Metz Royale et Impériale, enjeux de
pouvoir, confrontations stylistiques et
identité urbaine
France
Date de soumission : 07/04/2014
Critères: (i)(ii)(iv)
Catégorie : Culturel
Soumis par :
Délégation permanente de la France auprès de l'UNESCO
Etat, province ou région :
Région Lorraine, Département de la Moselle
Ref.: 5882
Description
Le bien proposé pour inscription constitue le cœur de l’agglomération messine. Il comporte les deux pôles majeurs
de la ville historique que sont, d'une part, le noyau ancien avec la cathédrale Saint-Étienne, les ensembles
monumentaux de Jacques-François Blondel, la place de la Comédie, les quais de la Moselle, la place Saint-Jacques,
les rues de la Paix, du Palais et du Petit Paris et, d'autre part, l’extension urbaine réalisée au début du XXe siècle,
pendant et après l’annexion allemande, composée de la place de la gare et des tissus adjacents, c’est-à-dire la rue
Gambetta, l’avenue Foch, la place Mondon, un segment de l’avenue Leclerc de Hauteclocque, la place du Roi
George, les rues Louis, La Fayette et Vauban, Pasteur et Charlemagne. Le bien constitué de ces deux pôles
cohérents, comprend des édifices publics et privés, des ensembles monumentaux emblématiques de l’histoire de
Metz, des espaces urbains prestigieux, mais aussi des tissus ordinaires légués par les siècles et transformés par
l’ère moderne. La zone tampon représente la majeure partie du secteur sauvegardé. Elle est limitée, au Nord, par
l’îlot de la Cour d’Or, à l’Ouest par les rives de la Moselle, au Sud par le complexe de gare, à l’Est par la rue des
murs et la place Saint-Louis.
Justification de la Valeur Universelle Exceptionelle
Riche d'un passé plusieurs fois millénaire, Metz a accumulé, au fil du temps, un patrimoine architectural et urbain de
premier ordre. Appartenant au Saint Empire romain germanique, la cité bénéficiait, à l'époque médiévale, d'une réelle
indépendance politique et économique propice à son épanouissement culturel. La cathédrale Saint-Étienne, l’un des
plus beaux vaisseaux gothiques d’Europe, témoigne de la grandeur artistique de cette période. Devenue française en
1552, la ville fit l'objet de démolitions préventives qui lui permirent de résister au siège de Charles Quint. Son
rattachement au royaume de France, effectif en 1648 par le traité de Westphalie, confère dès lors un rôle stratégique
au niveau européen à la cité messine.
Les choix urbanistiques opérés sous l'Ancien Régime et l'annexion allemande sont issus des volontés, royale et
impériale, d'inscrire durablement l'empreinte du pouvoir dans l'identité urbaine de la ville. La marque la plus visible de
ces enjeux de pouvoir se révèle tout particulièrement dans les confrontations stylistiques visibles au cours des deux
périodes ; entre gothique et néoclassique sous l'Ancien Régime et entre gothique, néoclassique et éclectisme sous
l'annexion.
Au XVIIIe siècle, corsetée par les fortifications de Vauban et de Cormontaigne, la ville subit des démolitions,
conduites à des fins d’assainissement et d'embellissement par le Maréchal de Belle-Isle. Les travaux considérables
qu’il engage marqueront, physiquement et symboliquement, le territoire de la cité pour l’élever, à travers
l’ordonnancement classique des espaces et des monuments, à la grandeur d’une ville royale. Belle-Isle entreprend
en 1754 de dégager les abords de la cathédrale. Son successeur, le Maréchal d’Estrées engage en 1761 la
construction de la place d’Armes sur les plans de l’architecte théoricien français le plus important du Siècle des
Lumières, Jacques-François Blondel, qui créera à Metz son chef-d’œuvre monumental, unique par bien des aspects,
véritable célébration urbaine du pouvoir de Louis XV. Dominée par la cathédrale gothique, la place d'Armes
regroupait et cristallisait en seul et même lieu les symboles du pouvoir municipal, royal, judiciaire, militaire et
religieux.
Au XIXe siècle, Metz reste au centre d'enjeux de pouvoir et continue sa métamorphose. Échappant à l'expansion
industrielle lorraine du fait de sa position militaire défensive, Metz a connu dans la seconde moitié du XIXe siècle et
au début du XXe siècle avant, pendant et après l’annexion allemande, sous les règnes successifs de Napoléon III
(1852-1870), de Guillaume Ier et de Guillaume II (1871-1918), et sous la IIIe République (1918-1940), une aventure
urbaine hors du commun.
Cité annexée à l'empire allemand, Metz a été marquée, physiquement et symboliquement, par le pouvoir de
l'empereur Guillaume II. Son patrimoine intra-muros a été vigoureusement remodelé, tandis que se créait, en
extension du noyau ancien, un quartier neuf, fonctionnel et pittoresque. Directement impliqué dans les choix
stylistiques et urbanistiques qui ont présidé à la naissance de ce quartier moderne, le souverain allemand s’est
employé à mobiliser les savoirs de ses ingénieurs urbains et de ses architectes pour façonner le territoire de Metz et
élever son image, ses usages et ses paysages à la dignité d’une ville impériale germanique. La place de la gare, l’îlot
de la poste et les tissus résidentiels adjacents cristallisent cette volonté politique en une forme urbaine expressive et
éclectique fondée sur une savante recomposition architecturale de l’histoire.
L'appartenance successive de Metz à des nations opposées lui a créé un destin culturel, architectural et urbain
unique. L’abondance et la diversité des chefs-d'œuvre que compte le territoire messin est exceptionnel. Cependant,
c'est bien l'agencement de ces éléments dans l'espace urbain, le paysage qui en résulte et la continuité temporelle
sous des appartenances nationales et des régimes politiques différents qui en constituent la singularité la plus
remarquable.
Les confrontations stylistiques (gothique / classique / néo-gothique / néo-roman / néo-renaissance / néo-baroque...)
ont trouvé à Metz une forme libre, vigoureuse, mais infiniment subtile, qui porte en elle, et qui révèle, mieux
qu'ailleurs, les trames symboliques de la culture européenne. La ville a été un laboratoire architectural très actif, où la
question de l'apparence urbaine d'un édifice a été posée avec une étonnante acuité théorique. Une acuité d'autant
plus exacerbée que le territoire offrait, avec ces chefs-d'œuvre de haut vol que sont la cathédrale Saint-Étienne et les
aménagements de Blondel, l'un des exemples les puissants et les plus raffinés d'articulation du classique au
gothique qu'ait connu l'Europe des Lumières. À cette aura que lui vaut son passé prestigieux, Metz ajoute, avec son
extension moderne allemande, une contribution substantielle aux pratiques qui ont donné naissance à l'urbanisme.
Metz participe au mouvement novateur qui se développe dans les capitales européennes visant à contrôler par la
création de plans cohérents l'expansion urbaine consubstantielle à la Révolution industrielle.
Critère (iv) : Le centre historique de Metz, remodelé au siècle des Lumières, et son extension moderne allemande
offrent un exemple exceptionnel, dans un contexte particulier de démonstration de pouvoir, de constructions,
d'ensembles et de paysages, illustrant l'émergence en Europe d'une prise en compte inventive du passé pour créer,
à travers la restauration des monuments anciens, comme à travers la construction de bâtiments neufs, une identité
architecturale, urbaine et paysagère moderne.
Du fait de son histoire politique mouvementée, Metz s'est trouvée placée au milieu du XIXe siècle dans une situation
culturelle originale qui allait en faire, pendant plusieurs décennies, un laboratoire stylistique et paysager unique en
Europe. On peut observer à Metz l'effet concret des grands débats théoriques qui ont agité, à l'échelle internationale,
le monde de l'architecture et du patrimoine.
La ville de Metz a été le théâtre d'une véritable recomposition sémantique de son patrimoine architectural et de son
territoire urbain. Dès 1845, fut engagée la restauration intérieure de la cathédrale. Dès cette période, on envisagea la
démolition du portail de Blondel, marque urbaine du pouvoir royal, afin de « laisser la place à une œuvre conçue
dans le style du Moyen Âge ». Les arcades qui longeaient la cathédrale furent démolies à partir de 1860, et c'est
durant l'annexion, de 1898 à 1903, que le portail classique céda la place à un portail néogothique créé par l'architecte
allemand Paul Tornow et par le sculpteur français Auguste Dujardin. La question de la restauration des monuments
médiévaux mobilisait à l’époque les architectes les plus éminents de la scène internationale, Viollet-le-Duc, George-
Edmund Street, Sir Gilbert Scott, Petrus-Josephus Cuypers, Richard Voigtel, Friedrich von Schmidt, Conrad-Wihelm
Hase... Avec l’annexion, les architectes français furent remplacés par des architectes allemands, qui portaient au
gothique le même intérêt que leurs prédécesseurs. Conrad Wahn, Paul Tornow et Wilhelm Schmitz trouvèrent à Metz
un authentique champ d'expérimentation. Ces trois érudits appartenaient à cette aristocratie intellectuelle du
néogothique qui transforma, à la fin du XIXe siècle, le visage de nombreuses villes européennes. La volonté de
restituer la cathédrale Saint-Étienne « dans sa pureté stylistique primitive », et de déconstruire les constructions
urbaines du pouvoir royal, conduira au démantèlement de la partie nord de l'ensemble de Blondel et à l'invention d’un
portail néo-gothique conforme aux aspirations d'une élite internationale. En raison de la qualité du projet de Blondel,
cette « déconstruction/reconstruction » a produit, à Metz, une confrontation stylistique d'une valeur historique
exceptionnelle. La reconfiguration de l'image gothique de la cathédrale par une série de manipulations formelles
illustre les idéaux du XIXe siècle en matière de réhabilitation. Ces changements ont modifié l'inscription de l’édifice
dans l'espace urbain, révélant la possibilité d'une redéfinition globale du paysage messin.
Metz a fait l’objet d'une recomposition sémantique de son paysage dont on ne trouve nulle part l’équivalent en
Europe. L'irruption des flèches puissantes du Temple de la garnison (1881) et du Temple neuf (1903) exprime le
retour du culte réformé dans ce haut lieu du protestantisme qu'était Metz avant la révocation de l'Édit de Nantes. Le
Temple neuf n'a pas détruit l'harmonie de la place de la Comédie. Il l'a dramatisée en un ensemble caractéristique de
l'histoire de la ville tout entière. Le paysage messin exprime de façon émouvante les tragédies de l'histoire
européenne. Metz, qui était au XVIIe siècle la plus grande ville protestante de l'Est de la France, perdit sous Louis
XIV un cinquième de sa population. De nombreux lieux de culte furent détruits. Le retour du protestantisme, avec cet
autre drame que fut l'annexion, se traduit dans le paysage de la ville par la présence de ces deux flèches expressives
néo-gothique et néo-romane-, en co-visibilité avec les tours (religieuse et civile) de la cathédrale.
Outre la cristallisation d'une nouvelle conception de l'histoire et de l'intégrité des monuments, à travers les théories et
les pratiques de la restauration, le centre historique de Metz et son extension moderne allemande offrent un
observatoire exceptionnel de l'architecture éclectique. En raison de son histoire politique contrastée française,
allemande, puis à nouveau française la ville de Metz offre, à travers ses immeubles d'habitation, ses villas et ses
édifices publics, une architecture éclectique d'une grande diversité référentielle qui puise son vocabulaire et ses
modes de composition dans le passé des deux nations. Les continuités, les variations et les confrontations que l'on
observe dans la ville présentent, sur un territoire limité, une richesse peu commune.
Critère (ii) : Le centre historique de Metz et son extension moderne allemande témoignent d'un échange d'influences
considérable, au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, non seulement dans le champ de la restauration
des monuments anciens, mais aussi dans celui de la planification des villes et de l'harmonisation du paysage urbain.
La démolition partielle des aménagements de Blondel et les interventions modernes sur la cathédrale et les églises
messines s'inscrivent dans un débat international concernant la restauration des monuments anciens sur fond
d'enjeux de pouvoir et de volonté d'inscrire la puissance de l'empire allemand en opposition à la culture française. Ce
débat se développe dans toute l'Europe à partir des années 1850 tandis que se propage dans les grandes villes une
architecture éclectique fondée sur un rapport explicite aux styles historiques (néogothique, néoclassique, néo-roman,
néo-renaissance, néo-baroque). Les transformations de Metz expriment cette internationalisation des théories et des
pratiques et témoignent de ces échanges intenses entre les pays les plus développés du continent européen. Il en
est de même dans le champ émergeant de l'urbanisme. Réalisée au tout début du XXe siècle, pendant l’annexion, le
nouveau quartier de Metz représente une contribution originale aux expérimentations en matière d'extensions
urbaines. Fondé sur les théories de Josef Stübben, de Reinhard Baumeister et de Camillo Sitte, ce quartier met en
œuvre des notions de fonctionnalité et de pittoresque formulées, au plan international, après les bouleversements
occasionnés par la Révolution industrielle. La nouvelle ville de Metz trouve sa place parmi les extensions urbaines
les plus novatrices réalisées en Europe, à Barcelone, à Londres, à Amsterdam et à Vienne.
Critère (i) : Le centre historique de Metz et son extension allemande comportent des édifices d'une qualité
remarquable, dont certains constituent des chefs-d'œuvre de valeur universelle exceptionnelle.
La cathédrale Saint-Étienne est l'une des plus belles cathédrales d'Europe. La pierre de Jaumont, employée dans la
plupart des bâtiments de Metz, l'inscrit dans le paysage familier de la ville. La longueur de l’ouvrage (136 m à
l'extérieur / 124 m à l'intérieur), la hauteur de la nef (42 m) et son ouverture (6500 m2) sont impressionnantes. Les
diverses transformations qui ont touché cet édifice n'ont pas altéré ses caractéristiques essentielles, tout en lui
conférant, du fait de ces ajouts, puis de leur suppression, et des débats qu'ils ont suscités, un indéniable intérêt
moderne.
L'hôtel de ville de Metz est le bâtiment le plus important construit par Blondel. Il se déploie parallèlement à la
cathédrale, délimitant le grand côté de la place d'Armes, tandis que le parlement et le corps de garde définissent, de
part et d'autre, les petits côtés. Face à l'hôtel de ville, et reprenant le dessin de son rez-de-chaussée, une galerie se
développait au pied de la cathédrale, s'articulant au Sud avec un corps en saillie qui en constituait le portail. Cette
composition magistrale gérait l'échelle vertigineuse de la nef, devant laquelle elle définissait une place plus petite,
sorte d'antichambre au vaisseau. Réalisé de 1764 à 1771, par Louis Gardeur Lebrun, le projet de Blondel est l'un des
ensembles majeurs du XVIIIe siècle. Démantelé à partir de 1860, il reste lisible aujourd'hui grâce à l’hôtel de ville et
au corps de garde dont la beauté sobre convenait, selon leur auteur, aux bâtiments d'une ville comme Metz qui
devaient exprimer « un certain genre de fermeté qu’impose l’art militaire ».
Le centre historique de Metz comporte d'autres édifices remarquables comme l'hôtel de l'Intendance conçu par
Bathélemy Bourdet et l'opéra-théâtre de Jacques Oger. À ces édifices s'ajoutent ceux de l'extension allemande, dont
certains sont des chefs-d'œuvre. L'ancienne gare (Jacobstahl), la nouvelle gare (Kröger, Bachmann, Jürgensen), la
poste (Von Rechenberg), le Temple neuf (Wahn) rivalisent avec les œuvres néo-romanes de Hendrik Petrus Berlage,
de Daniel Burnham ou d’Henry Hobson Richardson.
Déclarations d’authenticité et/ou d’intégrité
Le centre historique de Metz et son extension moderne répondent au critère d'authenticité : conception, matériaux,
exécution, environnement. Les monuments, les immeubles d’habitation et les espaces publics sont protégés et bien
entretenus, en particulier dans la zone proposée pour inscription. Le périmètre de cette zone est défini - pour le
« pôle cathédrale », au Nord, par la rue des Jardins, à l’Ouest par la place de la Comédie, au Sud, par les rues du
Palais et du Petit Paris, à l'Est par les rues Taison et Ladoucette. - pour le « pôle gare », au Nord, par l’avenue Foch,
à l’Ouest par l’avenue Leclerc, au Sud, par la gare et la rue Lafayette, à l'Est par l’extrémité de l’avenue Foch. La
zone proposée comprend tous les espaces bâtis et non bâtis situés en limite et à l'intérieur de ce périmètre. Elle
intègre, en outre, le Temple de la Garnison et l’église Sainte-Ségolène. Ce double fragment du territoire urbain
messin a été préservé des destructions des années 1960 (qui se sont produites plus à l’Ouest et au Nord).
Metz bénéficie, à travers son secteur sauvegardé, d'une protection juridique adaptée. L'intérêt que porte la Ville à son
patrimoine bâti (dont témoigne l'extension récente du secteur sauvegardé et la volonté de valorisation des espaces
publics) permet d'envisager une gestion scrupuleuse du bien proposé.Le centre ancien et la quartier de la gare sont
perçus comme des biens patrimoniaux dignes du plus grand respect.
Metz bénéficie, en outre, d'études historiques de haut niveau qui ont trouvé un large écho auprès du public. Les
recherches menées, au début des années 1980, par Jean-Jacques Cartal, Dominique Laburte et Paul Maurand (Les
villes pittoresques. Étude sur l'architecture et l'urbanisme de la ville allemande de Metz entre 1870 et 1918), puis au
cours des années 2000, par Christiane Pignon-Feller (Metz, 1848-1918, les métamorphoses d'une ville) et par
Aurélien Davrius (La Place d'Armes à Metz) offrent une base documentaire solide. Les Archives municipales et les
Archives de la Moselle offrent des ressources considérables pour étudier l'histoire de Metz et documenter la
protection de son patrimoine.
Comparaison avec d’autres biens similaires
La Liste du patrimoine mondial comporte un grand nombre de villes historiques européennes : Rome, Florence,
Naples, Paris, Bruxelles, Budapest, Bruges, Vienne, Prague, Berne, Lyon, Bordeaux... Les raisons justifiant
l’inscription de ces biens sont diversifiées. Aucune ne recoupe l’argumentaire développé en faveur d’une prise en
compte de Metz sur la Liste du patrimoine mondial. Ne figure sur cette liste aucun bien culturel illustrant les débats
internationaux de la seconde moitié du XIXe siècle et du début du XXe siècle concernant la prise en compte créative
du passé dans la restauration des édifices anciens et dans la construction neuve. Or, à travers ces débats, qui ont
mobilisé les meilleurs architectes de la période, s'est construite, sous couvert d'histoire, une conception moderne de
l’identité urbaine.
S'il existe, sur la Liste, certains biens restaurés au cours du XIXe siècle, l'inscription de ces biens ne s'est pas faite
au titre de cette période, mais pour des époques antérieures. La culture moderne inhérente à ces restaurations a
freiné leur inscription, conduisant même, dans certains cas, à des dérestaurations. L'inscription de Carcassonne en
1997 représente une innovation, car elle a institué la restauration menée par Viollet-le-Duc comme élément
d'exceptionnalité en référence à l'émergence d'une « science moderne de la conservation ». Mais cette double
inscription (au titre des périodes médiévale et moderne) ne concerne qu'un aspect limité de la prise en compte de
l'histoire dans la théorie architecturale du XIXe siècle. L'inscription d'un bien qui intégrerait la restauration au sein du
classement comme une strate d'authenticité à part entière, en liaison avec d'autres rapports au passé (éclectisme,
historicisme), mettrait en lumière un aspect fondamental de la contribution du XIXe siècle à la culture urbaine
moderne.
De nombreuses villes européennes ont été marquées par cette période. Leurs monuments anciens ont été restaurés
selon les théories en vigueur à l’époque, tandis que leurs immeubles neufs s'érigeaient dans la mouvance de
l'éclectisme et de l’historicisme. Plusieurs de ces villes ont été inscrites sur la Liste du patrimoine mondial, qu’il
s’agisse de Paris (quartiers haussmanniens), de Vienne (Ringstrasse), de Budapest (avenue Andrássy)... Pourtant, à
l'exception d'Edimbourg, dont les édifices comptent parmi « les plus beaux monuments néoclassiques réalisés en
Europe », les aspects stylistiques ne sont intervenus qu’en marge dans ces classements.
L'inscription d'un bien tel que Metz, selon un argumentaire abordant frontalement les débats théoriques et stylistiques
du XIXe siècle et du début du XXe siècle, retentira favorablement sur les biens déjà inscrits sur la Liste et sur de
nombreuses villes non inscrites qui possèdent des biens issus de cette période. Pour des raisons liées à la grandeur
de son passé et à son histoire moderne tourmentée, Metz constitue l’exemple le plus pertinent pour représenter, à
l'échelle mondiale, ces villes marquées par la culture éclectique de la seconde moitié du XIXe siècle et du début du
XXe siècle.
Le centre historique de Metz et son extension allemande offrent des ensembles d’édifices, de tissus et d’espaces
publics illustrant une prise en compte cultivée du passé pour créer, tant par la restauration des monuments anciens
que par la construction neuve, une identité urbaine et paysagère moderne. La présence d’une des plus belles
cathédrale d’Europe et des ensembles monumentaux de Blondel a suscité un processus de déconstruction unique au
monde. Parce qu'elle implique deux chefs-d'œuvre, l'un gothique, l'autre classique, d'une qualité incomparable, la
confrontation entre la cathédrale restaurée et les places de Blondel démantelées revêt une signification historique
universelle.
Réalisée au début du XXe siècle, en référence aux théories de Josef Stübben, Reinhard Baumeister et Camillo Sitte,
l'extension urbaine de Metz représente une contribution originale à l'histoire de l'urbanisme européen. Généreux
dans son dimensionnement, aéré, verdoyant, pittoresque, ce quartier compte parmi les expériences les plus
novatrices de la période.
Une analyse comparative montre que les dispositifs mis en œuvre à Metz diffèrent profondément des processus qui
ont présidé à la création du faubourg-jardin de Londres-Hampstead par Barry Parker et Raymond Unwin, à
l’extension d'Amsterdam par Hendrik Petrus Berlage, et au plan de développement de Barcelone par Ildefons Cerda.
Une inscription de ces biens culturels liés à l’histoire de l’urbanisme (dont aucun ne figure aujourd’hui sur la Liste du
patrimoine mondial, ni d’ailleurs sur les listes indicatives des États concernés) serait parfaitement compatible avec le
classement Unesco de Metz.
Une comparaison avec les biens déjà classés relevant du domaine de l’urbanisme, qu’il s’agisse de Bath (1987),
d’Edimbourg (1997), de New Lanark (2001), de La Chaux-de-Fonds et du Locle (2009), conforte cette conclusion.
L’inscription de Brasilia (1987), de Tel-Aviv (2003), du Havre (2005) et des cités du modernisme à Berlin (2008)
n’obère en rien l’intérêt d’un classement de Metz sur la Liste du patrimoine mondial. Bien au contraire, l’inscription de
la cité mosellane renforcera, par ses spécificités historiques, la constitution d’un ensemble de biens majeurs
exprimant la complexité et la diversité des processus d’urbanisation modernes et des démarches d’aménagement
mises en oeuvre pour les maîtriser.
Les extensions urbaines réalisées pendant l'annexion allemande à Strasbourg et à Thionville ne s’articulent pas,
comme à Metz, à une recomposition sémantique du paysage de la ville et à des confrontations architecturales
signifiantes dans le contexte des grands débats internationaux. Les recherches menées par Klaus Nohlen
(Strasbourg impérial, 1970-1918. Construire une capitale) et par Claire Decomps (Thionville, l'extension allemande)
attestent l’existence d’enjeux historiques différents et renvoient manifestement à d’autres problématiques
patrimoniales.
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