1 - Il n`est de richesse ni de force que d`hommes » Jean Bodin (1530

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Division du travail et extension des marchés chez Adam Smith
La problématique :
La publication de l’oeuvre maîtresse de Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des
nations (1776), coïncide avec l’essor de la révolution industrielle dans le nord du Royaume-Uni.
Smith est l’un des premiers à s’interroger sur l’origine et les mécanismes de ce capitalisme naissant.
Il repère dans la division du travail le mécanisme central du progrès économique et voit dans l’échange un
puissant catalyseur (= stimulant).
Ainsi, la division du travail apparaît comme un élément essentiel pour comprendre l’ensemble des méca-
nismes qui sont à l’origine de l’apparition du capitalisme et de la grande industrie dans nos sociétés. Les boulever-
sements économiques et sociaux auxquels elle a donné naissance constituent les caractéristiques essentielles de nos
sociétés modernes : salariat, concentration des entreprises, production de masse
Formidable moyen d’accroître la production et de favoriser la croissance économique, la division du tra-
vail a bien sûr évolué, les conditions techniques et sociales de sa mise en oeuvre ne sont plus comparables, mais
des interrogations demeurent :
- Quel est le prix social et humain de l’efficacité économique ?
- Le division du travail : facteur de bien-être ou d’asservissement pour l’Homme ?
- Les nouvelles formes d’organisation du travail ont-elles fait disparaître les effets pervers de l’OST ?
L’auteur : Adam Smith (1723-1790) :
Professeur de morale à l'université de Glasgow en Écosse, il enseignait la théologie, l'éthique, la philoso-
phie et, accessoirement, l'économie qui n'existait pas encore en tant que discipline autonome. Il devient ensuite
précepteur d'un jeune duc et lors de voyages en Europe, rencontre les grands intellectuels de son temps, Hume,
Quesnay, Voltaire.
Adam Smith est le fondateur du libéralisme moderne. Il considère que la richesse provient de la production
matérielle (c’est à dire la production de marchandises) et que différents moyens permettent d’accroître cette pro-
duction afin d’enrichir la nation.
Le premier moyen d’augmenter la production est de diviser le travail.
Le second moyen d’enrichir la nation est de laisser les individus s’enrichir ; car en oeuvrant pour leur
intérêt personnel, ils enrichissent naturellement la nation toute entière ; c’est la fameuse notion de « main invisible
». En effet, pour s’enrichir, les individus doivent créer des activités, qui profiteront à toute la société.
Le troisième moyen pour s’enrichir consiste à se procurer les produits au meilleur prix. Sur le marché
intérieur, cela est possible par la concurrence que se livrent les différentes industries. Il est également possible
d’acheter à l’extérieur ce que le marché intérieur ne peut offrir à un prix plus bas. Smith préconise donc le libre-
échange entre les nations.
Enfin, Il faut respecter la liberté. A. Smith croit au nécessaire respect de l’ordre naturel. Cet ordre naturel
signifie implicitement que l’économie de marché est naturelle (ce n’est pas le résultat d’une volonté humaine) et
qu’elle est le meilleur des systèmes puisqu’elle assure l’équilibre et le fonctionnement harmonieux de la société.
L’économie s’équilibre donc automatiquement et l’Etat ne doit pas intervenir dans son fonctionnement. L’Etat doit
seulement se limiter à trois fonctions : tout d’abord, protéger la nation contre les autres (armée), ensuite protéger
les individus contre l’injustice et l’oppression (justice et police) et enfin, s’occuper des travaux d’infrastructures
nécessaires aux développement économique mais que le secteur privé ne peut prendre en charge par manque de
rentabilité (construction de ponts, creusement de canaux, etc.).
Dans son ouvrage La Richesse des Nations publié en 1776 et qui fonde la science économique, Smith re-
cherche les causes de la croissance économique (qu’il appelle enrichissement) et jette les bases des futurs débats
économiques.
Dans un autre ouvrage, La théorie des sentiments moraux (1759), Smith adopte une démarche philoso-
phique en expliquant que l’homme est un être social qui cherche à faire approuver ses comportements par ses
proches.
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I. La division du travail et l’extension des marchés pour Smith :
A. Division « technique » ou division « sociale » du travail :
Division technique du travail et division sociale du travail
Il ne faut pas confondre ces deux concepts.
La division sociale du travail est le résultat de l’organisation de la société qui répartit les activités de ses
membres en fonction du sexe, de l’âge, de l’appartenance à un ordre, etc. Elle permet la production de marchan-
dises distinctes qui s’échangent sur un marché et qui répondent à la diversité des besoins des individus. Elle est
donc à l’origine d’un « lien social marchand ».
La division technique du travail organise la production à l’intérieur de l’entreprise. C’est un mode
d’organisation de ’entreprise qui vise à accroître l’efficacité du facteur travail (mesurée par la productivité du
travail) en le rationalisant de manière optimale. C’est une forme d’organisation du travail. Elle suppose donc la
coordination d’ouvriers spécialisés au sein d’entreprises de plus en plus grandes favorisant ainsi le phénomène de
concentration des entreprises. Ainsi, au début de la révolution industrielle, les manufactures « dispersées » cèdent
peu à peu la place aux manufactures « concentrées » qui réunissent en un même lieu les hommes et les machines
L’exemple de la manufacture d’épingles chez Smith pourrait laisser croire qu’il ne s’intéresse qu’à la divi-
sion technique du travail, cherchant ainsi, à montrer l’efficacité de la division du travail comme façon d’organiser
le travail.
Pourtant, lorsqu’il parle de la répartition des tâches entre « bouchers, marchands de bière et boulan-
gers », cela correspond davantage à la division sociale du travail qu’à la division technique du travail. Preuve que
Smith ne néglige ni l’une ni l’autre, mais analyse la première en s’appuyant sur la seconde.
B. Le Travail : un élément central dans l’analyse de Smith.
1. La valeur des marchandises provient du travail.
La valeur en échange d’une marchandise (Smith parle également de « prix réel ») est mesurée par la quan-
tité de travail nécessaire pour la fabriquer (c’est la théorie de la «valeur travail »). Lorsque quelqu’un achète une
marchandise, il achète en réalité le travail d’autrui. Toutefois, pour pouvoir acheter une marchandise, il faut ex-
primer la quantité de travail qui a été nécessaire à sa production dans une unité monétaire.
2. La richesse des nations ne provient que du travail productif.
Adam Smith associe le terme « richesses » à la production de marchandises, de biens matériels.
N’est productif que le travail qui consiste à créer des marchandises.
En effet, pour A. Smith, tout travail n’est pas créateur de richesse. Constatant que les services disparais-
sent dès qu’on les rend, il affirme que le travail qui est à leur origine est improductif (EX : le travail des domes-
tiques, du souverain, des magistrats…). Il n’est pas productif car il ne crée pas de valeur.
- Remarque 1 : Si c’est le travail productif qui crée de la richesse, le capital est toutefois nécessaire car il
permet d’employer du travail. En effet, la division technique du travail entraîne l’emploi d’un nombre de plus en
plus grand d’ouvriers dont il faut assurer la subsistance en attendant qu’ils réalisent une production. Comme par
ailleurs, la division du travail provoque l’invention de machines afin de faciliter les tâches, il faut également avan-
cer les biens nécessaires à la production. A chaque fois que l’on voudra accroître la division du travail, il faudra
une accumulation préalable suppmentaire du capital. On voit ici qu’Adam Smith donne à l’épargne une grande
vertu économique.
- Remarque 2 : La division du travail est à l’origine de l’enrichissement général. Or, pour que se poursuive
cet enrichissement général, il faut continuer l’accumulation du capital afin de pousser encore plus loin la division
du travail. Ainsi, l’existence d’une classe de capitalistes (ceux qui ont les moyens de réaliser l’accumulation du
capital) est une des conditions nécessaires à la poursuite de l’enrichissement commun.
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C. Comment expliquer l’apparition de la division du travail ?
Nous l’avons vu, la société industrielle est en train de naître sous les yeux d’A. Smith. Cette société indus-
trielle, fondée sur le profit et animée par la recherche de l’intérêt personnel fait naître des interrogations nou-
velles :
comment concilier l’intérêt général avec les égoïsmes individuels ? Comment une société constituée
d’individus aussi différents peut-elle fonctionner ?
Adam Smith va montrer que c’est le marché, lieu naturel d’organisation des échanges, qui va assurer
l’harmonie et l’ordre social.
Smith considère l’échange comme un penchant naturel à tous les hommes.
« Cette division du travail, de laquelle découlent tant d’avantages, ne doit pas être regardée dans son origine
comme l’effet d’une sagesse humaine qui ai prévu et qui ai eu pour but cette opulence générale qui en est le résultat
; elle est la conséquence nécessaire , quoique lente et graduelle, d’un certain penchant naturel à tous les hommes
qui ne se proposent pas des vues d’utilités aussi étendues : c’est le penchant qui les porte à trafiquer* , à faire des
trocs et des échanges d’une chose pour une autre.»[…].
faire du commerce.
C’est parce que les hommes échangent qu’ils ont besoin les uns des autres. Cette tendance au troc et à
l’échange va conduire les hommes à se spécialiser dans l’activité pour laquelle ils sont les plus efficaces.
L’échange rend ainsi nécessaire la division du travail, et permet du même coup la diversité des talents.
Cette mise en valeur des talents va permettre de diversifier les occupations de chacun et permettre ainsi la
satisfaction de tous. En d’autres termes, le talent exercé par un individu dans le seul but « égoïste » de satisfaire
son intérêt personnel s’avère finalement utile à la société toute entière. « Ce n’est pas de la bienveillance du bou-
cher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soins qu’ils apportent à
leurs intérêts […].
Ainsi, par une « main invisible » se trouve « naturellement » assurée la compatibilité entre les égoïsmes
individuels et l’intérêt général. En rendant les individus dépendants les uns des autres, la division du travail con-
tribue à l’harmonie sociale.
D. Les conséquences économiques et sociales de la division du travail.
1. La division du travail permet d’accroître l’efficacité productive du travail.
La division du travail est le meilleur moyen d'accroître la richesse des nations, car elle augmente la force
productive du travail (c’est à dire la productivité du travail). Pour illustrer ce phénomène, Smith prend l'exemple
d'une manufacture d'épingles. Sans division du travail, un ouvrier seul aurait bien du mal à produire 20 épingles
dans une journée ; en revanche, dans la petite manufacture prise en exemple par Smith, les 10 ouvriers qui se par-
tagent les 18 opérations nécessaires pour faire une épingle parviennent à produire 48 000 épingles par jour, soit
une moyenne de 4 800 épingles par ouvrier.
Trois principales raisons expliquent que la division du travail permet d'augmenter la force productive du
travail :
- l'accroissement de l'habilité dû à la spécialisation de chaque travailleur dans une opération très simple ;
- le temps gagné à ne pas passer continuellement d'une tâche à une autre (gain de temps) ;
- l'emploi des machines que la division du travail rend possible (possibilité de mécanisation de la production).
NB : On retrouve ici un élément d’analyse important : selon Smith, le changement technologique est endogène
dans la mesure où c’est la division du travail qui favorise l’intégration des machines au processus de production et
conduit ainsi à l’amélioration des techniques. Le progrès technique est alors perçu comme une conséquence de la
division du travail. L’extension de la division du travail rendant à son tour nécessaire le progrès technique.
En d’autres termes, la division du travail permet d’accroître la quantité de marchandises produites et de
contribuer ainsi au bien-être général.
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2. Division du travail et extension des marchés forment un cercle vertueux.
Qu’est-ce que l’extension des marchés ?
L’extension des marchés est synonyme de croissance des échanges.
DIVISION DU TRAVAIL > EXTENSION DES MARCHES > DIVISION DU TRAVAIL : UN CERCLE VERTUEUX :
Penchant naturel des
hommes à échanger
Liberté de commerce à Extension des marchés
l’intérieur du pays et (les marchés sont plus vastes et les
avec le reste du monde échanges plus nombreux)
Division du travail
+
Approfondissement de
la division du travail
La division du travail contribue avec d’autres facteurs à l’extension des marchés.
Le penchant naturel qu’ont les hommes à échanger : naturellement, les hommes ont tendance à échanger en se
spécialisant dans les travaux dans lesquels ils sont les plus habiles. C’est la recherche de leur propre intérêt qui
permet de développer les échanges, la production et la consommation. On retrouve ici le fameux principe de la
« main invisible ».
La liberté dans le commerce : le libre-échange à l’intérieur du pays comme avec d’autres économies accroît la
taille du marché et donc encourage à produire davantage.
La division du travail en permettant d’augmenter considérablement la production, accroît la quantité de marchan-
dises disponibles et stimule ainsi les échanges.
En retour, l’extension du marché intensifie la division du travail.
En effet, lorsque les échanges sont nombreux, la production doit être importante ce qui contribue à développer un
peu plus la division du travail.
3. La division du travail rencontre des limites sociales.
« Un homme qui passe toute sa vie à remplir un petit nombre d'opérations simples, [...] n'a pas lieu de déve-
lopper son intelligence ni d'exercer son imagination à chercher des expédients pour écarter des difficultés qui ne se
rencontrent jamais ; il perd donc naturellement l'habitude de déployer ou d'exercer ces facultés et devient, en géné-
ral, aussi stupide et aussi ignorant qu'il soit possible à une créature humaine de le devenir ; l'engourdissement de ses
facultés morales le rend non seulement incapable de goûter aucune conversation raisonnable ni d'y prendre part,
mais même d'éprouver aucune affection noble, généreuse ou tendre et, par conséquent, de former aucun jugement
un peu juste sur la plupart des devoirs même les plus ordinaires de la vie privée. Quant aux grands intérêts, aux
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grandes affaires de son pays, il est totalement hors d'état d'en juger, et à moins qu'on n'ait pris quelques peines très
particulières pour l'y préparer, il est également inhabile à défendre son pays à la guerre. [...]
Ainsi, sa dextérité dans son métier particulier est une qualité qu'il semble avoir acquise aux dépens de ses
qualités intellectuelles, de ses vertus sociales et de ses dispositions guerrières. Or, cet état est celui dans lequel l'ou-
vrier pauvre, c'est-à-dire la masse du peuple, doit tomber nécessairement dans toute société civilisée et avancée en
industrie, à moins que le gouvernement ne prenne des précautions pour prévenir ce mal. [...]
Moyennant une très petite dépense, l'État peut faciliter l'acquisition de ces parties essentielles de l'éducation
[lire, écrire, compter] parmi la masse du peuple, et même lui imposer, en quelque sorte, l'obligation de les acquérir.
[...] Un peuple instruit et intelligent est toujours plus décent dans sa conduite et mieux disposé à l'ordre, qu'un
peuple ignorant et stupide ».
A. Smith, op. cit.
Smith le note lui même, la répétition quotidienne des mêmes gestes simples sur une vie entière ne sont pas
de nature à développer l’intelligence du travailleur. Il reconnaît les effets abrutissants et déshumanisants de la
division du travail sur l’ouvrier, conçoit aisément que cela puisse le gêner dans l’exercice même de ces fonctions
de citoyens.
Toutefois, cette condition sociale exécrable de l’ensemble des ouvriers n’est pas de nature à remettre en
cause la division du travail. C’est en quelque sorte le prix à payer pour que l’enrichissement collectif soit possible.
En revanche, il reconnaît la nécessité pour le bien de la société et de la nation d’en compenser les effets
négatifs par la mise en place de mesures d’éducation populaire. Ce sera à l’Etat de jouer ce rôle. Ce dernier sera
donc chargé de dispenser un minimum d’instruction obligatoire (lire, écrire, compter, quelques éléments de méca-
nique ou de géométrie, …).
Ce ne sont pas raisons humanitaires qui poussent A. Smith à recommander cette instruction publique. C’est
parce que l’Etat, la société, la nation en générale y a un grand intérêt. Car en effet, de l’instruction dépendent la
décence, l’ordre et le respect de la hiérarchie ; autant de conditions importantes et nécessaires afin que la régula-
tion naturelle et harmonieuse par le marché puisse continuer de fonctionner et que la division du travail puisse être
intensifiée.
E. Commerce international - extension des marchés - division du travail
« Ce n'est pas par l'importation de l'or et de l'argent que la découverte de l'Amérique a enrichi l'Europe. [... ] En
ouvrant à toutes les marchandises de l'Europe un nouveau marché presque inépuisable, elle a donné naissance à de
nouvelles divisions du travail, à de nouveaux perfectionnements de l'industrie, qui n'auraient jamais pu avoir lieu
dans le cercle étroit où le commerce était anciennement resserré, cercle qui ne leur offrait pas de marché suffisant
pour la plus grande partie de leur produit. Le travail se perfectionna, sa puissance productive augmenta, son produit
s'accrut dans les divers pays de l'Europe, et en même temps s'accrurent avec lui la richesse et le revenu réel des
habitants. »
A. Smith, op. cit.
Pour A. Smith, l’ouverture aux échanges extérieurs repousse les limites du marché intérieur. Ce faisant, les
échanges s’intensifient rendant le développement de la division du travail nécessaire. L’efficacité du travail s’en
trouve accrue, la production augmente apportant bien-être et enrichissement aux populations concernées.
« Si un pays étranger peut nous fournir une marchandise à meilleur marché que nous ne sommes en état de
le faire nous-mêmes, il vaut bien mieux que nous la lui achetions avec quelque partie du produit de notre propre
industrie, employée dans le genre dans lequel nous avons quelque avantage. [...] ».
A. Smith, op. Cit.
Par ailleurs, Smith voit un grand intérêt à l’échange avec d’autres nations dans la mesure où il permet au
pays de se procurer des produits à moindre coût. En d’autre termes, il vaut mieux acheter à un autre pays ce que
nous ne sommes pas capables de produire mieux que lui ou si vous préférez, il vaut mieux acheter à un autre pays
les marchandises qu’il produit avec une quantité de travail inférieure à celle que nous utilisons pour réaliser le
même produit.
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