COURS V
Les figures
1. La définition et les types de figures
L’étude des figures, leur nomenclature, c’est l’héritage des
Anciens. La figure consiste à détourner le sens par un emploi
expressif qui s’écarte de l’emploi canonique de l’unité linguistique.
Citons l’opinion de G. Molinié («le Dictionnaire de rhétorique ») : il
considère qu’il y a figure «lorsque l’effet de sens produit ne se réduit
pas à celui qui est normalement engagé par l’arrangement lexical et
syntaxique occurrent ».
Les orateurs antiques employaient les figures dans leurs discours
pour éveiller et retenir l’attention du public, pour mettre en relief ou
atténuer leurs idées, pour frapper l’imagination par l’originalité de
l’expression et de points de vue. Mais le rôle stylistique des figures
dépasse de beaucoup le champ de la rhétorique, elles s’emploient
partout, surtout dans les textes littéraires et la conversation courante,
on peut les rencontrer dans les textes scientifiques, publicistes,
administratifs, et autres.
Traditionnellement, on distingue quatre catégories de figures :
Figures de diction ou d’élocution, portant sur le Sa, la forme du
mot : assonance, allitération, onomatopée, etc.
Figures de construction, portant sur la structure syntaxique dans
laquelle les mots sont engagés : antithèse, anacoluthe,
constructions parallèles, etc.
Figures de sens ou tropes, portant sur le Sé de certains mots, le
détournement de liens habituels entre le Sa et le visé :
métaphore, métonymie, synecdoque, etc.
Figures de pensée, portant sur le sens global de l’énoncé, il y a
écart entre le sens propre des mots formant cet énoncé et le sens
implicite que cet énoncé reçoit dans le contexte :
personnification, ironie, hyperbole, etc.
G. Molinié répartit les figures en figures microstructurales et
figures macrostructurales. Les premières sont immédiatement
repérables dans le microcontexte, dans un énoncé relativement court,
sont isolables, on peut les réduire à un mot. Ex : « Je n’aime pas les
maisons neuves, leur visage est indifférent » (Sully-Prudhomme). On
reconnaît d’emblée la figure dans le mot visage, car les maisons ne
peuvent pas en avoir. Les figures microstructurales incluent les figures
d’élocution, de construction et les tropes.
Les figures macroctructurales ne se signalent pas
immédiatement, pour les repérer on a besoin du macrocontexte ; elles
ne peuvent pas être réduites à un mot, tout l’énoncé y est entraîné.
Comme exemple, on peut analyser la suite du poème de Sully-
Prudhomme :
Je n’aime pas les maisons neuves
Leur visage est indifférent ;
Les anciennes ont l’air de veuves
Qui se souviennent en pleurant.
Seul, le macrocontexte permet d’interpréter l’énoncé comme une
personnification, les maisons sont représentées comme des êtres
vivants, ayant une physionomie, des sentiments, pouvant pleurer, se
souvenir, etc. Nous voyons que les figures macrostructurales peuvent
avoir pour support les figures microstructurales, dans notre exemple
nous relevons une comparaison «ont l’air de veuves qui... » et deux
métaphores «visage », «indifférent ». Les figures macrostructurales
incluent les figures de pensée et les lieux, «stéréotypes logico-
discursifs », (voir G. Molinié, Dictionnaire de la rhétorique).
Les figures de diction ont été brièvement présentées dans le
chapitre consacré à la phonostylistique.
2. Les tropes (figures de sens)
2a. Le mécanisme du sens figuré. Fonctions et types de tropes
Le même référent peut être désigné directement, par le mot au
sens propre et indirectement, par son indice secondaire : une femme
une panthère. L’appellation panthère est détournée, et le sens
supplémentaire qui apparaît, c'est le sens imagé ou figuré. «Le sens
imagé, c’est la vision cumulée de deux images » (V.G. Gak).
Le trope repose sur l’opposition sens propre sens figu. On
peut représenter ce phénomène ainsi :
Sa panthère
Sé1 Sé2
Sens propre Sens figuré
Animal Femme
Le sens figuré fait l’objet d’étude de deux sciences : la
lexicologie et la stylistique. Aucun stylisticien n’a laissé de côté le
problème de tropes ; impossible de nommer tous les savants qui s’en
occupaient, il faut se résigner à mentionner quelques noms le plus
souvent cités, en commençant par Aristote La Rhétorique ») et
Quintilien (« Institution oratoire »), en passant par les Français
C. Ch. Dumarsais (« Les tropes ») et P. Fontanier (« Les figures du
discours »), sans oublier, J. Cohen (« Structure du langage poétique »),
J. Tamine (« Métaphore et syntaxe »), G. Bachelard L’image
littéraire »), D. Bouverot (« Comparaison et métaphore »), G. Genette
Figures »), M. Le Guern («sémantique de la métaphore et de la
métonymie »), P. Ricœr («la métaphore vive »), I. Tamba-Mecz («le
sens figuré ») et beaucoup d’autres. Parmi les linguistes de notre pays
citons R. Boudagov, V. Vinogradov, K. Dolinine, Z. Khovanskaïa,
V. Gak, etc.,
1
Pour comprendre la nature du sens figuré, considérons les
exemples ci-après :
J’en ai mangé des manuels, des dictionnaires, des textes.
(A. Spire)
J’en ai mangé des huîtres.
Je mangeais en lisant un manuel.
Voici ton manuel. Et mange.
1
Les travaux de nos linguistes étant plus accessibles à l’étudiant russe, nous ne
citons pas ici leurs titres; voir Lectures conseillées (T.P.)
Nous reconnaissons immédiatement un énoncé figuratif : c’est le
premier exemple. Mais grâce à quels indices ? I. Tamba-Mecz estime
que pour cela trois particularités sont pertinentes : l’étendue du trope
(plus qu’un mot), les relations syntaxiques spéciales (la juxtaposition
simple ou des relations canoniques ex. 2, 3 ne suffisent pas à créer
un trope), une situation énonciative déterminée (le quatrième exemple
peut être interprété différemment selon la situation). I. Tamba-Mecz
estime : « Le sens figuré résulte de la combinaison d’au moins deux
unités lexicales engagées dans un cadre syntaxique défini et se
rattachant à une situation énonciative déterminée » («le sens figuré »,
p. 32).
I. Tamba-Mecz distinguait dans la structure interne du trope les
éléments suivants : I. (signifié 2) ; 2. Sa (signifiant) ; 3. base du
rapprochement du et du Sa ; 4. relation logique existant entre et
Sa.
Considérons un exemple : « Ma nuit est un cercueil » (Céline).
Nous y relevons : 1. nuit ; 2. Sa cercueil ; 3. la base du
rapprochement l’idée de la peur : la nuit et le cercueil font peur,
s’associent à la mort, au noir. 4. la relation logique l’identification.
Ch. Bally estimait que la signification figurée peut s’effacer, il
distinguait trois degrés de cet effacement :
Les tropes vivants, occasionnels, à l’emploi unique. L’image
reste vive, nouvelle. Ex. : « L’eau des mares se ride
mélancoliquement » (P. Gamarra).
Les tropes usuels. Ils sont employés par tous les usagers et
figurent dans les dictionnaires. Ex. : La peste, la vache, mon
petit lapin ces mots s’emploient comme des nominations
expressives de l’homme. Même si l’image n’est plus nouvelle,
les valeurs appréciatives, émotionnelles persistent.
Les tropes «morts » ont pratiquement perdu le caractère imagé
de leur signification et s’emploient comme des appellations
directes des objets et des phénomènes de la réalité. Ex. :
trombone (au sens de «скрепка»), punaise (кнопка).
Si la lexicologie ne s’intéresse qu’aux tropes qui font partie du
vocabulaire commun, la stylistique se concentre principalement sur le
premier type de tropes, mais les tropes usuels sont aussi pris en
considération par la stylistique, car ils représentent un moyen
important de caractérisation.
La sphère privilégiée du fonctionnement des tropes les œuvres
littéraires et la communication quotidienne. Ces styles manqueraient
de vie et de relief si on se contentait à exprimer les idées uniquement
par leurs appellations directes.
Les tropes peuvent accomplir les fonctions suivantes dans un
énoncé littéraire :
Exprimer les idées philosophiques de l’auteur ;
Exprimer les idées principales et secondaires du texte ;
Mettre en évidence les motifs des actions des personnages, les
caractériser ;
Exprimer les émotions et les sentiments de l’auteur et des
personnages ;
Exprimer les sentiments complexes qui n’ont pas
d’appellation dans la langue.
Dans le texte littéraire les tropes sont le plus souvent liés entre
eux et forment tout un système.
2b. La comparaison
La comparaison se définie comme un rapport de ressemblance
entre deux objets.
Il existe des comparaisons courantes ou logiques qui rapprochent
des réalités de même nature en vue d’établir l’équation dirigée dans le
sens de l’évaluation rationnelle, précise, objective : Elle est aussi
élégante que sa sœur.
La stylistique étudie les comparaisons imagées qui peuvent être
figées, stables (Il est chauve comme le genou de ma grand-mère, il
court comme le vent, etc.) ou occasionnelles : « Nana flairait l’odeur
des feuilles comme un jeune chien ». (E. Zola). Les comparaisons
imagées rapprochent les réalités différentes par leur nature, elles se
distinguent par l’originalité de cette similitude.
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