L`INDIVIDU Du moi à la première personne Sujet très vaste. Éventail

L'INDIVIDU
Du moi à la première personne
Sujet très vaste. Éventail de tentatives de définitions possibles.
(i) Parti pris méthodologique: résister à la tentation de s'attaquer à la question ontologique: « qu'est-
ce qu'un individu ? »
Expliquer pourquoi résister à la question ontologique, à l'approche essentialiste impliquée par la
question « qu'est-ce ? » → on risque de créer des mythes philosophiques, des objets métaphysiques.
Méthode plus « analytique »: décrire nos manières d'employer ce concept, l'usage que nous en
faisons en philosophie et dans le langage ordinaire. Objectif de clarification du concept par ses
usages. Pas de quête d'une essence qui donnerait la signification du concept d'individu, mais
approche descriptive.
(ii) Restriction de l'investigation: Même si une certaine partie de ce que je vais dire concerne la
notion d'individu de manière très générale, je me concentrerai dans ce qui suit sur un usage plus
spécifique: l'individu humain; non pas le particulier, objet identifiable comme entité à part, mais le
particulier humain que l'on désigne encore sous le nom de personne. C'est donc sur l'individu
humain que portera l'essentiel de mon propos.
(iii) Objectif: débrouiller un nœud conceptuel, qui obscurcit notre concept d'individu. Car ce qui
apparaît d'emblée lorsque l'on se penche sur l'usage philosophique de la notion d'individu, c'est un
certain embarras conceptuel entre deux significations fort différentes: être le même / être soi-même.
L'intrication (la confusion?) de ces deux significations donne alors lieu au problème philosophique,
lockéen par excellence: être soi-même le même, ou le même soi que soi-même.
En même temps, il est clair que ce qui nous intéresse avec ce concept d'individu, ce n'est pas
seulement sa signification numérique, quantitative: le fait qu'il y ait une seule et même chose, où
l'on pourrait croire qu'il y en a deux; c'est surtout le sens plus moderne, qualitatif, de l'individu, qui
désigne ce qui fait que cet individu est lui-même et pas quelqu'un d'autre.
Préliminaire:
Partir de la formule de Quine « pas d'entité sans identité »
Quine reprend le questionnement ontologique dans une perspective analytique: à quelle
condition peut-on parler d'individus? Pourquoi utilisons-nous des termes singuliers dans le
langage? Qu'est-ce que cela montre?
Quine veut « nettoyer les bidonvilles ontologiques », c'est-à-dire ne pas démultiplier les
entités correspondants aux termes. Pas d'entités superflues.
Le seul fait d'employer des noms propres ne suffit pas à affirmer l'existence d'individus
leur correspondant. L'existence des individus doit être cherchée dans une autre structure
du langage.
Critique que Quine adresse à Meinong, Frege et Russell, à leur tentative pour penser des objets
particuliers possibles, des objets inexistants. Tout le problème est d'identifier de tels objets
possibles, pour pouvoir entre autres les discerner les uns des autres. On a donc besoin de critères
d'identification, ce qui manque à ces objets seulement possibles. C'est ce qui fait dire à Quine: « pas
d'entité sans identité » (no entity without identity » 1948).
Si je ne peux pas identifier de façon précise un objet, alors, il n'y a pas un tel objet. Je ne peux pas
parler d'entité inexistante si je ne peux pas les identifier en tant que telles.
Une identité doit pouvoir être identifiable en termes quantitatifs, et donc avoir une référence qui
témoigne de son existence. C'est l'extensionalisme de Quine: une entité doit avoir une extension;
une entité qui serait purement intensionnelle, comme une proposition ou une propriété, ne peut être
identifiée faute de critères. Une propriété n'a pas d'identité au sens où, même si on la retrouve à
l'identique dans plusieurs objets, elle n'a pas elle-même d'extension. Ce sont plutôt les entités, au
sens extensionnel, qui peuvent posséder des propriétés identiques. Mais pour qu'il y ait une entité, il
faut que celle-ci puisse être individuée par des critères d'identité. Ce sont ces critères qui permettent
d'établir des énoncés d'identité du type frégéen « Hespérus est Phosporus », c'est-à-dire de
reconnaître que deux noms ou deux descriptions différentes ont la même référence, qu'une entité
peut être désignée sous différentes descriptions. L'identité implique donc l'indiscernabilité, au sens
leibnizien: « « Deux choses sont les mêmes lorsque l’une peut être substituée à l’autre, la
vérité étant respectée » (Quine, MC, p.174).
L'identité se confond avec le principe de substitution leibnizien, qui cherche à établir
l'identité numérique, ou un jugement d'identité entre deux descriptions. a=b
C'est le même individu qui est tour à tour appelé a (Hespérus) ou b (Phosphorus).
On pourrait donc dire que pour Quine, il n'y pas d'entité sans identité et pas d'identité sans
indiscernabilité (Pascal Engel,
La norme du vrai
, p.192). La logique de l'individuation est la
suivante:
l'individuation suppose de quantifier un particulier, cette quantification ne peut se faire
sans la référence, référence à une entité existante. Cette entité elle-même est identifiée
par le principe d'indiscernabilité leibnizien.
Quel est l'intérêt de ce préliminaire?
Quine ouvre un questionnement sur le rapport entre langage et ontologie, entre le nom
propre et l'individu qu'il est censé désigner. Il ouvre ainsi un champ d'investigation crucial
sur l'individuation par le nom propre, c'est-à-dire par la référence. Est-ce bien le nom
propre qui permet d'identifier une entité individuelle? Tout nom propre a-t-il une référence?
Cette référence est-elle bien un individu?
Si l'on s'en tient à l'être humain, réfléchir sur ce que signifie le concept d'individu nous
amène à nous interroger sur le principe d'individuation de ces entités spécifiques, sur leurs
conditions d'identification. Est-ce que ces conditions d'identification sont semblables pour
tout individu ou sont-elles spécifiques dans le cas des êtres humains, des personnes?
Je vais montrer que la philosophie moderne s'est justement attachée à proposer un
principe d'individuation « spécial » pour l'individu humain, faisant basculer la réflexion
philosophique plus classique sur l'identique,
le même
, vers une réflexion de l'ordre de
l'identitaire, centrée sur
le soi
. Le concept d'individu sert alors la réflexion sur l'identité
personnelle et ce qui fait l'identité personnelle, c'est la conscience de soi. En m'appuyant
sur les travaux de Vincent Descombes, je montrerai comment les philosophies de la
conscience ont non seulement rabattu le concept d'individu sur le moi ou le soi, mais aussi
qu'elles ont fini par se débarrasser de l'individu humain. Car ce qui compte, pour ces
philosophies du sujet, c'est l'identité du moi indépendamment de l'individu humain que je
suis également pour les autres.
Et cela commence justement par une reprise des théories de la référence.
Plan:
1) l'individuation par la référence
La référence a l'avantage d'impliquer nécessairement une identification, mais toute
identification passe-t-elle par la référence? En outre, lorsque je me réfère à une personne,
dont l'individuation repose sur la conscience de soi, quelle est précisément la référence?
Le soi? Le moi?
2) le problème de l'identité personnelle
3) l'individu au sens normatif: tandis que l'individu est étouffé par l'ego en philosophie,
il n'a jamais été aussi présent sur le devant de la scène dans la vie ordinaire. Ere
de l'individualisme. Paradoxe à expliquer.
I. L'individuation par la référence
Du point du vue du langage, on peut commencer par remarquer que lorsque nous
recourrons au concept d'individu, ce n'est pas pour désigner une propriété ou un concept,
mais bien une entité existante. L'existence de l'individu est la condition logique de
l'affirmation de l'existence de cet individu. Cependant, l'idée d'entité est encore trop vague,
car elle ne nous permet pas de différencier entre des entités individualisées, comme « ce
blanc » et des individus en tant que tels: « ce cheval blanc ».
Dans les
Catégories
, Aristote développait une conception très large de l'individu,
(
atoma
) avec différentes catégories d'individu. L'individu y était défini comme exemplaire
d'un genre donné, unité ontologique dans une catégorie. Cependant, l'analyse logique des
conditions d'emploi des propositions singulières permet de distinguer entre les entités
intensionnelles, et les entités extensionnelles.
Quels sont ainsi les critères spécifiques requis par l'identification de cette sorte
d'individus que sont les personnes?
1. La conception frégéenne de la référence et le critère d'identité grammatical
La conception frégéenne des particuliers a joué un rôle important, voire fondateur,
dans nombre de théories contemporaines sur l'individu. Même si Frege emploie rarement
le terme même d'individu, parlant plutôt de particulier ou d'objet, ses réflexions ont nourri
des penseurs comme Wittgenstein, Strawson ou Quine après lui. Qu'est-ce que Frege
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