1 - Il n`est de richesse ni de force que d`hommes » Jean Bodin (1530

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Division du travail et extension des marchés chez Adam Smith
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La problématique :
La publication de l’oeuvre maîtresse de Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des
nations (1776), coïncide avec l’essor de la révolution industrielle dans le nord du Royaume-Uni.
Smith est l’un des premiers à s’interroger sur l’origine et les mécanismes de ce capitalisme naissant.
Il repère dans la division du travail le mécanisme central du progrès économique et voit dans l’échange un
puissant catalyseur (= stimulant).
Ainsi, la division du travail apparaît comme un élément essentiel pour comprendre l’ensemble des mécanismes qui sont à l’origine de l’apparition du capitalisme et de la grande industrie dans nos sociétés. Les bouleversements économiques et sociaux auxquels elle a donné naissance constituent les caractéristiques essentielles de nos
sociétés modernes : salariat, concentration des entreprises, production de masse…
Formidable moyen d’accroître la production et de favoriser la croissance économique, la division du travail a bien sûr évolué, les conditions techniques et sociales de sa mise en oeuvre ne sont plus comparables, mais
des interrogations demeurent :
- Quel est le prix social et humain de l’efficacité économique ?
- Le division du travail : facteur de bien-être ou d’asservissement pour l’Homme ?
- Les nouvelles formes d’organisation du travail ont-elles fait disparaître les effets pervers de l’OST ?

L’auteur : Adam Smith (1723-1790) :
Professeur de morale à l'université de Glasgow en Écosse, il enseignait la théologie, l'éthique, la philosophie et, accessoirement, l'économie qui n'existait pas encore en tant que discipline autonome. Il devient ensuite
précepteur d'un jeune duc et lors de voyages en Europe, rencontre les grands intellectuels de son temps, Hume,
Quesnay, Voltaire.
Adam Smith est le fondateur du libéralisme moderne. Il considère que la richesse provient de la production
matérielle (c’est à dire la production de marchandises) et que différents moyens permettent d’accroître cette production afin d’enrichir la nation.
Le premier moyen d’augmenter la production est de diviser le travail.
Le second moyen d’enrichir la nation est de laisser les individus s’enrichir ; car en oeuvrant pour leur
intérêt personnel, ils enrichissent naturellement la nation toute entière ; c’est la fameuse notion de « main invisible
». En effet, pour s’enrichir, les individus doivent créer des activités, qui profiteront à toute la société.
Le troisième moyen pour s’enrichir consiste à se procurer les produits au meilleur prix. Sur le marché
intérieur, cela est possible par la concurrence que se livrent les différentes industries. Il est également possible
d’acheter à l’extérieur ce que le marché intérieur ne peut offrir à un prix plus bas. Smith préconise donc le libreéchange entre les nations.
Enfin, Il faut respecter la liberté. A. Smith croit au nécessaire respect de l’ordre naturel. Cet ordre naturel
signifie implicitement que l’économie de marché est naturelle (ce n’est pas le résultat d’une volonté humaine) et
qu’elle est le meilleur des systèmes puisqu’elle assure l’équilibre et le fonctionnement harmonieux de la société.
L’économie s’équilibre donc automatiquement et l’Etat ne doit pas intervenir dans son fonctionnement. L’Etat doit
seulement se limiter à trois fonctions : tout d’abord, protéger la nation contre les autres (armée), ensuite protéger
les individus contre l’injustice et l’oppression (justice et police) et enfin, s’occuper des travaux d’infrastructures
nécessaires aux développement économique mais que le secteur privé ne peut prendre en charge par manque de
rentabilité (construction de ponts, creusement de canaux, etc.).
Dans son ouvrage La Richesse des Nations publié en 1776 et qui fonde la science économique, Smith recherche les causes de la croissance économique (qu’il appelle enrichissement) et jette les bases des futurs débats
économiques.
Dans un autre ouvrage, La théorie des sentiments moraux (1759), Smith adopte une démarche philosophique en expliquant que l’homme est un être social qui cherche à faire approuver ses comportements par ses
proches.
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I.
La division du travail et l’extension des marchés pour Smith :
A. Division « technique » ou division « sociale » du travail :
Division technique du travail et division sociale du travail
Il ne faut pas confondre ces deux concepts.
La division sociale du travail est le résultat de l’organisation de la société qui répartit les activités de ses
membres en fonction du sexe, de l’âge, de l’appartenance à un ordre, etc. Elle permet la production de marchandises distinctes qui s’échangent sur un marché et qui répondent à la diversité des besoins des individus. Elle est
donc à l’origine d’un « lien social marchand ».
La division technique du travail organise la production à l’intérieur de l’entreprise. C’est un mode
d’organisation de ’entreprise qui vise à accroître l’efficacité du facteur travail (mesurée par la productivité du
travail) en le rationalisant de manière optimale. C’est une forme d’organisation du travail. Elle suppose donc la
coordination d’ouvriers spécialisés au sein d’entreprises de plus en plus grandes favorisant ainsi le phénomène de
concentration des entreprises. Ainsi, au début de la révolution industrielle, les manufactures « dispersées » cèdent
peu à peu la place aux manufactures « concentrées » qui réunissent en un même lieu les hommes et les machines
L’exemple de la manufacture d’épingles chez Smith pourrait laisser croire qu’il ne s’intéresse qu’à la division technique du travail, cherchant ainsi, à montrer l’efficacité de la division du travail comme façon d’organiser
le travail.
Pourtant, lorsqu’il parle de la répartition des tâches entre « bouchers, marchands de bière et boulangers », cela correspond davantage à la division sociale du travail qu’à la division technique du travail. Preuve que
Smith ne néglige ni l’une ni l’autre, mais analyse la première en s’appuyant sur la seconde.
B. Le Travail : un élément central dans l’analyse de Smith.
1. La valeur des marchandises provient du travail.
La valeur en échange d’une marchandise (Smith parle également de « prix réel ») est mesurée par la quantité de travail nécessaire pour la fabriquer (c’est la théorie de la «valeur travail »). Lorsque quelqu’un achète une
marchandise, il achète en réalité le travail d’autrui. Toutefois, pour pouvoir acheter une marchandise, il faut exprimer la quantité de travail qui a été nécessaire à sa production dans une unité monétaire.
2. La richesse des nations ne provient que du travail productif.
Adam Smith associe le terme « richesses » à la production de marchandises, de biens matériels.
N’est productif que le travail qui consiste à créer des marchandises.
En effet, pour A. Smith, tout travail n’est pas créateur de richesse. Constatant que les services disparaissent dès qu’on les rend, il affirme que le travail qui est à leur origine est improductif (EX : le travail des domestiques, du souverain, des magistrats…). Il n’est pas productif car il ne crée pas de valeur.
- Remarque 1 : Si c’est le travail productif qui crée de la richesse, le capital est toutefois nécessaire car il
permet d’employer du travail. En effet, la division technique du travail entraîne l’emploi d’un nombre de plus en
plus grand d’ouvriers dont il faut assurer la subsistance en attendant qu’ils réalisent une production. Comme par
ailleurs, la division du travail provoque l’invention de machines afin de faciliter les tâches, il faut également avancer les biens nécessaires à la production. A chaque fois que l’on voudra accroître la division du travail, il faudra
une accumulation préalable supplémentaire du capital. On voit ici qu’Adam Smith donne à l’épargne une grande
vertu économique.
- Remarque 2 : La division du travail est à l’origine de l’enrichissement général. Or, pour que se poursuive
cet enrichissement général, il faut continuer l’accumulation du capital afin de pousser encore plus loin la division
du travail. Ainsi, l’existence d’une classe de capitalistes (ceux qui ont les moyens de réaliser l’accumulation du
capital) est une des conditions nécessaires à la poursuite de l’enrichissement commun.
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C. Comment expliquer l’apparition de la division du travail ?
Nous l’avons vu, la société industrielle est en train de naître sous les yeux d’A. Smith. Cette société industrielle, fondée sur le profit et animée par la recherche de l’intérêt personnel fait naître des interrogations nouvelles :
comment concilier l’intérêt général avec les égoïsmes individuels ? Comment une société constituée
d’individus aussi différents peut-elle fonctionner ?
Adam Smith va montrer que c’est le marché, lieu naturel d’organisation des échanges, qui va assurer
l’harmonie et l’ordre social.
Smith considère l’échange comme un penchant naturel à tous les hommes.
« Cette division du travail, de laquelle découlent tant d’avantages, ne doit pas être regardée dans son origine
comme l’effet d’une sagesse humaine qui ai prévu et qui ai eu pour but cette opulence générale qui en est le résultat
; elle est la conséquence nécessaire , quoique lente et graduelle, d’un certain penchant naturel à tous les hommes
qui ne se proposent pas des vues d’utilités aussi étendues : c’est le penchant qui les porte à trafiquer* , à faire des
trocs et des échanges d’une chose pour une autre.»[…].
 faire du commerce.
C’est parce que les hommes échangent qu’ils ont besoin les uns des autres. Cette tendance au troc et à
l’échange va conduire les hommes à se spécialiser dans l’activité pour laquelle ils sont les plus efficaces.
L’échange rend ainsi nécessaire la division du travail, et permet du même coup la diversité des talents.
Cette mise en valeur des talents va permettre de diversifier les occupations de chacun et permettre ainsi la
satisfaction de tous. En d’autres termes, le talent exercé par un individu dans le seul but « égoïste » de satisfaire
son intérêt personnel s’avère finalement utile à la société toute entière. « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soins qu’ils apportent à
leurs intérêts […].
Ainsi, par une « main invisible » se trouve « naturellement » assurée la compatibilité entre les égoïsmes
individuels et l’intérêt général. En rendant les individus dépendants les uns des autres, la division du travail contribue à l’harmonie sociale.
D. Les conséquences économiques et sociales de la division du travail.
1. La division du travail permet d’accroître l’efficacité productive du travail.
La division du travail est le meilleur moyen d'accroître la richesse des nations, car elle augmente la force
productive du travail (c’est à dire la productivité du travail). Pour illustrer ce phénomène, Smith prend l'exemple
d'une manufacture d'épingles. Sans division du travail, un ouvrier seul aurait bien du mal à produire 20 épingles
dans une journée ; en revanche, dans la petite manufacture prise en exemple par Smith, les 10 ouvriers qui se partagent les 18 opérations nécessaires pour faire une épingle parviennent à produire 48 000 épingles par jour, soit
une moyenne de 4 800 épingles par ouvrier.
Trois principales raisons expliquent que la division du travail permet d'augmenter la force productive du
travail :
- l'accroissement de l'habilité dû à la spécialisation de chaque travailleur dans une opération très simple ;
- le temps gagné à ne pas passer continuellement d'une tâche à une autre (gain de temps) ;
- l'emploi des machines que la division du travail rend possible (possibilité de mécanisation de la production).
NB : On retrouve ici un élément d’analyse important : selon Smith, le changement technologique est endogène
dans la mesure où c’est la division du travail qui favorise l’intégration des machines au processus de production et
conduit ainsi à l’amélioration des techniques. Le progrès technique est alors perçu comme une conséquence de la
division du travail. L’extension de la division du travail rendant à son tour nécessaire le progrès technique.
En d’autres termes, la division du travail permet d’accroître la quantité de marchandises produites et de
contribuer ainsi au bien-être général.
3
2. Division du travail et extension des marchés forment un cercle vertueux.
Qu’est-ce que l’extension des marchés ?
L’extension des marchés est synonyme de croissance des échanges.
DIVISION DU TRAVAIL > EXTENSION DES MARCHES > DIVISION DU TRAVAIL : UN CERCLE VERTUEUX :
Penchant naturel des
hommes à échanger
Liberté de commerce à
l’intérieur du pays et
avec le reste du monde
Extension des marchés
(les marchés sont plus vastes et les
échanges plus nombreux)
Division du travail
+
Approfondissement de
la division du travail
La division du travail contribue avec d’autres facteurs à l’extension des marchés.
Le penchant naturel qu’ont les hommes à échanger : naturellement, les hommes ont tendance à échanger en se
spécialisant dans les travaux dans lesquels ils sont les plus habiles. C’est la recherche de leur propre intérêt qui
permet de développer les échanges, la production et la consommation. On retrouve ici le fameux principe de la
« main invisible ».
La liberté dans le commerce : le libre-échange à l’intérieur du pays comme avec d’autres économies accroît la
taille du marché et donc encourage à produire davantage.
La division du travail en permettant d’augmenter considérablement la production, accroît la quantité de marchandises disponibles et stimule ainsi les échanges.
En retour, l’extension du marché intensifie la division du travail.
En effet, lorsque les échanges sont nombreux, la production doit être importante ce qui contribue à développer un
peu plus la division du travail.
3. La division du travail rencontre des limites sociales.
« Un homme qui passe toute sa vie à remplir un petit nombre d'opérations simples, [...] n'a pas lieu de développer son intelligence ni d'exercer son imagination à chercher des expédients pour écarter des difficultés qui ne se
rencontrent jamais ; il perd donc naturellement l'habitude de déployer ou d'exercer ces facultés et devient, en général, aussi stupide et aussi ignorant qu'il soit possible à une créature humaine de le devenir ; l'engourdissement de ses
facultés morales le rend non seulement incapable de goûter aucune conversation raisonnable ni d'y prendre part,
mais même d'éprouver aucune affection noble, généreuse ou tendre et, par conséquent, de former aucun jugement
un peu juste sur la plupart des devoirs même les plus ordinaires de la vie privée. Quant aux grands intérêts, aux
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grandes affaires de son pays, il est totalement hors d'état d'en juger, et à moins qu'on n'ait pris quelques peines très
particulières pour l'y préparer, il est également inhabile à défendre son pays à la guerre. [...]
Ainsi, sa dextérité dans son métier particulier est une qualité qu'il semble avoir acquise aux dépens de ses
qualités intellectuelles, de ses vertus sociales et de ses dispositions guerrières. Or, cet état est celui dans lequel l'ouvrier pauvre, c'est-à-dire la masse du peuple, doit tomber nécessairement dans toute société civilisée et avancée en
industrie, à moins que le gouvernement ne prenne des précautions pour prévenir ce mal. [...]
Moyennant une très petite dépense, l'État peut faciliter l'acquisition de ces parties essentielles de l'éducation
[lire, écrire, compter] parmi la masse du peuple, et même lui imposer, en quelque sorte, l'obligation de les acquérir.
[...] Un peuple instruit et intelligent est toujours plus décent dans sa conduite et mieux disposé à l'ordre, qu'un
peuple ignorant et stupide ».
A. Smith, op. cit.
Smith le note lui même, la répétition quotidienne des mêmes gestes simples sur une vie entière ne sont pas
de nature à développer l’intelligence du travailleur. Il reconnaît les effets abrutissants et déshumanisants de la
division du travail sur l’ouvrier, conçoit aisément que cela puisse le gêner dans l’exercice même de ces fonctions
de citoyens.
Toutefois, cette condition sociale exécrable de l’ensemble des ouvriers n’est pas de nature à remettre en
cause la division du travail. C’est en quelque sorte le prix à payer pour que l’enrichissement collectif soit possible.
En revanche, il reconnaît la nécessité pour le bien de la société et de la nation d’en compenser les effets
négatifs par la mise en place de mesures d’éducation populaire. Ce sera à l’Etat de jouer ce rôle. Ce dernier sera
donc chargé de dispenser un minimum d’instruction obligatoire (lire, écrire, compter, quelques éléments de mécanique ou de géométrie, …).
Ce ne sont pas raisons humanitaires qui poussent A. Smith à recommander cette instruction publique. C’est
parce que l’Etat, la société, la nation en générale y a un grand intérêt. Car en effet, de l’instruction dépendent la
décence, l’ordre et le respect de la hiérarchie ; autant de conditions importantes et nécessaires afin que la régulation naturelle et harmonieuse par le marché puisse continuer de fonctionner et que la division du travail puisse être
intensifiée.
E.
Commerce international - extension des marchés - division du travail
« Ce n'est pas par l'importation de l'or et de l'argent que la découverte de l'Amérique a enrichi l'Europe. [... ] En
ouvrant à toutes les marchandises de l'Europe un nouveau marché presque inépuisable, elle a donné naissance à de
nouvelles divisions du travail, à de nouveaux perfectionnements de l'industrie, qui n'auraient jamais pu avoir lieu
dans le cercle étroit où le commerce était anciennement resserré, cercle qui ne leur offrait pas de marché suffisant
pour la plus grande partie de leur produit. Le travail se perfectionna, sa puissance productive augmenta, son produit
s'accrut dans les divers pays de l'Europe, et en même temps s'accrurent avec lui la richesse et le revenu réel des
habitants. »
A. Smith, op. cit.
Pour A. Smith, l’ouverture aux échanges extérieurs repousse les limites du marché intérieur. Ce faisant, les
échanges s’intensifient rendant le développement de la division du travail nécessaire. L’efficacité du travail s’en
trouve accrue, la production augmente apportant bien-être et enrichissement aux populations concernées.
« Si un pays étranger peut nous fournir une marchandise à meilleur marché que nous ne sommes en état de
le faire nous-mêmes, il vaut bien mieux que nous la lui achetions avec quelque partie du produit de notre propre
industrie, employée dans le genre dans lequel nous avons quelque avantage. [...] ».
A. Smith, op. Cit.
Par ailleurs, Smith voit un grand intérêt à l’échange avec d’autres nations dans la mesure où il permet au
pays de se procurer des produits à moindre coût. En d’autre termes, il vaut mieux acheter à un autre pays ce que
nous ne sommes pas capables de produire mieux que lui ou si vous préférez, il vaut mieux acheter à un autre pays
les marchandises qu’il produit avec une quantité de travail inférieure à celle que nous utilisons pour réaliser le
même produit.
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II.
La pensée de Smith : critiques et prolongements.
A. La division du travail : « technique de production » ou « technique de domination »
Pour Marx, la division du travail se traduit par une aliénation.
« L’aliénation » peut se définir comme la déshumanisation qui résulte des rapports de production capitalistes, c’est
à dire des rapports qu’entretiennent les propriétaires des moyens de production (les capitalistes, la bourgeoisie) et
ceux qui leur vendent, contraints et forcés, leur force de travail (les prolétaires).
Marx donne trois exemples d’aliénation au niveau du travail :
 l’ouvrier est dépossédé du produit de son travail, il lui devient étranger.
 Le travail qu’il réalise lui est extérieur : « dans son travail, l’ouvrier ne s’affirme pas, il se nie ; il ne s’y
sent pas satisfait, mais malheureux, il n’y déploie pas une libre énergie physique et intellectuelle, mais mortifie son
corps et ruine son esprit ».
 L’ouvrier est dépossédé par l’exploitation capitaliste de ce qui fait l’essence même de l’homme, c’est à dire sa liberté.
La division du travail n’est pas en elle même responsable de cette situation. C’est la conséquence logique
et nécessaire du mode de production capitaliste qui, pour pouvoir se développer et perdurer, exige l’appropriation
de l’ouvrier, de sa force de travail et de sa production.
Preuve que le débat autour de la division du travail et toujours présent, Stephen Marglin et André Gorz
montrent que toute organisation du travail est à la fois une technique de production et une technique de domination. « le but de la production capitaliste ne peut être que l’accroissement du capital lui-même et ce but étranger
aux travailleurs ne peut être réalisé par eux que sous la contrainte. » (A. Gorz, Critique de la division du travail,
1973).
Stephen Marglin, à partir d'exemples historiques, va d'ailleurs plus loin que Marx en contestant l'efficacité
même de la division du travail. Ainsi, par exemple, il critique l’idée de Smith selon laquelle la division du travail
stimule l’invention et l’innovation en montrant que ces dernières se trouvent affaiblies par la spécialisation extrême des travailleurs dans la division du travail. En effet, la perte d’autonomie et d’initiative des ouvriers les rend
peu enclins à s’investir individuellement dans l’amélioration de l’outil de production.
La division du travail est donc, dans cette logique, essentiellement le moyen de garantir à l'entrepreneur
les moyens de sa domination en dépossédant l'ouvrier de tout pouvoir et de toute initiative.
Les conséquences sociales négatives de la division du travail ne sont pas des effets inintentionnels : par la déqualification de l’ouvrier, ,la bourgeoisie peut faire pression à la baisse sur les salaires et accentuer l’exploitation du
prolétariat.
B) La théorie de Smith préfigure déjà l’organisation scientifique du travail.
Au XIXème siècle, apparaît une certaine volonté de rationaliser le travail, notamment en optant pour une
division du travail efficace. Taylor crée la première méthode globale de rationalisation du travail (l’OST). Ce n’est
qu’à partir de ce moment que la division du travail connaît son plein développement.
Taylor a pour objectif d'organiser scientifiquement le travail de façon à lutter contre la flânerie des ouvriers et à
augmenter la productivité. Pour cela, il affirme qu'il est nécessaire d'accentuer la division du travail et d'instaurer
des normes précises de gestes et de temps (le fameux « time and motion study »).
Taylor instaure une double division du travail :
- une division verticale avec une séparation stricte des activités de conception et des activités de réalisation. Il
résumera cette idée à travers l’expression suivante : « c’est aux bureaux de penser et aux ateliers de fabriquer ».
- une division horizontale qui consiste à parcelliser les tâches en découpant le procès de fabrication en de nombreuses tâches simples et élémentaires. Chaque opération simplifiée sera confiée à un ouvrier et un seul.
L'influence de Taylor est considérable ; ses principes seront suivis dès le début du siècle aux États-Unis et
dans l'entre-deux-guerres en Europe.
Henri Ford va poursuivre l’oeuvre de Taylor en mettant en place un convoyeur mécanique (= la chaîne)
qui permet de supprimer les temps de déplacement du produit en cours de fabrication entre deux postes de travail
et surtout de régler la cadence de travail. Ford, soucieux de vendre sa production et conscient que les conditions
de travail pénibles qu’il impose à ses ouvriers peuvent se retourner contre lui, met en place le principe du « Five
dollars day ».
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Il espère ainsi que, mieux payés que dans la majeure partie des autres usines alentour, les ouvriers donneront le
meilleur d’eux-mêmes.
Le taylorisme et le fordisme sont des applications de l'analyse de Smith sur la division du travail : l'objectif
de ces organisations est bien à terme l’augmentation de la productivité du travail par l’amélioration de l'habileté
des travailleurs et la réduction des temps morts grâce à la division du travail. On peut même trouver dans
l’organisation du travail mise en place par Henry Ford la vérification de l’idée de Smith selon laquelle la division
du travail favorise l’intégration du progrès technique au sein de l’atelier ( EX : c’est la division du travail qui
permet l'utilisation du convoyeur mécanique fordiste).
C) Les dangers d’une division du travail trop poussée.
Selon Smith, un cercle vertueux devait se produire entre division du travail et extension des marchés. Mais
une division du travail trop poussée à des effets pervers :
 le travail devient monotone et répétitif ; l'ouvrier ne produit qu'une toute petite partie de chaque produit, il
perd la dimension globale de son travail et n'a plus le plaisir du travail achevé.
 le salarié perd en autonomie et en responsabilité, ce qui peut le démotiver.
L'organisation scientifique du travail va perdre peu à peu de son efficacité, car elle a tendance à démotiver les
travailleurs. La crise de l'organisation traditionnelle du travail prend toute sa mesure dans les années 1960 et se
manifeste de différentes manières:
 l'augmentation du nombre des conflits sociaux ;
 l'augmentation du turn-over ;
 des malfaçons, des rebus, des gaspillages liés aux sabotages de la production ;
 de l'absentéisme...
Tout cela nuit à la productivité. Contrairement à ce que pensait Smith, une division du travail trop poussée
peut parfois nuire à la force productive du travail.
Dès le début des années 60, Elton Mayo qui fait partie de « l’Ecole des relations humaines », montre lors
d’une célèbre expérience menée à la Western Electric, que de bonnes relations humaines sont les plus puissants
moteurs de la motivation et donc de l’efficacité du travail.
D) La prise en compte des limites du taylorisme et l’émergence des NFOT.
1) Quels changements ?
Ainsi, pour lutter contre les effets pervers du taylorisme (épuisement des gains de productivité et remise en
cause sociale), certaines entreprises vont modifier à partir des années 1970, leur mode d'organisation et de gestion
du travail.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Il s'agit de donner plus de responsabilité et un travail plus complexe (et plus intéressant) aux ouvriers afin
d’enrichir leurs tâches et susciter ainsi leur motivation. Les tentatives de réorganisation cherchent donc à retrouver de la souplesse, de la fluidité là où précisément pendant très longtemps n’a régné que la division des opérations et des responsabilités.
On met d’abord en oeuvre une gestion plus participative de la main d'oeuvre grâce à la création de
groupes d'expression et de cercles de qualité durant lesquels les salariés volontaires donnent librement leur avis
sur l'organisation de l'entreprise. Grâce à l'instauration d'une communication plus directe, les salariés peuvent
définir conjointement leurs objectifs avec leur hiérarchie.
Le toyotisme : une alternative au fordisme ?
Le toyotisme est une forme d’organisation du travail et surtout de la production initiée par l’entreprise
Toyota dès les années 50, et qui va se généraliser à partir des années 80. Au niveau de la production, le toyotisme
se caractérise par les « cinq zéro » (zéro panne, zéro stock, zéro délai, zéro papier, zéro défaut), le principe des
flux tendus dans lequel la demande régule directement la production.
Le « toyotisme » ne rompt pas avec la tradition du fordisme, il en reprend l’essentiel mais la prolonge
entre autres en affirmant que la motivation de l’ouvrier ne peut être complète si l’incitation s’arrête à
l’augmentation des salaires.
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Ensuite vont se mettre en place de Nouvelles Formes d'Organisation du Travail (NFOT) :
 rotation des postes : l'ouvrier change de poste à intervalles réguliers pour rompre la monotonie du
travail ;
 élargissement des tâches : recomposition du travail qui donc réduit la division du travail ;
 enrichissement des tâches : des tâches de contrôle, de commande ou de maintenance sont
proposées aux ouvriers ;
 groupes semi-autonomes : équipes qui organisent elles-mêmes leur travail.
2) Les NFOT ont-elles remis en cause la division du travail ?
Elles ne la remettent en cause qu’en apparence car dans la réalité, elle change simplement de forme, elle
renouvelle les contraintes (les impératifs de compétitivité), elle répond à de nouvelle exigences (normes ISO, flexibilité), etc..
Ainsi, les critiques faites par Marx -et par Smith lui-même - sur les effets néfastes de la subdivision des
tâches peuvent être formulées encore aujourd'hui par de nombreuses personnes. Si la division du travail semble
s'être assouplie, elle reste un des éléments-clés des sociétés industrielles. Les expressions « néo-taylorisme », «
post-taylorisme» ou encore « anti-taylorisme » témoignent que l’orientation prise par l’organisation du travail
vers une plus forte « participation » des salariés ne doit pas faire oublier la persistance d’une division hiérarchique du travail qui, bien loin d’avoir disparu, reste encore la règle dans bon nombre de petites et moyennes entreprises.
Ce constat n’est pas sans conséquence et pourrait selon certains auteurs conduire à concevoir le marché
du travail comme un marché segmenté en deux parties :
 un noyau central, le coeur de l'entreprise, fait des fonctions les plus rémunératrices et les plus qualifiées
(bureau d'études, d'ingénierie, et certaines activités tertiaires), et
 un ensemble d'emplois périphériques, les moins qualifiés, les moins stables, concernant des travailleurs
exécutant des tâches dévalorisées.
Par ailleurs, dans une société marquée par un chômage qui demeure important et de longue durée, on peut
également s'interroger sur le rôle intégrateur du travail. Face au problème de l'aliénation et de l'exploitation évoqué par Marx au XIXème, surgit aujourd'hui le problème-clé de tous ceux qui n'ont même plus le droit d'être exploités parce que confrontés à des difficultés d’accès à l’emploi lui même. Situation qui a souvent pour conséquence l'exclusion.
E) La division du travail dépasse aujourd’hui largement le cadre de l’atelier
1) La division du travail entre les entreprises ?
La division du travail n'est pas seulement une réalité au sein des entreprises, il existe une division du travail entre entreprises. On parle alors d’externalisation pour traduire ce prolongement de la division du travail en
dehors de l’entreprise. Elle répond à une volonté de réduire les coûts et s’inscrit dans le cadre d’une stratégie de
flexibilisation de la production. L’objectif ultime étant d’améliorer l’efficacité de la production.
L’externalisation des activités peut prendre deux formes :
 Elle peut consister à sous-traiter des activités qui ne sont pas directement liées à la production en
faisant appel à une entreprise extérieure spécialisée dans l’entretien des espaces verts, le gardiennage, le transport, le nettoyage des locaux, la maintenance informatique, etc.);
 Elle peut également consister à confier à un partenaire externe (entreprise sous-traitante) une partie de la production parce qu’il y a un avantage de coût à suivre une telle stratégie.
Aussi efficace soit-elle, cette organisation peut conduire à des rapports de domination économique entre
les entreprises donneuses d’ordre et les entreprises sous-traitantes. La vie et la survie des secondes dépendant
étroitement des commandes passées par les premières. On s’éloigne quelque peu ici du fonctionnement harmonieux
et équilibré spontanément généré par l’économie de marché que décrivait A. smith.
2) La Division Internationale des Processus Productifs (= DIPP)
L’exemple des firmes multinationales constitue un exemple de la division du travail menée au sein d’une
même entreprise à l’échelle planétaire.
Une firme multinationale (ou firme Transnationale) est une grande entreprise nationale qui possède ou
contrôle plusieurs autres filiales de production dans plusieurs pays. Son activité productive s’exerce donc dans
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plusieurs pays ce qui lui permet de répartir les différentes étapes du processus de production dans différents pays
en fonction de sa propre stratégie et des conditions socio-économiques présentes dans ces pays (fiscalité avantageuse, main d’oeuvre bon marché, proximité des consommateurs…). On parle alors de DIPP pour qualifier ce type
d’organisation.
Exemples de FMN : IBM, General Motors, Nestlé, Renault, Sanofi-Aventis, …
NB : Pour certaines d’entre elles et notamment dans le domaine des hautes technologies, l’ouverture des marchés
est une nécessité. En effet, les marchés mondialisés offrent la possibilité d’amortir les coûts fixes considérables de
la R&D.
3) L’ouverture aux échanges et la Division Internationale du travail (DIT)
La mise en pratique des propositions de Smith (notamment le libre-échange et la division du travail) mène
à la spécialisation internationale et donc à la division internationale du travail. En effet, chaque pays va se spécialiser dans la ou les production pour lesquels ses coûts de production sont les plus faibles et pourra les échanger
contre des produits provenant d’un autre pays qu’il n’est pas capable de produire à meilleur coût. C’est la raison
pour laquelle on parle de Division Internationale du travail ( ou DIT).
De la même façon que la division du travail permet, au sein d'une nation, d'augmenter la force productive
du travail, la division internationale du travail permet d'augmenter la force productive du travail mondial et donc
d'accroître la création mondiale de richesses et l'étendue des marchés.
Cependant, cette DIT ne profite pas à tous de ma même manière. On peut notamment s’interroger sur le
sort des pays qui n’ont aucun avantage de coût de production par rapport aux autres ??! On est ici encore bien
loin des perceptive de développement harmonieux du monde et d’enrichissement général décrit par A. Smith.
NB : ce passage sera complété par l’étude de la pensée de Ricardo concernant l’échange international
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