
C’est  ainsi  que  tout  se  joue  dans  un  décor  de  western  de  carton-pâte,  le  théâtre  venant 
d’accueillir  une  production  belge  de  La  Chevauchée  fantastique,  d’après  le  chef-d’œuvre  de 
John Ford qui transposait dans l’Ouest Boule de suif de Guy de Maupassant! Voilà qui n’est pas 
sans évoquer l’aller-retour Europe - Etats-Unis de la pièce et du cinéaste lui-même… Surtout, ce 
dernier a offert à son épouse, Emmanuelle Seigner, le rôle de sa carrière. La voir ainsi, collier 
de chien au cou, tour à tour vulgaire, finaude et impérieuse, mettre Mathieu Amalric, frange et 
dégaine à la Polanski, dans ses petits souliers ne peut qu’ajouter au trouble. 
Ces deux-là interprètent vraiment Sacher-Masoch dans tous les sens du terme. De l’explication 
de  texte  au  jeu  de  scènes  choisies  et  du  commentaire  à  l’incarnation,  tout  y  passe.  La 
«pétasse» soupçonne du porno de bas étage, de la perversion ou de la misogynie, l’«intello» la 
rabroue aussitôt en parlant érotisme, passion et quête d’absolu. Des coups de fil de sa fiancée 
lui  rappellent  qu’il  doit  rentrer?  Elle  sonne  son  homme  à  elle  pour  lui  signifier  de  ne  pas 
l’attendre. La voyant se métamorphoser en la Wanda de ses rêves, Thomas se sent devenir de 
plus en plus Séverin – cet alter ego de Sacher-Masoch qui, marqué par un souvenir d’enfance, 
passe un contrat avec elle pour devenir son esclave. 
Quel feu d’artifice! Des citations mêlent encore là-dedans Euripide (Les Bacchantes) et la Bible 
( Livre de Judith); une scène invoque soudain Freud; un échange annonce juifs et nazis; un clin 
d’œil évoque Le Bal des vampires, qui se jouait lui aussi au fin fond des Carpates avec une 
autre Mme Polanski, Sharon Tate… Au fil de cette longue soirée d’hiver, vie privée et travail, 
acteurs et rôles, analyses et fantasmes, en deux mots réalité et fiction, se mélangent de plus en 
plus jusqu’au vertige, rendant son sens littéral au terme de «mise en abyme». 
Entre Séverin et Wanda, Thomas et Vanda, Amalric et Seigner, Polanski et Seigner, on ne sait 
bientôt plus trop à quel niveau on se situe. Mais à l’arrivée, c’est bien le vieux machisme qui finit 
au pilori, grâce à un cactus phallique (pardon John Ford) du plus bel effet. Et le cinéaste qui se 
prosterne devant Vénus, magnifiée par les peintres de jadis. 
Quelle  plus  belle  manière  pour  l’auteur  de  commenter  sa  propre  notoriété,  désespérément 
distordue? Et les rapports de pouvoir qui sous-tendront toujours les rapports entre les sexes? 
Plus malin que maso, Roman Polanski a signé là un nouveau chef-d’œuvre, n’en déplaise aux 
moralistes les plus étriqués. Et pour notre plus grand plaisir.  Norbert Creutz 
© Le Temps 
27 novembre 2013