tous les cas, profitable à la beauté, à la justesse du raisonnement et à la délicatesse du
sentiment. Il serait vain de porter aux nues l'une en dénigrant l'autre.
En outre, nous pouvons observer dans toutes les professions et dans tous les arts,
même ceux qui se rapportent le plus à la vie ou à l'action, que l'esprit d'exactitude, quel que
soit le degré auquel on le possède, les porte tous plus près de leur perfection, et les rend plus
propres à servir les intérêts de la société. Et bien qu'un philosophe puisse vivre à l'écart des
affaires, l'esprit de la philosophie, s'il est cultivé avec soin par plusieurs, doit, par degrés, se
répandre à travers toute la société, et donner une même exactitude à tous les arts et tous les
métiers. L'homme politique deviendra plus prévoyant et plus subtil dans la division et
l'équilibre du pouvoir; l'homme de loi raisonnera avec plus de méthode et avec des principes
plus fins; et le général mettra plus de régularité dans sa discipline et plus de circonspection
dans ses plans et dans ses opérations. La stabilité des gouvernements modernes, supérieure à
celle des anciens, et la rigueur de la philosophie moderne se sont perfectionnées, et
probablement se perfectionneront encore, selon une commune marche graduelle.
Quand bien même on ne pourrait recueillir comme avantage de ces études, que le
contentement d'une simple curiosité, il ne faut cependant pas le dédaigner car c'est là un accès
à ces quelques rares plaisirs sûrs et inoffensifs qui sont donnés à l'espèce humaine. Le chemin
le plus doux et le plus innocent que nous puissions emprunter dans la vie nous conduit à
travers les avenues de la science et de l'étude; et quiconque a la capacité d'écarter les
obstacles ou d'ouvrir un nouvel horizon, il faut, jusqu'à preuve du contraire, le tenir pour un
bienfaiteur de l'humanité. Et bien que ces recherches puissent paraître pénibles et fatigantes, il
en est de certains esprits comme de certains corps qui, d'une santé vigoureuse et florissante,
exigent de sévères exercices tout en en tirant du plaisir, exercice qui passe aux yeux de la
plupart des hommes pour un fardeau et un dur labeur. L'obscurité est en effet pénible à l'esprit
humain comme aux yeux, mais faire naître la lumière de l'obscurité, quelle que soit la tâche
entreprise, cela ne peut être que délicieux et réjouissant.
Mais cette obscurité, dans la philosophie profonde et abstraite, objecte-t-on, est non
seulement pénible et fatigante, mais est encore une source inévitable d'incertitudes et
d'erreurs. Là est l'objection la plus juste et la plus plausible contre une partie considérable de
la métaphysique. Elle n'est pas, selon cette objection, une véritable science, mais provient soit
des efforts stériles de la vanité humaine qui voudrait aller jusqu'à saisir des sujets absolument
inaccessibles à l'entendement, soit de la ruse des superstitions populaires qui, incapables de se
défendre sur un terrain loyal, dressent des taillis inextricables pour couvrir et protéger leur
faiblesse. Chassés du terrain découvert, ces bandits s'enfuient dans la forêt, et se tiennent prêts
à s'introduire par effraction dans toute avenue de l'esprit non gardée, pour l'accabler de
craintes et de préjugés religieux. Le plus vigoureux combattant, s'il relâche sa garde un
moment, est écrasé. Et beaucoup, par lâcheté et par folie, ouvrent les portes aux ennemis, et
les reçoivent de bon gré, avec respect et soumission, comme leurs souverains de droit.
Mais est-ce une raison suffisante pour que les philosophes renoncent à de telles
recherches et laissent la superstition tranquille, maîtresse de son repère? N'est-ce pas
l'occasion de tirer une conclusion opposée, et de prendre conscience de la nécessité de porter
la guerre au sein des plus secrets refuges de l'ennemi? C'est en vain que nous espérons que
l'homme, par des fréquentes déceptions, abandonne enfin des sciences si vaines , et découvre
le domaine propre de la raison humaine. Car, outre que de nombreuses personnes trouvent un
intérêt trop évident à revenir sur de tels sujets, outre cela, dis-je, le motif du désespoir aveugle
ne peut jamais raisonnablement avoir sa place dans les sciences, et même si nos précédents
essais ne se sont pas révélés des réussites, il y a encore lieu d'espérer que le travail, la chance
ou la sagesse croissante des générations successives pourront aller jusqu'à faire des
découvertes inconnues des âges précédents. Tout esprit audacieux s'élancera toujours vers
cette difficile victoire et se trouvera stimulé, plutôt que découragé par les échecs de ses