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justement d’exhiber une atténuation et une dénégation par les classes moyennes des rapports sociaux de
domination. En transgressant ostensiblement les codes bourgeois, en mettant en scène une convivialité sans
apprêt, savamment improvisée – les mets ne sont pas cuisinés, la disposition des invités est libre-, on
s’efforce d’immuniser les relations sociales de la domination.
- En matière de consommation et de goûts culturels, la moyennisation se traduit par le passage d’une logique
de distinction à la logique de l’omnivorité (R. Peterson & R. Kern, « Changing highbrow taste : from sob to
omnivore », 1996), de « l’homme pluriel » (B. Lahire). Le clivage entre culture légitime et culture illégitime,
vecteur de domination symbolique, s’estompe.
C) … qui a infléchi le regard de la sociologie sur les relations sociales.
- En sociologie de la culture, C Grignon et J.-C. Passeron (Le savant et le populaire, 1989) ont montré que
l’ethnocentrisme académique était à l’origine d’un biais misérabiliste exagérant la domination culturelle,
tandis que sa dénégation pouvait procéder du biais symétrique du populisme.
- En déplaçant l’unité d’analyse sociologique du système à la relation, l’approche interactionniste révèle que
les relations de pouvoir ne sont pas inscrites dans des normes macrosociales, mais qu’elles sont construites,
négociées par les acteurs sociaux. Ainsi, à l’hôpital, la négociation autour des « dirty jobs » transcende et
modifie les hiérarchies professionnelles des statuts officiels (E. Hughes, Men and their work, 1958)
- L’interactionnisme stratégique partage cette relativisation des mécanismes de domination. Pour rendre
compte de la circulation de l’influence dans les relations sociales, il faut les envisager dans un « système
d’action concret ». Ainsi, se situer au contact de deux sous-systèmes, en position de « marginal-sécant »,
confère un pouvoir spécifique au sein des organisations, celui de l’agent d’entretien des machines dans une
usine taylorisée par exemple (M. Crozier, Le phénomène bureaucratique, 1963). Non seulement les relations
sociales se déploient en débordant les hiérarchies officielles, mais elles sont structurées par des règles elles-
mêmes négociées et jamais complètement imposées, comme le suggère la typologie de J. D. Reynaud
distinguant régulation « de contrôle », « conjointe » et « autonome » (Les règles du jeu, 1989).
- La sociologie des réseaux en cartographiant les relations sociales concrètes sans hiérarchiser leurs pôles pose
les « trous structuraux » (R. Burt, 1992) comme une ressource indépendante des logiques macrosociales de
domination.
II) … n’est que relative…
A) Déprise de la domination ou déplacement du regard sociologique ?
- L’expression « aujourd’hui encore » suggère un déclin historique de la domination. Sur le très long terme, la
division sociale du travail, en démultipliant les relations d’interdépendance, aurait sapé un ordre traditionnel
qui tirait justement sa force de n’être jamais questionné. L’ethnographie discute cette tendance : l’observation
de sociétés dites « primitives » montrerait qu’au contraire la domination serait un fait social moderne (P.
Clastres, La société contre l'Etat, 1974), ou du moins que la concentration du pouvoir varie selon les société
(J.-W. Lapierre, La société contre l’Etat ?, 1976). L’influence marxiste pourrait être à l’origine de la
pregnance de la domination dans l’analyse sociologique, tout particulièrement en France jusqu’à une période
récente.
- Ainsi, même à l’époque où la domination culturelle de classe faisait consensus en sociologie, le témoignage
de R. Hoggart (La culture du pauvre, 1957) mettait en exergue « l’attention oblique », la distanciation des