Anesthésie du patient adulte en état de choc hémorragique A. Edouard 1, D. Edouard 2 1 2 Service d'anesthésie-réanimation, centre hospitalier de Bicêtre, 94275 Le Kremlin-Bicêtre, Service d'anesthésie-réanimation, hôpital Antoine-Béclère, 92141 Clamart, France POINTS ESSENTIELS · L'efficacité des mécanismes de compensation d'une hypovolémie nécessite l'intégrité du système sympathique. Les hémorragies massives et brutales provoquent une sympathoinhibition. · L'hypoxémie aiguë et chronique entrave le contrôle neurohumoral de la fonction cardiovasculaire. · Le décubitus latéral gauche partiel chez la femme enceinte est la seule modification posturale utile au cours du choc hémorragique. · Malgré le retentissement cardiovasculaire de tous les médicaments, une séquence rapide d'induction (hypnotique-suxaméthonium) est souhaitable chez le patient non encore intubé. · En l'absence de lésion encéphalique ou sous réserve d'un monitorage neurologique adéquat, la base de l'entretien de l'anesthésie est un anesthésique volatil (isoflurane sans protoxyde d'azote) associé à la curarisation. · L'expansion volémique est la base du traitement médical. La perfusion d'un vasopresseur est utile pour renforcer le tonus adrénergique, limiter le volume de solutés perfusé et combattre une éventuelle vasoplégie inflammatoire précoce. · L'anémie aiguë avec hypovolémie entrave l'oxygénation tissulaire et provoque une thrombopathie. Une coagulopathie de consommation est la principale cause de thrombopénie. Une fibrinolyse exagérée est plus importante qu'un déficit en cofacteurs dans un saignement anormal. · Le choc hémorragique et son traitement modifient la pharmacocinétique des médicaments, en particulier ceux de l'anesthésie et les antibiotiques. · L'association hypothermie-acidose-coagulopathie et/ou l'apparition de bradycardie témoignent d'une atteinte des ultimes réserves du patient et imposent une conclusion provisoire de l'intervention. Une intervention chirurgicale, radiologique ou endoscopique d'hémostase chez un patient en état de choc hémorragique nécessite le plus souvent la pratique d'une anesthésie. Les situations les plus fréquemment rencontrées sont les traumatismes graves, les hémorragies abdominales par saignement digestif, intrapéritonéal ou rétropéritonéal et les complications hémorragiques de la grossesse. Si l'anesthésie locorégionale est concevable dans cette dernière circonstance lorsqu'elle a été induite avant l'apparition de l'état de choc, l'anesthésie générale sera le plus souvent adoptée face à une hypovolémie sévère. Il importe d'en définir les modalités simples pour permettre à l'anesthésiste de se consacrer à la réanimation périopératoire, afin de réduire la morbimortalité des patients. La connaissance des mécanismes d'homéostasie cardiovasculaire en fonction du patient est un préalable à la qualité de la prise en charge. RAPPEL PHYSIOPATHOLOGIQUE Sujet sain Le contrôle neurohumoral, à court terme, de la pression artérielle tend à assurer la stabilité du volume télédiastolique des cavités ventriculaires et à redistribuer le débit d'éjection du ventricule gauche vers des territoires vasculaires à haut niveau métabolique, tels le cœur et le cerveau [1]. Au cours de la survenue d'une hémorragie, les volumes sanguins de réserve, essentiellement mésentériques sont mobilisés vers le compartiment vasculaire central pour maintenir le remplissage ventriculaire malgré le raccourcissement de la diastole lié à la tachycardie réflexe [2] [3]. Cette mobilisation résulte de la veinoconstriction active et passive ; cette dernière provient de l'élasticité des veines dont la réduction de capacité est facilitée par une moindre distension en raison du faible flux secondaire à la vasoconstriction artériolaire d'amont. Cette vasoconstriction précapillaire contribue au maintien de la pression artérielle. Elle concerne d'abord les circulations musculocutanée et hépatosplanchnique expliquant l'ampleur de l'élévation de la lactatémie au cours du choc hypovolémique et la valeur pronostique de sa normalisation rapide. La vasoconstriction respecte longtemps les circulations cérébrale et coronaire. Ainsi, en l'absence de pathologie encéphalique aiguë, une hypotension artérielle sévère et prolongée ne s'accompagne pas d'anomalies histologiques ou fonctionnelles cérébrales [4]. En revanche, au niveau myocardique, des lésions endocardiques d'hypercontraction sont décrites ; elles concourent à une dysfonction diastolique ventriculaire et se traduisent par une mise en circulation de troponine cardiospécifique [5] [6] [7]. La vasoconstriction veineuse et artérielle est noradrénergique par la libération du tonus sympathique vasculaire secondaire à une levée de l'inhibition tonique du baroréflexe carotidoaortique activé par la pression artérielle et du baroréflexe cardiopulmonaire activé par le volume des cavités cardiaques. En l'absence de déplétion sodée, l'angiotensine II et la vasopressine ont un rôle limité. Au niveau du réseau capillaire, la réduction de pression hydrostatique intravasculaire provoque un mouvement liquidien vers le vaisseau à partir de l'interstitium et des lymphatiques, restaurant partiellement le volume plasmatique circulant (jusqu'à la moitié d'une perte limitée à 20 % du volume sanguin), créant l'hémodilution et maintenant la protidémie. Cette réduction de volume interstitiel facilite l'oxygénation cellulaire en raccourcissant la distance de diffusion de l'oxygène à partir des vaisseaux. L'endothélium vasculaire, par la production de monoxyde d'azote, module la vasoconstriction adrénergique et atténue la demande métabolique cellulaire. Lorsque l'hémorragie est massive ( 30 % du volume sanguin circulant) et brutale, une sympatho-inhibition succède à la stimulation adrénergique. Cette inhibition est le fait d'une tension extrême des barorécepteurs ventriculaires liée à un résidu télésystolique virtuel et/ou la conséquence d'une activation paradoxale des barorécepteurs artériels liée à une vasoconstriction périphérique intense [8]. Malgré une libération massive d'adrénaline médullosurrénalienne, d'angiotensine II et de vasopressine, bradycardie et vasoplégie conduisent au collapsus cardiovasculaire [9]. Grossesse normale Au cours de la grossesse normale, un débit cardiaque élevé est nécessaire à la perfusion nourricière de l'unité utéro-placento-fœtale [10]. Cela est obtenu par la conjonction d'une tachycardie de repos et d'une augmentation du volume plasmatique liée à une stimulation du système rénine-angiotensine-aldostérone d'origine œstrogénique, créant une anémie de dilution. Une vasodilatation artérielle périphérique facilite l'éjection ventriculaire et se traduit par une pression artérielle plus basse que celle mesurée en dehors de la grossesse. La réduction du tonus vasculaire et l'atténuation de l'effet des substances vasoconstrictrices sont liées à une production accrue de monoxyde d'azote grâce à une stimulation de la NO-synthase endothéliale et de l'induction d'une NO-synthase, en particulier dans l'unité utéroplacentaire [11]. Malgré l'entrave à la circulation veineuse par l'utérus gravide, le retour sanguin vers le cœur est maintenu par une augmentation du tonus veineux des membres inférieurs. L'adéquation des mécanismes compensatoires de l'hypovolémie est attestée par l'absence d'hypotension orthostatique au cours de la grossesse normale. Leur sollicitation permanente réduit toutefois la réserve cardiovasculaire de la femme enceinte face à une hémorragie. Certaines caractéristiques respiratoires de la femme enceinte facilitent le développement de l'hypoxémie maternelle et contribuent à l'hypoxie fœtale : une réduction de la capacité résiduelle fonctionnelle contrastant avec une demande périphérique élevée en oxygène, un déplacement céphalique du diaphragme, un cardia incompétent et une vidange gastrique incomplète facilitent les régurgitations de liquide digestif [12]. Une augmentation de l'activité fibrinolytique au cours de l'accouchement accélère l'apparition des coagulopathies au cours des hémorragies péri-partum [13]. Interférences pathologiques et pharmacologiques Dans certaines circonstances, l'efficacité du contrôle neurohumoral de la pression artérielle est réduite ou la transition vers la phase sympatho-inhibitrice est favorisée : le vieillissement, la toxémie gravidique, une pathologie sous-jacente (cardiopathie, cirrhose, dysautonomie neurovégétative), un médicament (alpha ou bêta bloquant, inhibiteur de l'enzyme de conversion, antagoniste des récepteurs à l'angiotensine II, inhibiteur calcique), une intoxication (par exemple, l'alcoolisme aigu ou chronique) [14] [15]. Le contrôle réflexe de la fonction cardiovasculaire est altéré chez les patients avec une pathologie pulmonaire chronique hypoxémiante [16]. L'hypoxémie aiguë facilite l'apparition d'une syncope vasovagale au cours de l'hypovolémie modérée au travers d'une moindre libération de noradrénaline, par les terminaisons nerveuses sympathiques [17] et/ou d'une vasodilatation liée à l'adaptation métabolique régionale [18]. L'oxygénothérapie active le baroréflexe artériel et ralentit le cœur [19] [20]. Les médicaments de l'anesthésie, en particulier les hypnotiques, interfèrent avec les mécanismes compensatoires de l'hypovolémie. Chez le sujet normovolémique, un nouvel état d'équilibre s'établit sous anesthésie générale, grâce à une adaptation cardiovasculaire à la réduction de la demande tissulaire. En cas d'hypovolémie, les médicaments de l'anesthésie rendent la pression artérielle directement dépendante de la perte volumique, en raison de leurs effets cardiodépresseurs et vasodilatateurs ainsi que de leur action sur chaque composante des arcs réflexes (mécanorécepteurs, centres vasomoteurs, transmission ganglionnaire et neuroeffectrice des fibres sympathiques efférentes) [21]. Les caractéristiques de la technique d'anesthésie idéale chez le patient hypovolémique seront une simplicité d'application, une stabilité de l'effet pendant l'intervention d'hémostase, une facilitation de l'assistance ventilatoire, une interférence minimale avec les mécanismes homéostatiques et une absence d'interaction médicamenteuse avec les médicaments sympathomimétiques. PÉRIODE OPÉRATOIRE L'abord des voies aériennes et la nécessité d'une anesthésie de qualité, pour éviter la réminiscence de l'acte opératoire par le patient, sont des caractéristiques importantes de l'anesthésie du sujet en état de choc hémorragique [22] [23]. Décrire séparément l'anesthésie et la réanimation de la prise en charge est utile pour l'exposé, mais ces deux activités doivent être menées simultanément dans la réalité. Mesures générales Ambiance L'intervention d'hémostase doit suivre immédiatement l'induction de l'anesthésie. Celle-ci est réalisée en salle d'opération ou, à défaut, le transfert dans cette salle doit nécessiter le minimum de manipulation. L'accueil du patient en état de choc hémorragique peut, par exemple, se faire directement sur la palette de la table d'opération. Une température ambiante supérieure ou égale à 24 °C est recommandée pendant la prise en charge ; les matelas à eau chauffants sont contre-indiqués chez les patients en état de choc en raison de la possibilité de brûlures au niveau des tissus hypoxiques comprimés. L'équipe chirurgicale doit être prête à intervenir au cours de l'induction anesthésique pour contribuer à la réanimation (massage cardiaque, clampage aortique, assistance circulatoire, trachéotomie) en cas de décompensation cardiorespiratoire du patient. C'est pourquoi la mise en place des champs précède parfois l'induction anesthésique. La répartition des tâches au sein de l'équipe médicochirurgicale doit permettre à l'anesthésiste de disposer de deux personnes pour l'aider. Position Des modifications de posture (position déclive tête basse ou surélévation des membres inférieurs) sont souvent pratiquées chez le patient en état de choc hémorragique. Le volume de sang mobilisé vers le compartiment central est faible : 150 mL chez le sujet normovolémique [24]. Ce transfert sanguin limité augmente l'éjection du ventricule gauche sain [25]. En cas de dysfonction diastolique du ventricule gauche, son éjection est inchangée, tandis qu'une dilatation du ventricule droit s'accompagne d'une réduction de sa fraction d'éjection [26]. Au cours du sepsis, la position de Trendelenburg améliore de façon inconstante l'état hémodynamique en raison d'un probable stockage de sang dans le compartiment vasculaire mésentérique [27] [28]. Chez des patients hypovolémiques, la position déclive [24], comme l'application d'un pantalon antichoc [29] [30], élève la pression artérielle par une vasoconstriction périphérique et non par une augmentation du débit cardiaque secondaire à une élévation de la pré-charge ventriculaire. Finalement, les modifications de posture sont peu efficaces et ne doivent pas être utilisées, d'autant qu'elles peuvent aggraver l'état respiratoire du patient. De plus, des lésions nerveuses périphériques, ou un syndrome compartimental au niveau des membres inférieurs compliquent une compression prolongée ou une traction excessive chez un patient hypotendu, anémique et placé en position déclive avec surélévation des jambes [31]. Le décubitus latéral gauche partiel chez la femme enceinte à partir de la 20e semaine d'aménorrhée est finalement la seule mesure posturale indispensable à pratiquer [32]. Elle est réalisée par une bascule latérale du bassin (~15°) grâce à la mise en place d'un coussin. Elle prévient l'hypotension artérielle observée en position couchée, liée à la compression cave inférieure et responsable d'une souffrance fœtale, d'autant plus sévère qu'il existe une compression aortique simultanée. Bien que le décubitus latéral gauche soit plus efficace que la mobilisation externe de l'unité utéroplacento-fœtale pour prévenir ce syndrome aorto-cave, il n'est pas toujours compatible avec l'acte chirurgical. Bilan préopératoire Le bilan préopératoire du patient en état de choc hémorragique est souvent réduit lorsqu'il s'agit d'une admission directe. Certains renseignements méritent d'être obtenus en se souvenant de l'acrostiche « AMPHI », adapté des ATLS Guidelines : allergies, médicaments habituels, passé médical, horaire du dernier repas, itinéraire du patient depuis le début de l'hémorragie. L'examen clinique évalue la difficulté de l'intubation trachéale et la possibilité de complications, en particulier secondaires à une lésion du rachis cervical chez un patient traumatisé [33]. Le bilan biologique comprend des examens pertinents pour la prise en charge immédiate, selon la pathologie en cause et/ou utiles comme référence pour le suivi biologique postopératoire (groupe sanguin, numération globulaire, étude biologique de l'hémostase, ionogramme sanguin, créatininémie, enzymologie hépatopancréatique et musculaire, gazométrie, recherche de toxiques, diagnostic biologique de grossesse). Les conditions de distribution des produits sanguins doivent être clairement définies dans chaque établissement. Pour économiser les concentrés érythrocytaires O Rh négatif, la première détermination du groupe sanguin est faite sur des prélèvements pratiqués par l'équipe préhospitalière, sur du sang épanché ou par une technique de prélèvement microcapillaire. Anesthésie Patient non intubé Le choix des médicaments de l'induction est sujet à controverses, car aucune substance ne provoque une perte de conscience en préservant spontanément une perfusion adéquate chez un patient en état de choc hémorragique. En général, les posologies doivent être diminuées en raison de concentrations plasmatiques élevées (réduction du volume de distribution, dilution des protéines plasmatiques) et de besoins réduits (redistribution préférentielle du flux sanguin vers le cerveau, hypoxie et hypothermie encéphaliques) [34]. Malgré le risque cardiovasculaire, il est le plus souvent légitime d'administrer un hypnotique au patient avant l'intubation trachéale pour éviter une éventuelle élévation de pression intracrânienne et prévenir de possibles réminiscences, malgré une apparente altération de la conscience. Le thiopental reste la molécule de référence ; sa mauvaise réputation historique est liée à des posologies inadéquates chez des blessés non réanimés. L'hypotension artérielle secondaire à son injection est due à une vasodilatation artérielle et veineuse [35] et à un effet inotrope négatif, à interpréter en fonction d'une puissante réduction du tonus sympathique [36]. Le thiopental est utile chez les traumatisés encéphaliques par son effet anticonvulsivant et le fait qu'il réduit la pression intracrânienne (PIC) et la consommation d'oxygène cérébrale (CMRO2) [22]. Une posologie moyenne de 2,5 mg · kg-1 est recommandée. La kétamine est volontiers présentée comme l'hypnotique idéal pour le patient en état de choc hypovolémique [37]. Elle a toutefois un effet cardiodépresseur direct [38] et la libération de catécholamines et d'angiotensine qu'elle provoque s'accompagne d'une hypotension, d'une bradycardie et d'une réduction du volume d'éjection systolique chez l'animal hypovolémique [39] [40]. Dans cette circonstance, elle provoque une acidose métabolique plus importante que le thiopental, à détérioration cardiovasculaire comparable [40]. Chez le traumatisé encéphalique, en l'absence d'injection concomitante de benzodiazépine ou de thiopental, une élévation de la PIC par augmentation du débit sanguin cérébral (DSC) peut contrebalancer l'effet protecteur de la kétamine vis-à-vis de l'ischémie neuronale [41]. Cet effet bénéfique est attribué au blocage des récepteurs au M-méthyl-Daspartate (NMDA), à la prévention de la cytotoxicité du glutamate extracellulaire et à l'inhibition du recaptage des catécholamines [42]. La posologie de kétamine intraveineuse recommandée chez le patient en état de choc hémorragique est comprise entre 0,5 à 1,5 mg · kg-1. Si l'étomidate n'a pas d'effet cardiodépresseur, il reste vasodilatateur et abaisse la pression artérielle [43] [44]. Il représente une alternative au thiopental [45]. L'inhibition de la 11-bêta-hydroxylation constitue un risque théorique. L'étomidate est recommandé chez le traumatisé encéphalique (réduction du DSC et de la PIC adaptée à la CMRO2, effet anticonvulsivant global malgré la possibilité d'une activité EEG paroxystique transitoire et de myoclonies) [46]. Une dose d'induction de 0,1 à 0,2 mg · kg-1 est recommandée. Finalement, le propofol est indiscutablement moins cardiodépresseur que le thiopental, mais il est beaucoup plus vasodilatateur ; cela rend hasardeuse son utilisation chez le patient hypovolémique [47] [48]. Utiliser l'induction au propofol seul (ou avec un morphinomimétique) pour pratiquer l'intubation trachéale nécessite une posologie élevée (2,5 mg · kg-1) et impose chez un patient hypovolémique un monitorage étroit de la pression artérielle et la perfusion de vasopresseur [49]. L'utilisation d'un myorelaxant améliore la pratique de l'intubation trachéale chez les traumatisés [50]. Le suxaméthonium est la molécule de référence par sa courte durée d'action, même si des posologies élevées de curares non dépolarisants procurent des conditions d'intubation similaires dans le même délai [51]. La rapidité d'intubation trachéale et d'assistance ventilatoire au cours d'une induction en « séquence rapide » compense le risque d'élévation des pressions intra-oculaires et intracrâniennes lié à l'effet propre du suxaméthonium [22]. Une injection intraveineuse de lidocaïne (1,5 mg · kg-1), 3 minutes avant la laryngoscopie, limite l'augmentation de PIC sans majorer l'hypotension artérielle chez le patient à risque. Au cours de l'intubation trachéale chez le patient traumatisé, un assistant à genoux, à la tête du patient, doit assurer manuellement la stabilité axiale du rachis cervical sans traction. Il est en effet nécessaire de retirer, au moins partiellement, le collier de contention pour permettre l'application du masque facial, la compression cricoïdienne, la mobilisation mandibulaire et l'ouverture de bouche. La préoxygénation du patient en ventilation spontanée peut être complétée par des insufflations manuelles après induction de l'anesthésie dans certaines circonstances : traumatisme encéphalique, obésité, grossesse, etc. La manœuvre de Sellick prévient l'inflation gastrique et le risque de régurgitation au cours de ces manipulations [52]. Elle est efficace en présence d'une sonde nasogastrique, maintenue ouverte pendant l'induction anesthésique [53]. La capnométrie des gaz expirés est utile pendant la préoxygénation et au décours immédiat de la mise en place de la sonde d'intubation. La ventilation mécanique est précocement instituée pour libérer l'anesthésiste et permettre un monitorage respiratoire efficace. Le risque de pneumothorax peropératoire démasqué par la ventilation en pression positive intermittente doit toujours être évoqué, même si un contrôle radiologique a été pratiqué au décours de l'induction anesthésique. Une élévation de la pression des voies aériennes et une récurrence de l'hypotension artérielle sont des signes d'alarme au cours d'une anesthésie stable et d'une réanimation efficace [22]. Patient intubé - Entretien de l'anesthésie En raison de la qualité des soins préhospitaliers et dans les services d'accueil des urgences, les patients en état de choc hémorragique arrivent parfois intubés en salle d'opération. Tenant compte des circonstances dramatiques dans lesquelles l'intubation a pu être pratiquée, l'anesthésiste doit vérifier la position de la sonde, en discuter l'adéquation (taille, armature, double-lumière) et, à nouveau, évoquer la possibilité d'un pneumothorax. La nécessité d'une radiographie ou d'une vision scopique du thorax est impérieuse malgré les données de l'auscultation et de la capnographie [22]. À ce stade, des médicaments de l'anesthésie doivent souvent être administrés chez le patient pour procurer l'amnésie avant le début des procédures douloureuses et pour prévenir les réactions cardiovasculaires et la toux liées à la sonde d'intubation et à la ventilation mécanique. Dans la circonstance fréquente où l'état hémodynamique est instable, de faibles doses de morphinomimétiques (bolus itératifs de fentanyl, 50 g, ou de sufentanil, 5 g) sont préférées aux benzodiazépines et associées à la curarisation. Bien que le choc hémorragique ne modifie pas les propriétés mécaniques thoracopulmonaires [54], le terrain, les lésions en cause, l'anesthésie générale et l'expansion volumique justifient un ventilateur d'anesthésie puissant, en mesure de prélever l'air ambiant ou pourvu d'un circuit d'alimentation en air médical pour substituer un mélange gazeux air/oxygène au mélange oxygène/protoxyde d'azote. La bonne tolérance cardiovasculaire du protoxyde d'azote a été décrite chez le patient normovolémique, où l'effet dépresseur myocardique direct du gaz est contrebalancé par une légère stimulation sympathique. En cas d'hypovolémie, le protoxyde d'azote entraîne une dégradation hémodynamique et métabolique comparable à celle d'une administration équipotente d'halothane [55]. Le risque d'une augmentation de volume des cavités ou d'épanchements aériques, lié à la diffusion de ce gaz, et les conséquences d'une réduction de la fraction d'oxygène dans le mélange gazeux inspiré (FIO2) chez des patients susceptibles de présenter une détérioration rapide de l'échangeur pulmonaire font récuser l'emploi du protoxyde d'azote chez le patient en état de choc hémorragique en particulier d'origine traumatique. Les anesthésiques volatiles halogénés sont les agents de choix des patients ayant une hémorragie lorsque l'état hémodynamique se stabilise, car ils fournissent une analgésie, une amnésie et un certain degré d'immobilisation à concentrations appropriées dans le mélange gazeux inspiré. La titration de leur effet est rapide [22]. L'isoflurane est la molécule de référence en raison d'un faible métabolisme dans l'organisme (0,17 %) et d'un effet secondaire essentiellement vasodilatateur, prévisible et contrôlable. La concentration alvéolaire minimale (CAM) est réduite par l'hypoxie et l'anémie [56] et la captation de l'isoflurane est augmentée au cours de l'hypothermie en raison d'une solubilité gaz/sang accrue [57]. L'effet arythmogène de l'adrénaline intraveineuse au cours de l'anesthésie par l'isoflurane est faible chez l'homme [58] ; la perfusion de vasopresseur permet ainsi de contrôler la vasodilatation induite par l'isoflurane, en sachant qu'une augmentation de la CAM a été décrite pour l'éphédrine à cause d'une libération encéphalique de noradrénaline [22]. L'isoflurane déprime la CMRO2 autant que les barbituriques. L'autorégulation du DSC et la réactivité vasculaire au CO2 sont conservées jusqu'à 1,5 CAM chez le sujet normovolémique et l'augmentation minime du DSC observée sous isoflurane est très inférieure à celle engendrée par l'halothane et l'enflurane. Toutefois, une élévation de PIC est possible par augmentation du DSC et veinodilatation ; associée à une éventuelle majoration de l'hypotension artérielle, elle peut limiter l'emploi de l'isoflurane, en l'absence de monitorage neurologique multimodal chez un patient susceptible de développer une hypertension intracrânienne. Dans cette circonstance, les morphinomimétiques sont recommandés comme alternative ou en association avec l'isoflurane, dont ils réduisent la CAM [59], en sachant qu'une concentration de 0,6 semble nécessaire pour prévenir une éventuelle réminiscence [60]. La durée d'une intervention d'hémostase dépasse souvent 2 heures et permettrait de choisir le pancuronium comme premier curare chez le patient intubé. Cependant, l'administration du pancuronium entraîne une majoration de l'hypotension associée à une tachycardie chez les patients en état de choc hypovolémique hémorragique [61]. Le choix d'un curare de durée intermédiaire est ainsi légitime. En cas d'acidose métabolique, l'orientation du métabolisme des benzylisoquinolines (atracurium, cisatracurium) vers l'hydrolyse par les estérases aux dépens de la voie d'Hoffman n'est pas un argument déterminant pour préférer les curares stéroïdes (vécuronium, rocuronium). En raison des incertitudes concernant la pharmacologie des curares chez ces patients à bas débit tissulaire et volume de distribution incertain, le monitorage de la curarisation est recommandé. Réanimation peropératoire La prise en charge du patient commence souvent avant l'induction anesthésique et inclut une assistance ventilatoire adaptée à l'état du patient. La valeur de la FIO2 est ajustée pour obtenir une SpO2 95 %. L'application d'une faible pression positive téléexpiratoire (3-5 cmH2O) est de pratique courante, bien qu'elle ne contribue pas à une réduction de l'incidence des complications respiratoires post traumatiques, qu'elle prévient incomplètement les embolies gazeuses liées à une plaie de veine cave inférieure ou sus-hépatique et qu'elle peut favoriser les embolies gazeuses à point de départ veineux pulmonaire, en présence d'un traumatisme thoracique. La réanimation peropératoire consiste surtout au traitement médical de l'état de choc et à la prévention des complications secondaires. Traitement médical de l'hypovolémie hémorragique Le choix des abords vasculaires a une importance considérable. Le cathétérisme artériel est le plus souvent nécessaire pour mesurer la pression artérielle et obtenir des prélèvements sanguins. L'artère fémorale est le site recommandé chez le patient en état de choc hypovolémique pour réduire le risque et la gravité des complications ischémiques. L'héparinisation du soluté de perfusion du cathéter artériel n'est pas recommandée pour les cathétérismes d'une durée inférieure à 48 heures chez un patient aux antécédents médicochirurgicaux parfois inconnus [62]. La mesure de la pression artérielle, réalisée par un cathéter fémoral considéré comme central, est plus fiable que celle utilisant un cathéter radial [63] [64]. Jusqu'à une taille de 5F, les cathéters artériels ne posent pas de problème de retrait et constituent un accès pour un éventuel traitement endovasculaire [65]. Le clampage aortique thoracique ou abdominal, pose le problème d'un second cathétérisme ou d'une mesure transitoire oscillométrique de la pression au niveau du membre supérieur. Le cathétérisme veineux fémoral (de calibre 7F) est un appoint indiscutable aux deux cathéters courts antébrachiaux (de calibre 16G), recommandés au cours de la prise en charge initiale. C'est un abord vasculaire rapide à réaliser, sans complications et très efficace. Il doit être prudent chez la femme enceinte, contre-indiqué en cas d'interruption cave inférieure ou de plaie abdominopelvienne. Les abords du territoire cave supérieur doivent être conservés en cas de clampage cave inférieur peropératoire. L'utilisation doit être contrôlée au cours de la chirurgie du rachis dorsolombaire car la ligne vasculaire peut être déformée ou déconnectée et la compression abdominale peut favoriser une surpression dans les plexus veineux duremériens. Le cathétérisme veineux périphérique sur un membre fracturé peut augmenter le risque de syndrome des Loges [22]. Une identification claire des lignes vasculaires est nécessaire pour éviter les injections intra-artérielles. Le recours à une dénudation veineuse doit toujours être possible et préféré à des abords vasculaires inefficaces ou parfois dangereux. La pression artérielle est l'objectif thérapeutique principal. En l'absence de lésion aiguë du système nerveux central, une hypotension artérielle relative est tolérée pour éviter de majorer le saignement dans l'attente du geste d'hémostase. L'objectif de pression artérielle systolique est 80-90 mmHg et correspond au seuil d'autorégulation des circulations cérébrale et coronaire en l'absence de lésions spécifiques [66]. Chez les patients âgés ou présentant une cardiomyopathie ischémique ou hypertensive et chez les patients souffrant d'un traumatisme cranio-encéphalique, l'objectif de pression artérielle systolique devient 110-120 mmHg. La capnographie des gaz expirés est un guide thérapeutique d'appoint : le gradient entre les pressions partielles de CO2 dans le sang artériel (PaCO2) et le gaz téléexpiré (PETCO2), chez un patient sous anesthésie générale et ventilation mécanique, est normalement supérieur à 6 mmHg. L'élévation du gradient par réduction de la PETCO2 dépend essentiellement d'une augmentation de l'espace mort ventilatoire par réduction du débit cardiaque si la ventilation minute reste constante et la production périphérique de CO2 reste stable [67]. Une PETCO2 supérieure à 28-30 mmHg est un second objectif thérapeutique lorsque la PaCO2 est maintenue entre 35 et 40 mmHg par la ventilation mécanique [68]. L'expansion volumique est la base du traitement. Un réchauffeur des liquides perfusés doit être utilisé ; son efficacité est limitée par le débit nécessaire et la perte de chaleur au niveau de la ligne entre le réchauffeur et le patient. La perte de chaleur et l'abaissement thermique sont de 17 kcal et de 0,29 °C par litre de soluté cristalloïde à 20 °C et de 30 kcal et de 0,42 °C pour un concentré érythrocytaire à 4 °C. Les solutés cristalloïdes sont légitimement employés en première intention ; la solution de Ringer lactate est la référence en l'absence d'insuffisance hépatique, d'hyperkaliémie et de lésion aiguë du système nerveux central en raison de son contenu en base, en potassium et de son hypotonicité [69] [70]. Au-delà de 2 000 mL de soluté cristalloïde, ou d'emblée si la pression artérielle systolique est inférieure à 80 mmHg, le recours aux solutés colloïdes de synthèse est recommandé [71]. L'effet de dilution des transferts liquidiens internes et des perfusions de solutés de remplissage se manifeste d'abord sur les globules rouges et les plaquettes. Une concentration plaquettaire inférieure ou égale à 100 · 109 · L-1 est atteinte lorsque la perfusion de solutés dépasse 100 à 150 % du volume sanguin estimé [72]. Cependant, un saignement microvasculaire diffus, coïncidant avec une thrombopénie, implique plus un phénomène de consommation qu'une simple dilution dans ce contexte [73]. De plus, la fonction plaquettaire est inversement corrélée avec l'hématocrite : une thrombopathie existe lorsque celui-ci est inférieur à 22 % [74]. Pour garantir l'oxygénation tissulaire et préserver l'hémostase primaire, dans ce contexte d'insuffisance circulatoire aiguë, la transfusion de concentrés érythrocytaires et plaquettaires a pour objectif un hématocrite compris entre 25 et 30 % et une numération plaquettaire supérieure à 75 · 109 · L-1 en l'absence de possibilité de saignement intracrânien [75]. Dans ce dernier cas, une numération plaquettaire supérieure à 100 · 109 · L-1 est habituellement recommandée [76]. L'insuffisance coronarienne instable pourrait être la seule contre-indication à fixer, comme limite supérieure à la transfusion sanguine, une hémoglobine entre 7 et 9 g · dL-1 chez un patient normovolémique [77]. La récupération, le traitement et la retransfusion du sang épanché doivent être utilisés le plus souvent possible. Les besoins en plasma frais sont moins prévisibles car les cofacteurs labiles V et VIII ont une grande variabilité interindividuelle de concentration et une concentration basse (jusqu'à 20 % de la valeur normale) ne provoque pas obligatoirement de saignement anormal si l'hématocrite et la numération plaquettaire sont normaux [75]. Fondée sur des études de l'hémostase biologique, la transfusion de plasma est recommandée pour maintenir un temps de Quick 50 % (< 1,8 témoin). Un rapport de deux plasmas pour cinq concentrés érythrocytaires est proposé comme schéma transfusionnel empirique, en dehors d'une coagulopathie établie [75]. La perfusion de fibrinogène (0,1 g · kg1 ) est utile lorsque la concentration circulante est inférieure à 1 g · L-1 en raison principalement de l'effet de dilution [78]. Le rôle d'une fibrinolyse exagérée est probablement supérieur à celui du déficit des facteurs de la coagulation au cours des saignements anormaux en l'absence de choc ; cela justifie une approche médicamenteuse (aprotinine, antithrombine III). Le bénéfice de la transfusion d'hémoglobine libre, chez le patient en état de choc hémorragique, est en cours d'évaluation. Les catécholamines ne sont pas toujours utilisées précocement au cours du choc hypovolémique sous le prétexte que le patient a déjà un tonus sympathique élevé [79] et qu'une utilisation abusive des vasopresseurs peut nuire à la perfusion viscérale [80]. Toutefois, la volonté d'une efficacité thérapeutique rapide, le souhait de limiter le volume liquidien perfusé, la possibilité d'une vasoplégie précoce liée à l'inflammation et contribuant à l'hypotension artérielle, indiquent fréquemment la perfusion d'une catécholamine, en l'occurrence la dopamine. Au-delà d'une posologie de 7 g · kg-1 · min-1, en l'absence de tachycardie surajoutée et de saignement évolutif, il est nécessaire d'étendre le monitorage cardiovasculaire pour analyser la situation. Prévention des complications secondaires Il appartient à l'anesthésiste d'administrer certains médicaments destinés à prévenir des complications postopératoires, comme l'infection ou l'hémorragie utérine récurrente. L'évaluation peropératoire du patient influence la nature de l'intervention d'hémostase pour éviter des prolongations inutiles. L'infection postopératoire est favorisée par les modifications immunologiques liées à l'état de choc hémorragique [81]. Il est nécessaire d'adapter la posologie de l'antibiothérapie correspondant à la pathologie en cause, en tenant compte de l'augmentation du volume de distribution et des pertes sanguines, pour que des concentrations tissulaires efficaces soient atteintes au niveau des foyers opératoires. Augmentation des doses et rapprochement des injections sont les adaptations nécessaires [82]. L'administration de médicaments utérotoniques est une partie importante du traitement des hémorragies du post-partum. Les effets secondaires des médicaments usuels (ocytociques, dérivés de l'ergot de seigle, prostaglandines) doivent être connus. L'oxytocine (Syntocynon®) est la plus utilisée en première intention. La voie d'administration est intramusculaire, intraveineuse, voire intramurale en cas d'atonie utérine résistante aux autres voies d'administration. La dose intraveineuse de charge (0,1 à 0,2 U · kg-1) est suivie d'une perfusion continue de 0,2 U · kg-1 · h-1. L'action de la dose de charge est immédiate et dure 45 minutes. Une injection trop rapide peut entraîner une hypotension artérielle transitoire, par vasodilatation systémique. Une réaction anaphylactoïde à l'oxytocine est possible. Une altération du pouvoir de dilution des urines avec rétention hydrique est liée à la propriété ADH-like de l'oxytocine administrée à fortes doses diluées dans des solutés hypotoniques. La méthylergométrine (Méthergin®) est moins utilisée en raison de la fréquence des effets secondaires cardiovasculaires : hypertension artérielle par vasoconstriction périphérique avec possibilité de survenue d'un œdème pulmonaire, d'une nécrose myocardique, d'une défaillance cardiaque, voire d'ischémie distale des membres. L'ergométrine peut induire également un œdème ou une hémorragie méningée révélés par des crises convulsives. Bronchospasme et vomissements sont également observés. Si l'atonie utérine persiste, même après une injection intramurale, l'administration d'analogue de prostaglandine ne doit pas être retardée. Deux types de molécules sont utilisables, il s'agit de la PGF2 (Prostine® F2 alpha) et de la PGE2 (sulprostone, Nalador®). Actuellement, l'utilisation de la PGE2 est plus fréquente en France, en raison de son activité utérotonique puissante et de ses moindres effets cardiovasculaires et respiratoires ; la PGF2 est vasoconstrictrice et bronchoconstrictrice. Les voies d'administration proposées pour le sulprostone sont également intramusculaire, intraveineuse ou intramyométriales. La voie intraveineuse continue est la voie recommandée. Bien que la perfusion de 100 g · h-1 soit le plus efficace, il est souvent nécessaire de commencer par une dose de charge allant de 200 à 500 g pendant la première heure de perfusion, sans dépasser la posologie de 500 mg · h-1. À ces doses, les complications les plus souvent rapportées sont les nausées et les vomissements, une hyperthermie à 38,5 °C (par stimulation directe de la PGE2 sur les centres thermorégulateurs). À fortes doses peuvent apparaître des effets cardiovasculaires à type d'hypotension artérielle par vasodilatation. Cette chute de pression artérielle potentialise la chute du débit coronarien, liée au choc hémorragique et peut être à l'origine d'insuffisance coronaire aiguë. Une défaillance multiviscérale est la complication principale des états de choc hémorragiques sévères. En traumatologie, elle est fréquemment observée au décours d'interventions majeures exhaustives, dont les conséquences s'ajoutent aux attritions tissulaires liées au traumatisme lui-même et débordent les possibilités physiologiques du patient [83]. Les limites adaptatives sont décrites comme « l'enveloppe physiologique » du patient [84]. La thermorégulation est au centre de cette enveloppe avec l'équilibre acidobasique et l'équilibre entre fibrinoformation et fibrinolyse. L'hypothermie volontaire et contrôlée peut être bénéfique en termes de limitation des lésions ischémiques cérébrales au cours du choc hémorragique expérimental [85] ou de la prise en charge des traumatismes encéphaliques sévères [86]. L'hypothermie involontaire est proportionnelle à la gravité des lésions et sa prolongation traduit une insuffisance circulatoire non contrôlée et suggère une hypoxie tissulaire [22]. Un cercle vicieux hypothermie-acidose-coagulopathie serait à l'origine ou coïnciderait avec des lésions tissulaires irréversibles ; un pH du sang artériel inférieur à 7,20 et une température centrale inférieure à 34 °C sont des facteurs prédictifs de coagulopathie [87]. Une température centrale inférieure à 32 °C est constamment léthale au cours des urgences hémorragiques abdominales [88]. Une température en dessous de 34 °C ralentit les fonctions des enzymes de l'hémostase et des plaquettes, sans modifier la fibrinolyse [89] et ces effets s'ajoutent aux conséquences de la dilution [90] qu'elle favorise en augmentant les besoins en solutés de remplissage [65]. Malgré les progrès technologiques, la salle d'opération reste un environnement défavorable pour l'homéostasie des patients en état de choc hémorragique [83]. L'irréversibilité d'une hypothermie, l'existence d'une acidose métabolique, l'apparition d'un saignement anormal avec coagulopathie, comme des épisodes de bradycardie témoignent d'une atteinte de l'enveloppe physiologique et justifient une limitation de la durée opératoire [9]. Cette conclusion brutale d'une intervention inachevée avec acceptation d'une réparation anatomique incomplète s'oppose aux valeurs chirurgicales traditionnelles et est qualifiée de damage control [83]. Un transfert précoce en unité de réanimation permet une stabilisation de l'état du patient pour permettre une réintervention programmée dans de bonnes conditions [91]. PÉRIODE POSTOPÉRATOIRE Sans préjuger de la pathologie en cause, trois situations sont possibles au terme de l'intervention d'hémostase. Dans le meilleur des cas, la lésion hémorragique était isolée, elle survenait chez un sujet antérieurement sain et l'intervention a été efficace et définitive. La qualité de l'hémostase médicochirurgicale, la stabilité cardiovasculaire sans support, la normalité de l'hématose sous oxygénothérapie limitée, l'absence de dysfonction viscérale sont les objectifs à atteindre pour autoriser le patient à quitter la salle de surveillance post interventionnelle. Dans le second cas, les limites physiologiques ont été atteintes et l'intervention a été écourtée pour permettre une stabilisation de l'état du patient, dans l'attente d'une intervention définitive. La correction de l'hypothermie est un objectif prioritaire. Les abords vasculaires peuvent être utilisés pour créer un circuit de réchauffement artérioveineux [65]. Le plus souvent, le réchauffement par convection d'air chaud sur un patient couvert est employé : l'efficacité de cette technique dépend de la vasomotricité périphérique (+ 1,5 °C/3 h en cas de vasodilatation contre + 0,9 °C/3 h en cas de vasoconstriction) [92]. Cela souligne l'importance de l'adaptation cardiorespiratoire chez le patient : une extension du monitorage permet d'ajuster la pré-charge ventriculaire en sachant qu'une dysfonction aiguë est possible [5] [93]. Dans cette situation, face à une hémorragie évolutive, l'opinion de l'opérateur est fondamentale pour différencier un défaut d'hémostase chirurgicale des conséquences d'une coagulopathie [91]. En cas de pathologie abdominopelvienne, un état de choc hémorragique traité réduit le seuil de tolérance à une hypertension intra-abdominale [94]. La compression viscérale et vasculaire (syndrome compartimental abdominal) peut contribuer à la prolongation de l'instabilité hémodynamique et avancer l'heure de la réintervention. Finalement, l'intervention peut avoir été efficace et définitive, mais l'état antérieur du patient, la nature des lésions et la sévérité de l'état de choc permettent de prévoir des dysfonctions viscérales postopératoires. Cela est utilisé en traumatologie grâce à la valeur prédictive de l'âge du patient (> 55 ans), du score de sévérité des lésions (ISS > 25), du besoin transfusionnel (> 6 unités/12 h) et de l'existence d'une acidose métabolique (déficit en base > 8 mmol · L-1 ou lactatémie > 2,5 mmol · L-1) [95]. Une adéquation précoce de la fonction cardiovasculaire à l'élévation de la demande périphérique en oxygène en raison du syndrome inflammatoire réactionnel et une normalisation rapide de la lactatémie sont des indicateurs de pronostic. CONCLUSION La prise en charge d'un patient en état de choc hémorragique est un défi pour l'anesthésiste. Elle éprouve l'organisation fonctionnelle de sa pratique. Elle impose le choix d'une technique anesthésique simple et la mise en jeu de méthodes de réanimation élaborées ayant en commun un souci d'efficacité maximale pour réduire la mortalité des patients, souvent jeunes en traumatologie et en gynécologie-obstétrique.