TD6 L`Éthiopie tendra les mains vers Dieu »

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« L’Éthiopie tendra les mains vers Dieu » : 2000 ans d’État éthiopien
« Ethiopia shall soon stretch out her hands unto God » : 2000 Years of Ethiopian State
Alain Gascon
Résumé
Depuis « 2000 ans », l’Éthiopie est demeurée, seule en Afrique, un État indépendant. Ni
la colonisation européenne ni la chute de la monarchie de droit divin ni l’effondrement
de la dictature marxiste n’a entraîné l’éclatement de l’Éthiopie. L’article examinera la
part prise par le mythe national salomonien dans la survie de l’unité de l’État éthiopien.
Plan
Les enfants de Salomon et de la reine de Saba
Un mythe fondateur tardif
Menilek II, le mythe et la Grande Éthiopie
De l’État messianique à la nation de nations
Le fédéralisme : oublier Salomon
Le messianisme toujours utile
Conclusion : débats au sujet de l’État national éthiopien
Texte intégral
 1 . Selon son propre calendrier, « en retard » de 7 à 8 ans par rapport au
calendrier grégorien.(...)
 2 . Avant 1970, le Liberia était une quasi-colonie dominée par les descendants des
Afro-Américains.(...)
1En 2007-20081, l’Éthiopie a célébré le bimillénaire de son indépendance et les
sacrifices des Éthiopiens qui, au cours des siècles, l’ont sauvegardée. Encore en 1991,
elle a survécu à la défaite que les séparatistes érythréens et les autonomistes tegréens
coalisés ont infligé aux armées de Mängestu Haylä Maryam. Alors que la sécession de
l’Érythrée semblait annoncer la fragmentation inévitable et prochaine du vieil empire
multinational, c’est la Somalie, au peuplement pourtant homogène, que se disputent les
seigneurs de la guerre. En 1941 50 ans plus tôt, Haylä Sellasé, abandonné en 1936 par la
SDN face à Mussolini, avait retrouvé son trône à l’aide des Britanniques et s’était
débarrassé, dès 1944, de leur tutelle. Recouvrant leur indépendance, les Éthiopiens
renouaient ainsi avec leur réputation de patriotes irréductibles qui remonte à la victoire
de Menilek II (1889-1913) sur les Italiens à Adwa en 1896. Ce souverain, en même temps
qu’il repoussait les colonisateurs, réussit à construire la Grande Éthiopie, l’Éthiopie
moderne (Levine, 2000). Il doubla la taille de ses possessions, édifia une nouvelle
capitale, Addis Abäba, et la relia par chemin de fer à Djibouti. Yohannes IV (1872-1889),
prédécesseur de Menilek, avait résisté aux Italiens, aux Égyptiens et aux Mahdistes. Si
l’Éthiopie, contrairement aux autres États africains2, n’a pas subi de « coupure
coloniale », elle le doit à l’engagement des Éthiopiens qui n’en sont pas peu fiers.
 3 . Bismarck : Durch Blut und Eisen.
2Au cours de 2000 ans d’histoire, l’Éthiopie a connu une succession de périodes
d’expansion brisée par des invasions et des divisions qui faillirent l’emporter : mais, à
chaque fois après l’épreuve, elle est réapparue (fig. 1). Ainsi, après la disparition, aux
VIIIe-IXe siècles, du royaume d’Aksum, le royaume des Zagwé prit sa succession deux
siècles plus tard pour être remplacé au XIIIe siècle par la dynastie salomonienne qui
poursuivit l’agrandissement du royaume chrétien vers le sud. Au XVIe siècle, le jihad de
l’imam Graññ [le Gaucher] faillit emporter l’Éthiopie, sauvée in extremis par les
Portugais. Rétablie à Gondär, la royauté, après s’être consolidée, déclina entre 1770 et
1
1850. Un aventurier, couronné Téwodros II (1855-1868), s’en empara et « par le sang et
par le fer3 » entreprit de restaurer l’unité et la grandeur de l’Éthiopie. Il se suicida plutôt
que de tomber aux mains de l’expédition de sir Robert Napier venue délivrer les otages
européens détenus par le roi des rois. Par la suite, Yohannes puis Menilek reprirent le
flambeau de l’indépendance et de la grandeur de l’Éthiopie. Ce bimillénaire célèbre la
profondeur de l’histoire de l’Éthiopie même si la chute de Haylä Sellasé lui a fait perdre
1000 ans. En effet en 1974, avant la déposition du negus — 225e descendant en droite
ligne de Salomon selon la constitution de 1955 — une publicité d’Ethiopian Airlines
proclamait : « Éthiopie, 3000 ans d’indépendance. »
Fig. 1 : L’Éthiopie depuis 2000 ans
2
4 . Psaume 68, 32 : Bible de Jérusalem et Bible en amharique. La Nouvelle
Traduction préfère : « Kous(...)
 5 . En amharique, langue officielle de l’État éthiopien depuis le XIXe siècle.
Auparavant, c’était le(...)
3Histoire unique, destin unique d’un État mentionné et dans la Bible et le Coran : tel est
le sentiment des Éthiopiens pour qui l’extraordinaire survie de l’Éthiopie tient à ce
qu’elle « tend les mains vers Dieu »4. Nous sommes au-delà de la conception
providentielle de l’histoire exposée par Bossuet : l’histoire de l’Éthiopie est une histoire
sainte, celle du Peuple élu, Verus Israel, sur une Terre sainte. Sans nul doute, cette
dimension messianique a, jusqu’à présent, soutenu la cohésion et l’espérance des
Éthiopiens. Toutefois, le mythe fondateur salomonien n’est-il pas tombé en désuétude
avec la fin de la monarchie de droit divin, l’avènement puis la chute du socialisme athée,
l’instauration de la démocratie pluraliste et les progrès de l’éducation calquée sur le
modèle européen ? En effet, le dessein de Dieu passe par la brutalité peu évangélique
des actions humaines : la Grande Éthiopie est le fruit d’une conquête militaire des
régions du Sud au profit des vieilles provinces chrétiennes et sémitiques du Nord (fig. 2).
Il a fallu attendre la réforme agraire de 1975 pour que cessât près d’un siècle de
précarité de la tenure des paysans vaincus par Menilek. Pendant l’occupation, les
Italiens ont instrumentalisé, parfois avec succès, les souvenirs amers de cette conquête
et les rancœurs des dynasties régionales écartées du pouvoir. Il semble que l’unité de
l’Éthiopie n’était pas complètement achevée quand éclata la révolution qui prit d’ailleurs
comme devise : Ityopya täqdem [Éthiopie d’abord]5. Après la fuite piteuse de Mängestu
en 1991, l’éclatement de la Grande Éthiopie n’aurait surpris personne. La recomposition
ethnofédérale de l’État, entamée par la suite, est considérée par ses opposants soit
comme le prélude à son éclatement, soit comme la sujétion continuée par d’autres
moyens. Et, tout autour de l’Éthiopie dans la Corne de l’Afrique, les fracas d’une actualité
conflictuelle troublent les harmonies du temps long, celui du mythe fondateur enraciné
dans la Bible.
Fig. 2 : La Reconquista de la Grande Éthiopie (et l’Érythrée) pendant le règne de
Menilek II

3
4Dans un premier temps, on étudiera comment le mythe fondateur salomonien a
contribué à la formation de la Grande Éthiopie et comment il s’est reformulé depuis la
chute de la monarchie. Ensuite, on observera comment l’État constitué sous le règne de
Menilek a donné naissance au sentiment national et à la nation. Nation dont certains
doutent qu’elle existe.
Les enfants de Salomon et de la reine de Saba
5Sous Haylä Sellasé, de la constitution à Ethiopian Airlines, tout accréditait que l’histoire
de l’Éthiopie avait commencé avec le règne de Salomon (1000 av. J.-C. ?). Sur l’épaule des
vestes d’uniforme de la Garde impériale, la croix s’affichait au centre de l’étoile de David.
La chute de la monarchie, toutefois, n’empêche pas qu’on vende toujours aux Éthiopiens
et aux touristes des milliers de billets d’avion et de rouleaux de toile où est reproduite
4
en bande dessinée, l’histoire de la visite de la reine de Saba à Salomon. On l’enseigne
dans les écoles de monastère et par le truchement des fresques des innombrables
églises. L’actuelle république, plus prudente, a amputé 1000 ans de son histoire
préférant se référer au royaume d’Aksum dont l’existence historique est indéniable. Qui
visite l’Éthiopie rencontrera immanquablement Salomon et la reine de Saba !
Un mythe fondateur tardif
6Paradoxalement, les rédactions du mythe fondateur salomonien datent des XIIIXIVe siècles, soit plus de dix siècles après l’émergence du royaume d’Aksum ( Ier siècle av.
J.-C.), considéré comme le premier État éthiopien. Au IVe siècle en même temps qu’en
Arménie, le roi Ézana se convertit au christianisme comme le rapportent les historiens
antiques et en témoignent les monnaies aksumites. L’Ancien et le Nouveau Testaments
furent traduits en guèze, la langue du royaume qui est demeurée la langue de l’Église
éthiopienne. Sous l’influence de l’Église copte et des Églises syriaques, elle adopta le
monophysisme, se coupant ainsi des Églises grecque et romaine. Après la disparition
d’Aksum (IXe siècle ?), le foyer chrétien migra plus au sud, dans le royaume des Zagwé
(XIe siècle). Les manuscrits du Kebrä Nägäst [Gloire des rois] assurant que seuls étaient
légitimes les souverains de descendance « salomonienne », ils sanctionnèrent, avec la
bénédiction de l’Église, la substitution en 1270 d’une nouvelle dynastie
« salomonienne » aux Zagwé. Selon ces manuscrits, compilation de textes arabes, coptes,
syriaques… s’appuyant sur le Livre des Rois et les Chroniques, Menilek Ier, élevé par son
père, Salomon, revint en Éthiopie à la mort de sa mère, la reine de Saba, avec les Tables
de la Loi et accompagné des Grands d’Israël (Beylot, 2008). En conséquence, les
Éthiopiens sont des Israélites qui habitent l’Éthiopie, une Terre sainte. Mais ces
Israélites ont accueilli l’Évangile : les Actes des Apôtres relatent le baptême, par Philippe,
du serviteur de la reine d’Éthiopie sur la route de Gaza à Jérusalem. Mentionnée dans la
Bible, l’Éthiopie l’est également dans le Coran : des compagnons du Prophète s’y
abritèrent. Le premier muezzin, Bilal, était un esclave éthiopien.
 6 . Élikia M’Bokolo, « Le panafricanisme au XXIe siècle », Iére Conférence des
intellectuels d’Afriqu(...)
 7 . Les linguistes ont abandonné ces classifications bibliques et pour « afroasiatique » plus neutre(...)
 8 . Les chauffeurs ont peur de s’arrêter dans les basses terres, même en plein
jour, sur un axe pourt(...)
7La mythe fondateur salomonien n’a-t-il pas produit une idéologie « nationale » : c’est-àdire « un système d’idées, de représentations, de conceptions sociales, qui exprime des
intérêts de catégories et de groupes sociaux, fournit une interprétation globale du
monde tel qu’il est organisé et implique des points de vue, des normes de conduites et
des directives d’action » (M’Bokolo6 dans Bonacci, 2008, p. 51) ? Il fournit une grille
d’interprétation de l’histoire de l’Éthiopie à laquelle il donne un sens et une signification.
Ses bruits et ses fureurs (guerres, famines, invasions, épidémies) sont autant d’épreuves
envoyées par Dieu à son peuple infidèle, mais qu’il sauvera, fidèle à sa promesse, à la fin
des temps. Le récit rend également compte des grands traits des traditions culturelles
éthiopiennes tels qu’on les observe aujourd’hui. Les historiens et les linguistes
confirment qu’il y eut des courants de migration des populations d’Arabie vers la Corne
de l’Afrique où elles apportèrent l’araire, leur architecture, leurs langues et leur
syllabaire (fig. 3). Des locuteurs des langues sémitiques s’y surimposèrent à un substrat
couchitique7 et introduisirent précocement le judaïsme, le christianisme et l’islam
(fig 4). Ces populations, arrivées successivement en Éthiopie et en Érythrée avec leurs
langues et leurs religions, après s’être affrontées, se sont mariées et mêlées. En
conséquence, les Éthiopiens chrétiens observent toujours les prescriptions de la loi de
Moïse : prohibition du porc, circoncision et sanctuaires au plan concentrique conforme
5
au Temple de Jérusalem. En fait, ce transfert de la Terre sainte vers les hautes terres
éthiopiennes a commencé bien avant la restauration salomonienne. Le roi zagwé
Lalibäla, canonisé par l’Église éthiopienne, fit excaver dans sa capitale Roha, qui porte
désormais son nom, une nouvelle Jérusalem. Encore maintenant, le pèlerinage aux
églises hypogées de Lalibäla équivaut à un pèlerinage à Jérusalem. Jusqu’à la déposition
de Haylä Sellasé, les autorités firent largement appel à l’Ancien et au Nouveau
Testament dans la toponymie : de nos jours, on trouve, entre autres, Bethléem, Däbrä
Sina [Mt. Sinaï], Nazrét, Däbrä Zäyt [Mt. des Oliviers]. Hors des plateaux salubres et frais,
les Éthiopiens des hautes terres ne se sentent pas en sécurité craignant les miasmes et
les éleveurs musulmans toujours suspectés de préparer un jihad8. Les proverbes
assimilent les hauteurs au Paradis et les basses terres torrides, sèches et impaludées, à
l’Enfer où vivent des infidèles.
Fig. 3 : Les langues en Érythrée et en Éthiopie (frontières administratives d’avant 1987)
6
Menilek II, le mythe et la Grande Éthiopie
8Cette Histoire Sainte consignée sur les manuscrits et les peintures et prêchée et
enseignée par les clercs a entretenu la flamme du messianisme éthiopien. Les rois
restaurateurs du XIXe siècle n’eurent qu’à souffler sur ces braises pour lancer, à l’instar
des rois espagnols, la Reconquista des hautes terres (fig. 2). Le nom de règne, Menilek II,
est en lui-même un programme : il succède à Menilek Ier, le fils de Salomon et de la reine
de Saba. Comme il l’exprima dans la lettre circulaire envoyée aux Puissances
européennes en 1891, il avait l’intention de rétablir l’antique grandeur de l’Éthiopie. En
moins de trente ans, imposant à son peuple un intense effort de guerre, il doubla
l’étendue de son territoire et battit les Italiens à Adwa. « Les mots essentiels sont écrits :
7
État-pauvreté-culture. Et nulle part au monde, les relations entre ces trois termes ne
sont, à l’époque contemporaine, soumis à une tension aussi sensible » (Gallais, 1989,
p. v). Afin de les tenir à distance, il chercha à combler son retard technique par rapport à
ses adversaires européens. En échange du butin raflé dans les territoires soumis, il
acquit l’armement et s’offrit les services de « spécialistes » dont le plus connu fut
l’ingénieur suisse Alfred Ilg. Ce dernier construisit des ponts, obtint la première
concession du chemin de fer et installa l’électricité et l’eau courante au palais et le
téléphone. Il exerça aussi les fonctions de ministre des Affaires étrangères d’Éthiopie
jusqu’à l’institution, en 1906, du premier gouvernement éthiopien. L’étroit cercle des
intellectuels éthiopiens éduqués à l’occidentale qui entourait ras Täfäri, couronné Haylä
Sellasé en 1930, les « japonisants », prenait pour modèle l’empereur Meiji. Comme au
Japon, ce fut le souverain qui brisa l’opposition intérieure (les dynasties locales et
l’Église) et prit la tête de l’innovation et du changement en employant des conseillers
étrangers en dépit de l’opposition des cercles conservateurs (Bahru, 2002).
Fig 4 : Religions en Éthiopie et en Érythrée (frontières administratives d’avant 1987)
8
9 . Dans le droit éthiopien, Fetha Nägäst [la justice des Rois], le vaincu perd ipso
facto son droit(...)
 10 . Racine verbale wärräsä : hériter (Dictionnaire Baeteman : col. 750).
9Haylä Sellasé, pourtant souverain de droit divin selon la constitution de 1931, dirigeait
un empire hétéroclite aidé d’une poignée de conseillers et de diplomates sans disposer
d’une administration, d’une police d’une armée « à lui », hormis la Garde impériale. Il
avait hérité du « système Menilek » fondé sur l’alliance entre les dynasties
traditionnelles des vielles provinces du nord (Tegray, Gojjam, Wällo) et ses lieutenants
conquérants des nouveaux territoires au sud. La distribution de concessions dans les
terres confisquées aux peuples vaincus9 apaisa les rancœurs des chefs traditionnels
évincés du pouvoir, lui concilia l’Église et récompensa l’ambition des plus fidèles
généraux issus du rang. Habilement, Menilek avait distingué parmi les cadres indigènes,
des balabbat [celui qui a un père] qu’il avait intégrés dans son administration et dans sa

9
cour. Dans la Grande Éthiopie, une fracture séparait radicalement les cultivateurs du
Nord qui bénéficiaient, dans leur lignage et sans que les rois interviennent, de la sécurité
de tenures rest10 et payaient un tribut annuel fixe. Au contraire, les paysans du Sud
avaient, depuis leur défaite, perdu leurs droits ancestraux sur leur terre au profit du roi
des rois qui en fit les tenanciers précaires qui versaient entre la moitié et 75 % du fruit
de la récolte aux concessionnaires. Ils reçurent la terre et les paysans pour la cultiver et
le droit de percevoir le tribut tout en conservant une partie comme rétribution. En 1935,
l’Éthiopie restait un « agrégat de peuples désunis », à l’instar de la France de 1789 selon
Mirabeau, enchâssés dans une mosaïque de circonscriptions ayant chacune un statut
particulier.
 11 . Roosevelt, qui avait rencontré Haylä Sellasé à Suez, l’aida à s’affranchir de la
tutelle exercée(...)
10Convoqués en cas de conflit par les tambours royaux, les ras provinciaux et leur
armée devaient se mettre aux ordres du negus. Au cours de l’histoire, nombre de chefs
locaux firent défection par hostilité envers le souverain ou parce qu’ils n’avaient pas
reçu les prébendes promises. Ce fut le cas en 1936 face à l’agression italienne où Haylä
Sellasé perdit le soutien de ras importants sans recevoir aucun secours de la SDN dont
l’Éthiopie était pourtant membre depuis 1923. Le choc de la défaite et la construction
d’un réseau routier centralisé par l’occupant donnèrent l’occasion au souverain,
réinstallé sur son trône en 1941 par les Britanniques de faire « du passé table rase »,
mais pas au point de supprimer le régime foncier et fiscal au sud. Dès 1942, il nomma
une administration, une police et une armée salariées et territorialisées à l’intérieur de
12 (puis 14 avec l’Érythrée) nouveaux gouvernements généraux. Membre fondateur de
l’ONU et dans le camp des vainqueurs de l’Axe, l’Éthiopie recouvra sa pleine
indépendance11. Elle obtint, avec la fédération (1952) et l’annexion (1962) de
l’Érythrée, une fenêtre sur la mer parachevant ainsi le programme exposé dans la lettre
circulaire de Menilek II (fig. 5). En 1952 à l’issue de longues négociations, Haylä Sellasé
obtint du patriarcat copte d’Alexandrie l’autocéphalie de l’Église éthiopienne. En 1972,
son patriarche la dota d’une administration hiérarchisée et territorialisée qui assura sa
survie pendant la Révolution où elle perdit ses revenus fonciers et subit la persécution
(Ancel, 2009). En 1963 à Addis Abäba, le « père » de l’Afrique avait pensé couronner son
œuvre avec l’ouverture de la session inaugurale de l’OUA, mais cette assemblée, à son
grand dépit, servit de tribune aux séparatistes érythréens et aux irrédentistes somaliens.
Commencé en 1941, le deuxième règne de Haylä Sellasé a peu à peu décliné à mesure
qu’avançait l’âge du souverain. En 1974 en 9 mois, d’obscurs officiers déposaient, dans
l’indifférence générale, le 225e descendant de Salomon, le héros international célébré
par tant de dithyrambes. Le mythe n’avait été d’aucun secours face au scandale de la
famine « occultée » de 1973-74, face à l’insécurité de la tenure et face au réveil des
identités régionales. La Grande Éthiopie, symbole de l’Afrique irréductible, était
désormais considérée comme une « prison des peuples » et le vieil empire comme un
anachronisme « féodal » promis à l’éclatement.
Fig. 5 : L’Éthiopie et l’Érythrée (frontières administratives d’avant 1987)
10
De l’État messianique à la nation de nations
11Les constitutions éthiopiennes de 1987 et de 1995 ne mentionnent plus la
descendance salomonienne. La célébration du bimillénaire insiste avant tout sur la
longue indépendance sans égale en Afrique (hormis l’Égypte) et dans le monde (hormis
la Chine). Le mythe fondateur messianique est-il tombé en désuétude depuis la
sénescence et la déposition du dernier negus ? Est-il ravalé à un accessoire folklorique
ou a-t-il contribué à la pérennité de l’État éthiopien ? La république fédérale d’Éthiopie
n’est-elle qu’un avatar de l’Éthiopie « éternelle » mal dissimulée sous les oripeaux
fédéraux ou, au contraire, une survivance dont la sécession érythréenne annonce la
prochaine disparition ? Les Éthiopiens sont-ils toujours orphelins comme l’avancent ces
deux auteurs reflétant une opinion commune : « La structure fédérale n’a toujours pas
réussi à produire un imaginaire national viable pour les populations éthiopiennes »
(Barnes & Osmond, 2005, p. 17).
Le fédéralisme : oublier Salomon
11
12Les promoteurs du fédéralisme affirment pourtant la rupture totale d’avec la
centralisation instaurée par Menilek et Haylä Sellasé et exacerbée par les militaires. La
constitution reconnaît le droit à la sécession des peuples [hezb], nations [bahér] et
nationalités [bahéräsab] d’Éthiopie dont la liste officielle fut établie à partir des travaux
de l’Institut des nationalités fondé par Mängestu. Les critères choisis s’inspiraient du
rapport sur les nationalités commandé à Staline par Lénine, basé sur les langues et
traduit en amharique. Cependant, la terminologie est empruntée à des racines et des
constructions sémitiques qui excluent toute référence explicite à une dimension
ethnique ou religieuse. De très larges compétences sont dévolues à seulement 8 régionsÉtats [kellel] et 3 villes fédérales à partir de 75 nationalités reconnues. Des peuples,
nations et nationalités sont donc regroupés, notamment dans le kellel Sud.
Locuteurs des langues administratives et officielles par kellel (fig. 6)
13Le critère de la langue a présidé au découpage de plus de la moitié des
circonscriptions : 6 des régions-États (avec la capitale) affichent une homogénéité
certaine. Dans les 5 autres, aucune langue ne domine et la solution, sauf à Harär, est le
recours à l’amharique, la langue nationale de Yohannes IV à 1991. En 1975, la Révolution
avait reconnu l’égalité et la pluralité des cultures et encouragé leur écriture pourvu que
ce fût avec le syllabaire guèze. Au grand scandale de l’Église et des Amhara (et sans
doute des Tegréens), les Afar, les Somali et les Oromo écrivent leurs langues, jusque là
non-écrites, avec l’alphabet latin. On y voit un encouragement aux tendances
séparatistes en Oromiyaa quand le recensement de 1994 y révéla le succès du
protestantisme et du pentecôtisme (Gascon, 2005). Les statistiques linguistiques
montrent que le kellel Amhara ne regroupe que 25 % de la population, mais si on y
ajoute les habitants du Sud, d’Addis Abäba et des petites régions, les locuteurs de
l’amharique dépassent les 50 % en Éthiopie. L’ex-langue nationale, la seule qui ait des
locuteurs réguliers hors de son kellel, progresse avec l’urbanisation. En dehors de
l’Amhara, à la demande des parents, des écoles créent des classes d’amharique en ville
afin d’ouvrir le marché de l’emploi aux élèves. Le séparatisme est un épouvantail :
jusqu’à présent, aucune des 75 nationalités n’a fait jouer son droit à la sécession. Des
négociations, des troubles et des consultations ont entraîné de nombreuses variations
des limites illustrant les difficultés à découper un territoire selon des isoglosses. La
continuité entre les deux régimes républicains et la monarchie est d’ailleurs dénoncée
par une partie de l’opinion.
Fig. 6 : Les régions-États (kellel) de la République fédérale et démocratique d’Éthiopie
(après 1991) NB : Oromiyaa=Oromia=Oromie
12
12 . Moa Anbäsa : « lion conquérant », début de la titulature officielle, en guèze, du
roi des rois.(...)
14Comme le montre avec éclat la célébration du bimilléraire, le régime actuel, surtout
depuis le conflit avec l’Érythrée, revendique l’héritage de toute l’Éthiopie : « C’est bien
une guérilla de culture marxiste qui, après avoir redécouvert les comportements
politiques de ses anciens rois des rois, s’est fixé le devoir de mener l’Éthiopie sur la voie
du libéralisme, de la modernité et, peut-être, de la démocratie » (Fontrier, 1999, p. 220).
Il a autorisé la célébration des obsèques religieuses, quasi-officielles, de Haylä Sellasé en
présence du son petit-fils, exilé aux États-Unis, le prince héritier Zärä Yaeqob. Partout,
les portraits du dernier negus réapparaissent et un parti politique, minoritaire, regroupe
les monarchistes12. Contrairement à Mängestu, le Premier ministre, Mälläs Zénawi, a
compris qu’il fallait se référer à la tradition pour lancer l’innovation. Le fédéralisme est
d’autant plus accepté qu’il rétablit des corps intermédiaires qui, comme par le passé,
font écran entre le pouvoir central et les simples Éthiopiens. En revanche, le colonelprésident, comme Mussolini, les a écrasés, laminés.
15La puissance explicative du mythe fondateur demeure intacte : il donne un éclairage,
toujours actuel, sur la répartition des peuples et des cultures et des religions et la
formation des identités dans la Corne de l’Afrique. Il fournit toujours une grille de
lecture et d’interprétation de l’histoire de l’Éthiopie, de l’Érythrée et même du monde.
Aux yeux des Éthiopiens, la faillite du Panzersozialismus de Mängestu (1977-1991)
démontre l’impuissance d’un régime athée qui persécuta les populations accablées par
les famines et les guerres civiles en quête d’un espoir, d’une explication et de principes
d’action face aux catastrophes. Le mythe salomonien, ancré dans la Bible (et le Coran), a,
à son actif, 2000 ou 3000 ans de survie à travers l’histoire. Il apporte, par sa simplicité,
sa force, son ancienneté et sa dimension identitaire, plus qu’un « supplément d’âme » : il
donne un sens à la vie de la nation, des peuples, des groupes et des individus.
Le messianisme toujours utile

13
16Depuis plus d’un siècle, les dirigeants ont réussi à soulever les Éthiopiens en
brandissant la même menace : les envahisseurs s’en prendront à leur terre, à leur
territoire et à leur foi. Menilek en 1895, rallia l’ensemble des ras et remporta la bataille
d’Adwa (1896). Avec les mêmes arguments en 1935, Haylä Sellasé suscita une levée en
masse contre l’Italie sans, toutefois, empêcher le ralliement à l’occupant de chefs
provinciaux, chrétiens comme musulmans. Au Sud dans un premier temps, les Italiens
gagnèrent la sympathie des peuples, privés de leurs droits sur la terre depuis la
conquête de Menilek, en suspendant le paiement du tribut. Mais la persécution de
l’Église, le soutien à l’islam, les confiscations foncières et la ségrégation raciale
dressèrent les Éthiopiens contre l’occupant. En 1977-78 débordé par les Somaliens qui
avaient coupé le chemin de fer et atteint Harär et Dirré Dawa, Mängestu mobilisa les
milices paysannes annonçant le retour des lointains héritiers de l’émir Graññ. Le
souvenir du jihad toucha bien plus les Éthiopiens que la rhétorique de la lutte des
classes. En 1991, ils abandonnèrent le camarade-président dont la défaite ne menaçait
ni leur terre ni leur foi. En 1998, Mälläs, brandissant la menace qui pesait sur l’intégrité
du territoire national, suscita un élan national face aux attaques de l’Érythrée, son
ancienne alliée. Les régimes menacés, en Éthiopie comme ailleurs, ont recours à
l’histoire afin de rassembler leur peuple autour d’eux. En 1987, Mängestu, président de
la nouvelle république populaire, alarmé par la montée des fronts séparatistes, avait
invité les chefs religieux à siéger au Parlement et échangé les armoiries de l’État, une
hideuse copie de celles de la RDA, contre les obélisques d’Aksum. En 2005 à la veille des
élections législatives, Mälläs obtint le retour à Aksum de l’obélisque transporté à Rome
sur ordre de Mussolini. Néanmoins, ce procédé n’est pas infaillible : Mängestu a dû fuir
en 1991 et Mälläs a difficilement remporté le scrutin.
 13 . Elle protestait contre l’abolition sacrilège de l’ordre voulu par Dieu et contre
la saisie de ses(...)
17Le statut de la terre fut au cœur de la Révolution : dans la capitale, les manifestants
défilaient en criant : märét lä arrashu ! [la terre à celui qui la cultive]. À la suite de la
Réforme agraire de mars 1975, l’État devint propriétaire des terres, abolit toutes les
formes de tenure, garantit à tout Éthiopien une tenure de 10 ha (maximum) et lui
enjoignit d’adhérer à une association paysanne. Au Sud, les paysans acclamèrent le Därg
[la junte militaire] qui, croyaient-ils, leur accordait l’équivalent d’un rest, tandis qu’au
Nord, à l’appel de l’Église13 et des chefs locaux, ils se soulevèrent, à la surprise des
militaires, pour protéger leurs rest de l’intrusion de l’État. Ce refus, brisé par l’armée,
réveilla le particularisme des Tegréens qui rejoignirent le Front populaire de libération
du Tegray (FPLT) dont le leader, Mälläs Zénawi, prit le pouvoir en 1991. Toutefois, la
garantie de la sécurité de la tenure sur l’ensemble du territoire éthiopien supprima le
fossé qui séparait, depuis Menilek, le Nord du Sud et les vainqueurs des vaincus. Entre
1979 et 1986, la collectivisation, la villagisation puis les déplacements autoritaires
recréèrent l’unité des paysans éthiopiens contre Mängestu si bien qu’en 1991, ses appels
à sauver la Révolution ne mobilisèrent pas les milices rurales contre les maquisards du
FPLT. La Réforme agraire a accompli le mot d’ordre de la Révolution : Ityopiya Täqdem.
Dans une Éthiopie unie, chaque Éthiopien a les mêmes droits sur la terre.
18Tard venus à l’administration et au monopole de la violence légitime aux mains de
l’État, les Éthiopiens se sont précipités vers les emplois de fonctionnaires, soldats et
policiers. En outre sous l’Ancien Régime, ces fonctions étaient la voie royale pour
acquérir, auprès du negus, une concession foncière qui compensait la modestie des
traitements. Après la Réforme agraire, les concessionnaires qui n’abandonnèrent pas
leur terre subirent la colère des paysans. La Révolution transféra alors les services
administratifs de base aux qäbälé [comité de quartiers, de secteurs] élus et tenta de
former de nouveaux cadres en s’appuyant sur le parti unique, le Parti des travailleurs
14
éthiopiens (hors de loi depuis 1991). Le recrutement sur concours pour le service de
l’État, à la sortie de l’enseignement secondaire et de l’Université, s’est poursuivi jusqu’à
présent, mais les qäbälé ont survécu à la chute de Mängestu. Même pendant les troubles,
les fonctionnaires reçurent leur traitement, parfois amputé de collectes « volontaires ».
Plus que jamais, la fonction publique demeure une occupation attractive et honorable ;
en effet, si la corruption existe, elle n’entrave généralement pas sa mission. Hiérarchisée,
lourde et bureaucratique, elle fait appliquer avec constance les règlements et les lois. Les
changements brutaux de régime ont entraîné des licenciements et des départs en exil
auxquels ont succédé des réintégrations, au nom de la compétence. On assiste, depuis
quelque temps, à une migration du service public vers le monde des affaires en Éthiopie
et à l’étranger. Toutefois, le fédéralisme offre de nouveaux emplois dans la fonction
publique régionale naissante.
19Les Éthiopiens, comme les éthiopisants, se divisent à propos de la continuité entre
l’Éthiopie fédérale née en 1991 et la Grande Éthiopie de Menilek. Tant dans l’opposition
que proches du pouvoir, les leaders politiques, relayés par les intellectuels, recherchent
dans les travaux académiques des arguments pour étayer leurs positions.
Conclusion : débats au sujet de l’État national éthiopien
20« Force est de constater que l’EPRDF14 s’est bien révélé le parti de l’unité éthiopienne
et non le liquidateur de l’Empire » écrit Marc Fontrier (1999, p. 220). Afin d’échapper à
l’accusation de séparatisme, le FPLT créa, en 1991, le Front démocratique et
révolutionnaire des peuples éthiopiens (FDRPE). Cette coalition de partis « ethniques »,
emmenée par Mälläs Zénawi, a remporté les élections législatives de 1995. En 2000
menant l’offensive en Érythrée, elle a touché les dividendes de la victoire. En 2005, le
parti au pouvoir a affronté l’opposition réunie, sous l’égide de la diaspora, en deux
coalitions qui ont affirmé avoir remporté la majorité. Après divers recomptes et à
l’annonce de leur défaite, les partisans de l’opposition ont organisé de violentes
manifestations dans la capitale et de nombreuses villes. La police fédérale les a
brutalement réprimées et a arrêté de nombreux opposants, notamment parmi les élus
qui refusaient de siéger. Inculpés de multiples forfaits, on les a été libérés à l’occasion du
bimillénaire. L’opposition s’est de nouveau divisée et la coalition gouvernementale a
remporté tous les sièges lors des élections partielles de 2008. Un observateur perspicace
affirme : Paradoxically […] the Ethiopian federal system is in greatest danger not from its
opponents but from its creators, who must acknowledge the limits to their own tenure of
power if the structure of power that they have established is to survive them (Clapham,
2006, p. 238). Le lancement des mängestawi buden [équipes gouvernementales] au
Tegray15 et les statistiques démographiques confirment ce jugement. Le Tegray, « fief »
politique de Mälläs, abrite tout au plus 6 % de la population éthiopienne, tandis qu’Addis
Abäba, 4 % du total, a voté massivement pour l’opposition. Or, la capitale connaît une
croissance démographique soutenue…
 14 . Ethiopian Peoples’ Revolutionary Democratic Front, en français : FDRPE.
 15 . Alula Pankhurst, qui m’a signalé leur existence à l’été 2007, observe que le
Tegray est le banc d(...)
 16 . Paru le jour de la déposition du negus, ce livre fut tiré de l’oubli par des
Éthiopiens qui, alar(...)
21L’éthnofédéralisme, devenu « éthio-fédéralisme » c’est-à-dire un fédéralisme tempéré
par l’État, a désamorcé les séparatismes régionaux depuis l’indépendance de l’Érythrée.
Force est de constater, en reprenant l’analyse exposée par Levine dans Greater
Ethiopia16, que des siècles de conflit ont créé des solidarités entre les Amhara-Tegréens
et une partie des Oromo, des Guragé…, notamment ceux du Choa. Au XVIIIe siècle,
l’oromo, à l’égal de l’amharique, était la langue de la cour de Gondär. Negus éthiopiens et
chefs oromo se sont si bien mariés que la famille royale est beaucoup plus oromo
15
qu’amhara. La plupart des généraux des armées de Menilek, lui-même à demi-oromo,
étaient des Oromo comme leurs adversaires qui les combattirent avec acharnement. À
Adwa, la majorité des soldats éthiopiens étaient oromo alors que 30 à 40 % des effectifs
de l’armée italienne étaient des ascari [supplétifs] érythréens. Le sultan oromo de
Jimma, Abba-Jiffar, conserva de 1878 à 1932 une large autonomie, moyennant le
paiement d’un lourd tribut (Lewis, 1965). On pourrait, ce me semble, transformer le
titre du livre Being and Becoming Oromo en Being and Becoming Ethiopian. Des peuples,
toutefois, semblent n’être pas prêts à rejoindre la nation de nations éthiopienne. À
l’instar des fronts érythréens, les fronts somali islamiques d’Ogadén n’ont pas non plus
été associés à la construction de la Grande Éthiopie.
22La tradition messianique a perdu de sa force, mais elle n’a pas disparu. L’Église, pilier
de la tradition, a perdu ses domaines, mais, ayant résisté à Mängestu, elle a retrouvé son
prestige et son influence et récupère ses biens. Elle mène la lutte contre les Églises de
mission, « étrangères », bien plus que contre l’islam. Elle incarne le sentiment national
qui plonge dans l’histoire et qui donne un sens aux épreuves, aux conflits et aux
alliances. Le pluralisme religieux dans l’État éthiopien admet les mariages et ne
criminalise pas le changement de religion. Les limites « ethniques », en réalité
linguistiques, ne sont pas fixées une fois pour toutes sur le terrain et dans les têtes. Elles
se négocient tout le long de la vie des individus, dans les familles, les villages, les villes…
Parmi les facteurs qui font bouger les isoglosses, le plus « efficace » est, à n’en pas
douter, l’exode rural qui favorise l’exogamie, l’adoption de fois nouvelles et surtout
l’amharisation. Les médailles remportées par les sportifs éthiopiens sont également
l’occasion de nouvelles « communions nationales » car les athlètes rentrent et
investissent au pays qui les considère d’abord comme un exemple moral (Gaudin, 2008).
23Comme Antée tirait sa force du contact avec la terre, l’État éthiopien tire sa force et sa
durée de son enracinement dans l’histoire. Il n’invente pas la tradition, c’est la tradition
qui l’invente.
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16
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Notes
1 . Selon son propre calendrier, « en retard » de 7 à 8 ans par rapport au calendrier
grégorien.
2 . Avant 1970, le Liberia était une quasi-colonie dominée par les descendants des AfroAméricains.
3 . Bismarck : Durch Blut und Eisen.
4 . Psaume 68, 32 : Bible de Jérusalem et Bible en amharique. La Nouvelle Traduction
préfère : « Koush » et la Traduction œcuménique : « Nubie », mais indique en note :
« Éthiopie dans certaines versions. » King James Version and American King James
Version : in some other versions Sudan is substitued for Ethiopia.
5 . En amharique, langue officielle de l’État éthiopien depuis le XIXe siècle. Auparavant,
c’était le guèze qui demeure, toutefois, la langue liturgique de l’Église éthiopienne
monophysite [täwahedo].
6 . Élikia M’Bokolo, « Le panafricanisme au XXIe siècle », Iére Conférence des intellectuels
d’Afrique et de la Diaspora, Union africaine, Dakar, 2004, La Diaspora Africaine, avril
2006.
7 . Les linguistes ont abandonné ces classifications bibliques et pour « afro-asiatique »
plus neutre.
8 . Les chauffeurs ont peur de s’arrêter dans les basses terres, même en plein jour, sur un
axe pourtant très fréquenté.
9 . Dans le droit éthiopien, Fetha Nägäst [la justice des Rois], le vaincu perd ipso facto
son droit sur la terre.
10 . Racine verbale wärräsä : hériter (Dictionnaire Baeteman : col. 750).
11 . Roosevelt, qui avait rencontré Haylä Sellasé à Suez, l’aida à s’affranchir de la tutelle
exercée par la Grande-Bretagne à la suite de la libération de 1941.
12 . Moa Anbäsa : « lion conquérant », début de la titulature officielle, en guèze, du roi
des rois.
17
13 . Elle protestait contre l’abolition sacrilège de l’ordre voulu par Dieu et contre la
saisie de ses domaines.
14 . Ethiopian Peoples’ Revolutionary Democratic Front, en français : FDRPE.
15 . Alula Pankhurst, qui m’a signalé leur existence à l’été 2007, observe que le Tegray
est le banc d’essai des initatives du gouvernement fédéral.
16 . Paru le jour de la déposition du negus, ce livre fut tiré de l’oubli par des Éthiopiens
qui, alarmés par le fédéralisme, le traduisirent en amharique. Levine en publia une
nouvelle édition.
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Pour citer cet article
Référence électronique
Alain Gascon , « « L’Éthiopie tendra les mains vers Dieu » : 2000 ans d’État éthiopien »,
L'Espace Politique [En ligne], 7 | 2009-1, mis en ligne le 30 juin 2009, Consulté le 20
septembre 2013. URL : http://espacepolitique.revues.org/1257
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