CHAPITRE 3
LES POLITIQUES DE REGULATION
CONJONCTURELLE
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La politique conjoncturelle comprend l'ensemble des actions des pouvoirs publics
destinées à régulariser l'évolution globale de l'économie. Elle est fondée sur des instruments de
nature financière et agit principalement à travers la demande intérieure. Traditionnellement, on
distingue trois fonctions économiques de l'Etat : la fonction d'affectation des ressources, la
fonction de distribution du revenu et de la richesse et la fonction de stabilisation dont le but est
la réduction des variations de l'activité. La politique conjoncturelle relève de cette dernière
fonction. L'instabilité cyclique de l'activité, forte avant la Seconde Guerre mondiale, a diminué
durant la période qualifiée de Trente Glorieuses et augmenté depuis les années 70. La
croissance, la stabilité des prix, le plein emploi et l'équilibre extérieur sont les objectifs du
"carré magique". La politique conjoncturelle vise surtout les deux premiers objectifs. Les
instruments de la politique conjoncturelle, moyens principalement financiers, recouvrent,
d'une part, la politique budgétaire qui utilise les dépenses publiques et la fiscalité pour la
régulation de l'économie et, d'autre part, la politique monétaire qui agit sur les conditions
monétaires de l'évolution économique. Ces deux instruments sont utilisables dans les deux
sens, soit pour la relance soit pour la rigueur. En complément, la politique du taux de
change module la pression extérieure et la politique des prix et des revenus vise à freiner
l'inflation.
Section 1 - Les politique de dépenses publiques et de prélèvements
obligatoires
Jusqu'à la crise des années 30, la gestion des finances publiques a eu pour seul objectif
le financement des services publics régaliens en ignorant son impact sur la croissance. Avec
l'analyse keynésienne, la politique budgétaire est devenue un instrument essentiel de régulation
du niveau d'activité de l'économie. Plus particulièrement, ce rôle est apparu pour relancer la
production lors des phases de moindre croissance ou de récession du fait de l'effet
multiplicateur joué par les dépenses publiques. L'échec de ce type de politique pour répondre à
la crise consécutive au premier choc pétrolier (limites soulignées notamment par les théoriciens
néo-classiques) conduira à la contestation de l'efficacité de la relance conjoncturelle. Les effets
néfastes des déficits publics sont alors mis en avant. Pour cette raison, la politique budgétaire
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aujourd'hui a renversé ses objectifs : plutôt que de relancer l'activité par une augmentation de
la dépense, ce but est au contraire recherché par un assainissement des finances publiques
et la recherche d'une meilleure qualité de la dépense.
A - Un instrument de politique économique contesté
L'analyse keynésienne a permis de justifier l'intervention de l'Etat qui tentera de
garantir le plein emploi des facteurs de production grâce à une gestion de la dépense de l'Etat et
de son déficit. Ces pratiques ont été appelées fine tuning (pilotage fin) de l'économie.
Cependant, ce raisonnement a connu une contestation théorique renouvelée et a été affaibli par
l'échec des politiques d'inspiration keynésiennes menées à partir de 1974.
1 - Un instrument de stabilisation conjoncturelle
Dans l'approche traditionnelle keynésienne, la dépense publique permet de
réguler le niveau d'activité. Dans les faits, cette situation apparaît comme une évidence du
point de vue des masses financières en jeu : ainsi, au début des années 2000, la dépense
publique française (consommation finale des administrations + formation brute de capital fixe
de ces mêmes administrations) représentait plus de 25% du PIB (c'est-à-dire la deuxième
composante de la demande globale après la consommation des ménages). La question
essentielle en fait n'est pas l'importance quantitative de la dépense mais son effet multiplicateur
(thèse de Keynes, appliquée à l'augmentation de l'investissement macro-économique ou à
l'investissement public).
- L'effet multiplicateur de la dépense publique
Un accroissement d'une unité de la dépense publique, non financé par
l'impôt, augmente le PIB de plus d'une unité. Si Y désigne la variation du PIB et G, la
variation de la dépense publique, on peut écrire : Y = k. G avec k >1 (k=1/1-c).
L'augmentation de cette dépense est à l'origine d'une production supplémentaire, donc de
nouveaux revenus qui sont eux-mêmes source de dépenses supplémentaires et par conséquent,
de nouvelles productions qui vont engendrer à leur tour de nouveaux revenus …Si la dépense
publique supplémentaire était financée par une hausse de la fiscalité, le PIB augmenterait mais
d'un montant moindre que précédemment. T. Haavelmo montra en 1945 qu'un accroissement
d'une unité monétaire des impôts ou cotisations impliquait une baisse égale de revenu
disponible et allait diminuer la demande de moins d'une unité monétaire car les ménages
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dépensent une fraction seulement de leurs revenus (c, propension marginale à consommer <1).
L'effet net reste donc positif. Même un budget équilibré exercerait un effet stimulant sur
l'activité.
- L'effet des modifications fiscales
A niveau de dépense publique inchangé, une variation de la fiscalité et
des cotisations a des conséquences sur le niveau d'activité. Ainsi, une baisse de l'imposition des
ménages a des effets de relance sur l'activité puisqu'elle va accroître leur revenu disponible et
augmenter la demande globale. Aux Etats-Unis, les baisses d'impôts sur les revenus des
ménages et des sociétés en 1964 ainsi que les réformes fiscales de 1981 et 1986 par exemple,
qui abaissèrent les taux d'imposition puis réduisirent le nombre de tranches du barème ont
engendré des effets très expansionnistes sur l'activité économique. En revanche, en France, la
baisse de l'impôt sur les bénéfices, de 50% en 1986 à 33,3% en 1993, n'a pas stimulé
significativement l'investissement des entreprises et en 1995, la fiscalité des entreprises fut
alourdie. Pour toutes ces raisons, il est utile de déterminer la valeur du multiplicateur
budgétaire.
Tous les pays occidentaux ont mis en œuvre des politiques de soutien de la
demande à des fins de relance conjoncturelle. En France, trois plans de relance budgétaire
peuvent être distingués au cours des quarante dernières années : le premier a couvert la période
1966-1968 et a consisté en une contraction des recettes (aides fiscales à l'investissement) et une
hausse des dépenses (plans sectoriels pour l'informatique et la sidérurgie), ce qui a fait passer le
budget d'une situation équilibrée en 1965 à un déficit de 1,9% du PIB en 1968. Le second a été
décidé en 1975 pour pallier les effets du choc pétrolier : il se présente sous la forme de
dispositions pour accélérer l'investissement (en particulier dans les entreprises nationales) avec
des dépenses supplémentaires consenties par l'Etat. Une relance significative est intervenue : en
un an, l'excédent budgétaire de 0,5% du PIB en 1974 a été transformé en déficit (-2,6%). Un
troisième plan, plan massif de relance, intervient en 1981-1982 et le déficit se creuse passant
de 0,9% à 2,6% du PIB de 1980 à 1982.
2 - La contestation économique de la relance budgétaire
Les facteurs qui influencent l'effet de relance sont notamment les suivants :
- le type de financement adopté pour la dépense supplémentaire ; si elle
est intégralement financée par émission d'obligations sur le marché financier, une
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augmentation du taux d'intérêt se manifestera. En effet, les obligations nouvelles ne vont
trouver des acquéreurs que si leur taux de rémunération est attractif, c'est-à-dire légèrement
supérieur à celui des autres obligations. Or, la hausse des taux d'intérêt est défavorable à
l'investissement privé : une partie des projets à la limite de la rentabilité au niveau du précédent
taux d'intérêt deviennent non rentables. La conséquence est une diminution de la formation de
capital du secteur non étatique : c'est ce que l'on appelle l'effet financier d'éviction. Son
importance empirique est bien réelle. En France, on peut ainsi constater que l'aggravation des
déficits publics s'est accompagnée d'une montée des taux d'intérêt réels à long terme. Du fait de
l'effet d'éviction, l'effet multiplicateur de la dépense publique est d'autant plus important que le
financement de la variation de celle-ci sera réalisé par création monétaire. Ce sera le cas si les
titres d'Etat émis à l'occasion de la hausse de la dépense publique sont souscrits en majeure
partie par le système bancaire et que celui-ci cède ces titres à la Banque centrale sur le marc
interbancaire : la hausse des taux pourra alors être évitée en raison de l'augmentation de la
liquidité bancaire.
- l'importance de la propension à importer du pays : si celle-ci est
élevée, le multiplicateur est faible. On peut relever la faiblesse de l'effet multiplicateur dans les
économies contemporaines. En France, le coefficient k serait de l'ordre de 1,4 au bout d'un an
et de 1,2 au bout de quatre ans. Les autres pays tels les Etats-Unis, l'Allemagne ou le
Royaume-Uni sont dans une situation comparable.
Quel lien peut-on établir entre la valeur du multiplicateur et la propension à
importer d'un pays ? L'effet multiplicateur repose sur un mécanisme de vagues successives
de dépenses et de productions induites. Or, en économie ouverte, les fuites dans le circuit
économique sont nombreuses du fait de l'existence des importations : lorsqu'un euro de revenu
est consacré à l'achat d'un bien produit à l'étranger, ce revenu sort du circuit économique
national et ne stimule plus la production intérieure (l'effet multiplicateur est en quelque sorte
exporté). Cela se produit dans les pays développés la part des importations de biens et
services ne cesse de s'élever. A la fuite que représentent les importations, il faut ajouter celle
des prélèvements obligatoires (environ 45% du PIB français à l'heure actuelle, soit un peu
moins de la moitié de tout revenu créé par la hausse d'activité, cessent d'induire directement
une dépense ou une production supplémentaire).
Dans les pays occidentaux, la part croissante des importations et des prélèvements
obligatoires a fortement atténué l'impact de la dépense publique sur la conjoncture. Dès lors, la
stratégie keynésienne consistant à accepter un gonflement temporaire du déficit budgétaire
pour relancer l'économie est devenue caduque. En effet, elle permettait un financement ex post
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