N° 18 Rome, 1er mars 1988 En obéissant à la vérité, vous avez

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N° 18
Rome, 1er mars 1988
En obéissant à la vérité, vous avez sanctifié vos âmes,
pour vous aimer sincèrement comme des frères.
D'un coeur pur, aimez-vous
les uns les autres sans défaillance.
1 P 1, 22
Chères Soeurs,
Je voudrais vous remercier des nombreux témoignages d'union, et de tous les souhaits reçus au début de
notre marche ensemble pour cette nouvelle année. Je vous suis vivement reconnaissante de ce partage spon-
tané si naturel et plein d'intérêt. Tout parle d'attente dans l'espérance. En nous préparant au C.G.E., nous
voulons toutes nous renouveler dans la coresponsabilité de "notre mission et de notre communion dans la
diversité" (Const., art. 7), nous ouvrons bien grand notre coeur à ce que le Seigneur désire nous offrir. Il est
important de nous laisser surprendre par Lui. Nous ne savons pas sont les sources de notre renouveau,
avant de nous abandonner à Lui dans l'amour.
Nous avons déjà cheminé dans l'année liturgique, et maintenant, en ce temps de Carême, nous entendons
l'appel du Seigneur à nous convertir et à croire à la Bonne Nouvelle. C'est le temps de rechercher de façon
neuve les racines de notre foi qui nous ont soutenues tout au long de notre vie, mais en en redécouvrant tou-
tes les ramifications dans une acceptation cordiale et généreuse, avec le désir de nous laisser sans cesse
purifier. L'Evangile de Jean appelle glorification la mort de Jésus, le don de Lui-même à son Père dans
l'amour. "L'état religieux ... annonce la résurrection à venir et la gloire du royaume des cieux" (LG 44). Dès
l'Eglise primitive et tout au long de l'histoire, la chasteté consacrée est reconnue comme une participation
frappante et exemplaire à la mort du Seigneur. Elle a toujours été considérée en quelque façon comme iden-
tique au martyre, car en l'une et l'autre, la victoire du mal se transforme, par le mystère de la Croix, en vic-
toire de la vie éternelle. Nous le savons bien, la Croix traverse notre vie de chasteté consacrée. Il est donc
normal d'expérimenter par moments des difficultés: elles sont pour nous des moyens de croissance, car elles
nous font entrer plus pleinement dans la pauvreté et la compassion, et sont donc sources de vie pour nous
comme pour les autres.
A nous toutes, je voudrais proposer une réflexion soutenue sur le sens de l'engagement de notre vie, et la
compréhension de notre chasteté consacrée. Nous connaissons depuis Vatican II l'extension de ce concept et
sa place dans une perspective élargie. La nouvelle vision suscite un défi beaucoup plus grand et exige une
sensibiliplus profonde à l'Esprit de Dieu. Ce défi, c'est à la fois d'être chastes et d'aimer d'un amour au-
thentiquement humain (cf. ET 13). C'est le "don que le Seigneur fait à quelques-uns" (Const., art. 78), appel
à aimer sans compromis, à embrasser librement et délibérément une forme de vie comportant le choix de
valeurs religieuses. L'engagement à ce style de vie inclut de notre part d'éviter que d'autres engagements ne
nous mènent à des attitudes et des conduites opposées à ce qui est, dès lors, au centre de notre vie. Dieu est
intervenu et nous a appelées à L'accepter comme le compagnon unique de notre amour, Il est par conséquent
Celui sur lequel nous établissons toute notre vie et notre travail, créant ainsi avec Lui un lien très spécial.
Nous nous sommes senties attirées à "vivre un amour préférentiel pour le Seigneur" (Const., art. 79). S'en-
gager dans cette voie, c'est devenir témoin de ce que nous croyons: que le Royaume de Dieu, c'est-à-dire son
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amour rédempteur définitif, n’est pas simplement à attendre dans l'avenir, mais qu'il est une réalité actuel-
lement présente. Elle est présente, cette réalité, de façon si tangible et l'expérience peut en être si forte, que
certains se sentent saisis par elle, au point qu'elle en exige toute leur capacité d'amour. Dieu nous appelle,
nous religieuses, à aimer, mais de façon telle que notre relation avec Lui soit notre relation "focale", celle
qui se situe au centre de notre vie. C'est dans cette relation à Dieu que nous voyons et accueillons toutes les
autres relations. Ce don est une force nouvelle qui nous aide à écarter certaines manières d'exprimer
l'amour, et à témoigner ainsi de la Résurrection par la force, en nous, de l'Esprit. Notre tâche est moins de
préserver la chasteté que d'accueillir ce don et d'en user comme d'un instrument entre les mains de Dieu
pour L'aider à nous façonner. En Jésus, le Père a incarné son amour pour nous, et c'est à nous maintenant
qu'Il demande cette incarnation. Jésus est pour nous le signe que toute vie désirant se consacrer exclusive-
ment et directement à Dieu sans médiation terrestre ou sans amour, est une illusion. Il nous montre comment
être médiatrices, comment employer tout ce qui fait que nous sommes "terre" - notre corps, nos besoins
sociaux, nos désirs et nos projets d'aimer - pour une seule chose: la volonté de son Père qui est d'aimer et de
se soucier du bien des autres. "Vécue dans l’humilité et la joie, (la chasteté) annonce la venue du Royaume"
(Const., art. 81). Pour le choix de la chasteté, notre foi doit s'exprimer en un acte libre, dans l'obscurité, non
sans souffrir d'un vide: assumant "dans la foi, une solitude que Dieu seul peut combler" (Const., art. 79). Ce
choix témoigne aussi de la foi en l'accomplissement de nos vies dans la vie qui est Dieu Lui-même, une vie
qui nous vient par la mort, par la victoire du Christ transcendant la mort en Lui-même et en ceux qu'Il aime
en ce monde. Avec saint Paul, nous sommes appelées à dire: "Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ
qui vit en moi" (Ga 2, 20); et la chasteté est un moyen concret pour y tendre, puisque la chair est "un corps
qui Lui appartient", un corps donné, à la vie à la mort, pour la rédemption des autres.
Marie de la Passion nous a laissé des textes riches sur la façon dont elle vivait cette union avec le Christ,
union qu'elle aimait contempler en Marie: "La Vierge Marie est pleinement celle qui a donné la Vie et nous
apprenons d'elle à aimer" (Const., art. 80). "Comment cela se fera-t-il?..." (Lc 1, 28-38). Après cette de-
mande, Marie a délibérément choisi de rester vierge. Elle s'est donnée à Dieu dans un amour absolu et sans
partage, comme tant d'autres ont désiré le faire après elle. Cela ne déprécie aucunement le mariage, mais
met en évidence un autre idéal, celui du célibat que choisissent volontairement certains (cf. Mt 19, 12). Dieu
ne nous met pas devant un fait accompli. Il respecte les niveaux de la liberté et de la responsabilité, de sorte
que nous nous engageons, essentiellement dans la foi, conscientes de ce que cela implique. Le choix se fait
sur la base de valeurs transcendantes plutôt que sur celle des besoins. C'est un amour des autres qui est ré-
ponse à l'amour de Dieu, puisque Lui, le premier, "nous a aimés et s'est livré pour nous".
Nous ne pouvons vivre la chasteté consacrée sans croire en l'amour personnel de Dieu pour nous. Nous
croyons que Dieu nous aime et qu'Il nous aime telles que nous sommes, avec toute notre faiblesse et tous
nos échecs. Cet aspect rejoint chacune de nous quotidiennement dans la prière. Il y a un lien étroit entre
chasteté consacrée et vie de prière. Si nous voulons grandir dans l'union à Dieu, il nous faut prendre le
temps d'entrer consciemment dans cette relation avec Lui; de demeurer avec Lui dans l'amour à un niveau
très profond: tel est le temps de la prière. Nous avons besoin de silence et de solitude pour être avec notre
Epoux, pour découvrir nos blessures, nos peurs, l'incertitude et la douleur aussi bien que la joie, la paix, le
désir et la reconnaissance, afin de pouvoir Lui offrir notre lampe remplie d’huile et non quelque autre vase
vide. Se centrer sur le Seigneur Jésus, voilà ce qui est au coeur de la dimension contemplative de notre chas-
teté. C'est à la Personne du Christ que se fait notre consécration et à nulle autre cause, si noble soit-elle.
Cette relation étant au centre de notre vie, nous pouvons alors regarder toutes les autres relations sous leur
vrai jour. La chasteté consacrée est une expérience dilatante, elle ne rétrécit pas la vie à un seul domaine,
mais nous donne de l'intérêt pour tout, parce que le monde entier qui appartient à Dieu est aussi nôtre. Mais
elle est surtout une orientation personnelle vers Dieu, une consécration absolue au Seigneur excluant toute
attitude similaire envers quelque autre. Celle qui n’est pas mariée et la vierge ont souci des affaires du Sei-
gneur, afin d'être saintes de corps et d'esprit pour le Seigneur (cf. 1 Co 7, 32-34).
La dimension pratique ou apostolique de la chasteté consacrée s'exprime
dans la mission, inhérente à cet appel. Nous offrons au Seigneur notre capacité humaine d'aimer pour per-
mettre au Christ de rayonner, à travers le coeur humain, l'amour rédempteur de Dieu pour le monde. C'est
l'appel à une participation plus profonde à l'oeuvre rédemptrice du Christ. Se donner plus pleinement à son
prochain avec l'amour même du Christ est donc essentiel à notre appel. C'est un signe de l'Eglise, et pour ce
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service de la rédemption nous nous mettons ainsi totalement à la servir elle-même. Le service est le moyen
de recueillir tout ce que nous apporte la solitude, pour lui faire porter fruit dans la réalité. C'est l'amour en
acte. Mon amour est-il assez vibrant pour percevoir ces situations qui permettent au Christ de continuer à
servir et à aimer en moi, et de le faire avec tendresse et affection ? C'est ainsi que nous vivons notre chaste-
té. Le voeu devrait nous rendre plus aimantes, plus compatissantes, plus douces, plus aimables; en un mot,
plus "christiques". Telle est la pauvreté de coeur si essentielle à notre amour pour les pauvres - pour les
mal-aimés.
Bien des lumières et des réflexions qui soutenaient notre décision au début de notre vie religieuse peuvent
perdre de leur relief avec le temps. Si notre choix initial n'est plus ainsi soutenu, il en résulte un affaiblisse-
ment de notre engagement. Les engagements évoluent, et quand nous avons dit oui, nous avons promis
d'assumer cette évolution. Il est alors de notre responsabilité de réitérer activement nos choix, déterminant
ainsi l’évolution de l'orientation de notre vie. L'appel à la vie religieuse inclut le choix de la chasteté, et ce
qui est dit de la chasteté s'applique en grande partie à l'approfondissement de l'engagement religieux en gé-
néral. Cela veut dire que nous poursuivons une vie plus totalement appuyée sur la foi, dans l'amour, de sorte
que nous devenions des signes unifiés et visibles de cette foi et de notre adhésion au Seigneur; signes qui
s'expriment dans un projet "éternel" - dans ce que nous vivons intérieurement aussi bien que dans notre
mission apostolique - et qui manifestent la grâce et l'appel constant à la transcendance. Il nous faut accueillir
le don de Dieu pour le laisser prendre racine et croître en nous. Voyons-nous cela comme une tâche quoti-
dienne de notre vie ? ou considérons-nous ce don comme un ? Notre voeu de chasteté consacrée est-il
celui que nous oublions ? Quelle valeur a-t-il pour nous aujourd'hui ?
On a beaucoup parlé de la véritable intégration de l'affectivité dans la personnalité chrétienne. Nous savons
qu'elle se réalise principalement par et dans l'amour de Dieu. C'est toutefois un processus qui s'apprend, et
ce n'est que par et dans l'expérience de la vie que nous pouvons développer à sa pleine mesure le don de la
chasteté consacrée. Il faut être capable d'intégration et de maturité pour vivre clairement, profondément,
totalement et avec stabilité l'appel à un amour radical dans le Christ et pour le Christ. Cet engagement se fait
tout en sachant que le choix est une décision pour un avenir imprévisible qui nous échappe. Il se fait dans la
foi en la puissance de la Croix; c'est une promesse de fidélité au dessein de Dieu sur nous. Vivre selon
l'amour qui nous a été donné devrait mener à une grande unité d'intention. La simplicité est fruit de la chas-
teté qui, à son tour, nous reforme et nous transforme en élargissant nos vues, en nous libérant de la crainte. En
néral, une plus grande attention est portée à l'aspect négatif de la chasteté consacrée, alors qu'elle est surtout
un "oui" dont certains "non" sont la conséquence. Nous ne pouvons opter pour une vie de chasteté sans nous
préoccuper de savoir si nous sommes ou non des personnes qui savent aimer.
Nous avons donc à cultiver la délicatesse, la douceur, la sensibilité, la cordialiet la tendresse selon leur
signification et leur contexte particuliers, et tant qu'elles demeurent sans ambiguïté, dans la claret la rete-
nue. Cela implique une ascèse exigeante, sans en être pourtant étouffante. C'est un véritable holocauste, ce
don de tout mon être, et ce n'est qu'en vivant et en expérimentant profondément chaque jour la foi et l'amour
que je pourrai maintenir l'équilibre entre la valeur positive de la chasteté consacrée et les aspects négatifs du
renoncement. Notre désir de recevoir attention, intérêt et satisfaction, nous l'offrons à l'amour du Christ,
alors que nous sentons toutes le besoin d'affection véritable, de soutien, de compréhension et d'une certaine
sollicitude de la part des autres. Les besoins affectifs dans leur ensemble sont très différents selon les per-
sonnes et il nous faut être conscientes que chacune est unique dans ce domaine de la chasteté. Vatican II a
officiellement souligné le lien entre la vie de communauté et la chasteté consacrée sainement vécue.
Celle-ci doit se vivre de façon humaine dans une atmosphère de véritable soutien affectif, d'amour ouvert et
respectueux, chacune se sent acceptée et estimée. Nous devons donc regarder dans ce contexte notre
vécu en communauté. Savons-nous aimer, soutenir et appeler les autres à aimer, ou bien critiquons-nous,
éloignons-nous les autres ou rivalisons-nous avec elles ? C'est à chacune d'apprécier le don reçu, de savoir
exactement ce qu'elle doit faire en elle-même pour trouver son équilibre personnel. Toute amitié est subor-
donnée et intégrée à notre "amour personnel" pour le Christ. Cela inclut l'acceptation de certaines limites,
dont l'absence, tout autant que trop de défenses et de protections, détruirait l'équilibre. La chasteté consa-
crée comme les relations chaleureuses font partie du dessein aimant de Dieu sur nous; elles laissent transpa-
raître en nous la vie de l'Esprit. Cependant en chaque culture la chasteté comporte aussi une certaine exi-
gence de modestie: discrétion attentive, voulue, délicate, dans l'habillement comme dans le comportement.
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Et la prudence requiert de notre part une continuelle et honnête évaluation de toutes choses, de toute situa-
tion et de leurs conséquences pour nous-mêmes, pour les autres, et pour l'Eglise.
Vivre notre voeu de chasteté consacrée est donc chose sérieuse, profonde et stimulante. Nous pouvons ré-
pondre à ce défi et devrions chercher à le faire et à aimer d'un amour chaste et renouvelé, comme aime le
Christ. C'est un appel à nous livrer à Lui, à entrer dans son amour, à nous ouvrir et à nous abandonner à cet
amour. Très humblement, comme "en des vases d'argile", nous devons porter ce don précieux dans la joie
pour que le Christ puisse se refléter en chaque facette de notre don quotidien à ceux qu'Il nous a envoyé
servir, dans la maturité et la chasteté de l'amour.
Un appel est lancé à notre reconnaissance par la mort aux Châtelets de S. Anne-Marie Sicard (M. St Roch),
qui a été vicaire générale de 1957 à 1960 et assistante générale de 1960 à 1966. Son service spécial et sa
souffrance sont le symbole de sa foi vécue avec courage. La richesse de son esprit demeure vivante en
beaucoup d'entre nous qui l'avons reconnue comme un don, de par l'inspiration de sa vocation f.m.m. vécue
intensément, dans l'enthousiasme et la générosité. Ensuite, affrontée à sa maladie, elle est parvenue à une
grande paix, se livrant aux sollicitations de l'amour, quelle qu'ait été la patience nécessaire pour y répondre
toujours mieux. Ces dernières années, lorsqu'elle a rendu visible parmi nous le Christ souffrant, sa voix est
de celles que nous avions besoin d'entendre pour appeler notre attention sur les trésors spirituels qui se ca-
chent dans nos infirmeries. Combien de nos soeurs contribuent merveilleusement à la vie de l'Institut par
leur offrande pour l'Eglise et le monde ! Nous sommes, en vérité, extrêmement reconnaissantes envers cha-
cune d'elles.
Alors que nous nous préparons à la fête de Pâques, accueillons souvent l'Esprit du Seigneur pour qu'Il pénè-
tre notre vie, et laissons à sa puissance pleine liberté d'agir en nous. Cette puissance apporte amour, joie,
paix, sérénité et confiance. Et ces dons se partagent par le témoignage de nos vies engagées selon ce que
nous avons vu et compris, dans une prise de conscience toute renouvelée de notre rencontre avec le Sei-
gneur ressuscité.
Avec affection, confiance et reconnaissance, je souhaite à chacune en abondance la joie de Pâques.
MAURA O'CONNOR
f.m.m., Sup. Gle
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