Methodologie_Recherche-_V_Baudais

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Chapitre I : Introduction
L’objectif de ce séminaire est de vous proposer des repères théoriques sur les
principaux débats épistémologiques et méthodologiques rencontrés dans les
sciences sociales aujourd’hui, de vous présenter les « manière de faire » de la
recherche. Ces jalons méthodologiques et techniques vous permettront de
construire votre objet de recherche en vous initiant à la pratique sociologique.
Introduction à la méthode
Le sociologue est conduit à appréhender le monde social d’une manière spécifique.
En sociologie, on peut recenser une multiplicité de paradigmes et de références
théoriques, des rivalités entre écoles…. Certaines antinomies peuvent être
qualifiées de « classiques » : matériel / idéel, objectif / subjectif, collectif /
individuel, macro / micro. Aujourd’hui, on parle davantage de constructivisme
social, la réalité sociale n'est pas donnée ou naturelle mais elle est construite.
On peut définir la méthode de la façon suivante : « un ensemble concerté
d’opérations, mises en œuvre pour atteindre un ou plusieurs objectifs, un corps de
principe présidant à toute recherche organisée, un ensemble de normes
permettant de sélectionner et coordonner les techniques. Elles constituent de
façon plus ou moins abstraite ou concrète, précise ou vague, un plan de travail en
fonction d’un but.» (M. Grawitz, Méthodes des sciences sociales, p. 352).
Toute recherche utilise ensuite des techniques (technique de l’interview par
exemple). Il faut donc distinguer méthode et technique : « la technique représente
les étapes d’opérations limitées, liées à des éléments pratiques, concrets, adaptés
à un but défini, alors que la méthode est une conception intellectuelle
coordonnant un ensemble d’opérations, en général plusieurs techniques » (M.
Grawitz, idem, p. 353).
1
Il existe plusieurs techniques :

étude des individus : interview, questionnaires, analyse de discours

étude de groupe : observation, étude de documents

sondages

analyses documentaires...
La sociologie est l’étude de la réalité sociale. Pour acquérir le statut de science, la
sociologie s'est détachée de la philosophie historique. Parmi les premiers
sociologues, nous pouvons citer Saint-Simon, Comte, Marx, Durkheim.
Auguste Comte (1798-1857) : a défini la physique sociale (premier nom de la
sociologie comme « la science qui a pour objet propre l’étude des phénomènes
sociaux ». Pour A. Comte, la sociologie doit résoudre les problèmes sociaux et il
cherche à étudier les faits sociaux à la manière des phénomènes physiques ou
chimiques. Par conséquent, le rôle du sociologue est d’élucider les lois de
fonctionnement de la société pour permettre de soigner ses maux. La sociologie est
la science du présent.
Le cadre théorique, l'observation et l'expérimentation (méthode comparative et
historique) sont selon Comte des étapes indispensables pour connaître la réalité
sociale.
Alexis de Tocqueville (1805-1859) : a étudié les facteurs historiques, politiques,
économiques et sociologiques.
Vilfredo Pareto (1848-1923) : a analysé le changement social.
Emile Durkheim (1858-1917) : premier sociologue à avoir élaboré une méthode
scientifique dans Les règles de la méthode sociologique (1895). Durkheim a
cherché à résoudre de façon scientifique la « question sociale » renvoyant à la
question du consensus social lié au développement de l’individualisme et à la
« montée des égoïsmes » dans le contexte d’industrialisation.
Dans Règles de la méthode sociologique, il définit une méthode rigoureuse
d’analyse des faits sociaux, définis comme « toutes manières de faire (…)
2
susceptibles d’exercer une contrainte sur l’individu ». Il étudie le suicide, la
famille, le mariage, le crime, la religion.
Durkheim, s'appuyant sur les travaux du physiologiste Claude Bernard, cherche à
résoudre la question des rapports entre l’individu et la société (les parties et le
tout) : l’individu ne peut se concevoir hors de la société dont il fait partie et ses
différentes consciences collectives (morales, familiales, religieuses, juridiques).
A travers la notion d'anomie, il pose le problème des degrés d’intégration à la
société. La solidarité est l'élément commun à toute existence sociale. Il distingue :

la solidarité mécanique dans les sociétés à conscience
collective forte

la solidarité organique dans les sociétés complexes où sous
l’influence de la division du travail il y a complémentarité
Pour Durkheim « un fait social se reconnaît au pouvoir de coercition externe qu’il
exerce ou est susceptible d’exercer sur les individus » (institution, éducation…).
Par conséquent, la cause déterminante d’un fait social est à rechercher dans les
faits sociaux antérieurs, pas dans la conscience individuelle.
Durkheim définit une méthode d'étude des faits sociaux :
-
1ère règle : étudier les faits sociaux comme des choses
-
but de la sociologie : découverte de relations générales entre les
phénomènes
-
l’observation : n'est pas une simple description des faits. Les observations
doivent être utilisables et vérifiables par tous, puis systématisées.
-
Expérimentation : la seule méthode applicable à la sociologie est la méthode
comparative
Marcel Mauss (1872-1950) : ethnologue et sociologue. Esquisse d’une théorie
générale de la magie (1902), Essai sur le don (1923-1924). Un fait social pour Mauss
comporte des dimensions économiques, religieuse, juridique et il ne peut se
réduire à un seul de ces aspects. Mauss tente d’appréhender l’homme dans sa
réalité
concrète.
Il
insiste
sur
la
valeur
de
la
méthode
permettant « d’établir des rapports d’une certaine généralité ».
3
comparative
Dans Essai sur le don, forme archaïque de l’échange, Mauss s’interroge sur la
signification sociale du don dans les sociétés tribales : le don met en jeu de
nombreux rouages (juridique, religieux, économique, etc.), ce n’est pas un
élément isolé. C’est un fait social total.
Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895) : Marx a donné une
explication aux contradictions de la société. Sa méthode est la dialectique qui se
veut une explication totale de la société.
Max Weber (1864-1920) : Dans l’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme
(1904), il montre que l’esprit, les croyances d’une société peuvent s’étudier
objectivement. Sa méthode est la sociologie compréhensive distinguant l’évolution
objective des institutions et la signification que les institutions ont pour ceux qui
les vivent. Ces deux aspects sont complémentaires et représentent des façons
différentes d’appréhender la diversité du réel.
« Nous appelons sociologie (…) une science dont l’objet est de comprendre par
interprétation
l’activité
sociale,
pour
ensuite
expliquer
causalement
le
développement et les effets de cette activité ».
Weber met également en avant l'indispensable objectivité du savant et prône la
neutralité axiologique. La vocation du sociologue doit être la connaissance pour la
connaissance. Il faut séparer constatations empiriques et jugement de valeurs.
Pour Weber, le savant ne peut prétendre rendre compte de la totalité du
phénomène. Ce sont des modèles ou constructions intellectuelles permettant
d’appréhender certains aspects de la réalité.
Le concept exprime un aspect significatif de la réalité en retenant ce qui
individualise le phénomène. En revanche, le type idéal sélectionne et accentue
certains aspects de la réalité.
4
La sociologie moderne :
Etats-Unis :
Le fonctionnalisme : pose la question centrale du fonctionnement des systèmes
sociaux.
Auteurs : T. Parsons, R. Merton, P. Lazarsfeld.
L’école de Chicago et l’interactionnisme : H ; Blumer (psychosociologue), E.C
Hugues (sociologue du travail), W.L. Warner (anthropologue).
Le fait social n'est pas donné mais c'est un processus qui se construit dans le cadre
de situations concrètes. L’interactionnisme utilise la démarche ethnographique et
notamment l’observation participante.
Ex / Goffman, Asiles, 1961 : pendant un an il mène la vie des internés dans un
hôpital de Washington pour décrire la condition des malades mentaux.
L’ethnométhodologie : A. Schütz (1899-1959), Structure intelligible du monde
social (1932). Il réintroduit l’homme dans la sociologie.
Allemagne :
Ecole de Francfort : T.W Adorno, Horkheimer (1895-1973), H. Marcuse, Adorno
(1903-1969), Habermas, Luhmann.
En France :
Pierre Bourdieu (1930-2002): Le métier de sociologue. Bourdieu met la sociologie
au service de la critique sociale : la sociologie doit contribuer à la contestation et à
la transformation de l’ordre social en dévoilant les ressorts cachés du pouvoir, les
inégalités, l’ordre dominant. Bourdieu a élaboré une sociologie critique qu’il
applique à l’école, la culture, l’art ou la société en général. Il fonde ses travaux
sur les rapports et les dominations symboliques.
5
Concepts-clés : le champs, le capital culturel, le pouvoir symbolique, l’habitus.
Bourdieu cherche à dévoiler les mécanismes de domination qui s’exercent entre les
individus dans les différentes sphères (champs) du macrocosme social. Ex : l’école,
le capital culturel….
-
le champ : « espaces structurés de positions (ou de postes) dont les
propriétés dépendent de leur position dans ces espaces et qui peuvent être
analysés indépendamment des caractéristiques de leurs occupants (en partie
déterminées par elles) ».
-
l’habitus : ce sont les gestes, pensées, manière d’être, acquis à tel point
qu’on en oublie l’existence. Ce sont donc des routines mentales, inconscientes
qui nous permettent d’agir « sans y penser ». Grâce à l’habitus, nous évoluons
librement dans un milieu donné sans avoir besoin de contrôler consciemment
ses mots ou ses gestes mais on prend conscience de l’habitus lorsqu’on est
plongé dans un milieu autre que le sien (un ouvrier invité à une soirée mondaine
car
différents
habitus
linguistiques).
L'habitus
est
« une
machine
transformatrice qui fait que nous reproduisons les conditions sociales de notre
propre production, mais d’une façon relativement imprévisible ». Les habitus
sont donc des marqueurs de l’origine (sociale, ethnique…) des individus. Il
apporte ainsi des éléments d’explication au problème de la reproduction
sociale.
-
au-delà des capitaux économique et culturel, il met en évidence un capital
social et un capital symbolique.
L’individualisme méthodologique :Raymond Boudon (1934): « le principe de
l’individualisme méthodologique énonce que pour expliquer un phénomène social
quelconque – que celui-ci relève de la démographie, de la science politique, de la
sociologie ou de toute autre science sociale particulière – il est indispensable de
reconstruire les motivations des individus concernés par le phénomène en question
et d’appréhender ce phénomène comme le résultat de l’agrégation de
comportements individuels dictés par ces motivations ».
6
Georges Balandier : anthropologue qui observe la décolonisation des Etats africains
et leur évolution.
Alain Touraine : historien, Evolution du travail ouvrier aux usines Renault (1955).
Michel Crozier : sociologue des organisations.
7
Chapitre II: La démarche des sciences sociales est-elle
scientifique ?
Question préalable : « Comment cette activité consacrée à la réflexion sur la
société » a-t-elle pu accéder au statut de science ?
Les sciences humaines, à la faveur du développement des sciences naturelles,
s’orientent
vers
une
recherche
plus
scientifique.
Ce
sont
d’abord
des
considérations politiques qui ont guidé la réflexion sur la société (Aristote, Platon,
Ibn Kaldoun, Thomas More, Machiavel, Thomas Hobbes, John Locke). Tous ces
auteurs se posent la même question : l’origine de la société mais leurs réponses
diffèrent. Une véritable science sociale exige une démarche objective.
La rupture vient avec Montesquieu, qui est pour R. Aron, le fondateur de la
sociologie moderne. Montesquieu récuse toute explication d’essence théologique
ou morale, recherche les causes des évènements, les classer et les ramener à un
petit nombre. Montesquieu critique la doctrine du droit naturel et rejette les
impératifs politiques qui en découlent : il réclame une séparation de la religion et
de la science, il défend l’idée d’une science du politique fondée sur l’autonomie du
politique. Il adopte une attitude scientifique. Il est ainsi le premier à affirmer
l’interdépendance des phénomènes sociaux.
La même évolution se retrouve dans d'autres sciences humaines (économie,
statistique) et s'orientent vers une démarche plus scientifique. L’évolution est
également due à l’essor des sciences de la nature : l’esprit scientifique, l’influence
de l’Encyclopédie, la philosophie positive, ont modifié les façons de penser dans
tous les domaines (succès des sciences de la nature au XVIII è).
La science implique la mise à l’écart de ses convictions, la recherche
d’observations, d’explications et de solutions, même limitées mais vérifiables par
des méthodes accessibles à tous.
8
1. La définition de l’objet
A l’instar de M. Grawitz, nous pouvons employer indifféremment sciences sociales,
sciences humaines et sciences de l’homme. Les sciences sociales ont pour objet
l’étude de l’homme dans son milieu social (l’homme et ses activités) ce qui pose
une question : peut-on étudier l’homme de la même manière qu’un objet
physique, qu’un corps biologique ?
Les méthodes utilisées par les sciences sociales sont des méthodes spécifiques.
Les faits sociaux (ce qu'on étudie) sont ceux qui résultent de la vie en société.
De par cette nature particulière, on a longtemps contesté aux sciences sociales la
possibilité d'étudier scientifiquement la réalité. Il est cependant difficile d'adopter
une attitude rigoureusement neutre et objective face aux phénomènes sociaux
donc le chercheur doit être vigilant au cours de sa recherche.
La notion de falsifiabilité chez Popper : C’est un instrument critique nécessaire
pour évaluer une théorie. Pour Popper, tout savant bâtit des hypothèses ou des
systèmes théoriques et les soumet à l’observation et à l’expérimentation (mise à
l’épreuve). La vraie preuve chez Popper, c’est l’impossibilité de confirmer
l’hypothèse contraire.
4 étapes pour la mise à l’épreuve d’une théorie :

comparaison des conclusions entre elles : on éprouve la cohérence interne
du système

recherche de la forme logique de la théorie : déterminer si la théorie a les
caractéristiques d’une théorie empirique ou scientifique ou tautologique

comparaison de la théorie à d’autres théories : but principal = déterminer si
elle constituerait un progrès scientifique si elle survit aux différents tests

mise à l’épreuve de la théorie en procédant à des applications empiriques
des conclusions qui peuvent en être tirées
9
Tant qu’une théorie résiste à des tests systématiques et rigoureux et qu’une autre
ne la remplace pas dans le cours de la progression scientifique, on peut dire que
cette théorie a « fait ses preuves ».
Qu’est-ce qu’un fait social ? (Durkheim)
Les questions préalables de Durkheim sont les suivantes :

Y a-t -il un domaine, un objet, des faits sociaux spécifiques ?

Y a-t-il une méthode applicable à cet objet ?
Il réfléchit à quelles conditions la sociologie peut être une science : on peut
parler de science s’il existe un objet et une méthode scientifique c’est-à-dire la
possibilité de relier les faits sociaux entre eux. Ce qui permet de reconnaître les
faits sociaux c’est la contrainte donc il faut expliquer cette contrainte (au niveau
conscient et inconscient).
La méthode d’étude des faits sociaux chez Durkheim :

considérer les faits sociaux comme des choses : la sociologie est une science
comme les autres et son but est la découverte de relations générales entre les
phénomènes

importance de la définition : il faut limiter le champ de la recherche et
savoir de quoi l’on parle. Il faut substituer aux notions de sens commun une
première notion scientifique

l’observation n’est pas un simple compte-rendu mais elle doit constituer les
faits : l’observation doit être faite de manière impersonnelle, les observations
doivent être utilisables et vérifiables par tous avant d’être systématisées

la méthode comparative est la seule qui convienne à la sociologie
Durkheim cherche d’abord à définir ce qu’est un fait social : tout fait social
existe en dehors des consciences individuelles « non seulement ces types de
conduite ou de pensée sont extérieures à l’individu, mais ils sont doués d’une
puissance impérative et coercitive en vertu de laquelle ils s’imposent à lui, qu’il
le veuille ou non ».
10

les faits sociaux ne sont pas des incarnations individuelles donc ce n’est pas
leur manifestation au niveau de l’individu qui en font des faits sociaux

il délimite le domaine de la sociologie : « il ne comprend qu’un groupe
déterminé de phénomènes »

il énonce le recours nécessaire à l’expérience pour procéder à la dissociation
entre fait social et répercussions individuelles

technique privilégiée dans le cadre de son expérimentation : la statistique

formule un nouveau questionnement : il introduit des « manières de faire »
au côté des « manières d’être »

terrain d’observation = la division politique de la société (divisions morales)

technique d’observation : le droit public

conclut par une nouvelle définition du fait social « est fait social toute
manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une
contrainte extérieure ; ou bien encore, qui est générale dans l’étendue d’une
société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses
manifestations individuelles ».
Le couple empirie / théorie : les critique de la « suprême théorie » (Wright
Mills) et des « méthodologues » (Bourdieu)
Qu’est-ce qu’une expérience scientifique ? c’est une expérience qui contredit
l’expérience commune.
Wright Mills : critique de la « suprême théorie »
Il se livre à une critique de l’œuvre de Parsons, Système social. La Suprême théorie
a eu peu d’influence et elle est difficile à comprendre. La Suprême Théorie a choisi
un niveau de pensée si général qu’il n’y a pas d’observation (beaucoup
d’abstractions dans les typologies). Parsons veut faire une « théorie sociologique
générale » et il élabore pour W. Mills « un royaume de concepts ». Pour W. Mills,
les suprêmes théoriciens ont mal abordé de grands problèmes sociologiques, ils ne
descendent pas dans l’arène sociologique parce qu’ils croient que le modèle
d’ordre social construit est un modèle universel.
11
Bourdieu : critique des méthodologues :
Thèse : il faut dépasser les débats académiques et soumettre la pratique
scientifique à une réflexion à la science se faisant. Pour Bourdieu, les
méthodologues sont plus occupés à rechercher une logique idéale de la recherche
mais ils « ne peuvent en effet s’adresser qu’à un chercheur abstraitement défini
par l’aptitude à réaliser ces normes de perfection, bref à un chercheur
impeccable,
c’est-à-dire
impossible
ou
infécond ».
Et
si
on
obéit
inconditionnellement à un ensemble de règles logiques, on se trouve face à un
effet de « fermeture prématurée » par rapport aux définitions et aux concepts. Or,
les possibilités de changement sont une des conditions de l’invention dans
certaines phases de l’histoire des sciences.
Il parle donc de rigorisme technologique qui « repose sur la foi en une rigueur
définie une fois pour toutes et pour toutes les situations c’est-à-dire sur une
représentation fixiste de la vérité ou, partant, de l’erreur comme transgression de
normes inconditionnelles, s’oppose diamétralement à la recherche des rigueurs
spécifiques , qui repose sur une théorie de la vérité comme théorie de l’erreur
rectifiée ».
Bourdieu s’oppose aux purs théoriciens car ils veulent imposer aux savants leur
idéal de la cohérence intégrale et universelle des concepts. Ce faisant, ils
paralysent la recherche avec l’impression de pouvoir tout penser, sous toutes les
formes. Or, ce n’est pas le cas dans la pratique scientifique « on ne peut espérer
construire des problématiques ou des théories nouvelles qu’à condition de
renoncer à l’ambition impossible, dès qu’elle n’est pas scolaire ou prophétique, de
tout dire sur tout et dans le bon ordre ».
Bourdieu critique la « grande théorie » : les théories doivent moins se nourrir de
l’affrontement purement théorique avec d’autres théories mais plus de la
confrontation avec des objets empiriques toujours nouveaux. Pour Bourdieu, il est
nécessaire de rompre avec l’opposition théorie / pratique car cela empêche de
concevoir une connaissance pratique ou une pratique connaissante.
12
L’activité scientifique comme activité sociale et les conditions sociales de
production de la science : la notion de champ scientifique, l’ « affaire Sokal » et
«l’ « affaire Tessier »
Bourdieu : il est important de connaître les conditions sociales de production de la
science, comment ont été faits historiquement les problèmes, les outils, les
méthodes, les concepts que l’on utilise. Il entend faire la sociologie des conditions
sociales de production de l’objet. Il étudie l’apparition d’un champ scientifique
relativement autonome et les conditions sociales de l’autonomisation de ce champ.
Les objets de la science sociale et la manière de les traiter entretiennent toujours
une relation intelligible avec le chercheur défini sociologiquement (origine sociale
par exemple).
Ex : Historiciser la science politique : les échanges entre l’histoire et les sciences
sociales sont nombreux. L’histoire est considérée comme étant une discipline
empirique. La question est de savoir si l’on peut transférer les pratiques et les
techniques des historiens ?
–
Dans la science politique, il existe une tradition de l’histoire des idées
politiques et les historiens font de l’histoire du politique,
–
Les politologues ont découvert les archives.
13
Chapitre III : La méthode comme base déontologique de la
science
La sociologie est considérée comme une science comme les autres mais elle est
confrontée à des problèmes particuliers liés :

au fait que le sociologue appartient au monde social qu’il veut analyser et
comprendre : le sociologue saisit le monde social sur un mode préréflexif donc
il doit établir une distance.

au rapport qui s’établit entre l’expérience savante et l’expérience donnée
du monde social : par conséquent, le sociologue doit procéder à une rupture
entre les représentations sociales du sens commun et le discours savant.
Le sociologue, pour construire ses objets doit rompre avec ce qui se donne à lui
spontanément.

La question de la rupture : pour que la sociologie soit considérée comme
une science, elle doit rompre avec les présupposés de la sociologie spontanée.
C’est ce qu’on appelle la rupture. On peut différencier quelques types de
rupture : contre les prénotions, contre les théories traditionnelles...

La question de l’objectivation : Le problème de l’objectivation est un
problème majeur qui se pose à tout sociologue : Durkheim insistait dans Les
règles de la méthode sociologique sur la nécessité de « traiter les faits sociaux
comme des choses » mais cela pose une vraie question : comment rendre
l’objectivation possible lorsque le chercheur étudie des univers sociaux
auxquels il appartient ?

La question de l’ethos du savant : quelle doit être l’attitude du savant dans
cet univers particulier ?
14
La question des définitions : la rupture avec le sens commun, les prénotions,
l’objectivation
G. Bachelard affirmait que le fait scientifique n’était pas seulement constaté mais
qu’il était « conquis et construit » : il fait l’objet d’une appropriation et il est
construit contre l’illusion du savoir immédiat. Ce qui suppose une rupture et une
contestation des « vérités » du sens commun.
Pour Bachelard ou pour Durkheim : on doit non seulement contester point par point
les préjugés du sens commun mais aussi remettre en question les principes sur
lequel il repose : « Face au réel, ce qu’on croit savoir clairement offusque ce
qu’on devrait savoir » (Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, p. 14).
-
L’importance de la rupture en sciences sociales
Cette rupture caractérise pour Bachelard le « véritable esprit scientifique » : cette
étape est d’autant plus indispensable dans les sciences sociales que la familiarité
de l’observateur avec son univers social est importante. C’est « l’obstacle
épistémologique par excellence » (Bourdieu, Le métier de sociologue, p. 27).
Le sociologue doit faire combattre la « sociologie spontanée », les évidences qui lui
procurent l’illusion d’un savoir immédiat. C’est un problème qui ne se pose pas aux
physiciens par exemple où il existe une vraie séparation entre le laboratoire et la
vie quotidienne.
Avec Bachelard, on peut définir les prénotions de la façon suivante : ce sont des
« représentations schématiques et sommaires » « qui sont formées par la pratique
et pour elle ». Ces prénotions tiennent leur autorité et leur évidence des fonctions
sociales qu’elles remplissent. L’emprise de ces notions communes est très forte.
Qu’est-ce qui véhicule ces représentations communes de la société ? c’est
principalement le langage ordinaire (que le sociologue utilise inévitablement) et
certains usages savants de mots ordinaires. D’où la nécessité d’une analyse
préalable du langage commun.
15
En effet, des prénotions se cachent sous les dehors d’une élaboration savante donc
il faut éviter la contamination de la sociologie par la sociologie spontanée, des
notions par les prénotions.
Objectif : substituer au langage commun un langage entièrement construit et
formalisé.
Le plus urgent pour Bourdieu est de mettre en œuvre une analyse de la logique du
langage commun : elle pourra seule donner au sociologue les moyens de redéfinir
les mots communs dans un système de notions définies. Il faut également critiquer
les notions que la langue savante emprunte à la langue commune. Cette vigilance
doit être permanente parce que les prénotions menacent toujours de se
réintroduire dans le langage savant.
Ce problème se pose puisque le langage commun est évidemment le premier
instrument de la construction du monde des objets : il faut donc le soumettre à
une critique méthodique.
Technique de rupture : critique logique de la sociologie spontanée
Les concepts et les théories sociologiques sont prédisposées à passer dans le
domaine public. Le danger est plus grand dans la sociologie parce qu'elle est
confrontée à divers publics (pas seulement savant).
Il existe de plus ce que Bourdieu appelle la « tentation du prophétisme » : si le
sociologue accepte de définir son objet en fonction des attentes de son public alors
il se fait prophète. Et « tout sociologue doit combattre en lui-même le prophète
social que son public lui demande d’incarner » (Bourdieu, Le métier de sociologue,
p. 42).
Quelles sont les techniques de rupture ?
Lors de l’observation, le sociologue entre en relation avec son objet. Le travail du
sociologue est de substituer aux données des critères abstraits, qui les définissent
sociologiquement.
16
Il s’agit donc de réaliser une rupture avec le réel : on brise les relations les
plus apparentes, qui nous sont familières pour analyser les nouvelles relations
que l’on construit entre les éléments.
Donc pour lutter contre les prénotions, il faut accomplir une rupture que l’on peut
mettre en œuvre par des techniques : la mesure statistique, la critique des
prénotions, la définition préalable de l’objet... Mais ce qu’il est important de
combattre, c’est la sociologie spontanée.
Cela pose la question de l’objectivation :
Bourdieu met l’accent sur le préalable de l’objectivation : elle s’impose à toute
démarche sociologique qui veut rompre avec la sociologie spontanée.
La sociologie peut-elle être une science objective ?: Bourdieu répond positivement
parce qu’il existe des relations extérieures, indépendantes des relations
individuelles, inconscientes qui ne peuvent être saisies que par le détour de
l’observation et de l’expérimentation objectives.
Deux illustrations :
✗
Texte de Durkheim : Règle relatives à l’observation des faits sociaux
Durkheim : Lorsque le sociologue s’empare d’un objet, il est déjà représenté dans
son esprit par des images et des concepts. « La réflexion est antérieure à la
science qui ne fait que s’en servir avec plus de méthode. L’homme ne peut pas
vivre au milieu des choses sans s’en faire des idées d’après lesquelles il règle sa
conduite » (p. 108).
Les notions sont le produit de l’expérience vulgaire « Elles sont, au contraire,
comme un voile qui s’interpose entre les choses et nous et qui nous les masque
d’autant mieux qu’on le croit plus transparent (…) » (p. 109).
17
Les notions vulgaires ou prénotions prennent la place des faits : « Ce sont ces idola,
sortes de fantômes qui nous défigurent le véritable aspect des choses et que nous
prenons pourtant pour les choses mêmes » (p. 111).
Durkheim affirme que le problème des prénotions est plus important en sociologie
puisque les faits sociaux sont le produit de l’activité humaine. Ce sont des
« représentation schématiques et sommaires » dont nous faisons usage dans notre
vie courante : habitude et nous avons du mal à nous en affranchir « Tout contribue
donc à nous y faire voir la vraie réalité sociale » (p. 112).
Donc on ne devrait pas utiliser les concepts (comme par exemple Etat,
souveraineté, démocratie…) tant qu’on ne les a pas scientifiquement constitués.
Pour Durkheim :
1ère règle à base de toute méthode scientifique est d’écarter les prénotions.
2ème règle : l’objectivation « Il nous faut donc considérer les phénomènes sociaux
en eux-mêmes, détachés des sujets conscients qui se les représentent » (p. 121).
1 – le sociologue doit définir les choses dont il traite
2 – pour que la définition soit objective, il faut « qu’elle exprime les phénomènes,
non d’une idée de l’esprit, mais de propriétés qui leur sont inhérentes » (p. 128).
✗
Marcel Mauss : la prière
S’appuie sur l’exigence durkheimienne de définition préalable pour écarter les
prénotions à savoir les pré constructions de la sociologie spontanée. Mauss donne
les procédés de définition, d’observation et d’analyse de son travail. Il étudie la
prière en tant qu’institution sociale.
Démarche dans la définition de la prière :
Constat : il existe un système de faits appelés « prières » mais dont l’appréhension
est confuse puisqu’on ne connaît pas l’étendue ni les limites. Donc la première
18
tâche est de transformer cette impression en une notion distincte qui sera l’objet
de la définition.
Plusieurs remarques :
–
dans ce premier temps, on ne donne pas de définition de la substance même,
ou des faits car cela ne pourra intervenir qu’au terme de la science. C’est donc une
définition provisoire qui est nécessaire pour engager la recherche : on recherche
quels sont les faits qui méritent d’être appelés prière ,
–
ne pas être trop précis sinon cela risque de dominer et d’orienter le travail.
L’objectif est de faciliter la recherche en limitant le champ de l’observation,
–
La définition est importante parce que pour un même sujet, les auteurs peuvent
voir des définitions différentes.
La définition est donnée lorsqu’on connaît les faits d’après leurs signes extérieurs,
on en marque les contours. 2 exigences :
1 – trouver quelques caractères apparents permettant de reconnaître à première
vue ce qui est prière
2 – les caractères doivent être objectifs (on ne doit pas se fier à nos impressions,
prénotions…)
Ex : ne pas dire qu’un acte religieux est prière parce que nous le sentons ou parce
que tel groupe le nomme ainsi
C’est écarter les prénotions subjectives pour atteindre l’institution elle-même.
Donc « c’est dans les choses elles-mêmes que nous irons chercher le caractère en
fonction duquel la prière doit être exprimée ».
Ainsi, le mot « prière » n’est « qu’un substantif par lequel nous dénotons un
ensemble de phénomènes dont chacun est individuellement une prière ; Seulement
tous ont en commun certains caractères propres qu’une abstraction peut dégager.
Nous pouvons donc les rassembler sous un même nom qui les désigne tous et ne
désigne qu’eux ».
19
Mise en garde de Mauss : ne pas tout employer dans un sens nouveau un mot dont
tout le monde se sert. Il s’agit de mettre à la place d’une conception usuelle qui
est confuse une conception plus claire et plus distincte.
L’éthos du savant : vocation de savant et neutralité axiologique (Weber),
« surveillance
intellectuelle
de
soi »
(Bachelard)
et
socio-analyse
et
objectivation participante (Bourdieu).
-
Max Weber, Le savant et le politique (1919) :
Dans Le métier et la vocation de savant, il tente d’élucider la définition du
savant : il livre ses propres représentations et ses pratiques d’homme de science.
Le savant doit considérer son indépendance vis-à-vis de tout domaine social, ce
qui est la garantie de l’autonomie de la recherche et un gage d’indépendance
intellectuelle.
Weber élabore une méthode spécifique fondée sur 3 étapes :

la compréhension

l’interprétation

l’explication
Compréhension de l’action sociale des individus et neutralité axiologique :
La démarche de la sociologie pour Weber doit être compréhensive : la
compréhension doit déceler le sens visé par les individus agissant. Le sociologue
doit comprendre l’action elle-même pour saisir les significations sociales
construites et partagées par les acteurs.
Weber est d’accord avec Durkheim sur la nécessité d’écarter les prénotions mais on
ne peut totalement les exclure car elles constituent un ensemble de ressources
d’interprétation qui donnent sens aux phénomènes. On doit mobiliser toutes les
sources du savoir dans la compréhension (ces données seront ensuite rectifiées,
complétées, réinterprétées).
20
 La neutralité axiologique
Weber institue une éthique de responsabilité en prônant le principe de la
neutralité axiologique.
L’objectivité du savant : Weber ne sépare pas jugements de réalité (ce qui est) et
jugements de valeurs (ce qui doit être) mais pour lui la vocation du sociologue doit
être la connaissance pour la connaissance. Il faut séparer constatations empiriques
et jugement de valeurs. Le savant doit être indifférent aux valeurs dans sa
démarche scientifique.
Ex : le professeur ne doit pas profiter de son aura scientifique pour imposer ses
vues personnelles et partisanes.
Pour éviter ces biais, le savant doit observer 2 principes méthodologiques garants :
le rapport aux valeurs : le savant doit avoir conscience de la subjectivité de ses
propres choix et valeurs
–
la neutralité axiologique : refus de tout jugement de valeur car « chaque
fois qu’un homme de science fait intervenir son propre jugement de valeur, il
n’y a plus de compréhension intégrale des faits » (Le métier et la vocation de
savant, p. 104).
Interprétation et construction de l’idéal-type : principale fonction de l’idéal-type
est de favoriser l’interprétation de la réalité
Explication et imputation causale : établir des chaînes de causalité entre les
évènements
Pour chercher les causes des évènements en sociologie, il faut sélectionner les faits
les plus significatifs. Weber propose de remplacer l’expérimentation par la
modification imaginaire des évènements.
21
Quels sont les apports de la science selon Weber :

- mettre à disposition un certain nombre de connaissances,

- apporte des méthodes de pensée,

- fait œuvre de clarté en aidant les individus à prendre conscience du sens
de leurs actes
-
Bourdieu : la sociologie comme socio-analyse
Le sujet de l’objectivation doit lui-même être objectivé. Dans son ouvrage Homo
academicus, Bourdieu construit un double objet :

- un objet apparent : l’université comme institution

- objet profond : retour réflexif impliqué dans l’objectivation de son propre
univers
Bourdieu opère un retour réflexif sur le sociologue et sur son univers. Il fait de la
sociologie de la sociologie le préalable indispensable à toute pratique sociologique.
Il reproche le manque d’objectivation des sociologues eux-mêmes. Bourdieu est le
sociologue qui invite à la réflexivité et qui la pratique.
Qu’est-ce qu’une vraie objectivation ? : c’est objectiver sa position dans l’univers
de la production culturelle. Une vraie sociologie réflexive doit tenir compte de la
perception de l’objet qu’en a l’observateur. La réflexivité est pour Bourdieu une
méthode de travail.
- Bourdieu : Sur l’objectivation participante
Qu’est-ce que l’observation participante : l’observateur est immergé dans un
milieu étranger. Ses ressources sont constituées par sa propre expérience. Il saisit
ce milieu spontanément sur un mode pré réflexif ce qui signifie qu’il n’y a pas de
distance comme dans les autres sciences entre l’observateur et son objet.
Donc : il doit acquérir une objectivité scientifique (construction du savoir).
22
Peut-on objectiver sans être objectivé ? le sociologue ne peut objectiver que s’il
se place en dehors de ce qu’il objective mais pour Bourdieu « l’objectivation n’a
quelque chance d’être réussie que si elle implique l’objectivation du point de vue
à partir duquel elle s’opère ».
Bourdieu définit la sociologie la plus critique comme celle qui implique une
autocritique radicale et l’objectivation de celui qui objective. Le sociologue doit
soumettre à l’objectivation ce qu’il est, ses conditions sociales de production et les
« limites de son cerveau », son propre travail d’objectivation.
On parlera d’objectivation participante lorsque l’analyse sociologique apparaît
comme une auto-objectivation obtenue grâce à un vrai travail sur soi. Le
sociologue doit analyser son rapport à l’objet.
23
Chapitre IV : La construction de l’objet
Les instruments de recherche
La science se constitue en construisant son objet contre le sens commun, il faut
distinguer l’objet réel préconstruit par la perception de l’objet de science
construit. La sociologie est une science sociale, l’observateur est familier avec
l’univers de sa recherche, une vigilance épistémologique s’impose.
Pour pouvoir prétendre à une démarche scientifique, il convient de respecter
certains principes qui sont destinés à guider l’ensemble d’une recherche que l’on
entreprend et que vous allez vous même entreprendre dans le cadre de votre
recherche.
Une rupture avec le sens commun est nécessaire, le fait scientifique est à
conquérir
contre
l’illusion
du
savoir
immédiat
(Bachelard),
objectivation
importante de l’objet (Durkheim, Bourdieu) et nécessaire objectivation du sujet
(neutralité axiologique de Weber ou la socioanalyse de Bourdieu).
Durkheim nous dit de « considérer les faits sociaux comme des choses », la chose
s’oppose à l’idée. On doit interpréter cette formule comme une règle
méthodologique : « considérer comme » signifie adopter une certaine attitude
mentale face à l’étude de la réalité sociale et non conférer à l’objet un statut
ontologique. Il s’agit de rompre avec les prénotions, le sens commun c’est-à-dire
avec l’ensemble des opinions, croyances, présupposés philosophiques ou moraux,
avec l’ensemble des représentations que chacun a de la réalité et qui nous permet
de vivre au quotidien les uns avec les autres. La connaissance vulgaire, le sens
commun ont une fonction pratique et légitimatrice : l’organisation des relations
des hommes en société. La démarche sociologique consiste à se débarrasser de
l’ensemble de ces idées reçues pour mieux appréhender la réalité sociale.
« Qu’est-ce qu’une chose ? La chose s’oppose à l’idée, comme ce que l’on connaît
du dehors à ce que l’on connaît du dedans » (Durkheim) : le fait social doit être
24
considéré comme un objet extérieur à l’observateur, qui ne doit pas interposer
entre lui et son objet ses idées.
Cette rupture avec le sens commun est accompagnée d’un travail de définition : à
la remise en cause des idées reçues, on ajoute la définition provisoire de l’objet,
c’est-à-dire qu’on délimite l’objet : dire ce que l’on étudie et ce que l’on n’étudie
pas, délimiter le champ d’observation.
Définition de l’étude et délimitation du champ d’observation.
Pour R Aron, « il n’y a pas de définition vraie ou fausse, il y a des définitions plus
ou moins fécondes » (La pensée allemande contemporaine, p. 88).
Lorsque
l’on
appréhende
un
objet,
des
définitions
existent
mais
elles
correspondent à l’usage commun de la langue. Or, le langage commun doit être
soumis à une critique méthodique. Le sociologue ne doit pas forcément créer de
néologisme mais avoir une conception précise et distincte du sens commun. L’objet
social est construit. En sociologie, il est fréquent de prendre comme objet d’étude
ce qui est donné dans la réalité mais la réalité sociale n’est pas la réalité
sociologique.
Deux idées :
 le sociologue doit se dégager des idées que lui suggèrent le sens commun
 le sociologue doit faire abstraction de l’expérience qu’il a des phénomènes
sociaux analogues à ceux qu’il étudie (ex : sociologue de la famille)
Le chercheur est un homme socialement situé donc il doit s’en affranchir.
L’opérationnalisation du concept et le statut de la comparaison : l’exemple des
« institutions totalitaires » (Goffman)
25

Goffman : les « institutions totalitaires »
Goffman cherche à comprendre l’institution asilaire (la replace dans la série des
institutions totales comme les casernes et les internats). Avec l’institution asilaire,
il dispose d’un objet doté d’une réalité sociale qu’il peut décrire et analyser. Or, il
découvre qu’à côté du règlement officiel de l’asile et de son but thérapeutique
(soigner les malades), s’est établie une organisation parallèle interne. Pour assurer
le fonctionnement de l’institution s’était créé un ensemble de coutumes de règles
de hiérarchie plus réelles et efficaces que l’organigramme et le règlement affichés
et qui modifient leurs objectifs apparents.
Goffman construit ainsi son objet sociologique : le système de relations à
l’intérieur de l’asile, système qu’il a pu généraliser à l’ensemble des institutions de
ce type.
Cela revient à chercher derrière l’apparence, une face cachée : ne pas se limiter à
décrire une institution mais essayer d’en dégager le fonctionnement de fait.
Construire l’objet, c’est découvrir sous les apparences les vrais problèmes et poser
les bonnes questions. Il y a beaucoup de questions qui peuvent être posées à une
même réalité sociale et la question que l’on choisit oriente l’enquête et ses
résultats. C’est la construction de l’objet.
Un objet de recherche ne peut être défini et construit qu’en fonction d’une
problématique théorique permettant de soumettre à une interrogation
systématique les aspects de la réalité qui seront alors mis en relation par la
question qui leur est posée.
Quand vous allez interroger le réel, vous pouvez avoir une question provisoire à
l’esprit que vous allez élaborer à partir d’un travail exploratoire fait de lectures,
d’entretiens exploratoire. Ce travail exploratoire a pour but de prendre
connaissance avec la pensée d’auteurs dont les recherches et les réflexions
peuvent inspirer votre propre démarche, de mettre à jour les facettes du problème
auxquelles vous n’avez pas pensé. Il vous faudra ensuite traduire ces idées et ces
perspectives nouvelles dans un langage et sous des formes qui les rendent propres à
guider le travail de collecte des données d’observation.
26
La construction intellectuelle des instruments de recherche : hypothèses et
concepts
L’objet est construit : un fait ne devient scientifique que par une intervention de
chercheur. Le chercheur doit sélectionner les parties de la réalité qu’il va
observer. Mais pour ce faire, il doit formuler des hypothèses de recherche, en
relation avec la définition de l’objet de la recherche. C’est se poser les questions
qui vont orienter l’observation. Mais il faut garder à l’esprit le fait que ces
définitions ont un caractère provisoire puisqu’on ne peut donner de définition
rigoureuse qu’à la fin de la recherche.
-
Les hypothèses
Elles sont construites en vue de l’épreuve expérimentale : on interroge le réel par
l’intermédiaire d’hypothèses formulées en référence à une théorie. Une hypothèse
est une proposition qui anticipe une relation entre deux termes qui peuvent être
selon les cas des phénomènes ou des concepts.
L’hypothèse sert de fil conducteur. Une hypothèse est une présomption, une
réponse provisoire à une question. Cela suppose que la question centrale de la
recherche soit bien précisée.
Une hypothèse doit être falsifiable (Bachelard): être testée indéfiniment et avoir
un caractère général et elle doit accepter des énoncés contraires théoriquement
susceptibles d’être vérifiés.
-
Le concept
Le concept organise la réalité en retenant les caractères distinctifs, significatifs
des phénomènes. C’est un outil, un moyen de désigner par abstraction, d’imaginer
ce qui n’est pas directement perceptible. C’est une abstraction, ce n’est pas le
phénomène lui-même.
27
-
La construction du concept
Pour lutter contre l’emploi de concepts flous, il faut apprendre à les construire de
façon rigoureuse.
-
Elias (1897-1990) et la configuration
C’est la critique de l’opposition classique entre individus et société qui apparaît
comme l’un des fils conducteurs des travaux d’Elias. Il n’envisage la société ni
comme
la
simple
agrégation
des
unités
individuelles
(individualisme
méthodologique) ni comme un ensemble indépendant des actions individuelles
(holisme).
N. Elias considère que l’objet propre de la sociologie ce sont les individus
interdépendants. Cette notion d’interdépendance occupe une place centrale dans
le dispositif théorique d’Elias.
La société est composée de multiples dépendances réciproques qui lient les
individus les uns avec les autres donc le tissu social est traversé par de nombreuses
formes d’interrelations qui s’entrecroisent. Et il nomme « configuration » les
formes spécifiques d’interdépendance qui relient les individus entre eux (ex :
partie d’échecs, nation, relations internationales).
Ce qui différencie ces configurations pour Elias : c’est la longueur et la complexité
des chaînes de relations réciproques qui associent les individus.
Rq : les individus n’ont pas forcément conscience ou l’expérience de ces
dépendances, elles ne sont pas nécessairement égales et équilibrées mais elles sont
surtout marquées pour Elias par l’inégalité, la domination et le pouvoir.
« Il y a un tissu d’interdépendance à l’intérieur duquel l’individu trouve une
marge de choix individuel et qui en même temps impose des limites à sa liberté de
choix ».
28
Ce qu’il faut déterminer c’est le degré d’autonomie (et donc de dépendance) de
chaque acteur dans chaque cas par une analyse sociologique concrète.
Ex : les chaînes d’interdépendance se sont allongées dans nos sociétés modernes :
chaque individu se trouve à la croisée d’un plus grand nombre de réseaux
d’interrelations.
Apport d’Elias : a substitué la notion de configuration à celle de système (entité
moins complètement fermée).
-
Bourdieu : le champ
Bourdieu insiste sur la double dimension construite et objective de la réalité
sociale.
Mécanisme principal de production du monde social chez Bourdieu : la rencontre de
l’habitus « l’histoire faite corps », sous la forme de système de dispositions
durables et du champ « l’histoire faite chose » sous forme d’institutions.
Habitus : structures sociales de notre subjectivité qui se constituent au travers de
nos premières expériences (habitus primaire) et de notre vie d’adulte (habitus
secondaire). Il le définit plus précisément qu’Elias comme un « système de
dispositions durables et transposables ». C’est la façon dont les structures sociales
s’impriment dans nos têtes et dans nos corps par intériorisation de l’extériorité.

Dispositions : inclinations à percevoir, sentir et faire penser d’une certaine
manière, intériorisées et incorporées, le plus souvent de manière non
consciente par chaque individu du fait de conditions objectives d’existence et
de sa trajectoire sociale.

Durables : car si ces dispositions peuvent se modifier dans le cours de nos
expériences, elles sont fortement enracinées en nous et tendent de ce fait à
résister au changement marquant ainsi une certaine continuité dans la vie de la
personne

Transposables : dans des dispositions acquises au cous de certaines
expériences
29

Système : ces dispositions tendent à être unifiées entre elles
L’habitus est un reproducteur des structures sociales : il apporte de multiples
réponses aux diverses situations rencontrées à partir d’un ensemble limité de
schèmes d’action et de pensée. Il est reproduit quand il est confronté à des
situations habituelles et il est conduit à innover quand il se trouve face à des
situations inédites.
Chaque champ est :
 un champ de forces : marqué par une distribution inégale des ressources
d’où un rapport de forces entre dominants et dominés pour le conserver ou le
transformer
 un champ de luttes : les agents sociaux s’affrontent pour conserver ou
transformer ce rapport de forces
-
Weber : l’idéal-type
Weber élabore une méthode spécifique fondée sur 3 étapes :
 la compréhension de l’action sociale des individus et neutralité axiologique
 l’interprétation
 l’explication
La principale fonction de l’idéal-type est de permettre l’interprétation de la
réalité. C’est une construction abstraite, un outil conceptuel, un modèle : « il
n’est pas lui-même une « hypothèse », mais il cherche à guider l’élaboration des
hypothèses. De l’autre côté, il n’est pas un exposé du réel, mais se propose de
doter l’exposé de moyens d’expression univoques » (Essai sur la théorie de la
science).
L'idéal-type ne retient que quelques aspects de la réalité. Il n’exprime pas la
totalité de la réalité mais seulement son aspect significatif. A la différence du
concept, il ne retient pas les caractères les plus généraux, ceux que l’on retrouve
régulièrement mais l’aspect original, ce qui individualise.
30
Pour M. Weber, le type idéal se différencie du concept parce qu’il ne se contente
pas de sélectionner la réalité mais il ajoute aussi à la réalité donc le rôle du
sociologue consiste à étendre certaines qualités, à accentuer certains aspects.
On ne peut pas accéder à La Vérité, le savant ne peut saisir que des vérités
partielles donc l’idéal-type n’exprime que l’aspect qualitatif de la réalité qu’il
accentue.
« la construction d’idéal-types abstraits n’entre en ligne de compte comme but,
mais uniquement comme moyen de connaissance ».
Résumé sur le concept :
La conceptualisation est une construction abstraite
visant à rendre compte du
réel. Elle ne concerne pas tous les aspects de la réalité mais seulement les plus
importants.
Construction des concepts puis précision des indicateurs par lesquels les dimensions
seront mesurées. Les indicateurs sont les dimensions du concept repérables et
mesurables.
-
Les catégories
La catégorie est utilisée dans un but de classification.
Ex des catégories socio-professionnelles.
Ex : Malinowski s’interroge sur la manière de classer les différentes formes de dons
chez les Argonautes du pacifique Occidental (Tobriandais) : dons, paiements et
transactions.
31
-
La fausse neutralité des techniques
Il faut toujours se demander par rapport à une technique, ce que cette technique
nous dit dans les conditions dans lesquelles elle a été employée et être conscient
des limites de cet outil.
La neutralité scientifique c’est aussi être conscient des limites en elles-mêmes des
techniques employées. La situation d’entretien par questionnaire est une situation
fictive et forcée d’où l’importance des questions que l’on pose.
Modèle : « tout système de relation entre des propriétés sélectionnées, abstraites
et simplifiées, construit consciemment à des fins de description, d’explication et
de prévision, et par là, pleinement maîtrisable » (Bourdieu, Le métier de
sociologue, p. 75).
C’est le substitut d’une expérimentation souvent impossible dans les faits qui
permet de confronter à la réalité les conséquences dégagées par l’expérience
mentale.
32
Séance 4 : La méthode comme base déontologique
de la science (3)
La science se constitue en construisant son objet contre le sens commun, il faut
distinguer l’objet réel préconstruit par la perception de l’objet de science
construit.
La sociologie est une science sociale : l’observateur est familier avec l’univers de
sa recherche, d’où une vigilance épistémologique s’impose. Afin de pouvoir
prétendre à une démarche scientifique, il convient de respecter certains principes
qui sont destinés à guider l’ensemble d’une recherche que l’on entreprend.
Une rupture avec le sens commun est nécessaire, le fait scientifique est à
conquérir contre l’illusion du savoir immédiat (Bachelard) ainsi que l’objectivation
de l’objet à travers les textes de Durkheim, Bourdieu (notion de « rupture
épistémologique » c’est-à-dire la rupture entre la connaissance scientifique des
sociologues et la « sociologie spontanée » des acteurs sociaux ») et Pinto, puis on a
évoqué la nécessaire objectivation du sujet en évoquant la neutralité axiologique
de Weber ou la socioanalyse de Bourdieu.
Durkheim nous disait de « considérer les faits sociaux comme des choses », la chose
s’oppose à l’idée. On doit interpréter cette formule comme une règle
méthodologique L’élément le plus important de la phrase c’est « considérer
comme » ce qui signifie adopter une certaine attitude mentale face à l’étude de la
réalité sociale et non conférer à l’objet un statut ontologique, une réalité
ontologique, c’est-à-dire qu’il s’agit de rompre avec les prénotions, le sens
commun c’est-à-dire avec l’ensemble des opinions, croyances, présupposés
philosophiques ou moraux, avec l’ensemble des représentations que chacun a de la
réalité et qui nous permet de vivre au quotidien les uns avec les autres. La
connaissance vulgaire, le sens commun ont une fonction pratique et légitimatrice :
l’organisation des relations des hommes en société. La démarche sociologique
consiste à se débarrasser de l’ensemble de ces idées reçues pour mieux
appréhender la réalité sociale.
33
« Qu’est-ce qu’une chose ? La chose s’oppose à l’idée, comme ce que l’on connaît
du dehors à ce que l’on connaît du dedans » (Durkheim) : le fait social doit être
considéré comme un objet extérieur à l’observateur, qui ne doit pas interposer
entre lui et son objet ses idées.
Définition provisoire de l’objet de recherche comme instrument de rupture :
l’exemple de la religion chez Durkheim ou de la prière chez Mauss
Cette rupture avec le sens commun est accompagnée d’un travail de définition : à
la remise en cause des idées reçues, on ajoute la définition provisoire de l’objet,
c’est-à-dire qu’on délimite l’objet : dire ce que l’on étudie et ce que l’on n’étudie
pas, délimiter le champ d’observation.
Définition de l’étude et délimitation du champ d’observation.
2 exemples :
-
Démarche de Mauss
-
Durkheim et l’exemple de la famille
Lorsque
l’on
appréhende
un
objet,
des
définitions
existent
mais
elles
correspondent à l’usage commun de la langue. Or, on a vu avec Bourdieu que le
langage commun doit être soumis à une critique méthodique. Le sociologue ne doit
pas forcément créer de néologisme mais avoir une conception précise et distincte
du sens commun. L’objet social est construit. En sociologie, il est fréquent de
prendre comme objet d’étude ce qui est donné dans la réalité mais la réalité
sociale n’est pas la réalité sociologique.
Deux idées :
-
le sociologue doit se dégager des idées que lui suggèrent le sens commun : règle
de « l’ignorance méthodique »
-
le sociologue doit faire abstraction de l’expérience qu’il a des phénomènes
sociaux analogues à ceux qu’il étudie (ex : sociologue de la famille)
34
Le chercheur est un homme socialement situé donc il doit s’en affranchir.
L’opérationnalisation du concept et le statut de la comparaison : l’exemple des
« institutions totalitaires » (Goffman)
 Goffman : les « institutions totalitaires »
Cherche à comprendre l’institution asilaire en le replaçant dans la série des
institutions totales, casernes et internats : le cas privilégié est donc celui ici
qui, pris isolément, dissimule le mieux par ses fonctions officiellement
humanitaires la logique du système des cas isomorphes.
Avec l’institution asilaire, il dispose d’un objet doté d’une réalité sociale qu’il
peut décrire et analyser. Or, il découvre qu’à côté du règlement officiel de
l’asile et de son but thérapeutique (soigner les malades), s’est établie une
organisation parallèle interne : pour assurer le fonctionnement de l’institution
s’était créé un ensemble de coutumes de règles de hiérarchie plus réelles et
efficaces que l’organigramme et le règlement affichés et qui modifient leurs
objectifs apparents.
Goffman construit donc ainsi son objet sociologique : le système de relations à
l’intérieur de l’asile, système qu’il a pu généraliser à l’ensemble des
institutions de ce type.
Donc : c’est chercher derrière l’apparence, une face cachée : ne pas se limiter
à décrire une institution mais essayer d’en dégager le fonctionnement de fait.
D’où construire l’objet c’est deviner sous les apparences les vrais problèmes
et poser les bonnes questions. Il y a beaucoup de questions qui peuvent être
posées à une même réalité sociale et la question que l’on choisit oriente
l’enquête et ses résultats. C’est la construction de l’objet.
Un objet de recherche ne peut être défini et construit qu’en fonction d’une
problématique théorique permettant de soumettre à une interrogation
35
systématique les aspects de la réalité qui seront alors mis en relation par la
question qui leur est posée.
Le réel n’a jamais l’initiative, il ne peut répondre que si on l’interroge. Si vous
récupérez un matériel recueilli en fonction d’une autre problématique, si
neutre soit-elle en apparence, il faut être conscient que ce matériel ne saurait
répondre complètement à votre problématique. Les informations recueillies ne
sont pas des données en elles-mêmes mais ce sont des données construites. Ce
qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas utiliser un matériel de seconde main
mais il faut être conscient de ses limites. En sociologie, les données recueillies
le sont par l’application de grille de lecture, par exemple les catégories de
classes d’âge, de tranches de revenus, etc.. La sociologie dispose d’outils qui
sont autant de grilles de lecture pour interroger le réel.
L’empirisme radical qui part du réel pour arriver au réel montre ses limites :
une construction théorique est nécessaire.
Donc : quand vous allez interroger le réel, vous pouvez avoir une question
provisoire à l’esprit que vous allez élaborer à partir d’un travail exploratoire
fait de lectures, d’entretiens exploratoire. Ce travail exploratoire a pour but
de prendre connaissance avec la pensée d’auteurs dont les recherches et les
réflexions peuvent inspirer votre propre démarche, de mettre à jour les
facettes du problème auxquelles vous n’avez pas pensé. Il vous faudra ensuite
traduire ces idées et ces perspectives nouvelles dans un langage et sous des
formes qui les rendent propres à guider le travail de collecte des données
d’observation.
La construction intellectuelle des instruments de recherche : hypothèses et
concepts
L’objet est construit : un fait ne devient scientifique que par une intervention de
chercheur. Le chercheur doit sélectionner les parties de la réalité qu’il va
observer. Mais pour ce faire, il doit formuler des hypothèses de recherche, en
relation avec la définition de l’objet de la recherche. C’est se poser les questions
36
qui vont orienter l’observation. Mais il faut garder à l’esprit le fait que ces
définitions ont un caractère provisoire puisqu’on ne peut donner de définition
rigoureuse qu’à la fin de la recherche.
 Les hypothèses
Elles sont construites en vue de l’épreuve expérimentale : on interroge le réel par
l’intermédiaire d’hypothèses formulées en référence à une théorie. Une hypothèse
est une proposition qui anticipe une relation entre deux termes qui peuvent être
selon les cas des phénomènes ou des concepts :
-
1ère forme : l’hypothèse se présente comme l’anticipation d’une relation entre
un phénomène et un concept capable d’en rendre compte.
-
2ème forme : l’hypothèse se présente comme l’anticipation d’une relation entre
2 concepts entre les 2 types de phénomènes qu’ils désignent.
L’hypothèse traduit l’esprit de découverte caractérisant le travail scientifique : le
chercheur pense que c’est dans cette direction qu’il faut chercher, cette piste là
vaut la peine d’être étudiée. Donc l’hypothèse sert de fil conducteur. Elles se
présentent comme des critères de sélection des données et les hypothèses sont
confrontées à ces données : aller/retour entre réflexion théorique et travail
empirique.
Une hypothèse est une présomption, une réponse provisoire à une question.
Cela suppose que la question centrale de la recherche soit bien précisée.
Une hypothèse doit être falsifiable : être testée indéfiniment et avoir un caractère
général et elle doit accepter des énoncés contraires théoriquement susceptibles
d’être vérifiés.
37
 Le concept
Le concept organise la réalité en retenant les caractères distinctifs, significatifs
des phénomènes. Le concept guide le chercheur en lui procurant un point de vue.
C’est un outil, un moyen de désigner par abstraction, d’imaginer ce qui n’est pas
directement perceptible.
Ex : Ce sont les concepts de mouvement, d’engrenage qui permettent de
comprendre sans le voir le fonctionnement d’une montre.
Le concept sert à organiser, prévoir, guider, désigner, prévoir. C’est une
abstraction, ce n’est pas le phénomène lui-même. L’ambiguïté du langage commun
impose la nécessité de définir les concepts.
Ex : le concept de culture n’a pas le même sens pour un anthropologue que pour un
romancier ou un agriculteur.

La construction du concept
Pour lutter contre l’emploi de concepts flous, il faut apprendre à les construire de
façon rigoureuse.
Cf. Lazarsfeld (sur le militantisme politique) définit 4 étapes dans la construction
des concepts :
-
représentation du concept : perception intuitive
o le militantisme dans un parti implique un comportement actif différent
de l’adhérent ou du dirigeant
-
spécification du concept : on détermine les éléments constitutifs, les
composantes, les dimensions
o l’activité du militant se traduit par des activités à l’intérieur du parti et
à l’extérieur : donc 2 dimensions du militantisme
38
-
choix des indicateurs des faits observables : un indicateur est une donnée
observable, la présence ou l’absence de tel attribut dans la réalité étudiée,
c’est un ensemble de critères
o sur la dimension militante, indicateurs comme la participation aux
réunions, tenue de permanences, rédaction de tracts…
-
construction d’indices : synthèse des informations fournies par les indicateurs
Rq : certains concepts sont plus complexes et se divisent en composantes, ayant
chacune leurs indicateurs.
 Elias et la configuration
N. Elias (1897-1990) est surtout connu pour sa sociologie historique sur le processus
de civilisation.
C’est la critique de l’opposition classique entre individus et société qui apparaît
comme l’un des fils conducteurs des travaux d’Elias. Il n’envisage la société ni
comme
la
simple
agrégation
des
unités
individuelles
(individualisme
méthodologique) ni comme un ensemble indépendant des actions individuelles
(holisme).
N. Elias considère que l’objet propre de la sociologie ce sont les individus
interdépendants. Cette notion d’interdépendance occupe une place centrale dans
le dispositif théorique d’Elias. La notion d’interdépendance est explicitée à travers
une analogie avec le jeu.
La société est envisagée comme le tissu mouvant et changeant des multiples
dépendances réciproques qui lient les individus les uns avec les autres.
La société est composée de multiples dépendances réciproques qui lient les
individus les uns avec les autres donc le tissu social est traversé par de nombreuses
formes d’interrelations qui s’entrecroisent. Et il nomme « configuration » les
formes spécifiques d’interdépendance qui relient les individus entre eux (ex :
partie d’échecs, nation, relations internationales).
39
Ce qui différencie ces configurations pour Elias : c’est la longueur et la complexité
des chaînes de relations réciproques qui associent les individus.
Rq : les individus n’ont pas forcément conscience ou l’expérience de ces
dépendances, elles ne sont pas nécessairement égales et équilibrées mais elles sont
surtout marquées pour Elias par l’inégalité, la domination et le pouvoir. Ce qui fait
que chaque individu est plus ou moins (cela dépend de sa position, cf. Louis XIV et
sa cour) par ces relations.
« Il y a un tissu d’interdépendance à l’intérieur duquel l’individu trouve une
marge de choix individuel et qui en même temps impose des limites à sa liberté de
choix ».
Donc ce qu’il faut déterminer c’est le degré d’autonomie (et donc de dépendance)
de chaque acteur dans chaque cas par une analyse sociologique concrète.
Ex : les chaînes d’interdépendance se sont allongées dans nos sociétés modernes :
chaque individu se trouve à la croisée d’un plus grand nombre de réseaux
d’interrelations.
Apport d’Elias : a substitué la notion de configuration à celle de système qui
présente l’avantage d’être une entité moins complètement fermée. Il s’agit
d’interrelations entre des actions individuelles et non pas des relations à sens
unique (l’interrelation entre des éléments a souvent été pensée en sciences
sociales à travers la notion de système et généralement on accorde trop de
cohérence et de stabilité à la notion de système : un système a des frontières et
est séparé des autres systèmes).
 Bourdieu : le champ
Bourdieu insiste sur la double dimension construite et objective de la réalité
sociale (même si une certaine primauté est accordée aux structures objectives).
Principe réaffirmé de la nécessité de la rupture épistémologique mais la démarche
40
de Bourdieu est plus complexe qu’une simple dichotomie entre connaissance
savante et connaissance ordinaire.
Mécanisme principal de production du monde social chez Bourdieu : la rencontre de
l’habitus « l’histoire faite corps », sous la forme de système de dispositions
durables et du champ « l’histoire faite chose » sous forme d’institutions. Double
mouvement constructiviste d’intériorisation de l’extérieur et d’extériorisation de
l’intérieur.
Habitus : structures sociales de notre subjectivité qui se constituent au travers de
nos 1ères expériences (habitus primaire) et de notre vie d’adulte (habitus
secondaire). Il le définit plus précisément qu’Elias comme un « système de
dispositions durables et transposables ». C’est la façon dont les structures sociales
s’impriment dans nos têtes et dans nos corps par intériorisation de l’extériorité.
Mais l’habitus n’est pas un simple reproducteur des structures sociales dont il est le
produit : il est amené à apporté de multiples réponses aux diverses situations
rencontrées à partir d’un ensemble limité de schèmes d’action et de pensée.
Donc : il est reproduit quand il est confronté à des situations habituelles et il est
conduit à innover quand il se trouve face à des situations inédites.
« Le champ est une sphère de la vie sociale qui s’est progressivement autonomisée
à travers l’histoire autour de relations sociales, d’enjeux et de ressources propres,
différents de ceux des autres champs » (Corcuff, p. 34).
Chaque champ est :
-
un champ de forces : marqué par une distribution inégale des ressources d’où
rapport de forces entre dominants et dominés pour le conserver ou le
transformer
-
un champ de luttes : les agents sociaux s’affrontent pour conserver ou
transformer ce rapport de forces
41
Rq : la définition même du champ et la délimitation de ses frontières peut être en
jeu dans les luttes (différent de la notion de système qui est plus fermé). Chaque
champ est marqué par des relations de concurrence entre les agents même si la
participation au jeu suppose un minimum d’accord sur l’existence du champ.
Chaque champ est caractérisé par des mécanismes spécifiques de capitalisation des
ressources légitimes propres :
-
pluralité de capitaux (différent de Marx où il n’y a que le capital économique) :
culturel, politique….
pas de représentation unidimensionnelle de l’espace social (vision économique du
capitalisme chez les marxistes : l’ensemble de la société est pensée autour d’une
vision économique du capitalisme) mais représentation pluridimensionnelle :
l’espace social est composé d’une pluralité de champs autonomes, définissant
chacun des modes spécifiques de domination.
 Weber : l’idéal-type
Weber élabore une méthode spécifique fondée sur 3 étapes :
-
la compréhension de l’action sociale des individus et neutralité axiologique
-
l’interprétation
-
l’explication
Interprétation et construction de l’idéal-type : principale fonction de l’idéal-type
est de favoriser l’interprétation de la réalité. C’est une construction abstraite, un
outil conceptuel de la compréhension causale, un modèle. C’est un guide
d’élaboration
des
hypothèses :
c’est
un
ensemble
de
concepts
intégrés
indispensables pour saisir le réel. Il sert à découper le réel, à sélectionner une
pluralité de phénomènes isolés et à les ordonner en fonction d’un ou plusieurs
points de vue.
« il n’est pas lui-même une « hypothèse », mais il cherche à guider l’élaboration
des hypothèses. De l’autre côté, il n’est pas un exposé du réel, mais se propose de
doter l’exposé de moyens d’expression univoques » (Essai sur la théorie de la
science).
42
Ce n’est pas une hypothèse ni une description de la réalité parce qu’il ne retient
que quelques aspects de celle-ci. Le concept permet de saisir une qualité commune
à partir de différences particulières et il doit sa précision à la sélection, à la
limitation qu’il impose. Donc : il n’exprime pas la totalité de la réalité mais
seulement son aspect significatif. Mais à la différence du concept, il ne retient
pas les caractères les plus généraux, ceux que l’on retrouve régulièrement et qui
correspondraient à la simple notion de type. Le qualificatif idéal implique autre
chose : l’aspect original retenu dans chaque phénomène dégage ce qui individualise
non ce qui rapproche ou normalise.
« On obtient un idéal-type en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points
de vue et en enchaînant une multitude de phénomènes, donnés isolément, diffus
et discrets, que l’on trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre et par
endroits pas du tout, qu’on ordonne selon les précédents points de vue choisis
unilatéralement, pour former un tableau de pensée homogène ».
Pour M. Weber, le type idéal se différencie du concept parce qu’il ne se contente
pas de sélectionner la réalité mais il ajoute aussi à la réalité donc le rôle du
sociologue consiste à étendre certaines qualités, à accentuer certains aspects.
On ne peut pas accéder à La Vérité, le savant ne peut saisir que des vérités
partielles donc l’idéal-type n’exprime que l’aspect qualitatif de la réalité qu’il
accentue. Pas de représentations exactes de la réalité mais exagération de certains
traits de la réalité (singularités typiques) qui sont sélectionnés par un rapport aux
valeurs.
Difficultés : plusieurs acceptions à la notion d’idéal-type :
-
idéaux-types d’individus historiques : le capitalisme, la ville d’Occident
-
idéaux-types désignant des éléments abstraits de la réalité historique qu’on
retrouve dans un grand nombre de circonstances : la bureaucratie, la féodalité,
la domination
43
M. Weber les a utilisé pour :
-
la sociologie de l’action : types de rationalité
-
la sociologie économique : types de capitalisme
-
la sociologie des religions : types de religiosité et types de communalisation
-
la sociologie politique : types de domination
La domination charismatique : s’explique par les qualités extraordinaire d’une
personne « doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains ». C’est un
type de domination dépourvu de toute direction administrative. Des cas de
transformation du pouvoir charismatique en domination traditionnelle ou en
bureaucratisation existent dans l’histoire mais il n’existe pas de loi unique dans
l’histoire.
La domination traditionnelle : ce type est incompatible avec les sociétés modernes.
Elle s’appuie et elle est admise « sur le caractère sacré de dispositions transmises
par le temps ». Ce pouvoir est exprimé par la puissance patrimoniale du seigneur
qui contrôle son administration en entretenant des serviteurs (rémunération en
nature ou en fief).
La domination légale-rationnelle : fondée sur la croyance en la légalité des
règlements et des titres de ceux qui les exercent. La légitimité tend à se confondre
avec la légalité. L’administration moderne représente la forme idéale-typique de la
domination légale-rationnelle
L’idéal-type sert à atteindre l’aspect original de chaque phénomène pour en
faciliter la mise en relation causale.
-
Explication et imputation causale : établir des chaînes de causalité entre les
évènements. Par une opération mentale, on accomplit des variations
imaginaires « pour déterminer les relations causales réelles, nous en
construisons d’irréelles ».
44
Causalité et notion de valeur : Pour chercher les causes des évènements en
sociologie il faut sélectionner les faits les plus significatifs. Il propose de remplacer
l’expérimentation par la modification imaginaire des évènements. Le rapport de
valeur exerce son influence à différentes étapes de la recherche :
-
il détermine le choix du sujet en fonction de l’intérêt porté par le
sociologue
-
il permet de sélectionner les faits en fonction de leur signification
-
permet d’orienter la recherche des liens de causalité
Le sociologue doit être conscient de ses valeurs mais pas les groupes sociaux donc il
faut étudier ce qu’ils disent, ce qu’ils croient mais aussi leur comportement réel.
Donc : la notion de valeur qui est subjective au départ doit être étudiée de
manière objective.
Fonction du type-idéal : rendre la comparaison entre les idées et la réalité
possible. Mais on ne garde que ce qui paraît caractéristique. On peut définir le
type-idéal comme une « image mentale » obtenue non par généralisation des traits
communs à tous les individus.
 Les catégories
La catégorie est utilisée dans un but de classification. Ex des catégories socioprogfessionnelles.
Ex : Malinowski : il s’interroge sur la manière de classer les différentes formes de
dons chez les Argonautes du pacifique Occidental (Tobriandais) : dons, paiements
et transactions. Donc il énonce les règles de la construction de l’objet scientifique.
Il faut éviter d’introduire dans la description des catégories factices dictées par
notre propre terminologie et nos propres critères « Rien n’est plus trompeur dans
les comptes-rendus ethnographiques que la description des faits, des civilisations
primitives, à l’aide de termes adaptés au monde qui est nôtre ». La terminologie
indigène est un moyen de parvenir à ce résultat mais ce n’est pas « un raccourci
miraculeux » parce qu’il existe au niveau des institutions et des comportements
des « principes de classement » inconscients.
45
Donc le travail de l’ethnologue est de les dégager pour contrôler la classification
proposée spontanément par la langue indigène.
L’ethnologue doit décrire concrètement les comportements pour ne pas être
victime des catégories spontanées du langage (celui de l’ethnologue ou le langage
indigène).
 La fausse neutralité des techniques
Il faut toujours se demander par rapport à une technique, ce que cette technique
nous dit dans les conditions dans lesquelles elle a été employée et être conscient
des limites de cet outil.
La neutralité scientifique c’est aussi être conscient des limites en elles-mêmes des
techniques employées. La situation d’entretien par questionnaire est une situation
fictive et forcée d’où l’importance des questions que l’on pose.
C’est le substitut d’une expérimentation souvent impossible dans les faits qui
permet de confronter à la réalité les conséquences dégagées par l’expérience
mentale.
46
Chapitre 5 : La pratique scientifique (1) :
l’observation, approche ethnologique et anthropologique
La définition provisoire est un instrument permettant d’initier un processus de
rupture.
✗
l’objet
était
conquis
:
rupture,
objectivation
[objectivation
participante et socio-analyse], objectivation du sujet objectivant
✗
il était également construit.
✗
la construction de l’objet est un point essentiel de la recherche mais
il est aussi le plus difficile à réaliser car il n’existe de mode d’emploi
propre.
✗
un objet de recherche ne peut être défini et construit qu’en
fonction d’une problématique théorique.
-
les sciences sociales disposent d'instruments de recherche (concept,
hypothèses, catégories) construits intellectuellement (ex : Elias, Bourdieu) ou
socialement (les CSP) qui sont autant de grilles de lecture pour appréhender la
réalité.
L’hypothèse est formulée en vue de l’étape expérimentale. Entre cette
construction intellectuelle (la formulation de l’hypothèse, la détermination et
définition du concept) et l’étape du terrain, intervient le choix d’une technique de
recherche (schéma).

Dans le cadre de votre mémoire et compte tenu de son objectif et du temps
dont vous disposez, vous devez vous contenter en principe d’une seule
technique d’enquête que vous justifierez (sur les conditions de votre travail).
L’observation est fondée sur un contact direct et immédiat du chercheur avec la
réalité qu’il veut étudier.
47
On peut définir l’observation de deux façons :
Au sens large : l’observation comprend l’ensemble des opérations par lesquelles le
modèle d’analyse que vous avez déterminé (question de départ et définition
provisoire, hypothèses, concepts, théorie de référence) va être confronté aux faits
et données observables. C’est une étape intermédiaire entre la construction des
concepts et hypothèses et l’analyse des données du terrain choisi. Pour recueillir
les données vous pouvez utiliser plusieurs outils : entretiens, questionnaires,
statistiques, documents officiels…
Le chercheur n’est pas sur le terrain directement, il examine et commente. Il peut
éventuellement se rendre sur les lieux, dans le milieu social qu’il veut étudier dans
un laps de temps court, en menant des entretiens mais sans pour autant assister de
manière prolongée et systématique aux évènements s’y déroulant. Cette forme
renvoie le plus souvent à une forme de préenquête rapide avant l’entretien ou le
questionnaire.
Au sens strict : l’observation est identifiée à l’enquête de terrain, héritage

de l’ethnographie française ou du « field work » dans la tradition anthropologique
anglaise. L’observation est dans ce cas une présence systématique et souvent
prolongée dans le lieu de l’enquête, au sein d’un groupe social par exemple. Les
données sont recueillies par un chercheur ou une équipe de chercheurs. Ces
données sont recueillies soit :

Auprès de personnes en utilisant des procédures dites « réactives »
(entretiens) ou « non réactives » (observation des lieux, évènements, propos
tenus….)

En consultant toute forme de documentation écrite comme les données
administratives (registres d’état civil, archives…)
Ce type d’observation donne lieu à des monographies (ex : dans les années 60, les
études des villages résistant aux transformations dues à l’exode rural)
Lors d’une présence prolongée sur le terrain, le chercheur se trouve mêlé à une
situation sociale qu’il enregistre, interroge et analyse mais il ne doit pas la
modifier.
48
I - L’apport de la démarche anthropologique
L’observation dans les sciences sociales relève de deux traditions :

l’une issue de l’anthropologie

l’autre de la sociologie
– l’une et l’autre ont beaucoup en commun mais elles se différencient dans
leurs réalisations effectives et par leurs résultats.
La pratique de l’observation débute avec l’observation, dès le Moyen Âge, de
populations lointaines radicalement différentes, par les voyageurs et les
chroniqueurs européens, les missionnaires et les militaires, les administrateurs et
les colons qui ont livré des récits, des observations et des enquêtes en nombre
considérable. Cette somme allait permettre à des philosophes (Hume, Rousseau,
Condorcet…) d’élaborer les principes de la science prenant pour objet la variété
des sociétés humaines.
La colonisation et son nouvel essor au XIXe siècle, les nationalismes dans les pays
européens
et
les
conflits
raciaux
en
Amérique
du
Nord
accélèrent
le
développement de l’anthropologie et de l’ethnologie qui vont se constituer en
disciplines scientifiques autonomes.
Les anthropologues anglo-saxons et français qui se sont déplacés chez des peuples
lointains (qualifiés de plus souvent de primitifs ou archaïques) ont conduit :
-
des observations dans des sociétés radicalement étrangères au chercheur.
-
ces observations ont toujours été accompagnées, suggérées ou commentées
par des informateurs, des traducteurs, des intermédiaires.
-
ces intermédiaires fournissaient des informations souvent en nombre
supérieur à celles recueillies directement par le regard du chercheur.
-
les objets de leurs études se sont souvent limités aux pratiques ou règles
qu’ils considéraient comme symboliques de la totalité de la culture du groupe
étudié (ex : la religion, la magie, la parenté…). En étudiant un aspect d’une
société ils pensaient étudier sa totalité.
49
Les anthropologues du XIXe siècle ont eu le sentiment qu’ils occupaient une
situation exceptionnelle aussi bien parmi les sociétés qui les accueillaient que
parmi les membres de leur propre communauté (les administrateurs, les colons).
Or, ils ne pouvaient ignorer également que leur présence et leurs activités étaient
perçues à travers l’image du colonisateur blanc.
Ainsi ce qui va différencier l’anthropologue du sociologue c’est bien la méthode
et le statut de l’un et de l’autre étant donné que le sociologue va pratiquer
l’observation dans « sa » société.
Certains manières de faire (recours à un informateur) peuvent se rapprocher et
certains thèmes également (l’étude du surnaturel).
Remarque :
Quand je dis que le sociologue va pratiquer l’observation dans « sa » société, je
n’entends pas nécessairement dans son pays voire dans son propre milieu social et
culturel. Mais le monde social étudié aura un lien social et culturel avec celui de
l’observateur sociologue
Avant d’aborder le travail même de l’observation directe, ses formes et ses
apports, il faut au préalable préciser ce que l’on entend par anthropologie,
ethnologie et ethnographie.
L’observation directe pratiquée par le sociologue a conservé certains acquis de la
démarche ethnographique. L’observation participante propre à l’anthropologie
s’est introduite dans la démarche sociologique.
Nous reprenons les distinctions opérées par M. Grawitz (p. 175) :
Ethnographie : étude descriptive de toutes les données relatives à la vie d’un
groupe humain. Concerne le travail matériel sur le terrain, la collecte des
matériaux.
50
Ethnologie : a longtemps été considérée comme la discipline décrivant les mœurs
des différents peuples et plus précisément des peuples dits archaïques ou primitifs.
Elle tente un effort d’élaboration et de synthèse soit géographique (étude des
caractéristiques des tribus d’une région à un moment donnée) soit historique
évolution de tel groupe, soit systématique, en étudiant une coutume particulière,
une cérémonie ou une institution.
Il est paradoxal de constater que l’un des pères fondateurs de l’ethnologie
française, Marcel Mauss, n’a jamais pratiqué le travail de terrain bien qu’il
encouragea ses étudiants à le faire.
Anthropologie : répandue par les anglo-saxons qui ont abandonné l’usage du terme
ethnologie pour l’anthropologie. L’anthropologie comprend l’étude de l’homme
dans sa totalité. Il faut savoir qu’en France actuellement, le terme anthropologie
est de plus en plus employé à la place d’ethnologie. Certains utilisent indéfiniment
l’un comme l’autre.
Ex : Evans-Pritchard a étudié les Nuer au Soudan, Margaret Mead s’est rendue en
Nouvelle Guinée, Malinowski aux îles Tobriand dans le Pacifique.
Texte d'Isabelle Bazanger, Douleur et médecine, la fin d'un oubli
Outre l’intérêt de ce texte qui illustre parfaitement comment un chercheur
construit sa recherche et son cadre d’analyse (construction de son objet,
l’originalité de sa recherche par rapport à ce qui a déjà été fait dans le milieu
médical) il évoque le choix de sa technique (ethnographique) les limites de cette
technique et son intérêt par rapport à son objet et sa démarche.
Texte de Laplantine
L’ethnographie ne consiste pas dans la collecte une grande quantité d’informations
mais à s’imprégner soi-même des thèmes de la société que l’on étudie. C’est une
immersion
totale,
une
intériorisation,
une
« observation
comportements humains à partir d’une relation humaine ».
51
directe
des
Méthode inductive car collecte d’information mais il faut « s’imprégner soi-même
des thèmes obsessionnels d’une société, de ses idéaux et de ses angoisses ».
« L’ethnographe doit être capable de vivre en lui la tendance principale de la
culture étudiée ».
Immersion totale, acculturation à l’envers : comprendre les manifestations
extérieures (Durkheim) et les significations que donnent les individus de leurs
comportements. L’ethnologue doit percevoir du dedans la société étudiée et
mettre en évidence ce qui échappe aux acteurs sociaux.
Différence avec la sociologie : le rapport à l’objet, pas de stricte programmation
de l’enquête mais errance, essais avortés dont le chercheur doit tenir compte.
L’ethnologie est une approche microsociologique, étude des groupes sociaux qui
sont à l’extérieur de la société globale. On doit tenir compte de tout et tout
phénomène doit être relié à la société dans laquelle il s’insère, en rendre compte
dans la mutidimensionnalité de ses aspects.
L’observateur doit s’intégrer lui-même dans le champ de son observation. Il ne faut
pas dissocier celui qui observe de celui qui est observé : « nous ne sommes jamais
des témoins objectifs observant des objets mais des sujets observant d’autres
sujets » : l’ethnographe perturbe une situation et il est perturbé lui-même,
interaction entre les deux et « ce que vit le chercheur dans sa relation à ses
interlocuteurs fait partie intégrante de sa recherche ».
Donc : l’observateur doit se prémunir contre l’ethnocentrisme, mais la subjectivité
fait partie de sa recherche. On ne peut pas construire un objet d’observation
indépendamment de l’observateur lui-même.
52
I - L’observation directe
Vous devez toujours lier observation directe et travail de terrain dans le but de
collecter des informations.
L’observation est souvent opposée au questionnaire : le questionnaire recueille des
réponses verbales qui constituent des opinions ou qui restituent des actes. Mais il
peut y avoir une opposition entre les déclaration des personnes et leurs actes. La
personne interrogée peut formuler des réponses qui sont contraires à son
comportement habituel ou se sentir obligée d’adopter des vues conformes à ce
qu’elle croit être l’attente de l’enquêteur ou convenir à l’opinion admise à cette
époque.
L'observation directe pressent des actes.
A – Définition
« L’observation directe consiste à être le témoin des comportements sociaux
d’individus ou de groupes dans les lieux mêmes de leurs activités ou de leurs
résidences sans en modifier le déroulement ordinaire. Elle a pour objet le recueil
et l’enregistrement de toutes les composantes de la vie sociale s’offrant à la
perception de ce témoin particulier qu’est l’observateur » (Peretz, p. 14).
 Beaud (S) et Pialoux (Michel), Retour sur la condition ouvrière
Les deux chercheurs côtoient et étudient les personnes, sont témoins de leurs
actions, écoutent leurs échanges verbaux, analysent les supports écrits (tracts,
journaux d’entreprise…). Les chercheurs nous expliquent également les différentes
techniques qu’ils ont employées et les limites de ces dernières par exemple ils
montrent combien ils sont conscients de la relations enquêteur/enquêtés.
Ce texte est très pédagogique sur la manière dont a été construite la recherche sur
le terrain et hors du terrain…
53
Dans l’introduction de votre mémoire de recherche il faut vous astreindre à
évoquer
d’une
manière
précise
tous
les
aspects
méthodologiques
(construction de l’objet et définition provisoire, les hypothèses, les
concepts, votre terrain, votre période d’étude, votre technique, les
obstacles rencontrées, les limites des techniques que vous employez…et
tout doit être justifié à chaque fois)
On peut distinguer 2 types d’observation :

l’observation externe : situation dans laquelle le chercheur n’appartient pas
au milieu étudié

l’observation interne : le chercheur appartient au milieu observé
Lorsque le chercheur appartient au milieu étudié, on parle d’observation
interne : ce sont les acteurs qui étudient leur propre milieu pour le compte
d’observateurs externes au groupe. Cela permet une certaine efficacité parce
qu’ils peuvent avoir accès à des informations sans susciter la méfiance ou qui
seraient inaccessibles à un observateur étranger. Cela permet de connaître le
phénomène étudié de l’intérieur, il n’y a pas de risque de perturbation ni
d’artificialité. Mais les observateurs ne disposent pas de toutes les compétences
nécessaires,
risque
de
partialité
et
de
déformation
des
faits
(favorable/défavorable).
Lorsque le chercheur n’appartient pas au milieu étudié :
Avantages :

compétence des chercheurs

garantie de validité et d’objectivité car distance entre le chercheur et l’objet
étudié
54
Limites :

risque de comportements artificiels, l’observation perturbe la réalité

lacunes car difficultés pour un observateur étranger d’accéder à certains
aspects de la réalité (méfiance, méconnaissance)

observation qui peut rester superficielle
Le chercheur peut décider de rester extérieur au phénomène étudié, il ne participe
pas aux activités du groupe. Son observation peut être avouée ou clandestine.
L’observation participante : l’observateur, étranger au milieu étudié, devient
acteur de la réalité étudiée. Technique dérivée des procédés ethnologiques. Cela
permet au chercheur de comprendre en profondeur les phénomènes observés.

On entend par observation participante le travail de terrain dans son
ensemble depuis l’arrivée du chercheur sur le terrain (quand il commence à
négocier son travail, son accès) jusqu’au moment où il le quitte.

L’observateur doit commencer par gagner la confiance des membres du
groupe qu’il va étudier et s’intégrer dans leur vie quotidienne. Ce qui
requiert de grandes qualités d’adaptation, de patience et d’intuition.

Ce type d’observation est particulièrement intéressante lorsque l’on veut
étudier la vie sociale dans sa durée, dans ses aspects les plus complexes,
cachés, quotidiens.
Avantages :

les acteurs tendent à oublier la présence de l’observateur (ce qui diminue
les risques d’artificialité)

cela permet une observation plus complète de la réalité parce que
l’observateur a accès à des informations plus profondes

le chercheur du fait de son imbrication avec le milieu observé peut mieux
percevoir la signification réelle des faits collectés
55
Limites :

risque d’une vision partielle de la réalité et de comportements artificiels

en cas de tensions ou de conflits le chercheur peut hésiter entre son rôle
d’observateur ou de participant

l’intégration peut compromettre l’objectivité du chercheur et modifier son
regard sur les phénomènes étudiés, et provoquer des réactions de
sympathie/antipathie
Etude de Laurence Wylie : Peyrane un village du Vaucluse, 1957.
Il va y vivre pendant un an avec sa famille. Son problème a été de s’intégrer au
village, d’y trouver sa place et une fonction. Il enseigne l’anglais aux enfants de
l’école primaire et s’improvise photographe du village. Et c’est par cette activité
informelle qu’il va obtenir les informations recherchées.
L’observateur doit se présenter : dévoiler son identité professionnelle et annoncer
la finalité de sa recherche. Il peut également ne rien dire, l’observation masquée a
notamment été utilisée par des auteurs travaillant sur le travail immigré, le F.N….
Dans ce cas, l’observateur travaillera dans la clandestinité mais il ne peut pas
prendre ouvertement de notes, ni recueillir d’informations complémentaires auprès
des personnes. Cela présente un certain risque pour l’observateur s’il est démasqué
et cela pose des problèmes de morale et d’éthique.
L’observateur peut travailler ouvertement en pénétrant un groupe après avoir
obtenu l’accord des personnes concernées.
Par exemple, l’observateur travaillant dans une organisation sociale dans laquelle il
a été accepté peut prendre des notes, circuler librement, consulter les documents
mais ce type d’observation lui impose un certain nombre de contraintes formelles
dont il doit se défaire pour mieux observer ce qu’on peut vouloir lui cacher.
56
Avantages :

permet une observation plus complète de la réalité

donne au chercheur l’accès à des informations qu’il aurait ignorées s’il
s’était tenu à des contacts superficiels

permet une connaissance approfondie car le chercheur peut mieux percevoir
la signification réelle des faits collectés
Limites :

quelque soit le degré d’intégration de l’observateur, sa présence peut
provoquer des comportements artificiels

l’intégration peut également compromettre l’objectivité du chercheur étant
contraint par son statut de participant de prendre position en cas de conflits
ou de tensions
Texte de S. Beaud et de M. Pialoux, Retour sur la condition ouvrière
Les deux chercheurs côtoient et étudient les personnes, ils sont donc les témoins
de leurs actions, ils écoutent leurs échanges verbaux, analysent les supports écrits
(tracs, journaux d’entreprise…). Leur souci est de lier entre elles les différentes
dimensions de l’espace social (travail, école, habitat, consommation…). Ils
expliquent les différentes techniques utilisées et leurs limites notamment sur la
relation enquêteur/enquêté (p. 436).
Ce texte est très pédagogique sur la manière dont a été construite la recherche sur
le terrain : ils se placent dans les différentes sphères de la vie quotidienne, ce qui
contribue à rompre avec la vision monolithique des groupes sociaux.
Durée de l’enquête : 15 ans ce qui permet un « comparatisme en acte » : ce qui
leur permet de saisir les évolutions dans le temps, de suivre les trajectoires
individuelles et collectives. Le temps joue le rôle d’une variable de contrôle des
données recueillies sur le terrain.
57
Différents types d’observation : participante et non participante auprès des
ouvriers militants et non militants.
Technique : entretiens répétés sur plusieurs années « la répétition des entretiens
avec une même personne permet notamment de comprendre comment, dans le
temps, les individus ajustent et adaptent leur stratégie à de nouvelles situations
et à de nouvelles conjonctures ».
La technique des entretiens répétés permet de prendre la mesure des
changements, attention accordée au contexte, ce qui permet de corriger et de
relativiser les interprétations.
« Les entretiens ne sont pas seulement l’illustration d’un modèle théorique
préalablement
construit
mais
ils
sont
plutôt
un
instrument
essentiel
d’investigation, un outil de construction d’hypothèses toujours en cours de
transformation comme une sorte de tremplin pour la réflexion ».
Etude de la construction et de la déconstruction des identités collectives et
individuelles des membres du groupe.
Rq : dans l’introduction de votre mémoire de recherche, il faut vous astreindre à
évoquer d’une manière précise tous les aspects méthodologiques, construction de
l’objet et définition provisoire, hypothèses, concepts et concernant le terrain, la
période d’étude, la technique, les obstacles rencontrés, les limites des techniques
employées… tout doit être justifié.
58
B – le travail de l’observateur
L’observateur a 4 tâches essentielles à remplir :

être sur place parmi les personnes observées et s’adapter au milieu

observer le déroulement ordinaire des évènements

enregistrer les données

interpréter ce qu’il a observé et en rédiger un compte-rendu
Cette technique d’observation nécessite des compétences intellectuelles et
sociales : capacité d’adaptation à une situation et à un milieu, faculté de
mémorisation des différents aspects d’une situation, habileté à rédiger des notes
claires….
L’observation directe se différencie de l’observation de type expérimentale
(observer le comportement des personnes dans certaines situations créées par les
observateurs). C’est un des aspects du travail de terrain et peut accompagner
d’autres méthodes comme les entretiens formels, la consultation de documents
écrits, la constitution de statistiques….
C – Que recueille-t-on par l’observation directe ?
L’observation est issue de la démarche ethnographique qui a longtemps été une
forme de collecte de données circonscrite à l’étude des sociétés lointaines
étrangères au chercheur.
On peut distinguer 3 aspects :

l’inventaire des outils, type d’habitats, technique de production et de
travail, objets artisanaux, vêtements…. On procède à l’inventaire des formes
fixes d’une culture matérielle

l’observation directe de certains comportements : vie domestique, religion,
sorcellerie

recherche de règles gouvernant les croyances et les relations (parenté)
59
Ce mode de recherche était souvent justifié par l’absence de tradition écrite au
sein des sociétés étudiées et le statut étranger du chercheur qui ne parlait pas
souvent la langue du milieu observé.
Depuis, on utilise les acquis de cette méthode pour étudier des comportements
contemporains ou proches (cf. Beaud, Bazanger).
L’observation directe est particulièrement féconde pour l’étude directe des
milieux très réglementés, elle permet d’aller au-delà des apparences formelles du
fonctionnement des institutions (Goffman).
Elle met en relief les modalités effectives de l’accomplissement des actes par les
personnes (le travail) et le système complet des interactions entre toutes les
catégories d’agents impliqués dans son fonctionnement. Les églises, les écoles, les
entreprises, usines révèlent des propriétés de fonctionnement qui échapperaient à
quiconque ne pénètrerait pas ces univers.
Texte de Bazanger : il ne faut pas s’arrêter aux médecins et aux personnel médical
mais prendre également en considération les malades.
Objectif : étude pragmatique, étudier le travail médical en acte, ce qui signifie
s’intéresser concrètement au travail des acteurs de la médecine et dans leur
quotidienneté. Cette étude pragmatique se réalise par un travail ethnographique,
une observation des rapports médecins/malades par une intégration aux
consultations.
Objet d’étude : c’est comprendre en quoi la douleur persistante comme objet
même de l’intervention des médecins peut modifier le travail médical.
Son hypothèse : la fragilité de la douleur comme fait (douleur chronique non
identifiable et forte dimension privée) pèse sur les pratiques médicales.
Précision de l’objet : comment les médecins déchiffrent-ils la douleur du malade
pour déployer leur intervention ?
60
Nouvelle précision sur l’objet : la manière dont l’ensemble des ressources
(connaissances théoriques et techniques) dont disposent le médecin sont mobilisées
pour élaborer un jugement sur la douleur chronique à traiter.
Son travail s’inscrit dans une perspective précise : référence aux travaux antérieurs
et accent porté sur l’importance de la microsociologie.
Son apport : celui des malades. Perspective interactionniste qui s’intéresse aux
interactions des malades, aux stratégies déployées, à l’étude pragmatique des
décisions médicales dans la continuité des travaux de Glaser et Srauss.
Une des caractéristiques de l’observation directe est sa durée : elle doit être
longue et répétée (Beaud). Elle ne doit pas intervenir de manière ponctuelle ni en
cas d’urgence.
II – La réalisation de l’observation
3 comportements sont indissociables :

une forme d’interaction sociale avec le milieu étudié

des activités d’observation

un enregistrement des données observées (prise de notes)
1 – Les étapes d’une observation ne sont pas chronologiques
Trois activités ne sont pas indissociables. Le chercheur mêlera sans cesse ces
trois activités. Il aura toujours à entretenir des relations sociales, à observer et à
prendre des notes.
2 – L’observation n’est pas une méthode « tout terrain »
Chaque terrain impose une démarche particulière : chaque organisation sociale est
disposée différemment à l’égard de l’observateur potentiel en raison de ses
propres règles de fonctionnement qui définissent la présence des individus en son
61
sein. Pénétrer des milieux marginaux, des sociétés secrètes (sectes…), un groupe
de militants syndicaux, n’obéit pas aux même facilités d’entrée si l’observateur est
étranger à ce milieu ou s’il y est lié d’une manière ou d’une autre.
3 – L’observation requiert souplesse et innovation.
L’observateur ne doit pas prévoir mais doit s’adapter au milieu. Il doit être au
fait des changements des situations qui peuvent lui imposer de changer de rôle.
Cette condition s’avère essentielle notamment dans le cas de l’observation
participante.
L'observation participante
L’observateur est toujours étranger au phénomène étudié mais dans le cas de
l’observation participante, il devient acteur et participe au phénomène étudié ou à
la vie du milieu dans lequel il est immergé.
La pratique de l’observation participante s’inscrit principalement dans une
tradition anthropologique nord-américaine de recherche sur les organisations
sociales plus ou moins fermées.
L’observateur partage les expériences du groupe observé. Cette technique
constitue un instrument précieux pour l’étude de la vie sociale dans la durée, dans
ses aspects les plus complexes, les plus cachés et les plus quotidiens.
Ex : Malinowski a partagé la vie des communautés étudiées (les Argonautes du
Pacifique), parlant leur langue (contrairement aux premiers ethnologues qui
utilisaient des intermédiaires).
On a estimé que cette technique avait fait ses preuves en anthropologie donc elle
pouvait être transposée dans d’autres contextes sociaux. Les sociologues vont alors
l’utiliser pour mener des études sur des villages, syndicats, usines….
62
Conclusion
On assiste à un regain d’intérêt en sociologie pour le terrain, l’accent est mis sur la
recherche qualitative, ce qu’on appelle la « grounded theory ».
Le travail de terrain, prolongé, doit être à la base de la sociologie, les énoncés
théoriques tirent leur validité de leur enracinement dans des études de terrain
minutieuses.
Il ne s’agit pas de renoncer à un travail théorique mais il s’agit de le construire
différemment, de manière inductive.
Mais collecte de donnée, analyse et théorie sont en rapports étroits. Le travail
empirique y est posé comme contrainte a priori alors que chez Merton par exemple
le travail empirique vérifie la théorie (jusqu’à ce qu’elle se trouve falsifiée). Le
lien entre collecte de données, codage, rédaction de mémentos n’est pas linéaire.
Ce qui ressort de l’ensemble de ces textes, c’est l’importance du terrain, prise de
conscience que la sociologie est liée aux interactions avec d’autres sciences
sociales comme l’ethnologie. Même si les deux regards diffèrent, la sociologie a su
temporiser son travers positiviste en redonnant toute sa force au travail de terrain,
force qui n’est cependant possible que dans le cadre d’une interaction avec un
travail théorique parallèle.
63
Chapitre VI : L’enquête (2) : l’entretien
On peut dégager deux types d’observation :

l’observation directe héritée de l’ethnologie (discipline décrivant les mœurs des
différents peuples)

l’observation participante en sociologie héritée de l’anthropologie (étude de
l’homme dans sa totalité).
L’une et l’autre constituent deux niveaux différents d’implication du chercheur
dans son terrain.
L’étude sur le terrain combine plusieurs techniques de recherche : l’entretien, le
questionnaires, l’analyse de documents, d’archives…
L'entretien en sciences sociales c’est d’abord une situation, un contexte.
L’entretien en sciences sociales est une situation au cours de laquelle un
chercheur ou un enquêteur essaie d'obtenir d'un enquêté des informations, des
connaissances, des expériences ou encore des opinions. Il y a donc un degré de
subjectivité que l’on ne peut négliger.
L'information produite par le biais de l'entretien se caractérise par la subjectivité
dans la mesure où par opposition à une information recueillie au moment même
d'un événement, l’information est restituée après avoir été préalablement
assimilée et subjectivée, donc elle peut être complémentaire d’une observation
directe.
L’entretien est une situation totale
Il faut prendre en compte la dimension à la fois sociale et interpersonnelle de
l'entretien. Chaque entretien est un échange singulier.
C'est en effet l'interaction interviewer/interviewé qui va décider du déroulement
de l'entretien, c'est en ce sens que l'entretien est une rencontre.
64
L'entretien s'est toujours défini par opposition au questionnaire
L'écoute est venue s'ajouter à l'interrogation, il s'agissait également de faire parler
librement sur des thèmes donnés. C’est désormais la méthode reine de la
sociologie (comme l’ont été les sondages y a 20 ans). La méthodologie de
l'entretien s'est élaborée de manière empirique. Des principes généraux, des
conseils techniques se sont progressivement dégagés des expériences réalisées,
partant du bon sens pour aboutir à un véritable effort de construction d'une
méthodologie.
Tout ce que vous pouvez lire sur l’entretien comme méthode de recherche peut
vous donner des indications mais il n’existe pas de mode d’emploi de l’entretien
comme méthode de recherche.
Seule l’expérience, « les ratés » permettent de prendre conscience des aspects que
l’on a négligés et permettent de progresser. Mieux vaut consulter des essais
critiques sur l’emploi de l’entretien dans le cadre d’une recherche précise et
concrète que des ouvrages abstraits qui donneront à votre entretien un caractère
artificiel.
Au cours d’un entretien, une personne transmet à une autre des informations
sur un sujet déterminé. C’est une discussion orientée, un procédé permettant
de recueillir des informations sur un sujet donné.
Il existe différents types d’entretien que l’on choisit en fonction des objectifs de la
recherche, de l’étape de la recherche, du niveau de profondeur de l’information
souhaitée.
65
I – La préparation des entretiens
Pourquoi recourir à cette technique ? Comment préparer un entretien ?
A – Le choix de l'enquête par entretien
Le choix de l’entretien comme mode de recueil des données n’est pas innocent.
Quel type de données se propose-t-on de collecter et par rapport à quel objet de
recherche ?

Différentes utilisations de l’entretien et adéquation à l’objet de
recherche
La méthode de l'entretien peut être utilisée à des fins différentes dans le cadre
d'une enquête.
L'entretien peut avoir une fonction exclusivement exploratoire :
 Il préfigure alors une enquête par questionnaire ou par entretiens
approfondis.
 Les
entretiens
exploratoires
demeurent
superficiels,
ils
sont
généraux, non directifs.
 Ils visent à enrichir la problématique, compléter les pistes de travail
suggérées par la recherche documentaire.
L'entretien peut également avoir un rôle complémentaire :
Selon que l’enquête par entretiens est postérieure, parallèle ou corrélative à
d'autres moyens d'enquête, elle :
-
enrichit la compréhension des données,
-
les complète et contribue à leur interprétation.
66
Voir texte de S. Beaud : l’entretien apporte un plus à l’observation, l’entretien
approfondi est lié à l’approche ethnographique : des entretiens approfondis et
répétés permettraient de pallier les difficultés d’entrée dans un milieu pour
l’observer directement. Dans cette optique, l’entretien est un mode d’observation
indirecte
puisqu’il
permet
de
recueillir
des
informations
préalablement
intériorisées par le sujet.
L'enquête par entretien peut constituer le mode
principal de collecte
d'informations.
Les différentes interviews s'enrichissent les unes des autres, elles doivent alors être
en nombre suffisant.
Texte de Samy Cohen : Face à une documentation pauvre sur son objet de
recherche, il choisit de procéder à des entretiens. Il fait également la distinction
entre entretiens exploratoires et entretiens à proprement dits, ses entretiens
exploratoires lui permettent une meilleure maîtrise des entretiens ultérieurs.
Retenez que :
L’entretien est fonction de ce que l’on cherche : les entretiens peuvent porter
sur les représentations et sur les pratiques. Ce type d’enquête vise l’étude d’un
système (les pratiques elles-mêmes et ce qui les relie : idéologies, symboles…). Les
entretiens sont alors centrés à la fois sur les conceptions des acteurs et sur les
descriptions des pratiques. On s’intéresse aux expériences vécues des individus et
aux logiques subjectives, aux modes de pensée des interviewés.
L'enquête par entretien s’intéresse davantage aux processus, au sens des actions, il
restitue mieux l’intégralité et l’originalité des représentations ou pratiques de
l’interviewé : il met en évidence, à travers l'information produite, le contexte
social, psychologique, idéologique de l'interviewé.
67
L'entretien est une technique plus flexible que d'autres, il permet de respecter le
propre cadre de référence des interlocuteurs: leur langage, leurs catégories
mentales.
Texte de J. Siméant sur l’humanitaire :

pertinence de la méthode par entretien par rapport au milieu étudié

problème du manque d’archives d’où les entretiens

problème de l’humanitaire face à cette méthode : c’est un domaine d’action
d’où problème de déroulement et discours recueillis sur l’action

compatibilité avec l’action militante

on peut penser à la pertinence de l’observation participante
Texte de S. Cohen :

l’entretien est la source principale d’information car difficultés de disposer des
sources écrites

2 types d’entretiens : exploratoires pour mieux connaître le milieu et
entretiens proprement dits
Texte de S. Beaud :

la relation enquêteur/enquêté a du mal à se substituer à la relation entre
collègues
Des qualités indispensables
Si la méthode utilisée doit être en adéquation avec l'objet de la recherche, elle
nécessite des qualités particulières, un certain sens de la communication.
L'entretien est une méthode multidimensionnelle dans la mesure où il ne se réduit
pas à une production verbale mais implique une attitude, un comportement
particulier des interlocuteurs. L'entretien peut paraître simple au premier abord,
68
or sa pratique nécessite des qualités d’écoute, une ouverture, une sensibilité et
beaucoup de patience.
B – Les différents types d’entretiens
Vous trouverez dans les manuels plusieurs typologies d’entretiens.
Les formes d’entretiens peuvent être classifiées en combinant deux critères :

le niveau de profondeur de l’entretien (profond/superficiel)

le degré de liberté dont disposent l’enquêté et l’enquêteur.
L’entretien clinique
L’entretien est centré sur le sujet, sur l’interviewé, ses préoccupations, ses
émotions… Le degré de liberté est très élevé, c’est le sujet qui fixe ce dont il va
parler, les thèmes abordés spontanément. Tout ce que le sujet va dire sera
considéré comme important.
L’entretien en profondeur
Il s’agit d’aller au fond de certains aspects particulièrement significatifs pour le
chercheur.
Le degré de liberté est assez réduit : c’est l’enquêteur qui fixe les thèmes dont il
faut parler et la façon de les aborder. Le degré de profondeur est assez élevé :
chaque thème est étudié à fond.
L’entretien centré
Discussion assez peu structurée mais centrée sur un sujet précis et bien délimité.
Le degré de liberté est élevé aussi bien pour l’interviewer que l’interviewé. Il suffit
d’avoir un thème préalable et s’assurer que l’un et l’autre ne dévient pas.
69
On appelle ce type d’entretien « entretien exploratoire » : il consiste à explorer, à
se faire une idée, voir ce que les personnes questionnées ont à dire sur le thème en
particulier (il sert souvent à préparer les hypothèses de recherche).
L’entretien non directif
Ce type d’entretien s’apparente au précédent mais il y a un thème central et des
sous-thèmes déterminés à l’avance. Ce type d’entretien est un peu plus structuré
et le degré de liberté un peu plus réduit. On y recourt pour une recherche
d’information complémentaire de niveau assez général.
L’entretien semi directif
Il se rapproche du précédent mais le degré de liberté est plus réduit. L’interrogé
aura à répondre le plus directement possible à des questions précises (mais qui
restent tout de même assez larges). Il ne doit pas dévier du cadre de chaque
question. Le but recherché est de s’informer mais en même temps de vérifier à
l’aide de questions, des points particuliers liés à certaines hypothèses préétablies.
L’entretien directif
C’est le degré de liberté le plus réduit, c’est presque un questionnaire que l’on fait
passer oralement. Toutes les questions sont prévues et non improvisées au fil de la
discussion. Le but visé est la vérification d’information de points précis et le
recueil d’éléments d’information de détail.
L’entretien direct/indirect
Il faut savoir que l’entretien se distingue aussi par la tournure des questions que
l’on pose et le type de réponse qui est induit. On différencie l’entretien direct de
l’indirect :
entretien direct : on pose une question précise (êtes vous timide ?), la réponse
est oui ou non, elle ne nécessite pas de décodage ;
70
–
entretien indirect : question indirecte (prenez vous la parole en public
facilement ?), la réponse ici nous dira indirectement si nous avons à faire un
timide.
Ex : le vote : avez vous voté ? ou alors qu’avez vous fait ce dimanche ?
L’entretien compréhensif
Il s’agit dans certains cas de pousser les questions pour obtenir des réponses plus
précises. Pour y parvenir il faut avoir recours à des relances et des dynamisations
de la conversation (par exemple des rires). Jean Claude Kaufmann1 a le plus
préconisé ce type d’entretien. Il refuse dans son ouvrage de figer sous forme
d’instructions impératives la posture de l’enquêteur.
Pour lui l’entretien y est pensé comme une conversation, un échange peu
contraint, ouverts aux aléas et à toutes les formes possibles de ruptures de ton. Les
seuls conseils qu’il donne c’est d’alléger le travail de définition de l’objet, de
partir du terrain pour construire ses hypothèses selon les principes de la grounded
theory d’Anselm Strauss.
J.C Kaufmann, préconise l'emploi de la méthode empathique qui consiste à
intégrer le système de valeurs d'un individu et y adhérer pour le faire parler.
Retenez que:
L'entretien non-directif se caractérise par une très grande liberté. L'enquêteur
lance un thème de départ et ne fait rien d'autre que des relances. Il ne pose pas
d'autres questions. Il laisse le discours prendre sa propre logique.
L'entretien semi-directif est une forme d'entretien beaucoup moins libre. Il y a une
consigne de départ, un thème, mais l'enquêteur s'appuie sur une grille d'entretien
définissant l'ensemble des thèmes sur lesquels il doit recueillir des informations
1
Jean-Claude Kaufmann, L'entretien compréhensif, Paris, Nathan, 1996.
71
Remarque :
Edgar Morin distingue interview ouverte et interview fermée2 :
Interview ouverte : pas de questions, beaucoup de réponses, entretien long,
importance de la relation enquêteur-enquêté, résultats difficiles à exploiter ;
Interview fermée : questions, réponses précises, possibilité d'établir un échantillon
représentatif, on ne tient pas compte des relations enquêteur-enquêté,
l'entretien est court. On peut utiliser la technique qualitative et traiter les
informations obtenues de façon statistique (ex. : comptabiliser les mots d'un même
champ lexical).
C - La conception de l'enquête par entretien
Un entretien se prépare même si bien sûr l'entretien autorise des réajustements
ultérieurs au fur et à mesure que l'enquête progresse.
Population et échantillon
La population : "définir la population, c'est sélectionner les catégories de
personnes que l'on veut interroger et à quel titre, déterminer les acteurs dont on
estime qu'ils sont en position de produire des réponses aux questions que l'on se
pose."1
La définition de la population s'inscrit dans la définition même de l'objet de la
recherche.
Certaines caractéristiques peuvent être utilisées, mais les limites de la population
interrogée sont surtout fixées en fonction de la problématique retenue et des
2
« une interview est une communication personnelle suscitée dans un but d'information ». Edgar
Morin,Sociologie, 1994
1
Alain BLANCHET et Anne GOTMAN, op. cit., p. 50
72
hypothèses formulées. Une population concernée par la recherche est choisie en
fonction de son statut d'informateur, chaque type de population est susceptible
d'apporter des informations spécifiques.
L'échantillon : l’échantillon nécessaire à la réalisation d'une enquête par
entretiens ne peut être comparé à celui requis pour une enquête par
questionnaire.
L'échantillon ne se doit en aucune façon d'être représentatif. En effet, les
informations issues des entretiens sont validées par le contexte et n'ont pas
besoin de l'être par leur probabilité d'occurrence.
La sélection au sein de la population de référence dépend de plusieurs éléments :

le
thème
de
l'enquête
faiblement
ou
fortement
multidimensionnel,

de la diversité des attitudes supposées par rapport au thème
et,

enfin de moyens dont on dispose (temps et l’argent) : les
facteurs matériels que sont le temps et l'argent définissent généralement le cadre
géographique de l'échantillon à constituer.
La diversité des personnes interrogées est définie en fonction de variables liées au
thème et supposées jouer un rôle important dans la structuration des réponses.
La constitution de l'échantillon est plus simple à déterminer en théorie qu'à réaliser
en pratique car elle demeure dépendante de l'accès aux interviewés.
Le mode d'accès aux interviewés
Deux modes d'accès différents sont à la disposition de l'enquêteur : les modes
d'accès directs et indirects.
73

modes d’accès directs : l'enquêteur recherche le contact directement par le
porte à porte ou le face à face. Ils ne sont pas le fait d’un intermédiaire et leur
efficacité peut être limitée par la distance sociale entre l'enquêteur et l'enquêté.
On peut également utiliser des fichiers existants, pas seulement les listes
électorales ou l'annuaire téléphonique mais les avis ou annonces publiés dans la
presse ou encore des listes nominatives spécifiques (lauréats de concours,
annuaires professionnels, etc.).

modes
d’accès
indirects :
l'enquêteur
passe
par
l'entremise
de
tiers
institutionnels ou personnels (voir la séance sur l’observation). Ils ont l'avantage
d'être plus contraignants pour les interviewés, ce qui augmente les probabilités de
rencontre. La demande de l'enquêteur, qui est une demande de recherche, se
double d'une demande amicale, sociale ou institutionnelle.
Deux types de démarches doivent être distinguées : la méthode de proche en
proche et la méthode des informateurs

La méthode de proche en proche consiste à demander à un premier interviewé
potentiel de désigner d'autres interviewés possibles et ainsi de faire la chaîne. Ce
procédé n'est efficace que quand la probabilité de rencontrer les sujets choisis
dans un réseau familier est suffisamment grande.

La méthode des informateurs : ce sont des personnes que l'on sait intégrées au
coeur de réseaux sociaux plus vastes et en mesure d'indiquer le nom, l'adresse et le
numéro de téléphone des personnes concernées par l'enquête. Les informateurs
relais sont suffisamment au contact de la population choisie pour pouvoir ménager
une introduction, mais en même temps assez distants pour que les répondants ne
soient pas placés dans un rapport d'obligation. L'informateur recherche parmi ses
connaissances une personne susceptible d'aider à la poursuite de la recherche. Une
fois qu'il a contacté les personnes concernées, l'obtention d'un rendez-vous ne pose
aucune difficulté.
Le recours à un intermédiaire facilite l'accès à une population spécifique, mais le
biais essentiel réside dans les critères sur lesquels les informateurs relais se
74
fondent pour désigner les interviewés. Les personnes rencontrées peuvent entraver
davantage la recherche que la faire progresser. De ces premiers interviewés
dépendent les prochaines réalisations des entretiens, or la chaîne des interviews
suppose que l'image de l'interviewé-intermédiaire soit repérée pour assurer la
réalisation des entretiens postérieurs.
Or la relation de l'intermédiaire avec l'interviewé potentiel doit être profonde pour
instaurer un climat de confiance et une acceptation sans résistance. Un autre
problème
est
susceptible
de
se
poser,
le
poids
de
la
relation
intermédiaire/interviewé dans la relation d’entretien, les risques de censure de
part et d’autre.
Les modes d'accès indirects restreignent la liberté de l'enquêteur dans le choix de
ses interviewés. Une telle méthode multiplie les paramètres dont dépend déjà la
recherche.
Si le recours à un intermédiaire peut accroître les probabilités de rencontre, il peut
également retarder l'exécution des interviews proprement dite. La réalisation des
entretiens n'est plus seulement conditionnée par l'emploi du temps de l'interviewé
et celui de l'interviewer, elle dépend alors d'une troisième personne.
Texte de J. Siméant :
Elle
aborde
la
population
humanitaire,
elle
évoque
le
problème
de
l’échantillonnage : 2 catégories sont interviewées :

les personnes des sièges des organisations humanitaires

les actifs, ceux qui sont sur le terrain, au cœur de l’action
Texte de Bourdieu : importance du choix des personnes qui n’est pas innocent :

Nécessité d’une proximité sociale et d’une familiarité, d’une complicité

Ce qui suppose la délégation de l’enquête, façon originale d’avoir accès à ses
interviewés
75

Mais problèmes de cette familiarité : socioanalyse à deux

Autre problème il faut quand même construire scientifiquement ce discours,
recueillir un discours naturel ne suffit pas.

Avantages : éléments de complicité : même sexe, même statut social, même
culture, etc.

Problème d’une trop grande proximité : l’enquêté impose son jeu à
l’enquêteur
Texte de S. Beaud:
Milieu populaire : risque d’augmentation de la distance sociale / chercheur.
La question de l’élaboration du plan d'entretien
L'entretien de recherche se caractérise par une certaine liberté, fidèle à la notion
de non directivité mais l'entretien doit consister en une semi-improvisation, dans la
mesure où chaque entretien est une situation singulière, mais où tout entretien a
pour but de produire des connaissances. Le plan d'entretien est une sorte de fil
conducteur, il doit rester souple.
Le guide thématique
Le guide d'entretien contient les thèmes qu'il convient d'aborder avec l'interviewé
dans l'optique de la problématique fixée et des hypothèses de travail
préalablement définies. Les thèmes à explorer sont en étroite relation avec les
hypothèses dégagées à la suite de la recherche documentaire.
La consigne de départ
C’est l’amorce de l'entretien : elle doit avoir été pensée préalablement et par
rapport aux personnes interviewées.
La consigne choisie doit être générale afin de faire débuter l'interview mais ciblée
dans le cadre de la problématique, afin d'éviter ambiguïtés et égarements.
76
Les stratégies d'intervention
Les relances se construisent au fur et à mesure de la réalisation des entretiens.
Toutefois, on peut prévoir quelques consignes si tous les thèmes ne sont pas
abordés spontanément, prévoir certaines réticences sur certains thèmes. Mais les
relances proprement dites s'improvisent lors de la réalisation des entretiens.
Texte de S. Cohen :
Insiste le plus sur le guide d’entretien : il dispose d’un guide plus détaillé, élaboré
à partir d’une bonne connaissance du monde interrogé par le biais de lectures
effectuées de manière à cibler l’entretien sur ce que l’on cherche et à ne pas s’en
écarter.
Texte de Bourdieu :
L’entretien requiert beaucoup d’écoute et d’attention, le risque d’un guide
d’entretien trop détaillé est de rendre l’entretien artificiel.
La compréhension, c’est prendre l’interviewé dans sa totalité, avoir une disposition
accueillante. Pour ne pas tomber dans la fabrication des opinions (questionnaire),
ne pas figer l’entretien avec des questions toutes faites et respecter la large place
accordée à l’interviewé dans l’utilisation d’une telle méthode.
II - La réalisation des entretiens de recherche
L'entretien dans sa réalisation déclenche un processus de communication, mais
c'est un type de communication assez particulier dans la mesure où il est suscité et
voulu d'un côté et plus ou moins accepté voire subi de l'autre. L'entretien de
recherche passe par la maîtrise des différents paramètres de la situation sociale
77
d'entretien et par le contrôle des effets de la relation interviewer/interviewé sur
les résultats de l’entretien.
A - Les paramètres de la situation d'entretien
L'environnement matériel et social
✗
Le facteur temps
Le temps est extrêmement important pour un bon déroulement de l’entretien. Le
choix de la tranche horaire de l'entretien est important, il faut notamment faire
attention à la façon dont il s'inscrit dans la séquence des actions quotidiennes des
interviewés. "L'influence de ce moment d'insertion temporelle de l'entretien dans
la quotidienneté s'exerce à travers la contamination du discours par les
représentations et actions précédentes"1.
L’entretien est une intrusion dans la quotidienneté des personnes interviewées. La
date et l'heure d'un entretien doivent être choisies pour maximiser la disponibilité
de l'interviewé.
L'enquêteur se trouve en situation de demandeur, situation qui ne lui permet
guère de poser des exigences quant à la date et l'heure de l'interview.
Selon la position sociale des interviewés, le choix du rendez-vous relève plus de
l’interviewé que de l’interviewer.
L'entretien en début de matinée évite l'influence d'un trop grand nombre
d'événements le précédant, mais l'entretien réalisé au début de l'après-midi a
l'avantage d'être plus décontracté, plus calme dans la mesure où il se situe dans la
continuité de la pause du déjeuner. Il est important de choisir une tranche horaire
assez large dans le cadre d'une journée dont l'emploi du temps n'est pas trop
1
Alain BLANCHET et Anne GOTMAN, op. cit., p. 69
78
surchargé afin que des limites externes à l'entretien ne viennent perturber son
déroulement. On a besoin de temps pour faire un entretien : une heure et demie,
deux heures.
Le lieu
Le statut de demandeur de la rencontre commande au chercheur de réaliser
l'entretien dans l'environnement familier des enquêtés. C’est l’enquêteur qui se
déplace. Chaque lieu communique des significations qui sont susceptibles d'être
mises en acte dans le discours de l'interviewé. Il n'est pas indifférent de réaliser un
entretien dans un cadre professionnel ou dans un cadre plus personnel. La situation
commande des rôles et des conduites spécifiques. La définition du lieu de
l'entretien ne découle pas d'un choix particulier, mais de la logique de la démarche
d'enquête.
Ces éléments doivent faire l’objet d’une observation particulière, ce sont des
éléments qui interviennent dans l’interprétation de l’entretien et son analyse
Exemple : l’entretien dans le milieu professionnel
Le bureau instaure une distance entre les interlocuteurs, il porte les marques du
pouvoir, du statut des individus. Il révèle les goûts d'une personne mais surtout les
habitudes d'une organisation. Généralement, l'interviewé s'inscrit davantage dans
un rôle professionnel facilitant la production d'un discours soutenu et maîtrisé sur
des thèmes opératoires, mais dénués d'éléments personnels, un discours convenu,
chacun des interlocuteurs jouant un rôle.
Les lieux qui encadrent la situation d'entretien ne sont pas innocents. Les
entretiens peuvent se dérouler au domicile des interviewés. L'avantage d'un tel
entretien est la décontraction qui caractérise la communication entre les
interlocuteurs, sa plus grande simplicité.
79
L'interviewé a tendance à produire un discours plus long, peut-être plus sincère
dans la mesure où il ne subit pas de pression professionnelle directe (coups de
téléphone) ; le discours apparaît légèrement moins standardisé et l’observation du
lieu apporte un certain nombre d’informations importantes.
Voir le texte de Stéphane Beaud..
Les positions occupées par les interlocuteurs sont un autre paramètre important de
la situation sociale d'entretien, l'entretien peut se dérouler de part et d'autre d'un
bureau, en face à face, 3/4 face etc. Les places sont essentiellement déterminées
par les lieux et influent sur le type de discours (devant le bureau ou au salon).
Selon les positions des interlocuteurs, une plus grande proximité est favorisée et
par là-même la production d'un discours plus personnel, sincère et naturel.
Attention au vocabulaire employé, choisi en fonction de l’interlocuteur.
La présence du dictaphone : entraîne une certaine réserve. La gestion de la
relation enquêteur/enquêté doit tendre à le faire oublier.
La distribution des acteurs
La distribution des acteurs concerne les caractéristiques physiques et socioéconomiques des interlocuteurs. De nombreuses études ont montré l'influence du
sexe, de l'âge, de la catégorie socioprofessionnelle, de la référence culturelle, etc.
des individus engagés dans la situation d'entretien.
Chacune de ces caractéristiques jouent sur la représentation que l'interviewé se
fait de son rôle dans l'entretien. La similitude d'âge ou de sexe favorise une
proximité entre les interviewés, le discours se fait plus souple, peut-être plus
naturel. Ces similitudes confèrent à la relation interviewer/interviewé une plus
grande égalité. Chacun possède ses propres repères et racines culturelles et
l'interviewer n'en est pas dénué.
Le cadre contractuel de communication
80
Le cadre contractuel est dès les premiers contacts constitué par les représentations
et les croyances mutuelles des interlocuteurs sur les enjeux et les objectifs du
dialogue. Pour instaurer un cadre contractuel initial, l'interviewer est tenu
d'informer l'interviewé sur un certain nombre d'éléments :
✗
l'objectif de l'entretien,
✗
le choix de la personne interviewée,
✗
le mode de prise de contact,
✗
l'enregistrement ou non de l'entretien,
✗
les thèmes abordés et enfin le type d'acte demandé,
Dans la mesure où l'entretien est réalisé à la demande de l'interviewer, ce dernier
est seul habilité à définir les conditions de l'entretien. On doit intégrer l’interviewé
à la recherche.
Le cadre contractuel de communication vise à instaurer un climat de confiance, le
rappel de l'intermédiaire et la présentation de la recherche vont dans ce sens. Il a
aussi pour but de définir le cadre de l'entretien afin de le faire répondre aux
objectifs de la recherche. Ces éléments définissent le rôle des interviewés et
facilitent leur participation. L’enregistrement facilite le recueil des données, il est
important mais il peut être refusé (avoir l’accord de l’interviewé, il est important
de demander à l’interviewé s’il souhaite conserver l’anonymat).
Tous les textes soulignent l’importance du temps, l’attention portée au contexte et
au type d’interlocuteur que l’on sollicite.
Le contexte doit faire l’objet d’une analyse détaillée, l’entretien n’est pas
seulement un acte de parole : tout doit être pris en compte depuis la prise de
contact jusqu’à l’entretien proprement dit, l’environnement a son importance,
tous les bruits hors entretiens, les mimiques de l’interviewé, ses silences, son
attitude. Le travail d’interprétation commence dès le début de l’entretien..
La relation de interviewer/interviewé est essentielle à restituer
81
Importance du milieu social, on doit s’atteler à réduire la distance. L’entretien est
une relation sociale entre personnes différenciées (sexe, milieux sociaux…). Les
enquêtés qui disposent d’un certain pouvoir social vont avoir tendance à imposer le
lieu et l’horaire, ce qui impose des contraintes sur la relation enquêteur/enquêté.
L'écoute
La technique d'écoute est au coeur de la méthodologie de l'entretien. Le discours
produit par l'interviewé n'est pas simplement enregistré, il fait l'objet d'une
première analyse "immédiate" de la part de l'interviewer qui le replace dans le
contexte problématisé de la recherche
A partir de l'écoute, l'enquêteur construit et prépare ses interventions. A travers
une écoute attentive, l'interviewer est également capable de déceler les
sentiments implicites de l'interviewé, il est en mesure d'apprécier si ceux-ci
peuvent être exprimés explicitement sans son intervention.
Or un discours dont on ignore le contexte dans lequel il s'inscrit est difficilement
interprétable. L'écoute permet de saisir les éléments tacites d'un discours,
l'importance des silences et les variations dans le ton employé, autant d'éléments
qui font partie de la situation d'entretien, importance de la gestuelle, du contexte.
Les stratégies d'intervention
Différents types d'intervention existent pour favoriser la production d'un discours :

La relance est une sorte de paraphrase ou de commentaire de l'énoncé
précédent de l'interviewé.

La contradiction est un mode d'intervention qui contraint l'interviewé à
soutenir l'argumentation de son discours. Attention aux effets de fermeture induits
par ce type d’intervention.

Les questions externes sont utiles dans la mesure où elles brisent le silence
propre à l'épuisement d'un thème pour en aborder un nouveau. Elles doivent être
82
claires et précises, elles peuvent prendre une forme interrogative, préférez une
forme moins brutale, par exemple : "j'aimerais que vous me parliez de..." ou
« Comment se passe telle ou telle chose… »
Les relances :
Les relances constituent le mode d'intervention privilégié de l'entretien de
recherche non directif. Elle prennent pour objet les dires antérieurs de
l'interviewé.
Elles ne s'opposent pas aux arguments énoncés mais elles se coulent
✗
dans le discours.
Elles s'inscrivent dans le déroulement des énoncés des interviewés.
✗
Ce sont des actes réactifs.
3 types de relances peuvent être distingués, chacune des relances ayant des effets
spécifiques sur les discours produits :
une réitération, c'est-à-dire que l'interviewer reprend en le répétant
✗
un point de vue énoncé par l'interviewé ;
une déclaration, c'est-à-dire que l'interviewer fait connaître son
✗
point de vue sur le discours de l'interviewé ;
une interrogation, c'est-à-dire que l'interviewer pose une question à
✗
l'interviewé.
Les types de relance de l'interviewer :

L'écho : l'intervention répète ou reformule un ou plusieurs énoncés
référentiels du discours de l'interviewé ;

Le reflet : l'intervention répète ou reformule avec un préfixe modal un ou
plusieurs énoncés du discours de l'interviewé ;

La compréhension : l'intervention vient ajouter un élément d'identification
de la référence à l'énoncé précédent de l'interviewé. Ce sont soit des déductions
partielles, soit des anticipations incertaines ;
83

L'interprétation : elle est la suggestion d'une attitude non explicite de
l'interviewé ;

L'interrogation est la demande d’une précision.
Tout dépend de ce que l’on cherche.
L'utilisation des relances
Ces interventions qui consistent à répéter un contenu déjà exprimé par l'interviewé
manifestent à la fois une confirmation d'écoute et une demande d'explication.
Plus spécifiquement, la réitération écho montre à l'interlocuteur que l'on a bien
entendu et compris ce qui vient d'être dit, mais montre également que l'on tient à
souligner l'importance de certains éléments par rapport à d'autres. Son usage
systématique agace l'interlocuteur et conduit à une interview profondément
artificielle. Par son caractère insistant, l'écho provoque des résistances ou
soumissions.
Privilégiez la réitération reflet plus facile d'utilisation : elle permet de ne pas
briser la linéarité du discours tout en demandant des précisions, des explications
supplémentaires. Les préfixes utilisés, par exemple "vous dites que.." permet
l'obtention d'un discours narratif, il s'agit de raconter des événements. Le préfixe
"vous pensez que..." vise un discours plus informatif, des opinions, des
représentations. Les préfixes soulignent une distance entre ce qui est pensé et ce
qui est dit.
Une telle réitération permet l'obtention d'un discours plus nuancé. Il s'agit
d'essayer d'obtenir un discours authentique, mais un usage systématique du reflet
semblerait mettre en cause indirectement l'assurance de l'interviewé dans la
croyance de ce qui l'énonce et risquerait de limiter son flux de paroles. La
réitération reflet doit être réservée aux moments importants, un usage non abusif
renforce son efficacité.
84
L'effet contrasté des déclarations
Les interventions en forme de déclarations sont une tentative pour aider
l'interviewé à produire un discours plus complet et plus cohérent.
✗
On propose une sorte de reformulation conclusive et généralisante
qui montre que l’on a compris et qui confirme à l'interviewé l'intérêt de ce qu'il
dit.
✗
L'interviewer peut également avancer une déduction incertaine et
hâtive pour que l'interviewé apporte un développement supplémentaire pour
combler la lacune apparente.
Par l'interprétation, il s'agit de rendre explicites des sentiments perçus comme
implicites, il s'agit d'adopter une attitude compréhensive. Il est nécessaire de ne
pas en abuser. Dans le dernier cas, les interprétations peuvent instaurer une
distance entre les interlocuteurs et inciter l'interviewé à se refermer sur lui-même
ou à se soumettre à l’interprétation de l’interviewé.
L'effet perturbateur des interrogations
Une dose massive d'interrogations perturbe le déroulement de l'entretien de
recherche. L'interviewé attend alors de l'interviewer qu'il l'interroge et lui délègue
de fait une part de responsabilité importante de l'énonciation. Il tend à se
maintenir dans une position passive.
Un entretien fondé sur une conduite trop interrogative ressemble rapidement à un
interrogatoire.
Les relances interrogatives propositionnelles (est-il, est-ce que...) tendent à
mettre en question la sincérité du propos tenu par l'interviewé et peuvent
entraîner des effets de résistance voire par réaction une radicalisation des
opinions exprimées.
85
Ces relances doivent être utilisées avec modération car, si elles permettent la
clarification d'un point de détail, elles sont animées par une curiosité qui peut
gêner l'interviewé.
Les relances interrogatives catégorielles (comment, combien...) permettent
d'explorer plus précisément un sous-thème et facilitent la production discursive
dans la mesure où elles sont perçues comme une demande d'informations.
La question "pourquoi" est toujours à éviter. Elle peut également entraîner des
blocages de discours. Au regard de tous ces éléments techniques, l'entretien est un
savant dosage d'interventions et d'écoute.
CONCLUSION
L'entretien nécessite des enquêtés, du temps, et de l’expérience. Face à la
possible similitude des discours, il est préférable d'espacer les rencontres afin
d'éviter une lassitude de l'enquêteur.
Importance du contexte et du type d’interlocuteur que l’on a en face.
L’entretien se prépare pour maîtriser la relation enquêteur/enquêté. L’entretien
n’est pas uniquement un fait de parole. Le corps reflète, précède, accentue ou
accompagne l'expression verbale. Le regard a également son rôle à jouer.
Le contexte est nécessaire pour interpréter l’entretien. L'interviewé lui-même
manifeste une intention en répondant positivement à l'offre d'entretien quand il
l'accepte.
La retranscription :
Elle doit être fidèle : tous les éléments sont importants (silences, hésitations,
etc.). Les retranscription seront placées en annexes. Ne pas substituer des mots,
ne pas transformer l’ordre des questions, toutes les coupures doivent être
signalées. Lorsque vous citez vos entretiens dans vos développements, dans
86
l’interprétation des résultats de votre recherche, vous devez rester fidèles aux
dires des interviewés tout en rendant intelligible son propos à quelqu’un
d’extérieur à la recherche.
Chapitre VII : Les méthodes quantitatives
en sciences sociales:
L'usage du questionnaire, l'objectivation statistique
Le questionnaire nous est familier :

Les sondages politiques ;

Les enquêtes de consommations ;

Les tests de connaissance de soi, etc.
L’enquête par questionnaire est très largement utilisée dans la 2ème moitié du XXème
siècle, elle occupe une place privilégiée dans la vie politique et dans la vie
économique. On peut parler du développement d’une foi dans les chiffres. La
sociologie s’est également convertie aux méthodes quantitatives pour étudier les
phénomènes sociaux.
On peut distinguer :
Les chiffres descriptifs : ceux qui se veulent le plus précis possible car il y a un
enjeu social derrière l’enquête menée :
–
c’est le cas du recensement par exemple, le cas de la mesure de l’audimat ;
–
les sondages publiés dans les journaux : les sondages sont considérés comme
une technologie sociale « visant à faire croire que l’on donne la parole au peuple »
(P. Champagne) notamment sur des sujets sur lesquels on ne le consulte pas.
87
Une majorité doit se dégager de l’enquête : « x % de Français pensent que…. »
mais on ne souligne pas les différences internes au groupe, seulement dans le
commentaire et encore.
Il est fait un usage fréquent du sondage, non pas pour mieux voir la réalité mais
pour créer un effet de consensus, une fiction sociale, celle d’une majorité relative
ou absolue.
Selon P. Bourdieu, on impose une image de consensus en faisant disparaître les
luttes symboliques donc le sondage peut être un instrument d’action politique.
Le chiffre explicatif est celui de l’enquête sociologique par questionnaire : le
chiffre parle de lui-même, l’objectif est de rendre compte d’une activité ou d’une
opinion en dévoilant les facteurs qui influent sur elle. Nous sommes là dans les
chiffres explicatifs. Et l’enquête la plus célèbre demeure sans doute celle de
Durkheim sur le suicide.
Bourdieu (P.), Chamboredon (J.C), Passeron (J.C), nous disent : « La statistique a
eu le mérite d’opposer des faits indiscutables – ou, à tout le moins discutables –
aux « vérités » indiscutées du bon sens ». (Le métier de sociologue).
On part donc du principe que les acteurs sociaux ne connaissent pas les raisons
objectives de leur conduite donc on doit rechercher de l’extérieur ce qui pousse les
individus à agir (l’ensemble des facteurs sociaux qui déterminent leur conduite).
Il y a d’inévitables biais (d’ailleurs Durkheim n’a pas toujours pu les éviter comme
le montre le texte de Dominique Merllié, « La construction statistique »). Merllié
dans « la construction statistique » insiste sur le fait que les statistiques demeurent
des constructions sociales qu’il est important de questionner et de soumettre à
l’analyse sociologique.
Le questionnaire n’a pas pour objectif de décrire dans le détail la conduite des
acteurs sociaux mais « d’expliquer ce que les acteurs font par ce qu’ils sont, et
88
non pas ce qu’ils disent de ce qu’ils font » (Bourdieu et Passeron, Le métier de
sociologue).
I - Questionner

A) Le choix de la méthode.
Avant de choisir une méthode, il faut bien définir les objectifs de l’enquête. C’est
la même chose pour toute technique de recueil de données. L’entretien est un
instrument privilégié pour la compréhension des comportements, on cherche à
reconstruire le sens subjectif, le sens vécu des comportements des acteurs sociaux.
Le questionnaire apporte des explications sur les conduites, sert à saisir le sens
objectif des conduites en les croisant avec des indicateurs des déterminants
sociaux.
La première étape est de bien définir l’objet de l’enquête, on cherche à récolter
des informations : quelles informations et dans quel objectif ? L’enquête par
questionnaire, comme l’enquête par entretien ou par observation participante,
nécessite une bonne délimitation de son objet de recherche, un travail de
problématisation, un travail sur les notions au centre de l’enquête qui permettra
de trouver les bons indicateurs de manière à poser les bonnes questions.
Avant d’élaborer un questionnaire, il faut au préalable :
- Lire ce qui a été écrit sur le sujet : comment cela a-t-il été traité auparavant ?
–
Ecouter les acteurs sociaux : ce qu’ils disent de leurs pratiques d’où l’intérêt
d’une pré-enquête par entretiens (avoir une bonne connaissance sociologique et
une bonne connaissance de l’objet de l’enquête)
89
–
L’élaboration progressive d’une problématique, un questionnement théorique
qui servira à la formulation du questionnaire
L’enquête par questionnaire a pour objectif de mettre à jour les déterminants
sociaux, inconscients des pratiques ou opinions, d’établir des corrélations entre
différents phénomènes ou variables.
Exemple :
Si votre objet d’enquête est la pratique de la religion catholique en France, vous
ne pouvez pas vous contenter de voir si la personne se rend à l’église le dimanche
mais plusieurs dimensions doivent être abordées :
- pratiques religieuses
- croyances
- attitudes à l’égard de l’institution
- activités religieuses, etc...
Il est important de définir les thèmes du questionnaires en fonction des variables
retenues dans l’élaboration de vos hypothèses.
Comme pour toute autre enquête, d’autres facteurs interviennent dans le choix
d’une technique de recueil de données : argent, temps, la nécessité d’être
plusieurs enquêteurs car souvent grand nombre de personnes à interroger, les
sources documentaires dont on dispose concernant la population, l'objet de
l’enquête (indispensables pour établir l’échantillon, on y reviendra) ainsi que les
moyens matériels divers dont on dispose et qui sont nécessaires (ordinateur,
véhicule, mailing, autorisations, etc.)
Le questionnaire en tant qu’instrument de mesure doit être standardisé, c’est-àdire qu’il placera tous les sujets dans la même situation pour permettre des
comparaisons entre groupes de répondants : on ne doit pas en cours de passation
du questionnaire modifier les questions ou ajouter des explications.
90
En même temps, le questionnaire devra répondre aux besoins de l’enquête :
chaque question est là parce qu’elle a une utilité. Ainsi on se demande pour
chacune des questions : pourquoi poser cette question ? A quoi servira t-elle ?
Mais il n’y a pas une manière unique de poser une question. Il existe une grande
variabilité dans la formulation des questions.
B ) Les Questions
1) le type de question
Les questions se distinguent par leur fond et par leur forme.
La forme : Questions ouvertes/questions fermées :
Questions ouvertes : Une question est dite ouverte ou fermée selon que la réponse
à donner est libre ou fixée à l’avance. L’enquêté utilise son propre vocabulaire
pour répondre à la question ouverte. Evidemment il faut éviter de se servir d’une
question ouverte pour des généralités ou des grands problèmes :
Ex : quel est votre avis sur la mondialisation ? Vous allez effrayer l’enquêté.
Ex de question ouverte : Pourriez-vous citer un film français correspondant le
mieux à l’image que vous vous faites de la police ?
Questions fermées : Différentes formes de questions fermées :

une question fermée peut donner le choix entre deux modalités de réponses,
on a alors une question dichotomique, oui/non ;

la question fermée peut proposer un nombre d’éventualités plus important
en matière de réponses : la réponse à une question fermée peut en effet se
présenter sous forme de classement

A l’aide d’échelles de nuances : très satisfait, assez satisfait,
mécontent, très mécontent. Préférence au nombre pair pour éviter
l’attraction de la position centrale.
91
Pour ces questions fermées qui proposent un certain nombre d’éventualités, on
parle alors de question à évaluation notamment pour des questions d’opinions. On
parle plutôt de questions à éventail pour les questions de comportement.
La réponse peut également s’effectuer sous la forme du choix d’un échelon sur une
échelle numérique, en donnant une note de 0 à 20, de 0 à 10, voir ce que dit
Bourdieu, sur ce point, dans « L’opinion publique n’existe pas », pp. 226-227
Une même information peut être demandée sous forme de question ouverte ou
fermée
Ex : Quel est votre âge ? ou à quelle tranche d’âge appartenez vous ? Moins de 20
ans/entre 20 et 30, etc.
Quand il s’agit de questions sur les opinions ou les comportements, les informations
recueillies peuvent être fort différentes selon la forme de la question.
Avantages et limites des questions ouvertes : le sujet est libre, il peut préciser
son propos, le nuancer. Les questions ouvertes donnent en général des informations
riches et diversifiées en particulier pour étudier les représentations. On recueille la
façon dont les individus perçoivent le monde social, cela n’est pas imposé par
diverses modalités de réponses. Elles renseignent sur le niveau d’information des
répondants et leur compréhension des questions. Mais les personnes ont souvent du
mal à répondre. Et l’analyse de ces questions est lourde, les informations
recueillies peuvent être dispersées.
Avantages et limites des questions plus fermées : le sujet peut nuancer sa
réponse tout en disposant de points de repères pour formuler ses réponses. Cela
facilite l’exploitation du questionnaire. Mais influence des questions proposées (il
n’y aurait pas pensé spontanément) et si la liste est trop longue, son choix
s’effectue dans les premières réponses (dans le cas d’un questionnaire à l’écrit) ou
les dernières (dans le cas d’un questionnaire à l’oral). Donc possibilité d’écrire les
réponses sur une fiche et les présenter ou modifier l’ordre pour que les
inconvénients se compensent.
92
Remarques :
Exhaustivité : des catégories de réponses exhaustives et mutuellement exclusives :
toutes les possibilités de réponse doivent figurer dans le questionnaire..
Le faux intérêt de l’item « autres » : dont on espère qu’elle va élargir le champ
de réponses, mais les questions semi-ouvertes n’ont pas l’intérêt des questions
ouvertes : seule une fraction des sujets interrogés utilisent ce moyen d’expression
et elles ne permettent plus de faire des comparaisons entre les répondants car tous
ne sont alors pas dans la même situation : certains l’utilisent, d’autres pas,
certains en l’utilisant en font une question ouverte, les autres en l’ignorant en font
une question fermée.
Si on veut élargir, mieux vaut introduire une question ouverte à la suite de la
question fermée, Ex : Voyez vous quelque chose à ajouter à cette liste ?
L’item « autre » a son utilité dans certains cas limités pour éviter d’avoir à prévoir
tous les types d’habitation par exemple pour ne pas trop allonger le questionnaire.
Questions directes et indirectes :
Questions directes : utiles pour obtenir immédiatement les informations
recherchées mais si on craint que la réponse ne soit pas sincère on préférera une
question indirecte dont la réponse fournira l’indice d’une opinion ou d’un fait, d’un
comportement (qui ne serait pas révélé autrement).
Ex : question des revenus : on demande si voiture, maison secondaire….
Donc on s’intéresse au niveau de vie pour en déduire le revenu
Ou encore sur certains thèmes, on demande si l’entourage est concerné par telle
opinion ou comportement et non l’enquêté lui même directement
Ex : avez vous des amis qui se droguent plutôt que vous droguez vous ?
Ou on transfert l’enquête sur une tierce personne, une personne imaginaire
Ex : Que ferait Monsieur Dupont, selon vous par exemple dans telle situation ?
Ou on peut utiliser le principe de l’association de mots
93
Ou encore des phrases à compléter
Ou on peut utiliser un support visuel
Ou enfin le questionnaire écrit peut être agrémenté d’éléments de BD, dessins
humoristiques, etc.
Mais le risque des questions indirectes réside dans le fait qu’il faut interpréter
davantage les réponses.
Le fond
Les questions de comportement : que font-ils ?
Ces
questions
décrivent
les
pratiques
des
répondants.
On
distingue
traditionnellement les comportement non-gênants et les comportements gênants
Les comportements non gênants : ce sont les questions qui entraînent peu de
réticence à répondre, comportement au travail, pendant les loisirs, les pratiques
en matière de consommation, etc. Mais la limite entre comportements gênants et
non gênants n’est pas toujours très claire, très nette.
On peut alors poser des questions spécifiques : pour connaître les comportements
non gênants, il est nécessaire de poser des questions ciblées.
Les comportements gênants : un comportement est gênant quand une réponse est
socialement désirable ou socialement indésirable. Là intervient le biais de
désirabilité sociale : certains comportements vont donner lieu à une surestimation
: être un bon citoyen, être une personne cultivée, avoir été bon élève, etc.
Les comportements indésirables ont tendance à être sous estimés : certaines
maladies, les comportements hors normes (violation des règles de conduite sur les
routes, consommation d’alcool, etc.). Le répondant est alors sur la défensive
quand des questions tendent à nuire à l’image qu’il veut donner. Des questions
brutales ou indiscrètes peuvent entraîner un repli sur soi du répondant. Il faut donc
94
prendre un certain nombre de précautions. Il faut lutter contre la tendance à la
désirabilité sociale : on s’arrange pour introduire dans la question quelque chose
qui rende acceptable n’importe quelle réponse.
Ex : on ne dit pas : avez vous déjà conduit en état d’ébriété ? Mais : Quand avez
vous conduit pour la dernière fois en état d’ébriété ? Il faut que le répondant se
sente déculpabilisé.
On peut éviter une réponse trop attractive en insistant sur les réactions
habituelles.
Ex : concernant l’abstentionnisme, dans telle élection : la moitié des électeurs n’a
pas voté, etc.
On peut minimiser le caractère exceptionnel d’un comportement
La frontière est parfois floue entre faire parler et influencer les réponses. Il faut
prévoir l’usage d’un vocabulaire familier, un large éventail de réponses pour les
questions fermées et pour les questions ouvertes une certaine longueur de l’énoncé
de la question.
D’une façon générale les questions de comportement sont difficiles à poser. Les
réponses risquent de révéler davantage la représentation que l’enquêté se fait du
comportement acceptable pour lui, plutôt que son comportement réel.
Questions d’opinion : que pensent-ils ?
Questions portant sur les manières de juger ou de penser (croyances, opinions,
attitudes, satisfaction, préférences, motivations), bien accueillies par les
répondants : « on me demande mon avis ». Les questions dichotomiques sont à
éviter.
Les échelles de nuances sont très utilisées : très intéressant/intéressant/assez peu
intéressant/pas du tout intéressant ou sur une échelle numérique, on parle de
questions à évaluation.
95
Choisir des termes parmi une liste est rébarbatif, mieux vaut différentes petites
questions. On évite les positions médianes, refuge des indécis, item : ni d’accord ni
pas d’accord. L’item « sans opinion » : l’inclure évite de se dire que tout le monde
a une opinion. Mieux vaut demander s’ils ont une opinion sur la question avant de
la poser.
Si on pose des questions fermées, nécessité d’une réflexion préalable sur l’attitude
éventuelle des interrogés lors de la rédaction des questions :
–
aptitude à s’exprimer,
–
niveau d’information sur le sujet de l’enquête,
–
valeurs dominantes et tabous du groupe d’appartenance…
Questions d’intention ou d’anticipation : quels projets ont-ils ?
Ce type de question ne permet pas de fonder des prévisions valides, c’est une
surestimation généralement. Il vaut mieux analyser la situation présente et voir si
des besoins sont exprimés.
Ex : sondages préélectoraux représentent ce type d’enquête, mais une intention
n’est pas un acte, les résultats sont donc très incertains, ces sondages
s’apparentent finalement à des sondages d’opinion.
Questions de connaissance : que savent ils ?
Elles doivent être adaptées aux enquêtés mais il peut y avoir une gêne. Il faut
intégrer l’item, je ne sais pas. Ce sont des questions délicates.
Questions signalétiques : qui sont-ils ?
Il s’agit de décrire les répondants : habituellement à la fin du questionnaire car
grand intérêt pour l’analyse mais peu d’intérêt pour le répondant. Obligation de
justifier la présence de telles questions :
96
Ex : « Pour analyser les résultats de l’enquête, je vais vous poser des questions
supplémentaires ». Elles peuvent également figurer au début du questionnaire
comme introduction ou encore au milieu pour introduire un thème.

Sexe et âge : pas de difficultés

Age généralement de cinq en cinq

Niveau social : profession niveau d’instruction, revenu. La référence est
celle de l’INSEE

Instruction : âge de fin d’étude ou diplôme, attention à ceux qui poursuivent
leurs études

Revenu : question sensible : elle touche des renseignements d’ordre privé.
Sous forme ouvertes, non réponses. Mieux vaut une question fermée, les
limites des catégories doivent être définies avec soin, précisez si revenu par
mois, par an, etc. Il vaut mieux que le répondant n’ait pas à répondre
oralement par un chiffre : on présente une liste de catégories auxquelles
correspondent une lettre, le répondant donne la lettre. On peut se servir
d’indicateurs de niveau de vie.

On peut rajouter d’autres caractéristiques selon les besoins de l’enquête, la
situation familiale, l’habitat, etc.
La profession est une variable intéressante du fait qu’elle est souvent un indicateur
de statut et de milieu social. En France la généralisation de l’usage du code des
« catégories socio-professionnelles de l’INSEE comporte à la fois un avantage et un
inconvénient :

Avantage : le recours aux mêmes catégories permet la comparaison

Inconvénient : ce vocabulaire commun peut cependant masquer des usages
et constructions différentes et variées
2) la rédaction des questions
La rédaction des questions peut avoir une grande influence sur les réponses
recueillies, sur la validité des réponses et leur précision.
97
2 objectifs :
-
obtenir des informations précises ;
-
le contenu des réponses ne doit pas être influencé par la question
donc quelques règles à respecter dans la rédaction et l’organisation du
questionnaire.
a ) La précision des questions
But : obtenir des réponses correspondant exactement à l’information que l’on
cherche à obtenir et traduisant fidèlement ce que le sujet veut exprimer.
Règle fondamentale : Les réponses doivent être comprises de la même façon par
toutes les personnes interrogées.

Un niveau conceptuel adapté et concret : pour chaque question on se demande
si le sujet est capable d’y répondre, si la question est suffisamment concrète et
précise :

du bon usage des filtres : si une personne n’est pas concernée par une situation,
ne pas poser la question. Ex : avez vous des enfants ? plutôt que quel est l’âge
de vos enfants ;

Le vocabulaire : pour chaque mot on se demandera s’il n'a pas d’autres sens,
s’il ne peut pas être confondu avec un autre mot, si on peut être plus clair, plus
précis. Le vocabulaire doit être familier, l’enquêteur doit s’exprimer dans un
langage naturel et simple, pas de langage spécialiste ou de jargon particulier.
Ex : suffisamment devient assez, attitude devient opinion, majeur devient
principal, catégorie socio-professionnelle devient métier, etc.
Il convient d’éviter les équivoques : attention aux usages régionaux de certains
mots, certains mots peuvent avoir un sens différent selon le groupe social
auquel on s’adresse.

Il convient de simplifier les tournures grammaticales

Il convient de préciser les questions
98

Ex : Dans quelle ville êtes vous né ? plutôt que où êtes vous né ? qui
peut amener comme réponse une ville, un pays, etc.

Il convient d’émettre une seule idée par question.
b ) La neutralité des questions
Ne pas inciter les sujets à donner une réponse plutôt qu’une autre. Toutes les
réponses doivent être psychologiquement possibles : la formulation de la question
ne doit pas laisser supposer que l’enquêteur attend une réponse plutôt qu’une
autre. Il faut tenir compte de la tendance à l’acquiescement : c’est-à-dire prendre
en considération « l’inclination conservatrice » : on préfère dire oui à ce qui existe
plutôt qu’à ce qui implique un changement. La question doit systématiquement
proposer une alternative.
Ex : Etes-vous d’accord ou non ? (et non pas Etes-vous d’accord ?).
Il convient d’éviter les questions tendancieuses, c’est à dire, les questions avec un
contenu émotionnel fort et les formulations suggestives et éviter les questions trop
générales
Ex : Il ne faut pas introduire de jugements de valeur :que pensez-vous de la
position courageuse de tel ministre sur … ?
Il ne faut pas utiliser de formes interro-négatives : « Ne pensez-vous pas que … ? »
Précaution dans l’emploi du vocabulaire : mots connotés positivement ou
négativement
Ex : « ne pas autoriser » et « interdire » ne sont pas équivalents par exemple : la
question doit comprendre les deux termes dans la question, ce qui donne
« autoriser ou interdire » ?
Mots idéologiquement chargés ce qui peut provoquer des réactions spontanées de
rejet ou d’approbation.
Ex : certains termes comme liberté, paix… ont une influence attractive.
99
La référence à des personnalités peut poser problème : lorsqu’on cite une
personne, cela peut orienter le sens de la réponse.
Voir le texte de Cayrol, Les sondages : mode d’emploi, pp. 55-76
C) L’économie globale du questionnaire
Nombre total de questions ne doit pas être trop élevé sinon lassitude (réponses
moins faciles et moins exactes aux dernières questions). Environ 30 (1/2 h
d’entretien).
Mais cela dépend de la nature du questionnaire : plus grand nombre si les questions
sont faciles, mais réduction si effort de réflexion demandé et tout dépend de la
situation
5 minutes dans la rue, c’est acceptable, 20 minutes/30 minutes au domicile, deux
pages par la poste, etc.
Le nombre de questions varie également en fonction de la diversité des questions,
du milieu, de la compétence de l’enquêteur.
Le questionnaire doit dégager une impression d’harmonie : l’ordre des questions
doit apparaître logique : on abandonne l’ordre des thèmes et des hypothèses du
projet de recherche, le questionnaire doit apparaître naturel dans son
déroulement.
Prévoir des transitions ou des titres pour passer d’un thème à un autre
La première question brise glace : question un peu générale, mais claire, simple,
intéressante
Dosage des difficultés : du général au particulier, du simple au complexe, questions
difficiles ou gênantes n’apparaissent pas au début, parfois des questions détente
sans intérêt pour la recherche sont intégrées.
100
Attention à l’effet de halo ou phénomène de contagion : les réponses à une
question peuvent être influencées par une réponse à une question précédente,
donc on espace les questions sensibles et difficiles.
D) Le test du questionnaire
On peut demander à des experts de relire le questionnaire pour corriger, mais cela
ne suffit en aucune façon. Un questionnaire avant d’être administré subit plusieurs
ébauches et correctifs avant d’arrêter le questionnaire définitif. Il faut l’appliquer
à un pré-échantillon sur un petit nombre de personnes pour vérifier sa fidélité et sa
validité.
La fidélité : on fait poser les mêmes questions par des enquêteurs différents aux
mêmes sujets (après un certain intervalle de temps) pour voir si les réponses sont
les mêmes. Cela permet d’apprécier le degré d’insensibilité à l’influence de
l’enquêteur et des conditions de collecte.
La validité : technique du test préliminaire : petit échantillon puis entretien
approfondi des mêmes personnes pour connaître la réalité de leurs opinions et de
leurs comportements pour vérifier si leurs réponses au questionnaire ont bien
traduit cette réalité.
Les enseignements du test : les questions sont elles comprises ? Lesquelles posent
une gêne ? Les problèmes de vocabulaire ? Les listes établies sont-elles pertinentes
et exhaustives ?.
II - Echantillonner
101
Si l’enquête peut être réalisée auprès de l’ensemble de la population concernée, le
problème de l’échantillon ne se pose pas, mais c’est souvent trop long et coûteux
donc on procède par échantillonnage : on sonde une partie de l’ensemble.
Population parente et critères d’inclusion

La population parente est l’ensemble des éléments sur lequel porte l’enquête. La
population est définie par les caractéristiques des individus qui les rendent aptes à
participer à l’enquête.
Ex : Etre mère de famille, retraité
Le choix de la population se détermine en fonction de l’objet de l’enquête. Mais
les critères s’ils ne s’imposent pas d’eux mêmes doivent être explicités, face à un
individu, on doit immédiatement savoir s’il est concerné par l’enquête ou non.
Le sondage
Sonder ou échantillonner c’est choisir une partie (l’échantillon) pour représenter le
tout (la population parente). On extrapole ensuite sans difficulté quand la
population à sonder est homogène.
Mais
on
ne
généralise
pas
n’importe
comment,
l’échantillon
doit
être
représentatif : la taille importe et il y a des techniques de constitution des
échantillons à respecter pour pouvoir extrapoler.
Les techniques des échantillons représentatifs
1. Les échantillons probabilistes ou aléatoires
Le hasard intervient dans la désignation des personnes à interroger. Hasard ne veut
pas dire n’importe comment. Cela signifie que tous les individus de la population
ont une probabilité connue de faire partie de l’échantillon. « Tous les membres de
la population de référence ont une chance égale d’être inclus dans l’échantillon ».
Tirage simple
102
On fait une liste exhaustive de tous les individus sur la base de fichiers ou
annuaires existants en s’assurant qu’ils sont complets et récents. Les éléments sont
numérotées de 1 à N puis le tirage de n numéros est réalisé. Ensuite il faut
interroger les personnes tirées au sort.
Tirage systématique
Si la liste est très longue, on prend une unité à intervalle régulier, par exemple :
un nom tous les 50 noms, cela dépend du nombre de personnes, si on veut un
échantillon de 200 personnes sur une population parente de 5000 personnes, on
calcule le taux de sondages, une personne tous les 25 noms après avoir choisi au
hasard le point de départ.
Tirage aléatoire après stratification
Un échantillon stratifié est un échantillon dressé à partir d’une population parente
divisée en sous populations, c’est à dire des strates. Il y a autant de sous
échantillons que de sous populations. Le critère de stratification est bien sûr en
relation avec l’objet d’étude.
Tirage par grappe
L’unité de sondage n’est plus un élément mais un groupe d’éléments ayant entre
eux un lien naturel, tous les habitants d’une même commune, les élèves d’une
même école. La base de sondages est alors la liste des groupes.
2. Les sondages empiriques
Par quotas
Construire un échantillon qui ressemble à la population parente à partir
d’informations statistiques sur cette même population.
103
« Il s’agit de reproduire en miniature, dans l’échantillon, des caractéristiques
connues de la population à étudier » (Cayrol, p. 52).
Ex : s’il y a dans la population de référence 48 % d’hommes, l’enquêteur devra
interroger 48 hommes sur les 100 personnes interrogées. Les quotas peuvent être
contraignants quand ils sont croisés, ex : une femme institutrice entre 35 et 40 ans
habitant dans une commune de moins de 10 000 habitants.
Echantillons où le hasard est reconstitué
La méthode des itinéraires pour le porte à porte : à partir d’un point de départ
choisi au hasard sur une carte, l’enquêteur se déplace en suivant un parcours
précis.
Le tirage aléatoire des numéros de téléphone
Echantillonnage par intervalles : on interroge une personne sur 10 passants ou sur
20 par exemple.
3. Les échantillons non représentatifs
On choisit des individus dit typiques : on choisit d’enquêter dans des quartiers en
fonction de certains critères : la composition sociale, l’habitat, etc. La justification
de cette méthode n’est pas statistique mais sociologique.
La méthode boule de neige : adapté à certaines personnes ayant des
caractéristiques rares, on demande à la première d’en indiquer une autre, etc.
L’échantillon de volontaires : sur la place d’une église ou par voie postale : peu
crédible car on interroge que ceux qui veulent bien répondre on a donc un certain
type de répondants. Ces résultats ne sauraient être extrapolés à la population
parente.
L’échantillon dans le cadre d’une enquête par entretien est choisi de façon
raisonné, il n’est donc pas représentatif.
Remarques :
104
Dans l’échantillonnage la notion de certitude n’existe pas. Même si l’échantillon a
été obtenu avec une méthode sérieuse, les résultats de l’enquête ramenés à des
pourcentages ont une marge d’erreur liée au fait qu’on interroge une fraction de la
population. Avec une méthode d’échantillonnage probabiliste, on peut calculer la
précision de ces observations ou résultats : elle est donnée par un intervalle de
confiance, une fourchette dans laquelle la véritable valeur (qu’on pourrait
connaître si on interrogeait tout le monde) a de fortes chances de se trouver, mais
pas 100% de chances de s’y trouver.
Par exemple imaginons que sur un échantillon de 1000 personnes interrogées :
-
50 % ont répondu oui à une question X : le résultat n’est pas 50%, mais on est
sûr à 95 % qu’il se situe entre 47 et 53 % et sûr à 99,7 % qu’il se situe entre 45
et 55 %.
-
Plus on garantit le résultat, plus l’intervalle grandit et plus on s’éloigne du
résultat de l’enquête. Il faut tenir compte d’une marge d’erreur de 3 % pour un
échantillon de 1000 personnes, mais en plus de cette incertitude, on en ajoute
une autre puisqu’on n’est sûr qu’à 95 % de cet intervalle. Il existe des tables et
des formules permettant de calculer un intervalle de confiance à 90 %, 95 %, 99,
7 %. L’intervalle de confiance le plus répandu est 95 % parce que la fourchette
obtenue ne s’éloigne pas trop du résultat obtenu de l’enquête (les 50 % dans
notre exemple) avec une garantie raisonnable, mais il reste toujours 5 % de
risque que le chiffre réel (si on avait interrogé toute la population de référence)
se trouve en dehors de cet intervalle indicatif.
On ne peut pas établir un intervalle de confiance quand on procède par quotas
pour constituer l’échantillon, le calcul de précision par la détermination d’un
intervalle de confiance s’applique exclusivement à un échantillonnage probabiliste
au hasard simple.
Indiquer l’erreur possible est un élément important. Plus l’échantillon est grand
plus, l’intervalle de confiance, la fourchette diminue. Pour réduire de moitié la
marge d’erreur ou l’intervalle de confiance d’un sondage, c'est-à-dire la fourchette
105
dans laquelle se situera le résultat de l’enquête, il faut multiplier par 4 la taille de
l’échantillon. Pour un échantillon de 100 personnes la marge d’erreur à 95 % est de
10 % et si l’on veut encore réduire de moitié la marge d’erreur on interrogera 400
personnes, ce qui porte la marge d’erreur à 5 % toujours garanti à 95 % et ainsi de
suite, 1600 personnes pour une marge d’erreur à 2,5 %.garantie à 95 %.
Généralement, les sondages probabilistes utilisent un échantillon de 1000 à 1500
personnes avec une marge d’erreur à 2 % garantie à 95 %.
Voir sur ce point précis le texte de Cayrol, pp. 48-49
C’est toute la rigueur et toute la difficulté de l’échantillonnage aléatoire. La taille
de l’échantillon par quotas va généralement de 100 à 1000 enquêtés.
Autre élément : le problème des non réponses : pour cause d’absence, de
déménagement, etc. Bien sûr il faut avoir le taux de non réponses le plus faible et
le mentionner.
Evaluation des différents modes d’échantillonnage :
La validité des échantillons probabilistes dépend surtout du caractère aléatoire du
tirage au sort : elle peut être compromise si le tirage au sort se fait sur des listes
inexactes et incomplètes et le tirage au sort n’est pas forcément rigoureux si la
population parente est trop hétérogène. C’est le procédé le plus scientifique et le
plus coûteux, c’est le procédé le plus utilisé dans pays anglo-saxons.
Dans la technique des quotas, les risques d’erreur se situent à 3 niveaux :

l’échantillon est construit sur la base de renseignements inexacts ou
incomplets

le choix des catégories retenues n’est pas pertinent par rapport à l’objet de
l’enquête

biais introduits par les enquêteurs dans le choix des individus
Pas de grandes différences entre les résultats obtenus par les 2 procédés.

Administrer le questionnaire : La collecte des données
106
Le questionnement peut être guidé et géré par un ordinateur. La saisie est
immédiate, le filtrage est automatique.
L’enquête en face à face : considérée comme la meilleure technique.
Le pourcentage de non réponses est moindre :

l’enquêteur peut éclairer le répondant

limite le risque de contamination entre les questions (pas de connaissance
de l’ensemble du questionnaire)

mais plus grande influence de l’enquêteur et l’enquêté est plus sensible aux
effets de la désirabilité sociale.
Il est de plus en plus difficile d’accéder aux domiciles : digicodes, etc.
D’où le développement des enquêtes par téléphone
Procédés directs : le sujet prend connaissance des questions, il transcrit
directement les réponses sur un bulletin réponse. Pas d’intervention d’un tiers,
mais auto-administration du questionnaire.
Dans le cas d’une auto-administration, le retour des réponses peut s’effectuer par
voie postale : simplicité, économie, anonymat et délai de réflexion, mais lenteur
des réponses, pourcentage élevé de non réponses, risque de contamination des
réponses, pas de garantie sur l’identité du répondant effectif.
Les réponses peuvent être déposées : le questionnaire est déposé dans un lieu
précis. Cela diminue le nombre de non-réponses.
Ou les réponses sont collectées par l’enquêteur après un court délai : le collecteur
après avoir déposé le questionnaire revient les chercher. Cela diminue les risques
de lenteur et de non-réponses
La collecte des réponses peut être groupée : il faut que tous les sujets puissent
être rassemblés en groupe, le questionnaire est auto-administré mais posé à un
groupe au même moment, on gagne du temps mais impression d’examen, ressenti
comme une contrainte et risque de contamination car lecture du questionnaire
dans son ensemble.
B) Le dépouillement et l’analyse des réponses
107
Il s’agit dans ce qui suit de vous expliquer la logique du codage et de
dépouillement.
Des questions aux variables :
Les indicateurs ont été traduits en question : au moment de l’analyse, chaque
question devient une variable. On parle de variable car la question est susceptible
de prendre différentes valeurs : le niveau d’accord, la profession, le sexe, etc. on
appelle ces différentes valeurs des modalités. Une variable est définie par
l’ensemble de ses modalités qui sont finalement les différentes réponses à la
question qui est la variable.
Donc pour simplifier :

ce que l’on appelle la variable, c’est la question ;

ce que l’on appelle les modalités ce sont les différentes réponses.
Le codage
Pour les variables quantitatives le code de la réponse est le chiffre donné
Ex : 45 pour l’âge
Pour les variables qualitatives : un chiffre est assigné à chaque réponse
On résume chaque question et on inscrit le code correspondant à la réponse.
Pour les questions fermées le codage est prévu à l’avance et figure sur le
questionnaire, pour les questions ouvertes on code en dépouillant les réponses,
c’est plus long.
L’analyse
Décrire les variables : le tri à plat
Première étape : description simple de l’information, c’est en gros le calcul en
pourcentages des modalités de réponses pour chaque question, c’est à dire pour
chaque variable. On fait donc un tableau par question.
108
On regroupe les questions par thème dans l’analyse, on ne suit pas l’ordre du
questionnaire. On compare à d’autres enquêtes. Et éventuellement on peut
recoder, c’est à dire qu’on refait une catégorie en regroupant différentes
modalités de réponse
Comprendre les réponses : les tableaux croisés :
On croise deux variables :
Ex : la variable à expliquer est l’opinion sur le fonctionnement de la police, on
parle de variable dépendante, le facteur explicatif est le niveau d’études, on parle
de variable indépendante.
On croise l’opinion sur le fonctionnement de la police avec le niveau d’étude par
exemple : verticale du tableau : les réponses à la première question, plutôt mal,
plutôt bien et total à la fin et en horizontale le nombre de bac + 1, + 2 etc, et total
à la fin combien de Bac +1, pensent plutôt mal, etc. Pour comparer on ramène les
résultats du tableau en pourcentages.
tableau : horizontal bac +1, verticale, tout à fait d’accord, et pourcentages, sur le
total de bac +1, on calcule le pourcentage de plutôt d’accord, etc.
ce qui donne :
bac+1
Bac+2
etc.
total
plutôt mal 137
527
plutôt bien
total
235
Ensuite on explique ces liens grâce à nos connaissances sociologiques et on pousse
plus loin l’analyse
Contrôler les relations : analyse multivariée
On introduit davantage de variables explicatives, il est possible que ces deux
variables soient influencées par une troisième, il faut donc montrer que cette
109
variation n’est pas due à une autre variable, on introduit progressivement de
nouvelles variables aux deux précédentes pour examiner leurs effets, c’est ce que
l’on appelle les variables test, par exemple l’origine sociale, la relation
initialement constatée peut s’effacer au profit d’une nouvelle relation entre de
nouvelles variables. Bien souvent les hypothèses sont invalidées, ce n’est pas
qu’elles sont fausses, c’est qu’elles sont trop simples ou partielles faute d’un
travail approfondi en amont de la recherche. C’est pourquoi il faut un long travail
exploratoire avant de procéder à l’enquête.
Le compte-rendu de l’enquête par questionnaire
On
rappelle
l’objet
de
l’enquête :
construction,
définition,
hypothèses,
échantillon, logique du questionnaire.
Les résultats : Dépasser la description, analyser de manière approfondie, tableaux
et leurs analyses
Annexes : questionnaires, tableaux plus descriptifs
L’enquête par questionnaire permet de découvrir le monde social avec un regard
différent par le croisement de faits qui sont moins ou pas visibles autrement.
La publication des réponses
La publication tend à poser un problème car elle révèle une situation existante
mais elle peut transformer cette situation, notamment dans les enquêtes
politiques.
 Aspect sociologique de la publication des résultats
Quel effet peut avoir la publication des résultats d’un sondage sur l’état de
l’opinion ?.
110
La thèse de l’effet majoritaire : la publication d’un sondage tendrait à renforcer le
courant majoritaire. Pour certains, cela n’est valable que lorsque l’écart entre
l’opinion majoritaire et l’opinion minoritaire est important.
La thèse de l’effet minoritaire : la publication des résultats d’un sondage tendrait
à faire remonter le chiffre de l’opinion qui apparaît minoritaire dans les résultats
du sondage :

élection : la publication provoquerait une démobilisation des partisans de
l’opinion majoritaire et une mobilisation de l’opinion minoritaire

critique : deux catégories de personnes :

faible intérêt pour la politique donc porte peu d’intérêt pour les
sondages donc influence faible

intérêt pour la politique : attention aux résultats mais comportement
enraciné
D’une foi dans les chiffres en raison de leur apparente scientificité, on est
aujourd’hui plus prudent quant à l’utilisation des données chiffrées, statistiques ou
enquêtes. Je vous renvoie au texte de Merllié, « La construction statistique » qui
rappelle que les statistiques sont une construction sociale qu’il convient d’analyser
et de critiquer. Il montre tous les biais de l’analyse de Durkheim en raison des
documents statistiques utilisés très critiquables, il faut connaître les modalités
d’enregistrement des statistiques effectuées.
Les résultats sont fonction de la forme du questionnement et de la définition des
notions introduites dans l’enquête.
Je vous renvoie également au texte de Boltanski, Les cadres, pour une analyse
approfondie de l’effet de catégorisation induite par l’analyse chiffrée.
2) Aspect politique de la publication des résultats
Notamment sur la publication des sondages préélectoraux :

fausse le déroulement des campagnes électorales donc certains demandent une
réglementation mais : principe de la liberté de l’information et les effets de la
publication des résultats des sondages sont scientifiquement hypothétiques.
111

1974 : présidentielles : question de l’influence réelle des sondages sur la
défaite de Chaban-Delmas face à VGE, décision du CC le 24 mai 1974 : il faut éviter
que le choix soit influencé par une appréciation qui peut être erronée sur les
chances des candidats donc 2 problèmes : la publication des sondages et la
garantie quant à leur validité scientifique

loi du 19 juillet 1977 : s’efforce de garantir la validité scientifique des
sondages par l’obligation de publier des informations techniques (nom organisme,
commanditaire du sondage, date, taille échantillon) et mise en place d’une
« commission des sondages » : dépôt d’une fiche avec objet, technique utilisée,
conditions des entretiens, texte des questions, limites d’interprétation.
Chapitre VIII : L’enquête (4)
L’étude des traces : archives et analyse de discours
Il faut savoir qu’il n’y a pas un mode d’emploi type en matière d’analyse de
contenu, mais plutôt une multiplicité de techniques élaborées empiriquement en
fonction de l’objet de la recherche et du support soumis à l’analyse.
Qu’est-ce que l’analyse de contenu ? A quoi sert-elle ? Comment procède-t-on
pratiquement ?
On peut commencer par dire que l’analyse de contenu c’est l’analyse des
communications qu’il s’agisse de :

communications orales : discours, entretiens

communications écrites : textes officiels, presse, …

communications visuelles : images, peinture, télévision, cinéma….
L’analyse de discours s’applique donc à des documents divers qui peuvent être ou
non établis par le chercheur.
112
I – Les documents écrits
A – Les archives publiques
Qu’il s’agisse d’archives centrales ou locales (départementales, communales), elles
constituent une mine de renseignement mais elles présentent pour le chercheur un
grand nombre de difficultés. Beaucoup de documents ne sont conservés que
quelques années et d’autres sont détruits accidentellement. Tous les ministères ne
se soumettent pas à la loi qui les oblige au-delà d’un certain délai à remettre leurs
documents aux archives nationales. Le délai en France est de 50 ans. Des
autorisations peuvent être exceptionnellement accordées par certains ministères.
B – Publications parlementaires et administratives

Journal
Officiel,
des
débats
parlementaires,
rapports
parlementaires,
délibérations des conseils généraux, municipaux, bulletins des ministères,
annuaires administratifs….
C – Les statistiques
Ce sont les statistiques de l’Insee, Ined ou des différents ministères, le ministère
du travail pour les chiffres du chômage par exemple, le ministère de l’intérieur
pour les chiffres de la délinquance….
Plusieurs grands travaux de recherche en sociologie ont choisi les statistiques
comme support d’analyse.
Ex : enquête de Durkheim sur le suicide.
Ex : c’est d’après les statistiques de l’Education Nationale que Bourdieu et
Passeron ont démontré les limites de la démocratisation de l’enseignement.
Ex : texte de Boltanski sur les cadres.
Problème de la validité des statistiques : erreur de négligence (certaines personnes
décédées sont encore sur les listes électorales).
113
D – La presse
On peut concevoir de nombreux types de recherche :

Une analyse de contenu indiquant la place que les journaux accordent à la
politique interne, internationale, aux faits divers, aux nouvelles locales, au sport
et à la publicité.


Recherche sur l’influence des journaux sur un comportement, l’influence d’un
journal sur le plan local (La dépêche du midi), on peut étudier l’interaction entre
le producteur du journal et ses lecteurs

Etude comparative sur la façon dont certains faits sont présentés dans
différents journaux et étudier les journaux comme organe d’expression de tel ou
tel parti politique. Analyser la référence à un groupe social à travers le journal…
Donc l’étude de la presse revêt 2 aspects :

Analyse de la presse en tant que reflet des tendances et des divers secteurs
d’une époque et analyse de la presse comme source d’informations.
E – La publicité
On peut étudier la publicité en elle-même, ce qu’elle signifie, on peut étudier la
part du budget d’une entreprise consacrée à la publicité, les relations entre
journaux et firmes publicitaires, l’influence de la publicité, la forme qu’elle revêt,
les thèmes utilisés, étudier comme en matière de propagande politique les
mécanismes psychologiques de persuasion.
F – Autres documents
Annuaires et bottins : les annuaires des administrations permettent de trouver des
détails sur certaines personnalités, d’étudier la composition et l’origine des grands
corps de l’Etat par exemple.
114
Œuvres littéraires
Documents privés
Archives
privées :
documentation
des
organisations
politiques,
religieuses,
associatives, mais difficulté d’accès.
Documents personnels : correspondances, journaux intimes, biographie…

L’étude des documents personnels pose problème : question de l'authenticité du
document, sincérité, influences diverses subies lors de l’écriture… Le chercheur
sans formation historique ne peut pas replacer le document dans son contexte
quand il s’agit d’un document ancien.

Controverse concernant la méthode d’analyse des documents personnels : porte
sur leur intérêt pour comprendre le présent et même prévoir l’avenir,
préoccupation au cœur des sciences sociales.
Le récit écrit permet de pallier certains problèmes liés à la présence de
l’enquêteur dans la situation d’entretien mais il est incontestablement plus
difficile à analyser.
Donc : il existe une diversité de supports matériels qui peuvent faire l’objet d’une
analyse de contenu. On comprend dès lors qu’il n’existe pas une technique, mais
des techniques d’analyses de contenu, selon le contenu soumis à l’analyse et
selon l’objectif de l’analyse et de la recherche.
En science politique, les analyses de la presse, les analyses d’émissions
télévisées, les analyses de discours, les analyses d’entretiens sont les plus
courantes.
En fait, c’est l’analyse de la presse et surtout de la propagande politique qui
marque les débuts de l’analyse de contenu. Dès le début du siècle, l’analyse de
contenu prend son essor aux Etats-Unis. A cette époque, le matériel utilisé est
principalement les journaux : inventaire des rubriques, on suit l’évolution d’un
organe de presse, on mesure le degré de sensationnalisme des articles (surface des
115
articles, taille des titres, emplacement, etc.). Ensuite, vient l’analyse de la
propagande. Le premier nom qui illustre l’analyse de contenu est sans doute celui
d’Harold Lasswell. Il fait des analyses de presse et de propagande depuis 1915.
Lasswell poursuit ses travaux sur l’analyse des symboles et des mythologies
politiques. Il insiste sur les premiers travaux en matière d’analyse de contenu
notamment en matière de propagande.
Ce qu’il est intéressant de noter pour l’instant, c’est que l’analyse de contenu à
ses débuts est liée à une demande sociale, une des plus connues est celle
émanant de la Federal Communications Commission du ministère de la justice
américain qui durant la deuxième guerre mondiale a engagé un grand nombre de
chercheurs pour étudier la propagande ennemie et amie. Il était en effet important
pour les Etats-Unis de connaître les méthodes et thèmes de propagande ennemie
afin de bâtir une contre-propagande ou d’abolir les sources de propagande.
Répondant à une demande sociale, l’analyse de contenu ne pouvait que développer
une méthode la plus fiable possible pour satisfaire des exigences de coût et
d’objectivité, d’où l’accent mis sur l’objectivité, la systématisation et la capacité
de généralisation qui incitent notamment Harold Lasswell, mais il n’est pas le seul,
à justifier une analyse de contenu quantitative.
II – Les documents non écrits

Les objets : les ethnographes étudient avec beaucoup de soins les objets pour
situer le niveau d’évolution d’une civilisation et le sens de cette évolution, étude
portant sur la signification des objets.
L’iconographie : documentation par l’image, la photographie, dessins, gravures,
peintures…
Les chansons
Le cinéma, radio, télévision : aspect vivant et dynamique
Le contenu s’analyse comme celui des documents écrits : recherche de symboles,
mythes, thèmes…
Les entretiens
116
III – L’analyse des communications
Dans une approche sociologique, on considère le document comme une
communication entre individu ou groupe. Et donc, tout document est considéré
comme un message impliquant un émetteur et un récepteur.
Une communication renvoie à une diversité de pôles d’analyse : C’est ce qu’a mis
en évidence Harold Lasswell en résumant la communication sous forme d’une série
de questions : Qui parle ? A Qui ? Pour dire quoi ? Comment ? Avec quel effet ? et
on peut ajouter Dans quel contexte ?
Qui parle ? : l’émetteur ou le producteur du message
Groupe d’individus ou un individu : dans ce cas on insiste sur la fonction expressive
ou représentative de la communication. En effet, on peut faire l’hypothèse que le
message exprime ou représente l’émetteur.
Ex : l’analyse du discours politique renseigne sur l’orateur.
2 situations possibles :

l’émetteur réagit à un stimulus plus ou moins contrôlé par l’observateur : un
entretien dirigé par un psychothérapeute.

l’analyste n’a aucun contact avec l’émetteur et cherche d’après le contenu du
message à déterminer certaines de ses caractéristiques, comme l’analyse de
discours.
A qui ? : le récepteur
Récepteur : groupe plus ou moins restreint d’individus ou une masse d’individus.
Donc : on insiste sur le fait que le message se dirige vers cet individu dans le but
d’agir sur lui ou de s’adapter à lui.

L’étude du message pourra apporter des informations sur le public ou le
récepteur.

L’étude du message destiné à tel public permet d’étudier celui-ci, de
reconstituer les valeurs et intérêts des groupes sociaux qui le composent.
117
Ex : les messages publicitaires parce qu’ils essaient de cerner une cible afin de
mieux agir sur elle donnent des indications sur les consommateurs mais aussi sur
les publicitaires (leurs stratégies, leur force économique, leur vision du
monde…exemple Benetton)
Quoi et comment ? : question du message
Toute analyse de contenu passe par l’analyse du message lui-même.
2 niveaux d’analyse possible :

le contenant / signifiant

le contenu / signifié
Il convient de noter que pour atteindre le contenu il faut passer par le contenant,
c’est-à-dire que toute signification est véhiculée par un signifiant ou un assemblage
de signifiants, que tout message se délivre par un code, c’est-à-dire une forme.
Le code ou signifiant
On se sert du code comme d’un indicateur capable de révéler des réalités sousjacentes.
Ex : Que nous révèle le vocabulaire employé par Balzac sur lui-même et ses
lecteurs ?
Comment varie la longueur des phrases dans un discours politique ?
En quoi la longueur des phrases d’un discours politique renseigne-t-elle sur
l’orateur et son public ?
Ex : :Georges Bush. Phrases courtes, formulation simple au possible, le contenu
comporte souvent une référence messianique, vision binaire du monde (bien/mal),
discours accessible aux classes populaires…électorat de Bush)
La signification ou les signifiés
118
L’analyse de contenu peut se faire à partir des significations que le message
délivre.

Quels sont les thèmes présents dans le discours publicitaire ? Famille, amour,
richesse…

Quelles valeurs sont véhiculées par les messages publicitaires ? (significations
secondes) : solidarité, patriotisme….
Quel résultat ? effet du message
On s’intéresse aux différentes influences : influences de l’environnement de
l’émetteur et du récepteur sont prises en considération.
Analyse du récepteur :

sur le plan individuel, chaque individu sélectionne, trie, perçoit, comprend,
déforme la communication en fonction de ses besoins ;

sur le plan du groupe : on tend à prendre en compte la notion de groupe de
référence, celui auquel on désire adhérer et les groupes d’appartenance qui
déterminent un certain nombre de valeurs qui ont une influence sur la
communication.
Analyse de l’émetteur : on s’intéresse plus particulièrement au problème de
l’influence des mass media sur le public.
Par quel vecteur ?
Par quel canal, instrument : voir les différences entre les messages selon le vecteur
de communication utilisé (Tv, presse écrite…).
Voir l’article d’Arnaud Mercier qui, dans le cadre de l’analyse du journal télévisé,
s’interroge également sur ces différents pôles d’analyse de manière à préciser sa
recherche. Voir également l’étude Eric Darras sur les guignols de l’info.
Chacune des questions peut renvoyer à un ou plusieurs des trois buts possibles et
suivants de l’analyse de contenu :
119

analyser les caractéristiques du texte en tant que tel : première démarche qui
donne lieu à des comparaisons : celle de documents issus d’une même source ou
celle de documents issus de différentes sources.

les causes et antécédents du message : deuxième démarche revient à chercher
les conditions de production du message

analyser les effets de la communication : troisième démarche s’intéresse aux
rôles des groupes d’appartenance, à l’incidence persuasive d’un message, mais
dans ce dernier domaine, d’autres techniques d’investigation doivent être
associées à l’analyse de contenu pour une recherche complète.
La spécificité de la situation d’enquête
Dans le cas de l’analyse de l’entretien, la question qui paraît à première vue la
plus importante est le quoi ? On sait qui a parlé et à qui (définition dans la
méthodologie de l’enquête). Mais le comment et avec quels effets sont moins bien
définis. Le sujet parle parce qu’on le lui a demandé.
Comment ? la réponse se trouve dans le discours lui-même. Cela fait davantage
référence à la forme mais dans le cas de l’entretien, ce qui nous intéresse c’est ce
qui est dit plus que comment cela est dit.
L’effet produit : généralement négligeable parce le seul but de l’enquêteur est de
faire parler l’enquêté. Question qui peut être ramené à l’analyse des effets de
relance.
Il ne faut pas s’arrêter à ces évidences, cela dépend des entretiens, de la
problématique de l’enquête donc il faut également tenir compte des contraintes
de rôle.
IV – Méthodologie de l’analyse de contenu
Le chercheur en sciences sociales va analyser ces différents matériaux de manière
à dépasser son impression de départ, mais avec rigueur. L’analyse de contenu a
120
voulu substituer à l’intuition, dépendant des qualités personnelles de
l’observateur, des procédés plus standardisés tendant à convertir les matériaux
bruts en données pouvant être traitées scientifiquement.
Il s’agit donc par l’analyse de contenu de dépasser l’incertitude et d’enrichir sa
lecture d’un document écrit ou visuel, d’où un désir de découverte mais aussi de
rigueur comme dans toute démarche de recherche.
Il s’agit de traiter les informations contenues dans le message mais pas
seulement, l’analyse ne se limite pas au contenu, elle prend aussi en compte le
contenant.
2 fonctions distinctes et complémentaires :

L’analyse de contenu dispose d’un cadre d’analyse préétabli, ce qui donne à
l’analyse de contenu une perspective d’administration de la preuve : il s’agit par
l’analyse de contenu de vérifier des hypothèses.
Mais l’analyse de contenu peut intervenir dans un objectif exploratoire donc on ne
dispose pas de cadre spécifique d’analyse. L’analyse de contenu a une fonction
heuristique : on part de la mise en évidence de propriétés des textes, le cadre
d’analyse n’est pas défini préalablement.
A – Analyse quantitative
Ce qui sert d’information, c’est la fréquence d’apparition de certaines
caractéristiques du contenu.
Née d’une réaction contre l’analyse littéraire ancienne trop subjective et d’un
besoin de systématisation imposé par la multiplication des communications,
l’analyse de contenu va d’abord quantifier. La fin des années 40-50 est surtout
marquée par les règles d’analyse posées par Berelson aidé de Lazarsfeld.
La définition de l’analyse de contenu par Berelson résume assez bien les
préoccupations épistémologiques de cette époque :
121
« L’analyse de contenu est une technique de recherche pour la description
objective,
systématique
et
quantitative
du
contenu
manifeste
d’une
communication ».
En France, jusque dans les années 73-74, on continue d’obéir à la norme
berelsonienne. Les exigences de rigueur et d’objectivité prennent un caractère
obsessionnel qui masque les autres possibilités et nécessités.
Les limites de la quantification étant aujourd’hui mieux connues, on la complète
par une analyse qualitative.
B – L’analyse qualitative
C’est la présence ou l’absence d’une caractéristique de contenu dans un certain
fragment de message qui est prise en considération. L’exigence d’objectivité
devient plus souple et on ne se limite plus à la description donc l’analyse de
contenu prend à ce moment là une visée explicative et dépasse la visée descriptive
prônée par Berelson.
Plus que la notion de présence ou d’absence, la différence entre les 2 approches
réside dans la façon dont elles conçoivent la notion d’importance :
Analyse quantitative : ce qui importe c’est le nombre de fois qu’apparaît tel
élément
Analyse qualitative : on fait place à la nouveauté, l’intérêt, la valeur d’un thème
sera critère d’importance, critère éminemment subjectif. Cette approche permet
une analyse plus fine.
Pour Pierre Favre, l’analyse de discours est qualitative, l’analyse de contenu, non,
il est certain que l’analyse de discours est généralement plus précise, plus fine,
l’objectif n’est pas statistique comme dans le cas d’une analyse de la presse par
exemple. Mais faire cette distinction est quelque peu réducteur, les limites de la
quantification étant aujourd’hui mieux connues, on accepte de la compléter par
une analyse qualitative.
122
Rq : on peut faire ici un parallèle avec l’évolution plus générale des sciences
sociales. Après une longue période d’engouement pour le questionnaire, les
sondages, l’accumulation de résultats statistiques, on s’est aperçu de l’incertitude
des résultats et on s’est orienté vers des techniques plus souples, plus qualitatives,
des entretiens semi-directifs. La recherche semble trouver aujourd’hui un équilibre
entre qualitatif et quantitatif.
Définition de Laurence Bardin : « l’analyse de contenu, c’est un ensemble de
techniques
d’analyse
des
communications
visant
par
des
procédures
systématiques et objectives de description du contenu des messages à obtenir
des indicateurs quantitatifs ou non permettant l’inférence de connaissances
relatives aux conditions de production / réception de ces messages ».
L’analyse quantitative directe s’intéresse au contenu manifeste mais le contenu
latent n’est pas l’apanage de l’approche qualitative.
L’analyse quantitative indirecte peut parfois aller au-delà de ce qui est manifeste,
atteindre ce que l’auteur a voulu taire. L’analyse s’intéresse alors aux silences,
rythmes, caractéristiques formelles.
Les 2 procédés se complètent plus qu’ils ne s’excluent, leur usage dépend de ce
que l’on recherche.
V – Le codage
Après avoir formulé objectifs et hypothèses et déterminé l’univers de documents
(genre de documents que l’on va soumettre à l’analyse), on va découper le texte et
le coder pour aboutir à une représentation du contenu étudié.
A – Les unités d’enregistrement, de contexte, d’énumération
Le support choisi est étudié et analysé en fonction de l’objectif recherché :
comment découper le texte ?
123
Donc : le choix des unités d’enregistrement et de contexte doivent être
pertinentes en fonction de l’objectif de la recherche et du matériel utilisé.
Pour l’analyse proprement dite, 3 types d’unités sont prises en compte :
1 – L’unité d’enregistrement
C’est la 1ère unité d’analyse : c’est l’unité de signification à coder. Ces unités
peuvent être de taille variable.
Différentes unités d’enregistrement peuvent être choisies comme critère de
découpage du contenu :

le mot : unité la plus petite. On peut considérer le mot comme un mot clé ou
mot thème, effecteur une analyse sur une catégories de mots : verbes,
substantifs…

le thème : de taille variable, il peut être exprimé de manière plus ou moins
longue (2 lignes ou 3 pages). C’est plus subjectif. Le thème est utilisé pour les
études de motivation, d’opinions, de valeurs, de croyances, pour analyser des
questions ouvertes, des entretiens, des communications de masse… on peut
distinguer thèmes principaux et thèmes secondaires.
Ex : valeurs universelles : thème principal
Thème secondaire : droits de l’Homme

l’objet ou référent : il s’agit de thèmes pivots autour desquels s’organise le
discours, unité encore plus large.

le personnage : l’acteur ou l’actant peut être choisi comme unité
d’enregistrement comme les œuvres de fiction, les articles de presse…

l’événement : dans le cas des récits, cela peut être plus pertinent de les
découper en unités d’action comme les films ou romans
124
2 – L’unité de contexte
C’est le plus large segment de contenu auquel on se réfère pour comprendre
l’unité d’enregistrement. Elle sert d’unité de compréhension pour coder l’unité
d’enregistrement.
Ex : la phrase pour le mot, le paragraphe pour le thème… il s’agit de se référer au
contexte proche ou lointain pour être compris dans leur juste sens : des mots tels
que la liberté, la démocratie…. ont besoin de leur contexte pour être compris dans
leur juste sens.
Pour la détermination de l’unité de contexte, tout dépend de votre matériel et de
votre objectif.
3 – Les règles d’énumération
Il ne s’agit pas de la signification de ce que l’on va compter mais de la façon dont
on va compter. L’unité d’enregistrement représente le découpage de l’élément
significatif, la règle d’énumération concerne la façon de mesurer ces différents
morceaux, c’est l’indicateur retenu.
La règle d’énumération concerne le temps ou l’espace : paragraphe, ligne, cm, min
d’enregistrement, cm2 pour un journal….
Plusieurs indicateurs possibles :

L’indicateur fréquentiel : C’est la régularité quantitative d’apparition qui est
considérée comme significative, cela suppose que chaque unité d’enregistrement a
la même valeur, ce qui n’est pas toujours le cas. On part du principe que
l’importance d’une unité d’enregistrement croît avec sa fréquence d’apparition.
L’importance de l’unité d’enregistrement croît avec sa fréquence d’apparition

La co-occurrence : c’est la présence simultanée de 2 ou plusieurs unités
d’enregistrement dans une unité de contexte. La mesure de co-occurrence rend
compte de la distribution des éléments et de leur association (association,
opposition, équivalence).
Ex : république / laïcité, vote / abstention…..
125
Ces indicateurs sont souvent ceux qui interviennent dans une analyse thématique,
on compte le nombre d’apparition d’un thème et le nombre de co-occurrence,
l’analyse thématique est alors quantitative, mais l’analyse thématique peut être
plus qualitative, l’indicateur d’une telle analyse sera la présence ou l’absence d’un
élément de contenu, c’est la présence ou l’absence de tel élément qui sera alors
significative et non sa répétition.
On peut donc ajouter l’analyse :

de l’intensité : des puissances dans l’analyse des valeurs et des attitudes, les
temps du verbe, les adjectifs… c’est indispensable.

la direction : favorable / défavorable / neutre, on met un signe pour coder
+ : positif
- : négatif
0 : neutre
+ / - : ambivalent

l’ordre : ordre d’apparition des unités d’enregistrement dans un récit. Dans un
entretien, c’est un peu moins pertinent dans la mesure où les thèmes suivent en
général le plan d’entretien.
B – La catégorisation
Les catégories sont des rubriques qui rassemblent un groupe d’éléments (unités
d’enregistrement dans le cas de l’analyse de contenu) sous un titre générique,
rassemblement effectué en fonction du caractère commun de ces éléments.
Les catégories peuvent être :

sémantiques ou linguistiques : elle recoupe des catégories thématiques
(l’abstention)
126
syntaxique :

recoupe
les
unités
d’enregistrement
comme
les
verbes,
adjectifs….

expressives : catégories qui classent divers troubles du langage (ben, heu…)

de fond ou de forme
Ex :

unité d’enregistrement = thème (valeurs universelles)

unité d’enregistrement = espace en cm2 dans un journal
La catégorisation a pour objectif premier de condenser les données brutes et
d’aboutir à une représentation du contenu.
2 démarches :

le système de catégories est donné et l’on répartit de la meilleure façon
possible les éléments au fur et à mesure de leur rencontre. C’est la procédure par
« boîte »

le système de catégories n’est pas donné mais la résultante d’une classification
analogique et progressive des éléments. C’est la procédure par « tas ». Le titre
générique n’est défini qu’en fin d’opération, on part des propriétés du texte.
Ex d’ensembles catégoriels : En général, il est nécessaire de créer une nouvelle
grille de catégories pour chaque nouvelle analyse mais on peut s’inspirer des
analyses antérieures.
Pour une analyse de valeurs : on peut s’inspirer de la grille de White qui s’est
spécialisé dans l’analyse de valeurs à partir de différents supports : propagande
d’Hitler, discours de Kennedy….

valeurs physiologiques : nourriture, sexe, repos, santé, sécurité, confort

valeurs sociales : amour sexuel, amour familial, amitié

valeurs relatives au moi

valeurs pratiques : travail, possession…
127

valeurs cognitives : connaissances…
Tout dépend de votre objectif de recherche et de votre support matériel.
C – L’informatisation
Elle est utile quand :

l’unité d’analyse est le mot et l’indicateur fréquentiel

l’analyse est complexe et comporte un grand nombre de variables à traiter
(nombre élevé de catégories et d’unités à enregistrer)

on désire effectuer une analyse de co-occurrences

la recherche implique plusieurs analyses successives

l’analyse requiert des opérations statistiques
Elle est inutile quand :

l’analyse est exploratoire et la technique non définitive

l’unité d’enregistrement est grande : discours ou article
Avantages de l’outil informatique : rapidité, rigueur, flexibilité (on peut réutiliser
les données) ; l’échange de données entre chercheurs est facilitée. La
manipulation complexe devient possible, la créativité est valorisée puisque le
chercheur est débarrassé des tâches laborieuses et parfois ingrates.
Mais pour cela, il faut bien préparer les données que l’on entre dans l’ordinateur, il
ne peut pas travailler à notre place, c’est un outil.
L’ordinateur est par exemple capable de localiser certains mots et de les replacer
dans leur contexte, il sort ainsi la liste de ceux-ci dans leur environnement
linguistique, ce qui est susceptible de servir de base à son interprétation ou au
développement ultérieur d’un système de catégories.
L’ordinateur peut mettre à jour les co-occurrences entre mots, certaines
associations riches de sens.
128
D – Traitement des résultats obtenus et interprétation
Opérations statistiques (analyse quantitative) : informations mises sous forme de
tableaux, de figures qui condensent les résultats et mettent en relief les
informations apportées par l’analyse.
Puis interprétation des résultats : on avance des interprétations par rapport à
l’objectif prévu ou concernant d’autres découvertes imprévues.
La presse : source d’information très utile :

rapporte les déclarations et propos de responsables politiques

commentaires et analyses de spécialistes

reflète d’une manière plus ou moins consciente l’état de l’opinion à un
moment donné
L’étude de la presse revêt 2 aspects :

l’analyse de la presse en tant que reflet des tendances et des divers secteurs
d’une époque

analyse de la presse comme source d’information
Sur le plan pratique : quand il s’agit d’éléments aussi nombreux que plusieurs
années d’un journal ou aussi variés qu’une propagande, on est forcé de délimiter sa
recherche soit :

en sélectionnant le contenu de la source : tel type de journal et même telle
rubrique

en élaborant un échantillon représentatif du journal entier : un échantillon au
hasard (1 n° sur 7)
Attention pour la presse à la particularité du n° du dimanche donc avant
l’échantillonnage, il faut bien se renseigner sur la source qu’on utilise.
Ensuite, dans le journal considéré pour la période choisie : quel va être le contenu
observé ? il doit tenir compte des caractéristiques du journal (typographie,
emplacement, …).
129
On peut prendre en compte :

la Une

la typographie : page paire et impaire , en haut à gauche….

Présence de caricaturistes, photos….
Sur un événement, on peut considérer :

mobilisation des rédactions en terme de : signatures (spécialistes de la
rédaction, intervenants externes…)

précision de l’information : communiqués, déclarations officielles, dépêche,
rappel chronologique, cartes…

rubrique spéciale : la guerre en Irak

proximité de la rédaction : envoyés spéciaux, correspondants…

durée de la couverture (utile quand comparaison de plusieurs journaux)

les différents types d’articles : éditorial (indique la position du journal),
tribunes libres (mais dès qu’elles sont publiées, elles sont assumées par la ligne
éditoriale du journal), analyses, communiqués, emplacement de l’article
Il va de soi que la prise en compte de ces éléments dépend grandement de votre
objet de recherche. On peut se limiter à un travail sur un événement particulier
qui fait la Une de l’actualité et savoir comment s’est positionné le journal, quelles
positions il a véhiculé….
Donc : l’unité d’information doit répondre de la façon la plus élémentaire à la
question de quoi parle-t-on par opposition aux unités des contenants (phrase,
paragraphe, article).
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