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Figure spirituelle de Sr Marie de Ste Victoire Houette
Un « hôpital pour les âmes »
Angers, Juin 2006-06-09
Marie-Françoise Le Brizaut NDC
Quand je suis entrée à Tours en 1808, la maison se relevait à peine de la
tourmente révolutionnaire.
Pour faire face aux difficultés financières, la communauté a ouvert un pensionnat,
car il n’était pas encore possible d’accueillir des pénitentes. C’est à moi, simple
novice, qu’on confia cette responsabilité (Vie p.51). Dans ce service, j’ai fait un
peu de tout, avec joie : surveillante, professeur, éducatrice… Je n’ai pas compté
mes forces, au point qu’il a fallu retarder mon admission à la profession, pour
raisons de santé …
Mais notre plus grand désir, et le mien certainement, était de recevoir des
pénitentes : c’est pour cela que Le Père Eudes avait fondé Notre Dame de Charité!
Enfin, grâce à une de nos sœurs qui avait légué sa fortune à la communauté, il
devint possible d’envisager d’accueillir les premières pénitentes. Mes
supérieures me demandèrent d’organiser cette classe, qui fut inaugurée le 11
novembre 1812.
Depuis le premier jour, et chaque fois que l’obéissance m’en a confié la
responsabilité, c’est avec une grande joie que je me suis engagée auprès de nos
Sœurs Pénitentes,.
Pendant plusieurs années, avec les jeunes sœurs qui entraient peu à peu dans la
communauté, nous parlions de la façon de les aider à persévérer après leur
conversion. Nous savions que quelques-unes avaient un désir de consacrer leur
vie au Seigneur… En 1825, lorsque Sr Marie de Ste Euphrasie fut élue par la
communauté pour en être la supérieure, elle pensa aussitôt à faire quelque chose
en ce sens : je l’ai appuyée de tout mon cœur, et j’ai eu la joie et le privilège de
préparer à la prise d’habit les quatre premières candidates pour les sœurs
Madeleines…
Un peu plus tard, en 1827, nous avons commencé à accueillir des fillettes, qui se
trouvaient en danger dans leur famille ou leur milieu : à l’époque, toutes nos
maisons ont pris cette orientation, car nous pensions que cette œuvre de
Préservation permettrait d’éviter que bien des jeunes ne se laissent entraîner sur
des chemins où elles risquaient de se perdre.
Mais pendant toute ma vie, c’est d’abord à nos chères Pénitentes qu’est allé mon
cœur ! C’est pour elles que j’ai donné ma vie. Chaque fois que j’ai fait une
nouvelle fondation, c’est à elles d’abord que je pensais, et toujours je pressais la
supérieure de commencer le plus vite possible à en accueillir !
Le zèle des âmes
Que de fois, et avec quelle joie, j’ai médité personnellement, et commenté à mes
sœurs, notre Constitution fondamentale ! Oh ! que j’ai voulu moi aussi, moyennant
la divine grâce « imiter la très ardente charité dont le très aimable Cœur de Jésus,
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Fils de Marie, et de Marie, Mère de Jésus, est embrasé au regard des âmes
créées à l’image et ressemblance de Dieu, et rachetées du précieux sang de son
Fils », en m’employant au salut des âmes.
De tout mon cœur, de toutes mes forces, j’ai fait mienne la conviction de notre
Fondateur « qu’il faut des religieuses dont les monastères soient comme des
hôpitaux pour y recevoir les âmes malades, et pour travailler à leur faire recouvrer
la santé spirituelle. » Il y a tant de maladies du cœur et de l’âme à traiter et à
guérir !
Suivant l’exemple du Père Eudes, j’étais persuadée « qu’une âme est plus
précieuse devant Dieu que tous les corps qui sont dans l’univers », et j’ai donné ma
vie pour chercher à être « digne coadjutrice et coopératrice de Jésus Christ notre
Seigneur, en l’ouvrage du salut des âmes qu’il a rachetées au prix de son sang, et
embrasser avec affection toutes les peines et difficultés qui se rencontrent en cette
vocation, pour l’amour de celui qui a souffert tant d’outrages pour ce sujet. »
Après la révolution, qui avait tellement bouleversé notre société, et plus tard avec
les nouveaux développements économiques, tant de jeunes personnes se
trouvaient exposées, entraînées sur des chemins de perdition. Notre Dame de
Charité était bien aussi nécessaire qu’en 1641, quand la première maison de
Refuge a été ouverte à Caen !
Ces jeunes femmes « dévoyées » comme on disait alors, la société les rejetait, elle
trouvait toujours des mots méprisants pour les qualifier. Pourtant, bien souvent,
quand elles étaient chez nous et que nous apprenions à les connaître, nous
pouvions voir qu’elles étaient plus victimes que coupables, qu’elles avaient
besoin de médecins pour leur cœur et leur âme, plus que de condamnation. Oh !
il fallait y mettre de la patience, ne pas se laisser rebuter par leurs résistances à la
grâce ! Comme nous avions besoin de demander au Seigneur sa grâce pour
imiter son ardente charité pour elles, leur faire comprendre l’amour infini qu’il
avait pour elles !
A la base de notre fondation, le vœu de zèle pour le salut des âmes que notre
Fondateur nous avait donné a été le socle sur lequel je me suis toujours appuyée
pour m’approcher de chacune de celles que j’ai eu la grâce d’accueillir
personnellement, à Tours et à Marseille.
Avec quelle joie j’ai toujours accepté d’être envoyée auprès des pénitentes ! Et
vraiment, Notre Seigneur m’a fait la grâce de les aimer, et de pouvoir les
conduire vers le bien. Il m’a permis de découvrir le secret de leur cœur, de
reconnaître en elles ce qui les empêchait d’avancer, d’avoir une grande
compassion de leurs misères, et de m’appuyer sur le bien qu’il y avait encore en
elles … (Vie, p. 111-112)
La miséricorde du Seigneur, que j’avais appris à découvrir dans son Cœur blessé
pour nous, est ce qui m’animait à poursuivre une tâche quelquefois difficile et
même rebutante aux yeux du monde.
Car il est sûr que la croix n’était pas absente de cette œuvre : le Père Eudes nous
en avait averties dès les premières années de la fondation : « Est-il raisonnable
que vous soyez associées avec Jésus dans la plus grande chose pour laquelle il est
venu en ce monde, pour sauver les pécheurs, et qu’il lui en ait tant coûté, et que vous
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soyez quittes pour rien ? » (Lect. Eudiste, Nº 26). Non ce n’est pas un
« Messie de sucre et de roses » que nous sommes appelées à suivre ! J’en ai
souvent fait l’expérience dans ma vie, et j’ai appris que l’abnégation et le
renoncement permettent de gagner les cœurs les plus endurcis et de ramener la
brebis perdue (Vie, p.60).
Le baptême : faire vivre et régner Jésus
Quand les femmes, souvent jeunes encore, arrivaient dans notre maison,
beaucoup étaient rebelles au début, puis inconstantes dans leurs efforts ; mais
pour nous qui avions la responsabilité de les accompagner, une conviction nous
donnait de la force : chacune a été baptisée, elle est devenue membre du Corps
du Christ, et il veut vivre et régner en elle !
Aussi obscurcie fût-elle, l’image de Dieu était au fond de leur cœur, et c’était à
nous de la faire briller de nouveau, de semer en elles la semence de la Parole de
Dieu, de faire germer le désir de conformer leur vie aux enseignements de Dieu,
à l’Evangile de Jésus-Christ.
Quelquefois, il y avait tant de résistances chez certaines personnes, elles
arrivaient avec une telle réputation, qu’il fallait bien vraiment la charité du
Seigneur Jésus, plus que la prudence humaine, pour les accueillir ! Mais nous
avions sous les yeux l’exemple de Jésus, qui a payé si cher pour ramener les
pécheurs à la vie !…
Ces âmes déchues aux yeux du monde, elles avaient un prix inestimable aux yeux
de Jésus, c’est pour elles qu’il avait été envoyé sur la terre : comment n’aurionsnous pas tout fait nous aussi pour elles ?
Je méditais souvent ces paroles du Seigneur : ne pas achever de rompre le roseau
à demi brisé, ne jamais éteindre une mèche encore fumante. La grâce est
puissante, et nous apprenions à ne jamais désespérer de voir, un jour ou l’autre,
reverdir les palmes flétries, refleurir les tiges desséchées. ( Vie, p.112)
A force d’attendre avec patience le moment de la grâce, de supporter les hauts et
les bas de l’humeur des pénitentes, d’user à la fois de bienveillance et d’habileté,
presque toujours la bonne volonté et les bons désirs se faisaient jour en elles, et
j’ai pu voir des conversions merveilleuses, j’ai pu rendre grâces pour des
changements extraordinaires.
Je me souviens de ce jour où M. Dupont, le saint homme de Tours, nous amena
deux jeunes filles qu’il avait trouvées la veille, traînant dans la ville : il nous les
présenta comme « des âmes à soigner », et c’est bien ainsi que nous les avons
accueillies. Lui-même se soucia d’elles jusqu’à ce qu’elles soient bien habituées
dans notre maison… Il y aurait tant à raconter, une telle moisson d’âmes à offrir à
Notre Seigneur !
Pour les former, nous nous efforcions de créer autour d’elles un climat favorable,
de silence et de travail, puis des instructions sagement graduées, pour inculquer
peu à peu les bons désirs, le besoin des sacrements et de la pratique des vertus.
Mais avant cela déjà, pour commencer à les gagner, il fallait bien leur procurer
tout ce qui pouvait leur permettre de se sentir à l’aise : vêtements ou autres ; sans
hésiter à modifier par exemple le costume qu’on leur donnait, si cela pouvait
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permettre de mieux les aider. Je suis persuadée que, « quand les choses
ne sont pas majeures, il faut beaucoup de pliant » (lettre à Sr M. de Ste Geneviève
Fournier à Besançon, 1839). Car toujours, le but est avant tout de les sauver.
Une fois établi un début de confiance, il fallait prendre le temps de les écouter, de
s’intéresser à elles, de compatir à leurs chagrins … pour qu’elles se retrouvent
elles-mêmes, sans êtres écrasées par leurs actions passées … Petit à petit,
progressivement, la clarté de Dieu arrivait à dissiper entièrement les ténèbres
qui s’étaient accumulées dans leurs cœurs et dans leurs âmes …(Vie, p.113-114)
Pour ma part, avec la grâce de Dieu, je crois que j’avais reçu une vocation
spéciale pour les plus intraitables ou les plus disgraciées… Comme un médecin
qui va mettre tous ses talents pour sauver un malade dont l’état est désespéré, je
m’attachais avec encore plus d’amour au salut de celles qui semblaient davantage
perdues, je cherchais en elles les petites étincelles qui criaient vers la lumière...
Il y eut ainsi quelques « mauvaises têtes », que notre Seigneur m’a donné de
toucher et d’arracher aux filets qui les gardaient captives. Tel est l’abîme de la
miséricorde de Dieu, qui peut rejoindre l’abîme de n’importe quelle misère !
(Vie, p.120)
Sainteté exigée des sœurs pour travailler au salut des âmes
Selon l’intention de l’Eglise et celle du Père Eudes, « chacun des membres de
Notre Dame de Charité doit travailler d’abord à sa propre sanctification… Il faut
commencer par faire avant que d’enseigner … » (Vie, p.276)
Travailler au salut des âmes, être associée à Notre Seigneur, c’est une œuvre si
grande que je me suis toujours sentie bien petite pour y être employée. Notre
Fondateur avait bien raison de nous exhorter, non seulement à donner à nos
Pénitentes des instructions efficaces pour leur conversion, mais surtout à travailler
à leur salut par « l’exemple d’une sainte vie et par la ferveur de nos prières » !
Pour arriver à cette sainteté de vie, il est nécessaire d’anéantir son esprit propre
et de revêtir celui de Jésus-Christ. Pour y parvenir, j’ai sans cesse gardé devant
mes yeux « la charité infinie de Jésus-Christ, son zèle immense, je me suis humiliée
de mon peu de charité, de mes rétrécissements, je me suis donnée à son Cœur
adorable qui, dans la capacité de son immense charité, loge toutes les âmes, porte
tous les peuples, car il veut le salut de tous, sans en excepter un seul. » (écrits
spirituels, 1830)
Pour obtenir la grâce de la conversion des Pénitentes, leur salut, il faut des
religieuses qui s’engagent pleinement, sans retour sur elles-mêmes : pour nous
aider sur ce chemin ardu, je n’ai jamais vu de soutien plus efficace que la fidélité
à nos saintes Règles. C’est d’elles qu’il faut se nourrir, pour les assimiler. Rien
n’est petit dans nos saintes Règles, pourvu qu’on soit d’abord attentive à l’esprit
qui les anime, et qui donne sens à la lettre. (Vie, p.531)
Notre vie est un ministère de luttes incessantes, de sacrifices et de prière : il faut y
mettre le prix pour obtenir le salut des âmes, comme Jésus l’a fait !
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« Un ministre de l’Evangile doit mépriser ses propres intérêts, pour ne
chercher que ceux de Jésus-Christ, dont il a l’honneur d’être le ministre et
l’ambassadeur… Celui qui doit annoncer l’Evangile, doit pratiquer l’Evangile… »
(écrits spirituels, 1830)
Pratiquer l’Evangile : c’est tous les jours et dans tous les détails !
« Nous devons réformer et corriger en nous toute superfluité, et nous efforcer
d’acquérir le véritable esprit intérieur … A une Fille de Notre Dame de Charité, rien
ne doit sembler difficile, aucune mortification ne doit paraître amère, dès qu’il s’agit
de procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes, puisqu’elle ne doit vivre et
respirer que pour cette fin, qui est l’unique fin de la Congrégation. » (Vie, p. 275)
Pour vivre cela, j’ai toujours cru que nous avions un modèle et une force : le Cœur
de Jésus et celui de sa Mère.
« Demeurer dans l’amour de Jésus n’est autre chose que d’habiter dans son Cœur
adorable… Et le Cœur de Marie, notre Mère et notre modèle ! Modèle de foi,
d’humilité, de constance au pied de la croix, de patience, de douceur et surtout de
soumission et d’abandon à toutes les volontés divines ! » (Lettre à Sr M. Dominique
Bigot, à Marseille, le 1er mai 1838)
Elan missionnaire
J’ai souvent médité sur notre mission, que nous sommes appelées à vivre à la
suite de Jésus : « Les missionnaires sont les enfants du Verbe, les enfants de son
Cœur, les héritiers de son zèle, chargés de le propager jusqu’à la fin des temps …
comme lui, ils doivent se nourrir continuellement de la volonté du Père céleste, et
travailler à l’accomplissement de son œuvre, la conversion et le salut des âmes … il
les envoie comme des agneaux au milieu des loups, pour y exercer un ministère de
paix et d’amour, de miséricorde et de salut… » (Ecrits spirituels, 1830)
Notre Seigneur m’a donné la passion des âmes, et lorsque nous avons reçu des
appels pour des fondations à faire ou à soutenir, j’ai mis en œuvre tout ce qui était
dans mes possibilités pour répondre à ces appels, tout en m’efforçant de tenir
compte de quelques points fondamentaux, que j’ai appuyés sur ce que dit notre
Coutumier à propos des Fondations : (Vie, p. 274-280)
« D’abord, bien sûr, ne chercher la propagation de notre Institut que pour procurer
la gloire de Dieu, sans retour sur nous-mêmes.
Puis, pour nous rendre dignes des desseins de Dieu, nous y disposer par la pratique
fervente de nos saintes Règles et observances, et par un renouvellement intérieur. »
J’ai toujours senti qu’il était essentiel, pour qu’une œuvre réussisse, qu’elle soit en
conformité avec la volonté de Dieu, non avec mes désirs, et c’est cela que j’ai
cherché à mettre en œuvre, partout où le Seigneur m’a donné d’intervenir.
Je vous assure que « J’aurais mieux aimé ne m’occuper, toute ma vie, qu’à gratter la
terre, par l’Esprit de Dieu et en faisant sa volonté, que d’opérer des prodiges et
d’élever à Dieu des temples par tout l’univers, contre son bon plaisir…. Je n’ai pas
voulu user de la moindre duplicité, du moindre détour, afin de faire tomber dans
mon sentiment ceux aux sentiments desquels je devais me rendre, selon l’ordre de
Dieu et pour accomplir sa volonté ».
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En même temps, je savais bien que je pouvais utiliser « la sainte industrie que peut
employer la sagesse et la prudence chrétienne, pour faire réussir l’œuvre de Dieu. »
Cependant, malgré tous mes désirs de voir « l’augmentation de la gloire de Dieu et
l’avancement de son œuvre, pour rien au monde, je n’aurais voulu anticiper d’une
minute sur le temps et le moment de Dieu, ou mettre en usage d’autres moyens que
ceux qui sont indiqués, qui entrent dans l’ordre d’une chose bien organisée… »
Pour moi, un point était capital, et j’ai toujours eu le souci de le mettre en œuvre :
le choix des sujets envoyés pour une fondation « J’ai supplié Dieu de toute mon
âme de se choisir et de former lui-même des pierres vives, remplies et animées de
sa charité, disposition essentielle et esprit principal de notre Institut ; des âmes
mortes à elles-mêmes, qui ne vivent qu’en Dieu et pour Dieu, et qui le cherchent
uniquement ; des âmes qui aiment la paix, et qui puissent la communiquer aux
autres ; des âmes propres au gouvernement des autres, qui sachent manier les
cœurs, les conduire à Dieu ; des âmes, en un mot, toutes remplies de l’esprit et de
l’amour de notre quatrième vœu. Un petit nombre d’âmes, ainsi possédées de
l’Esprit de Notre Seigneur, feraient beaucoup pour sa gloire, parce qu’il serait avec
elles…. C’est ainsi que nous devons faire, renonçant à tous les mouvements de la
nature, et ne nous recherchant en rien, pour suivre en tout l’Esprit de Dieu.
Autrement, on ne fait pas l’œuvre de Dieu, mais on la renverse et on la ruine.
Bien sûr, au moment d’une fondation, il y avait aussi la question des moyens
extérieurs. Mais là, je ne me faisais pas trop de souci, tout en étant prudente : « je
n’aurais pas voulu laisser passer une seule occasion, sans la ménager de mon mieux,
la cultiver, la faire valoir ; mais je ne voulais pas la provoquer. Très volontiers,
j’allais au-devant, si quelques circonstances m’y déterminaient, mais toujours avec
précaution, défiance de moi-même et en m’entourant de conseils.
Pour le temporel, j’étais très facile à contenter, parce qu’il m’est avis que lorsque
Dieu veut la fin, il donne les moyens. Sa volonté m’était un garant suffisant de son
secours et des soucis amoureux de sa Providence, qui nourrit les oiseaux et revêt les
lis des champs …
Pour les secours spirituels, il me semblait qu’il y fallait plus de circonspection. C’est
sur cet article essentiel que je faisais fond pour me déterminer. »
Une fois que ces points étaient assurés, je n’hésitais pas à me lancer : le soutien à
la fondation du Mans en 1834, dans des circonstances difficiles ; la fondation de
Blois en 1836 ; celle de Marseille en 1838 ; celle de Besançon en 1839 ; le
redémarrage de Versailles à la même période.
Mon souci était toujours, par rapport à chacune de ces maisons, d’en avoir un soin
spécial, comme le recommande notre Coutumier
J’ai eu beaucoup d’échanges de lettres avec les sœurs qui prenaient la
responsabilité des maisons fondées : pour moi, c’était un devoir de les soutenir,
de les encourager, de les inviter à « élargir » leur âme en Dieu, à se travailler
elles-mêmes pour pouvoir conduire les autres, à « ne jamais se contenter de voir
les choses à demi, mais de tâcher de les voir à fond, dans tous leurs sens et dans tous
leurs résultats, c’est-à-dire, dans tous ceux qu’elles peuvent ou pourraient avoir. »
(lettre à Sr M : Dominique Bigot à Marseille, 22 avril1838, p. 387))
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Humilité
Le fondement de l’esprit de Notre Dame de Charité, avait coutume de dire le Père
Eudes, c’est l’humilité et l’abnégation de soi-même. Je ne pourrais pas prétendre
que j’ai possédé ces deux vertus, mais j’ai beaucoup prié le Seigneur de me les
donner, et j’ai eu bien des occasions de les vivre, tout au long de ma vie à Notre
Dame de Charité, à travers les épreuves qui ne m’ont pas manqué.
Quand la communauté de Tours m’a confié la charge de la gouverner, en mai
1834, j’ai été remplie d’effroi devant le poids de la charge. C’est pourquoi je me
suis tournée vers la très sainte Vierge, la véritable Mère et Supérieure de notre
communauté. J’ai remis entre ses mains toute l’administration temporelle et
spirituelle du monastère. Je lui ai abandonné ma pauvreté et ma misère, et je lui
ai demandé de répandre dans tous nos cœurs l’esprit de douceur, d’humilité, de
charité, de sainte et cordiale union. (Vie, p. 187)
Je sentais bien que, misérable comme je me connaissais, je ne pouvais pas aimer
Dieu. Mais il m’a semblé que « le Cœur de Jésus m’était donné pour aimer son Père
en moi et pour moi. » (Vie, p. 510)
Là où Notre Seigneur m’a placée pendant de nombreuses années, j’ai eu à
instruire les autres, et donc il fallait bien commencer par me prêcher à moimême : l’humilité et le renoncement ont toujours été des points forts de ces
enseignements, en union avec « mon Jésus pauvre et délaissé … mourant sur la
croix. » (Vie, p. 509)
A mes Filles je disais souvent :
« Nous devons tout remettre aux mains de la Providence, et néanmoins n’épargner,
de notre côté, ni peine, ni travail, ni fatigues pour arriver à la fin qui nous est
proposée, considérant toujours cette œuvre comme l’œuvre de Dieu et non la nôtre,
prenant bien garde de nous l’approprier, ce qui serait tout gâter. Nous y perdrions
bientôt, en effet, la paix et la tranquillité de l’âme, qui serait dirigée par l’amourpropre, et non par l’amour de Dieu… » ( Vie, p.277)
L’amour propre est si fort en nous ! C’est pourquoi « il ne faut pas s’effrayer de
l’anéantissement et de l’abjection … Rien ne donne tant de force à l’âme pour
s’humilier, se broyer. J’en ai fait l’expérience … Et je puis vous assurer que,
lorsqu’on est descendu un peu profondément dans le mépris de soi-même, on y
trouve des trésors de grâces, de paix, de bonheur. » (Vie, p.510)
L’humilité ! Oui, c’est une voie royale ! Mais elle doit aller avec une amoureuse
confiance. C’est vrai, « on ne meurt pas sans souffrir, car la nature se révolte devant
tout ce qui la crucifie …Mais il faut être confiante dans la bonté de Dieu, qui vient à
son heure. » (Vie, p. 512)
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