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Thierry Libaert
Quelle politique pour conduire la réponse
au changement climatique ?
Sociologue britannique, ex proche conseiller de Tony Blair, ancien
directeur de la London School of Economics, aujourd’hui membre de la
Chambre des Lords, Anthony Giddens propose une vision politique du
changement climatique.
Dans un ouvrage remarquable de précision, d’exemples et de clarté, The
politics of climate change, (Edition Polity, 2009, 262 pages), A. Giddens
définit son propos ; le dérèglement climatique a fait l’objet d’un très grand
nombre de réflexions de nature scientifique, technique, économique ou
financière, mais aucune vision politique, au sens de « quelle gouvernance
mettre en œuvre » n’avait été effectuée.
Le point de départ de l’ouvrage repose sur le constat d’une différence de
temporalité entre la prise de conscience et l’urgence du problème. La
difficulté réside dans le fait que, lorsque le dérèglement climatique
apparaîtra réellement, il sera déjà trop tard pour y répondre, et que dans
cette attente, les phénomènes climatiques que nous connaissons peinent à
nous interpeller, pris que nous sommes dans nos urgences quotidiennes.
En conséquence, percevant cette faible prise de conscience réelle, les
politiques - eux-mêmes pris dans un court termisme permanent –
réagissent avec lenteur : « Jusqu’à présent, il n’existe pas de politique
globale envers le dérèglement climatique ». Ce dernier transcende toutes
les frontières politiques et nécessite à la politique de se réapproprier le
long terme et la prospective.
La politique climat n’est pas une politique pouvant être réduite aux
attributions d’un ministère ; c’est une politique d’Etat qui doit être mise en
place et concerne l’ensemble des activités gouvernementales et au
premier rang la politique énergétique. A. Giddens note à ce propos qu’il
serait peut-être préférable de sensibiliser la population aux risques
énergétiques tangibles et immédiats plutôt qu’aux risques climatiques,
plus imperceptibles pour le public.
Après une synthèse sur l’émergence du réchauffement climatique et une
présentation de ses conséquences selon les divers scénarios, notamment
des effets induits comme les émissions de méthane relâché par la fonte
des glaces en Sibérie qui serait déjà supérieures à celles de l’ensemble
des émissions américaines actuelles, Giddens affirme que le problème
climatique représente « l’échec le plus important que les théories du
marché ont pu connaître », qu’il ne peut rester un argument politique du
mouvement écologique et doit impérativement faire l’objet d’un consensus
politique droite / gauche pour assurer un minimum de continuité de
l’action publique.
Opposé au principe de précaution qu’il juge trop rigide dans son ambition,
Giddens estime que le risque est intrinsèque à notre développement et
plaide pour un principe de proportionnalité.
Il est nécessaire de lier le problème climatique et celui de l’énergie. La
lutte pour l’indépendance et la continuité énergétique lui apparaît comme
un thème nettement plus mobilisateur que les réductions liées à
l’impératif climatique. L’accent sur l’efficacité énergétique est un levier
plus important que le climat et permettrait d’atteindre le même objectif.
Concernant notre gouvernance, il est nécessaire de revenir à la
planification et de refonder une politique intégrant des objectifs de long
terme en plaçant en permanence le changement climatique au sommet de
l’agenda politique. Cela favoriserait également l’intégration de l’objectif
climat au sein de l’action publique des différents ministères. A. Giddens
observe sur ce point une forte incohérence politique notamment au
travers de l’exemple de certaines mesures de protection environnementale
climat totalement annihilées par des décisions contradictoires prises en
faveur d’un autre objectif comme la relance économique, les subventions
corporatistes ou le soutien aux agriculteurs.
Malgré des déclarations d’intention positives, A. Giddens doute de la réelle
capacité des citoyens à se mobiliser. Le doute installé par les climatoseptiques, l’effet de la crise économique, le syndrome « Je ne bouge pas
avant que les autres ne commencent », la méconnaissance réelle du
phénomène climatique, ajoutés à la perception des conséquences qui ne
se fera que tardivement – et épisodiquement – tout cela rend Giddens peu
optimiste sur un changement émanent des citoyens eux-mêmes. Il estime
également que les mesures citoyennes généralement proposées sont peu
réalistes car adaptées à une minorité aisée et éclairée de la population.
Selon lui, la sensibilisation doit être positive, différenciée et mettre
l’accent sur les économies réalisées, notamment dans le secteur
énergétique.
Parmi les mesures proposées, Anthony Giddens détaille les raisons de
s’attaquer sérieusement au greenwashing dans la publicité : « Chaque
entreprise devrait publier son empreinte carbone et ne pas se contenter
de le faire pour des segments sélectionnés de leurs activités ». Il estime
également que l’éducation au changement climatique devrait être
introduite largement dans l’enseignement. De même, il pense que seul
l’Etat est à même de promouvoir une réelle politique d’innovation sur le
sujet et appelle à un « climate change new deal » notamment pour
favoriser la création d’emplois. Il se méfie d’ailleurs de l’illusion d’une
croissance verte naturellement créatrice d’emplois en observant que par
exemple dans le domaine de l’énergie, le secteur des combustibles fossiles
était générateur d’emplois alors que celui des énergies renouvelables l’est
beaucoup moins.
Dans le débat entre l’efficacité comparée du marché du carbone et le
dispositif fiscal, Giddens penche pour la taxe carbone à condition qu’elle
soit claire, compréhensible et rigoureusement destinée à la question
climatique et que la question des inégalités sociales soit bien intégrée :
« Les recherches montrent que les foyers les plus pauvres dépensent
significativement davantage par unité énergétique que les plus aisés ».
Une taxe uniforme serait socialement répressive. Il explore également les
possibilités d’allocation de quotas individuels mais constate l’absence de
toute expérimentation concluante sur le sujet et estime le système plutôt
« impraticable et infaisable ».
Sans trop d’illusion, A. Giddens consacre un chapitre à la politique
d’adaptation. Le changement climatique est déjà en marche et dans
l’hypothèse optimiste de nos réactions, il existe une inertie du climat qui
impliquera une augmentation d’inondations, de tempêtes, de canicules.
Cela entrainera de nouvelles épidémies, des maladies de la peau, des
conséquences agricoles, touristiques et des impacts majeurs sur des
domaines économiques et financiers et plus particulièrement sur l’activité
assurantielle, et l’auteur rappelle que 49 milliards de dollars furent
dépensés par les sociétés d’assurance après l’ouragan Katrina aux EtatsUnis (Août 2005).
Au plan international, le poids des Etats-Unis est évident avec 44 % des
émissions de CO2 de l’OCDE et une consommation de pétrole par habitant
2,5 fois supérieure à celle d’un européen. D’autres pays comme le Canada
ou l’Australie sont pointés avec des émissions par habitant supérieures à
celles des américains. Les émissions par habitant sont moitié moindres
dans l’ex-Europe des 15 qu’aux Etats-Unis (chiffres 2007). La Chine a
remplacé les USA comme premier contributeur mondial de CO2 même si
les émissions d’un chinois ne sont que le cinquième de celles d’un
américain.
Giddens note également un manque de constance de plusieurs pays
européens comme l’Espagne qui a accru ses émissions de 30 % depuis
1990, l’Italie qui remet en cause ses engagements ou la Pologne. Le
sommet européen de septembre 2008 sous présidence française a donné
une unité de façade mais la liste des dérogations est trop importante,
notamment pour les industries de l’acier, du charbon ou du ciment.
Pour Giddens, c’est au niveau national que les décisions se prendront. Il
se dit pessimiste sur l’après Kyoto « Ce n’est pas au travers d’accord
comme Kyoto que des progrès seront réalisés ». Il se prononce pour un
système différencié en trois zones, des objectifs chiffrés de réduction des
émissions globales pour les pays industriels, des objectifs chiffrés de
réduction de l’intensité carbone par unité énergétique pour les pays
émergents, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, et une quasi liberté
temporaire pour les pays en voie de développement. Il ne fait pas non
plus de l’Europe une solution idéalisée ; « Les engagements de l’Union
Européenne peuvent aider, mais l’action effective repose sur chaque
membre ». Le marché du carbone qui représentait 64 milliards de dollars
en 2007 est fort utile, mais il nécessite une forte gouvernance – ce que
N. Stern passait sous silence pour bien fonctionner. Et l’auteur de
regretter que cela risque de prendre encore bien du temps.
Le dernier chapitre est consacré aux questions géopolitiques jugées de
première importance et A. Giddens donne les exemples des tensions
croissantes sur les terres arctiques, leurs gisements et les nouvelles
routes maritimes qu’elles offriront, ou l’exemple de la guerre du Darfour
où une augmentation même faible de la température peut entraîner des
migrations incontrôlées de population et engendrer des conflits graves.
Conjugués à une lutte pour l’appropriation de ressources naturelles de
plus en plus limitées, les risques géopolitiques sont nombreux, comme le
décrivait un rapport du Pentagone. Pessimiste sur la capacité des Nations
Unies à faire face au problème, l’auteur plaide pour la multiplication
d’accords bilatéraux (en rêvant d’un accord bilatéral Chine – USA) ou
thématiques comme sur la lutte contre la déforestation. Il prend exemple
sur les négociations de l’organisation mondiale du commerce à Doha qui
échouèrent dans leur globalité, mais dont l’objectif fut sauvé par la
signature de plus de 200 accords régionaux ou bilatéraux. Sans renoncer
à la signature d’un accord international, voire même au sein du G 8 –
auquel il ne croit pas – Giddens plaide pour des approches décentralisées
plus faciles à mettre en œuvre et pouvant avoir un effet d’entrainement.
Cet ouvrage que Bill Clinton appelle à lire urgemment est discutable sur
de nombreux points, il caricature le principe de précaution, il semble
percevoir les citoyens totalement passifs, il s’interroge peu sur nos
modèles économiques et garde une forte croyance au progrès technique,
c’est néanmoins un ouvrage majeur qui ouvre une première vraie réflexion
de nature politique – et il connaît bien son domaine – sur le changement
climatique.
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