AR. Tamines Page 2 sur 3 Bothy G
que les inscriptions du disque de Phaistos sont bien un système d'écriture". Cependant,
ce constat est trop peu enthousiasmant pour faire l'unanimité.
Quarante-six caractères distincts composent les 123 signes de la première face du disque
et les 118 de la seconde. Des signes dont le nombre, la récurrence et l'agencement
laissent penser à la plupart des spécialistes qu'il est "probable qu'il s'agisse d'un texte",
comme le dit Jean-Pierre Olivier, directeur de recherche au Fonds national pour la
recherche scientifique (FNRS), en Belgique. Et si les inscriptions présentes sont bien un
système d'écriture, poursuit Pierre Carlier, professeur à l'université Paris-X et spécialiste
du monde grec, "alors il ne peut s'agir que d'une écriture syllabique". "Quarante-six
signes, c'est trop pour être un alphabet, précise-t-il, et trop peu pour être une écriture
idéographique." Tous les autres systèmes d'écriture exhumés en Crète sont, en partie au
moins, des syllabaires.
Quelle langue est-elle transcrite par cette cabalistique écriture ? Le mystère est total.
Certains pensent à un "vieux substrat européen" une langue qui, tel le basque, n'est pas
apparentée aux idiomes indo-européens. D'autres penchent pour une forme très
archaïque de grec...
L'étude de la technique de réalisation du disque apporte de vraies surprises. Les
inscriptions n'ont en effet pas été gravées ou tracées dans l'argile du disque : la parfaite
netteté des caractères suppose que chaque signe y a été pressé à l'aide d'un poinçon
sans doute métallique. Le disque de Phaistos pourrait donc être le plus ancien texte de
l'histoire à avoir été, en quelque sorte, "imprimé". Même si, tempèrent certains
chercheurs, l'apposition de sceaux attestant la propriété d'un objet ou l'authenticité d'un
document, courante dans l'Antiquité, peut être vue comme une technique comparable.
Autre particularité, autre paradoxe. Car, souligne M. Olivier, "l'auteur du disque n'a
certainement pas confectionné des poinçons en métal pour chaque caractère dans le but
de les utiliser sur un seul document" ! Cette technique d'impression laisse entendre si
c'est bien un texte qui figure sur le disque que son système d'écriture a dû être employé
à une bien plus vaste échelle. Or nulle autre trace de cette écriture n'a été exhumée à ce
jour, ni en Crète ni ailleurs.
C'est sur ce point, celui de l'origine de l'objet, que les divergences de vues sont le plus
marquées. Pour certains, le disque est d'origine minoenne du nom de la civilisation qui
rayonne sur la Crète jusqu'à l'arrivée des Mycéniens, vers 1450 avant J.-C. Pour d'autres,
il faut chercher hors de Crète. "Aucun élément typique de l'iconographie crétoise
n'apparaît sur le disque, comme la double hache ou la tête de taureau que l'on retrouve
dans les autres systèmes d'écriture crétois", indique M. Olivier.
D'autres chercheurs mettent quant à eux en exergue de possibles apparentements entre
certains caractères du disque et des signes retrouvés sur une table à libation ou une
double hache en bronze, datant toutes deux de la période minoenne. Certains
archéologues y voient des relations avec la Phénicie, sur la côte syro-libanaise actuelle,
ou encore la Lycie, en Asie mineure. Mais, prévient un chercheur, les spécialistes peuvent
discuter à l'infini de ces éventuelles ressemblances iconographiques. L'hypothèse d'une
origine anatolienne est toutefois souvent évoquée. La raison en est simple : "L'Asie
mineure est une région qui a encore été relativement peu fouillée", explique M. Olivier. Et
c'est peut-être la Turquie actuelle qui recèle les alter ego du disque de Phaistos.
Quelle que soit son origine, crétoise ou non, les spécialistes s'accordent généralement
pour dire que l'objet revêtait une importance particulière pour son auteur ou son
commanditaire. "L'uniformité de la cuisson montre indéniablement que le disque a été
cuit de façon intentionnelle", souligne M. Olivier. Donc que l'auteur du disque a voulu
rendre pérenne son oeuvre, car la cuisson des tablettes n'était alors pas la coutume. Et,
en Crète, les documents exhumés ont généralement subi la chaleur d'un incendie qui, en
durcissant le matériau, a permis leur conservation au cours des siècles. M. Olivier en tire
la conclusion que le disque n'est sans doute pas un document administratif ou
économique. Mais, ajoute aussitôt le chercheur, "tout ce que l'on peut raconter sur le
disque de Phaistos n'est pas démontrable".
L'histoire du disque de Phaistos a, en somme, tous les traits d'un polar historique des
mieux ficelés. Il y manque encore, toutefois, une chute.