JUDAÏSME ET CHRISTIANISME : UNE
NÉCESSAIRE DISTINCTION POUR TÉMOIGNER
DE LUNITÉ DE LA TORAH ET DE LÉVANGILE
Les séculaires querelles entre le judaïsme et le christianisme,
le développement de lantisémitisme en des pays chrétiens plus
encore que dans les pays païens, le génocide concentrationnaire
de la presque totalité des juifs européens qui a pu être pensé,
organisé et exécuté en une Europe linfluence des Églises
était considérable, tout autant que les massacres de dizaines de
millions dhommes au nom didéologies unitaires et égalitaires
nées en un Occident de tradition judéo-chrétienne, tout cela ne
peut laisser la pensée philosophique indifférente, surtout
lorsquelle a réfléchi sur la structure fiduciale de la conscience et
a pu reconnaître que dans le judaïsme et en Israël, en la personne
de Jésus, se trouvaient actualisées les conditions a priori dune
révélation transcendante.
Une pareille progression dans la violation des exigences
éthiques ne peut sexpliquer par les seules passions humaines et
le seul dérèglement de la sensibilité. Elle doit avoir des racines
intellectuelles qui obscurcissent la nature des exigences éthiques
et atténuent leur caractère impératif absolu. Ces causes
intellectuelles, à la racine de la conscience, introduisent lerreur
en théologie dune part et dans les théories politiques dautre
part. Erreurs théologiques et erreurs politiques peuvent alors se
renforcer les unes les autres, aggraver leurs conséquences
pratiques et rendre plus difficile leur correction, en dépit de la
part de vérité que par ailleurs les réflexions théologiques et
politiques comportent déjà.
Les rapports conflictuels entre le judaïsme et le christianisme
nont pas leur origine dans les réalités qui les fondent, à
savoir : la conscience de lexistence humaine comme création et
révélation de Dieu, exprimée dans la Torah et la révélation en la
personne de Jésus, homme juif, du projet dachèvement divin de
cette création dont témoignage nous est donné dans les textes
évangéliques et apostoliques. Il ne suffit pas de constater sur le
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plan psychosocial que les juifs jouent le rôle de « bouc
émissaire » et que lantisémitisme fonctionne suivant le schéma
de la « désignation dun coupable » en des périodes de crises que
les sociétés ne parviennent pas à identifier et à maîtriser, mais de
comprendre pourquoi ce sont principalement les juifs que les
sociétés chrétiennes ont contraints à ce rôle. Le caractère de
conflit et de persécution de ces rapports se comprend seulement
à partir des « principes » ou schémas intellectuels en lesquels
nous rendons significatives pour nous les réalités qui fondent
le judaïsme et le christianisme. La source de leur opposition
salimente à des erreurs philosophiques et cest par une réforme
de la pensée philosophique qui les pénètre lun et lautre, que
judaïsme et christianisme peuvent retrouver le sens de la
complémentarité de la Torah et de lÉvangile.
I. COMPLEMENTARITE DE LA MESSIANITE DISRAËL
ET DE LA MESSIANITE DE JESUS
Du point de vue dune philosophie relationnelle, dnous
réfléchissons épistémologiquement sur lhistoire du judaïsme et
du christianisme, nous ne craignons pas de dire que cest dans ce
en quoi juifs et chrétiens sopposent le plus parce quils
linterprètent selon les présupposés de la pensée unicitaire que
se trouve le principe de leur accord sils en découvrent sa
structure relationnelle. Cet accord est en même temps la pleine
vérité du judaïsme et la pleine vérité du christianisme, sans que
les juifs aient à devenir chrétiens et à adopter leur mode
historique dêtre et sans que les chrétiens puissent prétendre dans
lhistoire se substituer aux juifs, ni soient tenus dadopter pour
eux les spécificités de la vie juive.
A. ESCLAVES ET EN CONFLIT SOUS LA TYRANNIE DE LUN,
LIBRES ET ACCORDES DANS LA RATIONALITE FIDUCIALE.
Il faut sortir définitivement de limpasse de la théologie
gréco-latine, qui, en asservissant le sens de la révélation de Jésus
à la philosophie de lUn indivis, rejette la spiritualité juive de
lAlliance familiale et théologale ou même loppose comme un
ensemble de comportements de crainte et de clauses juridiques à
la révélation ce qui est un comble ! et abaisse en
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conséquence l’œuvre de Jésus dans les ambiguïtés dune
religiosité païenne ou dans les leurres dun humanisme tronqué.
A lencontre de cette mutilation, par oubli du judaïsme, et de
cette dévalorisation, par réduction de la révélation évangélique, il
convient donc de poser en premier lieu comme « système
philosophique de référence » une conception relationnelle de
lêtre, contradictoire de la philosophie traditionnelle de lUn
indivis. Bien quun tel système relationnel soit élaboré dans un
contexte chrétien, profondément traversé par des idées
philosophiques inspirées du judaïsme, ce système se suffit à lui-
même totalement et ne tire sa justification ni du judaïsme ni du
christianisme, mais de la seule rationalité réflexive de lesprit
humain. Son indépendance religieuse et sa rationalité
autosuffisante sont dailleurs un gage pour le rapprochement les
deux communautés religieuses de lÉglise et de la Synagogue.
Dans le cadre dun tel système, il est naturel dêtre conscient
de lobligation éthique de croire en Dieu selon les exigences et
requêtes de la conscience fiduciale humaine, alors que la
dimension fiduciale de la conscience humaine est totalement
ignorée dans le contexte de la philosophie classique de lunité.
Voilà pourquoi la « foi » dans la culture occidentale, héritière de
cette philosophie, passe pour irrationnelle. Il en va tout
autrement dans le cadre dune rationalité relationnelle de
lexistence. Les conduites de foi envers Dieu ne sont plus
irrationnelles en tant que telles. Ce qui signifie que les conduites
particulières de foi sont redevables de ce quelles sont dans leur
contingence devant leur propre rationalité.
Lauthentique rationalité de la conscience fiduciale rejette
donc toute « réduction rationaliste » dune démarche de foi ou
dune « révélation » à nêtre quune variante religieuse dune
moralité individualiste ou encore une forme primitive de la
pensée philosophique. Le fait de reconnaître philosophiquement
la structure fiduciale de la conscience prémunit contre de telles
réductions, mais permet en revanche de discerner lauthentique
conduite de foi, davec les formes superficielles, irrationnelles ou
immorales de la religiosité ! Le croyant et lautorité qui le guide
ne peuvent plus sériger selon leur expérience subjectiviste en
norme de leur foi, en un domaine étranger à la raison, hors de sa
juridiction. Lobligation éthique de croire, que la conscience
philosophique découvre réflexivement en elle, fonde ainsi la
dignité rationnelle du croyant, et le soustrait à larbitraire et aux
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mystifications religieuses contingentes. Se garder de
lirrationalité en religion ne conduit pas à rejeter toute valeur au
religieux en tant que tel, cest-à-dire comme forme particulière et
incarnée de la fiducialité théologale, au contraire !
En même temps, cette obligation éthique de croire conduit
tout homme qui la perçoit à enquêter sur lexistence historique
dune révélation divine envers une communauté humaine
authentiquement fiduciale, afin dadhérer lui-même à cette
révélation et de saccomplir comme authentique croyant selon sa
nature dhomme.
Or cette heureuse et nécessaire rencontre entre un peuple qui
porte à un point suffisant de développement la conscience
fiduciale de lhomme et linitiative de Dieu, révélateur de son
engagement envers les hommes, sest accomplie en Israël par
Jésus, de façon unique et définitive. Israël a été la « chance » de
Dieu et Dieu na pas laissé passer sa chance. Le mot « chance »
est employé sans quil y ait dans ce mot la moindre signification
de « hasard heureux » mais bien la forme contingente dune
double nécessité ontologique, dans la création autant quen Dieu.
Israël est bien dans lhistoire « lélection » de Dieu sans quil y
ait dans ce terme larbitraire dun choix, car Dieu ne choisit pas
entre des possibilités objectives comme cest le propre de la
liberté humaine en raison de sa finitude. Israël dans sa réalité
historique de peuple et dans la conscience quil prend de lui-
même et quil a exprimée dans ses livres saints est la condition
de possibilité tant de la réalisation que de lintelligibilité dune
révélation divine transcendante. En cela consiste lélection : non
un choix, mais lactualisation dune nécessité. Et en Israël Jésus,
dans sa réalité humaine et la conscience quil prend de sa
relation toute personnelle à Dieu telle quelle constitue le fond
de son être personnel conscient et libre, est le révélateur unique
de Dieu, le révélateur de son dessein pour lhumanité, dessein en
lequel Dieu sengage pour le bonheur et laccomplissement
plénier de lhomme, par-delà toute possibilité du mal, selon une
œuvre « messianique » de divinisation qui saccomplira selon le
déploiement relationnel de sa propre essence divine.
B. CONVERSIONS QUI INCOMBENT AUX CHRETIENS.
En faveur de cette vérité quest la complémentarité de la
vérité « du » (qui est dans le) judaïsme et de la vérité du (qui est
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dans le) christianisme dont nous voyons lévidence, en un juste
discernement, nous ne pouvons pas argumenter en dialogue avec
les juifs, selon un argument « ad hominem » direct, mais nous le
pouvons avec les chrétiens, qui bien que dépourvus de loutil
philosophique dont nous disposons, proclament dans leur foi,
que Dieu, par une de ses personnes constitutives, la deuxième
appelée « Verbe, Parole », sest incarné en Jésus, sans se méta-
morphoser en homme bien sûr, sans se fondre en une personne
humaine et sans générer une métamorphose déificatrice dun
homme. Il sagit en effet de rechercher une complémentarité
dans la vérité et non dans des accords de circonstances, en
fonction des opportunités sociologiques, des rapports de forces
ou des intérêts diplomatiques des diverses communautés
cultuelles.
1. Reconnaître au judaïsme, envers la Révélation
évangélique, une prédisposition active mais non
formulée ce qui valorise son partenariat avec
linitiative divine plutôt quune finalité révélée
avec ambiguïté ce qui conduit à laccuser
dinfidélité à lappel de Dieu pour toute la suite de
son histoire.
La foi en lincarnation du Verbe tels sont les termes
consacrés implique que ceux à qui Dieu se manifeste de la
sorte disposent des moyens intellectuels pour le reconnaître et
pour comprendre ce quIl leur révèle. Les disciples de Jésus
exprimaient la nécessité dune telle implication en disant que « la
vie et les actions de Jésus avaient été annoncées par les Écritures
et les prophètes » ou encore que « Jésus accomplissait les
prophètes et les Écritures », et de citer tels ou tels versets de la
Torah et des prophètes, pour les appliquer tels quels à Jésus avec
plus ou moins de bonheur.
Cette façon d» actualiser » lÉcriture sur lévénement
« accompli » ne choquait pas lexégèse juive. Seule lopportunité
ou la justesse de lapplication aux événements particuliers
prêtaient à discussion. Ensuite cette façon dactualiser lÉcriture
fut comprise dans le monde gréco-latin comme une information
délivrée par Dieu plusieurs siècles à lavance, sur lexistence de
Jésus et sur ses actions. Et toutes les Écritures juives se virent
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