La Mort dans l’Odyssée
PLAN
I. La Mort présente dans le monde des vivants
A- La mort omniprésente
B- La raison d’être de la mort
C- Les rites et réactions face à la mort
II. La Mort aux Enfers
A- Le rituel
B- Le personnel de la mythologie
C- Ulysse fait une rencontre interpersonnelle
III. La conception de la mort et l’évolution d’Ulysse
A- Comment est perçue la mort ?
B- La perte de ses compagnons indique-t-elle l’évolution
d’Ulysse ?
C- Sa visite au royaume des morts ôte tout suspens
A la fin de la guerre de Troie, Ulysse entame son retour à Ithaque.
L’Odyssée est le récit de ce parcours parsemé d’obstacles. En effet, ce
retour comporte des dangers et Ulysse et ses compagnons seront confrontés
à de très nombreuses reprises à la mort. Il navigue dans des lieux
dangereux, est confronté à des monstres (éléments merveilleux), devra faire
face à la colère des dieux et atteindra un point extrême avec la descente aux
Enfers.
Des chants V à XII, la mort est présente de diverses façons que l’on
distinguera dans le monde des vivants, aux Enfers et la vision et l’évolution
décrite et apportée par l’Odyssée de la Mort ?
I] LA MORT PRESENTE DANS LE MONDE DES VIVANTS.
1. La mort est omniprésente.
La mort est un élément central du récit d’Homère car elle est présente durant
tout le récit, dans différents lieux et de différentes manières.
« Va donc errer, souffrant mille morts, sur les mers, » p.94 v. 377
C’est une menace de mort que profère ici Poséidon qui nous indique que la mort sera
certainement présente lors des déplacements en mer d’Ulysse et de son équipage.
En effet, Ulysse assiste impuissant à la mort de ses compagnons sur terre notamment
chez les Cicones les durant des pillages: « mais je ne voulu pas que nos vaisseaux
arqués s’en fussent avant qu’on eu hélé trois fois les pauvres compagnons morts dans
la plaine » (p.144 v.64-65), « De chacun des vaisseaux, six compagnons guêtrés
périrent ; nous autres pûmes fuir le sort et le trépas. » (p.143 v.60-61).
Elle est bien sûr également présente chez le cyclope Polyphème qui ôte la vie de
plusieurs des compagnons d’Ulysse pour son dîner. En plus de craindre pour leur
propres vies, ils assistent à nouveau impuissant à ces morts : « il en prit deux, et
comme des chiots, sur le sol les assomma. La cervelle en giclant mouilla le sol.
Découpés membre à membre, il en fit son souper. » (p.150 v.289-291), « [il] attrapa
deux autres de mes gens pour son repas. » (p.150 v.311 et p.151 v.344), « sans
attendre il en broya un pour son repas. » (p.163 v.116). La mort est également
présente dans un autre épisode de l’Odyssée ; chez les Lestrygons : « les bateaux
monta le bruit affreux des mortels massacrés et des navires fracassés. » (p.163 v.122-
123)
A nouveau avec Elpénor, elle passe inaperçue: « il tomba du toit, se brisa les vertèbres
du cou, et son âme fut chez Hadès. » p.175 v.559-560 Personne ne s’est aperçu de la
mort de ce dernier en état d’ivresse, peu de temps avant le départ de chez Circé.
Dans l’Odyssée, cette forme de mort est unique et un non sens si on la compare aux
autres. Si Elpénor s’est tué c’est par pure tise et la cause est singulière : un abus
d’alcool. Cette mort est à l’opposé des morts glorieuses de la guerre de Troie ou celles
provoquées par des éléments merveilleux. C’est une vision nouvelle de la mort
qu’apporte ici Homère car c’est une mort de la vie quotidienne.
Lors de l’épisode de Charybde et Scylla, Ulysse voit encore six de ces
compagnons disparaitre tandis que lui survit, accroché au mat du bateau. « Enlevés
dans les airs; ils m’appelaient encore, criant mon nom pour la dernière fois avec
tristesse. » (v. 249-250 p. 205)
On trouve également les diverses tempêtes auxquelles Ulysse doit faire face et il
frôle de très près la mort : « Tous ses fidèles compagnons furent perdus » (p.87 v.110;
p.87 v.133; p.119 v.251), « le mât frappa le pilote à la tête et lui broya les os de la tête
d’un coup : pareil à un plongeur, il tomba du gaillard : l’âme fière quitta les os. »
(p.209 v.411-414), « ils passèrent par-dessus bord » (p.209 v.417)
Ainsi Ulysse quitte-t-il Troie accompagné d’environ 200 hommes qui disparaissent
tous durant son riple. Nombreux sont les épisodes l’on ne connaît pas le nombre
exact de morts, mais, quand c’est le cas, le chiffre récurrent est 6. On ne trouve aucune
trace d’une quelconque symbolique de ce chiffre chez les grecs mais, ce sont des morts
numériquement nombreuses.
2. La raison d’être de la mort.
L’Odyssée raconte une lutte pour la survie constante : celle d’Ulysse. Cette lutte est
voulue par les dieux. En effet, Poséidon a décidé d’empêcher Ulysse de rentrer à
Ithaque comme une punition à payer pour la mort d’un de ses fils ; le Cyclope
Polyphème.
« Va donc errer, souffrant mille morts, sur les mers, » p.94 v. 377
Cette vengeance divine est inéluctable et explique en grande partie la présence si
importante de la mort dans le récit.
La déesse protectrice Athéna tente de préserver Ulysse de la mort en prenant
différentes formes et stratagèmes « afin qu’Ulysse, échappant aux génies de mort, »
p.95 v.386, « Il s’y fût écorché la peau, brisé les os si Pallas Athéna ne l’avait inspiré.»
p.96 v.426, « Alors le malheureux eût succombé, outrant le sort, sans le conseil de la
déesse aux yeux brillants ; » p.96 v.438
Une autre déesse, Ino intervient lors d’une tempête après le départ de chez Calypso et
vient en aide à Ulysse « Tu n’auras plus à craindre la souffrance ni la mort » p.93
v.347
Le sort des humains dépend donc des Dieux. En effet, dans la vision grecque,
l’Odyssée nous montre que ceux-ci ont le pouvoir de vie ou de mort sur les mortels.
Les hommes ne peuvent lutter contre leur puissance et sont face à une soumission
totale. On distingue également les dieux opposants qui causent les dangers dans
lesquels la mort est présente, et les dieux adjuvants qui tentent de préserver les
hommes de cette mort certaine par divers moyens.
3. Les réactions et rites face à la mort.
Les réactions face à la mort telles qu’elles sont montrées dans l’Odyssée sont
représentatives de celles de l’Antiquité. La mort est particulièrement codifiée. On
pleurs les morts, quel qu’ils soient et on engage même des pleureuses. On sait aussi
que seules les femmes pleurent et montrent leurs émotions. Ulysse fait exception dans
l’Odyssée puisque ses compagnons et pleure aux Enfers : « Mais je pleurais quand je
le vis, pris de pitié » (vers 55 p179)
Les pleurs sont donc nécessaires aux hommages faits aux morts. L’exemple
d’Elpénor, qui est mort sans que personne ne s’en aperçoivent nous montre également
que le rituel d’enterrement est nécessaire pour que l’âme soit en paix.
La mort nous montre également la capacité de survie exceptionnelle d’Ulysse.
« De chacun des vaisseaux, six compagnons guêtrés périrent ; nous autres mes fuir
le sort et le trépas. » (p.143 v.60-61),
Même dans les situations les plus périlleuses, jamais Ulysse ne meurt. L’énergie dont
il fait preuve durant les tempêtes bien qu’il soit dans un état de survie entre la vie et la
mort est presque surhumaine.
Ulysse et ses compagnons rencontrent donc à de nombreuses reprises la mort; alors
que les compagnons disparaissent tous au fur et à mesure du voyage, il reste vivant
soulignant que c'est lui le héros. En effet, quoi qu'il se passe il ne meurt jamais, même
dans les pires situations.
Il est impossible pour Ulysse, présenté comme un héros et un aventurier d’être
indifférent face à la mort. En effet, celle-ci touche son équipage, ses amis et le plus
important : sa mère. Le champ lexical de la tristesse est présent à chaque épisode ce
qui apporte à Ulysse une dimension humaine contrairement au personnage présenté
dans les récits glorieux durant la guerre de Troie.
Au début du récit, la mort prend de l’importance par sa violence. La mort n’ayant pas
de sens, la vie n’en a aucun également. Or, lorsqu’il est confronté à la mort passée, la
vie va alors prendre de l’importance. En effet, Ulysse descend aux Enfers afin
d’interroger le devin Tirésias sur son destin. Cette catabase (katábasis : action de
descendre) prouve qu’Ulysse est un héros (mi mortel mi Dieu) puisque les mortels ne
peuvent normalement y accéder.
La descente aux Enfers est un épisode majeur de l’Odyssée.
II) LA MORT AUX ENFERS
1. Le cadre et le rituel
Homère nous livre tout d’abord une description du lieu où doit se dérouler le rituel. Ce lieu est
ancrée dans un topos grec. En effet, plusieurs héros tel que Orphée, Héraclès ou encore
Thésée se sont risqués à descendre aux enfers. Orphée pour aller chercher Eurydice mais, trop
impatient pour attendre la Terre ferme pour la regarder et il la perdra pour toujours, Héraclès
pour aller chercher Cerbère et le ramener à Euryclée, et Thésée qui y perdra la mémoire selon
la volonté d'Hadès et qui la retrouvera après qu'Héraclès ait menacé Hadès. C'est un lieu qui
semble sinistre, sombre, privé de soleil. Il connote une sorte de souffrance, de tristesse. «
se trouvent la ville et le pays des Cimmériens, couvert d'un voile de brouillard; sur eux
jamais le soleil éclatant ne fait descendre ses rayons [...] une funeste nuit s'étend sur ces
infortunés » (v. 14 à 19 page. 178)
C’est un lieu précis, Ulysse nous décrit le chemin pour arriver à l'entrée des Enfers et nous dit
aussi que cette entrée ne peut être trouvée que grâce à l'aide d'un dieu, elle n'est donc pas à la
portée de tous les immortels.
« puis on longea les eaux de l'Océan jusqu'à l'endroit désigné par Circé » (v. 21-22 page. 178),
« je fis d'abord un trou d'une coudée carrée » (v. 25 page. 178)
Les âmes ne peuvent apparaitre à Ulysse que si elles sont nourries de sang animal. Pour cela,
Ulysse procède à un rituel bien précis qui nous est décrit. Dans un premier temps, les
ingrédients : « d'abord le lait miellé, puis le vin doux, l'eau en troisième et dessus, la farine
blanche » (v. 27 à 29 page. 179), « je saisis les deux bêtes, leur tranchai la gorge sur le trou; le
sang noir coula » (v. 35-36 page. 179), « j'enjoignis à mes compagnons d'écorcher, de brûler
les bêtes qui gisaient » (v. 45-46 page. 179). Ici le sang noir connote directement la mort et
nous donne une illusion de merveilleux.
Il doit également préparer son esprit à entrer aux Enfers et doit d’une part implorer les âmes
d’apparaître et leurs promets de nombreuses offrandes.
« j'implorais longuement les têtes sans force des morts, leur promettais, si je rentrais, une
génisse, ma plus belle génisse, avec un cher lourd d'offrandes, et, réservé au seul Tirésias,
un bélier noir sans taches, le meilleur de tout le troupeau. Puis le peuple de morts par vœux et
prières implorés, (v.29 à 34 page. 179), « en adjurant les dieux » (v. 46 page. 179)
Ulysse doit se montrer suppliant envers les âmes, implorant, promettre une multitude
d'offrandes. Certaines spécialement dédiées à Tirésias.
Communiquer avec les morts exige un rituel précis. Lorsque Tirésias le rencontre, il lui faut
boire le sang : « « Pourquoi, ô malheureux, ayant quitté la lumière de Hélios, es-tu venu pour
voir les morts et leur pays lamentable ? Mais recule de la fosse, écarte ton épée, afin que je
boive le sang, et je te dirai la vérité ». Ce sang est indispensable pour que les échanges
puissent avoir lieu, comme l’indique le devin : « Tous ceux des morts qui ne sont plus, à qui
tu laisseras boire le sang, te diront des choses vraies ; celui à qui tu refuseras cela s’éloignera
de toi ».
On perçoit ici une vision archaïque, associé à une religion sacrificielle, religion primitive.
La mort apparaît comme une immense faiblesse dans la mesure les morts ont besoin de se
nourrir de sang d’animaux sacrifiés pour communiquer avec Ulysse. Ce sang leur redonne
force et mémoire. Le sang redonne la vie, Homère fait ici appel à la connaissance grecque
ainsi qu’aux usages de l’époque. Les fantômes ne sont pas agressifs car un simple mouvement
d’épée suffit à les faire fuir. La mère d’ULysse, elle, disparaît alors qu’il tente de la saisir
entre ses bras.
2. Le personnel de la mythologie aux Enfers.
Ulysse rencontre de nombreux personnage, appartenant au personnel de la mythologie,
qu’Homère nous décrit très précisément. En effet, il nous résume la vie de chacun ainsi que
leurs liens familiaux.
La princesse Tyro, fille de Salmonée et d’Alcidicé. Elle a deux fils d'une première union avec
Poséidon :Pélias et Nélée, puis trois autres avec Créthée :Phérès, Eson et Amythaon.
Antiope, fille d’Asopos, qui eut deux enfants de Zeus :Amphion et Zéthos qui ont fondé
Thèbes.
Alcème, femme d’Amphitryon, enfanta Héraclès.
Mégaron, fille de Créon.
Epicaste, qui épousa son fils Œdipe sans le savoir.
Cloris l’incomparable, femme de Nélée, qui eut de splendides enfants.
Léda, femme de Tyndare qui eut deux fils :Castor et Pollux.
Iphimédie, épouse d’Aloée, qui eut deux enfants (qui ne vécurent pas longtemps) de
Poseidon.
Phèdre, Procris.
La belle Ariane, fille de Minos, qui aida Thésée (fil d’Ariane).
Maera, Clymène.
L’odieuse Eriphyle, qui vendit son mari à pris d’or.
Patrocle, Antiloque.
Ajax, fils de Télamon.
Minos, fils du grand Zeus, rendant la justice aux morts.
Le géant Orion, chassant les fauves.
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