Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales Projet de thèse pour l’inscription dans la formation doctorale de rattachement : « Anthropologie sociale et ethnologie » par Mariette TERRISSE Directeur de thèse : Mr Philippe URFALINO Co-directeur de thèse : Mr Patrick MIGNON Techniques d’aujourd’hui…et de demain1 Une ethnographie du sport dans ces enjeux face aux nouvelles technologies Mots clés : technologies / techniques du corps / corps / sciences / représentations/ images / spectacle / performance / esthétique Laboratoire d’accueil : CESTA : Centre de sociologie du travail et des arts, 105, bd Raspail, 75006 Paris. Directeur : Philippe URFALINO 1 En référence à l’ouvrage de mon directeur de Master : le Professeur Georges Vigarello ; Une histoire culturelle du sport. Techniques d’hier… et d’aujourd’hui, Editions Robert Laffont S.A., et Revue EPS, Paris 1988 SOMMAIRE DU PROJET I Présentation du sujet et questionnements initiaux II Cadre conceptuel II.1 Méthodologie II.1.1 L’observation participante II.1.2 Cadre théorique de la méthodologie II.1.2 Les entretiens II.2 Définition des concepts et problématique III Conclusion et perspectives : nanotechnologies et performances III.1 Ouverture possible III.2 Prolongements de la problématique initiale IV Bibliographie provisoire I Présentation du sujet et questionnements initiaux Ce projet de thèse fait suite à un mémoire de Master sur le processus de féminisation d’une nouvelle technique du corps : le saut à la perche féminin2. L’histoire du saut à la perche et du changement des représentations liées à cette pratique sportive nous avaient alors permis de questionner l’évolution du processus de féminisation. Une étude ethnographique avait abouti à spécifier le saut à la perche comme une discipline se caractérisant par un espace-temps étrange. C’est en cela que ce sport apparaît comme « complet » : du fait qu’il est instrumenté, sacré et magique. La richesse des entretiens avait ensuite permis de dégager des typologies à la fois d’entraineurs, de femmes perchistes et de rapports entraineurs/entrainés mais surtout de mieux appréhender pourquoi et comment les femmes ont pu étape par étape, investir cette pratique : passer de l’interdiction à l’autorisation puis du mimétisme au syncrétisme. Nous avions abouti à l’hypothèse que les femmes perchistes sont encore dans une phase syncrétique par rapport à la technique masculine du saut à la perche. Elles devraient à l’avenir s’en détacher pour permettre l’émergence d’une nouvelle technique. Terrisse M., L’accès des femmes au saut à la perche. Processus de féminisation d’une nouvelle technique du corps, pour l’obtention du Master 2 « Ethnologie et anthropologie sociale (mention Anthropologie) », 2007 2 C’est bien sur cette lancée que nous comptons poursuivre en thèse : toujours dans l’idée de comprendre pourquoi et comment naissent des nouvelles techniques du corps. En recentrant la recherche non pas sur l’émergence d’une nouvelle technique par l’intrusion d’une nouvelle population mais en se penchant sur l’émergence de nouvelles techniques sportives du fait de l’invention de nouveaux matériaux. Les exemples sont infinis : nouvelles pistes en tartan, nouveaux sols en tennis, vêtements et objets toujours plus légers et performants, chaussures adaptées aux différentes pratiques…Georges Vigarello avait fait le point sur ces nouveaux matériaux transformant les pratiques dans son ouvrage « Techniques d’hier…et d’aujourd’hui : histoire culturelle du sport» en 1988; il s’agira pour nous de réactualiser ces analyses tout en amenant une autre dimension à l’étude, puisque plus que l’histoire nous convoquerons les méthodes ethnographiques pour appréhender non seulement comment les sportifs vivent les changements constants qui animent leurs pratiques mais envisagent leur avenir. Il s’agira donc de partir des matériaux eux-mêmes pour aborder les techniques. Trois ou quatre pratiques seront étudiées et analysées afin de croiser les exemples et de voir si il existe des recoupements dans l’évolution des techniques et leur transformation. Y a t il dans les transformations brusques des outillages classiques en nouveaux types d’outils des principes convergents à plusieurs sports ou pas et qu’est ce que cela met en jeu comme culture ? Par exemple : comment se sont étendues les fibres ? quels ont été les conséquences sur les mâts de bateaux, les perches, les skis ? Cela renvoie à une culture gestuelle et à des principes physiques qui se renouvellent. D’où viennent ces nouvelles technologies ? Qui invente les nouveaux objets du sport ? Comment cela se passe concrètement dans les pratiques : les productions, les usines…comment les producteurs fabriquent-ils ? pour qui ? combien produisent-ils de matériaux? Puis, comment ce qui n’était pas technique le devient ? alors comment se diffusent ces nouvelles techniques ? qu’est-ce que cela produit sur l’imaginaire des gens ? Quelles sont les résistances ? Les techniques du corps se confrontent en effet aux objets, aux agents, aux milieux qui sont transformés. Mais si les techniques corporelles changent d’elles-mêmes c’est dans leur confrontation aux objets qu’elles mutent. En tennis, par exemple, selon les surfaces ne peut-on pas penser qu’il existe finalement plusieurs tennis ? Puisque aujourd’hui le milieu interpelle la technique à travers des nouveaux espaces, des nouveaux objets, des nouvelles sciences, des questions culturelles se posent à la fois sur la résistance des habitudes mais aussi du corps : jusqu’où peut-il s’adapter ? Puis un équilibre fragile s’instaure pour des raisons liées à la fois au spectacle et aux problèmes de sécurité. Par exemple, pour que la haie devienne intéressante à une époque il a fallu qu’elle devienne basculante. La technique corporelle a alors changé, puis la dynamique de transformation s’est poursuivie et la haie est devenue ultra légère, puis souple. Désormais l’évolution n’est plus possible. Autrement par un système de rétroaction ça tuerait le spectacle : il existe une régulation interne. C’est pourquoi il faudra aussi demander tout au long de cette thèse si le sport n’est pas arrivé au bout d’un processus ? Jusqu’ou peut aller le spectacle, quels en sont les limites ? et quel sera le spectaculaire de demain et les images associées ? alors par quelles transformations matérielles passera t-il ? Par rapport à cela la question du sport ne s’est jamais autant posée qu’aujourd’hui : car il est dans une phase de transition. Il s’agira donc de partir du sport actuel pour revoir les rapports qu’il entretint avec son passé et de proposer un regard prospectif par rapport à l’avenir. II Cadre conceptuel Les deux méthodes classiques de la méthodologie ethnographique seront convoquées : l’observation participante et les entretiens afin de comprendre pourquoi et comment les sports s’hyper-technicisent. Comment les pratiquants vivent, gèrent mais aussi orientent les changements? II.1 Méthodologie II.1.1 L’observation participante J’avais entrevu les avantages et les inconvénients d’un travail sur un « terrain proche » lors de mon master sur le saut à la perche que je pratique depuis douze ans. C’est pourquoi je souhaiterais en thèse continuer cette analyse des techniques du saut à la perche tout en analysant d’autres pratiques. J’aurai donc à la fois de nouvelles populations à découvrir mais aussi des nouvelles techniques à comprendre. Je compte donc mener « trois à quatre terrains différents en un » puisqu’il seront tous sur le même site: l’INSEP (institut national du sport et de l’éducation physique). Ma population sera donc les sportifs de haut-niveau et leur entourage (entraîneurs, médecins et ingénieurs). Deux stratégies d’observation devront être mises en place selon que j’étudie ma pratique : le saut à la perche ou d’autres sports. Pour l’étude des sportifs d’autres disciplines le travail d’intégration dans leur terrain sera le plus important : apprentissage de la technique, participation aux tâches quotidiennes d’entraînement, de compétition, de repas… Pour l’ étude du saut à la perche ma mission sera l’inverse : me dés-intégrer, au sens propre et au sens figuré ! Il s’agira dans mon cas de me distancier tout en décomposant mon action : bien distinguer les moments d’entraînement personnels et ceux de recherche, ma vie d’étudiante et ma vie de perchiste. Dans les deux cas la volonté d’objectiver mes préjugés restera centrale : il faudra aussi être capable d’exprimer les registres qui informent ma propre perception : faire ce que l’on appelle l’ « auto-analyse3 ». Cela permet de comprendre les catégories qui orientent nos propres perceptions. Pour ensuite saisir quels seraient les catégories de pensée des personnes observées. Il s’agit dans l’auto-analyse de rompre avec les pré-notions et de tenir compte du 3 Weber S Beaud, Guide de l’enquête de terrain, Editions La Découverte, 2003, p.26 fait que nous sommes des individus sociologiquement « situés ». Ainsi notre arrivée sur le terrain a des conséquences, entre autres sur les interactions sociales, qu’il ne faut pas négliger. L’observation est une méthode complexe. Les actes observés étant souvent équivoques. La polysémie qu’un acte peut endosser doit être vérifiée par d’autres moyens qu’une simple observation de l’anthropologue trop subjective : quelle illusion de penser que nous donnons une copie fidèle des phénomènes sociaux et des évènements auxquels nous avons assistés4. Le regard de l’observateur n’est pas neutre, même si il vit lui-même l’expérience ce que postule la méthodologie de l’observation participante. Il faut donc déconstruire ce regard puisqu’il a été indubitablement construit. L’observation est une technique d’enquête : c’est une démarche d’élaboration d’un savoir avec tout ce que cela engendre en terme de réflexivité pour palier à la subjectivité de l’observateur. Elle vise la description permettant de comprendre un environnement et les évènements qui s’y déroulent. Il s’agit alors de dégager une vison d’ensemble. « Comprendre l’intelligibilité d’un phénomène, c’est à la fois le relier à la totalité sociale dans laquelle il s’inscrit et étudier les multiples dimensions qui sont les siennes5 ». Ceci est possible en travaillant les divers regards sur la pratique, d’où l’intérêt pour moi de travailler sur différents sports afin d’être confrontée à des populations au sein de la population sportif de haut niveau, à plusieurs techniques, à différentes perceptions et représentations du haut niveau, du corps, des techniques… J’ai prévu de faire autant que possible une observation active (mon statut de sportive de haut niveau devrait m’aider). Ainsi je souhaiterais être moi-même engagée directement, quelque soit mon rôle, dans l’univers de relation que j’observais. Ce processus s’achèvera dans ce qui est retiré de l’observation à savoir un compte rendu d’observation. Cette phase finale consistera à utiliser les notes de lecture pour les rendre intelligibles à autrui. Comme les autres périodes de l’observation, et peut-être même encore plus, elle nécessitera une grande vigilance. Car passer de quelque que chose d’aperçu à quelque chose d’écrit implique un changement de nature qui ne doit pas pour autant corrompre l’information. C’est ce que Laplantine appelle l’« activité de transformation du visible6.» Il s’agira de mettre en forme l’observation.. 4 Laplantine F., La description ethnographique, Nathan Université, 1996, p. 34 Op cit,, p. 49 6 Laplantine F., La description ethnographique, Nathan Université, 1996, p. 113 5 Observation, rédaction et compréhension doivent être profondément liées pour former un tout cohérent. C’est pourquoi un jeu permanent d’aller retour entre le terrain et la rédaction devra s’établir afin de ne pas tomber dans des formes d’ethnocentrismes. « L’observation tient dans cette tension, ce malaise provoqué, ce moment où le familier devient étranger, l’étranger devient familier7». Comme le soulignent Florence Weber et Stéphane Beaud il faut rendre étrange ce qui ne l’est pas et apprendre à ne plus considéré l’étrange(r) comme tel, encore une fois le fait de travailler sur des pratiques différemment connues devrait mieux permettre cette démarche ! II.1.2 Cadre théorique de la méthodologie : Une des manières d’éviter ces débordements est peut-être d’aborder le terrain d’emblée avec un regard d’anthropologue et une volonté d’ethnologue, c’est-à-dire avec un a priori théorique sur l’intérêt du sport non en temps que pratique mais en tant qu’analyseur de la société. C’est pourquoi nous partirons du questionnement d’Alain Ehrenberg qui se demande si « pour décortiquer sa complexité mouvante il faille nécessairement rattacher le sport à autre chose qu'à lui-même? Le sport n'est-il qu'un aspect de la sociologie ( ou de l'anthropologie ou de l'histoire?) de la religion, de la politique…? N'en est-il qu'un sousproduit? Ne peut-il être analysé au même titre qu'eux avec le même statut? Si la religion peut être un point de vue pour aborder le sport, quels sont les critères qui interdisent d'appréhender le sport comme un ou un ensemble de points de vue sur autre chose, y compris sur la religion? Pourquoi le sport ne serait-il pas un objet riche en informations sur le reste de la société, comme l'était le don pour Marcel Mauss… ou la religion pour Max Weber 8. » Comme Alain Ehrenberg, nous pensons que le sport, en lui-même possède une autonomie anthropologique. L’anthropologie en tant que science interdisciplinaire paraît, en effet, très adaptée à l’étude du sport, qui en mal d’identité peut se re(con)naître en elle. De plus, le fait de vouloir faire une anthropologie des techniques du corps (volonté initiale) a aussi orienté le choix du terrain et la manière de l’aborder.« Ces deux démarches s’imposent ensemble. Elles sont incontournables pour toute histoire des techniques : alterner un regard « spécialisé », « techniciste » avec un regard plus ouvert voire multiréférentiel ; 7 8 Beaud S, Weber F., Guide de l’enquête de terrain, Editions La Découverte, 2003, p.146 Le culte de la performance, Alain Ehrenberg, Calmann-Lévy, Paris, 1991. respecter l’histoire singulière de chaque technique et prospecter ses convergences possibles avec celle des autres ; décrire des itinéraires particulier et rechercher des effets9. » Il ne s’agit pas ici d’hypothèses de bases orientant la recherche, mais d’orientations idéologiques qui ne doivent pas être négligées car présentes et influentes chez chacun. Et c’est bien en cela qu’une ethnographie est déjà en partie une anthropologie et inversement. L’observation est ainsi guidée par un ensemble de valeurs personnelles qu’il s’agit de conscientiser pour surpasser. II.1.3 Les entretiens Je ferai des entretiens dits semi directifs. J’ai choisi cette méthode car elle me procurait un bon compromis entre la validité et la fiabilité des entretiens10. Je me situerai aussi dans l’approche de la sociologie compréhensive : « L’entretien compréhensif reprend les deux éléments (théorie et méthode), mais il inverse les phases de la construction de l’objet : le terrain n’est plus une instance de vérification d’une problématique préétablie mais le point de départ de cette problématisation11 ». Ma problématique finale de thèse prendra donc forme tout au long des entretiens. Il ne s’agira pas uniquement de valider ou d’invalider par l’approche de terrain une problématique pré-établie mais de construire au fur et à mesure la problématique en interaction avec le terrain. Ce type d’entretien a pour but d’atteindre un savoir social incorporé par les individus par empathie et curiosité. Dans ce cadre les sportifs de haut niveau ne seront pas considérés comme de simples agents subissant le système, mais aussi comme des acteurs à part entière. Notre travail consistera alors à partir des données recueillies à expliquer le manière compréhensive le social12. Cette méthode, novatrice en science sociale est intéressante. Utiliser le terrain comme « problématiseur » et non pas comme vérificateur d’hypothèse me paraît très pertinent. De plus, l’empathie est dépassée par ce procédé qui prône l’engagement de l’intervieweur dans l’entretien. Ce qui est bénéfique dans une enquête comme la mienne, dans la mesure où je suis pratiquante moi-même, je ne peux pas interroger autrui sur sa pratique sans me livrer moi-même. Cette méthode fluidifie le dialogue et relâche les tensions entre les deux interlocuteurs. L’entretien compréhensif permet un véritable échange. Il ne Une histoire culturelle du sport. Technique d’hier…et d’aujourd’hui, Georges Vigarello, p. 10. Blanchet A., L’entretien dans les sciences sociales, Dunod, 1985, p. 52-53 11 Kaufmann J-C., L’entretien compréhensif, Armand Colin, 2004, p.20 12 Ibid. p.23 9 10 s’agit plus de s’effacer totalement pour ne pas influencer l’interviewé13, même si bien sûr il reste la « vedette ». On notera cependant les limites de la sociologie compréhensive. D’un point de vue épistémologique les ambitions de la sociologie compréhensive : à savoir « comprendre » semblent démesurées voire hors-sujet. A vouloir trop comprendre on ne voit plus. Du moins, cela s’écarte du projet de l’anthropologie qui vise à rendre visible des systèmes sociaux imperceptibles autrement, puis à les interpréter. Ne pourrait-on pas imaginer alors une combinaison productrice entre compréhension et explicitation, sans cantonner les deux déterminations dans des objectifs opposés ? Il ne s’agira donc pas dans ce travail uniquement de com-prendre, mais de comprendre pour mieux expliquer. Mais comme le souligne à juste titre Jean-Pierre Olivier de Sardan « trop de méthodologie tue la méthodologie14. » Il ne faudra donc pas tomber dans excès d’objectivisme et de volonté de maîtriser, mais aussi se laisser aller aux aléas du terrains même si parfois ils sont contraires aux exigences méthodologiques conventionnelles Ce qui est utopique… comme le souligne Kaufmann p.66 dans L’entretien compréhensif, Armand Colin, 2004 « Gommer les influences est impossible ; elles peuvent tout au mieux être légèrement diminuées, mais avec pour effet secondaire de produire alors un matériau pauvre (Schwartz, 1993). Il vaut beaucoup mieux entrer dans leur jeu, ce qui est possible avec l’entretien compréhensif» 14 Dans son article L’enquête de terrain socio-anthropologique , Enquête numéro 1, Les terrains de l’enquête, Editions Parenthèses, premier semestre 1995 13 II.2 Définition des concepts et problématique Nous définirons le sport comme suit : activité physique intensive qui s’institue dans la compétition normée et spectaculaire15. Les sportifs de haut niveaux étant les athlètes recensés sur les listes ministérielles par la « jeunesse et sport ». Comment ces sportifs accueillent-ils les nouveaux matériaux toujours plus nombreux et innovants dans le domaine du sport ? quels sont les conséquences sur leur pratiques : sont-ils pour autant plus performants ? qu’en disentils : quelles sont leurs représentations ? « Ce qui est humain, et seulement humain, c’est avant tout la projection du dehors, sur une scène forcément collective, des organes de la technicité _ d’une technicité qui ne cesse pas d’être organique sur le mode instrumental16 ». L’étude des techniques corporelles dans leur ensemble se prête à l’investigation, en commençant par l’adaptation aux contraintes liées aux grandes fonctions biologiques : de la marche en passant par la manière de s’alimenter et jusqu’aux diverses techniques de sommeil, et finissant par les techniques rituelles les plus symboliques. Mais les techniques sportives sont-elles réellement des techniques du corps comme se le demande Luc Robène dans son chapitre « Introduction à l’histoire des techniques sportive »17? Qu’est ce qu’une technique du corps et comment peut-on réactualiser ce concept vieux de soixante ans pour éclairer des conduites corporelles nouvelles ? « J’entends par ce mot les façons dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps. » Ainsi s’exprimait M.Mauss (1935) dans un plaidoyer pour l’étude de la gestualité humaine18. Tandis que pour Georges Vigarello « la technique corporelle correspond aux moyens physiques transmissibles jugés les plus adéquats pour atteindre un but dans une situation donnée. Ce sont les moyens sur lesquels interviennent les entraînements psychologiques et moteurs, ceux demeurant au centre des stratégies motrices19. » 15 Cette définition est personnelle et propre au cadre de cette recherche. Mais notons que le sport a été défini de diverses manières ce qui a pu faire polémique notamment dans le champs de la sociologie lorsqu’il s’agit entre autres de quantifier le nombre de sportifs. 16 Leroi-Gourhan in « Le geste et la parole II, La mémoire et les rythmes, Paris, Albin Michel, p. 63 17 Léziard Y, Robène L., L'homme en mouvement: histoire et anthropologie des techniques sportives, Paris, Chiron, 2006 18 Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Bonté ; Izard, p. 177. 19 « Une histoire culturelle du sport. Technique d’hier…et d’aujourd’hui » Georges Vigarello revue E.P.S, Paris 1988. Alors quels rapports existe t-il entre un geste et son outil (en l’occurrence la perche, le vélo, la combinaison de natation et les skis)? Peut-on parler de corps outil comme le font les sportifs lorsqu’ils assimilent leur corps à une machine ? Comme le souligne Bruno Karsenti : « on voit que le corps est l’angle d’approche privilégié pour la compréhension sociohistorique de la technique. Précisons : le corps, en tant que corps technique, c’est-à-dire le corps en tant que corps expulsé de lui-même pas ses propres forces et exposé sur l’espace commun du social20 ». Les techniques du saut à la perche, du cyclisme de vitesse, de la natation et du ski sont-elles universellement partagées ou y a t-il une place pour des variétés sociales et culturelles ? Comme le souligne G.Vigarello « le corps est un lieu ou les sujets affirment leur propre singularité aujourd’hui alors qu’avant les idéaux étaient différents ». Il faut donc inscrire le corps dans une large histoire et ne pas ignorer les grands glissements de culture. En quoi l’apparition de nouveaux matériaux transforment les techniques du corps ? Alors le perchiste développe t-il un corps de vertige ou un corps de performance ? Il existe de plus en plus de pratiques où le corps est le lieu d’expérimentation de soi, de transcendance, lieu d’expérimentation de l’au-delà ; ces quatre sports en font-ils partie ? les transformation animant ces sports vont-elles dans ce sens. Enfin quelle est la place du spectacle dans l’invention de nouveaux matériaux sportifs? 20 In « Technique du corps et normes sociales : de Mauss à Leroi-Gourhan, Intellactica, 1998/1-2, 26-27, pp. 227-239 Le corps étant bien le lieu de rencontre d’un espace physique universel avec un temps ou une durée tout à fait individuelle. Nous retiendrons qu’une technique est le résultat d’une adaptation des gestes à une conduite culturellement établie. Les techniques du corps comme les autres ne sont donc pas forcément rationnelles mais souvent le fruit d’un imaginaire fort. C’est pourquoi les attaquer sous l’angle des sensations par une phénoménologie des pratiques corporelles sera la voie privilégiée. Nous aborderons alors les techniques du corps comme ustensilité du corps coordonnant les forces et mouvements en vue d’un résultat assigné. Nous postulerons qu’il n’y a pas qu’une technique du corps dans chacun de sports étudiés plusieurs techniques sportives se concurrencent, se complètent, s’articulent. Nous verrons que la performance se caractérise par trois aspects : une dimension « normale » de la performance en ce sens qu’elle est une conséquence culturelle de notre monde. Une dimension « normée » dans la mesure où elle se déroule sur un territoire particulier qui apparaît comme allant de soi. Et enfin une dimension « normative » : la performance est imposée de l’extérieur. La deuxième dimension de la performance est qu’elle se caractérise par une quête de record. Celle-ci se traduirait par une incomplétude à laquelle on échapperait par la transcendance. Or les records devenant difficiles à battre cette détermination de la performance va-telle évoluer ? Quels seront les nouveaux concepts organisateurs de sport : l’esthétique, l’acrobatie ou la performance mesurée au millième près ? Cette dernière hypothèse va dans le sens de celle qui consiste à dire que le sport va se miniaturiser à la fois dans les technologies convoquées et dans manière d’en mesurer les résultats. III Conclusion et perspectives : nouvelles technologies et performance Selon la vitesse d’évolution des nouvelles technologies sportive la thèse pourrait donc déboucher sur un travail plus général sur les conséquences des nouvelles technologies à la fois sur l’imaginaire, sur le corps et sur la sociabilité des sportifs. Les jeux olympiques vont-ils être le lieux d’expérimentations des nouveaux athlètes ? génétiquement modifiés, ou équipés de nanotechnologies ? III.1 Ouverture possible : l’exemple des nanotechnologies Le nanomonde est le monde de molécules et d’atomes « nains »21, non seulement on change d’échelle en y entrant mais aussi la physique classique n’y fonctionne plus puisque ce sont les lois de la physique quantiques qui y sont reines. Les nanosciences et les nanotechnologies permettent de mieux contrôler l'organisation des atomes et des molécules pour créer des nanostructures aux propriétés nouvelles ou plus performantes. En effet appliquées au vivant les nanotechnologies permettent non seulement d’envisager la réparation de tissus ou d’organes des nanorobots pourraient être pilotés dans le corps pour soigner mais surtout afin d’augmenter les potentialités humaines. C’est bien l’ensemble de la vie sociale qui va être bouleversée par l’inventions de nouvelles technologies potentiellement innovantes dans tous les domaines :santé, environnement, information/communication, économie… qui non seulement préfigure la prochaine révolution industrielle mais les prochaines mutations sociales. L’anthropologie comme la science interdisciplinaire n’est elle pas une des plus pertinentes approches pour mieux comprendre les rapports que l’homme entretient avec les technologies qui l’entourent et notamment celles qui sont invisibles? Processus en cours il est 21 « Le préfixe nano vient du grec nannos, qui signifie "nain". Il divise par un milliard l'unité dont il précède le nom. Par exemple : une nanoseconde (1 ns), c'est un milliard de fois plus bref qu'une seconde. Un nanomètre (1 nm), c'est 30 000 fois plus petit que le diamètre d'un cheveu. Un atome d'hydrogène mesure environ 0,1 nm. Il y a la même différence de taille entre un atome et une balle de tennis, qu'entre cette même balle et la Terre. Un tel changement d'échelle permet de comparer l'exploration de "l'infiniment petit" à celle de "l'infiniment grand". » Site Internet de la cité des Sciences ; EXPO NANO, la technologie prend une nouvelle dimension, du mardi 20 mars au dimanche 2 septembre 2007 par conséquent tout à fait pertinent de l’étudier dans son évolution, d’autant qu’à cours terme les évolutions sont très sensibles et parfois même révolutionnaires. Notre hypothèse pourrait être : les avancées scientifiques sont telles dans la découverte des possibles des nouvelles technologies que les représentations des acteurs du système soient complètement en décalage par rapport à ces derniers. Blocages ou au contraire inconscience, quelles sont les limites psychologiques de l’infiniment petit ? « En 2006, le rapport issu de ce projet nous indique que le principal secteur concerné par les produits de consommation nanotechnologiques est celui de la santé et des sports (vêtements, accessoires de sports, cosmétiques, soins personnels, crème solaire, …) avec 59% des produits suivit de l’électronique et de l’informatique qui en rassemble 14% (Audio et vidéo; caméra et pellicules; hardware informatique; dispositifs mobiles et communication).22 » Quelles sont les enjeux et les risques « réels » des nanotechnologies (tout du moins ceux connus par les scientifiques) et ceux perçus par les utilisateurs ? Le fait que ces technologies soient invisibles n’a-t-il pas pour conséquence une place encore plus grande réservée à l’imaginaire ? L’avenir du sport doit-il s’envisager à l’échelle du nanomètre ? La technique était à l’origine un moyen pour l’homme de mieux contrôler son environnement. Les nouvelles techniques engendrées par les nano-technologies posent à la fois de nouveaux problèmes philosophiques, éthiques et politiques qu’une anthropologie des nouvelles technologies pourraient envisager dialectiquement. « Restent les questions d'éthique autour de la modification nanométrique du vivant et de la multiplication des sources d'information par la miniaturisation extrême des capteurs. Pour le sénateur Daniel Raoul, auteur d'un rapport parlementaire sur les nanosciences en 2004, « si la problématique de la toxicité pourra être résolue, celle de l'éthique est bien plus compliquée ». Un avis partagé par Didier Sicard, président du Comité consultatif national d'éthique, pour qui la transparence est la solution simple des questions toxicologiques. Il plaide pour que les questions éthiques de nanomédicine intègrent la loi bioéthique en 2009. Le président du comité d'éthique de l'Inserm, Jean-Claude Ameisen, estime également que les nanotechnologies posent les mêmes questions que les avancées des neurosciences. Pour lui, on évitera les dérives en donnant plus de place à la recherche fondamentale, actuellement oppressée par les développements des applications, c'est-à-dire les intérêts 23 économiques. » En effet, personne ne peut dire actuellement si ces nanotechnologies annoncent un monde meilleur et l’opportunité à l’humanité de mieux vivre sur d’autres modèles que le modèle capitaliste en fin de course ou tout simplement la fin de l’humanité comme certains le 22 23 Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Nanotechnologie Quiret M ; Les nanotechnologies déjà condamnées, Les Echos n° 19793 du 14 Novembre 2006 • page 16 prévoient. Il est d’ailleurs troublant de noter que quelque soit les époques la dégénérescence reste un des problèmes récurrents de l’humanité. Chaque invention technique suscite la peur panique, or les évolutions technologiques sont tellement nombreuses et rapides aujourd’hui qu’il est tout a fait intéressant d’essayer de comprendre comment elles sont vécues pas les acteurs en comparaison avec des inventions plus lentes telles que l’électricité, la voiture, l’informatique… Le fait que la défense nationale encourage des recherches performantes en nanotechnologies n’est guère rassurant et questionne sur le plan éthique. Et si le domaine médical semble plus à même de proposer des avancées pour l’humanité il suppose aussi des limites éthiques et des choix politiques prenant en compte des risques éventuels. « Le National Cancer Institute (NCI) vient d'annoncer la mise en place d'un programme de 144 millions de dollars sur 5 ans destiné à développer l'emploi des nanotechnologies dans la lutte contre le cancer. Radiographie du cancer du poumon, il s'agit d'une radiographie classique utilisant uniquement les rayons X et montrant un tumeur (tache noire sur le poumon droit). L'objectif est de mettre au point, à l'échelle de la molécule, des structures capables de détecter et détruire les cellules cancéreuses.[…] Mais malgré les espoirs suscités, certains spécialistes appellent à la vigilance. Les nanoparticules ne semblent en effet pas sans danger ; deux récentes études sur la souris ont notamment révélé qu'elles pouvaient être à l'origine de lésions dans les poumons et le cerveau. »24 Une réflexion anthropologique sur les rapports de l’humain à ces nouvelles technologies ne peut se passer d’un travail de philosophie phénoménologique afin de mieux comprendre comment les hommes de la science mais aussi les acteurs du système les vivent au quotidien. Des nano-robots peuvent ils être « cachés » dans le corps des sportifs ? Les athlètes « génétiquement modifiés » sont-ils déjà en piste ? Alors où peut on fixer la limite du vivant et de la machine ? Quel est l’enjeu pour l’humanité toute entière bien au delà du domaine du sport ? Ces questions devraient émerger à la fin du travail de thèse à la fois parce que les 24 L'avenir des nanotechnologies dans la lutte contre le cancer, France-science choses vont évoluer d’ici là et que ces questions pourraient constituer la suite du travail entrepris. III.2 Prolongements de la problématique initiale Il faut bien distinguer les nanotechnologie à usage externes au corps : pour la fabrication de matériaux plus performants et les nanotechnologies à usage internes faisant appel à des biotechnologie pour transformer les corps et ses possibles bien au-delà du dopage classique. Pour autant les nanotechnologies à usages externes ne sont pas illimitées en ce qui concerne l’usage que peuvent en faire les sportifs, puisque leur corps reste une limite biologique. Alors jusqu’où peuvent s’adapter les techniques du corps aux nouveaux matériaux toujours plus performants ? Comment les nouvelles sociabilités vont pouvoir voir le jour par les nanotechnologies ? Ces nouvelles sociabilités peuvent se mesurer dans le sport en amont. Il s’agira donc de questionner les sportifs de haut niveau sur leurs perceptions des ces nanotechnologies, jusqu’ou seraient ils prêts à aller pour gagner. Pour les sportifs introduire dans leurs corps des substances ne faisant en transit comme des produits dopants n’est pas comparable avec l’acte de « s’équiper » de machines internes ou de prolongements du corps (peut-on envisager que les nageurs accepteront de se greffer une nageoire pour aller plus vite ?) Derrière la performance se cache une certaine morale. En effet, les valeurs sportives classiques sont en mutation. Et l’on peut se demander quand l’innovation technologique devient-elle acceptable pour que la « performance » demeure ? Alors, qui la possède ? Comment les systèmes sociaux sont touchés par l’impact des nanotechnologies. Quelles seront les conséquences de l’intrusion des machine à l’intérieur du corps ? Comment la machine rationnelle inhumaine est-elle perçue, utilisée et envisagée par les athlètes d’aujourd’hui. Que seront-ils prêts à accepter demain ? comment le sport va t-il se transformer pour passer d’un sport ou le visible domine à un sport ou l’invisible pilote le corps humain ? Le sport est en prise avec un imaginaire et des réactions qu’il s’agira d’étudier. . L’approche anthropologique consistera à dégager des concepts encore masqués qui vont rompre avec ceux existants (égalitarisme, pureté, naturalisme, appareillage réglementé…) pour les remplacer par de nouveaux qu’il s’agira de faire émerger. Aussi il faudra se demander quelles transferts sont possibles à partir de l’expérience du sport et vers quels domaines : certainement vers les travaux sur la jeunesse avec la volonté récurrente de retarder le vieillissement, en direction de l’écologie mais aussi vers tous les problèmes médicaux lié aux prothèses et aux organes interchangeables. C’est bien la problématique du visible et de l’invisible qui découlera du terrain qui consistera à interviewer les athlètes sur l’extérieur et l’intérieur de leur corps. La question sera alors de se demander si finalement l’invisibilité du sport caractérisée par le dopage aujourd’hui et demain par d’autres nouvelles technologies aboutira à la destruction du sport ou à sa renaissance sous d’autres formes ? L’objectif sera grâce aux entretiens compréhensifs, d’envisager quelles seraient les conséquences psychologiques de la miniaturisation si elle envahit le sport de demain alors que le sport actuel est basé sur l’objectivation, le mesurable, la monstration et l’accroissement. Nous essaierons d’entrevoir comment les sportifs font-ils pour subsister alors qu’ils se sentent menacés et déqualifiés par les problèmes endémiques de dopage par exemple ? Alors quelles sont les zones de sécurité qui leur permettent de continuer à inventer des techniques du corps pour résister. Cela leur permet ainsi de continuer à perdurer par rapport à l’imaginaire de la performance. Ce qui rejoindra pleinement la problématique initiale et actuelle telle que nous l’avons présentée à savoir que le sport est en pleine mutation. Vivons nous la fin du sport tel qu’on le connaît avec les prémisses d’un nouveau modèle du sport, d’une nouvelle image du sportif et d’une nouvelle manière de la mettre en scène toujours plus spectaculaire. IV Bibliographie provisoire Beaud S, Weber F., Guide de l’enquête de terrain : produire et analyser des données ethnographiques, Paris, La Découverte, 2003. 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