Georges Bernanos

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Georges Bernanos
Introduction
Georges Bernanos, né à Paris le 20 février 1888 et mort le 5 juillet 1948 à Neuilly-sur-Seine, appartient à ces
intellectuels français qui ont connu les deux guerres mondiales et leurs conséquences. Ces différents conflits ont
secoué les consciences et les esprits et ont poussé nombre d’entre eux à l’engagement. Bernanos ne dérogera
pas à ce quasi-impératif.
Mais Bernanos est également un écrivain de contradictions. Souvent mal lu, certains lui reprochent son fascisme,
d’autres son antisémitisme. Le personnage n’est en réalité pas si immuable : Bernanos saura en effet faire preuve
de discernement et « évoluera » tout au long de sa vie. C’est d’ailleurs sur cette évolution que nous allons réfléchir
en nous demandant quels aspects de la personnalité de Bernanos cette période cruciale de l’histoire de France at-elle révélés ? Pour y répondre, nous commencerons par présenter Bernanos, l’homme de la tradition. Nous
verrons ensuite qu’en tant qu’écrivain, il n’hésita pas à s’engager pour défendre ses idées. Enfin nous
présenterons son patriotisme et son grand attachement à la France.
I : Le traditionaliste
1) L’importance de la religion
Né au sein d’une famille de d’artisans, Bernanos baigne dans un milieu traditionaliste où la religion tient une place
centrale (sa mère était en particulier une fervente catholique). Toute son enfance est ainsi caractérisée par
l’importance de cette religion, ce qui permet d’expliquer le rôle majeur que jouera cette dernière dans la vie de
l’auteur.
Bernanos fit donc la majorité de ses études secondaires dans des établissements religieux (entre autre chez les
jésuites). Il se revendique très tôt de la mouvance du catholicisme traditionnel et social et adhère avec
enthousiasme au Rerum Novarum 1891.
La figure de l’homme d’église fut extrêmement présente dans l’éducation de Bernanos, il est donc normal de la
retrouver dans son œuvre littéraire (exemple du Journal d’un Curé de Campagne ou de l’abbé Donissan dans
Sous le Soleil de Satan).
Faisant partie de ces milieux catholiques qui s’interrogent, il est à rapprocher de Mauriac.
2) L’Action Française
Le traditionalisme de Bernanos se manifeste également par le fait qu’il soit monarchiste, antiparlementaire et
antirépublicain. C’est donc tout naturellement qu’il va épouser, pour un temps, les thèses de l’Action Française
(son père était d’ailleurs un fidèle lecteur de cette revue).
En 1908, à 20 ans, Bernanos s’engage au sein les « Camelots du Roi » (c'est-à-dire des militants royalistes
vendeurs à la criée du journal l’Action Française, mais également « gros bras » de cette organisation, entre 1908
et 1936). Cet engagement précoce lui permet de mettre en adéquation son action et ses idées, Bernanos n’étant
pas un homme de compromis. Il participe à des manifestations organisées par l’Action Française dans le quartier
latin visant à provoquer les partisans de la « Gueuse », cette république bourgeoise et matérialiste qui a chassé
Dieu des écoles et de la vie publique. A la suite de l’une de ces manifestations, Bernanos sera arrêté et incarcéré
pour quelques jours à la prison de la santé.
Vouant une profonde admiration pour Maurras, il participe logiquement à la rédaction de l’Action Française ainsi
qu’à celle de divers journaux monarchistes (en 1913, il prend la direction de l’Avant-garde de Normandie, un
hebdomadaire monarchiste). Bernanos défendra l’Action Française en 1926, au moment de sa condamnation par
le pape Pie XI, malgré la crainte d’être accusé d’hérésie. En effet, l’importance de la religion est telle pour l’auteur
qu’il n’imagine pas pouvoir vivre en dehors de l’Eglise.
Enfin pour l’anecdote, notons que c’est au sein de l’Action Française que Bernanos a rencontré la femme avec qui
il aura 6 enfants, une certaine Jeanne Talber D’Arc, descendante du frère de Jeanne D’Arc.
3) L’antisémitisme
Bernanos offre également une facette plus sombre de ce traditionalisme : il partage en effet l’antisémitisme de
cette France conservatrice qui s’est dressée, lors de l’Affaire Dreyfus, contre une autre France laïque et
progressiste.
Cet antisémitisme peut s’expliquer par l’admiration que Bernanos vouait à Drumont (journaliste, homme politique
et pamphlétaire antisémite auteur de La France Juive en 1886). Cette admiration justifierait l’aveuglement de
Bernanos, absolument et résolument convaincu de la culpabilité de Dreyfus, donc antidreyfusard, lors de la
relecture qu’il fera de cette affaire.
Néanmoins, les propos précédents doivent être nuancés. En effet, dans les années 30, Bernanos n’hésitera pas à
dénoncer la « monstruosité dégoûtante » du racisme nazi et à prendre ardemment la défense du peuple juif quand
commenceront les persécutions en France
 Imprégné de valeurs traditionalistes et conservatrices, nostalgique de l’ancien régime, Bernanos n’est pas pour
autant un personnage immobile, tourné vers le passé. C’est un écrivain engagé qui a su évoluer avec son temps.
II : Un écrivain engagé
1) L’opposition à la troisième République
Bernanos va tout d’abord se prononcer de façon ferme et radicale contre la troisième République qu’il hait
profondément. Il n’aura de cesse dans ses romans d’en maltraiter les représentants, que Bernanos considère
assez durement. En effet, influencé par les idées du cercle Proudhon, il entend se situer du côté du prolétariat. Il
fustige donc, tout comme Péguy, la bourgeoisie montante de cette troisième République qui ne se préoccupe
justement que de son ascension sociale. Il méprise profondément les radicaux et également l’ensemble du
système parlementaire qu’il juge discrédité et corrompu depuis l’affaire du canal de Panama. Dans son pamphlet
La Grande Peur des Bien-pensants, rédigé en 1930, il s’attachera particulièrement à dénoncer l’affairisme
politique. Enfin, Bernanos s’indigne de voir triompher la république scolaire de Ferry, à l’opposé de ses attentes en
matière d’éducation, qui expulse les congrégations (exemple des jésuites). Le régime à ses yeux n’est donc pas
anticlérical (ce qui serait seulement une « tare ») mais antireligieux (ce qui est inacceptable).
2) La Guerre d’Espagne
Les évènements de la Guerre d’Espagne mobilisent également la conscience intellectuelle de Bernanos. Installé
depuis 1934 dans les Baléares, à Palma de Majorque, Bernanos va assister au soulèvement nationaliste
espagnol. Il y sera dans un premier temps extrêmement favorable : il voit dans le soulèvement des généraux du
19 juillet 1936 le coup de force dont il rêvait en France contre les républicains. Il soutient ainsi les phalangistes (un
parti d’inspiration fasciste animé par Jose Antonio Primo de Riviera) auxquels sont propre fils Yves finira par
adhérer.
Mais Bernanos va se raviser devant la tournure que vont prendre les événements caractérisés entre autre par la
violence sanguinaire des franquistes et la complicité d’une partie du clergé espagnol. Bernanos réprouve ainsi
cette « mystique de la force », c'est-à-dire le fait que la religion soit mise au service de l’Etat (exemple d’une
pieuse dévote qui se flatte d’avoir servi la religion en faisant fusiller 8 hommes, opposés aux franquistes).
C’est dans ce contexte difficile qu’il écrit Les Grands Cimetières sous la lune et Nouvelle Histoire de Mouchette
dont José Bergamin dira : « c’est l’agonie de l’Espagne ».
Prenant son rôle d’écrivain engagé à cœur, Bernanos n’aura de cesse de dénoncer les massacres, les injustices
et, malgré ses convictions religieuses, les travers de l’Église espagnole lors de cette guerre.
3) Contre l’argent
Bernanos en a dénoncé les conséquences (on est en droit de se demander si cette position peut s’expliquer par le
fait qu’il n’en ait jamais eu beaucoup). En effet, même s’il fut un grand écrivain, « le plus grand romancier de son
temps » selon Malraux, il demeura toute sa vie un écrivain pauvre. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il
déménagea en 34 aux Baléares, la vie y étant moins chère qu’en France.
Cette inquiétude vis-à-vis de l’argent prendra véritablement toute son importance lors de son retour en France
après la seconde Guerre Mondiale. Il tentera de mettre en garde les Etats-Unis contre les dérives de leur système
capitaliste et sera de plus en plus tourmenté par l’établissement d’un monde où la valeur suprême est en train de
devenir l’argent, un monde où bientôt « le pauvre ne sera plus l’ami de Jésus-Christ », un monde où l’argent fait
de la société une jungle assimilable à l’état de nature de Rousseau et à ses conséquences sur la condition
humaine.
 Bernanos fut donc un écrivain engagé sur plusieurs plans : économique mais aussi politique et surtout
religieux. Cet engagement et ce recours à la dénonciation trahissent un esprit libre qui saura également faire
preuve de patriotisme quand l’occasion se présentera.
III : Le patriote : « une certaine idée de la France » (expression du Général de Gaulle)
1) La Première Guerre Mondiale
Bernanos fit partie des nombreux intellectuels qui prirent part au premier conflit mondial. Il fut blessé à plusieurs
reprises et se souviendra toute sa vie avec émotion de ces terribles années de guerre passées aux côtés de ceux
qu’il nomme les « gars français ». Il a donc activement participé à la défense de la nation.
Dès la victoire de 1918, il se retire de l’Action Française même s’il y conserve des attaches jusqu’au début des
années 30. C’est sa brève collaboration au journal Le Figaro du parfumeur milliardaire François Coty qui
officialisera sa séparation avec une action Française embourgeoisée, voulant faire du catholicisme une forme de
conversion sociale (Bernanos est farouchement hostile à cette idée).
Bernanos va donc opposer, au nationalisme de Maurras collaborateur du régime de Vichy, son patriotisme.
2) Les accords de Munich
Mais avant de traiter de Vichy, il faut noter que le patriotisme de Bernanos s’est exprimé quelques années
auparavant, lors des accords de Munich. En effet, notre auteur a toujours été extrêmement attaché à la France et
il s’en est fait une certaine idée centrée autour de la question de l’honneur (une notion très importante chez
Bernanos). Or les accords de Munich, des 29 et 30 septembre 1938, vont mettre à mal cet honneur. En effet, ils
sont marqués par les reculades des démocraties occidentales, dont la France, qui, par crainte d’un conflit, laissent
Hitler annexer la région des Sudètes (appartenant à la Tchécoslovaquie mais peuplée de germanophones). La
France s’incline donc devant l’Allemagne nazie, ce qui est inconcevable pour Bernanos. Ainsi, la « joie ignoble »
qui accompagne ces accords le révulse à un tel point qu’il part au Brésil pour cuver sa honte (et aussi pour se
« refaire » financièrement, objectif qu’il n’atteindra pas).
La réaction de Bernanos face aux accords de Munich prouve que ce dernier n’est pas un pacifiste.
Inquiet de la montée des régimes fascistes en Europe, il produira d’importantes réflexions sur le sujet qui vont le
faire remonter jusqu’au traité de Versailles de 1919. Bernanos pressent ainsi un nouveau conflit mondial.
3) La Seconde guerre Mondiale
La seconde Guerre Mondiale voit Bernanos parachever son rôle de patriote. Au Brésil lors de l’invasion de la
France en 40, il vivra très mal cette dernière et sera consterné par l’arrivée à Vichy de ce qu’il considère comme
une ridicule dictature agricole. Il s’oppose donc violement à Pétain qu’il accuse d’avoir renié la France (à cause
des élites intellectuelles qui l’ont dupée dès 1925 avec l’arrivée au pouvoir du Cartel des gauches).
Bernanos va très tôt prendre le parti du Général de Gaulle et publie de nombreuses lettres ouvertes de résistance
dans la presse brésilienne. Il s’indigne de la politique de Vichy, vocifère et fulmine ses anathèmes. Il prend
également la défense du peuple juif, persécuté, comme nous l’avons dit en première partie.
Plutôt que de le rassurer, la libération de 44 l’inquiète : les scènes d’épurations politiques l’indisposent et il craint
que la France ne s’approprie la victoire de façon exclusive alors que le débarquement était constitué d’une
majorité d’Américains, de Britanniques et de Canadiens. Pour Bernanos, il est en effet évident que la France ne
comptait pas 45 millions de résistants sous l’occupation et de plus Vichy semble avoir répandu son poison dans la
société française. Ajoutons que Bernanos devine des luttes politiques pour le pouvoir ce qui lui déplait fortement.
Rentré en Europe, il repart donc aussitôt pour la Tunisie, bougonnant contre la loi des vainqueurs.
C’est dans ses dernières années qu’il écrit son ultime pamphlet : Français, si vous saviez. Il refuse pour la
quatrième fois la légion d’honneur que lui tend le Général de Gaulle et refuse un fauteuil d’immortel à l’Académie
Française. Jusqu’au bout, Bernanos restera, au sens noble qu’il attachait à ce mot, irrécupérable.
Conclusion
Bernanos est un personnage inclassable, aux visages multiples mais avant tout chrétien, qui a su évoluer avec
son temps sans sombrer dans l’opportunisme. Il a su produire de brillantes réflexions sur les grands évènements
de son temps allant même jusqu’à entrevoir l’extermination des juifs par les nazis (en raison du caractère élu que
revendique ces deux peuples au sein d’un même Etat). Engagé, patriote et clairvoyant, son œuvre littéraire et sa
réputation reste aujourd’hui entachées par ses propos antisémites qui doivent être nécessairement nuancés.
Esprit libre, il n’hésita pas à dénoncer son propre camp et répond ainsi pleinement à l’idée que l’on se fait d’un
intellectuel.
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