Un seul insecte nous manque et tout est moins pollinisé

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Un seul insecte nous manque et tout est moins
pollinisé
Le 24 juillet 2013 par Marine Jobert
Biodiversité
L'Argus bleu, en déclin.
©Dominik Hofer
Les pollinisateurs vont mal. On pensait qu’un insecte en valait bien un autre
pour transporter le pollen et permettre la fécondation, à l’image des petites
mains qui pollinisent au pinceau les arbres fruitiers de Chine et d’Amérique.
Il n’en est rien, nous apprend une étude américaine. La biodiversité et
l’agriculture seraient-elles encore plus menacées qu’on ne le croyait?
Jusqu’à présent, il était entendu que les plantes étaient résilientes en dépit de
l’effondrement des pollinisateurs (causé par quelques maladies et un certain
nombre de pesticides, notamment de la classe des néonicotinoïdes). En clair, un
pollinisateur de perdu, dix pour le remplacer et féconder de pollen le pistil offert!
Une vision des choses basée sur des modélisations informatiques, qui donnaient
à penser que l’efficacité de la pollinisation n’était pas affectée par les
bouleversements dans les interactions entre les différents insectes. Deux
écologues américains se sont livrés à des travaux pratiques (dont les résultats
sont publiés dans la revueProceedings of the National Academy of Sciences Pnas) qui viennent mettre à mal cet axiome.
Dans 20 aires de la taille d’un terrain de tennis, situées sur les contreforts des
Rocky Mountains du Colorado, Berry Brosi (de l’Emory University d’Atlanta, en
Géorgie) et Heather Briggs (de l’Université de Californie, à Santa Cruz) ont
d’abord recensé l’ensemble des pollinisateurs présents. Ils ont ensuite identifié
les espèces de bourdons les plus abondantes. La partie la plus délicate de
l’expérience a consisté à éliminer l’espèce dominante, à l’aide de filets et de
volontaires (les mâles sont dépourvus de dard) sur une partie des terrains. Aucun
insecte n’a été tué pendant l’expérience, précisent les écologues. Le butinage de
736 bourdons a alors été suivi à la trace. «Nous les avons littéralement suivis
pendant qu’ils butinaient», explique Heather Briggs. «C’est un vrai défi car les
bourdons volent vraiment vite.»
Première découverte: les insectes deviennent moins sélectifs quand leur principal
compétiteur n’est plus dans le circuit. 78% des bourdons dans le groupe témoin
sont restés fidèles à une seule espèce de fleurs, contre 66% des insectes placés
dans la partie vidée des bourdons dominants. La plus grande diversité des
pollens retrouvés accrochés à leurs pattes en témoigne: le nombre d’insectes
transportant le pollen de plus de deux plantes avait augmenté de 17,5% dans le
second groupe. «La plupart des pollinisateurs butinent plusieurs espèces de
plantes tout au long de leur vie, mais souvent ils vont faire preuve de ce que nous
appelons une fidélité florale sur de courtes périodes de temps», explique Berry
Brosi. «Ils auront tendance à se concentrer sur une seule plante en pleine
floraison, avant d’aller en butiner d’autres quelques semaines plus tard qui se
seront à leur tour ouvertes. Il faut les considérer comme des monogames en
série.»
Deuxième découverte (qui découle de la première): en étant moins sélectifs dans
leur butinage, les insectes pollinisent moins efficacement des plantes qui ont un
besoin vital d’être fécondées par un pollen spécifique. Ce sont ces «infidélités»
qui mettent en danger les végétaux. Les deux chercheurs ont observé cette
tendance sur une plante typique de cette zone semi alpine du Colorado:
leDelphinium Barbeyi, une renoncule inféodée aux latitudes nord-américaines.
Après le retrait du pollinisateur dominant, la production de graines de ces plantes
a chuté d’un tiers en moyenne. «Cette légère modification au plan de la
compétition inter-espèces rend les insectes restants plus susceptibles
de ’tromper‘ la plante Delphinium Barbeyi», résume Heather Briggs.
«C’est alarmant, car cela suggère que le déclin global des pollinisateurs pourrait
avoir un impact plus important sur la floraison des plantes et les cultures vivrières
que ce qu’on pouvait penser jusqu’ici »,explique Berry Brosi. «Cette étude
démontre que la perte d’une seule espèce d’abeille peut mettre en danger la
pollinisation et la reproduction des plantes à fleur», détaille Alan Tessier, le
directeur du programme à la division de biologie environnementale à la National
Science Fondation, qui a financé une partie de l’étude. «La mise en lumière des
mécanismes est impressionnante: la perte d’une seule espèce change le
comportement de butinage de toutes les autres espèces.»
Cette étude inédite permet de prendre la mesure d’un constat dressé par l’agence
européenne de l’environnement (AEE): en 20 ans, la moitié des papillons des
prairies ont disparu en Europe. La faute aux pratiques agricoles, mais aussi à la
fermeture par des broussailles et des arbres, à cause… de l’abandon des terres
par l’agriculture. Une tendance observée depuis une dizaine d’années dans les
prairies de moyenne montagne, essentiellement dans le sud et l'ouest de l'Europe.
Cette étude de l'AEE porte sur l'évolution de 17 espèces de papillons des prairies
entre 1990 et 2011 (7 communs, 10 plus spécifiques). Résultats: 8 ont décliné comme l'argus bleu (Polyommatus icarus)-, deux sont restées stables -comme
l'aurore- et une a augmenté. Pour 8 espèces -comme l'hespérie du chiendent
(Thymelicus acteon)- la tendance est «incertaine».
«Ce dramatique déclin des papillons de prairies devraient donner l’alerte. Les
habitats de ces espèces diminuent. Si nous ne parvenons pas à maintenir ces
habitats, nous pourrions perdre une partie de ces espèces pour toujours. Nous
devons reconnaître l’importance de ces papillons et des insectes; la pollinisation
qu’ils effectuent est essentielle pour les écosystèmes et l’agriculture»,estime
Hans Bruyninckx, le directeur exécutif de l'AEE.
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