallu trouver les moyens matériels et humains pour saboter (sans trop nous pénaliser)
l’agriculture, l’industrie qui étaient indispensable à l’effort de guerre allemand.
Toutefois pour la nourriture en milieu rural cela fut moins contraignant qu’en milieu urbain
car plus près de la nature. Une grande partie de la population élevait clandestinement veaux,
vaches, porcs et avait un petit coin de terre pour faire des légumes. Même ceux qui habitaient
en ville. Tout ceci pour leur nourriture mais aussi comme monnaie d’échange contre des
produits manufacturés. Et puis il y avait la débrouille, l’orge grillé qui remplaçait le café, les
racines de chicorées grillées remplaçaient la Chicorée. Les pieds de tabac dans les jardins, les
pneus de bicyclettes confectionnés avec des tuyaux d’arrosage et aussi le braconnage. Il fallait
être très vigilant car la délation était à la mode, pour de l’argent, pour de la jalousie, par
vengeance, pour raison politique et autre… ainsi un mari gênant, un mauvais payeur et c’était
l’arrestation et souvent la mort pour des raisons futiles. Les paroles désobligeants envers les
Allemands ou « anarchistes », le braconnage avec arme étaient des actes illégaux et
dangereux.
Il y avait aussi les PPF, Les PSF ou collabos notoires qui se faisaient protéger par des soldats
allemands ou des miliciens français et n’hésitaient à faire le coup de feu contre les Résistants
venus leur demander des comptes. Ceux-ci ont reçu des petits cercueils en bois avec un
squelette gravé à l’intérieur, accompagné d’un mot leur avisant de cesser leur collaboration
sous peine de mort. Beaucoup de ces pro-Allemands ont été innocenté après la Libération.
C’est à partir de juin 1943 que la vraie résistance vit le jour en forêt d’Othe. Avec l’arrivée
d’Edouard Baudiot, né en 1893 et cultivateur à Torvilliers. Il avait été blessé à la guerre de
1914-18. Il avait été profondément anti-germanique et choqué par la défaite de 1940. Il fait
de sa ferme un lieu où il dissimule des armes abandonnées en 1940. En 1940, il avait intégré
la Résistance et organisé le réseau Hector crée à Paris avec le Colonel Heurteaux en liaison
avec les FFL à Londres. Le réseau Hectot fut détruit et le Colonel Heurteaux avait été arrêté et
c’est Baudiot qui le remplace. Celui-ci intègre alors les CDLL et c’est alors que fut crée les
BOA (Bureau des Opérations aériennes) à Londres qui dépend des BCRA du Colonel Rémy
et Brossolette. Les responsables des BOA de l’Aube sont arrêtés et c’est Baudiot qui en prend
la direction dans l’Aube. Il est très surveillé et adopte le prénom de MARIUS et il se réfugie
en forêt d’Othe d’où il est natif. Il reçoit des ordres de Paris pour rechercher de nouveaux
terrains de parachutages car les terrains autour de Troyes ont été « grillé » avec l’arrestation
des responsables. Il effectue un parachutage le 23 juin 1943 à Villery. Celui-ci se passe très
mal car les containers sont dispersés sur 1500 Mètres. Ils sont planqués sous des tas de foin
mais découvert et dénoncé à la gendarmerie de Bouilly dont le Chef prévient le capitaine
Barthélemy de la gendarmerie de Troyes qui donne l’ordre de laisser enlever le matériel que
Baudiot avait réussi à ramener dans sa ferme avec un camion de l’entreprise Forclum de
Troyes dont Joly le chauffeur est un ami de Marius. Baudiot installe définitivement le QG en
Forêt d’Othe où il avait plusieurs planques à Nogent en Othe, aux Cornées, aux Vaucourt et à
la Lisière des bois chez mes parents, où il juge que c’est là qu’il peut le mieux réussir. Il faut
reconnaître qu’à cette époque, il fallait un contexte familial et de voisinage en harmonie avec
les évènements de cette époque. C’est ainsi qu’une partie des parachutages planquée à la
ferme Baudiot à Torvilliers fut transporté par Mossot, maréchal ferrant à Maraye en Othe, au
clocher de Nogent en Othe et qu’il y restera plusieurs mois. Toutes ces armes furent
planquées au clocher de Nogent en Othe par Baudiot, Lazare Gilbert, mon Père et Mossot.
Pour que le clocher ne soit plus accessible les marches qui formaient l’escalier furent
démontées et planquées dans un caveau.
En juin 1943, on vit dans notre ferme des personnes qui nous étaient inconnues et étaient très
peu loquaces et se rassemblaient dans les pièces du fond de la cour. On n’était pas dans le
secret des discussions et on savait pas ce qui se passait. Quoique… !
Vers Juillet 1943, on découvrit dans la cave des paquets de tabacs, cigarettes et des tickets
d’alimentation qui avait été saisi dans les mairies. C’est alors que mon père avertit toute la
famille qu’il ne fallait rien dire et surtout si on était arrêté par la gendarmerie où les
Allemands, il ne fallait jamais donner de noms et ne pas croire en cas d’interrogatoires, si on
nous disait- mais ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère, nous ont dit ceci ou cela, alors tu
peux nous le dire… On fit connaissance des personnes qui nous étaient inconnues. On surveillait la nuit les agents
de la 5ème colonne qui faisaient des réunions avec des ofFiciers allemands. On inversait les
plaques des poteaux indicateurs, ou on faisait les agents de liaison. Il y avait aussi le sabotage
des batteuses, des presses à paille et la destruction des sacs pour transporter le grain. Il y avait
aussi l’interception des véhicules transportant des marchandises comme de l’essence. On
sabotait aussi les moyens de communications ferroviaires, routiers, téléphoniques. On
détruisait les lignes électriques et tout ce qui était indispensable à l’effort de guerre allemand.
Puis ce fut l’abattage clandestin, les stocks de denrées récupérées avec les tickets
d’alimentation qui étaient planqués à la ferme avant d’être livré dans les maquis. Le premier
maquis qui fut formé en avril 44 au pommiers d’argent avec 30 à 40 hommes. Les premiers
maquisards venaient du Barséquanais (Chuchu, Fendlais, Joseph), puis de la région d’Aix en
Othe, Chennegy, Vauchassis, Estissac (Larcher, Madurel, Berthaux, Carpentier) qui étaient en
général réfractaire au STO ou des personnes qui avaient des ennuis avec les Allemands. (Les
STO étaient non seulement des personnes désignées pour aller travailler en Allemagne, mais
aussi requise pour l’entreprise TODT, c’est à dire la construction de fortification du mur de
l’Atlantique afin de protéger nos côtes d’un débarquement allié. Tous ces hommes étaient
hébergés dans un premier temps dans les fermes amies ou en forêt (comme bûcheron) mais ils
étaient toujours en contact ave la Résistance. Avec cette arrivée massive des STO, il y avait
aussi 16 aviateurs alliés abattus un peu partout dans l’Yonne, dans la Marne, dans l’Aisne et
aux alentours de Troyes. Ils rejoignaient les BOA par des filières diverses voir par le bouche à
oreille. Ainsi Lebrun d’Estissac, qui assurait le service de la Poste, a amené, en courant des
risques, les aviateurs dont le lieutenant Manoriot qui fut tué le 20 juin 44 au maquis de St
Mards, mais aussi le docteur Mazure qui découvrit en forêt communal de St Mards en mai 44
Robert Haynes, un aviateur abattu près de Sens et qui regagnait la Suisse comme prévu. La
population a joué un rôle important dans la Résistance et il aurait été difficile à la Résistance
de survivre sans elle.
Baudiot fit homologuer début 44, 3 terrains de parachutage autour de St Mards en Othe et de
Vaucouard ( nom du terrain Caseine)
Le Champion, nom Cherry
La Lisière des bois nom Calvados puis Prunelle
Au total on reçu 26 avions pour environ 40 tonnes d’armes et de matériel qui furent distribués
pour le maquis AS de Mussy Grancey et pour la libération de Paris, mais aussi pour les BOA
et les FTP bien que cela soit interdit par Londres (déjà la politique).
Avec l’afflux des réfractaires, un deuxième maquis fut formé au bois de St Mards avec 30
hommes. Ce maquis était à 400 mètres du terrain Calvados. Les hommes étaient surtout
utilisés pour la garde des containers, pour la répression, pour les coups de main, les sabotages
et autres parachutages. Les deux maquis furent regroupés début Juin 44 au bois de Maraye ce
qui forma le maquis BOA de 70 à 80 hommes. Les abris de ces maquis étaient des cabanes de
chasse des alentours démontées et remontées sur place. Les tables étaient fabriquées avec des
planches cloués sur les piquets. Les lits étaient une couche de branchage souples recouvert de
fougères ou de paille. La cuisine était faite dans une cuisine roulante de l’armée récupérée
dans un fossé lors de l’exode. La nourriture était assurée avec les tickets saisis dans les
mairies pour le pain, la farine fournit clandestinement aux boulangers. Pour la viande, il y
avait les tickets et l’abattage clandestin réalisé par Paul Moreau Boucher à Vauchassis. On se
procurait les bêtes d’abord chez les pro-allemands, chez les trafiquants et les sympathisants à
qui on donnait des bons de réquisitions. Toutes ces denrées étaient conduites tous les jours
depuis notre ferme ainsi que l’eau, le lait, le vin, les légumes dans un tombereau tiré par un
cheval.
Dans la nuit du 19 au 20 juin 44, les 130 FTP de Gagnière et Nigond du maquis de Sevy qui
avaient eu des ennuis avec les Allemands ainsi que les 37 FTP de Camuset dont le maquis
avait été attaqué le 16 juin rejoignirent les BOA de St Mards, ce qui forma le maquis BOA –
FTP d’environ 250 hommes.
Les Allemands qui avaient été prévenu de ce rassemblement par 3 traîtres qui jouaient le
double jeu (miliciens et maquisards) et qui étaient jusqu’au 17 juin au maquis FTP de Sevy se
sachant repérés et qui réussirent à s’échapper et à regagner la Gestapo de Troyes. Les
Allemands profitèrent de ce regroupement pour attaquer et il était certain qu’il y avait un
manque de surveillance. Il devait aussi y avoir un manque de connaissance de la forêt pour les
FTP de Sevy et de Rigny la nonneuse. L’attaque coûta la vie à 27 patriotes.
La Résistance en milieu rural et urbain
Les risques étaient les mêmes, mais on a moins souffert en milieu rural qu’en milieu urbain.
La délation était partout. Certains industriels et commerçants pour camoufler leurs marchés
noirs aux yeux des autorités de Vichy incendiaient leur stocks et accusaient la Résistance.
Mais il y avait aussi ceux qui rançonnaient au nom de la Résistance. Tous ces profiteurs sans
scrupule furent sommés par la Résistance d’arrêter leur trafic et de reverser sur le champ de
l’argent à la Résistance. Ils furent les premiers à fournir de la nourriture sans être rémunéré.
Le milieu urbain était considéré comme le PC de la Résistance ou les responsables des
réseaux diffusaient les ordres de Paris ou de Londres. Les exécutants étaient surtout en milieu
rural. Les ordres étaient transmis par agent de liaison (ou bouche à oreille). C’étaient souvent
des femmes (mais leur rôle était aussi de distribuer des tracts et coller des affiches. Ce qui
était moins pénible que les maquis ou il fallait porter des containers et ou l’intimité était
difficile. Ainsi les femmes étaient plus nombreuses en milieu urbain. Personnellement, je n’ai
jamais vu de femme à un parachutage, au maquis de ST Mards, il y avait trois femmes sur 250
hommes. Quant aux femmes des sédentaires, on ne dira jamais assez le calvaire et l’angoisse
qu’elles ont du endurer. Car en plus de leur obligation quotidienne, elles avaient le souci de
toutes ces armes et matériels planqués dans leur habitation. Elles étaient souvent seules avec
leurs enfants quand il y avait des perquisitions car les hommes étaient évaporés dans la nature.
Ce qui fut le cas les 30 juin et 11 juillet 1944 à la Lisière des bois.
Il y a aussi une différence entre un maquisard et un résistant sédentaire, car le maquisard n’a
que lui et le maquis à protéger. Le sédentaire accueille, héberge, planque et transporte des
armes. Il risque sa vie, ses biens, la vie de sa famille et des habitants de son village ou
quartier. Il est évident qu’il est plus facile de dissimuler une machine à écrire qu’un
parachutage ou un aviateur quoique les risques soit les mêmes. Toutefois ces faits ne
pouvaient pas passer inaperçu aux yeux d’une population opportuniste et silencieuse. Mais
sans le soutien de la population, la Résistance n’aurait pas pu survivre. Bien sur il y eut des
langues trop bien pendues qui furent mis au pas surtout quant à la lecture d’un journal on
trouve « M. et Mme Untel ont été retrouvés à leur domicile abattus de plusieurs balles » ou «
les terroristes ont encore sévi on a retrouvé au domicile de M. et Mme Untel leurs corps
criblés de plusieurs rafales de mitraillette » Car à cette époque le mot terroriste était employé
dans la presse qui voulait faire plaisir à Vichy
Ce qui m’a le plus impressionné pendant toute cette période
C’est mon premier parachutage quant l’avion était un « liberator » est arrivé une 1ere fois au
bout du terrain de parachutage à environ 400 mètres d’altitude et après son premier passage de
reconnaissance est revenu à 150 mètres environ d’altitude pour parachuter. Je vis son
impressionnante envergure qui se découpait dans un ciel clair de pleine lune et une lumière
s’est allumée sous le ventre de l’avion, j’ai vu l’ombre des containers qui défilaient et le
claquement sec des parachutes qui s’ouvraient . C’étaient vraiment féerique surtout quant on a
18 ans.
Et la chose la plus horrible que je n’oublierai jamais, c’est les journées des 21,22,23,24 et 25
juin 1944, le ramassage des martyrs de St Mards complètement mutilés et qu’ils fallaient
fouillés pour connaître leur identité. Pour cette raison, il m’est difficile de pardonner pourtant
c’est nécessaire.
L’animateur remercie les intervenants. Il rappelle aux jeunes l’intérêt du Concours National
de la Résistance et de la Déportation et son rôle dans la formation d’une mémoire citoyenne.
Il les remercie d’être venu en nombre et leur souhaite bon courage.
Christian Lambart
Annexe
Bibliographie d’Emmanuel Thiébot.
1/ Travaux universitaires
- « Les francs-maçons et la République en Basse-Normandie de 1870 à 1924 », mémoire de DEA
d’histoire contemporaine sous la direction de Serge Berstein, Institut d’Études Politiques de Paris,
mention Très bien, 2003.
- « La vie scolaire et universitaire à Caen de 1939 à 1945 », mémoire de maîtrise d’Histoire
contemporaine sous la direction d’André Encrevé, université de Caen, mention Bien,1997.
2/ Publications à caractère scientifique
- « L’affaire des fiches vues par les francs-maçons de Basse-Normandie », dans la Revue
historique des Armées (à paraître hiver 2005).
- « Les sépultures des civils et des militaires morts lors de la bataille de Normandie », dans Les
populations civiles dans le Jour J et la bataille de Normandie, actes du colloque international tenu au
Mémorial de Caen en mars 2004 (à paraître hiver 2005).
- « Un lycée dans la tourmente : le lycée Malherbe de Caen entre 1939 et 1944 », dans Le lycée
Malherbe, deux siècles d’histoire, sous la direction de Bernard Beck et Jean-Ghislain Lepoivre,
septembre 2004.
- « La franc-maçonnerie ornaise de 1889 à la Seconde Guerre mondiale : le temps de la
renaissance », dans La Franc-Maçonnerie en Alençon et dans l’Orne. 250 ans de fidélité aux libertés
en pays normand, catalogue de l’exposition réalisée au musée des Beaux-Arts et de la Dentelle,
Alençon, mars 2003.
- « La propagande et l’enseignement sous le gouvernement de Vichy », dans Trames. Revue de
l’IUFM de l’Académie de Rouen, n°7, juin 2000.
- « Défense passive et sécurité des élèves dans les établissements d’enseignement caennais de
1939 à 1944 », dans Trames. Revue de l’IUFM de l’Académie de Rouen, n°5, juin 1999.
- « Quelques aspects de la vie scolaire et universitaire à Caen de 1940 à 1944 », dans L’été 1944.
Les Normands dans la Bataille. Actes du colloque international tenu aux Archives départementales du
Calvados en juin 1994, publiés en 1998.
3/ Livres
- Les cimetières militaires de la bataille de Normandie, co-édition du Mémorial de Caen et du
Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge e. V., juin 2005.
- Approche historique des formes et des causes du suicide au XXe siècle, édition Fol’Art, Caen, mars
2005.
- La Seconde Guerre mondiale, collection « 12 € » Éditions du Mémorial de Caen, juin 2003.
- La fin de l’URSS, en collaboration avec Vladimir Fédorovski, collection « 2 € », Éditions du
Mémorial de Caen, janvier 2003.
- Le régime de Vichy, collection « 2 € » Éditions du Mémorial de Caen, juillet 2002.
- Mussolini et le fascisme, collection « 2 € » Éditions du Mémorial de Caen, mai 2002.
- Les chars spéciaux du Jour J, collection « 2 € » Éditions du Mémorial de Caen, janvier 2002.
- Secrets de guerre 1939-1945, co-auteur, EDL, octobre 2001.
- Le christianisme, collection « 2 € » Éditions du Mémorial de Caen, avril 2001.
- Hitler et le nazisme, collection « 2 € » Éditions du Mémorial de Caen, février 2001.
- Les armes secrètes allemandes, collection « 2 € » Éditions du Mémorial de Caen, janvier 2000.
- Naissance de l’aviation à réaction, collection « 2 € » Éditions du Mémorial de Caen, janvier 2000.
4/ Articles dans la presse
- La France en guerre 1939-1945, membre du comité de rédaction et auteur d’articles depuis la
création de la revue en 2005.
- Le 20ème siècle à la Une, commentaire historique de 120 « unes » de L’Ouest-Éclair et Ouest-France
de 1900 à 2000, hors série de Ouest-France, avril 2000.
- De la guerre à la liberté, hors série du journal Liberté de Normandie, à l’occasion du 60e
anniversaire du Débarquement (rédaction des chapitres « Le Débarquement et la bataille de
Normandie » et « Reconstruction »), mars 2004.
- Articles divers publiés entre 1994 et 2004 dans Le Monde, Ouest-France, L’Orne Combattante,
Phosphore, Clefs pour l’histoire, Seconde Guerre mondiale.
5/ Divers
- « L’été de la Liberté », fresque historique pédagogique racontant le Débarquement et la Bataille de
Normandie (distribuée aux élèves du primaire à la Terminale des établissements scolaires dans douze
départements), hors série de Ouest-France, mai 1994.
- « La propulsion aérienne pendant la Seconde Guerre mondiale », borne interactive installée au
Mémorial de Caen, janvier 2000 (rédaction du texte et choix iconographique).
Téléchargement