Le mystère de l`écriture du disque de Phaistos

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Le mystère de l'écriture du disque de Phaistos
Depuis la découverte du disque de
Phaistos,
plusieurs
dizaines
de
propositions de traduction, des plus
farfelues aux plus documentées, ont été
publiées souvent aux frais de leurs
auteurs. Certains croient savoir que le
disque retranscrit une langue indoeuropéenne proche du louvite (une
langue parlée en Anatolie au deuxième
millénaire avant notre ère), d'autres
qu'il s'agit d'une forme très archaïque
de grec. D'autres encore pensent pour
leur part qu'il s'agit d'une langue
sémitique (comme l'arabe ou l'hébreu)
apparentée à celles jadis parlées en
Phénicie, dont les côtes sont proches de
la Crète.
Parmi toutes les solutions qui ont été
proposées se cache peut-être la juste
interprétation du texte si c'est bien d'un
texte qu'il s'agit. Mais c'est une
succession de seulement 241 signes qui
figure sur les deux faces du disque. On
est très loin de disposer de la "masse
critique" de documents permettant de
valider ou d'infirmer une proposition de
traduction.
E
n 1978, alors que nous fouillions à Nérokourou, à deux pas de la baie de Souda -en
Crète- , un jeune homme passablement excité vint nous trouver. Il avait fait une
retraite spirituelle dans les Montagnes blanches en compagnie des chèvres, des
brebis et de l'édition photographique du disque de Phaistos (...). La vérité n'avait pas
tardé à lui être révélée et, bien entendu, il avait déchiffré le disque (...). C'est le message
de ce dernier qui le plongeait dans un tel abîme d'anxiété : n'y lisait-il pas un
avertissement venu d'En-haut, annonçant l'imminence de la fin du monde ?"
L'anecdote que rapporte l'archéologue et historien Louis Godart dans un de ses ouvrages
(Aux pays des premières écritures, éditions Armand Colin) illustre autant le caractère
singulier du disque de Phaistos que l'intérêt fébrile qu'il suscite depuis sa découverte,
voilà près d'un siècle. L'objet, qui fait aujourd'hui la fierté du musée archéologique
d'Héraklion, dans l'île de Crète, demeure l'une des plus persistantes énigmes de
l'archéologie du monde méditerranéen. Les questions qu'il pose aux épigraphistes, aux
archéologues, mais aussi aux linguistes, n'ont pas d'équivalent dans l'histoire des
écritures.
En juillet 1908, Luigi Pernier, un archéologue italien, exhume ce petit disque d'argile
cuite des ruines du premier palais de Phaistos (Crète), dont la destruction date d'environ
1700 avant l'ère chrétienne. L'objet, qui n'excède pas 17 centimètres de diamètre pour
20millimètres d'épaisseur, attire aussitôt l'attention du chercheur. Sur chacune de ses
faces apparaissent une centaine de signes gravés, disposés en spirale.
Les inscriptions qui y figurent sont inconnues, et plus d'un siècle de fouilles menées en
Crète et dans le monde égéen n'ont pas permis de mettre au jour une pièce équivalente
ou seulement comparable. Une singularité qui fait dire à Françoise Rougemont,
chercheuse (CNRS) à la Maison de l'archéologie et de l'ethnologie et spécialiste de la
protohistoire égéenne, qu'"il reste impossible de prouver de façon absolument certaine
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que les inscriptions du disque de Phaistos sont bien un système d'écriture". Cependant,
ce constat est trop peu enthousiasmant pour faire l'unanimité.
Quarante-six caractères distincts composent les 123 signes de la première face du disque
et les 118 de la seconde. Des signes dont le nombre, la récurrence et l'agencement
laissent penser à la plupart des spécialistes qu'il est "probable qu'il s'agisse d'un texte",
comme le dit Jean-Pierre Olivier, directeur de recherche au Fonds national pour la
recherche scientifique (FNRS), en Belgique. Et si les inscriptions présentes sont bien un
système d'écriture, poursuit Pierre Carlier, professeur à l'université Paris-X et spécialiste
du monde grec, "alors il ne peut s'agir que d'une écriture syllabique". "Quarante-six
signes, c'est trop pour être un alphabet, précise-t-il, et trop peu pour être une écriture
idéographique." Tous les autres systèmes d'écriture exhumés en Crète sont, en partie au
moins, des syllabaires.
Quelle langue est-elle transcrite par cette cabalistique écriture ? Le mystère est total.
Certains pensent à un "vieux substrat européen" une langue qui, tel le basque, n'est pas
apparentée aux idiomes indo-européens. D'autres penchent pour une forme très
archaïque de grec...
L'étude de la technique de réalisation du disque apporte de vraies surprises. Les
inscriptions n'ont en effet pas été gravées ou tracées dans l'argile du disque : la parfaite
netteté des caractères suppose que chaque signe y a été pressé à l'aide d'un poinçon
sans doute métallique. Le disque de Phaistos pourrait donc être le plus ancien texte de
l'histoire à avoir été, en quelque sorte, "imprimé". Même si, tempèrent certains
chercheurs, l'apposition de sceaux attestant la propriété d'un objet ou l'authenticité d'un
document, courante dans l'Antiquité, peut être vue comme une technique comparable.
Autre particularité, autre paradoxe. Car, souligne M. Olivier, "l'auteur du disque n'a
certainement pas confectionné des poinçons en métal pour chaque caractère dans le but
de les utiliser sur un seul document" ! Cette technique d'impression laisse entendre si
c'est bien un texte qui figure sur le disque que son système d'écriture a dû être employé
à une bien plus vaste échelle. Or nulle autre trace de cette écriture n'a été exhumée à ce
jour, ni en Crète ni ailleurs.
C'est sur ce point, celui de l'origine de l'objet, que les divergences de vues sont le plus
marquées. Pour certains, le disque est d'origine minoenne du nom de la civilisation qui
rayonne sur la Crète jusqu'à l'arrivée des Mycéniens, vers 1450 avant J.-C. Pour d'autres,
il faut chercher hors de Crète. "Aucun élément typique de l'iconographie crétoise
n'apparaît sur le disque, comme la double hache ou la tête de taureau que l'on retrouve
dans les autres systèmes d'écriture crétois", indique M. Olivier.
D'autres chercheurs mettent quant à eux en exergue de possibles apparentements entre
certains caractères du disque et des signes retrouvés sur une table à libation ou une
double hache en bronze, datant toutes deux de la période minoenne. Certains
archéologues y voient des relations avec la Phénicie, sur la côte syro-libanaise actuelle,
ou encore la Lycie, en Asie mineure. Mais, prévient un chercheur, les spécialistes peuvent
discuter à l'infini de ces éventuelles ressemblances iconographiques. L'hypothèse d'une
origine anatolienne est toutefois souvent évoquée. La raison en est simple : "L'Asie
mineure est une région qui a encore été relativement peu fouillée", explique M. Olivier. Et
c'est peut-être la Turquie actuelle qui recèle les alter ego du disque de Phaistos.
Quelle que soit son origine, crétoise ou non, les spécialistes s'accordent généralement
pour dire que l'objet revêtait une importance particulière pour son auteur ou son
commanditaire. "L'uniformité de la cuisson montre indéniablement que le disque a été
cuit de façon intentionnelle", souligne M. Olivier. Donc que l'auteur du disque a voulu
rendre pérenne son oeuvre, car la cuisson des tablettes n'était alors pas la coutume. Et,
en Crète, les documents exhumés ont généralement subi la chaleur d'un incendie qui, en
durcissant le matériau, a permis leur conservation au cours des siècles. M. Olivier en tire
la conclusion que le disque n'est sans doute pas un document administratif ou
économique. Mais, ajoute aussitôt le chercheur, "tout ce que l'on peut raconter sur le
disque de Phaistos n'est pas démontrable".
L'histoire du disque de Phaistos a, en somme, tous les traits d'un polar historique des
mieux ficelés. Il y manque encore, toutefois, une chute.
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