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TEMA V. La grammaire de la métaphore
4.1. L'analyse du contexte syntaxique
À l'ancienne perspective substitutive, paradigmatique, les néo-rhétoriciens
opposent aujourd'hui une perspective interactive, contextuelle, qui rend compte des
rapports établis entre le terme propre est le terme figuré: „au lieu de poser ces
relations in absentia entre le sens figuré du terme employé et le sens propre d'un
terme reconstitué, les néo-rhétoriciens les ont posées entre le sens de mots co-présents
dans l'énoncé (...) Le principe du changement de sens d'un seul mot cède ainsi la place
à celui d'une signification figurée attachée à une combinaison lexico-syntaxique. Un
tel changement d'optique a entraîné la collision de deux types distincts de figures, la
métaphore et la comparaison, qui reposent sur un rapport de ressemblance, implicite
ou explicite“ (I.Tamba Mecz, 1981: 25).
Nous réservons un sous-chapitre à part à l'analyse de la comparaison
métaphorique (v. infra, 4.2.).
Revenons à l'intérêt que suscitent aujourd'hui les éléments non figurés du cadre
linguistique avec lesquels le terme figuré est syntaxiquement l dans un contexte
minimal (définitoire).
La métaphore est ainsi envisagée comme une relation R qui s'établit
obligatoirement entre deux termes: un terme propre Tp et un terme figuré, Tf ou
Tm (terme métaphorique).
Dans son étude Métaphore et syntaxe, J. Tamine (1979) essaie de localiser les
cadres syntaxiques privilégiés de la relation qui unit le terme propre au terme figuré.
Nous adoptons sa typologie, que nous considérons supérieure à celle de Ch. Brooke-
Rose (1958). Ses critères distinctifs sont la nature de l'outil syntaxique qui supporte la
relation R entre les deux termes et la partie du discours à laquelle appartiennent
respectivement le Tp et le Tm.
On distingue deux rubriques principales:
a) Les métaphores le Tp et le Tm n'appartiennent pas à la même partie du
discours. Elles se répartissent dans les configurations suivantes:
V Adv, dans le groupe verbal;
N Adj, dans le groupe nominal;
Sujet Verbe ;
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Verbe Complément(s), dans le groupe verbal.
Dans ce cas, le terme métaphorique peut être n'importe lequel des deux termes
liés par la relation syntaxique indiquée.
Cette première grande catégorie coïncide avec les métaphores in absentia de la
rhétorique classique, mais J. Tamine ne fait plus appel à la notion de substitution chère
à la tradition (le terme métaphorique est donné comme remplaçant un hypothétique
terme propre, absent du contexte, qui doit être reconstruit). De ce fait, même la
Rhétorique générale (1970), qui partage le modèle substitutif avec la tradition
rhétorique, enfermait la métaphore dans une fonction subalterne, puisqu'elle n'était
qu'un synonyme plus expressif du terme propre.
b) Les métaphores le terme propre Tp et le terme métaphorique Tm sont
coprésents et appartiennent à la même partie du discours, soit des noms, soit des
infinitifs. Lorsque les deux termes sont des noms, ils se répartissent dans les cadres
syntaxiques suivants:
Verbe + Nom (être, verbe copule exprimant l'équivalence);
Apposition. Assignant à plusieurs termes la même fonction
grammaticale, elle pose ces termes dans une position comparable et fait
d'eux un paradigme;
Préposition, (essentiellement de,
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qui exprime des valeurs multiples) +
Nom.
Ces métaphores recouvrent les figures in praesentia.
J. Tamine propose le tableau suivant, qui représente toutes les configurations
syntaxiques possibles de la métaphore:
MÉTAPHORES
Tp et Tm n'appartiennnent pas
à la même partie du discours
Tp et Tm appartiennent à la
même partie du discours
VAdv
VN2
Tp et Tm sont deux
noms
Tp et Tm sont
deux infinitifs
Tm=V
Tm=N
être
appo-
sition
de
être
Apposi
tion
1. On définit généralement les métaphores en être:
- N1 est N2 comme l'expression de l'identité, de l'équivalence. J. Tamine
propose, pour ce type de métaphores, le terme définitionnel identification“, parce
que "l'intérêt du cadre, dans le cas des métaphores, est [...] d'identifier des éléments
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entre lesquels n'existe aucune relation préalable“, et que leur „identité“ affirmée
traditionnellement n'est que le résultat de l'identification produite par la
configuration“(op. cit. : 68). Tamine prouve par l'analyse distributionnelle que ce
cadre syntaxique est loin d'exprimer uniquement l'équivalence. Elle distingue trois
configurations particulières:
- N1 est le (ce, son) N2, où le déterminant de N2 est défini. Ce cadre est
considéré comme celui de l'identité;
- N1 est un N2, la présence d'un déterminant indéfini devant N2 fait que
l'objet auquel renvoie N1 soit classé dans la catégorie que designe N2, classification
qui est le seul résultat de la syntaxe, en l'absence de relation sémantique préconstruite
entre N1 et N2. Cette structure est proche de la définition;
- N1 est Ø N2. L'absence de déterminant devant N2 détermine le
fonctionnement de celui-ci comme adjectif. N2 se borne alors à apporter une
qualification à N1;
2. Comme les constructions en être, les configurations en de offrent un cadre
syntaxique dans lequel les relations entre les deux substantifs sont „les plus vagues, les
moins syntaxiquement définies [...] un cadre polysémique et ambigu, N1 de N2, qui
permet de jouer sur plusieurs relations entre deux substantifs (idem : 69). Au
contraire, pour les métaphores in absentia, qu'elles soient nominales ou verbales, les
relations entre verbe et sujet (et / ou complément) sont beaucoup mieux définies et
plus strictes, les verbes se caractérisant par une lection particulière(ibid.), dont il
faut tenir compte.
Dans cette perspective, J. Tamine critique la dérivation, par une rie
d'ellipses“, que G. Genette opère, à partir des métaphores in praesentia, pour aboutir
aux métaphores in absentia. Voilà ces types possibles de structures analogiques
proposées par G. Genette (1970):
1. comparaison motivée: Mon amour brûle comme une flamme.
2. comparaison non-motivée: Mon amour ressemble à une flamme.
3. assimilation motivée: Mon amour (est) une flamme ardente.
4. assimilation non motivée: Mon amour (est) une flamme.
5. assimilation motivée sans comparé: Mon ardente flamme.
6. assimilation non motivée sans comparé: Ma flamme.
(véritable métaphore)
Pour G. Genette, le choix entre les diverses configurations semble donc n'être
soumis à aucune contrainte que le désir d'insister plus on moins sur la motivation du
rapprochement entre le terme propre et le terme figuré. Il considère seulement le type
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6 comme une véritable métaphore. Qu'on se rappelle l'analyse semblable de ces
structures dérivationnelles“, à partir de la structure comparative avec comme, que M.
Le Guern (1973) entreprit, avec une critique semblable à celle de J. Tamine
concernant la réduction progressive de ces structures qui est forcée, inadéquate pour
expliquer la spécifici du phénomène métaphorique: Malgré la ressemblance des
structures grammaticales, il est donc abusif de rapprocher la métaphore in praesentia
de la similitude“ (M. Le Guern, op. cit.: 56).
Dans le cas d'une métaphore in absentia“, établie entre le terme métaphorique
verbe et un (ou plusieurs) actants nominaux (sujet / complément(s)), la tendance de
certains chercheurs à la ramener à une métaphore nominale doit être critiquée
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.
3. Les constructions appositives in praesentia“ ont la configuration syntaxique
N1 Ø N2 (N1N2) non spécifique et qui n'est pas soumise à des restrictions
sémantiques dans le cas des emplois métaphoriques.
Tamine s'emploie à démonter les mécanismes des métaphores verbales in
absentia“, qui pourraient faire croire à une spécificité syntaxique du figuré,
représentée par:
a) les changements de construction,
b) la présence dans l'emploi figuré d'un complément obligatoire qui est
facultatif dans l'emploi propre et
c) l'extension de propriétés.
a) S'il est vrai qu'un verbe en emploi métaphorique n'a pas toujours la
construction du sens propre, il est tout aussi vrai que ces métaphores cessent peu à peu
d’être reliées au sens propre et se lexicalisent. Or, ceci n'est pas particulier à la
métaphore, parce que les différences de construction syntaxique du verbe (et de ses
dérivés) est un critère utilisé par les lexicographes pour choisir entre polysémie et
homonymie; les homonymes se distinguent par leurs propriétés syntaxiques et
dérivationnelles différentes. Il ne s'agit donc pas là d'un phénoméne particulier à la
métaphore.
b) D'autre part, le complément d'un verbe métaphorique n'a pas un
comportement particulier; il est une spécification parmi d'autres dont il ne se distingue
que du point de vue sémantique. À comparer:
assaisonner la salade (d'une vinaigrette) /vs/
assaisonner son discours de plaisanteries.
c) Les extensions de propriétés sont dues aux cadres syntaxiques spécifiques à
certaines classes lexicales, appliqués, par un calembour syntaxique“, à d'autres items
lexicaux qui, de ce fait, en acquièrent les propriétés sémantiques. Par exemple, les
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noms de qualité“, dont la configuration syntaxique se caractérise par: l'absence de
déterminant devant le N2 de la configuration N1 de N2; l'accord imposé à N1 par N2
et la présence en N1 d'un nom de qualité le plus souvent péjoratif (imbécile, crétin,
salaud, espèce, etc.) peuvent réaliser également des qualifications figurées ou non:
Son grand dadais de fils / ma vipère de voisine.
Dans ce cadre qualitatif peut être inséré un nom qui n'est pas un nom de qualité:
Son colonel de mari, qui a un effet d'appréciation, tandis que Son imbécile de
mari ou Cet ours de Jacques ont un effet de classification.
On peut considérer alors qu’: En définitive, quel que soit le type de métaphores
considérées, aucune ne peut être caractérisée par un fait de syntaxe qui l'oppose au
propre de façon spécifique. La frontière du propre et du figuré n'appartient qu'à la
sémantique et à la pragmatique [...] Ce qui ne signifie pas pour autant que la part de
la syntaxe soit négligeable puisqu'au contraire, en l'absence d'un accord entre les
cadres et les variables lexicales, c'est la syntaxe qui porte la responsabilité de
l'interprétation d'ensemble à attribuer aux métaphores“ (J. Tamine, op. cit : 78).
Cette approche de la métaphore en relation avec ses cadres syntaxiques
privilégiés nous conduit à définir cette figure comme la rencontre dans une
configuration particulière de deux termes incompatibles“(ibidem).
Les autres figures apparentées sémantiquement à la métaphore, qui sont fondées
sur la même notion de ressemblance, s'en distinguent par le critére de l'étendue de la
figure, de sa dimension syntaxique: l'allégorie, le parallèle, la métaphore filée
dépassent le cadre de la proposition, n'apparaissant pas dans des structures syntaxiques
précises, „privilégiées", comme c'est le cas de la métaphore.
C'est pourquoi elles ne font pas l'objet de notre étude.
En échange, nous pouvons illustrer les structures syntaxiques privilégiées
présentées ci-dessus par des exemples tirés du monde animal.
A. taphore le terme propre Tp et le Tm (terme métaphorique)
n'appartiennent pas à la même partie du discours (métaphores „in absentia“)
4
:
V Adv (rarissime):
J'ai été plaqué deux fois. Et vachement (Montherlant, in Petit Robert.)
Elle est vachement bien. Il nous aide vachement.
5
N Adj, où le Tm est l'adjectif (structure très fréquente)
une mer moutonnante, une faim canine, une voix chevrotante, une révolution
larvée (qui n'éclate pas).
V N, structure qui recouvre deux situations:
- le terme métaphorique est le verbe:
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