en bande dessinée, l’histoire de la visite de la reine de Saba à Salomon. On l’enseigne
dans les écoles de monastère et par le truchement des fresques des innombrables
églises. L’actuelle république, plus prudente, a amputé 1000 ans de son histoire
préférant se référer au royaume d’Aksum dont l’existence historique est indéniable. Qui
visite l’Éthiopie rencontrera immanquablement Salomon et la reine de Saba !
Un mythe fondateur tardif
6Paradoxalement, les rédactions du mythe fondateur salomonien datent des XIII-
XIVe siècles, soit plus de dix siècles après l’émergence du royaume d’Aksum (Ier siècle av.
J.-C.), considéré comme le premier État éthiopien. Au IVe siècle en même temps qu’en
Arménie, le roi Ézana se convertit au christianisme comme le rapportent les historiens
antiques et en témoignent les monnaies aksumites. L’Ancien et le Nouveau Testaments
furent traduits en guèze, la langue du royaume qui est demeurée la langue de l’Église
éthiopienne. Sous l’influence de l’Église copte et des Églises syriaques, elle adopta le
monophysisme, se coupant ainsi des Églises grecque et romaine. Après la disparition
d’Aksum (IXe siècle ?), le foyer chrétien migra plus au sud, dans le royaume des Zagwé
(XIe siècle). Les manuscrits du Kebrä Nägäst [Gloire des rois] assurant que seuls étaient
légitimes les souverains de descendance « salomonienne », ils sanctionnèrent, avec la
bénédiction de l’Église, la substitution en 1270 d’une nouvelle dynastie
« salomonienne » aux Zagwé. Selon ces manuscrits, compilation de textes arabes, coptes,
syriaques… s’appuyant sur le Livre des Rois et les Chroniques, Menilek Ier, élevé par son
père, Salomon, revint en Éthiopie à la mort de sa mère, la reine de Saba, avec les Tables
de la Loi et accompagné des Grands d’Israël (Beylot, 2008). En conséquence, les
Éthiopiens sont des Israélites qui habitent l’Éthiopie, une Terre sainte. Mais ces
Israélites ont accueilli l’Évangile : les Actes des Apôtres relatent le baptême, par Philippe,
du serviteur de la reine d’Éthiopie sur la route de Gaza à Jérusalem. Mentionnée dans la
Bible, l’Éthiopie l’est également dans le Coran : des compagnons du Prophète s’y
abritèrent. Le premier muezzin, Bilal, était un esclave éthiopien.
6 . Élikia M’Bokolo, « Le panafricanisme au XXIe siècle », Iére Conférence des
intellectuels d’Afriqu(...)
7 . Les linguistes ont abandonné ces classifications bibliques et pour « afro-
asiatique » plus neutre(...)
8 . Les chauffeurs ont peur de s’arrêter dans les basses terres, même en plein
jour, sur un axe pourt(...)
7La mythe fondateur salomonien n’a-t-il pas produit une idéologie « nationale » : c’est-à-
dire « un système d’idées, de représentations, de conceptions sociales, qui exprime des
intérêts de catégories et de groupes sociaux, fournit une interprétation globale du
monde tel qu’il est organisé et implique des points de vue, des normes de conduites et
des directives d’action » (M’Bokolo6 dans Bonacci, 2008, p. 51) ? Il fournit une grille
d’interprétation de l’histoire de l’Éthiopie à laquelle il donne un sens et une signification.
Ses bruits et ses fureurs (guerres, famines, invasions, épidémies) sont autant d’épreuves
envoyées par Dieu à son peuple infidèle, mais qu’il sauvera, fidèle à sa promesse, à la fin
des temps. Le récit rend également compte des grands traits des traditions culturelles
éthiopiennes tels qu’on les observe aujourd’hui. Les historiens et les linguistes
confirment qu’il y eut des courants de migration des populations d’Arabie vers la Corne
de l’Afrique où elles apportèrent l’araire, leur architecture, leurs langues et leur
syllabaire (fig. 3). Des locuteurs des langues sémitiques s’y surimposèrent à un substrat
couchitique7 et introduisirent précocement le judaïsme, le christianisme et l’islam
(fig 4). Ces populations, arrivées successivement en Éthiopie et en Érythrée avec leurs
langues et leurs religions, après s’être affrontées, se sont mariées et mêlées. En
conséquence, les Éthiopiens chrétiens observent toujours les prescriptions de la loi de
Moïse : prohibition du porc, circoncision et sanctuaires au plan concentrique conforme