Le personnage de roman porte les
préoccupations
d’une société à un instant donné
Aborder la notion de personnage
de roman et son évolution permet de
couvrir un large champ littéraire en
proposant l’étude de textes patrimoniaux
mais aussi la découverte d’auteurs
contemporains.
Le personnage est longtemps
demeuré l’élément central du roman, le
moteur de la fiction, sans pour autant
garder les mêmes caractères. Le
personnage se modifie au rythme de
l’évolution de la forme du roman et des
projets de leurs auteurs. Il incarne d’abord
des idéaux de sa communauté puis des
figures plus singulières. Dans le même
temps, il passe d’une certaine forme
d’abstraction à une caractérisation
réaliste. Souvent méconnu en raison de
l’accent mis sur le combat d’idées, le
roman des Lumières est pourtant
quantitativement très important. Il touche
un public de plus en plus large et subit la
censure car on lui reproche son
immoralité. En effet, le roman du XVIIIe,
qui ne s’adresse plus uniquement aux
élites, offre quelque chose de nouveau
aux lecteurs : l’identification. Le
personnage remplace le héros ; il incarne
l’homme avec toutes ses faiblesses, ses
doutes, et est ancré dans la société
moderne. Le personnage, aux origines
souvent modestes, illustre une volonté et
une possibilité d’ascension sociale. Le
personnage du XVIIIe est donc un témoin
du passage de l’Ancien régime au monde
moderne. À cette même époque, le roman
d’éducation fait évoluer le personnage au
fil de ses initiations. Il ne s’agit plus
uniquement d’un trajet de personnage à
travers la société (le personnage parvenu)
mais de son trajet personnel. Le XIXe
siècle s’attache particulièrement à ce
roman du présent. Plus que le récit, c’est
le personnage, l’individu, qui est au centre
du roman comme en attestent les titres
éponymes : Madame Bovary, Boule de
Suif, Eugénie Grandet… Les romans
réalistes et naturalistes racontent des vies,
souvent inscrites dans une généalogie. Ce
sont bien des vies d’hommes et de
femmes de leur siècle, toute leur identité
en témoigne : leur patronyme (Étienne
Lantier, Gervaise Macquart), leur langue
(le sociolecte). Ainsi, le narrateur de
Germinal utilise le même niveau de
langue, le même argot, que les
personnages. Le retour du personnage
d’un roman à l’autre (le personnage
reparaissant) participe à cette impression
de réel ; le personnage existe puisque son
existence ne s’arrête pas à la fin d’une
œuvre.
L’évolution essentielle du début du
XXe siècle, influencée par la naissance
des sciences humaines, tient surtout en la
caractérisation du personnage et au choix
du point de vue. Pour laisser plus de place
à l’interprétation du lecteur, mais aussi
plus de liberté au personnage et ne pas le
figer dans un destin écrit par son créateur,
les romanciers abandonnent le narrateur
omniscient et introduisent le "monologue
intérieur".
Parallèlement, les caractéristiques
externes du personnage sont très souvent
réduites à un strict minimum. Dans les
années 1960 le Nouveau roman choisit de
supprimer le héros pour des personnages
médiocres ou insignifiants. Si le
personnage est aussi central dans les
romans des XVIIIe et XIXe siècles, c’est le
résultat de l’évolution de la société, de la
naissance de l’individualisme. C’est
pourquoi selon Alain Robbe-Grillet, le
roman de personnages disparait au XXe
siècle. Le personnage n’est pas maître de
ses actions, il est déterminé par son
inconscient et son origine socio-
économique. Il existe des concordances
historiques entre formes romanesques et
types de société. L’objectif du Nouveau
roman est donc de replacer le roman dans