ANTHROPOLOGIE SOCIALE ET CULTURELLE,
ANNEE 2010-2011
L’objectif de l’anthropologie n’est jamais de faire contraster notre société avec d’autres. On considère toutes
les sociétés comme des variantes de l’expérience humaine globale.
CHAPITRE 1 : L’ANTHROPOLOGIE AU SEIN DES SCIENCES DE LHOMME ET DE LA
SOCIETE.
SECTION 1 : GENERALITES : LES CONCEPTS DE CULTURE ET DE SOCIETE
A) UN INDIVIDU EST PORTEUR DUNE CULTURE, MEMBRE DUNE SOCIETE
On part du fait qu’un individu n’est pas un sujet isolé, autonome. Il est porteur d’une culture et membre d’une
société. Quand on pense à l’homme on a souvent tendance à effectuer une dichotomie entre l’individu et
l’homme universel (dans l’humanité, dans sa biologie). Ce n’est pas en soi illégitime mais il y a autre chose
entre ces deux pôles qui est le domaine du collectif où se situent la société et la culture. C’est ce qui intéresse
l’anthropologie car dans la vie quotidienne personne n’est seulement un individu et personne ne correspond
uniquement à l’image d’homme universel. Les collectivités sont différentes les unes des autres et construisent
les individus. La façon dont les hommes vont penser le monde est différente selon la collectivité.
On peut donner l’exemple du rapport entre l’homme et la maladie. Dans le pôle individuel on trouve le vécu
individuel de la maladie, ce qui induit la psychologie, la situation personnelle du malade. Déjà ce vécu est in-
fluencé par la société, car on est considéré d’une façon ou d’une autre si on a une maladie contagieuse par
exemple. Dans le pôle universel, on trouve le virus, la transmission. Ce pôle est aussi influencé par la société et
la culture. On peut prendre l’exemple de l’île de la réunion où des épidémiologues ont observé des différences
de contamination par des parasites. Ils ont fait appel à un anthropologue : les différences étaient ethniques :
les foyers habités par des indiens n’étaient pas contaminés de par les pratiques religieuses de cette population.
Dans le domaine du collectif on trouve la façon dont une maladie est perçue, interprétée, expliquée, la façon
dont cette perception conditionne les rapports avec le malade et les remèdes qu’on va chercher.
Le but de l’anthropologie est d’apprendre à regarder le monde à partir d’un regard qui n’est pas le notre.
Sans le savoir, nous sommes modelés par un système qui est autour, un système, une organisation des rap-
ports sociaux. Par exemple, dans les sociétés occidentales, on a la notion de culpabilité, de faute (ce qui en-
traine la psychanalyse) ; ceci est influencé par le judéo-christianisme. Dans les sociétés africaines, on rejette la
faute à l’extérieur.
Dans le quotidien, on sent cette différence.
Le fait de ne pas percevoir le conditionnement par sa culture propre est l’ethnocentrisme. C’est un phénomène
partagé par toutes les sociétés. L’anthropologie nous apprend que notre système de valeur et notre système
social est une possibilité parmi d’autre.
B) CULTURE COMME SYSTEME DE SIGNIFICATIONS. ATTRIBUER UN SENS, UNE VALEUR
Le terme culture a deux acceptions différentes :
1) LA CULTURE COMME ATTRIBUT ESSENTIEL DE LA CONDITION HUMAINE.
Elle apparaît comme quelque chose d’universel, car tous les hommes ont une culture. Cf Polycopié documents
I :
- la culture comme inhérente à la condition humaine collective, Tylor (1871) : « ensemble complexe in-
cluant les savoirs, les croyances, l’art, les mœurs, le droit, les coutumes, ainsi que toute disposition ou
usage acquis par l’homme vivant en société »
- la culture comme la modification par l’homme de la nature, Herskovits (USA, 1er moitié du XXe) : « la
culture est ce qui dans le milieu est dû à l’homme »
- la culture comme modèle de significations, Geertz (1972) : « un modèle de significations incarnées
dans des symboles qui sont transmis à travers l’histoire, un système de conceptions héritées qui
s’expriment symboliquement, et au moyen desquelles les hommes communiquent, perpétuent et déve-
loppent leur connaissance de la vie et leurs attitudes devant elle »
Ce sont trois définitions différentes mais qui ne s’opposent pas, qui se complètent. Une des caractéristiques de
la culture est la faculté symbolique
1
, mais également la transmissibilité.
2) LA CULTURE COMME UNE FAÇON DAPPREHENDER LE MONDE, LES CULTURES
En quoi consistent ces différences ? Peut-on compter le nombre de cultures dans le monde ? Peut délimiter
une culture ?
Il y a des différences d’échelle. Le terme culture est un concept que l’anthropologue va appliquer selon
l’enquête qu’il va faire. Le groupe qu’il étudie est la culture. De ce fait, on ne peut pas compter les cultures.
Lévi-Strauss (1958) : « Nous appelons culture tout ensemble ethnographique qui, du point de vue de l’enquête,
présente, par rapport à d’autres, des écarts significatifs ».
Ecarts significatifs : « Si l’on cherche à déterminer des écarts significatifs entre l’Amérique du Nord et l’Europe,
on les traitera comme des cultures différentes ; mais, à supposer que l’intérêt se porte sur des écarts significatifs
entre (…) Paris et Marseille, ces deux ensembles urbains pourront être provisoirement constitués comme deux
unités culturelles » (Anthropologie structurale, Lévi-Strauss, 1958).
C) LA DIFFERENCE ENTRE CULTURE ET SOCIETE : LA SOCIETE, UN SYSTEME DE RELATIONS
Quand on parle de société, on fait plutôt allusion à des relations entres des individus, entres des groupes, à
la communication. La société c’est le lieu du lien social alors que la culture fournit le modèle de la forme que
doit prendre les relations sociales, c’est un cadre de signification. Cf polycopié documents I.
Exemple : la société de caste en Inde
1
Fait d’attribuer aux objets une signification
SECTION 2 : QUEST-CE QUE LANTHROPOLOGIE ?
C’est une interrogation sur l’étude de l’homme (anthropos : l’homme, logos : le discours) social.
C’est l’étude de la diversité de l’homme comme groupes et comme individu à travers le temps et à travers
l’espace.
Elle a deux grands champs d’observation :
- Anthropologie biologique
- Anthropologie socio-culturelle
Le terme en lui-même apparaît beaucoup plus tard que la Grèce ancienne. Mais les anthropologues font re-
monter les origines de la discipline à cette époque car des auteurs ont écrits sur des sociétés différentes de la
société grecque et notamment Hérodote ; historien et voyageur, il a fait des études sur « les barbares ». Il ac-
cordait beaucoup plus d’attention aux faits qui sortaient de l’ordinaire, il leur donnait ainsi un aspect très
étrange et extraordinaire et les faisait apparaître comme une inversion des valeurs grecques. Elle permet à
Hérodote d’affirmer la valeur et la supériorité de tout ce qui était grec. Le barbare c’était celui qui ne parlait
pas grec (c’est à partir de l’onomatopée « bar » par laquelle les grecs imitaient tous ceux qui ne parlaient pas
grec) mais aussi tout ce qui n’était pas raffiné. Ce n’était pas une position raciste. Cette tendance à se penser
supérieur aux autres n’est pas une exclusivité grecque, ni occidentale. L’ethnocentrisme est présent dans
toutes les sociétés. Dans beaucoup de société, le nom qu’elles-mêmes se donnent correspond au terme
homme et au contraire le terme qui désigne les autres dénigre leur humanité.
ex : les esquimaux s’appellent eux-mêmes : Inuit = homme et les étrangers les Algonkins, ce qui est un mot
étranger (tribus au sud), eux-mêmes appelant les Inuits « esquimaux », ce qui signifie « ceux qui mangent de la
viande crue » (ce qui était méprisé).
A) NAISSANCE DE LA DISCIPLINE
L’anthropologie se forge comme discipline à l’âge moderne. Ses fondements s’étalent à partir du XVe :
1) XVE : LES DECOUVERTES
C’est la période des grandes découvertes et de l’accumulation de matériaux exotiques. Auparavant, les civilisa-
tions vivaient isolées, c’étaient des ensembles clos avec des échanges limités et périphériques. Ces découvertes
influencent la connaissance, et cette nouvelle partie de l’humanité que décrivent les missionnaires et les colons
va poser des problèmes, à la fois philosophiques et pratiques.
On voit apparaître deux attitudes différentes envers ces nouvelles populations « sauvages » : mépris et idéali-
sation. La question est de savoir si ces sauvages faisaient partie de la même humanité que celle des européens,
issus de la même création ? On a le rapport à la Bible. C’est la première réflexion humaine sur la différence. Les
réponses sont divergentes. En gros, ils vont dans le sens d’une affirmation de l’unité de l’espèce humaine. D’un
point de vue théorique, les thèses qui justifient l’esclavage des amérindiens ont été très souvent réfutées
(hommes plus faibles justifiant leur esclavage) ; mais tout ça n’a évidemment pas empêché l’esclavage, qui est
en sus devenu un pilier fondamental du nouveau système économique qui se mettait en place à l’époque.
On assiste donc à la naissance d’une réflexion sur la différence, et la création d’un débat sur le besoin de légi-
timer la conquête, et plus tard celle de légitimer le colonialisme. C’est la thèse mettant l’accent sur différence
hiérarchique entre groupes humains. Pour certains, cette supériorité ne justifiait pas l’esclavage, mais des sys-
tèmes de servage, tutelle, au final très proches de l’esclavage, comme aux EU avec les Amérindiens. Il y aurait
une infériorité de la culture mais pas de la biologie. La question est de savoir qu’est ce qu’être supérieur ou
inférieur.
D’autre part, est apparue une image paradisiaque du nouveau monde. Est apparu un courant de critique, rela-
tiviste, dans un contexte où certains ont pris la défense des amérindiens dans le nouveau monde. Exemple de
Bartholomée de las Casas, dominicain qui a pris la défense des amérindiens toute sa vie. Mais la défense est à
relativiser, Las Casas utilisait pour argument qu’il y avait déjà des esclaves (africains). me s’il est revenu sur
ses propos.
2) XVIIIE : DEBUT DE LA REFLEXION SUR LA DIFFERENCE CULTURELLE ET SUR LA DIFFERENCE BIOLOGIQUE
Il y a rupture au 18ème siècle : on sort de la préhistoire de la discipline. On réfléchit de façon plus systématique
sur les matériaux découverts depuis le 15ème siècle, et sur les raisons qui pourraient rendre compte de la dif-
férence culturelle, et biologique. On peut dire que le 18ème est marqué par deux caractéristiques, par un
double mouvement, c’est le début de l’ouverture :
- Certains auteurs pensent que les différences culturelles ne sont que les diverses manifestations d’une
humanité commune : humanité unique.
- L’homme n’est plus pensé seulement comme un sujet, mais comme objet de savoir également. Aupa-
ravant, l’homme comme objet d’étude n’existait pas. Commence alors l’étude de la biologie de
l’homme, etc.
La réflexion sur la diversité culturelle s’appuie sur la comparaison entre des sociétés ethnographiques (données
acquises lors des grandes découvertes) et les sociétés de l’Antiquité. Le but est d’essayer de comprendre les
différences que ces auteurs voyaient entre les sociétés européennes de l’époque et les sociétés amérindiennes,
sauvages.
Travaux de J.L. Lafitau : il compare les coutumes et institutions des amérindiens avec celles de l’Antiquité. « Les
mœurs des sauvages américains » ; le terme de « sauvage » continue à être utilisé. Cependant, on peut dire
que le sauvage change de statut et il devient primitif. Le terme de sauvage renvoie à la nature (plantes, ani-
maux…) : l’homme « sauvage » est celui à qui on refuse la possibilité d’une culture, qui n’est que nature, hors
de l’humanité. Tandis que lorsqu’on parle de « primitif », on fait entrer les hommes dans l’ensemble de
l’humanité, même si on les place dans les stades les plus arriérés. Lafitau va placer ses conclusions dans des
formes sociales et culturelles ordonnées dans le temps. Les coutumes des amérindiens sont placées dans les
formes les plus arriérées, tandis qu’il place celles de son époque tout en haut. Ces travaux sont évidemment
dépassés aujourd’hui, mais l’important est la pensée de l’époque, et la conception de l’humanité ; ainsi que le
souhait de rendre compte des différences entre sociétés.
Pendant ce siècle, on a l’élaboration d’une première théorie évolutionniste, à la fin 18 début 19ème siècle.
Toutes les sociétés de l’humanité passent nécessairement par une série de stades successifs. Le dernier stade,
le plus évolué, est celui de la civilisation. Sauf, que certaines sociétés prennent plus de temps.
3) XIXE : AFFIRMATION DE LA DISCIPLINE
Se développe une réflexion sur la différence, variabilité biologique, notamment avec Linné, ou Buffon, qui sont
les précurseurs de l’anatomie comparée. Ils considèrent l’homme comme faisant partie de la société de la na-
ture. L’homme ne dépend plus de dieu mais des lois du développement de la nature. On a l’apparition de tra-
vaux rigoureux sur l’anthropologie physique. Ils utilisent pour méthodes la description, puis la classification, et
l’interprétation. Les différences physiques sont traitées séparément des différences culturelles. Ou bien, cul-
ture et biologie sont traitées conjointement. Cette attitude est aujourd’hui condamnable, mais le contexte de
l’époque est celui d’hommes soucieux de mettre de l’ordre dans les différences observées, avec assimilation
culture/biologie.
Il y a une multiplication des réflexions sur l’espèce humaine, le progrès, les raisons pouvant expliquer les diffé-
rences culturelles. C’est l’apparition des sociétés savantes, quelques revues, 1855 : création de la première
chaire d’Anthropologie. On fait une séparation entre l’anthropologie biologique et l’anthropologie culturelle.
Jusqu’à la fin du 19ème siècle, les chercheurs ont accès aux matériaux à partir de références, de récits… fournis
par d’autres, ces mêmes missionnaires qui ont donné peu d’interprétations, mais beaucoup de vocabulaire et
de descriptions sur les « sauvages » chez qui ils s’installaient pour les coloniser et évangéliser.
4) XXE : METHODE ETHNOGRAPHIQUE (CF POLYCOPIE : LINVENTION DU TERRAIN VU PAR MALINOWSKI)
L’homme de cabinet est un homme du cabinet, et il y a une rupture au 20ème qui marque la naissance de
l’anthropologie actuelle. Malinowski (polonais) est à l’origine de cette tradition. On est dans le contexte de la
première guerre mondiale. La Pologne faisait partie de l’empire Austro Hongrois, et il vivait en Australie. Les
anglais l’ont donc astreint à résidence jusqu’en 1918 dans l’archipel Trobriand. Il va étudier l’archipel. Il marque
deux observations importantes, dont les méthodes vont ouvrir la tradition :
- Systématisation du travail de terrain : l’anthropologue n’est plus simplement homme de cabinet, mais
de terrain. Malinowski affirme l’importance du travail de terrain en profondeur, et même la connais-
sance de la langue vernaculaire, etc. pour en arriver à la connaissance d’une société vivante et agis-
sante. Il préconise également de se couper de la société dont l’anthropologue est originaire, et la né-
cessité de partager la vie des indigènes autant que possible. Il souligne l’importance de collecter con-
naissances de toutes sortes, même triviales. Il faut voir le monde et les choses tel que les compren-
nent les sociétés étudiées. C’est une rupture avec les travaux anciens, essentiellement descriptifs. Il
n’a pas été le premier homme de terrain, mais il a été le premier à systématiser tout cela pour donner
une nouvelle méthode d’investigation. Les argonautes du Pacifique occidental (1922), les argonautes
sont les navigateurs. Il y décrit sa systématisation de terrain et l’observation participante qui est tou-
jours la langue de base de toute enquête anthropologique. Dès les années 1930, les enquêtes de ter-
rain se systématisent.
- Nouvelle façon d’envisager la recherche : jusque là, il y avait des monographies descriptives, avec des
chapitres par domaines (habitat, religion…). On faisait les Etudes de sociétés selon des domaines sépa-
rés. Malinowski introduit une approche révolutionnaire à l’époque : il prend un thème d’étude et lui
appose une approche pluridimensionnelle. Dans son ouvrage, il étudie un cycle d’échanges appelé Ku-
la. Il s’agit d’échanges cérémoniels de colliers de coquillages contre bracelets de coquillages. Les îles
Trobriand distantes, dessinent un cercle. L’activité économique de base des indigènes est la che cô-
tière. Ils font des expéditions dangereuses pour effectuer les échanges Kula (échanges pas de nature
économique, ni esthétique). Cela permet aux îles de rester en contact, et de fonctionner en archipel
(pas d’unités sociales isolées). Il ne s’est pas simplement limité aux échanges cérémoniels, mais a vu le
fonctionnement de la société de façon beaucoup plus large : dimension religieuse de ces échanges (cé-
rémonies), dimension de prestige (hiérarchie des objets et des hommes : place sociale des partenaires
d’échange), dimension du réseau social des individus, dimension politique (pouvoir), dimension juri-
dique (obligations et devoirs) et dimension économique (dans la mesure où l’expédition, rude, exige
une coopération économique à plusieurs). Ces échanges mettent l’accent sur l’importance du don
comme principe à la base de création et maintien du lien social. Il n’a pu étudier des échanges indé-
pendamment de toutes ces valeurs. Le Postulat qui est posé : les faits qu’on observe dans une société
doivent prendre sens les uns avec les autres ; il y a une construction permanente cherchant à déter-
miner une cohérence entre les données. Il fait l’étude d’un objet par la mise en relation des variables
l’entourant. Problème : si on peut parler de découpages (religion, politique…) il s’agira de NOS décou-
pages, notre mode de pensée. Exemple, la médecine chez les indigènes : liée à une dimension reli-
gieuse, glissement remède/aliment. Si on se limite à notre conception de la médecine, on passe à côté
de beaucoup de choses.
Il faut arriver à la conception de la société qu’ont les indigènes de leur propre monde en se décentrant : d’une
part, les anthropologues doivent voir avec les yeux des indigènes, et apprendre à considérer leur propre expé-
rience comme un des cas possible de l’expérience humaine, mais pas plus. Notre façon de faire est peut être la
meilleure pour moi, mais pas la meilleure dans l’absolu : ce n’est qu’une façon de faire. Lévi-Strauss assimile
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