Ecole primaire : état des lieux/doc.3b

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Ecole primaire : état des lieux/doc.3b
LES MUTATIONS DU PAYSAGE PEDAGOGIQUE
JEAN-PIERRE ASTOLFI in Eduquer et former, Sciences Humaines Edition, 2e édition, 2001.
Depuis vingt ans, la pédagogie s'est centrée sur l'apprenant et les mécanismes d'apprentissage, puis sur les savoirs. JeanPierre Astolfi dresse un tableau des recherches et leurs apports.
LE PAYSAGE PÉDAGOGIQUE s'est métamorphosé depuis une vingtaine d'années. Il suffirait, pour mieux s'en
convaincre, de comparer la liste des contributions à cet ouvrage avec ce qui constituait, il n'y a pas si longtemps, les «
questions vives » de l'éducation.
Où sont passés, par exemple, l'intérêt valorisé pour la relation pédagogique, l'omniprésence des objectifs
pédagogiques, les débats passionnels sur l'autorité et le pouvoir dans la classe, comme les prises de position définitives pour
ou contre la non-directivité? Sans décrire par le menu des évolutions que d'autres préciseront plus loin, je proposerai ici une
mise en perspective, sans prétention à l'objectivité ni à l'exhaustivité.
Une centration sur l'apprenant
L’évolution la plus immédiatement perceptible est la généralisation de l'idée d'une centration de l'enseignement sur
l'apprenant lui-même. Evidemment, ce n'est pas là une nouveauté radicale. Tout le courant qualifié d'éducation nouvelle
depuis le début du siècle, toute la pédagogie institutionnelle aussi, militent depuis longtemps contre un apprentissage par
émission-réception, qui privilégiait le «processus enseigner» au détriment du «processus apprendre», selon les termes de
Jean Houssaye. Mais ce qui était l'engagement militant de minorités actives figure désormais dans la loi d'orientation de
1989 qui met l’enfant «au centre du système éducatif». Celle-ci institutionnalise des tendances qui ont fait, dans la décennie
précédente, l'objet de très nombreuses expérimentations et publications, autour des idées de tutorat, d'aide individualisée,
de travail personnel de l'élève, de différenciation pédagogique, de médiation... Le problème est aujourd'hui que cette
thématique est devenue dominante dans les textes officiels et les ouvrages de formation... si ce n'est dans les pratiques
effectives! Comme ce fut le cas antérieurement avec la mode des objectifs pédagogiques, -qui a généré toute une
littérature, sans pénétrer réellement les salles de classe.
A lire sur le sujet …
Altet Marguerite, Les Pédagogies de l’apprentissage, Puf, 1997.
Hameline Daniel et al. , L’Ecole active, textes fondateurs, Puf, 1995.
Houssaye Jean, Le Triangle pédagogique, Lang, 1998.
Meirieu Philippe, L’Ecole, mode d'emploi, ESF, 1995.
Cette centration sur l'apprenant s'identifie souvent au terme « constructivisme », voulant signifier que c'est
l’élève qui construit son savoir, et que personne ne peut se substituer à lui dans ce processus. Cela ne signifie nullement que
la part de l'enseignant ne soit plus décisive. Plutôt que de rester garant du « vrai », cela le conduit notamment à mieux
comprendre les erreurs des élèves avec leur logique cachée, à en rechercher le sens, et à prendre appui sur elles pour
favoriser leu dépassement. Les erreurs sont une chose normale dans un processus d'apprentissage. Elles sont de moins en
moins des «perles» ou des fautes à sanctionner; elles deviennent d'utiles indicateurs pour comprendre où en est la pensée
des élèves et pour orienter efficacement les interventions enseignantes.
A lire sur le sujet …
Astolfi J-P, L’Erreur, un outil pour enseigner, ESF, 1997.
Bassis O, Se construire dans le savoir, ESF 1998.
De Vecchi G, Aider les élèves à apprendre, Hachette, 2000.
Jonnaert P et Vander Borght C (dir.), Créer des conditions d'apprentissage, De Boeck, 1999.
Sanner Michel, Modèles en conflit et stratégies cognitives, De Boeck, 1999.
Par exemple, d'innombrables travaux ont sensibilisé au fait que les élèves ont déjà en tête, avant la leçon, leurs
représentations propres (qualifiées aussi de conceptions alternatives). C'est le cas pour la plupart des concepts biologiques
et physico-chimiques comme la digestion, la nutrition des plantes, la reproduction et la sexualité, mais aussi la chaleur et
température, les changements d'état de la matière, les forces, les circuits électriques... Les enfants doivent bien, en effet,
se représenter mentalement dès leur plus jeune âge, d'une façon satisfaisante à leurs yeux, le fonctionnement de leur
propre corps comme de leur environnement quotidien.
Surtout, une forte résistance de ces conceptions aux efforts d'enseignement s'est maintes fois vérifiée
puisqu'elles peuvent traverser la scolarité, inchangées jusqu'à l'Université. Les prendre en compte dans la classe s'avère
dès lors nécessaire, conduisant à mettre au cœur de l'activité scolaire ce que les élèves savent déjà (ou croient savoir).
Apprendre ne se ramène donc pas à un cumul d'informations, mais passe par le remaniement des conceptions, et surtout par
un travail actif des obstacles.
A lire sur le sujet …
Bednarz N et Gamier C (éds), Construction des savoirs, obstacles et conflits, Agence d'Arc, 1989.
Fabre M, Bachelard éducateur, Puf, 1995.
Giordan A et de Vecchi G, L’Origine des savoirs, Delachaux et Niestlé, 1997.
Giordan A, Girault Y et Clément Pi (dir.), Conceptions et connaissances, Peter Lang, 1994.
Viennot L, Raisonner en physique, a part du sens commun, De Boeck, 1996.
Les différenciations de la pédagogie
Ce mouvement de centration sur l'élève conduit à mieux prendre en considération les individualités, en termes
d'histoire personnelle et sociale, mais surtout dans le pilotage diversifié des apprentissages. Différencier évite alors de
prendre à contre-pied, sans le percevoir, le fonctionnement mental de certains. Les travaux d’Antoine de La Garanderie,
basés sur la distinction qui a fait florès dans les années 80 entre auditifs et visuels, ne doivent pas cacher d'autres styles
cognitifs théoriquement mieux fondés : DIC (dépendance-indépendance à l’égard du champ), R-I (réflexivité-impulsivité),
etc. Le problème, avec les styles cognitifs, c'est d'éviter qu'un louable souci adaptatif ne se traduise par un enfermement.
Le défi, dirait Philippe Meirieu, c'est que tout élève «a simultanément besoin d’une pédagogie à sa mesure... et de se
mesurer à d’autres pédagogies » ! Mais cette pédagogie différenciée n'aurait sans doute pas fait l'objet d'un tel
engouement, si elle n'avait d'abord été mise en selle par le problème de l'hétérogénéité croissante des classes. De ce point
de vue, la différenciation vise moins l'individualisation de l'enseignement, que le rétablissement de ce que Philippe Perrenoud
a appelé un traitement standard. L’hétérogénéité n'est-elle pas trop vite ressentie comme une difficulté à réduire, quand il
faudrait aussi envisager les chances à saisir? L’éloge de la différence, cher à Albert Jacquard, reste à faire à l'école.
Surtout, la pédagogie différenciée peut servir des finalités éducatives très éloignées. Certains la pensent comme
une ambition démocratisante, visant à donner à tous une formation et une culture communes. D'autres l'envisagent plutôt
comme une adaptation pragmatique aux possibilités et aux goûts variés des élèves et de leurs parents, sinon comme un
marché scolaire avec ses segments.
A lire sur le sujet …
Gille J-M, Les Pédagogies différenciées : origine, actualité, perspectives, De Boeck, 1999
Kedan A, L’Ecole à venir, ESF, 1998.
Legrand Louis, Une école pour la justice et la démocratie, Puf, 1995.
Perrenoud P, La Pédagogie à l'école des différences, ESF, 1995.
Perrenoud Philippe, Pédagogie différenciée, des intentions à l'action, ESF, 1997.
Un recentrage sur les savoirs
Cette prise en compte des élèves dans leur diversité n'est pas contradictoire avec un recentrage, dans la même
période, sur les savoirs scolaires. Celui-ci n'est pas synonyme d'un repli nostalgique sur les contenus traditionnels. Les
concepts ne sont pas des pensums mais des conditions de possibilité pour une pensée bien armée. Ce sont des outils
opératoires qui donnent accès à la diversité des grilles de lecture du monde, et constituent pour cela la véritable « colonne
vertébrale » des disciplines.
Le succès des travaux de Britt-Mari Barth témoigne bien de cet intérêt contemporain pour un recentrage sur les
concepts. Elle propose des stratégies pour éviter que la classe reste engluée dans le maquis des exemples étudiés et des
activités pratiques. Sur un autre mode, Gérard Lemeignan et Annick Weil-Barais décrivent des modalités didactiques qui
conduisent les élèves à tester l'opérationnalité des concepts et à élaborer des modèles.
Mais l'apprentissage des concepts va de pair avec celui de la problématisation. Ceux-ci, loin d'être donnés, relèvent
toujours si l'on suit Bachelard d'une construction coûteuse. Il s'agit donc autant d'apprendre aux élèves à poser les
problèmes qu'à seulement les résoudre.
A lire sur le sujet …
Astolfi Jean-Pierre, L'Ecole pour apprendre, ESF, 1992.
Barth Britt-Mari, L'Apprentissage de l'abstraction, Retz, 1987.
Lemeignan Gérard et Weil-Barais Annick, Construire des concepts en physique, Hachette, 1993.
Orange Christian, Problèmes et modélisation en biologie, Puf, 1997.
Romian Hélène (dir.), Pour une culture commune, de la maternelle à l'université, Hachette, 2000.
Les recherches récentes ont aussi mis l'accent sur l'importance du « rapport au savoir», notamment chez les élèves
en difficulté. Cette notion est multiple. Certains, autour de Jacky Beillerot, l'examinent sur un mode clinique, où elle renvoie
au désir d'apprendre. Ils décrivent ce qui, depuis la petite enfance, permet ou obère la possible sublimation des pulsions que
suppose tout accès au savoir. Leur démarche explore les processus psychiques qui déterminent les parcours intellectuels.
D'autres l'envisagent avec Bernard Charlot dans une optique sociologique, et soulignent la diversité des rapports au savoir
qui peuvent être établis à partir de la culture familiale et de l'environnement social. Un clivage net apparaît entre les élèves
qui restent rivés au déroulement factuel des activités scolaires, et ceux qui sont en mesure d'en extraire les savoirs
pertinents. Certains laissent défiler les jours et les années, alors que d'autres parviennent à se projeter dans les fins
poursuivies, pas seulement pour leur avenir mais dans leur présent. C'est toute la question du sens de l'expérience scolaire.
Quant à l'approche anthropologique d'Yves Chevallard, elle souligne le fait que tout savoir vit au sein d'une
institution (recherche, école, production ... ), déterminant différents rapports possibles avec lui.
Savoirs ou compétences?
D'autres courants préfèrent aujourd'hui mettre au premier plan la question des compétences. Leur succès
spectaculaire a une double origine. Par la première, les compétences cherchent à se démarquer des savoirs, avec le souci
légitime de doter l'apprenant d'outils mentaux transférables, ce que ne permettent pas toujours les savoirs disciplinaires.
A lire sur le sujet …
Beillerot Jacky et al., Pour une clinique du rapport au savoir, L'Harmattan, 1996.
Charlot B et al., Ecole et savoir, dans les banlieues et ailleurs, Armand Colin, 1992.
Develay Michel, Donner du sens à L’Ecole, ESF, 1996.
Imbert F, L'Inconscient dans la classe, ESF, 1996.
Rochex Jean-Yves, Le Sens de l'expérience scolaire, Puf, 1995.
Sensevy Gérard, Institutions didactiques, Puf, 1998.
C'est l'enjeu des méthodes dites d'éducabilité cognitive, initialement conçues pour des publics en délicatesse avec
l'organisation scolaire classique, qu'il ne peut être question de reproduire avec eux (adultes peu qualifiés en reconversion,
élèves en difficultés). Ces méthodes, dont le succès a été considérable dans les années 80, visent un accès direct à des
opérations mentales débarrassées de la gangue des contenus, telles que les ont identifiés, par exemple, le programme
d'enrichissement instrumental (PEI) ou les ateliers de raisonnement logique (ARL). Or, les évaluations récemment conduites
ne confirment que très partiellement cette ambition. Par ailleurs, les compétences cherchent à se démarquer des
qualifications professionnelles, avec leurs grilles jugées figées, mal adaptées à la mutation rapide des métiers et à la
flexibilité nouvelle attendue des travailleurs. Dès lors, être compétent, n'est-ce pas surtout être compétitif?
Par ce statut mal assuré de « concept nomade», la compétence se définit souvent, soit par excès, soit par défaut.
Par excès quand les compétences d'un domaine sont trop vite jugées transversales à d'autres, réduisant indûment les
différences à une simple question d'habillage». Par défaut avec les référentiels de compétences, qui sont souvent le nouveau
look des objectifs opérationnels d'autrefois.
A lire sur le sujet …
Delannoy Cécile et Passegand Jean-Claude, L'intelligence peut-elle s'éduquer? Hachette, 1992.
Le Boterf Guy, De la compétence, essai sur un attracteur étrange, Editions d'Organisation, 1995.
Rey Bernard, Les Compétences transversales en question, ESF, 1996.
Perrenoud Philippe, Construire des compétences dès l'école, ESF, 1997.
Ropé F. et Taiguy Lucie (dir.), Savoirs et compétences, L'Harmattan, 1994.
Ce débat sur les introuvables compétences fait écho avec la problématique, tout aussi mal assurée du transfert des
apprentissages. Celui-ci n'est défini qu'en creux lorsqu'on se lamente que les élèves « ne transfèrent pas », alors qu'on
attend d'eux qu'ils le fassent assez spontanément. Bernard Rey montre à quel point l'évidence de la similitude logique de
deux situations est illusoire, les sujets ayant d'excellentes raisons de s'en tenir aux traits de surface qui les séparent.
Philippe Meirieu et Michel Develay ajoutent que le transfert doit être pensé de façon permanente tout au long du processus
d'apprentissage, et pas seulement à son terme. Il est donc lié à une anticipation, à une prise de risque, à un calcul permanent
des situations. Et cela implique de la part de l'apprenant un «fort contrôle métacognitif» sur son activité, qui n'a pourtant
rien de spontané.
A lire sur le sujet …
Grangeat Michel, Métacognition et aide au travail scolaire des élèves, ESF 1999.
Meirieu Philippe et Develay Michel, Le Transfert de connaissances en formation initiale et continue, Crdp, 1996.
Noël Bernadette, La Métacognition, De Boeck, 1991.
Tardif Jacques, Le Transfert des apprentissages, Ed. Logiques, Puf, 1999.
La nouvelle mémoire
La mémoire est souvent dénigrée au profit de l'intelligence, domaine des pures opérations logiques. Mais elle est
également survalorisée par le succès des méthodes et procédés pour la stimuler. Il ne faut pourtant pas oublier que le
destin normal des informations quotidiennement reçues est d'être perdues, ce qu'exprime joliment en ces termes l'écrivain
Pascal Quignard: «La mémoire est d’abord une sélection dans ce qui est à oublier; ensuite seulement une rétention de ce
qu'on entend mettre à l’abri de l’oubli qui la fonde ».
Suite à une complète métamorphose des modèles cognitifs dont elle se réclame, elle n'a plus rien à voir avec une
assimilation passive, au sens quasi digestif du terme. On y distingue généralement le fonctionnement contrasté d'une
mémoire à long terme (qui conserve les traces des situations vécues et des notions rencontrées) et celui d'une mémoire de
travail (qui détermine les fortes contraintes mnésiques de la réussite d'une activité en cours). Comme l'explique Guy
Tiberghien, la mémoire humaine est trop souvent définie d'une façon réductrice comme la simple capacité à réactiver le
passé. Or, elle détermine tout autant notre présent perceptif et façonne nos anticipations. L’analyse de ces conditions et
processus n'est finalement qu'une manière d'évoquer, par une autre entrée, ceux de l'apprentissage lui-même.
Les recherches d'Alain Lieury décrivent l'énormité du volume lexical exigé par l'école (6 000 mots nouveaux en
sixième), mettant ainsi en péril un apprentissage qui suppose la rencontre de son objet dans une diversité de contextes
(apprentissage multi-épisodique). Les disciplines dont les résultats sont les mieux corrélés avec la réussite scolaire générale
ne sont d'ailleurs pas, comme on l'imagine, celles qui mettent en jeu les raisonnements et les formes de pensée les plus
abstraites (mathématiques), mais celles saturées par les exigences de mémorisation (biologie, histoire).
A lire sur le sujet …
Delannoy Cécile, Une mémoire pour apprendre, Hachette, 1994.
Lieury Alain : La Mémoire, du cerveau à l'école, Flammarion, Dominos, 1993.
: Mémoire et réussite scolaire, Dunod, 1997.
Tiberghien Guy, La Mémoire oubliée, Mardaga, 1997.
L'essor des didactiques
L'essor actuel des didactiques se comprend mieux dans un tel contexte de réhabilitation des savoirs authentiques.
On ne se représente que trop le travail des didacticiens comme l'invention et l'expérimentation, à « contenus constants »,
de meilleurs dispositifs d'enseignement. Or, la didactique ne se borne pas à rechercher des moyens nouveaux pour enseigner
un objet de connaissance inchangé. Elle s'efforce de construire, et même de « calculer » au plus près, les situations
favorables à une maîtrise conceptuelle authentique. Elle contribue ainsi à dépoussiérer des méthodes d'enseignement et des
types de progressions qui n'ont pour elles que la tradition.
C'est pourquoi les didacticiens se réfèrent volontiers, eux aussi, au constructivisme, entendu ici dans un sens plus
épistémologique que psychologique. L’élève doit bien construire ses savoirs, mais il est aussi face à des savoirs construits...
selon une autre logique que la sienne!
Evidemment, nombre de ces difficultés précèdent le moment didactique et renvoient à d'autres déterminismes,
sociologiques ou psychologiques. Pourtant, à trop y insister les enseignants se trouvent vite démobilisés, comme désinvestis
de leur fonction, voire de leur mission. Dans cette perspective, la didactique fournit de nouvelles entrées et identifie des
variables possibles au sein de la classe. Discipline encore jeune, elle construit ses concepts spécifiques, comme ceux de
contrat didactique, d'objectif-obstacle, de champ conceptuel, ou encore de transposition didactique.
A lire sur le sujet …
Amade-Escot C et Marsenach J, Didactique de l'éducation physique et sportive, La Pensée sauvage/Inrp, 1995.
Astolfi Jean-Pierre et al., Mots clés de la didactique des sciences, De Boeck, 1997.
Chevallard Yves, La Transposition didactique, La Pensée sauvage, 1991.
Develay Michel (dir.), Savoirs scolaires et didactiques des disciplines, ESF, 1995.
Halté Jean-François, La Didactique du français, Puf, « Que sais -je? », 1992.
Johsua Samuel et Dupin JJ, Introduction à la didactique des mathématiques et des sciences, Puf, 1993.
De la complexité en éducation
Pourtant, les apports des didactiques n'épuisent pas le tout des démarches pédagogiques, marquées du sceau de la
complexité. Celle-ci doit être prise en compte pour penser les dimensions diverses de la réussite et de l'échec scolaires. Les
multiples courants pédagogiques ont mis en lumière un ensemble de «variables-leviers» favorables à l'apprentissage :
l'intérêt (Claparède), l'action sur les objets (Freinet et Piaget), la qualité de la relation personnelle (Rogers, Neill),
l'importance des inter-actions sociales (Cousinet), le désir de savoir (Oury et la pédagogie institutionnelle)... Inversement,
des «variables-freins» telles que l'indisponibilité d'opérations mentales (Piaget), le poids des déterminismes sociaux
(Bourdieu) ou l'absence de modèles identificatoires (Girard) sont susceptibles de l'obvier.
Jean-Marc Monteil montre à quel point les résultats de bons et mauvais élèves peuvent être affectées par des
modifications, d'apparence minime, de la situation où on les place. Des graphiques suggestifs témoignent d'incroyables
renversements de leurs performances (surtout pour les disciplines prestigieuses), par le simple effet d’anonymer ou au
contraire d'individualiser une situation, de rendre publics ou non les résultats...
A lire sur le sujet …
Lerbet Georges, Système, personne et pédagogie, ESF, 1993.
Meirieu Philippe, L’Ecole, mode d'emploi, ESF, 1985.
Monteil Jean-Marc, Soi et le contexte, Armand Colin, 1993.
Houssaye Jean, Quinze pédagogues, leur influence aujourd’hui, Armand Colin, 1994.
Apprendre comme paradoxe
En dernière analyse, il faut reconnaître que l'acte d'apprendre n'est pas seulement complexe, mais intrinsèquement
paradoxal. Certes, le savoir doit bien être construit à partir des intérêts du sujet. Mais on sait que la pensée rechigne à
quitter son cadre douillet pour accéder à des voies nouvelles, quand apprendre oblige toujours à de coûteux détours. En
d'autres termes, les intérêts (subjectifs) du sujet ne sont pas nécessairement ses besoins (objectifs). Le paradoxe, c'est
que pour accéder à ce qui nous est étranger, nous devons nous contenter des moyens conceptuels insuffisants dont nous
disposons à ce moment-là. Bernard Charlot situe ce paradoxe à partir de la situation du petit d'homme, «absent à lui» à la
naissance, mais «présent à lui hors de lui» par toute une culture qui le précède et l'environne. Dès lors, le besoin
d'apprendre est inscrit dans les caractéristiques mêmes de l'espèce humaine, puisqu'il est lié à la «production de soi». Mais,
pour autant, rien n'est écrit à l'avance pour aucun de ses membres. La théorie des situations didactiques de Guy Brousseau
développe l'idée d'une inévitable genèse artificielle des savoirs. Mais cet artefact vise à mieux «produire du naturel », en
s'assurant que l'élève agit bien de son propre mouvement pour résoudre le problème. C'est l'idée de dévolution. L’enseignant
« calcule» alors finement la situation qu’il va introduire, mais il la laisse produire elle-même ses fruits, en évitant toute
intervention intempestive. C'est là une nouvelle actualité pour la « ruse pédagogique », chère à Jean-Jacques Rousseau. Il
s'agit, disait Jérôme Bruner, d'enrôler les élèves dans la tâche, et de transformer peu à peu le «format» des interactions
didactiques. On comprend mieux dans ce contexte le succès actuel de l'idée d'enseignant médiateur.
A lire sur le sujet …
Brun Jean (dir.), Didactique des mathématiques, Delachaux et Niestlé, 1996.
Charlot Bernard, Du rapport au savoir, Anthropos, 1997.
-1
Fabre Michel, Situations-problèmes et travail scolaire, Puf, 1999.
Meirieu Philippe, Apprendre... oui, mais comment ESF, 1998.
La pédagogie, un champ autonome
En conclusion, les évolutions pédagogiques actuelles se caractérisent par un «retour de l'acteur». Un enseignant est
quelqu'un qui prend constamment des décisions en situation, même s'il se perçoit rarement ainsi, et s’il rêve volontiers de
méthodes qui marcheraient toutes seules. Georges Devereux a pu montrer à quel point ce refuge derrière la méthode
fonctionne d'abord comme un procédé de lutte contre l'angoisse. La succession des modes en pédagogie témoigne d'ailleurs
de la vanité d'un tel « génie de la méthode ». Faire face à l'imprévu et décider en situation sont, ajoute Philippe Perrenoud,
les caractéristiques quotidiennes du métier. La didactique cherche certes à anticiper tout ce qui est possible, mais l'erreur
et l'approximation restent la règle, et il faut constamment veiller à rectifier le tir pour s'adapter aux réalités du terrain.
L’enseignement est un métier de l'humain, qui ne saurait sans dommage évacuer les acteurs de leurs propres actions. Les
tentatives pour se disculper de ce qui ne marche pas sont bien compréhensibles, mais il est finalement heureux d’« être pour
quelque chose» dans les réussites. Tout cela conduit à penser autrement les relations entre pédagogie, psychologie et
sciences de l'éducation.
A lire sur le sujet...
Cifali Mireille, Le Lien éducatif, Puf, 1994.
Devereux Georges, De l'angoisse à la méthode, Flammarion, 1980.
Meirieu Philippe, Enseigner, scénario pour un métier nouveau, ESF, 1989.
Meirieu Philippe, La Pédagogie entre le dire et le faire, ESF, 1995.
Perrenoud Philippe, Enseigner: agir dans l'urgence, décider dans l'incertitude, ESF, 1996.
On s'interroge toujours sur les « apports » des sciences humaines à la conduite de la classe. Il faudrait déjà savoir à quelle
psychologie ou à quelle sociologie on se réfère. Bien des termes couramment employés par les enseignants relèvent encore
du sens commun, et mériteraient d'être « déconstruits » en vue d'une reconstruction dans un cadrage théorique mieux
assuré. Nous avons
déjà ainsi rencontré ceux de compétence et de transfert; il convient d'appliquer le même traitement
critique à celui de motivation. Le questionnement pertinent est celui qui, partant du pédagogique (savant « bricolage » où se
mêlent réflexion, routines et valeurs), «remonte» vers les sciences humaines pour y puiser à la fois de meilleurs fondements
ainsi que des justifications. La relation n'est donc pas d'application mais d'implication. Penser les choses ainsi ne fait pas
régresser vers la subjectivité incommunicable d'un « art d'enseigner ». Cela remet les sciences humaines à leur vraie place,
à la fois centrale et modeste: celle de fournir des repères pour l’action, sans jamais la dicter. Il est significatif à ce propos
qu'après le technicisme des années 80, renaisse toute une littérature consacrée aux valeurs de l'éducation et à sa dimension
éthique. Les tentations récurrentes pour rendre la pédagogie scientifique rencontrent sans doute ici leur limite
épistémologique, auxquelles s'ajoutent, on l'a vu, une limite pragmatique (les sciences de l'action ne peuvent jamais être
entièrement modélisées) comme une limite éthique (l'efficacité didactique n'est jamais le seul critère de décision en
éducation, et même parfois un critère faible). Ainsi décrits, les aspects paradoxaux de l'apprentissage peuvent être
travaillés au quotidien, avec les constants réajustements évoqués. Cela témoigne de «l'irréductible légèreté» des
chercheurs comme des praticiens.
A lire sur le sujet...
Delannoy Cécile, La Motivation, Hachette-Cndp, 1997.
Fabre Michel, Penser la formation, Puf, 1994.
Forquin Jean-Claude, Ecole et culture, De Boeck/Ed. Universitaires, 1996.
Houssaye Jean, Les Valeurs à l'école, Puf, 1992.
Lieury Alain et Fenouillet Fabien, Motivation et réussite scolaire, Dunod, 1992.
Meirieu Philippe, Le Choix d'éduquer, ESF, 1991.
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