La Chine, regardons avant de juger C'est vrai, ce n'est pas facile. Situé à l'autre bout du monde, protégé par les plus hautes montagnes, d'immenses déserts et des mers elles-mêmes bordées par un océan, le pays est difficile d'accès. D'autant plus qu'à ces obstacles naturels, s'ajoute la Grande Muraille. Et pour celui qui parviendrait à franchir toutes ces barrières, une nouvelle se dresse devant lui, presqu'aussi infranchissable : la langue dont la calligraphie énigmatique semble, elle aussi, destinée à préserver tous ses secrets. Car des secrets, la Chine n'en manque pas. D'abord celui de la longévité de sa civilisation. N'est-elle pas trois, quatre, cinq fois millénaire ? La plus vieille toujours vivante. Et puis celui de sa capacité à renaître de ses cendres comme le Phénix. Le "Grand bond en avant" de 1957- 1958 et la Révolution Culturelle de 1966 – 1976, n'avaient-ils pas consumé l'économie chinoise ? Pourtant, à peine plus de trente ans après, la Chine détient la plus importante réserve mondiale de devises ! Devenue "l'usine du monde", elle fabrique à des prix défiants toute concurrence des produits de plus en plus élaborés. Hors de ses frontières, elle crée des entreprises, en achète, prend des participations financières dans d'autres, passe des accords stratégiques sur les marchés des matières premières, construit des ponts, des routes et autres ouvrages partout, dans tous les domaines. Elle envoie même un homme dans l'espace par ses propres moyens. Incroyable ! Comment est-ce possible ? On s'interroge. Jusqu'où la Chine va-t-elle aller ? On se souvient alors de ce que Napoléon disait : « la Chine est un lion endormi, le jour où elle se réveillera, la terre tremblera.» L'opinion ne comprend pas, et elle a peur. L'opinion a d'autant plus peur que la Chine est accusée de mille méfaits et tout particulièrement, de violer les droits de l'homme, d'occuper le Tibet, d'opprimer le peuple tibétain, et de vouloir se servir de tout, y compris des Jeux Olympiques dont on lui a confié l'organisation sur son territoire, pour orchestrer sa propre glorification. C'est trop. Certains pensent qu'il faut l'en empêcher, comme Daniel Cohn Bendit qui, le 26 mars 2008, au Parlement Européen, lance : «Il faut foutre le bordel pendant les JO à Pékin !» D'où les manifestations du 7 avril à Paris, au cours desquelles l'opprobre est jeté sur la Chine. Et la colère instantanée des Chinois spontanément exprimée partout à l'égard de la France ou, plus précisément, des Français auxquels ils reprochent de juger sans savoir, ni même prendre en compte les différences culturelles auxquelles, pourtant, les Français se disent si attachés. Le 19 avril, les Chinois de Paris invitent les Français à venir s'informer sur la place de la République. Mais, rares sont ceux qui répondent à l'invitation ... Le coût de l'ignorance est plus élevé que celui de l'information, disait J. F. Kennedy. Alors, dans l'espoir que le gain de l'information puisse être supérieur à celui de l'ignorance, essayons de regarder ce dont il s'agit. Les droits de l'homme en Chine : un problème dont l'aspect culturel nous échappe Les Chinois s'étonnent toujours des accusation de violation des droits de l'homme dont leur pays est l'objet : il n'y a pas de problème de droit de l'homme, sauf pour les dissidents dont le nombre est infinitésimal par rapport à celui de la population qui ne les estime guère. L'explication est d'ordre culturel. Pour les Occidentaux et nous en particulier, Français, citoyens du Pays de la Déclaration des Droits de l'Homme, "les Droits de l'Homme" c'est avant tout la Liberté avec ce droit suprême qu'elle donne à chaque individu de choisir et de faire ce qui convient le mieux à son épanouissement. Ce droit n'a pas d'autres limites que celles au-delà desquelles on nuit à autrui. Et encore, sous réserve que ces limites soient strictement définies par la loi. Ce droit et tous ceux qui en découlent sont opposables à la Société qui est tenue de les respecter et même, au besoin, d'en garantir le bénéfice. Dans notre conception de l'épanouissement de l'individu, rien n'est plus éloigné de la notion de liberté que celle d'obligation. En Chine, c'est presque le contraire. Certes, la liberté est indispensable à l'épanouissement de l'individu, mais celui-ci ne peut bénéficier des droits qu'elle confère qu'après avoir satisfait 1 à une obligation impérieuse : celle de s'adapter à son environnement. Car on ne voit pas comment un individu inadapté à son environnement pourrait s'épanouir. En effet, composé d'éléments bienfaisants et malfaisants, cet environnement est extrêmement complexe. D'autant plus qu'il est régi par des lois dont l'ignorance ou la transgression peuvent entraîner les pires conséquences, tandis que leur connaissance et leur respect sont sources de bienfaits. L'individu solitaire ne peut pas connaître grand-chose de tous les dangers et mystères de cet environnement. Pour s'y adapter, il n'a pas d'autre choix que de faire comme ses semblables, c'est-à-dire, poursuivre les efforts de ses prédécesseurs qui se sont regroupés et unis dans la recherche de la connaissance de cet environnement en perpétuelle évolution afin d'en tirer toutes les leçons à retenir en vue d'un épanouissement individuel et collectif harmonieux. Ces leçons sont capitales : Il n'y a pas que l'individu. Il y a aussi tous les autres, c'est-à-dire, la société dont l'épanouissement est bien plus important que celui de l'individu puisque, sans elle, l'individu, seul, ne peut pas s'épanouir. L'épanouissement de l'individu et celui de la société sont interdépendants. Ainsi, l'individu doit avant tout, s'intégrer à la société, et celle-ci doit l'y aider. S'ils réussissent, ils ne feront qu'un. Dès lors, nul doute qu'ils bénéficieront des meilleures chances pour s'adapter harmonieusement à leurs environnements respectifs, et rien ne s'opposera à ce que l'individu puisse s'épanouir librement selon ses goûts et ses capacités. A l'inverse, si l'individu et la société ne fusionnent pas, si leurs comportements respectifs ne sont pas cohérents ou au moins compatibles, ce sera l'anarchie, et le pire sera inévitable. L'individu qui a un comportement asocial met en péril non seulement son propre épanouissement mais aussi celui de la société. En pareille occurrence, la société doit impérativement, prendre les mesures qui s'imposent, compte tenu du contexte, c'est-à-dire de l'environnement présent. En Occident, ces mesures sont jugées excessives et dénoncées comme portant atteinte aux droits de l'homme. Et des pressions sont exercées sur la Chine. Mais en vain. Certes, en tant qu'éléments de l'environnement auquel la Chine doit s'adapter, ces pressions devraient être prises en considération. Mais leur poids ne pèse pas lourd par rapport à la masse des autres éléments dont la Chine doit aussi tenir compte. En outre, ces pressions sont pour le moins douteuses : comment les Occidentaux peuvent-ils affirmer que les individus doivent être libres de choisir la voie qui convient le mieux à leur épanouissement et, dans le même temps, faire pression sur les Chinois pour les obliger à changer de voie ! Résultat : ces pressions altèrent non seulement les relations entre leurs auteurs et la Chine (ce qui était facilement prévisible) mais aussi et surtout, la situation personnelle des dissidents que ces pressions prétendaient défendre. Car, en plus des reproches qui leur sont faits, ces dissidents vont devoir supporter une partie au moins, de la responsabilité de la dégradation des relations entre la Chine et les auteurs de ces pressions. En effet, finalement, ces dissidents qui critiquent leur société, comment peuvent-ils savoir que la conception occidentale de l'épanouissement de l'individu est meilleure que la conception chinoise ? Au vu de la différence des niveaux de vie ou des retards pris dans les domaines scientifiques et technologiques ? Foutaise ! Cela n'a aucun rapport. D'ailleurs, la Chine comble ces retards et ces différences à la vitesse grand V. Ce dont les Chinois ont besoin pour mieux s'épanouir, ce n'est pas davantage de liberté, c'est davantage d'argent pour financer l'exercice des droits que la liberté confère. Car, sans argent, la liberté n'est qu'une illusion. Et la Chine fait le nécessaire pour s'enrichir. Il n'y a aucun doute, ces dissidents se trompent : la conception chinoise de l'épanouissement de l'individu n'est pas liberticide ; penser que la liberté n'est pas la condition première de l'épanouissement de l'individu, et subordonner l'exercice des droits que confère la liberté à une adaptation préalable à son environnement ne doivent pas être interprétés comme une mise à l'index de la liberté. D'ailleurs, les Chinois n'ont pas attendu les Occidentaux pour connaître le droit à la révolte qui est sans aucun doute l'un des droits les plus importants que confère la liberté. Mais ils ne l'exercent que si leur épanouissement devient impossible, comme ce fut notamment le cas en 1368, lorsqu'ils mirent fin à la dynastie mongole des Yuan ou en 1911, lorsque que la dynastie mandchoue des Qing fut abolie. Et puis enfin, ces dissidents, ne savent-ils pas qu'on doit laver son linge sale en famille ? On ne doit pas étaler ses critiques 2 sur la place publique, et encore moins faire appel ou se plaindre à des étrangers qui, au demeurant, il n'y a pas si longtemps, lorsqu'ils étaient en Chine, ne se se montraient pas si soucieux du respect des droits de l'homme ! … Le problème du Tibet C'est principalement, celui de son appartenance à la Chine, de son "oppression" par la Chine et de sa "représentation" par le Dalaï-lama. L'appartenance du Tibet à la Chine : un héritage stratégique à préserver dans l'intérêt même des Tibétains Cet héritage remonte au 14ème siècle, lorsque la dynastie chinoise des Ming chasse celle des Yuan dont les fondateurs mongols, descendants de Gengis Khan, avaient un siècle plus tôt, conquis le Tibet, cet ancien empire puissant tant redouté, alors en proie aux désordres causés par l'arrivée d'une première vague de moines bouddhistes venus de Chine au cours des dix premiers siècles de notre ère ... Ayant débarrassé le Tibet des Mongols, la Chine des Ming ne s'intéresse plus guère à son héritage. Elle ne prend pas garde aux nouveaux désordres qui s'y développent en relation avec l'arrivée d'une deuxième vague de bouddhistes poussés hors de l'Inde par l'Islam. Et les Mongols reprennent le Tibet au 17ème siècle. La Chine devra attendre la dynastie mandchoue des Qing pour récupérer l'héritage en 1720. Depuis cette époque, l'appartenance du Tibet à la Chine est devenue une réalité qu'aucun Etat ne conteste aujourd'hui. Pas même le Dalaï-Lama qui ne parle plus d'indépendance. Vraisemblablement parce qu'il est conscient que celle-ci est impossible, bien moins à cause de son statut d'héritage historique que de sa position stratégique. En effet, le Tibet, ce n'est pas seulement le "Pays des Neiges", c'est le "Toit du Monde", qui domine toutes les régions voisines, abrite les réservoirs des plus grands fleuves d'Asie, y compris chinois, et recèle peut-être, d'autres richesses. Il n'y a pas que les Mongols qui aient tenté de s'y implanter : les Népalais aussi, deux fois, en 1788 et 1791, les Anglais également en 1904. Bien d'autres s'y sont intéressés aussi, les Russes notamment. Nul doute qu'aujourd'hui plus encore, il puisse susciter de nouvelles convoitises, et être du même coup, le théâtre de nouveaux désordres avec des conséquences bien plus graves et étendues que celles qu'il a connues dans le passé. D'autant qu'il y a dans son voisinage des régions qui sont loin d'être stabilisées. Et c'est évident, les Tibétains ne peuvent pas être en mesure d'assurer sa sécurité ou son intégrité ; seule la Chine peut le faire. C'est la réalité dont le Dalaï-Lama lui-même a parfaitement pris conscience. Et c'est pourquoi, revendiquer une application du principe du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" au profit des Tibétains, serait non seulement vain, mais surtout dangereux pour les Tibétains eux-mêmes. Il reste que l'on peut se demander si ces Tibétains ont la moindre chance de s'épanouir avec des Chinois accusés d'oppression et de génocide culturel. "L'oppression" et le "génocide culturel" du Tibet Car c'est vrai, des morts, des emprisonnements, des destructions de temples, il y en a eu. Cependant, ce n'est qu'une partie de la réalité : Concernant ces Tibétains qui ont été effectivement tués ou emprisonnés, comme en mars 2008, qui sont-ils : d'innocentes victimes, ou des émeutiers qui ont non seulement saccagé et incendié des échoppes, mais sont surtout directement responsables de la mort de nombreuses personnes dont le seul tort était de ne pas être tibétain ? Pourquoi alors, parler d'oppression ? Pour évoquer dans l'esprit de l'opinion une volonté de domination voire d'asservissement que l'on ne parvient pas à prouver ? … Concernant l'accusation de génocide culturel : c'est vrai, en 1966, il y a eu des destructions massives de temples accompagnées de contraintes sur des milliers de religieux dont certains on perdu la vie. Ces faits avérés sont inexcusables, mais ils n'ont rien à voir avec un 3 génocide culturel : ils sont exclusivement le résultat de la folie meurtrière de la Révolution Culturelle dont le mot d'ordre insensé était de faire disparaître toute trace du passé, sans distinction aucune entre ce qui est proprement chinois, tibétain ou bouddhiste. C'est vrai aussi que des Chinois Han viennent au Tibet, sauf que ce n'est pas pour y commettre un quelconque génocide, mais pour le mettre en valeur, conformément à une politique applicable à toutes les régions désertiques de la Chine, qu'elles soient tibétaines ou pas. Où sont les preuves d'une volonté politique visant au génocide culturel ? Dans les dispositions de la loi chinoise selon lesquelles l'interdiction faite aux familles chinoises Han d'avoir plus d'un enfant ne s'applique pas aux familles tibétaines ?… La "représentation" du Tibet par le Dalaï-Lama Figure emblématique du Tibet, le Dalaï-Lama est surtout perçu par l'opinion comme le chef spirituel des Tibétains. Bien qu'il n'en fasse pas état, il est aussi détenteur d'une forme de pouvoir temporel qui est la source d'un problème crucial. L'origine mongole du pouvoir temporel du Dalaï-lama L'origine de ce pouvoir remonte au 17ème siècle, à la fin de la dynastie chinoise des Ming qui a négligé de faire régner l'ordre au Tibet, et au cours de laquelle les conflits entre nobles tibétains se sont étendus à leurs alliés respectifs : les monastères des différentes écoles bouddhiques qui, en contrepartie de leurs soutiens, ont reçu de ces nobles d'importants domaines fonciers. Dans ce contexte de désordre grandissant, le chef de l'école des Bonnets Jaunes, à la recherche d'un appui extérieur, se rapproche du prince mongol Altan Kahn, le convertit au bouddhisme et reçoit de lui en 1578 le titre de "Dalaï-lama". En 1642, après avoir repris un Tibet toujours en proie à des agitations intestines, le prince Gushi Khan, petit-fils d'Altan Kahn, donne au Dalaï-lama une forme de pouvoir temporel qui, bien que sous contrôle d'un régent et amputé du pouvoir militaire conservé par le prince, permet au chef des Bonnets Jaunes de se présenter comme le chef, sinon du Tibet, du moins des Tibétains. Lors de la reconquête du Tibet par la Chine en 1720, ce pouvoir temporel n'est pas annulé, mais simplement suspendu jusqu'en 1750. Selon la tradition mystique des Bonnets Jaunes, le Dalaï-Lama se succède à lui-même par réincarnation en conservant tous ses pouvoirs. Ainsi, les pouvoirs temporel et religieux du Dalaï-Lama d'aujoud'hui sont les mêmes que ceux du Dalaï-Lama de 1642. Un pouvoir temporel embarrassant dont le Dalaï-Lama ne parvient pas à se défaire Le Dalaï-Lama d'aujourd'hui ne fait pas état de son pouvoir temporel. Faisant comme si celui-ci n'existait pas, Il se présente et veut à l'évidence, être perçu exclusivement, comme un chef spirituel respectueux de la démocratie. C'est logique. De nos jours, le cumul des pouvoirs religieux et temporel n'a pas bonne presse auprès de l'opinion internationale. C'est d'autant plus logique que depuis une vingtaine d'années, le Dalaï-Lama reconnaît à son tour l'appartenance du Tibet à la Chine. Cela étant, selon la "Charte des Tibétains en Exil", présentée comme modèle de constitution démocratique pour le Tibet, le pouvoir exécutif appartient au Dalaï-lama (article 19) et aucune loi n'existe qui ne soit approuvée par lui (article 36) ! Certes, le texte de ces articles, sinon écrits du moins approuvés par le Dalaï-Lama, date de 1963, époque à laquelle, revendiquant l'indépendance du Tibet, il se présentait aussi comme son chef temporel. Mais aujourd'hui, comment expliquer l'existence de telles dispositions aussi antidémocratiques ? Fourberie ? Peut-être. Mais il y a aussi, peut-être, une autre explication plus plausible : La position du Dalaï-Lama sur toutes les questions relatives au Tibet, y compris celles concernant son propre pouvoir temporel, a fortement évolué au fil du temps. Les Tibétains ne sont pas tous d'accord avec lui, loin de là. 4 Sur la question de l'indépendance du Tibet, le Congrès de la Jeunesse tibétaine ne cache pas son désaccord total avec lui. Le "combat pour l’indépendance du Tibet" reste un des objectifs essentiels des membres de ce Congrès qui seraient plus de 70.000 en exil. Sur la question du pouvoir temporel que le Dalaï-Lama souhaite manifestement sinon supprimer du moins réduire, il n'est pas sûr que tous les moines partagent ses vues. Il s'agit d'un sujet politique tout aussi important que le précédent. Et l'Histoire nous rappelle que dans le passé, les monastères des diverses écoles bouddhiques se sont maintes fois âprement opposés pour des raisons précisément politiques. Et puis, enfin, il ne serait pas surprenant que certains Tibétains rêvent encore d'un retour vers le régime théocratique de type féodal qui existait avant le départ en exil du Dalaï-Lama en 1959, quand les monastères et les anciens nobles possédaient la plupart des terres tandis que le reste de la population vivait majoritairement sous leur domination en état de véritable servage ... Alors, dans un tel contexte, il est concevable que le Dalaï-Lama veuille s'abstenir d'imposer la suppression de dispositions telles que celles des articles 19 et 36 de la Charte des Tibétains en exil, pour éviter une scission de la communauté tibétaine. Surtout qu'il devient de plus en plus évident qu' une partie de celle-ci conteste ouvertement sa représentativité. La représentativité du Dalaï Lama contestée Chaque année, au mois de mars, des manifestations commémorent à Lhassa le départ en exil du Dalaï-Lama. Pour cette année particulière, celle des JO de Pékin, les directives du Dalaï Lama sont parfaitement claires : pas de violence. A priori, il ne devrait pas y avoir de problème : les Tibétains ont la réputation d'être extrêmement religieux ; d'autant que jusqu'en 1959, chaque famille tibétaine était tenue d'envoyer au moins un enfant dans les monastères. Mais voilà, cette année, en mars, les émeutes éclatent et des innocents meurent. La participation active de moines à ces émeutes et l'ampleur de celles-ci ne constituent pas seulement un acte de désobéissance, elles constituent un désaveu d'une fraction importante de la communauté tibétaine qui exprime son désaccord avec le Dalaï-Lama et conteste du même coup sa représentativité. Car pour ces Tibétains, le Dalaï-Lama n'est pas seulement leur chef spirituel, il est aussi leur chef temporel et doit agir en tant que tel. Dépositaire et gardien du pouvoir temporel, il lui appartient de le conserver et de le transmettre à son successeur tel qu'il l'a reçu. Si telle n'est pas sa conception, il n'est plus représentatif et doit démissionner. C'est du reste, ce qui a déjà été envisagé par le Dalaï-Lama qui ne cache plus sa lassitude. Cette lassitude est d'autant plus forte que c'est précisément en raison de ce pouvoir temporel dont il est encore titulaire que les autorités chinoises lui imputent la responsabilité des émeutes. Et la mise en cause de la représentativité du Dalaï-Lama par une partie de la communauté tibétaine ne peut évidemment pas faciliter l'ouverture d'un dialogue constructif entre les autorités chinoises et le Dalaï-Lama. Un tel dialogue est pourtant non seulement nécessaire, mais aussi et surtout urgent. Que se passera-t-il en effet, en cas de démission ou de disparition du Dalaï-Lama ? Qui sera son successeur ? Qui le reconnaîtra officiellement ? Comment ? Quelles seront ses vues sur le statut du Tibet, le pouvoir temporel et bien d'autres sujets ? Les questions sont innombrables et leurs réponses, tout à fait incertaines. Une seule chose est certaine, l'importance des enjeux et des risques de désordres graves que des autorités chinoises responsables ne pourraient raisonnablement pas tolérer, même si elles savent d'avance que, quoi qu'elles fassent et quoi qu'il arrive, la faute leur sera imputée par certains et, peut-être même, par beaucoup … Le nœud gordien Nul doute que le Dalaï-Lama ne soit parfaitement conscient de la situation. Le Dalaï-Lama est à l'évidence, prisonnier d'un dilemme dont les enjeux le dépassent. Lui seul pourtant, est en mesure de trancher ce nœud gordien. Serait-il possible de l'y aider ? La France est 5 traditionnellement une terre d'asile pour tous les exilés. Elle doit le rester, tout comme elle doit respecter le principe suivant lequel aucun Etat ne peut s'immiscer dans le règlement des affaires intérieures d'un autre, à moins d'y être invité. Le rôle le plus noble de la France dans l'Histoire est probablement celui de phare qui, tout en indiquant sa propre position, permet à chacun de faire le point sur la sienne et sur ce qu'il convient de faire surtout quand la tempête menace le cours des choses. Ce phare brillait encore fort et loin lorsque le Général de Gaulle préconisait de fonder les relations internationales, y compris, en particulier, celles avec la Chine, sur " la détente, l'entente et la coopération ". Ces principes seraient-ils devenus dépassés ou inappropriés à la Chine d'aujourd'hui ? Faut-il, comme l'affirme un expert en la matière, "foutre le bordel" ? Même si nous pensons pouvoir nous satisfaire des bienfaits du "bordel" de mai 1968, gardons-nous de rechercher les bienfaits qui pourraient résulter d'un "bordel" en Chine. Nous pourrions ne pas nous en remettre et aurions de bonnes raisons de trembler, car si les fatigues de l'Histoire semblent nous assoupir, le "lion" est bien réveillé. Ouvrons donc nos yeux et regardons la Chine avant qu'elle ne détourne son regard de nous. Nous Français, en particulier, dont elle (comme bien d'autres d'ailleurs) attend autre chose que de vaines critiques inspirées par une peur insensée générée par l'ignorance. Ne craignons pas de mieux nous connaître et de mieux nous comprendre. Les fruits de la connaissance et de la compréhension mutuelle sont abondants. Nul doute qu'il y en aurait même pour les Tibétains. Qingdao 6