Traumatismes graves des membres
par Christophe Oberlin
Les véritables délabrements des membres ne sont pas rares en pratique civile.
Ce sont des contusions, écrasements ou étirements dus à des accidents de la voie
publique, à des impacts par arme à feu, à des écrasements par chute d'objet lourd
(arbres), voire à des morsures animales.
Les lésions sont beaucoup plus graves que dans les simples fractures ouvertes des
membres, mettent parfois en jeu le pronostic vital, obligent souvent à amputer.
Or, de nombreux blessés sont amenés à être reçus et traités dans de petits hôpitaux
régionaux aux moyens souvent limités. Si certaines interventions réparatrices
compliquées ne peuvent être envisagées dans de telles structures, il n'en demeure
pas moins qu'un traitement initial correct, guidé avant tout par le bon sens, peut
souvent être institué, permettre au patient d'éviter le sacrifice du membre et d'espérer
même un résultat fonctionnel utile.
I. Conduite à tenir sur les lieux de l'accident
Le pronostic vital peut être en jeu. Il faut:
1. Vérifier par un examen général rapide qu'il n'existe pas d'autre lésion que sur le
membre manifestement atteint, notamment pas d'hémorragie abdominale par la
palpation, pas de fracture vertébrale pouvant entraîner une paralysie par
manipulation intempestive: penser à demander au blessé de bouger les membres
sains, et palper le rachis de haut en bas avant tout déplacement de l'accidenté.
2. Il faut surtout faire cesser toute hémorragie grave pouvant entraîner un collapsus.
S'il existe une hémorragie importante au niveau du membre atteint il faut la stopper
immédiatement: appliquer directement sur la région qui saigne un linge propre et
faire un pansement compressif. Si l'hémorragie ne cède pas c'est que le
pansement est mal fait: pas assez serré, ou non appliqué directement sur le point
qui saigne. Il n'y a pas de saignement au niveau des membres qui ne peut être
arrêté par un pansement compressif, en dehors des gravissimes plaies de l'artère
fémorale. Dans ce cas, comprimer directement la plaie par le poing fermé: la
meilleure façon d'arrêter une fuite sur un tuyau est de mettre son doigt dessus.
Il faut ensuite immobiliser le membre pour permettre le transport du malade:
a. Immobiliser le membre supérieur: main sur le thorax, coude au corps, et faire
si possible un bandage type Dujarrier. A défaut un vêtement fermé par dessus le
membre peut réaliser une contention de fortune.
b. Au membre inférieur, il faut immobiliser dans une grande attelle cruro-pédieuse:
deux morceaux de bois, une planche, peuvent faire l'affaire. A défaut
immobiliser le membre sur le membre controlatéral, le blessé reposant sur le
côté sain.
Il. A l'arrivée à l'hôpital
Mettre une perfusion veineuse pour rééquilibrer le malade. Tout risque vital ayant
été écarté, on s'intéresse alors au membre délabré. Un pansement correct est fait. Il
n'y a plus de risque d'hémorragie dramatique.
Il faut examiner soigneusement l'extrémité du membre à la recherche d'éventuels
signes d'ischémie: palper les extrémités à la recherche d'une diminution de la
température, d'une perte de la sensibilité surtout vérifier l'existence d'un pouls
capillaire en appliquant une aiguille et en relâchant brusquement la pression sur la
pulpe des doigts ou des orteils. Ce geste est fondamental car il règle le pronostic, et
surtout peut imposer une réparation vasculaire d'extrême urgence si les conditions
locales le permettent.
Les lésions vasculaires avec ischémie distale relèvent de centres spécialisés,
malheureusement encore trop peu nombreux. Dans le cas d'un membre non
dévascularisé, il faut rechercher des troubles de la sensibilité pouvant traduire une
lésion nerveuse, puis envoyer ce blessé choqué et immobilisé à la radiographie.
Le bilan complet et le traitement des lésions ne seront faits que sous anesthésie
générale en salle d'opération.
III. En salle d'opération
Un traitement initial correct, même s'il ne permet pas toujours de réparer toutes les
lésions, peut permettre d'éviter de graves complications infectieuses, autorisant
éventuellement alors un complément de traitement en milieu spécialisé.
Il faut avant tout faire un excellent parage, c'est-à-dire exciser tous les tissus voués à
la nécrose: le parage s'effectue sous garrot pneumatique, si la racine du membre est
saine et autorise la pose d'un garrot. Il est systématique de la superficie à la
profondeur. Il faut exciser les bords de toutes les plaies cutanées, exciser tout tissu
dévascularisé et voué à la nécrose: peau, aponévrose, muscle surtout; le muscle
nécrosé étant le meilleur des mafieux pour la multiplication microbienne, avec le
risque majeur de gangrène gazeuse.
On fait une hémostase très soigneuse et on repère les extrémités des éventuels
nerfs sectionnés. En fin d'intervention, les nerfs seront si possible affrontés bout à
bout par quelques points de fil très fin, après discrète recoupe des extrémités.
En ce qui concerne les lésions osseuses, le type de paration dépend
essentiellement des moyens dont on dispose:
Le fixateur externe constituerait bien souvent la meilleure immobilisation.
D'autres moyens d'immobilisation peuvent parfois être utilisés, à condition qu'ils
ne nécessitent pas d'abord chirurgical étendu des extrémités osseuses,
augmentant les risques d'infection ou de non consolidation. Des broches peuvent
être utilisées au niveau du poignet.
Dans les autres cas, l'immobilisation sera confiée au traitement orthopédique:
Au membre supérieur: immobilisation dans une grande attelle plâtrée
thoracobrachiale pour les traumatismes du bras et du coude, coude fléchi à 90°,
l'avant-bras étant placé sur un gros coussin d'abduction. Pour les traumatismes
de l'avant-bras et du poignet une attelle brachio-antibrachiale est suffisante.
Ne jamais oublier de bien
positionner la main +++
- en légère pronation,
- articulation métacarpo-phalangiennes des quatre derniers doigts fléchis,
- pouce en rectitude et en opposition maximum. Pour cela, il faut caler un gros
paquet de compresses ou un gros morceau de coton entre le pouce et les autres
doigts. Si la main doit s'enraidir, le patient pourra toujours glisser un objet dans une
main qui aura été maintenue en bonne position.
Au membre Inférieur:
en cas de fracture du fémur, installer une traction transtibiale,
en cas de lésion du genou, de la cheville, du pied, faire une grande attelle cruro-
pédieuse,
en cas de fracture de jambe très instable, plutôt qu'une attelle cruro-pédieuse, on
aura souvent intérêt à mettre une traction transcalcanéenne qui alignera les
fragments tout en permettant les soins locaux. Celle-ci sera remplacée par un
plâtre après cicatrisation.
En ce qui concerne la fermeture cutanée, celle-ci ne sera réalisée que si elle peut
se faire sans excès de tension, en peau vivante, sur des tissus également bien
vivants. Il serait catastrophique de refermer la peau sur du muscle qui va se
nécroser.
Sur toutes les zones laissées ouvertes, appliquer un pansement gras type
compresse vaselinée. Un cas particulier est constitué par les larges décollements
cutanés qu'on peut observer dans les traumatismes tangentiels ou lorsque le
membre est passé sous le pneu d'un véhicule (scalps, dégantages). Dans ces cas,
même si la peau est toujours vivante, la nécrose constante de la graisse sous-
cutanée risquerait d'aboutir à une infection gravissime pouvant être à l'origine d'une
gangrène gazeuse.
Il faut dans ces scalps étendus des membres, enlever avec un simple bistouri toute
la graisse de la peau soulevée; la peau parfaitement dégraissée est alors perforée
tous les deux centimètres, toujours au bistouri, et reposée en greffe de peau totale
sur les muscles, après excision éventuelle des aponévroses musculaires.
Sur cet excellent sous-sol, la prise de greffe sera très bonne et la cicatrisation
étonnement rapide.
Enfin, le patient sera mis aux antibiotiques pénicilline pendant quelques jours.
Ne jamais oublier que dans ces traumatismes avec contusion importante, une
infection est toujours due à une nécrose qu'on a laissé évoluer alors qu'on aurait dû
prévenir l'infection secondaire par une excision chirurgicale précoce.
IV. Les jours suivants
Il faut faire les pansements le plus souvent possible, c'est-à-dire chaque jour si les
pansements sont sales.
Le lavage des plaies est fait à l'eau bouillie simple ou additionnée d'un antiseptique.
Toute nouvelle nécrose doit être excisée dès son apparition, au besoin au bloc
opératoire sous anesthésie générale si elle est étendue et profonde.
Si le pansement est propre, éviter au maximum les anesthésies qui mettent le
malade à jeun, compromettent son alimentation et donc sa cicatrisation.
Il est en effet capital d'encourager le blessé à s'alimenter le plus possible,
notamment en protéines animales; à cet égard, l'appui de l'entourage est très
précieux. Une bonne alimentation est la meilleure garantie contre l'infection,
bien plus que les coûteux antibiotiques.
A condition de pansements réguliers, d'une alimentation correcte, toutes les plaies
vont rapidement laisser la place à un bourgeon charnu rouge, saignant facilement :
des greffes de peau pouvant être alors appliquées. Une cicatrisation rapide sera
obtenue. Les attelles seront alors remplacées par des plâtres circulaires, permettant
d'attendre la consolidation osseuse.
Au total, dans les délabrements des membres, quelques notions simples
doivent être soulignées:
en urgence : parage soigneux et immobilisation en bomme position,
en postopératoire: pansements réguliers et alimentation hypercalorique.
Si l'amputation peut être un recourt justifié, devant des complications
locales ou générales graves, les difficultés actuelles de l'appareillage
encouragent à être conservateur chaque fois qu'il est possible.
Développement et Santé, n°51, juin 1984
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