Dans toutes les sociétés, le théâtre donne lieu à un grand

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Dans toutes les sociétés, le théâtre donne lieu à un grand rassemblement qui tient à la fois de la cérémonie et de la fête.
Le public s'y voit assigner une place différente suivant les époques – participation maximale ou regard distancié –,
inscrite dans l'architecture même du lieu théâtral. Les événements représentés par les comédiens sur un mode stylisé ou
réaliste, selon qu'on veut ou non faire croire à la véracité de la fiction, s'organisent en un spectacle de l'existence
humaine qui permet à chacun de s'interroger sur sa propre image, réfléchie par ce miroir.
Théâtre et société
En Orient comme en Occident, le théâtre naît du culte religieux, dont il se détache lentement, et de la dramatisation de
textes narratifs fondateurs, épiques ou religieux. Aussi véhicule-t-il, sous forme de mythes, l'histoire collective et nous
éclaire-t-il sur l'image qu'une société se fait d'elle-même. Il est la mémoire politique d'un peuple. Parce qu'il est la
manifestation du groupe social, il emprunte ses modes d'expression aux grandes fêtes, religieuses ou civiques, qui
réunissent la cité. À l'origine, l'art dramatique recourt spontanément au chant, à la musique et à la danse.
Les origines de l'art de la scène
La naissance du théâtre occidental s'opère en deux temps, au VI e siècle avant J.-C. dans la Grèce antique, puis au
Moyen Âge, après la période de transition qui suit l'effondrement de l'Empire romain et les Grandes Invasions. Le
miracle grec s'est opéré par la découverte du pouvoir de la parole. Au moment où le théâtre naît à Athènes, la cité est en
train de mesurer, avec l'instauration de la démocratie, l'efficacité de l'échange du discours: la parole circule partout à
Athènes, au théâtre de Dionysos comme à la Pnyx, où siège l'assemblée des citoyens.
L'art du dialogue
Les Grecs, rompus à la dialectique, excellaient dans l'art du dialogue. Ils avaient bien senti l'importance de la présence
stimulante de l'auditeur, permettant à l'orateur de formuler une pensée qui resterait, sans cela, inachevée. Heinrich von
Kleist, dans un texte de 1805 (De l'élaboration progressive des pensées dans le discours), en est conscient: «Veux-tu
savoir une chose que la méditation ne permet pas de découvrir? alors, cher ingénieux ami, je te conseille d'en parler à la
première personne connue que tu rencontres. [...] Il y a une étrange source d'inspiration, pour celui qui parle, dans un
visage humain qui lui fait face, et un regard, par lequel nous devinons comme déjà comprise une pensée à demi
énoncée, nous suggère souvent une formulation pour la moitié qui manquait encore.» La vivacité du dialogue de théâtre
tient à cette relation présupposée entre deux acteurs qui se font face. Tous les genres littéraires sont nés en Grèce de la
déclamation: l'épopée, l'art oratoire, le dialogue philosophique. Ce peuple, qui à la lecture solitaire préféra de loin la
parole proférée à haute voix, découvrit le théâtre, genre où la parole est en acte.
La liturgie mise en scène
Avant l'apparition du théâtre, la liturgie, en Grèce comme dans toutes les anciennes civilisations, se manifeste dans des
cérémonies rituelles dont l'ordonnance est régie par une sorte de mise en scène. Issues de cultes agraires primitifs, les
fêtes en l'honneur de Dionysos – dieu barbare et inquiétant qui deviendra le dieu du Théâtre – donnent lieu à des
spectacles hauts en couleur. Dès le VIIe siècle avant J.-C., bacchantes et bacchants, les officiants de Dionysos,
entonnent en son honneur un hymne sacré, le «dithyrambe»; ils dessinent un cercle (qui préfigure la forme du théâtre)
autour de son autel et exécutent des danses, les unes sérieuses les autres comiques; certains choreutes évoluent au son
des tambourins et des cymbales, dans une frénésie orgiaque, d'autres, habillés en satyres, se livrent à des danses
phalliques.
Du choreute à l'acteur
Pendant les hymnes dithyrambiques, l'un des choreutes se détachait parfois du groupe et, montant sur une estrade,
venait improviser une monodie près de l'autel de Dionysos. Ainsi naquit le protagoniste (nom par lequel en Grèce on
désignera l'acteur). Quoique le mystère de la transformation du rituel en œuvre d'art reste malaisé à élucider, Aristote
établit, dans la Poétique, l'origine de la tragédie et de la comédie: «[...] l'une vient de ceux qui conduisaient le
dithyrambe, l'autre de ceux qui conduisaient les chants phalliques qui sont encore en usage aujourd'hui dans nombre de
cités.»
Le metteur en scène polonais Tadeusz Kantor évoquait dans le Théâtre de la mort (1975) ce moment de rupture où,
pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, un homme se détacha de la communauté de culte et, devenu acteur,
se retourna vers le public: «Face à face avec ceux qui sont restés de ce côté-ci apparut un Homme leur ressemblant trait
pour trait, qui était cependant, par une espèce d'opération mystérieuse et géniale, infiniment distant, terriblement
étranger, tel un mort, séparé par une cloison invisible, et néanmoins redoutable et inimaginable [...]. Ils ont vu
subitement, comme dans la lumière d'un éclair, l'image tragiquement clownesque de l'homme, comme s'ils l'avaient vu
pour la première fois, comme s'ils s'étaient vus eux-mêmes.»
La création de l'art dramatique
Vers 550 avant J.-C., Thespis, un poète lyrique dont les œuvres ne nous sont pas parvenues, se mit à consigner par écrit
ces monodies improvisées qui constitueront les épisodes de la pièce antique, équivalents des actes dans le théâtre
occidental. Il les chantait lui-même, tout en dansant. Substituant le texte à l'improvisation et l'acteur professionnel à
l'officiant, il créa l'art dramatique. Eschyle parachèvera l'œuvre de Thespis: il lui suffira d'introduire le deuxième acteur,
ce qui permet le jeu dialogué, pour que naisse le théâtre occidental tel qu'il fonctionne encore aujourd'hui. Thespis
donne à Athènes, en 534, dans le cadre des concours dramatiques instaurés à l'époque du tyran Pisistrate, la première
représentation tragique de l'histoire, et il obtient le prix.
Les dionysies
Désormais les spectacles sont créés deux fois par an à Athènes, pour les fêtes de Dionysos, lors des grandes dionysies,
au printemps, et au cours des lénéennes, en hiver, et à chaque fois devant une foule immense: le théâtre de Dionysos
pouvait en effet contenir dix-sept mille spectateurs; selon certains contemporains, il y aurait eu jusqu'à trente mille
personnes à la création des Perses d'Eschyle. Trois auteurs dramatiques concourent pendant trois jours consécutifs.
Chacun présente, dans la même journée, trois pièces, suivies d'un drame satyrique, ce qui constitue un corpus d'environ
dix mille vers. Toute la cité participe à cet événement. Le spectacle repose autant sur les choreutes, simples citoyens et
non acteurs professionnels, que sur les protagonistes.
L'épopée portée à la scène
Le théâtre grec trouve ses matériaux dans l'épopée. Platon tenait Homère pour «le maître originel et le guide de la belle
troupe des poètes tragiques». Eschyle, Sophocle et Euripide lui empruntent en effet bon nombre de leurs sujets. Leurs
matériaux sont déjà dramatisés grâce au travail des rhapsodes, ces sortes de ménestrels qui, au VI e et au Ve siècle,
chantaient des passages saillants de l'Iliade et de l'Odyssée et que Pindare surnomma Homérides («fils d'Homère»). Le
fait de porter à la scène l'épopée, interminable récit à tiroirs, aurait pu donner naissance à des pièces à épisodes
comportant de nombreux rebondissements; en fait, le passage à la scène introduisit une concentration de l'action autour
d'un événement unique. Si Aristote attache tant d'importance à l'unité d'action, ce n'est pas d'un point de vue normatif,
mais parce qu'il constate l'échec, auprès du public, des tragédies qui en sont dépourvues: «Tous ceux qui ont traité toute
l'histoire du sac de Troie au lieu de la traiter par parties comme a fait Euripide, ceux qui ont traité toute l'histoire de
Niobé au lieu de faire comme Eschyle, ou bien échouent ou bien résistent mal dans les concours.»
La prise de conscience du fictif
La naissance du théâtre est un moment essentiel dans l'histoire de l'humanité. L'homme prit conscience du fictif grâce
au jeu théâtral. La réaction de Solon devant la première représentation à Athènes, donnée par Thespis, est significative:
lorsqu'il se trouva pour la première fois confronté à l'acteur, qui donne pour vrai un simulacre, il considéra qu'un tel
mensonge était sacrilège, et il quitta le théâtre, indigné. La fiction, qui n'était exprimée auparavant qu'à travers le récit
indirect de l'épopée, était brusquement mise en scène, si bien que l'on pouvait croire momentanément à la réalité des
événements joués.
Cette prise de conscience du fictif ne s'opéra que lentement. Deux exemples l'attestent. Lors de la représentation de la
Prise de Milet, tragédie perdue de Phrynichos, prédécesseur immédiat d'Eschyle, la panique s'empara des spectateurs: à
la vue d'un spectacle qui représentait des événements vieux d'à peine dix ans, croyant que l'action représentée se
produisait dans le réel, ils éprouvèrent ce que Stendhal appellera, dans Racine et Shakespeare, l'«illusion parfaite».
Athènes interdit alors de représenter des événements contemporains. Les Euménides d'Eschyle produisirent une terreur
bien plus grande encore: persuadés que les Érinyes arrivaient sur scène, «des enfants en moururent et des femmes
avortèrent», comme nous l'apprend la Vie anonyme d'Eschyle.
Le théâtre médiéval
La chute de l'Empire romain crée en Occident une cassure politique, linguistique, culturelle. Après une époque
chaotique, le théâtre renaît lentement du culte, selon un processus analogue à celui qui s'était opéré dans la Grèce
antique. Le théâtre médiéval européen s'enracine en effet, comme le théâtre grec, dans la liturgie. Molière, désireux de
soustraire le théâtre aux attaques des dévots, le rappelle dans la préface du Tartuffe
: «[...] la comédie, chez les Anciens, a pris son origine dans la religion qui faisait partie de leurs mystères.»
De la liturgie au jeu dramatique
Dès le IXe siècle, l'Église institue en effet des «jeux liturgiques», dialogués et chantés, qui théâtralisent les passages les
plus marquants de l'Évangile: l'adoration des bergers et des Rois mages à Bethléem, la rencontre du Christ avec les
pélerins d'Emmaüs, la résurrection de Lazare, etc. L'un des plus anciens, célébré à l'époque carolingienne pour l'office
pascal, est le Quem quaeritis? («Qui cherchez-vous?»). Quatre moines représentent devant les fidèles la scène où un
ange annonce la résurrection aux saintes femmes devant le tombeau vide. Le jeu se déploie, suivant un parcours
processionnel strictement fixé, dans toute l'église. Dans une telle cérémonie, l'utilisation du latin, la langue du culte,
renforce, sur le plan du dialogue, la rupture spatiale qui s'opère entre l'espace sacré de l'église et l'espace profane de la
ville. Deux conditions seront nécessaires pour que la notion de théâtre remplace celle de cérémonie: l'adoption du
français, langue profane, et la sortie du sanctuaire. C'est un auteur anonyme normand qui, à la fin du XII e siècle,
accomplira le passage du jeu liturgique au jeu dramatique, avec le Jeu d'Adam. Cette pièce, qui montre la tentation
d'Adam et Ève, le péché et la punition, est le plus ancien mystère.
Les mystères
Joués dans toute l'Europe du Moyen Âge, les mystères sont des drames sacrés qui empruntent à la Bible leurs sujets. Ils
sont très populaires, particulièrement les mystères de la Passion, qui relatent toute l'histoire de l'humanité, du péché
d'Adam jusqu'au rachat de l'homme lors de la Résurrection. Le théâtre occidental gardera toujours la nostalgie de cet
espace sacré de l'église dont il est sorti. Mallarmé, qui voit dans la cérémonie religieuse un modèle de théâtre, trouve
dans le sanctuaire «un agencement dramatique rare», comme il le dit dans l'un des passages de Divagations. Le
dispositif constitué par l'église permet, selon lui, une communion à la fois esthétique et métaphysique entre fidèles et
officiants (nombreux sont les metteurs en scène du XXe siècle qui voudraient instituer entre le public et les interprètes
un rapport de cette nature-là, ce qui apparaît utopique dès lors que les officiants sont devenus des acteurs, et les
participants des spectateurs).
Théâtre, musique et danse
Parallèlement au culte, la théâtralisation des pratiques sociales, lors des fêtes profanes et des cérémonies religieuses,
favorise le renouveau du théâtre. Sur leur exemple, le théâtre médiéval, comme l'avait fait le théâtre antique, recourt au
moins autant au chant, à la musique et à la danse qu'à la déclamation. Beaucoup de poètes et d'auteurs dramatiques
étaient eux-mêmes compositeurs, notamment Arnoul Gréban, à qui l'on doit un des mystères de la Passion, et Adam de
la Halle, le plus ancien dramaturge profane français, auteur du Jeu de la feuillée et du Jeu de Robin et de Marion. C'est
l'apparition de l'opéra, au XVIIe siècle, qui coupera le théâtre des arts musicaux. Il ne sera plus alors ce spectacle
complet que connurent l'Antiquité et le Moyen Âge, mais se réduira à l'art de la déclamation.
Les fêtes populaires
Les fêtes princières, fort anciennes, décrites dès le VI e siècle par Grégoire de Tours, puis par des chroniqueurs comme
Froissart, sont un spectacle fastueux que les grands offrent au peuple pour affirmer leur pouvoir. La ville entière se fait
théâtre: la porte d'entrée, les rues que le défilé va emprunter sont richement décorées; des tréteaux sont plantés aux
carrefours qui présentent des tableaux vivants, parfois mimés; sur des chars roulants se produisent des mimes aux
endroits où le cortège s'immobilise, dispositif qui sera utilisé en Espagne sur les scènes des autos sacramentales. Les
fêtes populaires, issues des saturnales romaines, comme la fête des Fous ou le carnaval, contiennent également des
éléments de théâtralité. Bouffons et fous, personnages qui égaieront la scène shakespearienne, encore médiévale à bien
des égards, peuplent cet univers burlesque. Telles sont les racines de la farce. Le sermon joyeux, qui parodie de façon
grossière les sermons proférés en chaire, et la sotie, qui cultive le canular, procèdent également de l'atmosphère qui
règne lors des fêtes populaires.
Les «confréries»
Le théâtre, parce que toute la cité y participe, est chose politique au Moyen Âge, comme il l'était en Grèce. La
construction du hourdement (le terme sera synonyme de «théâtre») mobilise charpentiers, maçons, etc. La réalisation
des costumes incombe aux tisserands, drapiers, tailleurs. Les plus grands peintres – Fouquet sous Louis XI, Holbein
sous Henri VIII en Angleterre – participent à la réalisation des décors. Les rôles sont tenus par des bourgeois et par des
étudiants de la ville, parfois même par des nobles. La rupture entre acteurs et spectateurs n'apparaîtra qu'au XV e siècle,
lorsque les acteurs de mystères, devenus professionnels, groupés en «confréries», ne seront plus les délégués des
spectateurs sur l'aire de jeu. Les confrères de la Passion, reconnus officiellement par Charles VI en 1402, détiennent dès
lors une sorte de monopole à Paris: eux seuls ont droit d'y jouer les mystères. Cette rupture ne fera que s'accroître dans
les siècles qui suivent. Si le rêve d'un théâtre populaire, tel que Jean Vilar l'avait conçu, s'est soldé par un échec, c'est
que le groupe social n'est soudé aujourd'hui ni par des idéaux communs ni par une identité collective, et il peut
difficilement se retrouver uni dans la grande aventure théâtrale.
Les traditions non européennes
Le théâtre médiéval n'a pas survécu, car un travail de condensation pour passer de la matière narrative – la Bible – à la
forme dramatique, travail que les Grecs avaient mené à bien, n'a pas été réalisé. Ce n'est sans doute pas la seule raison.
D'autres phénomènes, sociologiques et artistiques, sont en cause, notamment la séparation du profane et du sacré, qui
s'opère dans la société occidentale avec la Renaissance, et la redécouverte d'autres modèles antiques.
Le Ramayana
Le Ramayana est en effet toujours très vivace en Inde ainsi que dans l'Asie du Sud-Est. Le théâtre qui est en est issu, né
d'une épopée religieuse comme les mystères européens, n'a pourtant pas procédé à un travail de sélection dans les
nombreux épisodes que contient le poème. La geste de Rama, qui date dans sa version sanskrite du I er siècle, et dans sa
version hindi du XVe siècle, est, avec le Mahabharata , l'un des plus anciens poèmes religieux indiens. Ce texte narratif,
dans lequel tous les personnages sont des incarnations des dieux, le roi Rama étant l'un des avatars de Vishnu, contient
un enseignement éthique et spirituel. Il a été tôt dramatisé. À mesure de sa diffusion à travers l'Inde, puis dans l'Asie du
Sud-Est, lors de l'expansion de l'hindouisme, dans les sociétés khmère, javanaise, birmane, thaï, malaise, balinaise, etc.,
le Ramayana a donné naissance à d'innombrables versions. Chaque pays a introduit des particularités culturelles et
adopté des formes théâtrales différentes (théâtre d'ombres, théâtre masqué, opéra, marionnettes, danse). Partout, ce
théâtre rassemble les foules durant de longues heures pour suivre la succession de multiples épisodes, comme au théâtre
médiéval européen. Le public de ces spectacles, proches encore de la cérémonie, n'a pas perdu, contrairement à celui de
l'Occident, sa ferveur religieuse.
Le monde arabe
L'absence de théâtre arabe est une question tout aussi complexe que celle de l'absence d'épopée en Chine.
L'interdit de la figuration
La pensée hellénique a pourtant exercé une très grande influence sur le monde arabe. En outre, ce sont les musulmans
qui, grâce à leurs traductions latines de Platon et d'Aristote, ont transmis l'héritage grec au Moyen Âge européen.
Comment se fait-il qu'ils n'aient traduit ni Eschyle, ni Sophocle, ni Euripide? qu'ils n'aient pas non plus créé une forme
originale de théâtre? L'argument le plus souvent retenu pour rendre compte de cette carence est l'interdit de la
figuration, donc de la représentation, dans la religion musulmane. Une anecdote est à ce propos éclairante, même si son
authenticité est contestée. Averroès, écoutant les récits d'un marchand arabe qui revenait de Canton, ne put croire à la
véracité de ses propos. Ce marchand prétendait avoir assisté à un spectacle où des individus, masqués ou maquillés,
gesticulaient et déclamaient devant un public dans le dessein de représenter un événement imaginaire. Il était
impensable pour Averroès, pourtant grand lecteur et commentateur des philosophes grecs (d'Aristote notamment), que
des hommes fussent assez fous, voire impies, pour rivaliser avec Dieu, seul façonneur des images. L'idée de théâtre était
donc, pour lui, inintelligible.
Le taziyé et le Karagöz
Il n'existe pas en effet, dans la religion musulmane, de jeux liturgiques comparables aux cérémonies rituelles des Grecs
anciens ou du Moyen Âge européen, aussi le théâtre ne put-il naître du culte comme partout ailleurs. La seule forme de
théâtre islamique, créée en Iran au VIIe siècle par les chiites, et représentée aujourd'hui encore, est le taziyé: il s'agit d'un
drame religieux, comparable à nos grandes Passions, où le problème de la légitimité de la succession du Prophète est
représenté à travers de mortels combats entre prétendants. Quant au théâtre profane, il n'a qu'un mode d'expression dans
le monde arabe, c'est le Karagöz, un théâtre d'ombres qui a pris le nom de son personnage principal. Cette forme, qui ne
recourt pas à l'acteur et ne joue donc pas du phénomène de l'incarnation, est née en Égypte ou en Turquie au XIII e
siècle. Elle est proche, par son triple aspect, licencieux, grotesque et contestataire, de la farce médiévale européenne.
Il faut attendre 1848 pour que le chrétien maronite Marun al-Naqqach traduise et fasse jouer en Syrie l'Avare de
Molière. C'est la première représentation théâtrale dans le monde arabe.
Les éléments du jeu scénique
Le théâtre, réunissant toute une communauté, ne peut fonctionner qu'avec l'adhésion du groupe. Shakespeare faisait
remarquer que «le public, non l'auteur, fait un bon mot». Le théâtre occidental repose, comme tous les jeux, sur un
système de conventions: le spectateur sait bien qu'il ne se passe rien de réel sur la scène, mais il feint de croire que le
spectacle auquel il assiste est vrai; quant aux acteurs, ils agissent, à l'intérieur des conventions, comme si leur but
essentiel était de tromper le public.
Principe de plaisir et principe de réalité
L'illusion théâtrale réveille l'une des formes les plus archaïques de plaisir, celle que Freud a mise en évidence dans le
jeu du fort-da. Le petit enfant, capable d'émettre seulement quelques syllabes, jubile lorsqu'il découvre ce jeu. Il s'amuse
à faire disparaître un objet en criant fort («loin»), puis à le faire réapparaître en criant da («voilà»). Ce jeu permet de
maîtriser, par l'alternance présence/absence, l'angoisse de séparation créée par l'éloignement momentané de la mère.
Cette mise en scène transforme le déplaisir en plaisir. Comme au théâtre, tout n'est ici que représentation, et la
principale source de plaisir réside dans la fonction scopique, c'est-à-dire dans le seul fait de regarder. Ici, l'enfant est
acteur et spectateur de son propre jeu. L'âge adulte ne lui permettra plus de cumuler ces deux rôles. De même que
l'enfant se montre souvent mécontent lorsque le jeu cesse, de même le spectateur, qui a assisté, fasciné, à l'apparition et
à la disparition des acteurs, éprouve un sentiment de frustration lorsque le rideau tombe définitivement. Cette rupture
marque un retour au «principe de réalité», qui durant la représentation avait été mis en veilleuse au profit du «principe
de plaisir».
Le «plaisir de pleurer»
Ce que vient chercher le spectateur au théâtre, c'est le rire et/ou l'émotion. Le rire est un moment jubilatoire: dans une
sorte de triomphe imaginaire, le public se moque d'un personnage qui incarne une force perçue comme maléfique. Le
plaisir tragique, lui, est plus complexe. Saint Augustin, au livre III de ses Confessions, s'étonne du plaisir ressenti dans
sa jeunesse au spectacle de la tragédie: «Mais quel est ce motif qui fait que les hommes y courent avec tant d'ardeur, et
qu'ils veulent ressentir de la tristesse en regardant des choses funestes et tragiques qu'ils ne voudraient pas néanmoins
souffrir? Car les spectateurs veulent en ressentir de la douleur; et cette douleur est leur joie.» Le «plaisir de pleurer et
d'être
attendri»
dont
parle
Racine
à
propos
de
Bérénice
, dont il est très satisfait, car «c'est une tragédie qui a été honorée de tant de larmes», semble paradoxal. Le plaisir
tragique met en jeu un phénomène cathartique. Nous avons tous besoin, comme l'a montré Aristote, d'éprouver des
émotions fortes – crainte, pitié... – qui s'accompagnent, dans la vie, de troubles et de souffrances. Dans la tragédie, en
revanche, le spectateur les ressent sans en avoir les tourments, et il en retire du plaisir, parce qu'il est «purgé» de ses
affects. Ce que nous vivons d'émotion au spectacle de la tragédie, par personnage interposé, nous l'évacuons,
économisant ainsi un déplaisir que nous éprouverions dans l'existence réelle.
L'acteur selon Platon
Le jeu scénique met donc en branle les affects. Ces forces émotionnelles que la représentation suscite ont éveillé à
maintes reprises la méfiance des moralistes. Platon bannit les poètes de sa république idéale, de peur qu'ils n'exercent
une influence néfaste sur les esprits. En incarnant des personnages immoraux, l'acteur aurait perdu, selon le philosophe,
tout sens moral. «N'as-tu pas remarqué que l'imitation, commencée dès l'enfance et prolongée dans la vie, tourne à
l'habitude et devient une seconde nature, qui change le corps, la vie et l'esprit?» dit-il dans la République.
L'anathème chrétien
Avec l'apparition du christianisme, bon nombre de Pères de l'Église jetteront à différentes époques l'anathème sur le
théâtre, qu'ils considèrent comme un lieu de perdition. Les jansénistes notamment, convaincus que le jeu corrompt,
condamnent farouchement le théâtre. Pour Pierre Nicole, le comédien est un homme perdu parce qu'il éprouve,
partiellement du moins, les passions qu'il joue. Il ne peut rester maître de son jeu. Le rôle déteint sur la personne et
inocule à l'être, comme dans un phénomène de contagion, les désirs et les troubles dont il se fait l'interprète. De plus, le
comédien est un homme dangereux, qui va communiquer au spectateur toutes les passions nocives dont il s'est imprégné
en les jouant. Bossuet écrit lui aussi, à la même époque, un violent réquisitoire contre le théâtre (Maximes et réflexions
sur la comédie, 1664) qu'il étendra ensuite à tous les autres arts. Seuls les jésuites, qui dès la fin du Moyen Âge
cultivèrent le théâtre dans leurs collèges, surent utiliser l'impact sensible qu'exerce la représentation lorsque son but est
moralisateur.
Le théâtre selon Diderot
Diderot, dans le Paradoxe sur le comédien, réhabilite l'acteur, qui ne doit éprouver aucune des émotions du personnage
auquel il prête son corps. Il faut qu'il se regarde sans cesse jouer pour trouver le ton juste, qu'il fasse taire sa propre
sensibilité, car l'émotion ne peut que nuire à son jeu. S'il veut créer chez le spectateur l'illusion, s'il désire l'émouvoir au
plus profond de lui-même et lui faire croire à la réalité du personnage qu'il incarne, il ne doit pas s'identifier à ce
personnage. Le «don de nature» n'a aucune valeur s'il n'est sans cesse perfectionné par le travail. Tout doit être maîtrisé
au théâtre: l'expression du visage, la voix, les cris, les gestes; rien ne peut y être naturel. Le «vrai de la scène» ne
consiste pas à montrer les choses comme elles sont en nature, ce qui serait «commun», mais il réside dans «la
conformité des actions, des discours, de la figure, de la voix, du mouvement, du geste, avec un modèle idéal, imaginé
par le poète et souvent exagéré par le comédien».
La scène et le jeu dramatique
Le théâtre est le reflet du monde: tel est, selon Shakespeare, «l'objet propre du théâtre, dont le but a été dès l'abord, et
demeure toujours, de tenir, pour ainsi parler, le miroir devant la nature, de montrer au bien son propre visage et au mal
sa physionomie, au siècle même et au corps de notre temps son image et son effigie» (Hamlet). Mais l'art du reflet,
complexe, suppose un travail d'épuration. Le réalisme vit mal sur la scène; le théâtre, pas plus que la peinture, n'est
photographie du réel. Le monde stylisé qu'il évoque met en cause le spectateur dans son existence même.
Le jeu scénique est, dès ses débuts, toujours stylisé, tant en Orient qu'en Occident. Tandis que l'art oriental ne connaît
que peu d'évolution, la scène occidentale est passée par une série de métamorphoses, de la stylisation au réalisme. C'est
là une caractéristique des arts de l'espace: les plus anciennes représentations visuelles (Lascaux, Altamira, vallée des
Merveilles) sont stylisées, et ce n'est que tardivement que les représentations plastiques deviennent réalistes.
Les théâtres orientaux
Les théâtres orientaux, tant indien que chinois, japonais ou indonésien, se caractérisent par leur extrême stylisation.
L'action se joue, sans décor, sur une scène nue. Tous les modes d'expression de l'acteur y sont codifiés: gestes,
mimiques, costumes. Ainsi, dans le théâtre sanskrit, où tout est symbole, les gestes véhiculent un langage muet que la
tradition a minutieusement conservé, et le costume apporte sur les personnages des renseignements précis. Dans le
théâtre chinois, le jeu est codifié par un très grand nombre de formules apprises par cœur. Il en existe une cinquantaine
pour les gestes des mains, une trentaine pour les différentes manières de rire, un grand nombre pour les mouvements des
jambes et des pieds, de la tête et de la taille, pour la diction et le chant. Le mouvement scénique lui-même, issu de
danses anciennes, est stylisé. Si l'acteur fait un tour sur la scène, cela signifie qu'il entreprend un déplacement; s'il en
fait plusieurs, c'est qu'il fait un long voyage. Les cavaliers caracolent sur des chevaux imaginaires. Les bateliers manient
des rames sur des barques inexistantes.
Le théâtre chinois
Le théâtre oriental intègre constamment les autres arts: musique, chant, danse, pantomime. Le théâtre chinois associe
intimement à l'action dramatique acrobaties, ballets de combat, escrime, numéros de cirque. La parole n'occupe, en
effet, dans les théâtres orientaux, qu'une place restreinte. C'est ce qui explique l'enthousiasme d'Artaud, qui voulait «en
finir avec le théâtre de texte», décadent à ses yeux, lorsqu'il découvrit le spectacle donné à Paris en 1931 par une troupe
balinaise: il le proposa, dans son article «Sur le théâtre balinais», comme modèle à l'Occident. En effet, Artaud remet en
cause la dramaturgie occidentale, qui «ne voit pas le théâtre sous un autre aspect que celui du théâtre dialogué». Il
désire inventer un langage spécifiquement théâtral, destiné aux sens et indépendant de la parole: un langage créé par la
musique, la danse, la pantomime, et même le décor. Ce langage par signes doit avoir valeur idéographique. Artaud rêve
de retrouver les modes d'expression des pantomimes directes, où les gestes, au lieu de représenter des mots, des phrases,
représentent des idées, des attitudes de l'esprit. Dans un tel spectacle, la parole ne sera qu'un moyen d'expression parmi
d'autres. Lui-même a réalisé deux pantomimes, la Pierre philosophale et Il n'y a plus de firmament.
Le théâtre indien
Le théâtre indien ne cherchant pas à créer une illusion réaliste, l'action, dans le drame sanskrit de l'époque classique,
celle de Kalidasa (IVe-Ve siècle), compte moins que les moyens à travers lesquels elle s'exprime. Aussi les auteurs
dramatiques indiens n'hésitent-ils pas à l'interrompre, tantôt par des interventions du récitant, tantôt par une pause
lyrique (le verset), tantôt en mêlant à l'action principale des actions secondaires qui sont parfois de simples épisodes.
Cette fragmentation de l'action est quasi inconnue dans la dramaturgie française, où le héros est toujours au centre de
l'action. Brecht, fasciné comme Artaud par les théâtres orientaux, découvrira la fécondité de ces trois procédés
d'écriture. Condamnant l'illusionnisme du «théâtre aristotélicien» (synonyme pour lui de théâtre occidental), il multiplie
les interventions du récitant qui commente l'action, décrit à certains moments les pensées et les mobiles ainsi que
l'attitude morale des personnages... C'est là un procédé de distanciation qui tend à sauvegarder la liberté de réflexion du
spectateur. Ce récitant peut même anticiper et informer le public du dénouement. De nombreux auteurs dramatiques
contemporains, multipliant les adresses au public, se situent dans sa mouvance, surtout les dramaturges de langue
allemande, comme Friedrich Dürrenmatt, Max Frisch, Peter Weiss, Thomas Bernhard ou Peter Handke. Brecht
interrompt aussi l'action avec les songs, pauses lyriques fonctionnant comme le verset sanskrit. La fragmentation de
l'action, interrompue par les épisodes secondaires, est également caractéristique du théâtre épique.
Le théâtre de poupées japonais
Si l'action dans le drame sanskrit est fragmentée, dans le théâtre de poupées japonais et dans le théâtre d'ombres de Java,
elle est doublement représentée, si bien qu'à aucun moment le spectateur ne peut croire qu'elle se déroule réellement
sous ses yeux. Le théâtre de poupées apparaît au XVII e siècle. La grande taille des poupées exige une technique
particulière: trois manipulateurs opèrent en scène à la fois, sans être occultés; l'un d'eux passe la main gauche dans une
fente pratiquée dans le dos du costume de la poupée, et il en maintient la tête au moyen d'un manche qui la prolonge;
deux aides, portant cagoule noire, font mouvoir, l'un la main gauche, l'autre les pieds; à eux trois, ils parviennent à
donner à la poupée un mouvement proche de celui de l'être vivant. Tout le texte est déclamé par un récitant: assis sur le
devant de la scène, il annonce le sujet, évoque le décor, décrit les personnages qui apparaissent comme si sa voix avait
suscité leur venue; il prend des intonations, des accents différents, adaptés à la poupée à laquelle il prête la parole; son
visage mime les attitudes des différentes poupées. Ce récitant joue un rôle complexe, puisqu'il raconte l'histoire, tout en
mimant ce qui est représenté par les poupées et en leur prêtant sa voix. L'action est représentée à la fois par son jeu et
par celui des poupées. L'illusion, irréaliste, fonctionne ici essentiellement par une série de médiations.
Le théâtre d'ombres de Java
Dans le théâtre d'ombres, à Java, les spectateurs contemplent à la fois les figurines, leurs ombres sur la toile et le
manipulateur (dalang). Là encore, la représentation de l'action est double; en outre, elle est deux fois irréelle, puisque
les figurines sont de bois et que leurs ombres sont immatérielles. Jean Genet, dans les Paravents, jouera sans cesse sur
le double registre de la réalité ou de l'irréalité de l'ombre, mettant en scène, sur deux plans différents, les vivants, plus
irréels que les morts, et les ombres des morts qui contemplent, comme un spectacle factice, le jeu des vivants. Pour les
Javanais comme pour Genet, le théâtre est, par essence même, baroque. Il est un lieu de chimères, qui ne cherche pas à
créer une illusion de réalité: il n'offre de cette réalité que l'ombre de ses représentations.
Le théâtre occidental contemporain se rapproche de la dramaturgie orientale dans son désir de faire du théâtre un
spectacle complet où la musique, la danse, le chant aient autant d'importance que la parole. Abandonnant le réalisme
illusionniste, il est devenu emblématique, comme les théâtres orientaux. Mais si l'auteur oriental ne peut s'exprimer qu'à
l'intérieur de contraintes immuables, nos contemporains créent leurs propres symboles, que le spectateur doit
interpréter.
Les tendances occidentales
À l'origine, le théâtre occidental, grec ou médiéval, est tout aussi stylisé que les théâtres orientaux. La pièce grecque,
comme le vieux théâtre sanskrit ou le nô japonais, se joue sur une scène nue. La notion de décor, récente, n'est vraiment
apparue qu'avec le théâtre à l'italienne. C'est le verbe qui, dans toutes les formes anciennes de théâtre, crée, par son
pouvoir de suggestion, l'espace scénique. Dans la dramaturgie grecque, il est actualisé dès les premiers mots du
prologue. Ainsi, dans Électre de Sophocle, le précepteur explique-t-il d'emblée à Oreste qu'ils sont enfin arrivés à
Mycènes. L'absence ou la présence de décor est la différence majeure entre le théâtre antique et le théâtre tel qu'il
fonctionne en Europe depuis la Renaissance.
Le théâtre grec
Sur une scène nue, l'acteur est l'élément essentiel du spectacle: masque, costume, objets scéniques sont autant de signes
qui constituent le personnage qu'il représente. Artaud rêvera de retrouver une telle conception de la scène, où l'acteur
crée, par sa seule présence, un décor mouvant qui n'a pas la facticité du décor construit. Plus encore que le costume, le
masque est, chez les Grecs anciens, un procédé de caractérisation du personnage. Il permet d'entrée de jeu d'identifier le
héros. Il inscrit le nom sur le visage: il a la même fonction que l'épithète de nature dans la rhétorique épique, qui est un
qualificatif invariant et constitutif du personnage. Un tel procédé suppose, au théâtre comme dans l'épopée, une
conception essentialiste du personnage: le héros antique se confond avec son acte; il réalise, dans le passage à l'acte, son
essence et n'est pas susceptible d'évolution comme le héros classique. Nous sommes là aux antipodes de la conception
moderne qui représente le personnage comme un être qui se cherche. Transposition scénique de la figure humaine, le
masque antique affiche d'emblée les conventions et interdit toute conception naturaliste du jeu, qui imiterait le vécu. Un
petit nombre d'objets scéniques, emblématiques (tels le char ou l'épée), permettent également de caractériser le
personnage du théâtre grec.
Le théâtre romain
Il se caractérise par le jeu s'orientant vers le naturalisme.
L'espace théâtral
Le mur de scène latin, gigantesque, peut atteindre jusqu'à 40 m de hauteur. S'élevant aussi haut que les derniers gradins,
il est une clôture qui ferme le théâtre. À la différence de ce qui se passait en Grèce, où la scène, basse, laissait pénétrer,
avec le paysage urbain qui se profilait au-delà, le monde réel, les spectateurs latins ne perçoivent plus rien de l'univers
situé derrière la frons scaenae. Le mur d'Orange, encore debout, nous permet d'imaginer le faste de ces théâtres latins où
la frons scaenae était ornée de marbre, décorée d'or, d'argent ou d'ivoire. Ce mur, à lui seul, était un décor. Le velum,
voile tendu au-dessus du public, qui avait pour but d'amortir les résonances et de protéger les spectateurs des
intempéries, isolait de fait le lieu théâtral de la cité et créait un monde de faux-semblants qui annonce celui de la scène à
l'italienne, substituant à l'éclatante lumière du jour un éclairage artificiel diffus.
Un goût du spectacle
Les Romains, friands de spectacles, développent sur cette scène fermée la machinerie, perfectionnant les techniques
hellénistiques et représentant des phénomènes aussi extraordinaires que les incendies, les orages, les tremblements de
terre... Des toiles peintes en trompe-l'œil donnent l'illusion du relief, des paysages en perspective suggèrent un au-delà
de la scène et créent un effet de profondeur qui annonce la conception de la scène à l'italienne. Ce goût du spectacle
explique que le théâtre de texte, qui trouve son mode d'expression avec Plaute, Térence et Sénèque, ne soit qu'un
épiphénomène à Rome. Le goût du spectacle va l'emporter bien vite au détriment du verbe.
Le théâtre latin apparaît comme un moment nécessaire, pour que l'on passe d'une conception sacrée de la scène, qui était
celle des Grecs, à un théâtre profane. Le théâtre médiéval et le théâtre renaissant réitéreront le parcours du théâtre
antique. À la suite du drame médiéval, religieux, le travail de la Renaissance, analogue à celui du théâtre latin, sera de
désacraliser la scène et, en l'enfermant, de la conduire vers une conception réaliste.
Les théâtres de tréteaux
Qu'il s'agisse du théâtre médiéval ou du théâtre élisabéthain, ils se prêtent, comme le théâtre grec, à un jeu stylisé.
Espace neutre, la scène élisabéthaine, ouverte, ne recourt pas à un décor construit. Les mêmes dispositifs, proscenium,
scène intérieure, balcon, etc., sont aptes à évoquer des lieux différents. La parole et le geste qui la propulse, les éléments
de spectacle, objets scéniques et musique, suppléent, par leur pouvoir évocateur, à cette absence de décor et créent un
monde qu'aucune scène, dans sa matérialité, ne saurait contenir. Shakespeare souligne que l'exiguïté de la scène est une
contrainte, autant pour l'auteur dramatique que pour le metteur en scène. Poète et praticien, il connaît les moyens d'y
remédier: conscient de la puissance de la parole proférée sur l'imagination du public, il prête au chœur, dans Henri V,
pièce où il s'agit de représenter la bataille d'Azincourt, le discours suivant: «Suppléez par votre pensée à nos
imperfections; divisez un homme en mille, et créez une armée imaginaire. Car c'est votre pensée qui doit ici parer nos
rois, et les transporter d'une lice à l'autre, franchissant les temps et accumulant les actes de plusieurs années dans une
heure de sablier.» Il faudra attendre le XXe siècle pour que l'on retrouve en Occident cette stylisation extrême du théâtre
grec ou du théâtre élisabéthain.
Le théâtre à l'italienne
Dans ce type de théâtre, la scène s'engage dans la voie du réalisme.
Un espace fermé
À la différence du théâtre grec médiéval ou élisabéthain, qui se joue à la lumière du jour, ce théâtre fermé est tributaire
de la lumière artificielle, dont il exploitera toujours les potentialités. Aussi se prête-t-il aux effets illusionnistes. Les
Temps modernes s'ouvrent, en matière artistique, avec la découverte, dès le Quattrocento en Italie, de la perspective,
qui, modifiant toutes les représentations spatiales, architecturales, picturales et scéniques, imprime à l'œil une vision
nouvelle.
Les mansions médiévales: un décor à plat
Architectes, peintres et sculpteurs, souvent polyvalents comme Léonard, Ghiberti ou Brunelleschi, participent à la mise
en scène, imaginant les décors, élaborant une machinerie complexe. Les humanistes jugent peu «naturel» le dispositif
médiéval. Calqué sur le modèle de la peinture et de la sculpture médiévales, qui juxtaposent dans une même
composition des scènes fort différentes, il est un décor simultané à plat. Ce type de décor, où des lieux éloignés dans la
fiction sont pratiquement contigus sur la scène, n'a rien de réaliste. Il a pour module de base la mansion (doublet
médiéval de «maison»). Même si elles représentent un lieu, ces mansions ne visent pas à donner une illusion de réalité.
L'action se joue devant et non à l'intérieur. L'acteur peut tout au plus y pénétrer pour disparaître à la vue.
Les mansions Renaissance: perspective et scénographie
Les humanistes trouvent dans la perspective un principe d'unité qui, ordonnant les éléments de la scène, introduit le
naturel recherché dans la représentation. Au dispositif simultané à plat du théâtre médiéval, la Renaissance substitue le
décor simultané convergent, c'est-à-dire une plantation en profondeur, régie par les lois de la perspective, créant ainsi la
scénographie, cet art d'ordonner les différentes parties d'une scène. Le spectateur a désormais l'illusion que la distance
fictive entre les lieux scéniques est respectée dans le décor. Alors que les mansions médiévales délimitaient différentes
aires de jeu, les mansions Renaissance, rejetées sur les côtés, laissent de la place pour un décor ornemental. À l'origine
construit en bois, puis peint sur toile selon la technique du trompe-l'œil, ce décor figure des éléments qui ne sont pas
nécessaires au jeu: arbres d'une forêt, maisons devant lesquelles on ne joue pas, etc. Il signe l'apparition d'un nouveau
type d'illusion qui préfère au symbole l'imitation du réel.
Le classicisme
Conférant au verbe sa fonction première, le théâtre classique conserve la stylisation antique. Le langage y occupe une
place majeure. Les interdits que fait peser la règle des trois unités obligent à tout dire, puisqu'il est difficile de montrer.
D'Aubignac, dans la Pratique du théâtre, établit une équivalence absolue entre action et discours: «Au théâtre, parler
c'est agir, [car] les discours ne sont au théâtre que les accessoires de l'action, quoique toute la tragédie, dans la
représentation, ne consiste qu'en discours [...] et si [le poète] fait paraître quelques actions sur son théâtre, c'est pour en
tirer occasion de faire quelque agréable discours; tout ce qu'il invente, c'est afin de le faire dire; il suppose beaucoup de
choses afin qu'elles servent de matière à d'agréables narrations.» Ce rôle du langage, véhicule de toutes les
significations, constitue une des difficultés maîtresses auxquelles se heurte l'acteur. Jorge Lavelli, lors de sa mise en
scène de Polyeucte, en 1986, déclarait que «la particularité du théâtre français consiste peut-être en ce que tout y est dit.
Chaque sentiment, chaque réaction de chaque personnage sont écrits et expliqués. Cette absence de flou, cette extrême
précision modifient l'approche, par le metteur en scène et les acteurs, des états d'esprit des personnages, de leur
comportement et des situations dans lesquelles ils se trouvent». Le décor, dans une telle dramaturgie, est inutile: dans
Phèdre, une seule allusion au palais de Thésée suffit à le rendre présent.
À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, l'enfermement de la scène suscite la naissance du décor. Ainsi se
substitue peu à peu à la stylisation antique ou médiévale, que le classicisme a conservée, le réalisme illusionniste
caractéristique de la scène à l'italienne, qui est traitée comme un fragment du monde réel.
La machinerie
Permettant de renforcer l'illusion, elle se développe dès la seconde moitié du XVII e siècle, lorsque Paris découvre avec
enthousiasme l'opéra, introduit à la cour par Mazarin.
L'opéra
Orfeo, opéra italien de Luigi Rossi, est représenté au Palais-Royal en 1647: changements à vue, machines pouvant
porter dans les airs jusqu'à quarante personnes, réalisées par Torelli (aussitôt qualifié de «grand sorcier»), enchantent le
public. Les spectateurs, habitués au décor unique que leur offrent les pièces classiques, n'en croient pas leurs yeux.
L'illusion se passe donc fort bien du décor unique, contrairement à l'opinion des théoriciens classiques. Concurrencé par
l'opéra, genre qui s'arroge toutes les audaces, le théâtre tente aussitôt de l'imiter en créant, avec les pièces à machines,
des genres mixtes: la comédie et la tragédie-ballet, la tragédie en musique.
La tragédie à machines
La tragédie se met la première au goût du jour, car, corsetée dans des règles strictes, elle semble le genre le plus
menacé. Au carnaval de 1650, Corneille donne Andromède, chef-d'œuvre de la tragédie à machines, avec un
accompagnement musical de D'Assoucy, aujourd'hui perdu. Conscient de la nouveauté de son entreprise, il prévient les
spectateurs de ne rechercher ici ni des alexandrins finement ciselés ni l'expression de passions aussi fortes que dans ses
pièces précédentes: «Souffrez que la beauté de la représentation supplée au manque de beaux vers que vous n'y
trouverez pas en si grande quantité que dans Cinna, ou dans Rodogune, parce que mon principal but ici a été de
satisfaire la vue par l'éclat et la diversité du spectacle, et non pas de toucher l'esprit par la force du raisonnement, ou le
cœur par la délicatesse des passions.» La musique, de même que les décors conçus par Corneille avec le concours de
Torelli, transporte le spectateur dans une atmosphère magique. Chaque acte a «une machine volante avec un concert de
musique [destiné] à satisfaire les oreilles des spectateurs, tandis que leurs yeux sont arrêtés à voir descendre ou
remonter une machine, ou s'attachent à quelque chose qui leur empêche de prêter attention à ce que pourraient en dire
les acteurs».
Scénographie et écriture
Les progrès de la scénographie, favorisant une conception illusionniste de la représentation, auront une incidence sur
l'écriture. Que les auteurs traitent l'espace sous un mode réaliste, notamment à l'époque du drame bourgeois et plus tard
à l'époque naturaliste, ou de façon symbolique à l'époque romantique, ils le chargent de significations multiples. Ils le
décrivent minutieusement, car ils veulent guider le scénographe, craignant qu'il ne substitue sa vision à la leur. Des
auteurs comme Diderot, Beaumarchais ou Sébastien Mercier se font costumiers et machinistes. Ils décrivent les habits
de leurs personnages avec une minutie extrême: le vêtement devient un moyen de saisir le personnage, et surtout sa
«condition». Le décor permet de créer l'atmosphère intimiste d'une maison bourgeoise: il fonctionne en outre comme un
signe qui apporte des informations sur le personnage dont il indique le statut social. L'histoire de la scène à l'italienne au
XVIIIe et au XIXe siècles se confond avec celle du décor. Le cube de scène, séparé du monde des spectateurs, tente de
reproduire un fragment du monde réel. Aussi le décor, habité par les acteurs-personnages, est-il traité comme un espace
vrai. La scénographie multiplie les artifices pour créer le naturel sur scène. Jusqu'à la fin du XIX e siècle, le théâtre à
l'italienne évolue vers un réalisme de plus en plus grand.
Les excès de la scénographie
La scène s'encombre ainsi de signes inutiles. Le poète contemporain Henri Michaux, fasciné par le dépouillement des
théâtres orientaux, exprime dans Un barbare en Asie sa lassitude devant ce réalisme illusionniste qui caractérise le
théâtre à l'italienne: «Seuls les Chinois savent ce qu'est une représentation théâtrale. Les Européens, depuis longtemps,
ne représentent plus rien. Les Européens présentent tout. Tout est là sur scène. Toute chose, rien ne manque, même pas
la vue qu'on a de la fenêtre.» Dès le XIXe siècle, certains auteurs dramatiques témoignent de leur réticence face aux
excès de la scénographie. Goethe, dans le prologue de Faust (1808), se moque de tous ceux qui multiplient les effets
spectaculaires pour plaire aux masses. Hugo, Musset revendiquent, en poètes, une liberté créatrice que les excès
spectaculaires paralysent. Incompris tous deux par le public de leur temps, peu joués, l'un rêve d'un «théâtre en liberté»,
l'autre d'un «spectacle dans un fauteuil». Au nom du verbe, ils protestent contre le luxe des mises en scène. C'est la
notion même de représentation que les symbolistes contesteront à la fin du XIX e siècle. Le poème dramatique ne peut se
plier aux artifices de la scène. Maeterlinck, partisan d'un théâtre «invisible», affirme: «La représentation d'un chefd'œuvre à l'aide d'éléments accidentels et humains est antinomique. Tout chef-d'œuvre est un symbole et le symbole ne
supporte jamais la présence de l'homme [...]. L'absence me semble indispensable.» Selon Mallarmé, la lecture est
infiniment supérieure à la représentation, qui, réductrice, porte atteinte à l'imagination du spectateur. Aussi au théâtre
préfère-t-il la danse, forme de spectacle qui privilégie le symbole. Désormais, les auteurs dramatiques vont prendre
exemple sur la chorégraphie, afin d'échapper au piège du réalisme et aux carences du naturalisme.
Vers de nouvelles conventions de jeu
On assiste à un retour à la stylisation dès le début du XXe siècle. Tous les arts repensent alors le concept de mimésis.
L'apparition de l'image photographique, puis filmique, qui offre une copie fidèle du réel, a ruiné le rêve du réalisme,
tant dans le domaine de la peinture que dans celui de la mise en scène. L'échec du théâtre naturaliste, qui est venu
réitérer un siècle plus tard celui du drame bourgeois, mit fin au diktat du réalisme illusionniste, qui n'est plus, au XX e
siècle, qu'une convention de jeu.
Lumières et éclairages
Les progrès techniques leur permettant de bouleverser la scène traditionnelle, metteurs en scène et auteurs dramatiques,
à commencer par Alfred Jarry, traitent l'espace scénique avec une totale liberté. L'introduction de l'électricité bouleverse
la scénographie au XXe siècle. Dès 1897, dans la mise en scène du drame wagnérien, Adolphe Appia, conscient que la
lumière rend définitivement caduque la conception illusionniste de la scène, jette les fondements de l'éclairage moderne.
Si au XIXe siècle le trompe-l'œil pouvait faire illusion sur la scène faiblement éclairée, le contraste entre l'objet peint et
l'objet réel devient choquant lorsque s'accroît la puissance lumineuse.
Décor et artifices scéniques
Pour Jarry, le fondateur de l'esthétique théâtrale moderne, le décor construit est incompatible avec une conception
emblématique de la scène. Affectant un mépris total pour le réalisme, Jarry (Ubu roi , 1896) souhaite des «décors
héraldiques». Ainsi, il affirme: «Toute partie du décor dont on aura un besoin spécial, fenêtre qu'on ouvre, porte qu'on
enfonce, est un accessoire et peut être apportée comme une table ou un flambeau.» Quant aux accessoires, il les veut
résolument faux. Dans la mouvance de Jarry, Apollinaire avec les Mamelles de Tirésias (1917) et Vitrac avec Victor ou
les Enfants au pouvoir (1928) créent une forme d'illusion nouvelle. Au lieu d'imposer pour vrai ce qui est représenté, ils
privilégient l'insolite, créant des situations et des personnages sans équivalent dans la réalité.
Paul Claudel, affichant un pareil mépris pour le réalisme, accentue également, tant dans le décor que dans le jeu, les
artifices scéniques. «Dans le fond, la toile la plus négligemment barbouillée, ou aucune, suffit, dit-il dans la préface du
Soulier de satin. Les machinistes feront les quelques aménagements nécessaires sous les yeux mêmes du public pendant
que l'action suit son cours. Au besoin, rien n'empêchera les artistes de donner un coup de main. Les acteurs de chaque
scène apparaîtront avant que ceux de la scène précédente aient fini de parler et se livreront aussitôt entre eux à un petit
travail préparatoire. Les indications de scène, quand on y pensera et que cela ne gênera pas le mouvement, seront ou
bien affichées ou lues par le régisseur ou les acteurs eux-mêmes qui tireront de leur poche ou se passeront de l'un à
l'autre les papiers nécessaires. [...] Il faut que tout ait l'air provisoire, en marche, bâclé, incohérent, improvisé dans
l'enthousiasme! [...] L'ordre est le plaisir de la raison; mais le désordre est le délire de l'imagination.»
L'abandon du décor construit au XXe siècle
Il nécessite une réorganisation de la scène, librement modelée par des moyens divers: screens (sortes d'écrans ou de
paravents verticaux constitués d'un certain nombre de panneaux articulés dans les deux sens) et praticables, objets
scéniques, jeux de lumière. Aisément manipulables, ils permettent, outre des changements à vue quasi instantanés, une
fragmentation du lieu scénique.
Le théâtre de Gordon Craig
Ce metteur en scène anglais, qui a travaillé non seulement à Londres, mais aussi à Florence et à Moscou, a exercé une
influence déterminante, tant sur la mise en scène contemporaine que sur l'écriture dramatique. Déplorant que
l'imagination soit bridée par les contraintes matérielles de la scène, toujours trop exiguë, il cherche le moyen de créer
«mille scènes en une». Aussi imagine-t-il un sol scénique modelable, constitué d'un certain nombre de parties
indépendantes, susceptibles, grâce à un dispositif, de s'élever ou de descendre. Le jeu des volumes permettrait, selon la
combinatoire choisie, de créer les formes les plus diverses: escalier, plates-formes, lits ou sièges, épaisses murailles ou
vastes espaces, etc. Bien des metteurs en scène après lui exploiteront la mobilité du plancher de scène, notamment
Patrice Chéreau, dans Hamlet en 1988. Complexifiant son projet, Craig souhaite que la scène entière puisse se mouvoir
dans toutes les directions: il invente alors les screens. Il lui suffit de changer l'orientation d'un panneau pour modifier
aussitôt la configuration du lieu scénique.
Le rôle de la lumière
Plus aisément encore que paravents ou praticables, la lumière permet tant les changements de lieu instantanés que la
fragmentation de la scène. L'influence du cinéma, auquel se réfèrent spontanément les auteurs dramatiques actuels, est
ici manifeste. Un changement de lieu s'opère soit brutalement par un noir, soit de façon insensible par une modification
de la lumière. Les auteurs dramatiques de la grande avant-garde des années 1950 – Beckett, Ionesco, Adamov,
Weingarten, Genet, Vauthier – notent désormais systématiquement la solution pour laquelle ils optent. La lumière,
élément de discontinuité, est devenue un procédé rhétorique de composition, qui joue le rôle inverse des liaisons de
scène dans le théâtre classique: elle souligne la rupture ou elle l'atténue. Cette discontinuité des enchaînements crée une
atmosphère d'étrangeté identique à celle du rêve, qui juxtapose les images sans les relier. La scène, dans des œuvres de
ce type, se présente comme le lieu du fantasme, et non comme un lieu réel. En effet, pour ces dramaturges des années
1950, qui condamnent également le réalisme, copie mensongère du réel, l'imaginaire est plus digne d'intérêt que la
réalité. Attentifs à leurs propres songes, ils considèrent le rêve, cette «autre scène» dont parle Freud, comme un monde
très proche de l'univers théâtral, car il est représentation spatiale, figuration visuelle des fantasmes. Aussi y trouvent-ils
souvent une source d'inspiration féconde.
Le théâtre d'images
La mode du théâtre d'images contribue actuellement à la transformation de la scénographie. Au Living Theatre, Julian
Beck, connu par le public français dès les années 1960, faisait naître une série d'images archétypales fortes du seul
corps de l'acteur, sans utiliser ni costume ni décor. Les années 1970 révèlent deux étrangers, Robert Wilson, avec le
Regard du sourd, joué à Paris en 1971, et le Polonais Tadeusz Kantor. Ce dernier, peintre-metteur en scène, très marqué
par le dadaïsme et par le constructivisme, a définitivement débarrassé l'objet scénique de toute référence au réel.
Un théâtre du quotidien
Parallèlement, un nouveau courant s'est dessiné depuis les années 1970. La contestation politique de Mai 68 et des
années qui ont suivi a suscité l'apparition d'un théâtre engagé, avec des auteurs dramatiques comme Aimé Césaire,
Roger Planchon, Kateb Yacine, Armand Gatti... en même temps qu'un retour à un certain réalisme. C'est un «théâtre du
quotidien» que prônent des auteurs comme Michel Vinaver ou Jean-Claude Grumberg; mais ce nouveau réalisme, qui
caractérise partiellement aussi des auteurs comme Bernard-Marie Koltès, Philippe Minyana ou Botho Strauss, allie
constamment au réalisme un onirisme débridé. Même s'il est impossible d'imaginer quelles voies empruntera le théâtre
dans les décennies à venir, on peut affirmer avec certitude que le réalisme pur est bel et bien mort.
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