Jacky Beillerot, “ Apprendre autrement aujourd’hui ? ”
chapitre : Introduction
Cité des Sciences et de l'Industrie Apprendre autrement aujourd’hui ? 10eEntretiens de la Villette (1999)
que le ciel. ” Enfin, cinquième implicite (aurait-il dû être le premier ?), si “ autrement ” interroge les
manières de faire, il conteste, de fait, les agents qui déploient les “ anciennes ” pratiques,
devenues réprouvées ou répudiées. C'est pourquoi “ autrement ” signe une opposition, une révolte
même contre ceux, considérés à tort ou à raison, comme les représentants du conservatisme.
On voit mieux sans doute que l'“ autrement ” qui nous est proposé par le titre de cet ouvrage n'est
pas mince et banal. Car c’est tout un courant social qui s'est incarné dans cet adverbe des
nouvelles bonnes manières, un courant dont la carte d'identité comprend quelques autres termes
et qui connaît sa date de naissance ! “ Autrement ” s'accompagne en effet de l'“ innovation ”, des
“ alternatives ”, du “ changement social ”. Ce sont les années 70 qui ont vu naître, en particulier, la
célèbre revue éponyme, créée en 1975 par Henri Dougier. L’exergue annonçait : “ Autrement jette
un regard critique, libre d'a priori, sur les mutations, les innovations culturelles et sociales qui
forment l'actualité profonde de notre temps. ”
Mais pour nous, enseignants, c'est au début de la décennie suivante que le livre d'Annie Bloch et
d'Olivier Clouzot
nous a fait redécouvrir
le contenu emblématique d'un “ apprentissage
autrement ”. Si ce livre a tant marqué les enseignants, c’est qu’il mettait en évidence qu’il fallait
apprendre autrement, c’est-à-dire en dehors de l’école : dans les associations, dans les clubs,
dans la rue, apprendre en faisant, en vivant…
L'éditeur lui-même s'était mis de la partie puisque le livre était composé, presque tout au long, de
deux parties se faisant face : sur la page de gauche, se trouvaient une série de récits
d'apprentissage, de citations de textes ; la page de droite, elle, était réservée à l'analyse et à la
conceptualisation des auteurs.
Après l'éloge de l'apprentissage et de son récit, trois chapitres développaient respectivement le
rôle de l'“ autre ”, le rôle de l'information, le rôle du groupe. étaient ainsi résumés les ingrédients de
l’“ autrement ” de ce temps-là, fondé sur la démarche volontaire ou spontanée de l'apprenant et la
fonction relationnelle nécessaire dans l'apprentissage. “ Autrement ”, pourrait-on dire, s'opposait
alors aux cursus, aux institutions, aux statuts, et s’attachait à valoriser la personne, les rôles,
l'aventure même.
Apprendre “ autrement ” : entreprendre et chercher
“ Autrement ” porte sur la manière, la manière de faire. Est-ce qu'il s'agit du même “ autrement ”
que celui de Bloch et Clouzot, d’un “ autrement ” qui le prolonge ? Et donc, les références
auxquelles s’oppose cet autrement-ci – celui du titre de l’ouvrage – sont-elles celles des années 60
encore en vigueur, tout ou partie ? Ou bien, au contraire, l'“ autrement ” d'aujourd'hui s'affiche-t-il
contre l'“ autrement ” d'hier, celui né des années 70 ?
On peut répondre : autrement encore qu'hier et qu'avant-hier, aussi bien par les réalisations déjà
observables que par les espoirs ou les aspirations perceptibles.
Ceci veut dire que la revendication contemporaine de l’“ autrement ” est double : il s’agit
aujourd’hui d’apprendre autrement que ce qui se faisait dans les années 60, puisque certaines des
données d'alors persistent encore, mais aussi d’apprendre différemment de ce qui a pu s'inventer
entre 70 et 90 (décennies qui ont vu apparaître objectifs et référentiels, par exemple). Ainsi,
aujourd'hui, apprendre vraiment autrement, c'est intégrer Internet, favoriser l'individualisation sous
toutes ses formes, etc. C’est aussi se poser sérieusement la question : “ Peut-on ou non
apprendre la même chose de toutes les manières ? ” D’aucuns pensent que certaines choses ne
peuvent s’apprendre qu’à l’école – et seulement d’une certaine manière à l’école – et,
inversement, que d’autres ne peuvent s’apprendre qu’en dehors de l’école. Ces questions, très
conflictuelles, sont très discutées, y compris depuis un siècle par les mouvements d'éducation
nouvelle.
“ Apprendre autrement ”, ce qui n'est pas nécessairement — faut-il le souligner ? — “ enseigner
autrement ”, implique de prendre un point de vue dominant. Quel sera l'organisateur principal qui
caractérisera l'“ autrement ” ? En effet, vouloir faire quelque chose de différent nécessite de
1. Bloch A., Clouzot O., Apprendre autrement. Clés pour le développement personnel, Les Editions d'organisation, 1981.
. Il s'agissait bien d'une redécouverte : les psychologues, les mouvements pédagogiques et l'Éducation populaire
avaient depuis longtemps ouvert la voie.