notre appui à toute théorie des additions psychiques à l’objet connu dans la perception »
. A
propos de son concept de « bifurcation » où Whitehead dénonce toute tentative d’attribuer à
l’esprit seul le processus causal de la connaissance, le séparant ainsi de l’objet connu, il
déclare encore : « Quand il s’agit de la connaissance nous devrions liquider toutes ces métaphores
spatiales, comme dans l’esprit et hors de l’esprit. La connaissance est quelque chose d’ultime. »
(op.cit., p.69). La notion d’expérience empirique n’est pas ainsi réduite à la seule perception des
phénomènes physiques du monde, ce qu’elle était chez Locke, Hume ou Berkeley. Elle peut aussi
être élargie à son versant intérieur et subjectif, ce que nous éprouvons ou comment se reflète en
nous la chose, l’évènement, le phénomène même, mais dans leur pureté réfléchie, tels qu’en
eux-mêmes, sans réserve ou reste qui lui échappe.
Peirce et James ont ouvert la voie au processus de description directe et de vérification de
nos assertions quant au réel, ce qui a pour enjeu une définition moins formelle, plus large et plus
vivante de la vérité. En ce sens ils ont ajouté à la conception empiriste, la perspective où la vérité
résulte d’un accord nécessaire avec le réel physique et sa structure reprise en/par nous, autant que
le mode des rapports à établir alors avec lui. Perspective neuve, que la philosophie continentale
n’intégra pas de façon aussi systématique comme préoccupation philosophique, à savoir celle
d’une valorisation de l’être comme lieu, non pas seulement d’un penser, mais d’un vivre selon
son évaluation, son intérêt et sa valence humaine, devenus des absolus remplaçant toute entité
« extatique » pour reprendre un terme heideggerien.
Avant eux, et comme un précurseur, Emerson, sur le registre d’un subjectivisme
pragmaticiste avant la lettre, auteur d’un ouvrage important, intitulé justement Experience,
pourrait conforter les analyses précédentes, en les ouvrant à un autre mode d’appréhension du
monde et d’autrui. Son transcendantalisme met au premier plan l’expérience, non du seul
connaître pur et de la perspective épistémologique, mais celle de la vie sociale et des enjeux de
l’intériorité individuelle. Les catégories qui gouvernent l’homme et le socius où il baigne seront
plutôt celles de l’exister, du subjectif, et d’un penser qui porte à privilégier les formes multiples
de l’expérience individuelle comme soi, puis celles plus collectives de l’appartenance, du vivre
ensemble. Dès lors, les valeurs à promouvoir en commun ouvriront à la question du politique et
de ses prolongements dans la forme démocratique de l’organisation politico-sociale, ses
modalités optimales et ses enjeux.
Dewey théorisera plus avant cette problématique où, plus que la connaissance pure et
désintéressée, seront privilégiées la forme et les effets du savoir, sa transmission, ses bénéfices,
ses modes collectifs dans l’éducation et la répartition démocratique du pouvoir. L’ « enquête »,
processus d’exploration, de construction, puis de validation selon le résultat obtenu des effets
souhaitables ou projetés selon des finalités utiles, en sera la méthode privilégiée.
Le néo-pragmatisme contemporain restera fidèle à ce critère. Il n’y a pas d’absolu de la
nature, de la raison ou de la science, a fortiori de la signification ou de la raison. La réalité sera
relative à son contexte, à l’interprétation de celui-ci, fonction d’un but opératoire, d’un résultat à
atteindre, d’un moment, d’un bénéfice espéré. De H.Putnam à R.Rorty ou Cavell, le réel sera
défini par ses « fonctionnalités », selon la visée épistémologique, philosophique, politique ou
morale, retenue. On reviendra plus loin sur les conséquences idéologiques de ces choix et du
statut dés lors de toute « tradition », sinon de l’histoire même et bien sûr celle de la philosophie.
La démarche de Bergson, quant à elle, envisagée plus loin, tout en restant toujours le plus
proche de l’expérience, sera celle d’un empirisme différent, tentant de rejoindre à travers elle, les
modalités d’existence ou de saisie, d’un être plus substantiel, incluant l’homme ou l’excédant,
l’invitant à une ontologie non séparative, liant l’existant à une source régulatrice ou l’englobant
(la Vie, la durée, l’énergie spirituelle…).