Chapitre I : Introduction L’objectif de ce séminaire est de vous proposer des repères théoriques sur les principaux débats épistémologiques et méthodologiques rencontrés dans les sciences sociales aujourd’hui, de vous présenter les « manière de faire » de la recherche. Ces jalons méthodologiques et techniques vous permettront de construire votre objet de recherche en vous initiant à la pratique sociologique. Introduction à la méthode Le sociologue est conduit à appréhender le monde social d’une manière spécifique. En sociologie, on peut recenser une multiplicité de paradigmes et de références théoriques, des rivalités entre écoles…. Certaines antinomies peuvent être qualifiées de « classiques » : matériel / idéel, objectif / subjectif, collectif / individuel, macro / micro. Aujourd’hui, on parle davantage de constructivisme social, la réalité sociale n'est pas donnée ou naturelle mais elle est construite. On peut définir la méthode de la façon suivante : « un ensemble concerté d’opérations, mises en œuvre pour atteindre un ou plusieurs objectifs, un corps de principe présidant à toute recherche organisée, un ensemble de normes permettant de sélectionner et coordonner les techniques. Elles constituent de façon plus ou moins abstraite ou concrète, précise ou vague, un plan de travail en fonction d’un but.» (M. Grawitz, Méthodes des sciences sociales, p. 352). Toute recherche utilise ensuite des techniques (technique de l’interview par exemple). Il faut donc distinguer méthode et technique : « la technique représente les étapes d’opérations limitées, liées à des éléments pratiques, concrets, adaptés à un but défini, alors que la méthode est une conception intellectuelle coordonnant un ensemble d’opérations, en général plusieurs techniques » (M. Grawitz, idem, p. 353). 1 Il existe plusieurs techniques : étude des individus : interview, questionnaires, analyse de discours étude de groupe : observation, étude de documents sondages analyses documentaires... La sociologie est l’étude de la réalité sociale. Pour acquérir le statut de science, la sociologie s'est détachée de la philosophie historique. Parmi les premiers sociologues, nous pouvons citer Saint-Simon, Comte, Marx, Durkheim. Auguste Comte (1798-1857) : a défini la physique sociale (premier nom de la sociologie comme « la science qui a pour objet propre l’étude des phénomènes sociaux ». Pour A. Comte, la sociologie doit résoudre les problèmes sociaux et il cherche à étudier les faits sociaux à la manière des phénomènes physiques ou chimiques. Par conséquent, le rôle du sociologue est d’élucider les lois de fonctionnement de la société pour permettre de soigner ses maux. La sociologie est la science du présent. Le cadre théorique, l'observation et l'expérimentation (méthode comparative et historique) sont selon Comte des étapes indispensables pour connaître la réalité sociale. Alexis de Tocqueville (1805-1859) : a étudié les facteurs historiques, politiques, économiques et sociologiques. Vilfredo Pareto (1848-1923) : a analysé le changement social. Emile Durkheim (1858-1917) : premier sociologue à avoir élaboré une méthode scientifique dans Les règles de la méthode sociologique (1895). Durkheim a cherché à résoudre de façon scientifique la « question sociale » renvoyant à la question du consensus social lié au développement de l’individualisme et à la « montée des égoïsmes » dans le contexte d’industrialisation. Dans Règles de la méthode sociologique, il définit une méthode rigoureuse d’analyse des faits sociaux, définis comme « toutes manières de faire (…) 2 susceptibles d’exercer une contrainte sur l’individu ». Il étudie le suicide, la famille, le mariage, le crime, la religion. Durkheim, s'appuyant sur les travaux du physiologiste Claude Bernard, cherche à résoudre la question des rapports entre l’individu et la société (les parties et le tout) : l’individu ne peut se concevoir hors de la société dont il fait partie et ses différentes consciences collectives (morales, familiales, religieuses, juridiques). A travers la notion d'anomie, il pose le problème des degrés d’intégration à la société. La solidarité est l'élément commun à toute existence sociale. Il distingue : la solidarité mécanique dans les sociétés à conscience collective forte la solidarité organique dans les sociétés complexes où sous l’influence de la division du travail il y a complémentarité Pour Durkheim « un fait social se reconnaît au pouvoir de coercition externe qu’il exerce ou est susceptible d’exercer sur les individus » (institution, éducation…). Par conséquent, la cause déterminante d’un fait social est à rechercher dans les faits sociaux antérieurs, pas dans la conscience individuelle. Durkheim définit une méthode d'étude des faits sociaux : - 1ère règle : étudier les faits sociaux comme des choses - but de la sociologie : découverte de relations générales entre les phénomènes - l’observation : n'est pas une simple description des faits. Les observations doivent être utilisables et vérifiables par tous, puis systématisées. - Expérimentation : la seule méthode applicable à la sociologie est la méthode comparative Marcel Mauss (1872-1950) : ethnologue et sociologue. Esquisse d’une théorie générale de la magie (1902), Essai sur le don (1923-1924). Un fait social pour Mauss comporte des dimensions économiques, religieuse, juridique et il ne peut se réduire à un seul de ces aspects. Mauss tente d’appréhender l’homme dans sa réalité concrète. Il insiste sur la valeur de la méthode permettant « d’établir des rapports d’une certaine généralité ». 3 comparative Dans Essai sur le don, forme archaïque de l’échange, Mauss s’interroge sur la signification sociale du don dans les sociétés tribales : le don met en jeu de nombreux rouages (juridique, religieux, économique, etc.), ce n’est pas un élément isolé. C’est un fait social total. Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895) : Marx a donné une explication aux contradictions de la société. Sa méthode est la dialectique qui se veut une explication totale de la société. Max Weber (1864-1920) : Dans l’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme (1904), il montre que l’esprit, les croyances d’une société peuvent s’étudier objectivement. Sa méthode est la sociologie compréhensive distinguant l’évolution objective des institutions et la signification que les institutions ont pour ceux qui les vivent. Ces deux aspects sont complémentaires et représentent des façons différentes d’appréhender la diversité du réel. « Nous appelons sociologie (…) une science dont l’objet est de comprendre par interprétation l’activité sociale, pour ensuite expliquer causalement le développement et les effets de cette activité ». Weber met également en avant l'indispensable objectivité du savant et prône la neutralité axiologique. La vocation du sociologue doit être la connaissance pour la connaissance. Il faut séparer constatations empiriques et jugement de valeurs. Pour Weber, le savant ne peut prétendre rendre compte de la totalité du phénomène. Ce sont des modèles ou constructions intellectuelles permettant d’appréhender certains aspects de la réalité. Le concept exprime un aspect significatif de la réalité en retenant ce qui individualise le phénomène. En revanche, le type idéal sélectionne et accentue certains aspects de la réalité. 4 La sociologie moderne : Etats-Unis : Le fonctionnalisme : pose la question centrale du fonctionnement des systèmes sociaux. Auteurs : T. Parsons, R. Merton, P. Lazarsfeld. L’école de Chicago et l’interactionnisme : H ; Blumer (psychosociologue), E.C Hugues (sociologue du travail), W.L. Warner (anthropologue). Le fait social n'est pas donné mais c'est un processus qui se construit dans le cadre de situations concrètes. L’interactionnisme utilise la démarche ethnographique et notamment l’observation participante. Ex / Goffman, Asiles, 1961 : pendant un an il mène la vie des internés dans un hôpital de Washington pour décrire la condition des malades mentaux. L’ethnométhodologie : A. Schütz (1899-1959), Structure intelligible du monde social (1932). Il réintroduit l’homme dans la sociologie. Allemagne : Ecole de Francfort : T.W Adorno, Horkheimer (1895-1973), H. Marcuse, Adorno (1903-1969), Habermas, Luhmann. En France : Pierre Bourdieu (1930-2002): Le métier de sociologue. Bourdieu met la sociologie au service de la critique sociale : la sociologie doit contribuer à la contestation et à la transformation de l’ordre social en dévoilant les ressorts cachés du pouvoir, les inégalités, l’ordre dominant. Bourdieu a élaboré une sociologie critique qu’il applique à l’école, la culture, l’art ou la société en général. Il fonde ses travaux sur les rapports et les dominations symboliques. 5 Concepts-clés : le champs, le capital culturel, le pouvoir symbolique, l’habitus. Bourdieu cherche à dévoiler les mécanismes de domination qui s’exercent entre les individus dans les différentes sphères (champs) du macrocosme social. Ex : l’école, le capital culturel…. - le champ : « espaces structurés de positions (ou de postes) dont les propriétés dépendent de leur position dans ces espaces et qui peuvent être analysés indépendamment des caractéristiques de leurs occupants (en partie déterminées par elles) ». - l’habitus : ce sont les gestes, pensées, manière d’être, acquis à tel point qu’on en oublie l’existence. Ce sont donc des routines mentales, inconscientes qui nous permettent d’agir « sans y penser ». Grâce à l’habitus, nous évoluons librement dans un milieu donné sans avoir besoin de contrôler consciemment ses mots ou ses gestes mais on prend conscience de l’habitus lorsqu’on est plongé dans un milieu autre que le sien (un ouvrier invité à une soirée mondaine car différents habitus linguistiques). L'habitus est « une machine transformatrice qui fait que nous reproduisons les conditions sociales de notre propre production, mais d’une façon relativement imprévisible ». Les habitus sont donc des marqueurs de l’origine (sociale, ethnique…) des individus. Il apporte ainsi des éléments d’explication au problème de la reproduction sociale. - au-delà des capitaux économique et culturel, il met en évidence un capital social et un capital symbolique. L’individualisme méthodologique :Raymond Boudon (1934): « le principe de l’individualisme méthodologique énonce que pour expliquer un phénomène social quelconque – que celui-ci relève de la démographie, de la science politique, de la sociologie ou de toute autre science sociale particulière – il est indispensable de reconstruire les motivations des individus concernés par le phénomène en question et d’appréhender ce phénomène comme le résultat de l’agrégation de comportements individuels dictés par ces motivations ». 6 Georges Balandier : anthropologue qui observe la décolonisation des Etats africains et leur évolution. Alain Touraine : historien, Evolution du travail ouvrier aux usines Renault (1955). Michel Crozier : sociologue des organisations. 7 Chapitre II: La démarche des sciences sociales est-elle scientifique ? Question préalable : « Comment cette activité consacrée à la réflexion sur la société » a-t-elle pu accéder au statut de science ? Les sciences humaines, à la faveur du développement des sciences naturelles, s’orientent vers une recherche plus scientifique. Ce sont d’abord des considérations politiques qui ont guidé la réflexion sur la société (Aristote, Platon, Ibn Kaldoun, Thomas More, Machiavel, Thomas Hobbes, John Locke). Tous ces auteurs se posent la même question : l’origine de la société mais leurs réponses diffèrent. Une véritable science sociale exige une démarche objective. La rupture vient avec Montesquieu, qui est pour R. Aron, le fondateur de la sociologie moderne. Montesquieu récuse toute explication d’essence théologique ou morale, recherche les causes des évènements, les classer et les ramener à un petit nombre. Montesquieu critique la doctrine du droit naturel et rejette les impératifs politiques qui en découlent : il réclame une séparation de la religion et de la science, il défend l’idée d’une science du politique fondée sur l’autonomie du politique. Il adopte une attitude scientifique. Il est ainsi le premier à affirmer l’interdépendance des phénomènes sociaux. La même évolution se retrouve dans d'autres sciences humaines (économie, statistique) et s'orientent vers une démarche plus scientifique. L’évolution est également due à l’essor des sciences de la nature : l’esprit scientifique, l’influence de l’Encyclopédie, la philosophie positive, ont modifié les façons de penser dans tous les domaines (succès des sciences de la nature au XVIII è). La science implique la mise à l’écart de ses convictions, la recherche d’observations, d’explications et de solutions, même limitées mais vérifiables par des méthodes accessibles à tous. 8 1. La définition de l’objet A l’instar de M. Grawitz, nous pouvons employer indifféremment sciences sociales, sciences humaines et sciences de l’homme. Les sciences sociales ont pour objet l’étude de l’homme dans son milieu social (l’homme et ses activités) ce qui pose une question : peut-on étudier l’homme de la même manière qu’un objet physique, qu’un corps biologique ? Les méthodes utilisées par les sciences sociales sont des méthodes spécifiques. Les faits sociaux (ce qu'on étudie) sont ceux qui résultent de la vie en société. De par cette nature particulière, on a longtemps contesté aux sciences sociales la possibilité d'étudier scientifiquement la réalité. Il est cependant difficile d'adopter une attitude rigoureusement neutre et objective face aux phénomènes sociaux donc le chercheur doit être vigilant au cours de sa recherche. La notion de falsifiabilité chez Popper : C’est un instrument critique nécessaire pour évaluer une théorie. Pour Popper, tout savant bâtit des hypothèses ou des systèmes théoriques et les soumet à l’observation et à l’expérimentation (mise à l’épreuve). La vraie preuve chez Popper, c’est l’impossibilité de confirmer l’hypothèse contraire. 4 étapes pour la mise à l’épreuve d’une théorie : comparaison des conclusions entre elles : on éprouve la cohérence interne du système recherche de la forme logique de la théorie : déterminer si la théorie a les caractéristiques d’une théorie empirique ou scientifique ou tautologique comparaison de la théorie à d’autres théories : but principal = déterminer si elle constituerait un progrès scientifique si elle survit aux différents tests mise à l’épreuve de la théorie en procédant à des applications empiriques des conclusions qui peuvent en être tirées 9 Tant qu’une théorie résiste à des tests systématiques et rigoureux et qu’une autre ne la remplace pas dans le cours de la progression scientifique, on peut dire que cette théorie a « fait ses preuves ». Qu’est-ce qu’un fait social ? (Durkheim) Les questions préalables de Durkheim sont les suivantes : Y a-t -il un domaine, un objet, des faits sociaux spécifiques ? Y a-t-il une méthode applicable à cet objet ? Il réfléchit à quelles conditions la sociologie peut être une science : on peut parler de science s’il existe un objet et une méthode scientifique c’est-à-dire la possibilité de relier les faits sociaux entre eux. Ce qui permet de reconnaître les faits sociaux c’est la contrainte donc il faut expliquer cette contrainte (au niveau conscient et inconscient). La méthode d’étude des faits sociaux chez Durkheim : considérer les faits sociaux comme des choses : la sociologie est une science comme les autres et son but est la découverte de relations générales entre les phénomènes importance de la définition : il faut limiter le champ de la recherche et savoir de quoi l’on parle. Il faut substituer aux notions de sens commun une première notion scientifique l’observation n’est pas un simple compte-rendu mais elle doit constituer les faits : l’observation doit être faite de manière impersonnelle, les observations doivent être utilisables et vérifiables par tous avant d’être systématisées la méthode comparative est la seule qui convienne à la sociologie Durkheim cherche d’abord à définir ce qu’est un fait social : tout fait social existe en dehors des consciences individuelles « non seulement ces types de conduite ou de pensée sont extérieures à l’individu, mais ils sont doués d’une puissance impérative et coercitive en vertu de laquelle ils s’imposent à lui, qu’il le veuille ou non ». 10 les faits sociaux ne sont pas des incarnations individuelles donc ce n’est pas leur manifestation au niveau de l’individu qui en font des faits sociaux il délimite le domaine de la sociologie : « il ne comprend qu’un groupe déterminé de phénomènes » il énonce le recours nécessaire à l’expérience pour procéder à la dissociation entre fait social et répercussions individuelles technique privilégiée dans le cadre de son expérimentation : la statistique formule un nouveau questionnement : il introduit des « manières de faire » au côté des « manières d’être » terrain d’observation = la division politique de la société (divisions morales) technique d’observation : le droit public conclut par une nouvelle définition du fait social « est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure ; ou bien encore, qui est générale dans l’étendue d’une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses manifestations individuelles ». Le couple empirie / théorie : les critique de la « suprême théorie » (Wright Mills) et des « méthodologues » (Bourdieu) Qu’est-ce qu’une expérience scientifique ? c’est une expérience qui contredit l’expérience commune. Wright Mills : critique de la « suprême théorie » Il se livre à une critique de l’œuvre de Parsons, Système social. La Suprême théorie a eu peu d’influence et elle est difficile à comprendre. La Suprême Théorie a choisi un niveau de pensée si général qu’il n’y a pas d’observation (beaucoup d’abstractions dans les typologies). Parsons veut faire une « théorie sociologique générale » et il élabore pour W. Mills « un royaume de concepts ». Pour W. Mills, les suprêmes théoriciens ont mal abordé de grands problèmes sociologiques, ils ne descendent pas dans l’arène sociologique parce qu’ils croient que le modèle d’ordre social construit est un modèle universel. 11 Bourdieu : critique des méthodologues : Thèse : il faut dépasser les débats académiques et soumettre la pratique scientifique à une réflexion à la science se faisant. Pour Bourdieu, les méthodologues sont plus occupés à rechercher une logique idéale de la recherche mais ils « ne peuvent en effet s’adresser qu’à un chercheur abstraitement défini par l’aptitude à réaliser ces normes de perfection, bref à un chercheur impeccable, c’est-à-dire impossible ou infécond ». Et si on obéit inconditionnellement à un ensemble de règles logiques, on se trouve face à un effet de « fermeture prématurée » par rapport aux définitions et aux concepts. Or, les possibilités de changement sont une des conditions de l’invention dans certaines phases de l’histoire des sciences. Il parle donc de rigorisme technologique qui « repose sur la foi en une rigueur définie une fois pour toutes et pour toutes les situations c’est-à-dire sur une représentation fixiste de la vérité ou, partant, de l’erreur comme transgression de normes inconditionnelles, s’oppose diamétralement à la recherche des rigueurs spécifiques , qui repose sur une théorie de la vérité comme théorie de l’erreur rectifiée ». Bourdieu s’oppose aux purs théoriciens car ils veulent imposer aux savants leur idéal de la cohérence intégrale et universelle des concepts. Ce faisant, ils paralysent la recherche avec l’impression de pouvoir tout penser, sous toutes les formes. Or, ce n’est pas le cas dans la pratique scientifique « on ne peut espérer construire des problématiques ou des théories nouvelles qu’à condition de renoncer à l’ambition impossible, dès qu’elle n’est pas scolaire ou prophétique, de tout dire sur tout et dans le bon ordre ». Bourdieu critique la « grande théorie » : les théories doivent moins se nourrir de l’affrontement purement théorique avec d’autres théories mais plus de la confrontation avec des objets empiriques toujours nouveaux. Pour Bourdieu, il est nécessaire de rompre avec l’opposition théorie / pratique car cela empêche de concevoir une connaissance pratique ou une pratique connaissante. 12 L’activité scientifique comme activité sociale et les conditions sociales de production de la science : la notion de champ scientifique, l’ « affaire Sokal » et «l’ « affaire Tessier » Bourdieu : il est important de connaître les conditions sociales de production de la science, comment ont été faits historiquement les problèmes, les outils, les méthodes, les concepts que l’on utilise. Il entend faire la sociologie des conditions sociales de production de l’objet. Il étudie l’apparition d’un champ scientifique relativement autonome et les conditions sociales de l’autonomisation de ce champ. Les objets de la science sociale et la manière de les traiter entretiennent toujours une relation intelligible avec le chercheur défini sociologiquement (origine sociale par exemple). Ex : Historiciser la science politique : les échanges entre l’histoire et les sciences sociales sont nombreux. L’histoire est considérée comme étant une discipline empirique. La question est de savoir si l’on peut transférer les pratiques et les techniques des historiens ? – Dans la science politique, il existe une tradition de l’histoire des idées politiques et les historiens font de l’histoire du politique, – Les politologues ont découvert les archives. 13 Chapitre III : La méthode comme base déontologique de la science La sociologie est considérée comme une science comme les autres mais elle est confrontée à des problèmes particuliers liés : au fait que le sociologue appartient au monde social qu’il veut analyser et comprendre : le sociologue saisit le monde social sur un mode préréflexif donc il doit établir une distance. au rapport qui s’établit entre l’expérience savante et l’expérience donnée du monde social : par conséquent, le sociologue doit procéder à une rupture entre les représentations sociales du sens commun et le discours savant. Le sociologue, pour construire ses objets doit rompre avec ce qui se donne à lui spontanément. La question de la rupture : pour que la sociologie soit considérée comme une science, elle doit rompre avec les présupposés de la sociologie spontanée. C’est ce qu’on appelle la rupture. On peut différencier quelques types de rupture : contre les prénotions, contre les théories traditionnelles... La question de l’objectivation : Le problème de l’objectivation est un problème majeur qui se pose à tout sociologue : Durkheim insistait dans Les règles de la méthode sociologique sur la nécessité de « traiter les faits sociaux comme des choses » mais cela pose une vraie question : comment rendre l’objectivation possible lorsque le chercheur étudie des univers sociaux auxquels il appartient ? La question de l’ethos du savant : quelle doit être l’attitude du savant dans cet univers particulier ? 14 La question des définitions : la rupture avec le sens commun, les prénotions, l’objectivation G. Bachelard affirmait que le fait scientifique n’était pas seulement constaté mais qu’il était « conquis et construit » : il fait l’objet d’une appropriation et il est construit contre l’illusion du savoir immédiat. Ce qui suppose une rupture et une contestation des « vérités » du sens commun. Pour Bachelard ou pour Durkheim : on doit non seulement contester point par point les préjugés du sens commun mais aussi remettre en question les principes sur lequel il repose : « Face au réel, ce qu’on croit savoir clairement offusque ce qu’on devrait savoir » (Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, p. 14). - L’importance de la rupture en sciences sociales Cette rupture caractérise pour Bachelard le « véritable esprit scientifique » : cette étape est d’autant plus indispensable dans les sciences sociales que la familiarité de l’observateur avec son univers social est importante. C’est « l’obstacle épistémologique par excellence » (Bourdieu, Le métier de sociologue, p. 27). Le sociologue doit faire combattre la « sociologie spontanée », les évidences qui lui procurent l’illusion d’un savoir immédiat. C’est un problème qui ne se pose pas aux physiciens par exemple où il existe une vraie séparation entre le laboratoire et la vie quotidienne. Avec Bachelard, on peut définir les prénotions de la façon suivante : ce sont des « représentations schématiques et sommaires » « qui sont formées par la pratique et pour elle ». Ces prénotions tiennent leur autorité et leur évidence des fonctions sociales qu’elles remplissent. L’emprise de ces notions communes est très forte. Qu’est-ce qui véhicule ces représentations communes de la société ? c’est principalement le langage ordinaire (que le sociologue utilise inévitablement) et certains usages savants de mots ordinaires. D’où la nécessité d’une analyse préalable du langage commun. 15 En effet, des prénotions se cachent sous les dehors d’une élaboration savante donc il faut éviter la contamination de la sociologie par la sociologie spontanée, des notions par les prénotions. Objectif : substituer au langage commun un langage entièrement construit et formalisé. Le plus urgent pour Bourdieu est de mettre en œuvre une analyse de la logique du langage commun : elle pourra seule donner au sociologue les moyens de redéfinir les mots communs dans un système de notions définies. Il faut également critiquer les notions que la langue savante emprunte à la langue commune. Cette vigilance doit être permanente parce que les prénotions menacent toujours de se réintroduire dans le langage savant. Ce problème se pose puisque le langage commun est évidemment le premier instrument de la construction du monde des objets : il faut donc le soumettre à une critique méthodique. Technique de rupture : critique logique de la sociologie spontanée Les concepts et les théories sociologiques sont prédisposées à passer dans le domaine public. Le danger est plus grand dans la sociologie parce qu'elle est confrontée à divers publics (pas seulement savant). Il existe de plus ce que Bourdieu appelle la « tentation du prophétisme » : si le sociologue accepte de définir son objet en fonction des attentes de son public alors il se fait prophète. Et « tout sociologue doit combattre en lui-même le prophète social que son public lui demande d’incarner » (Bourdieu, Le métier de sociologue, p. 42). Quelles sont les techniques de rupture ? Lors de l’observation, le sociologue entre en relation avec son objet. Le travail du sociologue est de substituer aux données des critères abstraits, qui les définissent sociologiquement. 16 Il s’agit donc de réaliser une rupture avec le réel : on brise les relations les plus apparentes, qui nous sont familières pour analyser les nouvelles relations que l’on construit entre les éléments. Donc pour lutter contre les prénotions, il faut accomplir une rupture que l’on peut mettre en œuvre par des techniques : la mesure statistique, la critique des prénotions, la définition préalable de l’objet... Mais ce qu’il est important de combattre, c’est la sociologie spontanée. Cela pose la question de l’objectivation : Bourdieu met l’accent sur le préalable de l’objectivation : elle s’impose à toute démarche sociologique qui veut rompre avec la sociologie spontanée. La sociologie peut-elle être une science objective ?: Bourdieu répond positivement parce qu’il existe des relations extérieures, indépendantes des relations individuelles, inconscientes qui ne peuvent être saisies que par le détour de l’observation et de l’expérimentation objectives. Deux illustrations : ✗ Texte de Durkheim : Règle relatives à l’observation des faits sociaux Durkheim : Lorsque le sociologue s’empare d’un objet, il est déjà représenté dans son esprit par des images et des concepts. « La réflexion est antérieure à la science qui ne fait que s’en servir avec plus de méthode. L’homme ne peut pas vivre au milieu des choses sans s’en faire des idées d’après lesquelles il règle sa conduite » (p. 108). Les notions sont le produit de l’expérience vulgaire « Elles sont, au contraire, comme un voile qui s’interpose entre les choses et nous et qui nous les masque d’autant mieux qu’on le croit plus transparent (…) » (p. 109). 17 Les notions vulgaires ou prénotions prennent la place des faits : « Ce sont ces idola, sortes de fantômes qui nous défigurent le véritable aspect des choses et que nous prenons pourtant pour les choses mêmes » (p. 111). Durkheim affirme que le problème des prénotions est plus important en sociologie puisque les faits sociaux sont le produit de l’activité humaine. Ce sont des « représentation schématiques et sommaires » dont nous faisons usage dans notre vie courante : habitude et nous avons du mal à nous en affranchir « Tout contribue donc à nous y faire voir la vraie réalité sociale » (p. 112). Donc on ne devrait pas utiliser les concepts (comme par exemple Etat, souveraineté, démocratie…) tant qu’on ne les a pas scientifiquement constitués. Pour Durkheim : 1ère règle à base de toute méthode scientifique est d’écarter les prénotions. 2ème règle : l’objectivation « Il nous faut donc considérer les phénomènes sociaux en eux-mêmes, détachés des sujets conscients qui se les représentent » (p. 121). 1 – le sociologue doit définir les choses dont il traite 2 – pour que la définition soit objective, il faut « qu’elle exprime les phénomènes, non d’une idée de l’esprit, mais de propriétés qui leur sont inhérentes » (p. 128). ✗ Marcel Mauss : la prière S’appuie sur l’exigence durkheimienne de définition préalable pour écarter les prénotions à savoir les pré constructions de la sociologie spontanée. Mauss donne les procédés de définition, d’observation et d’analyse de son travail. Il étudie la prière en tant qu’institution sociale. Démarche dans la définition de la prière : Constat : il existe un système de faits appelés « prières » mais dont l’appréhension est confuse puisqu’on ne connaît pas l’étendue ni les limites. Donc la première 18 tâche est de transformer cette impression en une notion distincte qui sera l’objet de la définition. Plusieurs remarques : – dans ce premier temps, on ne donne pas de définition de la substance même, ou des faits car cela ne pourra intervenir qu’au terme de la science. C’est donc une définition provisoire qui est nécessaire pour engager la recherche : on recherche quels sont les faits qui méritent d’être appelés prière , – ne pas être trop précis sinon cela risque de dominer et d’orienter le travail. L’objectif est de faciliter la recherche en limitant le champ de l’observation, – La définition est importante parce que pour un même sujet, les auteurs peuvent voir des définitions différentes. La définition est donnée lorsqu’on connaît les faits d’après leurs signes extérieurs, on en marque les contours. 2 exigences : 1 – trouver quelques caractères apparents permettant de reconnaître à première vue ce qui est prière 2 – les caractères doivent être objectifs (on ne doit pas se fier à nos impressions, prénotions…) Ex : ne pas dire qu’un acte religieux est prière parce que nous le sentons ou parce que tel groupe le nomme ainsi C’est écarter les prénotions subjectives pour atteindre l’institution elle-même. Donc « c’est dans les choses elles-mêmes que nous irons chercher le caractère en fonction duquel la prière doit être exprimée ». Ainsi, le mot « prière » n’est « qu’un substantif par lequel nous dénotons un ensemble de phénomènes dont chacun est individuellement une prière ; Seulement tous ont en commun certains caractères propres qu’une abstraction peut dégager. Nous pouvons donc les rassembler sous un même nom qui les désigne tous et ne désigne qu’eux ». 19 Mise en garde de Mauss : ne pas tout employer dans un sens nouveau un mot dont tout le monde se sert. Il s’agit de mettre à la place d’une conception usuelle qui est confuse une conception plus claire et plus distincte. L’éthos du savant : vocation de savant et neutralité axiologique (Weber), « surveillance intellectuelle de soi » (Bachelard) et socio-analyse et objectivation participante (Bourdieu). - Max Weber, Le savant et le politique (1919) : Dans Le métier et la vocation de savant, il tente d’élucider la définition du savant : il livre ses propres représentations et ses pratiques d’homme de science. Le savant doit considérer son indépendance vis-à-vis de tout domaine social, ce qui est la garantie de l’autonomie de la recherche et un gage d’indépendance intellectuelle. Weber élabore une méthode spécifique fondée sur 3 étapes : la compréhension l’interprétation l’explication Compréhension de l’action sociale des individus et neutralité axiologique : La démarche de la sociologie pour Weber doit être compréhensive : la compréhension doit déceler le sens visé par les individus agissant. Le sociologue doit comprendre l’action elle-même pour saisir les significations sociales construites et partagées par les acteurs. Weber est d’accord avec Durkheim sur la nécessité d’écarter les prénotions mais on ne peut totalement les exclure car elles constituent un ensemble de ressources d’interprétation qui donnent sens aux phénomènes. On doit mobiliser toutes les sources du savoir dans la compréhension (ces données seront ensuite rectifiées, complétées, réinterprétées). 20 La neutralité axiologique Weber institue une éthique de responsabilité en prônant le principe de la neutralité axiologique. L’objectivité du savant : Weber ne sépare pas jugements de réalité (ce qui est) et jugements de valeurs (ce qui doit être) mais pour lui la vocation du sociologue doit être la connaissance pour la connaissance. Il faut séparer constatations empiriques et jugement de valeurs. Le savant doit être indifférent aux valeurs dans sa démarche scientifique. Ex : le professeur ne doit pas profiter de son aura scientifique pour imposer ses vues personnelles et partisanes. Pour éviter ces biais, le savant doit observer 2 principes méthodologiques garants : le rapport aux valeurs : le savant doit avoir conscience de la subjectivité de ses propres choix et valeurs – la neutralité axiologique : refus de tout jugement de valeur car « chaque fois qu’un homme de science fait intervenir son propre jugement de valeur, il n’y a plus de compréhension intégrale des faits » (Le métier et la vocation de savant, p. 104). Interprétation et construction de l’idéal-type : principale fonction de l’idéal-type est de favoriser l’interprétation de la réalité Explication et imputation causale : établir des chaînes de causalité entre les évènements Pour chercher les causes des évènements en sociologie, il faut sélectionner les faits les plus significatifs. Weber propose de remplacer l’expérimentation par la modification imaginaire des évènements. 21 Quels sont les apports de la science selon Weber : - mettre à disposition un certain nombre de connaissances, - apporte des méthodes de pensée, - fait œuvre de clarté en aidant les individus à prendre conscience du sens de leurs actes - Bourdieu : la sociologie comme socio-analyse Le sujet de l’objectivation doit lui-même être objectivé. Dans son ouvrage Homo academicus, Bourdieu construit un double objet : - un objet apparent : l’université comme institution - objet profond : retour réflexif impliqué dans l’objectivation de son propre univers Bourdieu opère un retour réflexif sur le sociologue et sur son univers. Il fait de la sociologie de la sociologie le préalable indispensable à toute pratique sociologique. Il reproche le manque d’objectivation des sociologues eux-mêmes. Bourdieu est le sociologue qui invite à la réflexivité et qui la pratique. Qu’est-ce qu’une vraie objectivation ? : c’est objectiver sa position dans l’univers de la production culturelle. Une vraie sociologie réflexive doit tenir compte de la perception de l’objet qu’en a l’observateur. La réflexivité est pour Bourdieu une méthode de travail. - Bourdieu : Sur l’objectivation participante Qu’est-ce que l’observation participante : l’observateur est immergé dans un milieu étranger. Ses ressources sont constituées par sa propre expérience. Il saisit ce milieu spontanément sur un mode pré réflexif ce qui signifie qu’il n’y a pas de distance comme dans les autres sciences entre l’observateur et son objet. Donc : il doit acquérir une objectivité scientifique (construction du savoir). 22 Peut-on objectiver sans être objectivé ? le sociologue ne peut objectiver que s’il se place en dehors de ce qu’il objective mais pour Bourdieu « l’objectivation n’a quelque chance d’être réussie que si elle implique l’objectivation du point de vue à partir duquel elle s’opère ». Bourdieu définit la sociologie la plus critique comme celle qui implique une autocritique radicale et l’objectivation de celui qui objective. Le sociologue doit soumettre à l’objectivation ce qu’il est, ses conditions sociales de production et les « limites de son cerveau », son propre travail d’objectivation. On parlera d’objectivation participante lorsque l’analyse sociologique apparaît comme une auto-objectivation obtenue grâce à un vrai travail sur soi. Le sociologue doit analyser son rapport à l’objet. 23 Chapitre IV : La construction de l’objet Les instruments de recherche La science se constitue en construisant son objet contre le sens commun, il faut distinguer l’objet réel préconstruit par la perception de l’objet de science construit. La sociologie est une science sociale, l’observateur est familier avec l’univers de sa recherche, une vigilance épistémologique s’impose. Pour pouvoir prétendre à une démarche scientifique, il convient de respecter certains principes qui sont destinés à guider l’ensemble d’une recherche que l’on entreprend et que vous allez vous même entreprendre dans le cadre de votre recherche. Une rupture avec le sens commun est nécessaire, le fait scientifique est à conquérir contre l’illusion du savoir immédiat (Bachelard), objectivation importante de l’objet (Durkheim, Bourdieu) et nécessaire objectivation du sujet (neutralité axiologique de Weber ou la socioanalyse de Bourdieu). Durkheim nous dit de « considérer les faits sociaux comme des choses », la chose s’oppose à l’idée. On doit interpréter cette formule comme une règle méthodologique : « considérer comme » signifie adopter une certaine attitude mentale face à l’étude de la réalité sociale et non conférer à l’objet un statut ontologique. Il s’agit de rompre avec les prénotions, le sens commun c’est-à-dire avec l’ensemble des opinions, croyances, présupposés philosophiques ou moraux, avec l’ensemble des représentations que chacun a de la réalité et qui nous permet de vivre au quotidien les uns avec les autres. La connaissance vulgaire, le sens commun ont une fonction pratique et légitimatrice : l’organisation des relations des hommes en société. La démarche sociologique consiste à se débarrasser de l’ensemble de ces idées reçues pour mieux appréhender la réalité sociale. « Qu’est-ce qu’une chose ? La chose s’oppose à l’idée, comme ce que l’on connaît du dehors à ce que l’on connaît du dedans » (Durkheim) : le fait social doit être 24 considéré comme un objet extérieur à l’observateur, qui ne doit pas interposer entre lui et son objet ses idées. Cette rupture avec le sens commun est accompagnée d’un travail de définition : à la remise en cause des idées reçues, on ajoute la définition provisoire de l’objet, c’est-à-dire qu’on délimite l’objet : dire ce que l’on étudie et ce que l’on n’étudie pas, délimiter le champ d’observation. Définition de l’étude et délimitation du champ d’observation. Pour R Aron, « il n’y a pas de définition vraie ou fausse, il y a des définitions plus ou moins fécondes » (La pensée allemande contemporaine, p. 88). Lorsque l’on appréhende un objet, des définitions existent mais elles correspondent à l’usage commun de la langue. Or, le langage commun doit être soumis à une critique méthodique. Le sociologue ne doit pas forcément créer de néologisme mais avoir une conception précise et distincte du sens commun. L’objet social est construit. En sociologie, il est fréquent de prendre comme objet d’étude ce qui est donné dans la réalité mais la réalité sociale n’est pas la réalité sociologique. Deux idées : le sociologue doit se dégager des idées que lui suggèrent le sens commun le sociologue doit faire abstraction de l’expérience qu’il a des phénomènes sociaux analogues à ceux qu’il étudie (ex : sociologue de la famille) Le chercheur est un homme socialement situé donc il doit s’en affranchir. L’opérationnalisation du concept et le statut de la comparaison : l’exemple des « institutions totalitaires » (Goffman) 25 Goffman : les « institutions totalitaires » Goffman cherche à comprendre l’institution asilaire (la replace dans la série des institutions totales comme les casernes et les internats). Avec l’institution asilaire, il dispose d’un objet doté d’une réalité sociale qu’il peut décrire et analyser. Or, il découvre qu’à côté du règlement officiel de l’asile et de son but thérapeutique (soigner les malades), s’est établie une organisation parallèle interne. Pour assurer le fonctionnement de l’institution s’était créé un ensemble de coutumes de règles de hiérarchie plus réelles et efficaces que l’organigramme et le règlement affichés et qui modifient leurs objectifs apparents. Goffman construit ainsi son objet sociologique : le système de relations à l’intérieur de l’asile, système qu’il a pu généraliser à l’ensemble des institutions de ce type. Cela revient à chercher derrière l’apparence, une face cachée : ne pas se limiter à décrire une institution mais essayer d’en dégager le fonctionnement de fait. Construire l’objet, c’est découvrir sous les apparences les vrais problèmes et poser les bonnes questions. Il y a beaucoup de questions qui peuvent être posées à une même réalité sociale et la question que l’on choisit oriente l’enquête et ses résultats. C’est la construction de l’objet. Un objet de recherche ne peut être défini et construit qu’en fonction d’une problématique théorique permettant de soumettre à une interrogation systématique les aspects de la réalité qui seront alors mis en relation par la question qui leur est posée. Quand vous allez interroger le réel, vous pouvez avoir une question provisoire à l’esprit que vous allez élaborer à partir d’un travail exploratoire fait de lectures, d’entretiens exploratoire. Ce travail exploratoire a pour but de prendre connaissance avec la pensée d’auteurs dont les recherches et les réflexions peuvent inspirer votre propre démarche, de mettre à jour les facettes du problème auxquelles vous n’avez pas pensé. Il vous faudra ensuite traduire ces idées et ces perspectives nouvelles dans un langage et sous des formes qui les rendent propres à guider le travail de collecte des données d’observation. 26 La construction intellectuelle des instruments de recherche : hypothèses et concepts L’objet est construit : un fait ne devient scientifique que par une intervention de chercheur. Le chercheur doit sélectionner les parties de la réalité qu’il va observer. Mais pour ce faire, il doit formuler des hypothèses de recherche, en relation avec la définition de l’objet de la recherche. C’est se poser les questions qui vont orienter l’observation. Mais il faut garder à l’esprit le fait que ces définitions ont un caractère provisoire puisqu’on ne peut donner de définition rigoureuse qu’à la fin de la recherche. - Les hypothèses Elles sont construites en vue de l’épreuve expérimentale : on interroge le réel par l’intermédiaire d’hypothèses formulées en référence à une théorie. Une hypothèse est une proposition qui anticipe une relation entre deux termes qui peuvent être selon les cas des phénomènes ou des concepts. L’hypothèse sert de fil conducteur. Une hypothèse est une présomption, une réponse provisoire à une question. Cela suppose que la question centrale de la recherche soit bien précisée. Une hypothèse doit être falsifiable (Bachelard): être testée indéfiniment et avoir un caractère général et elle doit accepter des énoncés contraires théoriquement susceptibles d’être vérifiés. - Le concept Le concept organise la réalité en retenant les caractères distinctifs, significatifs des phénomènes. C’est un outil, un moyen de désigner par abstraction, d’imaginer ce qui n’est pas directement perceptible. C’est une abstraction, ce n’est pas le phénomène lui-même. 27 - La construction du concept Pour lutter contre l’emploi de concepts flous, il faut apprendre à les construire de façon rigoureuse. - Elias (1897-1990) et la configuration C’est la critique de l’opposition classique entre individus et société qui apparaît comme l’un des fils conducteurs des travaux d’Elias. Il n’envisage la société ni comme la simple agrégation des unités individuelles (individualisme méthodologique) ni comme un ensemble indépendant des actions individuelles (holisme). N. Elias considère que l’objet propre de la sociologie ce sont les individus interdépendants. Cette notion d’interdépendance occupe une place centrale dans le dispositif théorique d’Elias. La société est composée de multiples dépendances réciproques qui lient les individus les uns avec les autres donc le tissu social est traversé par de nombreuses formes d’interrelations qui s’entrecroisent. Et il nomme « configuration » les formes spécifiques d’interdépendance qui relient les individus entre eux (ex : partie d’échecs, nation, relations internationales). Ce qui différencie ces configurations pour Elias : c’est la longueur et la complexité des chaînes de relations réciproques qui associent les individus. Rq : les individus n’ont pas forcément conscience ou l’expérience de ces dépendances, elles ne sont pas nécessairement égales et équilibrées mais elles sont surtout marquées pour Elias par l’inégalité, la domination et le pouvoir. « Il y a un tissu d’interdépendance à l’intérieur duquel l’individu trouve une marge de choix individuel et qui en même temps impose des limites à sa liberté de choix ». 28 Ce qu’il faut déterminer c’est le degré d’autonomie (et donc de dépendance) de chaque acteur dans chaque cas par une analyse sociologique concrète. Ex : les chaînes d’interdépendance se sont allongées dans nos sociétés modernes : chaque individu se trouve à la croisée d’un plus grand nombre de réseaux d’interrelations. Apport d’Elias : a substitué la notion de configuration à celle de système (entité moins complètement fermée). - Bourdieu : le champ Bourdieu insiste sur la double dimension construite et objective de la réalité sociale. Mécanisme principal de production du monde social chez Bourdieu : la rencontre de l’habitus « l’histoire faite corps », sous la forme de système de dispositions durables et du champ « l’histoire faite chose » sous forme d’institutions. Habitus : structures sociales de notre subjectivité qui se constituent au travers de nos premières expériences (habitus primaire) et de notre vie d’adulte (habitus secondaire). Il le définit plus précisément qu’Elias comme un « système de dispositions durables et transposables ». C’est la façon dont les structures sociales s’impriment dans nos têtes et dans nos corps par intériorisation de l’extériorité. Dispositions : inclinations à percevoir, sentir et faire penser d’une certaine manière, intériorisées et incorporées, le plus souvent de manière non consciente par chaque individu du fait de conditions objectives d’existence et de sa trajectoire sociale. Durables : car si ces dispositions peuvent se modifier dans le cours de nos expériences, elles sont fortement enracinées en nous et tendent de ce fait à résister au changement marquant ainsi une certaine continuité dans la vie de la personne Transposables : dans des dispositions acquises au cous de certaines expériences 29 Système : ces dispositions tendent à être unifiées entre elles L’habitus est un reproducteur des structures sociales : il apporte de multiples réponses aux diverses situations rencontrées à partir d’un ensemble limité de schèmes d’action et de pensée. Il est reproduit quand il est confronté à des situations habituelles et il est conduit à innover quand il se trouve face à des situations inédites. Chaque champ est : un champ de forces : marqué par une distribution inégale des ressources d’où un rapport de forces entre dominants et dominés pour le conserver ou le transformer un champ de luttes : les agents sociaux s’affrontent pour conserver ou transformer ce rapport de forces - Weber : l’idéal-type Weber élabore une méthode spécifique fondée sur 3 étapes : la compréhension de l’action sociale des individus et neutralité axiologique l’interprétation l’explication La principale fonction de l’idéal-type est de permettre l’interprétation de la réalité. C’est une construction abstraite, un outil conceptuel, un modèle : « il n’est pas lui-même une « hypothèse », mais il cherche à guider l’élaboration des hypothèses. De l’autre côté, il n’est pas un exposé du réel, mais se propose de doter l’exposé de moyens d’expression univoques » (Essai sur la théorie de la science). L'idéal-type ne retient que quelques aspects de la réalité. Il n’exprime pas la totalité de la réalité mais seulement son aspect significatif. A la différence du concept, il ne retient pas les caractères les plus généraux, ceux que l’on retrouve régulièrement mais l’aspect original, ce qui individualise. 30 Pour M. Weber, le type idéal se différencie du concept parce qu’il ne se contente pas de sélectionner la réalité mais il ajoute aussi à la réalité donc le rôle du sociologue consiste à étendre certaines qualités, à accentuer certains aspects. On ne peut pas accéder à La Vérité, le savant ne peut saisir que des vérités partielles donc l’idéal-type n’exprime que l’aspect qualitatif de la réalité qu’il accentue. « la construction d’idéal-types abstraits n’entre en ligne de compte comme but, mais uniquement comme moyen de connaissance ». Résumé sur le concept : La conceptualisation est une construction abstraite visant à rendre compte du réel. Elle ne concerne pas tous les aspects de la réalité mais seulement les plus importants. Construction des concepts puis précision des indicateurs par lesquels les dimensions seront mesurées. Les indicateurs sont les dimensions du concept repérables et mesurables. - Les catégories La catégorie est utilisée dans un but de classification. Ex des catégories socio-professionnelles. Ex : Malinowski s’interroge sur la manière de classer les différentes formes de dons chez les Argonautes du pacifique Occidental (Tobriandais) : dons, paiements et transactions. 31 - La fausse neutralité des techniques Il faut toujours se demander par rapport à une technique, ce que cette technique nous dit dans les conditions dans lesquelles elle a été employée et être conscient des limites de cet outil. La neutralité scientifique c’est aussi être conscient des limites en elles-mêmes des techniques employées. La situation d’entretien par questionnaire est une situation fictive et forcée d’où l’importance des questions que l’on pose. Modèle : « tout système de relation entre des propriétés sélectionnées, abstraites et simplifiées, construit consciemment à des fins de description, d’explication et de prévision, et par là, pleinement maîtrisable » (Bourdieu, Le métier de sociologue, p. 75). C’est le substitut d’une expérimentation souvent impossible dans les faits qui permet de confronter à la réalité les conséquences dégagées par l’expérience mentale. 32 Séance 4 : La méthode comme base déontologique de la science (3) La science se constitue en construisant son objet contre le sens commun, il faut distinguer l’objet réel préconstruit par la perception de l’objet de science construit. La sociologie est une science sociale : l’observateur est familier avec l’univers de sa recherche, d’où une vigilance épistémologique s’impose. Afin de pouvoir prétendre à une démarche scientifique, il convient de respecter certains principes qui sont destinés à guider l’ensemble d’une recherche que l’on entreprend. Une rupture avec le sens commun est nécessaire, le fait scientifique est à conquérir contre l’illusion du savoir immédiat (Bachelard) ainsi que l’objectivation de l’objet à travers les textes de Durkheim, Bourdieu (notion de « rupture épistémologique » c’est-à-dire la rupture entre la connaissance scientifique des sociologues et la « sociologie spontanée » des acteurs sociaux ») et Pinto, puis on a évoqué la nécessaire objectivation du sujet en évoquant la neutralité axiologique de Weber ou la socioanalyse de Bourdieu. Durkheim nous disait de « considérer les faits sociaux comme des choses », la chose s’oppose à l’idée. On doit interpréter cette formule comme une règle méthodologique L’élément le plus important de la phrase c’est « considérer comme » ce qui signifie adopter une certaine attitude mentale face à l’étude de la réalité sociale et non conférer à l’objet un statut ontologique, une réalité ontologique, c’est-à-dire qu’il s’agit de rompre avec les prénotions, le sens commun c’est-à-dire avec l’ensemble des opinions, croyances, présupposés philosophiques ou moraux, avec l’ensemble des représentations que chacun a de la réalité et qui nous permet de vivre au quotidien les uns avec les autres. La connaissance vulgaire, le sens commun ont une fonction pratique et légitimatrice : l’organisation des relations des hommes en société. La démarche sociologique consiste à se débarrasser de l’ensemble de ces idées reçues pour mieux appréhender la réalité sociale. 33 « Qu’est-ce qu’une chose ? La chose s’oppose à l’idée, comme ce que l’on connaît du dehors à ce que l’on connaît du dedans » (Durkheim) : le fait social doit être considéré comme un objet extérieur à l’observateur, qui ne doit pas interposer entre lui et son objet ses idées. Définition provisoire de l’objet de recherche comme instrument de rupture : l’exemple de la religion chez Durkheim ou de la prière chez Mauss Cette rupture avec le sens commun est accompagnée d’un travail de définition : à la remise en cause des idées reçues, on ajoute la définition provisoire de l’objet, c’est-à-dire qu’on délimite l’objet : dire ce que l’on étudie et ce que l’on n’étudie pas, délimiter le champ d’observation. Définition de l’étude et délimitation du champ d’observation. 2 exemples : - Démarche de Mauss - Durkheim et l’exemple de la famille Lorsque l’on appréhende un objet, des définitions existent mais elles correspondent à l’usage commun de la langue. Or, on a vu avec Bourdieu que le langage commun doit être soumis à une critique méthodique. Le sociologue ne doit pas forcément créer de néologisme mais avoir une conception précise et distincte du sens commun. L’objet social est construit. En sociologie, il est fréquent de prendre comme objet d’étude ce qui est donné dans la réalité mais la réalité sociale n’est pas la réalité sociologique. Deux idées : - le sociologue doit se dégager des idées que lui suggèrent le sens commun : règle de « l’ignorance méthodique » - le sociologue doit faire abstraction de l’expérience qu’il a des phénomènes sociaux analogues à ceux qu’il étudie (ex : sociologue de la famille) 34 Le chercheur est un homme socialement situé donc il doit s’en affranchir. L’opérationnalisation du concept et le statut de la comparaison : l’exemple des « institutions totalitaires » (Goffman) Goffman : les « institutions totalitaires » Cherche à comprendre l’institution asilaire en le replaçant dans la série des institutions totales, casernes et internats : le cas privilégié est donc celui ici qui, pris isolément, dissimule le mieux par ses fonctions officiellement humanitaires la logique du système des cas isomorphes. Avec l’institution asilaire, il dispose d’un objet doté d’une réalité sociale qu’il peut décrire et analyser. Or, il découvre qu’à côté du règlement officiel de l’asile et de son but thérapeutique (soigner les malades), s’est établie une organisation parallèle interne : pour assurer le fonctionnement de l’institution s’était créé un ensemble de coutumes de règles de hiérarchie plus réelles et efficaces que l’organigramme et le règlement affichés et qui modifient leurs objectifs apparents. Goffman construit donc ainsi son objet sociologique : le système de relations à l’intérieur de l’asile, système qu’il a pu généraliser à l’ensemble des institutions de ce type. Donc : c’est chercher derrière l’apparence, une face cachée : ne pas se limiter à décrire une institution mais essayer d’en dégager le fonctionnement de fait. D’où construire l’objet c’est deviner sous les apparences les vrais problèmes et poser les bonnes questions. Il y a beaucoup de questions qui peuvent être posées à une même réalité sociale et la question que l’on choisit oriente l’enquête et ses résultats. C’est la construction de l’objet. Un objet de recherche ne peut être défini et construit qu’en fonction d’une problématique théorique permettant de soumettre à une interrogation 35 systématique les aspects de la réalité qui seront alors mis en relation par la question qui leur est posée. Le réel n’a jamais l’initiative, il ne peut répondre que si on l’interroge. Si vous récupérez un matériel recueilli en fonction d’une autre problématique, si neutre soit-elle en apparence, il faut être conscient que ce matériel ne saurait répondre complètement à votre problématique. Les informations recueillies ne sont pas des données en elles-mêmes mais ce sont des données construites. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas utiliser un matériel de seconde main mais il faut être conscient de ses limites. En sociologie, les données recueillies le sont par l’application de grille de lecture, par exemple les catégories de classes d’âge, de tranches de revenus, etc.. La sociologie dispose d’outils qui sont autant de grilles de lecture pour interroger le réel. L’empirisme radical qui part du réel pour arriver au réel montre ses limites : une construction théorique est nécessaire. Donc : quand vous allez interroger le réel, vous pouvez avoir une question provisoire à l’esprit que vous allez élaborer à partir d’un travail exploratoire fait de lectures, d’entretiens exploratoire. Ce travail exploratoire a pour but de prendre connaissance avec la pensée d’auteurs dont les recherches et les réflexions peuvent inspirer votre propre démarche, de mettre à jour les facettes du problème auxquelles vous n’avez pas pensé. Il vous faudra ensuite traduire ces idées et ces perspectives nouvelles dans un langage et sous des formes qui les rendent propres à guider le travail de collecte des données d’observation. La construction intellectuelle des instruments de recherche : hypothèses et concepts L’objet est construit : un fait ne devient scientifique que par une intervention de chercheur. Le chercheur doit sélectionner les parties de la réalité qu’il va observer. Mais pour ce faire, il doit formuler des hypothèses de recherche, en relation avec la définition de l’objet de la recherche. C’est se poser les questions 36 qui vont orienter l’observation. Mais il faut garder à l’esprit le fait que ces définitions ont un caractère provisoire puisqu’on ne peut donner de définition rigoureuse qu’à la fin de la recherche. Les hypothèses Elles sont construites en vue de l’épreuve expérimentale : on interroge le réel par l’intermédiaire d’hypothèses formulées en référence à une théorie. Une hypothèse est une proposition qui anticipe une relation entre deux termes qui peuvent être selon les cas des phénomènes ou des concepts : - 1ère forme : l’hypothèse se présente comme l’anticipation d’une relation entre un phénomène et un concept capable d’en rendre compte. - 2ème forme : l’hypothèse se présente comme l’anticipation d’une relation entre 2 concepts entre les 2 types de phénomènes qu’ils désignent. L’hypothèse traduit l’esprit de découverte caractérisant le travail scientifique : le chercheur pense que c’est dans cette direction qu’il faut chercher, cette piste là vaut la peine d’être étudiée. Donc l’hypothèse sert de fil conducteur. Elles se présentent comme des critères de sélection des données et les hypothèses sont confrontées à ces données : aller/retour entre réflexion théorique et travail empirique. Une hypothèse est une présomption, une réponse provisoire à une question. Cela suppose que la question centrale de la recherche soit bien précisée. Une hypothèse doit être falsifiable : être testée indéfiniment et avoir un caractère général et elle doit accepter des énoncés contraires théoriquement susceptibles d’être vérifiés. 37 Le concept Le concept organise la réalité en retenant les caractères distinctifs, significatifs des phénomènes. Le concept guide le chercheur en lui procurant un point de vue. C’est un outil, un moyen de désigner par abstraction, d’imaginer ce qui n’est pas directement perceptible. Ex : Ce sont les concepts de mouvement, d’engrenage qui permettent de comprendre sans le voir le fonctionnement d’une montre. Le concept sert à organiser, prévoir, guider, désigner, prévoir. C’est une abstraction, ce n’est pas le phénomène lui-même. L’ambiguïté du langage commun impose la nécessité de définir les concepts. Ex : le concept de culture n’a pas le même sens pour un anthropologue que pour un romancier ou un agriculteur. La construction du concept Pour lutter contre l’emploi de concepts flous, il faut apprendre à les construire de façon rigoureuse. Cf. Lazarsfeld (sur le militantisme politique) définit 4 étapes dans la construction des concepts : - représentation du concept : perception intuitive o le militantisme dans un parti implique un comportement actif différent de l’adhérent ou du dirigeant - spécification du concept : on détermine les éléments constitutifs, les composantes, les dimensions o l’activité du militant se traduit par des activités à l’intérieur du parti et à l’extérieur : donc 2 dimensions du militantisme 38 - choix des indicateurs des faits observables : un indicateur est une donnée observable, la présence ou l’absence de tel attribut dans la réalité étudiée, c’est un ensemble de critères o sur la dimension militante, indicateurs comme la participation aux réunions, tenue de permanences, rédaction de tracts… - construction d’indices : synthèse des informations fournies par les indicateurs Rq : certains concepts sont plus complexes et se divisent en composantes, ayant chacune leurs indicateurs. Elias et la configuration N. Elias (1897-1990) est surtout connu pour sa sociologie historique sur le processus de civilisation. C’est la critique de l’opposition classique entre individus et société qui apparaît comme l’un des fils conducteurs des travaux d’Elias. Il n’envisage la société ni comme la simple agrégation des unités individuelles (individualisme méthodologique) ni comme un ensemble indépendant des actions individuelles (holisme). N. Elias considère que l’objet propre de la sociologie ce sont les individus interdépendants. Cette notion d’interdépendance occupe une place centrale dans le dispositif théorique d’Elias. La notion d’interdépendance est explicitée à travers une analogie avec le jeu. La société est envisagée comme le tissu mouvant et changeant des multiples dépendances réciproques qui lient les individus les uns avec les autres. La société est composée de multiples dépendances réciproques qui lient les individus les uns avec les autres donc le tissu social est traversé par de nombreuses formes d’interrelations qui s’entrecroisent. Et il nomme « configuration » les formes spécifiques d’interdépendance qui relient les individus entre eux (ex : partie d’échecs, nation, relations internationales). 39 Ce qui différencie ces configurations pour Elias : c’est la longueur et la complexité des chaînes de relations réciproques qui associent les individus. Rq : les individus n’ont pas forcément conscience ou l’expérience de ces dépendances, elles ne sont pas nécessairement égales et équilibrées mais elles sont surtout marquées pour Elias par l’inégalité, la domination et le pouvoir. Ce qui fait que chaque individu est plus ou moins (cela dépend de sa position, cf. Louis XIV et sa cour) par ces relations. « Il y a un tissu d’interdépendance à l’intérieur duquel l’individu trouve une marge de choix individuel et qui en même temps impose des limites à sa liberté de choix ». Donc ce qu’il faut déterminer c’est le degré d’autonomie (et donc de dépendance) de chaque acteur dans chaque cas par une analyse sociologique concrète. Ex : les chaînes d’interdépendance se sont allongées dans nos sociétés modernes : chaque individu se trouve à la croisée d’un plus grand nombre de réseaux d’interrelations. Apport d’Elias : a substitué la notion de configuration à celle de système qui présente l’avantage d’être une entité moins complètement fermée. Il s’agit d’interrelations entre des actions individuelles et non pas des relations à sens unique (l’interrelation entre des éléments a souvent été pensée en sciences sociales à travers la notion de système et généralement on accorde trop de cohérence et de stabilité à la notion de système : un système a des frontières et est séparé des autres systèmes). Bourdieu : le champ Bourdieu insiste sur la double dimension construite et objective de la réalité sociale (même si une certaine primauté est accordée aux structures objectives). Principe réaffirmé de la nécessité de la rupture épistémologique mais la démarche 40 de Bourdieu est plus complexe qu’une simple dichotomie entre connaissance savante et connaissance ordinaire. Mécanisme principal de production du monde social chez Bourdieu : la rencontre de l’habitus « l’histoire faite corps », sous la forme de système de dispositions durables et du champ « l’histoire faite chose » sous forme d’institutions. Double mouvement constructiviste d’intériorisation de l’extérieur et d’extériorisation de l’intérieur. Habitus : structures sociales de notre subjectivité qui se constituent au travers de nos 1ères expériences (habitus primaire) et de notre vie d’adulte (habitus secondaire). Il le définit plus précisément qu’Elias comme un « système de dispositions durables et transposables ». C’est la façon dont les structures sociales s’impriment dans nos têtes et dans nos corps par intériorisation de l’extériorité. Mais l’habitus n’est pas un simple reproducteur des structures sociales dont il est le produit : il est amené à apporté de multiples réponses aux diverses situations rencontrées à partir d’un ensemble limité de schèmes d’action et de pensée. Donc : il est reproduit quand il est confronté à des situations habituelles et il est conduit à innover quand il se trouve face à des situations inédites. « Le champ est une sphère de la vie sociale qui s’est progressivement autonomisée à travers l’histoire autour de relations sociales, d’enjeux et de ressources propres, différents de ceux des autres champs » (Corcuff, p. 34). Chaque champ est : - un champ de forces : marqué par une distribution inégale des ressources d’où rapport de forces entre dominants et dominés pour le conserver ou le transformer - un champ de luttes : les agents sociaux s’affrontent pour conserver ou transformer ce rapport de forces 41 Rq : la définition même du champ et la délimitation de ses frontières peut être en jeu dans les luttes (différent de la notion de système qui est plus fermé). Chaque champ est marqué par des relations de concurrence entre les agents même si la participation au jeu suppose un minimum d’accord sur l’existence du champ. Chaque champ est caractérisé par des mécanismes spécifiques de capitalisation des ressources légitimes propres : - pluralité de capitaux (différent de Marx où il n’y a que le capital économique) : culturel, politique…. pas de représentation unidimensionnelle de l’espace social (vision économique du capitalisme chez les marxistes : l’ensemble de la société est pensée autour d’une vision économique du capitalisme) mais représentation pluridimensionnelle : l’espace social est composé d’une pluralité de champs autonomes, définissant chacun des modes spécifiques de domination. Weber : l’idéal-type Weber élabore une méthode spécifique fondée sur 3 étapes : - la compréhension de l’action sociale des individus et neutralité axiologique - l’interprétation - l’explication Interprétation et construction de l’idéal-type : principale fonction de l’idéal-type est de favoriser l’interprétation de la réalité. C’est une construction abstraite, un outil conceptuel de la compréhension causale, un modèle. C’est un guide d’élaboration des hypothèses : c’est un ensemble de concepts intégrés indispensables pour saisir le réel. Il sert à découper le réel, à sélectionner une pluralité de phénomènes isolés et à les ordonner en fonction d’un ou plusieurs points de vue. « il n’est pas lui-même une « hypothèse », mais il cherche à guider l’élaboration des hypothèses. De l’autre côté, il n’est pas un exposé du réel, mais se propose de doter l’exposé de moyens d’expression univoques » (Essai sur la théorie de la science). 42 Ce n’est pas une hypothèse ni une description de la réalité parce qu’il ne retient que quelques aspects de celle-ci. Le concept permet de saisir une qualité commune à partir de différences particulières et il doit sa précision à la sélection, à la limitation qu’il impose. Donc : il n’exprime pas la totalité de la réalité mais seulement son aspect significatif. Mais à la différence du concept, il ne retient pas les caractères les plus généraux, ceux que l’on retrouve régulièrement et qui correspondraient à la simple notion de type. Le qualificatif idéal implique autre chose : l’aspect original retenu dans chaque phénomène dégage ce qui individualise non ce qui rapproche ou normalise. « On obtient un idéal-type en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en enchaînant une multitude de phénomènes, donnés isolément, diffus et discrets, que l’on trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroits pas du tout, qu’on ordonne selon les précédents points de vue choisis unilatéralement, pour former un tableau de pensée homogène ». Pour M. Weber, le type idéal se différencie du concept parce qu’il ne se contente pas de sélectionner la réalité mais il ajoute aussi à la réalité donc le rôle du sociologue consiste à étendre certaines qualités, à accentuer certains aspects. On ne peut pas accéder à La Vérité, le savant ne peut saisir que des vérités partielles donc l’idéal-type n’exprime que l’aspect qualitatif de la réalité qu’il accentue. Pas de représentations exactes de la réalité mais exagération de certains traits de la réalité (singularités typiques) qui sont sélectionnés par un rapport aux valeurs. Difficultés : plusieurs acceptions à la notion d’idéal-type : - idéaux-types d’individus historiques : le capitalisme, la ville d’Occident - idéaux-types désignant des éléments abstraits de la réalité historique qu’on retrouve dans un grand nombre de circonstances : la bureaucratie, la féodalité, la domination 43 M. Weber les a utilisé pour : - la sociologie de l’action : types de rationalité - la sociologie économique : types de capitalisme - la sociologie des religions : types de religiosité et types de communalisation - la sociologie politique : types de domination La domination charismatique : s’explique par les qualités extraordinaire d’une personne « doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains ». C’est un type de domination dépourvu de toute direction administrative. Des cas de transformation du pouvoir charismatique en domination traditionnelle ou en bureaucratisation existent dans l’histoire mais il n’existe pas de loi unique dans l’histoire. La domination traditionnelle : ce type est incompatible avec les sociétés modernes. Elle s’appuie et elle est admise « sur le caractère sacré de dispositions transmises par le temps ». Ce pouvoir est exprimé par la puissance patrimoniale du seigneur qui contrôle son administration en entretenant des serviteurs (rémunération en nature ou en fief). La domination légale-rationnelle : fondée sur la croyance en la légalité des règlements et des titres de ceux qui les exercent. La légitimité tend à se confondre avec la légalité. L’administration moderne représente la forme idéale-typique de la domination légale-rationnelle L’idéal-type sert à atteindre l’aspect original de chaque phénomène pour en faciliter la mise en relation causale. - Explication et imputation causale : établir des chaînes de causalité entre les évènements. Par une opération mentale, on accomplit des variations imaginaires « pour déterminer les relations causales réelles, nous en construisons d’irréelles ». 44 Causalité et notion de valeur : Pour chercher les causes des évènements en sociologie il faut sélectionner les faits les plus significatifs. Il propose de remplacer l’expérimentation par la modification imaginaire des évènements. Le rapport de valeur exerce son influence à différentes étapes de la recherche : - il détermine le choix du sujet en fonction de l’intérêt porté par le sociologue - il permet de sélectionner les faits en fonction de leur signification - permet d’orienter la recherche des liens de causalité Le sociologue doit être conscient de ses valeurs mais pas les groupes sociaux donc il faut étudier ce qu’ils disent, ce qu’ils croient mais aussi leur comportement réel. Donc : la notion de valeur qui est subjective au départ doit être étudiée de manière objective. Fonction du type-idéal : rendre la comparaison entre les idées et la réalité possible. Mais on ne garde que ce qui paraît caractéristique. On peut définir le type-idéal comme une « image mentale » obtenue non par généralisation des traits communs à tous les individus. Les catégories La catégorie est utilisée dans un but de classification. Ex des catégories socioprogfessionnelles. Ex : Malinowski : il s’interroge sur la manière de classer les différentes formes de dons chez les Argonautes du pacifique Occidental (Tobriandais) : dons, paiements et transactions. Donc il énonce les règles de la construction de l’objet scientifique. Il faut éviter d’introduire dans la description des catégories factices dictées par notre propre terminologie et nos propres critères « Rien n’est plus trompeur dans les comptes-rendus ethnographiques que la description des faits, des civilisations primitives, à l’aide de termes adaptés au monde qui est nôtre ». La terminologie indigène est un moyen de parvenir à ce résultat mais ce n’est pas « un raccourci miraculeux » parce qu’il existe au niveau des institutions et des comportements des « principes de classement » inconscients. 45 Donc le travail de l’ethnologue est de les dégager pour contrôler la classification proposée spontanément par la langue indigène. L’ethnologue doit décrire concrètement les comportements pour ne pas être victime des catégories spontanées du langage (celui de l’ethnologue ou le langage indigène). La fausse neutralité des techniques Il faut toujours se demander par rapport à une technique, ce que cette technique nous dit dans les conditions dans lesquelles elle a été employée et être conscient des limites de cet outil. La neutralité scientifique c’est aussi être conscient des limites en elles-mêmes des techniques employées. La situation d’entretien par questionnaire est une situation fictive et forcée d’où l’importance des questions que l’on pose. C’est le substitut d’une expérimentation souvent impossible dans les faits qui permet de confronter à la réalité les conséquences dégagées par l’expérience mentale. 46 Chapitre 5 : La pratique scientifique (1) : l’observation, approche ethnologique et anthropologique La définition provisoire est un instrument permettant d’initier un processus de rupture. ✗ l’objet était conquis : rupture, objectivation [objectivation participante et socio-analyse], objectivation du sujet objectivant ✗ il était également construit. ✗ la construction de l’objet est un point essentiel de la recherche mais il est aussi le plus difficile à réaliser car il n’existe de mode d’emploi propre. ✗ un objet de recherche ne peut être défini et construit qu’en fonction d’une problématique théorique. - les sciences sociales disposent d'instruments de recherche (concept, hypothèses, catégories) construits intellectuellement (ex : Elias, Bourdieu) ou socialement (les CSP) qui sont autant de grilles de lecture pour appréhender la réalité. L’hypothèse est formulée en vue de l’étape expérimentale. Entre cette construction intellectuelle (la formulation de l’hypothèse, la détermination et définition du concept) et l’étape du terrain, intervient le choix d’une technique de recherche (schéma). Dans le cadre de votre mémoire et compte tenu de son objectif et du temps dont vous disposez, vous devez vous contenter en principe d’une seule technique d’enquête que vous justifierez (sur les conditions de votre travail). L’observation est fondée sur un contact direct et immédiat du chercheur avec la réalité qu’il veut étudier. 47 On peut définir l’observation de deux façons : Au sens large : l’observation comprend l’ensemble des opérations par lesquelles le modèle d’analyse que vous avez déterminé (question de départ et définition provisoire, hypothèses, concepts, théorie de référence) va être confronté aux faits et données observables. C’est une étape intermédiaire entre la construction des concepts et hypothèses et l’analyse des données du terrain choisi. Pour recueillir les données vous pouvez utiliser plusieurs outils : entretiens, questionnaires, statistiques, documents officiels… Le chercheur n’est pas sur le terrain directement, il examine et commente. Il peut éventuellement se rendre sur les lieux, dans le milieu social qu’il veut étudier dans un laps de temps court, en menant des entretiens mais sans pour autant assister de manière prolongée et systématique aux évènements s’y déroulant. Cette forme renvoie le plus souvent à une forme de préenquête rapide avant l’entretien ou le questionnaire. Au sens strict : l’observation est identifiée à l’enquête de terrain, héritage de l’ethnographie française ou du « field work » dans la tradition anthropologique anglaise. L’observation est dans ce cas une présence systématique et souvent prolongée dans le lieu de l’enquête, au sein d’un groupe social par exemple. Les données sont recueillies par un chercheur ou une équipe de chercheurs. Ces données sont recueillies soit : Auprès de personnes en utilisant des procédures dites « réactives » (entretiens) ou « non réactives » (observation des lieux, évènements, propos tenus….) En consultant toute forme de documentation écrite comme les données administratives (registres d’état civil, archives…) Ce type d’observation donne lieu à des monographies (ex : dans les années 60, les études des villages résistant aux transformations dues à l’exode rural) Lors d’une présence prolongée sur le terrain, le chercheur se trouve mêlé à une situation sociale qu’il enregistre, interroge et analyse mais il ne doit pas la modifier. 48 I - L’apport de la démarche anthropologique L’observation dans les sciences sociales relève de deux traditions : l’une issue de l’anthropologie l’autre de la sociologie – l’une et l’autre ont beaucoup en commun mais elles se différencient dans leurs réalisations effectives et par leurs résultats. La pratique de l’observation débute avec l’observation, dès le Moyen Âge, de populations lointaines radicalement différentes, par les voyageurs et les chroniqueurs européens, les missionnaires et les militaires, les administrateurs et les colons qui ont livré des récits, des observations et des enquêtes en nombre considérable. Cette somme allait permettre à des philosophes (Hume, Rousseau, Condorcet…) d’élaborer les principes de la science prenant pour objet la variété des sociétés humaines. La colonisation et son nouvel essor au XIXe siècle, les nationalismes dans les pays européens et les conflits raciaux en Amérique du Nord accélèrent le développement de l’anthropologie et de l’ethnologie qui vont se constituer en disciplines scientifiques autonomes. Les anthropologues anglo-saxons et français qui se sont déplacés chez des peuples lointains (qualifiés de plus souvent de primitifs ou archaïques) ont conduit : - des observations dans des sociétés radicalement étrangères au chercheur. - ces observations ont toujours été accompagnées, suggérées ou commentées par des informateurs, des traducteurs, des intermédiaires. - ces intermédiaires fournissaient des informations souvent en nombre supérieur à celles recueillies directement par le regard du chercheur. - les objets de leurs études se sont souvent limités aux pratiques ou règles qu’ils considéraient comme symboliques de la totalité de la culture du groupe étudié (ex : la religion, la magie, la parenté…). En étudiant un aspect d’une société ils pensaient étudier sa totalité. 49 Les anthropologues du XIXe siècle ont eu le sentiment qu’ils occupaient une situation exceptionnelle aussi bien parmi les sociétés qui les accueillaient que parmi les membres de leur propre communauté (les administrateurs, les colons). Or, ils ne pouvaient ignorer également que leur présence et leurs activités étaient perçues à travers l’image du colonisateur blanc. Ainsi ce qui va différencier l’anthropologue du sociologue c’est bien la méthode et le statut de l’un et de l’autre étant donné que le sociologue va pratiquer l’observation dans « sa » société. Certains manières de faire (recours à un informateur) peuvent se rapprocher et certains thèmes également (l’étude du surnaturel). Remarque : Quand je dis que le sociologue va pratiquer l’observation dans « sa » société, je n’entends pas nécessairement dans son pays voire dans son propre milieu social et culturel. Mais le monde social étudié aura un lien social et culturel avec celui de l’observateur sociologue Avant d’aborder le travail même de l’observation directe, ses formes et ses apports, il faut au préalable préciser ce que l’on entend par anthropologie, ethnologie et ethnographie. L’observation directe pratiquée par le sociologue a conservé certains acquis de la démarche ethnographique. L’observation participante propre à l’anthropologie s’est introduite dans la démarche sociologique. Nous reprenons les distinctions opérées par M. Grawitz (p. 175) : Ethnographie : étude descriptive de toutes les données relatives à la vie d’un groupe humain. Concerne le travail matériel sur le terrain, la collecte des matériaux. 50 Ethnologie : a longtemps été considérée comme la discipline décrivant les mœurs des différents peuples et plus précisément des peuples dits archaïques ou primitifs. Elle tente un effort d’élaboration et de synthèse soit géographique (étude des caractéristiques des tribus d’une région à un moment donnée) soit historique évolution de tel groupe, soit systématique, en étudiant une coutume particulière, une cérémonie ou une institution. Il est paradoxal de constater que l’un des pères fondateurs de l’ethnologie française, Marcel Mauss, n’a jamais pratiqué le travail de terrain bien qu’il encouragea ses étudiants à le faire. Anthropologie : répandue par les anglo-saxons qui ont abandonné l’usage du terme ethnologie pour l’anthropologie. L’anthropologie comprend l’étude de l’homme dans sa totalité. Il faut savoir qu’en France actuellement, le terme anthropologie est de plus en plus employé à la place d’ethnologie. Certains utilisent indéfiniment l’un comme l’autre. Ex : Evans-Pritchard a étudié les Nuer au Soudan, Margaret Mead s’est rendue en Nouvelle Guinée, Malinowski aux îles Tobriand dans le Pacifique. Texte d'Isabelle Bazanger, Douleur et médecine, la fin d'un oubli Outre l’intérêt de ce texte qui illustre parfaitement comment un chercheur construit sa recherche et son cadre d’analyse (construction de son objet, l’originalité de sa recherche par rapport à ce qui a déjà été fait dans le milieu médical) il évoque le choix de sa technique (ethnographique) les limites de cette technique et son intérêt par rapport à son objet et sa démarche. Texte de Laplantine L’ethnographie ne consiste pas dans la collecte une grande quantité d’informations mais à s’imprégner soi-même des thèmes de la société que l’on étudie. C’est une immersion totale, une intériorisation, une « observation comportements humains à partir d’une relation humaine ». 51 directe des Méthode inductive car collecte d’information mais il faut « s’imprégner soi-même des thèmes obsessionnels d’une société, de ses idéaux et de ses angoisses ». « L’ethnographe doit être capable de vivre en lui la tendance principale de la culture étudiée ». Immersion totale, acculturation à l’envers : comprendre les manifestations extérieures (Durkheim) et les significations que donnent les individus de leurs comportements. L’ethnologue doit percevoir du dedans la société étudiée et mettre en évidence ce qui échappe aux acteurs sociaux. Différence avec la sociologie : le rapport à l’objet, pas de stricte programmation de l’enquête mais errance, essais avortés dont le chercheur doit tenir compte. L’ethnologie est une approche microsociologique, étude des groupes sociaux qui sont à l’extérieur de la société globale. On doit tenir compte de tout et tout phénomène doit être relié à la société dans laquelle il s’insère, en rendre compte dans la mutidimensionnalité de ses aspects. L’observateur doit s’intégrer lui-même dans le champ de son observation. Il ne faut pas dissocier celui qui observe de celui qui est observé : « nous ne sommes jamais des témoins objectifs observant des objets mais des sujets observant d’autres sujets » : l’ethnographe perturbe une situation et il est perturbé lui-même, interaction entre les deux et « ce que vit le chercheur dans sa relation à ses interlocuteurs fait partie intégrante de sa recherche ». Donc : l’observateur doit se prémunir contre l’ethnocentrisme, mais la subjectivité fait partie de sa recherche. On ne peut pas construire un objet d’observation indépendamment de l’observateur lui-même. 52 I - L’observation directe Vous devez toujours lier observation directe et travail de terrain dans le but de collecter des informations. L’observation est souvent opposée au questionnaire : le questionnaire recueille des réponses verbales qui constituent des opinions ou qui restituent des actes. Mais il peut y avoir une opposition entre les déclaration des personnes et leurs actes. La personne interrogée peut formuler des réponses qui sont contraires à son comportement habituel ou se sentir obligée d’adopter des vues conformes à ce qu’elle croit être l’attente de l’enquêteur ou convenir à l’opinion admise à cette époque. L'observation directe pressent des actes. A – Définition « L’observation directe consiste à être le témoin des comportements sociaux d’individus ou de groupes dans les lieux mêmes de leurs activités ou de leurs résidences sans en modifier le déroulement ordinaire. Elle a pour objet le recueil et l’enregistrement de toutes les composantes de la vie sociale s’offrant à la perception de ce témoin particulier qu’est l’observateur » (Peretz, p. 14). Beaud (S) et Pialoux (Michel), Retour sur la condition ouvrière Les deux chercheurs côtoient et étudient les personnes, sont témoins de leurs actions, écoutent leurs échanges verbaux, analysent les supports écrits (tracts, journaux d’entreprise…). Les chercheurs nous expliquent également les différentes techniques qu’ils ont employées et les limites de ces dernières par exemple ils montrent combien ils sont conscients de la relations enquêteur/enquêtés. Ce texte est très pédagogique sur la manière dont a été construite la recherche sur le terrain et hors du terrain… 53 Dans l’introduction de votre mémoire de recherche il faut vous astreindre à évoquer d’une manière précise tous les aspects méthodologiques (construction de l’objet et définition provisoire, les hypothèses, les concepts, votre terrain, votre période d’étude, votre technique, les obstacles rencontrées, les limites des techniques que vous employez…et tout doit être justifié à chaque fois) On peut distinguer 2 types d’observation : l’observation externe : situation dans laquelle le chercheur n’appartient pas au milieu étudié l’observation interne : le chercheur appartient au milieu observé Lorsque le chercheur appartient au milieu étudié, on parle d’observation interne : ce sont les acteurs qui étudient leur propre milieu pour le compte d’observateurs externes au groupe. Cela permet une certaine efficacité parce qu’ils peuvent avoir accès à des informations sans susciter la méfiance ou qui seraient inaccessibles à un observateur étranger. Cela permet de connaître le phénomène étudié de l’intérieur, il n’y a pas de risque de perturbation ni d’artificialité. Mais les observateurs ne disposent pas de toutes les compétences nécessaires, risque de partialité et de déformation des faits (favorable/défavorable). Lorsque le chercheur n’appartient pas au milieu étudié : Avantages : compétence des chercheurs garantie de validité et d’objectivité car distance entre le chercheur et l’objet étudié 54 Limites : risque de comportements artificiels, l’observation perturbe la réalité lacunes car difficultés pour un observateur étranger d’accéder à certains aspects de la réalité (méfiance, méconnaissance) observation qui peut rester superficielle Le chercheur peut décider de rester extérieur au phénomène étudié, il ne participe pas aux activités du groupe. Son observation peut être avouée ou clandestine. L’observation participante : l’observateur, étranger au milieu étudié, devient acteur de la réalité étudiée. Technique dérivée des procédés ethnologiques. Cela permet au chercheur de comprendre en profondeur les phénomènes observés. On entend par observation participante le travail de terrain dans son ensemble depuis l’arrivée du chercheur sur le terrain (quand il commence à négocier son travail, son accès) jusqu’au moment où il le quitte. L’observateur doit commencer par gagner la confiance des membres du groupe qu’il va étudier et s’intégrer dans leur vie quotidienne. Ce qui requiert de grandes qualités d’adaptation, de patience et d’intuition. Ce type d’observation est particulièrement intéressante lorsque l’on veut étudier la vie sociale dans sa durée, dans ses aspects les plus complexes, cachés, quotidiens. Avantages : les acteurs tendent à oublier la présence de l’observateur (ce qui diminue les risques d’artificialité) cela permet une observation plus complète de la réalité parce que l’observateur a accès à des informations plus profondes le chercheur du fait de son imbrication avec le milieu observé peut mieux percevoir la signification réelle des faits collectés 55 Limites : risque d’une vision partielle de la réalité et de comportements artificiels en cas de tensions ou de conflits le chercheur peut hésiter entre son rôle d’observateur ou de participant l’intégration peut compromettre l’objectivité du chercheur et modifier son regard sur les phénomènes étudiés, et provoquer des réactions de sympathie/antipathie Etude de Laurence Wylie : Peyrane un village du Vaucluse, 1957. Il va y vivre pendant un an avec sa famille. Son problème a été de s’intégrer au village, d’y trouver sa place et une fonction. Il enseigne l’anglais aux enfants de l’école primaire et s’improvise photographe du village. Et c’est par cette activité informelle qu’il va obtenir les informations recherchées. L’observateur doit se présenter : dévoiler son identité professionnelle et annoncer la finalité de sa recherche. Il peut également ne rien dire, l’observation masquée a notamment été utilisée par des auteurs travaillant sur le travail immigré, le F.N…. Dans ce cas, l’observateur travaillera dans la clandestinité mais il ne peut pas prendre ouvertement de notes, ni recueillir d’informations complémentaires auprès des personnes. Cela présente un certain risque pour l’observateur s’il est démasqué et cela pose des problèmes de morale et d’éthique. L’observateur peut travailler ouvertement en pénétrant un groupe après avoir obtenu l’accord des personnes concernées. Par exemple, l’observateur travaillant dans une organisation sociale dans laquelle il a été accepté peut prendre des notes, circuler librement, consulter les documents mais ce type d’observation lui impose un certain nombre de contraintes formelles dont il doit se défaire pour mieux observer ce qu’on peut vouloir lui cacher. 56 Avantages : permet une observation plus complète de la réalité donne au chercheur l’accès à des informations qu’il aurait ignorées s’il s’était tenu à des contacts superficiels permet une connaissance approfondie car le chercheur peut mieux percevoir la signification réelle des faits collectés Limites : quelque soit le degré d’intégration de l’observateur, sa présence peut provoquer des comportements artificiels l’intégration peut également compromettre l’objectivité du chercheur étant contraint par son statut de participant de prendre position en cas de conflits ou de tensions Texte de S. Beaud et de M. Pialoux, Retour sur la condition ouvrière Les deux chercheurs côtoient et étudient les personnes, ils sont donc les témoins de leurs actions, ils écoutent leurs échanges verbaux, analysent les supports écrits (tracs, journaux d’entreprise…). Leur souci est de lier entre elles les différentes dimensions de l’espace social (travail, école, habitat, consommation…). Ils expliquent les différentes techniques utilisées et leurs limites notamment sur la relation enquêteur/enquêté (p. 436). Ce texte est très pédagogique sur la manière dont a été construite la recherche sur le terrain : ils se placent dans les différentes sphères de la vie quotidienne, ce qui contribue à rompre avec la vision monolithique des groupes sociaux. Durée de l’enquête : 15 ans ce qui permet un « comparatisme en acte » : ce qui leur permet de saisir les évolutions dans le temps, de suivre les trajectoires individuelles et collectives. Le temps joue le rôle d’une variable de contrôle des données recueillies sur le terrain. 57 Différents types d’observation : participante et non participante auprès des ouvriers militants et non militants. Technique : entretiens répétés sur plusieurs années « la répétition des entretiens avec une même personne permet notamment de comprendre comment, dans le temps, les individus ajustent et adaptent leur stratégie à de nouvelles situations et à de nouvelles conjonctures ». La technique des entretiens répétés permet de prendre la mesure des changements, attention accordée au contexte, ce qui permet de corriger et de relativiser les interprétations. « Les entretiens ne sont pas seulement l’illustration d’un modèle théorique préalablement construit mais ils sont plutôt un instrument essentiel d’investigation, un outil de construction d’hypothèses toujours en cours de transformation comme une sorte de tremplin pour la réflexion ». Etude de la construction et de la déconstruction des identités collectives et individuelles des membres du groupe. Rq : dans l’introduction de votre mémoire de recherche, il faut vous astreindre à évoquer d’une manière précise tous les aspects méthodologiques, construction de l’objet et définition provisoire, hypothèses, concepts et concernant le terrain, la période d’étude, la technique, les obstacles rencontrés, les limites des techniques employées… tout doit être justifié. 58 B – le travail de l’observateur L’observateur a 4 tâches essentielles à remplir : être sur place parmi les personnes observées et s’adapter au milieu observer le déroulement ordinaire des évènements enregistrer les données interpréter ce qu’il a observé et en rédiger un compte-rendu Cette technique d’observation nécessite des compétences intellectuelles et sociales : capacité d’adaptation à une situation et à un milieu, faculté de mémorisation des différents aspects d’une situation, habileté à rédiger des notes claires…. L’observation directe se différencie de l’observation de type expérimentale (observer le comportement des personnes dans certaines situations créées par les observateurs). C’est un des aspects du travail de terrain et peut accompagner d’autres méthodes comme les entretiens formels, la consultation de documents écrits, la constitution de statistiques…. C – Que recueille-t-on par l’observation directe ? L’observation est issue de la démarche ethnographique qui a longtemps été une forme de collecte de données circonscrite à l’étude des sociétés lointaines étrangères au chercheur. On peut distinguer 3 aspects : l’inventaire des outils, type d’habitats, technique de production et de travail, objets artisanaux, vêtements…. On procède à l’inventaire des formes fixes d’une culture matérielle l’observation directe de certains comportements : vie domestique, religion, sorcellerie recherche de règles gouvernant les croyances et les relations (parenté) 59 Ce mode de recherche était souvent justifié par l’absence de tradition écrite au sein des sociétés étudiées et le statut étranger du chercheur qui ne parlait pas souvent la langue du milieu observé. Depuis, on utilise les acquis de cette méthode pour étudier des comportements contemporains ou proches (cf. Beaud, Bazanger). L’observation directe est particulièrement féconde pour l’étude directe des milieux très réglementés, elle permet d’aller au-delà des apparences formelles du fonctionnement des institutions (Goffman). Elle met en relief les modalités effectives de l’accomplissement des actes par les personnes (le travail) et le système complet des interactions entre toutes les catégories d’agents impliqués dans son fonctionnement. Les églises, les écoles, les entreprises, usines révèlent des propriétés de fonctionnement qui échapperaient à quiconque ne pénètrerait pas ces univers. Texte de Bazanger : il ne faut pas s’arrêter aux médecins et aux personnel médical mais prendre également en considération les malades. Objectif : étude pragmatique, étudier le travail médical en acte, ce qui signifie s’intéresser concrètement au travail des acteurs de la médecine et dans leur quotidienneté. Cette étude pragmatique se réalise par un travail ethnographique, une observation des rapports médecins/malades par une intégration aux consultations. Objet d’étude : c’est comprendre en quoi la douleur persistante comme objet même de l’intervention des médecins peut modifier le travail médical. Son hypothèse : la fragilité de la douleur comme fait (douleur chronique non identifiable et forte dimension privée) pèse sur les pratiques médicales. Précision de l’objet : comment les médecins déchiffrent-ils la douleur du malade pour déployer leur intervention ? 60 Nouvelle précision sur l’objet : la manière dont l’ensemble des ressources (connaissances théoriques et techniques) dont disposent le médecin sont mobilisées pour élaborer un jugement sur la douleur chronique à traiter. Son travail s’inscrit dans une perspective précise : référence aux travaux antérieurs et accent porté sur l’importance de la microsociologie. Son apport : celui des malades. Perspective interactionniste qui s’intéresse aux interactions des malades, aux stratégies déployées, à l’étude pragmatique des décisions médicales dans la continuité des travaux de Glaser et Srauss. Une des caractéristiques de l’observation directe est sa durée : elle doit être longue et répétée (Beaud). Elle ne doit pas intervenir de manière ponctuelle ni en cas d’urgence. II – La réalisation de l’observation 3 comportements sont indissociables : une forme d’interaction sociale avec le milieu étudié des activités d’observation un enregistrement des données observées (prise de notes) 1 – Les étapes d’une observation ne sont pas chronologiques Trois activités ne sont pas indissociables. Le chercheur mêlera sans cesse ces trois activités. Il aura toujours à entretenir des relations sociales, à observer et à prendre des notes. 2 – L’observation n’est pas une méthode « tout terrain » Chaque terrain impose une démarche particulière : chaque organisation sociale est disposée différemment à l’égard de l’observateur potentiel en raison de ses propres règles de fonctionnement qui définissent la présence des individus en son 61 sein. Pénétrer des milieux marginaux, des sociétés secrètes (sectes…), un groupe de militants syndicaux, n’obéit pas aux même facilités d’entrée si l’observateur est étranger à ce milieu ou s’il y est lié d’une manière ou d’une autre. 3 – L’observation requiert souplesse et innovation. L’observateur ne doit pas prévoir mais doit s’adapter au milieu. Il doit être au fait des changements des situations qui peuvent lui imposer de changer de rôle. Cette condition s’avère essentielle notamment dans le cas de l’observation participante. L'observation participante L’observateur est toujours étranger au phénomène étudié mais dans le cas de l’observation participante, il devient acteur et participe au phénomène étudié ou à la vie du milieu dans lequel il est immergé. La pratique de l’observation participante s’inscrit principalement dans une tradition anthropologique nord-américaine de recherche sur les organisations sociales plus ou moins fermées. L’observateur partage les expériences du groupe observé. Cette technique constitue un instrument précieux pour l’étude de la vie sociale dans la durée, dans ses aspects les plus complexes, les plus cachés et les plus quotidiens. Ex : Malinowski a partagé la vie des communautés étudiées (les Argonautes du Pacifique), parlant leur langue (contrairement aux premiers ethnologues qui utilisaient des intermédiaires). On a estimé que cette technique avait fait ses preuves en anthropologie donc elle pouvait être transposée dans d’autres contextes sociaux. Les sociologues vont alors l’utiliser pour mener des études sur des villages, syndicats, usines…. 62 Conclusion On assiste à un regain d’intérêt en sociologie pour le terrain, l’accent est mis sur la recherche qualitative, ce qu’on appelle la « grounded theory ». Le travail de terrain, prolongé, doit être à la base de la sociologie, les énoncés théoriques tirent leur validité de leur enracinement dans des études de terrain minutieuses. Il ne s’agit pas de renoncer à un travail théorique mais il s’agit de le construire différemment, de manière inductive. Mais collecte de donnée, analyse et théorie sont en rapports étroits. Le travail empirique y est posé comme contrainte a priori alors que chez Merton par exemple le travail empirique vérifie la théorie (jusqu’à ce qu’elle se trouve falsifiée). Le lien entre collecte de données, codage, rédaction de mémentos n’est pas linéaire. Ce qui ressort de l’ensemble de ces textes, c’est l’importance du terrain, prise de conscience que la sociologie est liée aux interactions avec d’autres sciences sociales comme l’ethnologie. Même si les deux regards diffèrent, la sociologie a su temporiser son travers positiviste en redonnant toute sa force au travail de terrain, force qui n’est cependant possible que dans le cadre d’une interaction avec un travail théorique parallèle. 63 Chapitre VI : L’enquête (2) : l’entretien On peut dégager deux types d’observation : l’observation directe héritée de l’ethnologie (discipline décrivant les mœurs des différents peuples) l’observation participante en sociologie héritée de l’anthropologie (étude de l’homme dans sa totalité). L’une et l’autre constituent deux niveaux différents d’implication du chercheur dans son terrain. L’étude sur le terrain combine plusieurs techniques de recherche : l’entretien, le questionnaires, l’analyse de documents, d’archives… L'entretien en sciences sociales c’est d’abord une situation, un contexte. L’entretien en sciences sociales est une situation au cours de laquelle un chercheur ou un enquêteur essaie d'obtenir d'un enquêté des informations, des connaissances, des expériences ou encore des opinions. Il y a donc un degré de subjectivité que l’on ne peut négliger. L'information produite par le biais de l'entretien se caractérise par la subjectivité dans la mesure où par opposition à une information recueillie au moment même d'un événement, l’information est restituée après avoir été préalablement assimilée et subjectivée, donc elle peut être complémentaire d’une observation directe. L’entretien est une situation totale Il faut prendre en compte la dimension à la fois sociale et interpersonnelle de l'entretien. Chaque entretien est un échange singulier. C'est en effet l'interaction interviewer/interviewé qui va décider du déroulement de l'entretien, c'est en ce sens que l'entretien est une rencontre. 64 L'entretien s'est toujours défini par opposition au questionnaire L'écoute est venue s'ajouter à l'interrogation, il s'agissait également de faire parler librement sur des thèmes donnés. C’est désormais la méthode reine de la sociologie (comme l’ont été les sondages y a 20 ans). La méthodologie de l'entretien s'est élaborée de manière empirique. Des principes généraux, des conseils techniques se sont progressivement dégagés des expériences réalisées, partant du bon sens pour aboutir à un véritable effort de construction d'une méthodologie. Tout ce que vous pouvez lire sur l’entretien comme méthode de recherche peut vous donner des indications mais il n’existe pas de mode d’emploi de l’entretien comme méthode de recherche. Seule l’expérience, « les ratés » permettent de prendre conscience des aspects que l’on a négligés et permettent de progresser. Mieux vaut consulter des essais critiques sur l’emploi de l’entretien dans le cadre d’une recherche précise et concrète que des ouvrages abstraits qui donneront à votre entretien un caractère artificiel. Au cours d’un entretien, une personne transmet à une autre des informations sur un sujet déterminé. C’est une discussion orientée, un procédé permettant de recueillir des informations sur un sujet donné. Il existe différents types d’entretien que l’on choisit en fonction des objectifs de la recherche, de l’étape de la recherche, du niveau de profondeur de l’information souhaitée. 65 I – La préparation des entretiens Pourquoi recourir à cette technique ? Comment préparer un entretien ? A – Le choix de l'enquête par entretien Le choix de l’entretien comme mode de recueil des données n’est pas innocent. Quel type de données se propose-t-on de collecter et par rapport à quel objet de recherche ? Différentes utilisations de l’entretien et adéquation à l’objet de recherche La méthode de l'entretien peut être utilisée à des fins différentes dans le cadre d'une enquête. L'entretien peut avoir une fonction exclusivement exploratoire : Il préfigure alors une enquête par questionnaire ou par entretiens approfondis. Les entretiens exploratoires demeurent superficiels, ils sont généraux, non directifs. Ils visent à enrichir la problématique, compléter les pistes de travail suggérées par la recherche documentaire. L'entretien peut également avoir un rôle complémentaire : Selon que l’enquête par entretiens est postérieure, parallèle ou corrélative à d'autres moyens d'enquête, elle : - enrichit la compréhension des données, - les complète et contribue à leur interprétation. 66 Voir texte de S. Beaud : l’entretien apporte un plus à l’observation, l’entretien approfondi est lié à l’approche ethnographique : des entretiens approfondis et répétés permettraient de pallier les difficultés d’entrée dans un milieu pour l’observer directement. Dans cette optique, l’entretien est un mode d’observation indirecte puisqu’il permet de recueillir des informations préalablement intériorisées par le sujet. L'enquête par entretien peut constituer le mode principal de collecte d'informations. Les différentes interviews s'enrichissent les unes des autres, elles doivent alors être en nombre suffisant. Texte de Samy Cohen : Face à une documentation pauvre sur son objet de recherche, il choisit de procéder à des entretiens. Il fait également la distinction entre entretiens exploratoires et entretiens à proprement dits, ses entretiens exploratoires lui permettent une meilleure maîtrise des entretiens ultérieurs. Retenez que : L’entretien est fonction de ce que l’on cherche : les entretiens peuvent porter sur les représentations et sur les pratiques. Ce type d’enquête vise l’étude d’un système (les pratiques elles-mêmes et ce qui les relie : idéologies, symboles…). Les entretiens sont alors centrés à la fois sur les conceptions des acteurs et sur les descriptions des pratiques. On s’intéresse aux expériences vécues des individus et aux logiques subjectives, aux modes de pensée des interviewés. L'enquête par entretien s’intéresse davantage aux processus, au sens des actions, il restitue mieux l’intégralité et l’originalité des représentations ou pratiques de l’interviewé : il met en évidence, à travers l'information produite, le contexte social, psychologique, idéologique de l'interviewé. 67 L'entretien est une technique plus flexible que d'autres, il permet de respecter le propre cadre de référence des interlocuteurs: leur langage, leurs catégories mentales. Texte de J. Siméant sur l’humanitaire : pertinence de la méthode par entretien par rapport au milieu étudié problème du manque d’archives d’où les entretiens problème de l’humanitaire face à cette méthode : c’est un domaine d’action d’où problème de déroulement et discours recueillis sur l’action compatibilité avec l’action militante on peut penser à la pertinence de l’observation participante Texte de S. Cohen : l’entretien est la source principale d’information car difficultés de disposer des sources écrites 2 types d’entretiens : exploratoires pour mieux connaître le milieu et entretiens proprement dits Texte de S. Beaud : la relation enquêteur/enquêté a du mal à se substituer à la relation entre collègues Des qualités indispensables Si la méthode utilisée doit être en adéquation avec l'objet de la recherche, elle nécessite des qualités particulières, un certain sens de la communication. L'entretien est une méthode multidimensionnelle dans la mesure où il ne se réduit pas à une production verbale mais implique une attitude, un comportement particulier des interlocuteurs. L'entretien peut paraître simple au premier abord, 68 or sa pratique nécessite des qualités d’écoute, une ouverture, une sensibilité et beaucoup de patience. B – Les différents types d’entretiens Vous trouverez dans les manuels plusieurs typologies d’entretiens. Les formes d’entretiens peuvent être classifiées en combinant deux critères : le niveau de profondeur de l’entretien (profond/superficiel) le degré de liberté dont disposent l’enquêté et l’enquêteur. L’entretien clinique L’entretien est centré sur le sujet, sur l’interviewé, ses préoccupations, ses émotions… Le degré de liberté est très élevé, c’est le sujet qui fixe ce dont il va parler, les thèmes abordés spontanément. Tout ce que le sujet va dire sera considéré comme important. L’entretien en profondeur Il s’agit d’aller au fond de certains aspects particulièrement significatifs pour le chercheur. Le degré de liberté est assez réduit : c’est l’enquêteur qui fixe les thèmes dont il faut parler et la façon de les aborder. Le degré de profondeur est assez élevé : chaque thème est étudié à fond. L’entretien centré Discussion assez peu structurée mais centrée sur un sujet précis et bien délimité. Le degré de liberté est élevé aussi bien pour l’interviewer que l’interviewé. Il suffit d’avoir un thème préalable et s’assurer que l’un et l’autre ne dévient pas. 69 On appelle ce type d’entretien « entretien exploratoire » : il consiste à explorer, à se faire une idée, voir ce que les personnes questionnées ont à dire sur le thème en particulier (il sert souvent à préparer les hypothèses de recherche). L’entretien non directif Ce type d’entretien s’apparente au précédent mais il y a un thème central et des sous-thèmes déterminés à l’avance. Ce type d’entretien est un peu plus structuré et le degré de liberté un peu plus réduit. On y recourt pour une recherche d’information complémentaire de niveau assez général. L’entretien semi directif Il se rapproche du précédent mais le degré de liberté est plus réduit. L’interrogé aura à répondre le plus directement possible à des questions précises (mais qui restent tout de même assez larges). Il ne doit pas dévier du cadre de chaque question. Le but recherché est de s’informer mais en même temps de vérifier à l’aide de questions, des points particuliers liés à certaines hypothèses préétablies. L’entretien directif C’est le degré de liberté le plus réduit, c’est presque un questionnaire que l’on fait passer oralement. Toutes les questions sont prévues et non improvisées au fil de la discussion. Le but visé est la vérification d’information de points précis et le recueil d’éléments d’information de détail. L’entretien direct/indirect Il faut savoir que l’entretien se distingue aussi par la tournure des questions que l’on pose et le type de réponse qui est induit. On différencie l’entretien direct de l’indirect : entretien direct : on pose une question précise (êtes vous timide ?), la réponse est oui ou non, elle ne nécessite pas de décodage ; 70 – entretien indirect : question indirecte (prenez vous la parole en public facilement ?), la réponse ici nous dira indirectement si nous avons à faire un timide. Ex : le vote : avez vous voté ? ou alors qu’avez vous fait ce dimanche ? L’entretien compréhensif Il s’agit dans certains cas de pousser les questions pour obtenir des réponses plus précises. Pour y parvenir il faut avoir recours à des relances et des dynamisations de la conversation (par exemple des rires). Jean Claude Kaufmann1 a le plus préconisé ce type d’entretien. Il refuse dans son ouvrage de figer sous forme d’instructions impératives la posture de l’enquêteur. Pour lui l’entretien y est pensé comme une conversation, un échange peu contraint, ouverts aux aléas et à toutes les formes possibles de ruptures de ton. Les seuls conseils qu’il donne c’est d’alléger le travail de définition de l’objet, de partir du terrain pour construire ses hypothèses selon les principes de la grounded theory d’Anselm Strauss. J.C Kaufmann, préconise l'emploi de la méthode empathique qui consiste à intégrer le système de valeurs d'un individu et y adhérer pour le faire parler. Retenez que: L'entretien non-directif se caractérise par une très grande liberté. L'enquêteur lance un thème de départ et ne fait rien d'autre que des relances. Il ne pose pas d'autres questions. Il laisse le discours prendre sa propre logique. L'entretien semi-directif est une forme d'entretien beaucoup moins libre. Il y a une consigne de départ, un thème, mais l'enquêteur s'appuie sur une grille d'entretien définissant l'ensemble des thèmes sur lesquels il doit recueillir des informations 1 Jean-Claude Kaufmann, L'entretien compréhensif, Paris, Nathan, 1996. 71 Remarque : Edgar Morin distingue interview ouverte et interview fermée2 : Interview ouverte : pas de questions, beaucoup de réponses, entretien long, importance de la relation enquêteur-enquêté, résultats difficiles à exploiter ; Interview fermée : questions, réponses précises, possibilité d'établir un échantillon représentatif, on ne tient pas compte des relations enquêteur-enquêté, l'entretien est court. On peut utiliser la technique qualitative et traiter les informations obtenues de façon statistique (ex. : comptabiliser les mots d'un même champ lexical). C - La conception de l'enquête par entretien Un entretien se prépare même si bien sûr l'entretien autorise des réajustements ultérieurs au fur et à mesure que l'enquête progresse. Population et échantillon La population : "définir la population, c'est sélectionner les catégories de personnes que l'on veut interroger et à quel titre, déterminer les acteurs dont on estime qu'ils sont en position de produire des réponses aux questions que l'on se pose."1 La définition de la population s'inscrit dans la définition même de l'objet de la recherche. Certaines caractéristiques peuvent être utilisées, mais les limites de la population interrogée sont surtout fixées en fonction de la problématique retenue et des 2 « une interview est une communication personnelle suscitée dans un but d'information ». Edgar Morin,Sociologie, 1994 1 Alain BLANCHET et Anne GOTMAN, op. cit., p. 50 72 hypothèses formulées. Une population concernée par la recherche est choisie en fonction de son statut d'informateur, chaque type de population est susceptible d'apporter des informations spécifiques. L'échantillon : l’échantillon nécessaire à la réalisation d'une enquête par entretiens ne peut être comparé à celui requis pour une enquête par questionnaire. L'échantillon ne se doit en aucune façon d'être représentatif. En effet, les informations issues des entretiens sont validées par le contexte et n'ont pas besoin de l'être par leur probabilité d'occurrence. La sélection au sein de la population de référence dépend de plusieurs éléments : le thème de l'enquête faiblement ou fortement multidimensionnel, de la diversité des attitudes supposées par rapport au thème et, enfin de moyens dont on dispose (temps et l’argent) : les facteurs matériels que sont le temps et l'argent définissent généralement le cadre géographique de l'échantillon à constituer. La diversité des personnes interrogées est définie en fonction de variables liées au thème et supposées jouer un rôle important dans la structuration des réponses. La constitution de l'échantillon est plus simple à déterminer en théorie qu'à réaliser en pratique car elle demeure dépendante de l'accès aux interviewés. Le mode d'accès aux interviewés Deux modes d'accès différents sont à la disposition de l'enquêteur : les modes d'accès directs et indirects. 73 modes d’accès directs : l'enquêteur recherche le contact directement par le porte à porte ou le face à face. Ils ne sont pas le fait d’un intermédiaire et leur efficacité peut être limitée par la distance sociale entre l'enquêteur et l'enquêté. On peut également utiliser des fichiers existants, pas seulement les listes électorales ou l'annuaire téléphonique mais les avis ou annonces publiés dans la presse ou encore des listes nominatives spécifiques (lauréats de concours, annuaires professionnels, etc.). modes d’accès indirects : l'enquêteur passe par l'entremise de tiers institutionnels ou personnels (voir la séance sur l’observation). Ils ont l'avantage d'être plus contraignants pour les interviewés, ce qui augmente les probabilités de rencontre. La demande de l'enquêteur, qui est une demande de recherche, se double d'une demande amicale, sociale ou institutionnelle. Deux types de démarches doivent être distinguées : la méthode de proche en proche et la méthode des informateurs La méthode de proche en proche consiste à demander à un premier interviewé potentiel de désigner d'autres interviewés possibles et ainsi de faire la chaîne. Ce procédé n'est efficace que quand la probabilité de rencontrer les sujets choisis dans un réseau familier est suffisamment grande. La méthode des informateurs : ce sont des personnes que l'on sait intégrées au coeur de réseaux sociaux plus vastes et en mesure d'indiquer le nom, l'adresse et le numéro de téléphone des personnes concernées par l'enquête. Les informateurs relais sont suffisamment au contact de la population choisie pour pouvoir ménager une introduction, mais en même temps assez distants pour que les répondants ne soient pas placés dans un rapport d'obligation. L'informateur recherche parmi ses connaissances une personne susceptible d'aider à la poursuite de la recherche. Une fois qu'il a contacté les personnes concernées, l'obtention d'un rendez-vous ne pose aucune difficulté. Le recours à un intermédiaire facilite l'accès à une population spécifique, mais le biais essentiel réside dans les critères sur lesquels les informateurs relais se 74 fondent pour désigner les interviewés. Les personnes rencontrées peuvent entraver davantage la recherche que la faire progresser. De ces premiers interviewés dépendent les prochaines réalisations des entretiens, or la chaîne des interviews suppose que l'image de l'interviewé-intermédiaire soit repérée pour assurer la réalisation des entretiens postérieurs. Or la relation de l'intermédiaire avec l'interviewé potentiel doit être profonde pour instaurer un climat de confiance et une acceptation sans résistance. Un autre problème est susceptible de se poser, le poids de la relation intermédiaire/interviewé dans la relation d’entretien, les risques de censure de part et d’autre. Les modes d'accès indirects restreignent la liberté de l'enquêteur dans le choix de ses interviewés. Une telle méthode multiplie les paramètres dont dépend déjà la recherche. Si le recours à un intermédiaire peut accroître les probabilités de rencontre, il peut également retarder l'exécution des interviews proprement dite. La réalisation des entretiens n'est plus seulement conditionnée par l'emploi du temps de l'interviewé et celui de l'interviewer, elle dépend alors d'une troisième personne. Texte de J. Siméant : Elle aborde la population humanitaire, elle évoque le problème de l’échantillonnage : 2 catégories sont interviewées : les personnes des sièges des organisations humanitaires les actifs, ceux qui sont sur le terrain, au cœur de l’action Texte de Bourdieu : importance du choix des personnes qui n’est pas innocent : Nécessité d’une proximité sociale et d’une familiarité, d’une complicité Ce qui suppose la délégation de l’enquête, façon originale d’avoir accès à ses interviewés 75 Mais problèmes de cette familiarité : socioanalyse à deux Autre problème il faut quand même construire scientifiquement ce discours, recueillir un discours naturel ne suffit pas. Avantages : éléments de complicité : même sexe, même statut social, même culture, etc. Problème d’une trop grande proximité : l’enquêté impose son jeu à l’enquêteur Texte de S. Beaud: Milieu populaire : risque d’augmentation de la distance sociale / chercheur. La question de l’élaboration du plan d'entretien L'entretien de recherche se caractérise par une certaine liberté, fidèle à la notion de non directivité mais l'entretien doit consister en une semi-improvisation, dans la mesure où chaque entretien est une situation singulière, mais où tout entretien a pour but de produire des connaissances. Le plan d'entretien est une sorte de fil conducteur, il doit rester souple. Le guide thématique Le guide d'entretien contient les thèmes qu'il convient d'aborder avec l'interviewé dans l'optique de la problématique fixée et des hypothèses de travail préalablement définies. Les thèmes à explorer sont en étroite relation avec les hypothèses dégagées à la suite de la recherche documentaire. La consigne de départ C’est l’amorce de l'entretien : elle doit avoir été pensée préalablement et par rapport aux personnes interviewées. La consigne choisie doit être générale afin de faire débuter l'interview mais ciblée dans le cadre de la problématique, afin d'éviter ambiguïtés et égarements. 76 Les stratégies d'intervention Les relances se construisent au fur et à mesure de la réalisation des entretiens. Toutefois, on peut prévoir quelques consignes si tous les thèmes ne sont pas abordés spontanément, prévoir certaines réticences sur certains thèmes. Mais les relances proprement dites s'improvisent lors de la réalisation des entretiens. Texte de S. Cohen : Insiste le plus sur le guide d’entretien : il dispose d’un guide plus détaillé, élaboré à partir d’une bonne connaissance du monde interrogé par le biais de lectures effectuées de manière à cibler l’entretien sur ce que l’on cherche et à ne pas s’en écarter. Texte de Bourdieu : L’entretien requiert beaucoup d’écoute et d’attention, le risque d’un guide d’entretien trop détaillé est de rendre l’entretien artificiel. La compréhension, c’est prendre l’interviewé dans sa totalité, avoir une disposition accueillante. Pour ne pas tomber dans la fabrication des opinions (questionnaire), ne pas figer l’entretien avec des questions toutes faites et respecter la large place accordée à l’interviewé dans l’utilisation d’une telle méthode. II - La réalisation des entretiens de recherche L'entretien dans sa réalisation déclenche un processus de communication, mais c'est un type de communication assez particulier dans la mesure où il est suscité et voulu d'un côté et plus ou moins accepté voire subi de l'autre. L'entretien de recherche passe par la maîtrise des différents paramètres de la situation sociale 77 d'entretien et par le contrôle des effets de la relation interviewer/interviewé sur les résultats de l’entretien. A - Les paramètres de la situation d'entretien L'environnement matériel et social ✗ Le facteur temps Le temps est extrêmement important pour un bon déroulement de l’entretien. Le choix de la tranche horaire de l'entretien est important, il faut notamment faire attention à la façon dont il s'inscrit dans la séquence des actions quotidiennes des interviewés. "L'influence de ce moment d'insertion temporelle de l'entretien dans la quotidienneté s'exerce à travers la contamination du discours par les représentations et actions précédentes"1. L’entretien est une intrusion dans la quotidienneté des personnes interviewées. La date et l'heure d'un entretien doivent être choisies pour maximiser la disponibilité de l'interviewé. L'enquêteur se trouve en situation de demandeur, situation qui ne lui permet guère de poser des exigences quant à la date et l'heure de l'interview. Selon la position sociale des interviewés, le choix du rendez-vous relève plus de l’interviewé que de l’interviewer. L'entretien en début de matinée évite l'influence d'un trop grand nombre d'événements le précédant, mais l'entretien réalisé au début de l'après-midi a l'avantage d'être plus décontracté, plus calme dans la mesure où il se situe dans la continuité de la pause du déjeuner. Il est important de choisir une tranche horaire assez large dans le cadre d'une journée dont l'emploi du temps n'est pas trop 1 Alain BLANCHET et Anne GOTMAN, op. cit., p. 69 78 surchargé afin que des limites externes à l'entretien ne viennent perturber son déroulement. On a besoin de temps pour faire un entretien : une heure et demie, deux heures. Le lieu Le statut de demandeur de la rencontre commande au chercheur de réaliser l'entretien dans l'environnement familier des enquêtés. C’est l’enquêteur qui se déplace. Chaque lieu communique des significations qui sont susceptibles d'être mises en acte dans le discours de l'interviewé. Il n'est pas indifférent de réaliser un entretien dans un cadre professionnel ou dans un cadre plus personnel. La situation commande des rôles et des conduites spécifiques. La définition du lieu de l'entretien ne découle pas d'un choix particulier, mais de la logique de la démarche d'enquête. Ces éléments doivent faire l’objet d’une observation particulière, ce sont des éléments qui interviennent dans l’interprétation de l’entretien et son analyse Exemple : l’entretien dans le milieu professionnel Le bureau instaure une distance entre les interlocuteurs, il porte les marques du pouvoir, du statut des individus. Il révèle les goûts d'une personne mais surtout les habitudes d'une organisation. Généralement, l'interviewé s'inscrit davantage dans un rôle professionnel facilitant la production d'un discours soutenu et maîtrisé sur des thèmes opératoires, mais dénués d'éléments personnels, un discours convenu, chacun des interlocuteurs jouant un rôle. Les lieux qui encadrent la situation d'entretien ne sont pas innocents. Les entretiens peuvent se dérouler au domicile des interviewés. L'avantage d'un tel entretien est la décontraction qui caractérise la communication entre les interlocuteurs, sa plus grande simplicité. 79 L'interviewé a tendance à produire un discours plus long, peut-être plus sincère dans la mesure où il ne subit pas de pression professionnelle directe (coups de téléphone) ; le discours apparaît légèrement moins standardisé et l’observation du lieu apporte un certain nombre d’informations importantes. Voir le texte de Stéphane Beaud.. Les positions occupées par les interlocuteurs sont un autre paramètre important de la situation sociale d'entretien, l'entretien peut se dérouler de part et d'autre d'un bureau, en face à face, 3/4 face etc. Les places sont essentiellement déterminées par les lieux et influent sur le type de discours (devant le bureau ou au salon). Selon les positions des interlocuteurs, une plus grande proximité est favorisée et par là-même la production d'un discours plus personnel, sincère et naturel. Attention au vocabulaire employé, choisi en fonction de l’interlocuteur. La présence du dictaphone : entraîne une certaine réserve. La gestion de la relation enquêteur/enquêté doit tendre à le faire oublier. La distribution des acteurs La distribution des acteurs concerne les caractéristiques physiques et socioéconomiques des interlocuteurs. De nombreuses études ont montré l'influence du sexe, de l'âge, de la catégorie socioprofessionnelle, de la référence culturelle, etc. des individus engagés dans la situation d'entretien. Chacune de ces caractéristiques jouent sur la représentation que l'interviewé se fait de son rôle dans l'entretien. La similitude d'âge ou de sexe favorise une proximité entre les interviewés, le discours se fait plus souple, peut-être plus naturel. Ces similitudes confèrent à la relation interviewer/interviewé une plus grande égalité. Chacun possède ses propres repères et racines culturelles et l'interviewer n'en est pas dénué. Le cadre contractuel de communication 80 Le cadre contractuel est dès les premiers contacts constitué par les représentations et les croyances mutuelles des interlocuteurs sur les enjeux et les objectifs du dialogue. Pour instaurer un cadre contractuel initial, l'interviewer est tenu d'informer l'interviewé sur un certain nombre d'éléments : ✗ l'objectif de l'entretien, ✗ le choix de la personne interviewée, ✗ le mode de prise de contact, ✗ l'enregistrement ou non de l'entretien, ✗ les thèmes abordés et enfin le type d'acte demandé, Dans la mesure où l'entretien est réalisé à la demande de l'interviewer, ce dernier est seul habilité à définir les conditions de l'entretien. On doit intégrer l’interviewé à la recherche. Le cadre contractuel de communication vise à instaurer un climat de confiance, le rappel de l'intermédiaire et la présentation de la recherche vont dans ce sens. Il a aussi pour but de définir le cadre de l'entretien afin de le faire répondre aux objectifs de la recherche. Ces éléments définissent le rôle des interviewés et facilitent leur participation. L’enregistrement facilite le recueil des données, il est important mais il peut être refusé (avoir l’accord de l’interviewé, il est important de demander à l’interviewé s’il souhaite conserver l’anonymat). Tous les textes soulignent l’importance du temps, l’attention portée au contexte et au type d’interlocuteur que l’on sollicite. Le contexte doit faire l’objet d’une analyse détaillée, l’entretien n’est pas seulement un acte de parole : tout doit être pris en compte depuis la prise de contact jusqu’à l’entretien proprement dit, l’environnement a son importance, tous les bruits hors entretiens, les mimiques de l’interviewé, ses silences, son attitude. Le travail d’interprétation commence dès le début de l’entretien.. La relation de interviewer/interviewé est essentielle à restituer 81 Importance du milieu social, on doit s’atteler à réduire la distance. L’entretien est une relation sociale entre personnes différenciées (sexe, milieux sociaux…). Les enquêtés qui disposent d’un certain pouvoir social vont avoir tendance à imposer le lieu et l’horaire, ce qui impose des contraintes sur la relation enquêteur/enquêté. L'écoute La technique d'écoute est au coeur de la méthodologie de l'entretien. Le discours produit par l'interviewé n'est pas simplement enregistré, il fait l'objet d'une première analyse "immédiate" de la part de l'interviewer qui le replace dans le contexte problématisé de la recherche A partir de l'écoute, l'enquêteur construit et prépare ses interventions. A travers une écoute attentive, l'interviewer est également capable de déceler les sentiments implicites de l'interviewé, il est en mesure d'apprécier si ceux-ci peuvent être exprimés explicitement sans son intervention. Or un discours dont on ignore le contexte dans lequel il s'inscrit est difficilement interprétable. L'écoute permet de saisir les éléments tacites d'un discours, l'importance des silences et les variations dans le ton employé, autant d'éléments qui font partie de la situation d'entretien, importance de la gestuelle, du contexte. Les stratégies d'intervention Différents types d'intervention existent pour favoriser la production d'un discours : La relance est une sorte de paraphrase ou de commentaire de l'énoncé précédent de l'interviewé. La contradiction est un mode d'intervention qui contraint l'interviewé à soutenir l'argumentation de son discours. Attention aux effets de fermeture induits par ce type d’intervention. Les questions externes sont utiles dans la mesure où elles brisent le silence propre à l'épuisement d'un thème pour en aborder un nouveau. Elles doivent être 82 claires et précises, elles peuvent prendre une forme interrogative, préférez une forme moins brutale, par exemple : "j'aimerais que vous me parliez de..." ou « Comment se passe telle ou telle chose… » Les relances : Les relances constituent le mode d'intervention privilégié de l'entretien de recherche non directif. Elle prennent pour objet les dires antérieurs de l'interviewé. Elles ne s'opposent pas aux arguments énoncés mais elles se coulent ✗ dans le discours. Elles s'inscrivent dans le déroulement des énoncés des interviewés. ✗ Ce sont des actes réactifs. 3 types de relances peuvent être distingués, chacune des relances ayant des effets spécifiques sur les discours produits : une réitération, c'est-à-dire que l'interviewer reprend en le répétant ✗ un point de vue énoncé par l'interviewé ; une déclaration, c'est-à-dire que l'interviewer fait connaître son ✗ point de vue sur le discours de l'interviewé ; une interrogation, c'est-à-dire que l'interviewer pose une question à ✗ l'interviewé. Les types de relance de l'interviewer : L'écho : l'intervention répète ou reformule un ou plusieurs énoncés référentiels du discours de l'interviewé ; Le reflet : l'intervention répète ou reformule avec un préfixe modal un ou plusieurs énoncés du discours de l'interviewé ; La compréhension : l'intervention vient ajouter un élément d'identification de la référence à l'énoncé précédent de l'interviewé. Ce sont soit des déductions partielles, soit des anticipations incertaines ; 83 L'interprétation : elle est la suggestion d'une attitude non explicite de l'interviewé ; L'interrogation est la demande d’une précision. Tout dépend de ce que l’on cherche. L'utilisation des relances Ces interventions qui consistent à répéter un contenu déjà exprimé par l'interviewé manifestent à la fois une confirmation d'écoute et une demande d'explication. Plus spécifiquement, la réitération écho montre à l'interlocuteur que l'on a bien entendu et compris ce qui vient d'être dit, mais montre également que l'on tient à souligner l'importance de certains éléments par rapport à d'autres. Son usage systématique agace l'interlocuteur et conduit à une interview profondément artificielle. Par son caractère insistant, l'écho provoque des résistances ou soumissions. Privilégiez la réitération reflet plus facile d'utilisation : elle permet de ne pas briser la linéarité du discours tout en demandant des précisions, des explications supplémentaires. Les préfixes utilisés, par exemple "vous dites que.." permet l'obtention d'un discours narratif, il s'agit de raconter des événements. Le préfixe "vous pensez que..." vise un discours plus informatif, des opinions, des représentations. Les préfixes soulignent une distance entre ce qui est pensé et ce qui est dit. Une telle réitération permet l'obtention d'un discours plus nuancé. Il s'agit d'essayer d'obtenir un discours authentique, mais un usage systématique du reflet semblerait mettre en cause indirectement l'assurance de l'interviewé dans la croyance de ce qui l'énonce et risquerait de limiter son flux de paroles. La réitération reflet doit être réservée aux moments importants, un usage non abusif renforce son efficacité. 84 L'effet contrasté des déclarations Les interventions en forme de déclarations sont une tentative pour aider l'interviewé à produire un discours plus complet et plus cohérent. ✗ On propose une sorte de reformulation conclusive et généralisante qui montre que l’on a compris et qui confirme à l'interviewé l'intérêt de ce qu'il dit. ✗ L'interviewer peut également avancer une déduction incertaine et hâtive pour que l'interviewé apporte un développement supplémentaire pour combler la lacune apparente. Par l'interprétation, il s'agit de rendre explicites des sentiments perçus comme implicites, il s'agit d'adopter une attitude compréhensive. Il est nécessaire de ne pas en abuser. Dans le dernier cas, les interprétations peuvent instaurer une distance entre les interlocuteurs et inciter l'interviewé à se refermer sur lui-même ou à se soumettre à l’interprétation de l’interviewé. L'effet perturbateur des interrogations Une dose massive d'interrogations perturbe le déroulement de l'entretien de recherche. L'interviewé attend alors de l'interviewer qu'il l'interroge et lui délègue de fait une part de responsabilité importante de l'énonciation. Il tend à se maintenir dans une position passive. Un entretien fondé sur une conduite trop interrogative ressemble rapidement à un interrogatoire. Les relances interrogatives propositionnelles (est-il, est-ce que...) tendent à mettre en question la sincérité du propos tenu par l'interviewé et peuvent entraîner des effets de résistance voire par réaction une radicalisation des opinions exprimées. 85 Ces relances doivent être utilisées avec modération car, si elles permettent la clarification d'un point de détail, elles sont animées par une curiosité qui peut gêner l'interviewé. Les relances interrogatives catégorielles (comment, combien...) permettent d'explorer plus précisément un sous-thème et facilitent la production discursive dans la mesure où elles sont perçues comme une demande d'informations. La question "pourquoi" est toujours à éviter. Elle peut également entraîner des blocages de discours. Au regard de tous ces éléments techniques, l'entretien est un savant dosage d'interventions et d'écoute. CONCLUSION L'entretien nécessite des enquêtés, du temps, et de l’expérience. Face à la possible similitude des discours, il est préférable d'espacer les rencontres afin d'éviter une lassitude de l'enquêteur. Importance du contexte et du type d’interlocuteur que l’on a en face. L’entretien se prépare pour maîtriser la relation enquêteur/enquêté. L’entretien n’est pas uniquement un fait de parole. Le corps reflète, précède, accentue ou accompagne l'expression verbale. Le regard a également son rôle à jouer. Le contexte est nécessaire pour interpréter l’entretien. L'interviewé lui-même manifeste une intention en répondant positivement à l'offre d'entretien quand il l'accepte. La retranscription : Elle doit être fidèle : tous les éléments sont importants (silences, hésitations, etc.). Les retranscription seront placées en annexes. Ne pas substituer des mots, ne pas transformer l’ordre des questions, toutes les coupures doivent être signalées. Lorsque vous citez vos entretiens dans vos développements, dans 86 l’interprétation des résultats de votre recherche, vous devez rester fidèles aux dires des interviewés tout en rendant intelligible son propos à quelqu’un d’extérieur à la recherche. Chapitre VII : Les méthodes quantitatives en sciences sociales: L'usage du questionnaire, l'objectivation statistique Le questionnaire nous est familier : Les sondages politiques ; Les enquêtes de consommations ; Les tests de connaissance de soi, etc. L’enquête par questionnaire est très largement utilisée dans la 2ème moitié du XXème siècle, elle occupe une place privilégiée dans la vie politique et dans la vie économique. On peut parler du développement d’une foi dans les chiffres. La sociologie s’est également convertie aux méthodes quantitatives pour étudier les phénomènes sociaux. On peut distinguer : Les chiffres descriptifs : ceux qui se veulent le plus précis possible car il y a un enjeu social derrière l’enquête menée : – c’est le cas du recensement par exemple, le cas de la mesure de l’audimat ; – les sondages publiés dans les journaux : les sondages sont considérés comme une technologie sociale « visant à faire croire que l’on donne la parole au peuple » (P. Champagne) notamment sur des sujets sur lesquels on ne le consulte pas. 87 Une majorité doit se dégager de l’enquête : « x % de Français pensent que…. » mais on ne souligne pas les différences internes au groupe, seulement dans le commentaire et encore. Il est fait un usage fréquent du sondage, non pas pour mieux voir la réalité mais pour créer un effet de consensus, une fiction sociale, celle d’une majorité relative ou absolue. Selon P. Bourdieu, on impose une image de consensus en faisant disparaître les luttes symboliques donc le sondage peut être un instrument d’action politique. Le chiffre explicatif est celui de l’enquête sociologique par questionnaire : le chiffre parle de lui-même, l’objectif est de rendre compte d’une activité ou d’une opinion en dévoilant les facteurs qui influent sur elle. Nous sommes là dans les chiffres explicatifs. Et l’enquête la plus célèbre demeure sans doute celle de Durkheim sur le suicide. Bourdieu (P.), Chamboredon (J.C), Passeron (J.C), nous disent : « La statistique a eu le mérite d’opposer des faits indiscutables – ou, à tout le moins discutables – aux « vérités » indiscutées du bon sens ». (Le métier de sociologue). On part donc du principe que les acteurs sociaux ne connaissent pas les raisons objectives de leur conduite donc on doit rechercher de l’extérieur ce qui pousse les individus à agir (l’ensemble des facteurs sociaux qui déterminent leur conduite). Il y a d’inévitables biais (d’ailleurs Durkheim n’a pas toujours pu les éviter comme le montre le texte de Dominique Merllié, « La construction statistique »). Merllié dans « la construction statistique » insiste sur le fait que les statistiques demeurent des constructions sociales qu’il est important de questionner et de soumettre à l’analyse sociologique. Le questionnaire n’a pas pour objectif de décrire dans le détail la conduite des acteurs sociaux mais « d’expliquer ce que les acteurs font par ce qu’ils sont, et 88 non pas ce qu’ils disent de ce qu’ils font » (Bourdieu et Passeron, Le métier de sociologue). I - Questionner A) Le choix de la méthode. Avant de choisir une méthode, il faut bien définir les objectifs de l’enquête. C’est la même chose pour toute technique de recueil de données. L’entretien est un instrument privilégié pour la compréhension des comportements, on cherche à reconstruire le sens subjectif, le sens vécu des comportements des acteurs sociaux. Le questionnaire apporte des explications sur les conduites, sert à saisir le sens objectif des conduites en les croisant avec des indicateurs des déterminants sociaux. La première étape est de bien définir l’objet de l’enquête, on cherche à récolter des informations : quelles informations et dans quel objectif ? L’enquête par questionnaire, comme l’enquête par entretien ou par observation participante, nécessite une bonne délimitation de son objet de recherche, un travail de problématisation, un travail sur les notions au centre de l’enquête qui permettra de trouver les bons indicateurs de manière à poser les bonnes questions. Avant d’élaborer un questionnaire, il faut au préalable : - Lire ce qui a été écrit sur le sujet : comment cela a-t-il été traité auparavant ? – Ecouter les acteurs sociaux : ce qu’ils disent de leurs pratiques d’où l’intérêt d’une pré-enquête par entretiens (avoir une bonne connaissance sociologique et une bonne connaissance de l’objet de l’enquête) 89 – L’élaboration progressive d’une problématique, un questionnement théorique qui servira à la formulation du questionnaire L’enquête par questionnaire a pour objectif de mettre à jour les déterminants sociaux, inconscients des pratiques ou opinions, d’établir des corrélations entre différents phénomènes ou variables. Exemple : Si votre objet d’enquête est la pratique de la religion catholique en France, vous ne pouvez pas vous contenter de voir si la personne se rend à l’église le dimanche mais plusieurs dimensions doivent être abordées : - pratiques religieuses - croyances - attitudes à l’égard de l’institution - activités religieuses, etc... Il est important de définir les thèmes du questionnaires en fonction des variables retenues dans l’élaboration de vos hypothèses. Comme pour toute autre enquête, d’autres facteurs interviennent dans le choix d’une technique de recueil de données : argent, temps, la nécessité d’être plusieurs enquêteurs car souvent grand nombre de personnes à interroger, les sources documentaires dont on dispose concernant la population, l'objet de l’enquête (indispensables pour établir l’échantillon, on y reviendra) ainsi que les moyens matériels divers dont on dispose et qui sont nécessaires (ordinateur, véhicule, mailing, autorisations, etc.) Le questionnaire en tant qu’instrument de mesure doit être standardisé, c’est-àdire qu’il placera tous les sujets dans la même situation pour permettre des comparaisons entre groupes de répondants : on ne doit pas en cours de passation du questionnaire modifier les questions ou ajouter des explications. 90 En même temps, le questionnaire devra répondre aux besoins de l’enquête : chaque question est là parce qu’elle a une utilité. Ainsi on se demande pour chacune des questions : pourquoi poser cette question ? A quoi servira t-elle ? Mais il n’y a pas une manière unique de poser une question. Il existe une grande variabilité dans la formulation des questions. B ) Les Questions 1) le type de question Les questions se distinguent par leur fond et par leur forme. La forme : Questions ouvertes/questions fermées : Questions ouvertes : Une question est dite ouverte ou fermée selon que la réponse à donner est libre ou fixée à l’avance. L’enquêté utilise son propre vocabulaire pour répondre à la question ouverte. Evidemment il faut éviter de se servir d’une question ouverte pour des généralités ou des grands problèmes : Ex : quel est votre avis sur la mondialisation ? Vous allez effrayer l’enquêté. Ex de question ouverte : Pourriez-vous citer un film français correspondant le mieux à l’image que vous vous faites de la police ? Questions fermées : Différentes formes de questions fermées : une question fermée peut donner le choix entre deux modalités de réponses, on a alors une question dichotomique, oui/non ; la question fermée peut proposer un nombre d’éventualités plus important en matière de réponses : la réponse à une question fermée peut en effet se présenter sous forme de classement A l’aide d’échelles de nuances : très satisfait, assez satisfait, mécontent, très mécontent. Préférence au nombre pair pour éviter l’attraction de la position centrale. 91 Pour ces questions fermées qui proposent un certain nombre d’éventualités, on parle alors de question à évaluation notamment pour des questions d’opinions. On parle plutôt de questions à éventail pour les questions de comportement. La réponse peut également s’effectuer sous la forme du choix d’un échelon sur une échelle numérique, en donnant une note de 0 à 20, de 0 à 10, voir ce que dit Bourdieu, sur ce point, dans « L’opinion publique n’existe pas », pp. 226-227 Une même information peut être demandée sous forme de question ouverte ou fermée Ex : Quel est votre âge ? ou à quelle tranche d’âge appartenez vous ? Moins de 20 ans/entre 20 et 30, etc. Quand il s’agit de questions sur les opinions ou les comportements, les informations recueillies peuvent être fort différentes selon la forme de la question. Avantages et limites des questions ouvertes : le sujet est libre, il peut préciser son propos, le nuancer. Les questions ouvertes donnent en général des informations riches et diversifiées en particulier pour étudier les représentations. On recueille la façon dont les individus perçoivent le monde social, cela n’est pas imposé par diverses modalités de réponses. Elles renseignent sur le niveau d’information des répondants et leur compréhension des questions. Mais les personnes ont souvent du mal à répondre. Et l’analyse de ces questions est lourde, les informations recueillies peuvent être dispersées. Avantages et limites des questions plus fermées : le sujet peut nuancer sa réponse tout en disposant de points de repères pour formuler ses réponses. Cela facilite l’exploitation du questionnaire. Mais influence des questions proposées (il n’y aurait pas pensé spontanément) et si la liste est trop longue, son choix s’effectue dans les premières réponses (dans le cas d’un questionnaire à l’écrit) ou les dernières (dans le cas d’un questionnaire à l’oral). Donc possibilité d’écrire les réponses sur une fiche et les présenter ou modifier l’ordre pour que les inconvénients se compensent. 92 Remarques : Exhaustivité : des catégories de réponses exhaustives et mutuellement exclusives : toutes les possibilités de réponse doivent figurer dans le questionnaire.. Le faux intérêt de l’item « autres » : dont on espère qu’elle va élargir le champ de réponses, mais les questions semi-ouvertes n’ont pas l’intérêt des questions ouvertes : seule une fraction des sujets interrogés utilisent ce moyen d’expression et elles ne permettent plus de faire des comparaisons entre les répondants car tous ne sont alors pas dans la même situation : certains l’utilisent, d’autres pas, certains en l’utilisant en font une question ouverte, les autres en l’ignorant en font une question fermée. Si on veut élargir, mieux vaut introduire une question ouverte à la suite de la question fermée, Ex : Voyez vous quelque chose à ajouter à cette liste ? L’item « autre » a son utilité dans certains cas limités pour éviter d’avoir à prévoir tous les types d’habitation par exemple pour ne pas trop allonger le questionnaire. Questions directes et indirectes : Questions directes : utiles pour obtenir immédiatement les informations recherchées mais si on craint que la réponse ne soit pas sincère on préférera une question indirecte dont la réponse fournira l’indice d’une opinion ou d’un fait, d’un comportement (qui ne serait pas révélé autrement). Ex : question des revenus : on demande si voiture, maison secondaire…. Donc on s’intéresse au niveau de vie pour en déduire le revenu Ou encore sur certains thèmes, on demande si l’entourage est concerné par telle opinion ou comportement et non l’enquêté lui même directement Ex : avez vous des amis qui se droguent plutôt que vous droguez vous ? Ou on transfert l’enquête sur une tierce personne, une personne imaginaire Ex : Que ferait Monsieur Dupont, selon vous par exemple dans telle situation ? Ou on peut utiliser le principe de l’association de mots 93 Ou encore des phrases à compléter Ou on peut utiliser un support visuel Ou enfin le questionnaire écrit peut être agrémenté d’éléments de BD, dessins humoristiques, etc. Mais le risque des questions indirectes réside dans le fait qu’il faut interpréter davantage les réponses. Le fond Les questions de comportement : que font-ils ? Ces questions décrivent les pratiques des répondants. On distingue traditionnellement les comportement non-gênants et les comportements gênants Les comportements non gênants : ce sont les questions qui entraînent peu de réticence à répondre, comportement au travail, pendant les loisirs, les pratiques en matière de consommation, etc. Mais la limite entre comportements gênants et non gênants n’est pas toujours très claire, très nette. On peut alors poser des questions spécifiques : pour connaître les comportements non gênants, il est nécessaire de poser des questions ciblées. Les comportements gênants : un comportement est gênant quand une réponse est socialement désirable ou socialement indésirable. Là intervient le biais de désirabilité sociale : certains comportements vont donner lieu à une surestimation : être un bon citoyen, être une personne cultivée, avoir été bon élève, etc. Les comportements indésirables ont tendance à être sous estimés : certaines maladies, les comportements hors normes (violation des règles de conduite sur les routes, consommation d’alcool, etc.). Le répondant est alors sur la défensive quand des questions tendent à nuire à l’image qu’il veut donner. Des questions brutales ou indiscrètes peuvent entraîner un repli sur soi du répondant. Il faut donc 94 prendre un certain nombre de précautions. Il faut lutter contre la tendance à la désirabilité sociale : on s’arrange pour introduire dans la question quelque chose qui rende acceptable n’importe quelle réponse. Ex : on ne dit pas : avez vous déjà conduit en état d’ébriété ? Mais : Quand avez vous conduit pour la dernière fois en état d’ébriété ? Il faut que le répondant se sente déculpabilisé. On peut éviter une réponse trop attractive en insistant sur les réactions habituelles. Ex : concernant l’abstentionnisme, dans telle élection : la moitié des électeurs n’a pas voté, etc. On peut minimiser le caractère exceptionnel d’un comportement La frontière est parfois floue entre faire parler et influencer les réponses. Il faut prévoir l’usage d’un vocabulaire familier, un large éventail de réponses pour les questions fermées et pour les questions ouvertes une certaine longueur de l’énoncé de la question. D’une façon générale les questions de comportement sont difficiles à poser. Les réponses risquent de révéler davantage la représentation que l’enquêté se fait du comportement acceptable pour lui, plutôt que son comportement réel. Questions d’opinion : que pensent-ils ? Questions portant sur les manières de juger ou de penser (croyances, opinions, attitudes, satisfaction, préférences, motivations), bien accueillies par les répondants : « on me demande mon avis ». Les questions dichotomiques sont à éviter. Les échelles de nuances sont très utilisées : très intéressant/intéressant/assez peu intéressant/pas du tout intéressant ou sur une échelle numérique, on parle de questions à évaluation. 95 Choisir des termes parmi une liste est rébarbatif, mieux vaut différentes petites questions. On évite les positions médianes, refuge des indécis, item : ni d’accord ni pas d’accord. L’item « sans opinion » : l’inclure évite de se dire que tout le monde a une opinion. Mieux vaut demander s’ils ont une opinion sur la question avant de la poser. Si on pose des questions fermées, nécessité d’une réflexion préalable sur l’attitude éventuelle des interrogés lors de la rédaction des questions : – aptitude à s’exprimer, – niveau d’information sur le sujet de l’enquête, – valeurs dominantes et tabous du groupe d’appartenance… Questions d’intention ou d’anticipation : quels projets ont-ils ? Ce type de question ne permet pas de fonder des prévisions valides, c’est une surestimation généralement. Il vaut mieux analyser la situation présente et voir si des besoins sont exprimés. Ex : sondages préélectoraux représentent ce type d’enquête, mais une intention n’est pas un acte, les résultats sont donc très incertains, ces sondages s’apparentent finalement à des sondages d’opinion. Questions de connaissance : que savent ils ? Elles doivent être adaptées aux enquêtés mais il peut y avoir une gêne. Il faut intégrer l’item, je ne sais pas. Ce sont des questions délicates. Questions signalétiques : qui sont-ils ? Il s’agit de décrire les répondants : habituellement à la fin du questionnaire car grand intérêt pour l’analyse mais peu d’intérêt pour le répondant. Obligation de justifier la présence de telles questions : 96 Ex : « Pour analyser les résultats de l’enquête, je vais vous poser des questions supplémentaires ». Elles peuvent également figurer au début du questionnaire comme introduction ou encore au milieu pour introduire un thème. Sexe et âge : pas de difficultés Age généralement de cinq en cinq Niveau social : profession niveau d’instruction, revenu. La référence est celle de l’INSEE Instruction : âge de fin d’étude ou diplôme, attention à ceux qui poursuivent leurs études Revenu : question sensible : elle touche des renseignements d’ordre privé. Sous forme ouvertes, non réponses. Mieux vaut une question fermée, les limites des catégories doivent être définies avec soin, précisez si revenu par mois, par an, etc. Il vaut mieux que le répondant n’ait pas à répondre oralement par un chiffre : on présente une liste de catégories auxquelles correspondent une lettre, le répondant donne la lettre. On peut se servir d’indicateurs de niveau de vie. On peut rajouter d’autres caractéristiques selon les besoins de l’enquête, la situation familiale, l’habitat, etc. La profession est une variable intéressante du fait qu’elle est souvent un indicateur de statut et de milieu social. En France la généralisation de l’usage du code des « catégories socio-professionnelles de l’INSEE comporte à la fois un avantage et un inconvénient : Avantage : le recours aux mêmes catégories permet la comparaison Inconvénient : ce vocabulaire commun peut cependant masquer des usages et constructions différentes et variées 2) la rédaction des questions La rédaction des questions peut avoir une grande influence sur les réponses recueillies, sur la validité des réponses et leur précision. 97 2 objectifs : - obtenir des informations précises ; - le contenu des réponses ne doit pas être influencé par la question donc quelques règles à respecter dans la rédaction et l’organisation du questionnaire. a ) La précision des questions But : obtenir des réponses correspondant exactement à l’information que l’on cherche à obtenir et traduisant fidèlement ce que le sujet veut exprimer. Règle fondamentale : Les réponses doivent être comprises de la même façon par toutes les personnes interrogées. Un niveau conceptuel adapté et concret : pour chaque question on se demande si le sujet est capable d’y répondre, si la question est suffisamment concrète et précise : du bon usage des filtres : si une personne n’est pas concernée par une situation, ne pas poser la question. Ex : avez vous des enfants ? plutôt que quel est l’âge de vos enfants ; Le vocabulaire : pour chaque mot on se demandera s’il n'a pas d’autres sens, s’il ne peut pas être confondu avec un autre mot, si on peut être plus clair, plus précis. Le vocabulaire doit être familier, l’enquêteur doit s’exprimer dans un langage naturel et simple, pas de langage spécialiste ou de jargon particulier. Ex : suffisamment devient assez, attitude devient opinion, majeur devient principal, catégorie socio-professionnelle devient métier, etc. Il convient d’éviter les équivoques : attention aux usages régionaux de certains mots, certains mots peuvent avoir un sens différent selon le groupe social auquel on s’adresse. Il convient de simplifier les tournures grammaticales Il convient de préciser les questions 98 Ex : Dans quelle ville êtes vous né ? plutôt que où êtes vous né ? qui peut amener comme réponse une ville, un pays, etc. Il convient d’émettre une seule idée par question. b ) La neutralité des questions Ne pas inciter les sujets à donner une réponse plutôt qu’une autre. Toutes les réponses doivent être psychologiquement possibles : la formulation de la question ne doit pas laisser supposer que l’enquêteur attend une réponse plutôt qu’une autre. Il faut tenir compte de la tendance à l’acquiescement : c’est-à-dire prendre en considération « l’inclination conservatrice » : on préfère dire oui à ce qui existe plutôt qu’à ce qui implique un changement. La question doit systématiquement proposer une alternative. Ex : Etes-vous d’accord ou non ? (et non pas Etes-vous d’accord ?). Il convient d’éviter les questions tendancieuses, c’est à dire, les questions avec un contenu émotionnel fort et les formulations suggestives et éviter les questions trop générales Ex : Il ne faut pas introduire de jugements de valeur :que pensez-vous de la position courageuse de tel ministre sur … ? Il ne faut pas utiliser de formes interro-négatives : « Ne pensez-vous pas que … ? » Précaution dans l’emploi du vocabulaire : mots connotés positivement ou négativement Ex : « ne pas autoriser » et « interdire » ne sont pas équivalents par exemple : la question doit comprendre les deux termes dans la question, ce qui donne « autoriser ou interdire » ? Mots idéologiquement chargés ce qui peut provoquer des réactions spontanées de rejet ou d’approbation. Ex : certains termes comme liberté, paix… ont une influence attractive. 99 La référence à des personnalités peut poser problème : lorsqu’on cite une personne, cela peut orienter le sens de la réponse. Voir le texte de Cayrol, Les sondages : mode d’emploi, pp. 55-76 C) L’économie globale du questionnaire Nombre total de questions ne doit pas être trop élevé sinon lassitude (réponses moins faciles et moins exactes aux dernières questions). Environ 30 (1/2 h d’entretien). Mais cela dépend de la nature du questionnaire : plus grand nombre si les questions sont faciles, mais réduction si effort de réflexion demandé et tout dépend de la situation 5 minutes dans la rue, c’est acceptable, 20 minutes/30 minutes au domicile, deux pages par la poste, etc. Le nombre de questions varie également en fonction de la diversité des questions, du milieu, de la compétence de l’enquêteur. Le questionnaire doit dégager une impression d’harmonie : l’ordre des questions doit apparaître logique : on abandonne l’ordre des thèmes et des hypothèses du projet de recherche, le questionnaire doit apparaître naturel dans son déroulement. Prévoir des transitions ou des titres pour passer d’un thème à un autre La première question brise glace : question un peu générale, mais claire, simple, intéressante Dosage des difficultés : du général au particulier, du simple au complexe, questions difficiles ou gênantes n’apparaissent pas au début, parfois des questions détente sans intérêt pour la recherche sont intégrées. 100 Attention à l’effet de halo ou phénomène de contagion : les réponses à une question peuvent être influencées par une réponse à une question précédente, donc on espace les questions sensibles et difficiles. D) Le test du questionnaire On peut demander à des experts de relire le questionnaire pour corriger, mais cela ne suffit en aucune façon. Un questionnaire avant d’être administré subit plusieurs ébauches et correctifs avant d’arrêter le questionnaire définitif. Il faut l’appliquer à un pré-échantillon sur un petit nombre de personnes pour vérifier sa fidélité et sa validité. La fidélité : on fait poser les mêmes questions par des enquêteurs différents aux mêmes sujets (après un certain intervalle de temps) pour voir si les réponses sont les mêmes. Cela permet d’apprécier le degré d’insensibilité à l’influence de l’enquêteur et des conditions de collecte. La validité : technique du test préliminaire : petit échantillon puis entretien approfondi des mêmes personnes pour connaître la réalité de leurs opinions et de leurs comportements pour vérifier si leurs réponses au questionnaire ont bien traduit cette réalité. Les enseignements du test : les questions sont elles comprises ? Lesquelles posent une gêne ? Les problèmes de vocabulaire ? Les listes établies sont-elles pertinentes et exhaustives ?. II - Echantillonner 101 Si l’enquête peut être réalisée auprès de l’ensemble de la population concernée, le problème de l’échantillon ne se pose pas, mais c’est souvent trop long et coûteux donc on procède par échantillonnage : on sonde une partie de l’ensemble. Population parente et critères d’inclusion La population parente est l’ensemble des éléments sur lequel porte l’enquête. La population est définie par les caractéristiques des individus qui les rendent aptes à participer à l’enquête. Ex : Etre mère de famille, retraité Le choix de la population se détermine en fonction de l’objet de l’enquête. Mais les critères s’ils ne s’imposent pas d’eux mêmes doivent être explicités, face à un individu, on doit immédiatement savoir s’il est concerné par l’enquête ou non. Le sondage Sonder ou échantillonner c’est choisir une partie (l’échantillon) pour représenter le tout (la population parente). On extrapole ensuite sans difficulté quand la population à sonder est homogène. Mais on ne généralise pas n’importe comment, l’échantillon doit être représentatif : la taille importe et il y a des techniques de constitution des échantillons à respecter pour pouvoir extrapoler. Les techniques des échantillons représentatifs 1. Les échantillons probabilistes ou aléatoires Le hasard intervient dans la désignation des personnes à interroger. Hasard ne veut pas dire n’importe comment. Cela signifie que tous les individus de la population ont une probabilité connue de faire partie de l’échantillon. « Tous les membres de la population de référence ont une chance égale d’être inclus dans l’échantillon ». Tirage simple 102 On fait une liste exhaustive de tous les individus sur la base de fichiers ou annuaires existants en s’assurant qu’ils sont complets et récents. Les éléments sont numérotées de 1 à N puis le tirage de n numéros est réalisé. Ensuite il faut interroger les personnes tirées au sort. Tirage systématique Si la liste est très longue, on prend une unité à intervalle régulier, par exemple : un nom tous les 50 noms, cela dépend du nombre de personnes, si on veut un échantillon de 200 personnes sur une population parente de 5000 personnes, on calcule le taux de sondages, une personne tous les 25 noms après avoir choisi au hasard le point de départ. Tirage aléatoire après stratification Un échantillon stratifié est un échantillon dressé à partir d’une population parente divisée en sous populations, c’est à dire des strates. Il y a autant de sous échantillons que de sous populations. Le critère de stratification est bien sûr en relation avec l’objet d’étude. Tirage par grappe L’unité de sondage n’est plus un élément mais un groupe d’éléments ayant entre eux un lien naturel, tous les habitants d’une même commune, les élèves d’une même école. La base de sondages est alors la liste des groupes. 2. Les sondages empiriques Par quotas Construire un échantillon qui ressemble à la population parente à partir d’informations statistiques sur cette même population. 103 « Il s’agit de reproduire en miniature, dans l’échantillon, des caractéristiques connues de la population à étudier » (Cayrol, p. 52). Ex : s’il y a dans la population de référence 48 % d’hommes, l’enquêteur devra interroger 48 hommes sur les 100 personnes interrogées. Les quotas peuvent être contraignants quand ils sont croisés, ex : une femme institutrice entre 35 et 40 ans habitant dans une commune de moins de 10 000 habitants. Echantillons où le hasard est reconstitué La méthode des itinéraires pour le porte à porte : à partir d’un point de départ choisi au hasard sur une carte, l’enquêteur se déplace en suivant un parcours précis. Le tirage aléatoire des numéros de téléphone Echantillonnage par intervalles : on interroge une personne sur 10 passants ou sur 20 par exemple. 3. Les échantillons non représentatifs On choisit des individus dit typiques : on choisit d’enquêter dans des quartiers en fonction de certains critères : la composition sociale, l’habitat, etc. La justification de cette méthode n’est pas statistique mais sociologique. La méthode boule de neige : adapté à certaines personnes ayant des caractéristiques rares, on demande à la première d’en indiquer une autre, etc. L’échantillon de volontaires : sur la place d’une église ou par voie postale : peu crédible car on interroge que ceux qui veulent bien répondre on a donc un certain type de répondants. Ces résultats ne sauraient être extrapolés à la population parente. L’échantillon dans le cadre d’une enquête par entretien est choisi de façon raisonné, il n’est donc pas représentatif. Remarques : 104 Dans l’échantillonnage la notion de certitude n’existe pas. Même si l’échantillon a été obtenu avec une méthode sérieuse, les résultats de l’enquête ramenés à des pourcentages ont une marge d’erreur liée au fait qu’on interroge une fraction de la population. Avec une méthode d’échantillonnage probabiliste, on peut calculer la précision de ces observations ou résultats : elle est donnée par un intervalle de confiance, une fourchette dans laquelle la véritable valeur (qu’on pourrait connaître si on interrogeait tout le monde) a de fortes chances de se trouver, mais pas 100% de chances de s’y trouver. Par exemple imaginons que sur un échantillon de 1000 personnes interrogées : - 50 % ont répondu oui à une question X : le résultat n’est pas 50%, mais on est sûr à 95 % qu’il se situe entre 47 et 53 % et sûr à 99,7 % qu’il se situe entre 45 et 55 %. - Plus on garantit le résultat, plus l’intervalle grandit et plus on s’éloigne du résultat de l’enquête. Il faut tenir compte d’une marge d’erreur de 3 % pour un échantillon de 1000 personnes, mais en plus de cette incertitude, on en ajoute une autre puisqu’on n’est sûr qu’à 95 % de cet intervalle. Il existe des tables et des formules permettant de calculer un intervalle de confiance à 90 %, 95 %, 99, 7 %. L’intervalle de confiance le plus répandu est 95 % parce que la fourchette obtenue ne s’éloigne pas trop du résultat obtenu de l’enquête (les 50 % dans notre exemple) avec une garantie raisonnable, mais il reste toujours 5 % de risque que le chiffre réel (si on avait interrogé toute la population de référence) se trouve en dehors de cet intervalle indicatif. On ne peut pas établir un intervalle de confiance quand on procède par quotas pour constituer l’échantillon, le calcul de précision par la détermination d’un intervalle de confiance s’applique exclusivement à un échantillonnage probabiliste au hasard simple. Indiquer l’erreur possible est un élément important. Plus l’échantillon est grand plus, l’intervalle de confiance, la fourchette diminue. Pour réduire de moitié la marge d’erreur ou l’intervalle de confiance d’un sondage, c'est-à-dire la fourchette 105 dans laquelle se situera le résultat de l’enquête, il faut multiplier par 4 la taille de l’échantillon. Pour un échantillon de 100 personnes la marge d’erreur à 95 % est de 10 % et si l’on veut encore réduire de moitié la marge d’erreur on interrogera 400 personnes, ce qui porte la marge d’erreur à 5 % toujours garanti à 95 % et ainsi de suite, 1600 personnes pour une marge d’erreur à 2,5 %.garantie à 95 %. Généralement, les sondages probabilistes utilisent un échantillon de 1000 à 1500 personnes avec une marge d’erreur à 2 % garantie à 95 %. Voir sur ce point précis le texte de Cayrol, pp. 48-49 C’est toute la rigueur et toute la difficulté de l’échantillonnage aléatoire. La taille de l’échantillon par quotas va généralement de 100 à 1000 enquêtés. Autre élément : le problème des non réponses : pour cause d’absence, de déménagement, etc. Bien sûr il faut avoir le taux de non réponses le plus faible et le mentionner. Evaluation des différents modes d’échantillonnage : La validité des échantillons probabilistes dépend surtout du caractère aléatoire du tirage au sort : elle peut être compromise si le tirage au sort se fait sur des listes inexactes et incomplètes et le tirage au sort n’est pas forcément rigoureux si la population parente est trop hétérogène. C’est le procédé le plus scientifique et le plus coûteux, c’est le procédé le plus utilisé dans pays anglo-saxons. Dans la technique des quotas, les risques d’erreur se situent à 3 niveaux : l’échantillon est construit sur la base de renseignements inexacts ou incomplets le choix des catégories retenues n’est pas pertinent par rapport à l’objet de l’enquête biais introduits par les enquêteurs dans le choix des individus Pas de grandes différences entre les résultats obtenus par les 2 procédés. Administrer le questionnaire : La collecte des données 106 Le questionnement peut être guidé et géré par un ordinateur. La saisie est immédiate, le filtrage est automatique. L’enquête en face à face : considérée comme la meilleure technique. Le pourcentage de non réponses est moindre : l’enquêteur peut éclairer le répondant limite le risque de contamination entre les questions (pas de connaissance de l’ensemble du questionnaire) mais plus grande influence de l’enquêteur et l’enquêté est plus sensible aux effets de la désirabilité sociale. Il est de plus en plus difficile d’accéder aux domiciles : digicodes, etc. D’où le développement des enquêtes par téléphone Procédés directs : le sujet prend connaissance des questions, il transcrit directement les réponses sur un bulletin réponse. Pas d’intervention d’un tiers, mais auto-administration du questionnaire. Dans le cas d’une auto-administration, le retour des réponses peut s’effectuer par voie postale : simplicité, économie, anonymat et délai de réflexion, mais lenteur des réponses, pourcentage élevé de non réponses, risque de contamination des réponses, pas de garantie sur l’identité du répondant effectif. Les réponses peuvent être déposées : le questionnaire est déposé dans un lieu précis. Cela diminue le nombre de non-réponses. Ou les réponses sont collectées par l’enquêteur après un court délai : le collecteur après avoir déposé le questionnaire revient les chercher. Cela diminue les risques de lenteur et de non-réponses La collecte des réponses peut être groupée : il faut que tous les sujets puissent être rassemblés en groupe, le questionnaire est auto-administré mais posé à un groupe au même moment, on gagne du temps mais impression d’examen, ressenti comme une contrainte et risque de contamination car lecture du questionnaire dans son ensemble. B) Le dépouillement et l’analyse des réponses 107 Il s’agit dans ce qui suit de vous expliquer la logique du codage et de dépouillement. Des questions aux variables : Les indicateurs ont été traduits en question : au moment de l’analyse, chaque question devient une variable. On parle de variable car la question est susceptible de prendre différentes valeurs : le niveau d’accord, la profession, le sexe, etc. on appelle ces différentes valeurs des modalités. Une variable est définie par l’ensemble de ses modalités qui sont finalement les différentes réponses à la question qui est la variable. Donc pour simplifier : ce que l’on appelle la variable, c’est la question ; ce que l’on appelle les modalités ce sont les différentes réponses. Le codage Pour les variables quantitatives le code de la réponse est le chiffre donné Ex : 45 pour l’âge Pour les variables qualitatives : un chiffre est assigné à chaque réponse On résume chaque question et on inscrit le code correspondant à la réponse. Pour les questions fermées le codage est prévu à l’avance et figure sur le questionnaire, pour les questions ouvertes on code en dépouillant les réponses, c’est plus long. L’analyse Décrire les variables : le tri à plat Première étape : description simple de l’information, c’est en gros le calcul en pourcentages des modalités de réponses pour chaque question, c’est à dire pour chaque variable. On fait donc un tableau par question. 108 On regroupe les questions par thème dans l’analyse, on ne suit pas l’ordre du questionnaire. On compare à d’autres enquêtes. Et éventuellement on peut recoder, c’est à dire qu’on refait une catégorie en regroupant différentes modalités de réponse Comprendre les réponses : les tableaux croisés : On croise deux variables : Ex : la variable à expliquer est l’opinion sur le fonctionnement de la police, on parle de variable dépendante, le facteur explicatif est le niveau d’études, on parle de variable indépendante. On croise l’opinion sur le fonctionnement de la police avec le niveau d’étude par exemple : verticale du tableau : les réponses à la première question, plutôt mal, plutôt bien et total à la fin et en horizontale le nombre de bac + 1, + 2 etc, et total à la fin combien de Bac +1, pensent plutôt mal, etc. Pour comparer on ramène les résultats du tableau en pourcentages. tableau : horizontal bac +1, verticale, tout à fait d’accord, et pourcentages, sur le total de bac +1, on calcule le pourcentage de plutôt d’accord, etc. ce qui donne : bac+1 Bac+2 etc. total plutôt mal 137 527 plutôt bien total 235 Ensuite on explique ces liens grâce à nos connaissances sociologiques et on pousse plus loin l’analyse Contrôler les relations : analyse multivariée On introduit davantage de variables explicatives, il est possible que ces deux variables soient influencées par une troisième, il faut donc montrer que cette 109 variation n’est pas due à une autre variable, on introduit progressivement de nouvelles variables aux deux précédentes pour examiner leurs effets, c’est ce que l’on appelle les variables test, par exemple l’origine sociale, la relation initialement constatée peut s’effacer au profit d’une nouvelle relation entre de nouvelles variables. Bien souvent les hypothèses sont invalidées, ce n’est pas qu’elles sont fausses, c’est qu’elles sont trop simples ou partielles faute d’un travail approfondi en amont de la recherche. C’est pourquoi il faut un long travail exploratoire avant de procéder à l’enquête. Le compte-rendu de l’enquête par questionnaire On rappelle l’objet de l’enquête : construction, définition, hypothèses, échantillon, logique du questionnaire. Les résultats : Dépasser la description, analyser de manière approfondie, tableaux et leurs analyses Annexes : questionnaires, tableaux plus descriptifs L’enquête par questionnaire permet de découvrir le monde social avec un regard différent par le croisement de faits qui sont moins ou pas visibles autrement. La publication des réponses La publication tend à poser un problème car elle révèle une situation existante mais elle peut transformer cette situation, notamment dans les enquêtes politiques. Aspect sociologique de la publication des résultats Quel effet peut avoir la publication des résultats d’un sondage sur l’état de l’opinion ?. 110 La thèse de l’effet majoritaire : la publication d’un sondage tendrait à renforcer le courant majoritaire. Pour certains, cela n’est valable que lorsque l’écart entre l’opinion majoritaire et l’opinion minoritaire est important. La thèse de l’effet minoritaire : la publication des résultats d’un sondage tendrait à faire remonter le chiffre de l’opinion qui apparaît minoritaire dans les résultats du sondage : élection : la publication provoquerait une démobilisation des partisans de l’opinion majoritaire et une mobilisation de l’opinion minoritaire critique : deux catégories de personnes : faible intérêt pour la politique donc porte peu d’intérêt pour les sondages donc influence faible intérêt pour la politique : attention aux résultats mais comportement enraciné D’une foi dans les chiffres en raison de leur apparente scientificité, on est aujourd’hui plus prudent quant à l’utilisation des données chiffrées, statistiques ou enquêtes. Je vous renvoie au texte de Merllié, « La construction statistique » qui rappelle que les statistiques sont une construction sociale qu’il convient d’analyser et de critiquer. Il montre tous les biais de l’analyse de Durkheim en raison des documents statistiques utilisés très critiquables, il faut connaître les modalités d’enregistrement des statistiques effectuées. Les résultats sont fonction de la forme du questionnement et de la définition des notions introduites dans l’enquête. Je vous renvoie également au texte de Boltanski, Les cadres, pour une analyse approfondie de l’effet de catégorisation induite par l’analyse chiffrée. 2) Aspect politique de la publication des résultats Notamment sur la publication des sondages préélectoraux : fausse le déroulement des campagnes électorales donc certains demandent une réglementation mais : principe de la liberté de l’information et les effets de la publication des résultats des sondages sont scientifiquement hypothétiques. 111 1974 : présidentielles : question de l’influence réelle des sondages sur la défaite de Chaban-Delmas face à VGE, décision du CC le 24 mai 1974 : il faut éviter que le choix soit influencé par une appréciation qui peut être erronée sur les chances des candidats donc 2 problèmes : la publication des sondages et la garantie quant à leur validité scientifique loi du 19 juillet 1977 : s’efforce de garantir la validité scientifique des sondages par l’obligation de publier des informations techniques (nom organisme, commanditaire du sondage, date, taille échantillon) et mise en place d’une « commission des sondages » : dépôt d’une fiche avec objet, technique utilisée, conditions des entretiens, texte des questions, limites d’interprétation. Chapitre VIII : L’enquête (4) L’étude des traces : archives et analyse de discours Il faut savoir qu’il n’y a pas un mode d’emploi type en matière d’analyse de contenu, mais plutôt une multiplicité de techniques élaborées empiriquement en fonction de l’objet de la recherche et du support soumis à l’analyse. Qu’est-ce que l’analyse de contenu ? A quoi sert-elle ? Comment procède-t-on pratiquement ? On peut commencer par dire que l’analyse de contenu c’est l’analyse des communications qu’il s’agisse de : communications orales : discours, entretiens communications écrites : textes officiels, presse, … communications visuelles : images, peinture, télévision, cinéma…. L’analyse de discours s’applique donc à des documents divers qui peuvent être ou non établis par le chercheur. 112 I – Les documents écrits A – Les archives publiques Qu’il s’agisse d’archives centrales ou locales (départementales, communales), elles constituent une mine de renseignement mais elles présentent pour le chercheur un grand nombre de difficultés. Beaucoup de documents ne sont conservés que quelques années et d’autres sont détruits accidentellement. Tous les ministères ne se soumettent pas à la loi qui les oblige au-delà d’un certain délai à remettre leurs documents aux archives nationales. Le délai en France est de 50 ans. Des autorisations peuvent être exceptionnellement accordées par certains ministères. B – Publications parlementaires et administratives Journal Officiel, des débats parlementaires, rapports parlementaires, délibérations des conseils généraux, municipaux, bulletins des ministères, annuaires administratifs…. C – Les statistiques Ce sont les statistiques de l’Insee, Ined ou des différents ministères, le ministère du travail pour les chiffres du chômage par exemple, le ministère de l’intérieur pour les chiffres de la délinquance…. Plusieurs grands travaux de recherche en sociologie ont choisi les statistiques comme support d’analyse. Ex : enquête de Durkheim sur le suicide. Ex : c’est d’après les statistiques de l’Education Nationale que Bourdieu et Passeron ont démontré les limites de la démocratisation de l’enseignement. Ex : texte de Boltanski sur les cadres. Problème de la validité des statistiques : erreur de négligence (certaines personnes décédées sont encore sur les listes électorales). 113 D – La presse On peut concevoir de nombreux types de recherche : Une analyse de contenu indiquant la place que les journaux accordent à la politique interne, internationale, aux faits divers, aux nouvelles locales, au sport et à la publicité. Recherche sur l’influence des journaux sur un comportement, l’influence d’un journal sur le plan local (La dépêche du midi), on peut étudier l’interaction entre le producteur du journal et ses lecteurs Etude comparative sur la façon dont certains faits sont présentés dans différents journaux et étudier les journaux comme organe d’expression de tel ou tel parti politique. Analyser la référence à un groupe social à travers le journal… Donc l’étude de la presse revêt 2 aspects : Analyse de la presse en tant que reflet des tendances et des divers secteurs d’une époque et analyse de la presse comme source d’informations. E – La publicité On peut étudier la publicité en elle-même, ce qu’elle signifie, on peut étudier la part du budget d’une entreprise consacrée à la publicité, les relations entre journaux et firmes publicitaires, l’influence de la publicité, la forme qu’elle revêt, les thèmes utilisés, étudier comme en matière de propagande politique les mécanismes psychologiques de persuasion. F – Autres documents Annuaires et bottins : les annuaires des administrations permettent de trouver des détails sur certaines personnalités, d’étudier la composition et l’origine des grands corps de l’Etat par exemple. 114 Œuvres littéraires Documents privés Archives privées : documentation des organisations politiques, religieuses, associatives, mais difficulté d’accès. Documents personnels : correspondances, journaux intimes, biographie… L’étude des documents personnels pose problème : question de l'authenticité du document, sincérité, influences diverses subies lors de l’écriture… Le chercheur sans formation historique ne peut pas replacer le document dans son contexte quand il s’agit d’un document ancien. Controverse concernant la méthode d’analyse des documents personnels : porte sur leur intérêt pour comprendre le présent et même prévoir l’avenir, préoccupation au cœur des sciences sociales. Le récit écrit permet de pallier certains problèmes liés à la présence de l’enquêteur dans la situation d’entretien mais il est incontestablement plus difficile à analyser. Donc : il existe une diversité de supports matériels qui peuvent faire l’objet d’une analyse de contenu. On comprend dès lors qu’il n’existe pas une technique, mais des techniques d’analyses de contenu, selon le contenu soumis à l’analyse et selon l’objectif de l’analyse et de la recherche. En science politique, les analyses de la presse, les analyses d’émissions télévisées, les analyses de discours, les analyses d’entretiens sont les plus courantes. En fait, c’est l’analyse de la presse et surtout de la propagande politique qui marque les débuts de l’analyse de contenu. Dès le début du siècle, l’analyse de contenu prend son essor aux Etats-Unis. A cette époque, le matériel utilisé est principalement les journaux : inventaire des rubriques, on suit l’évolution d’un organe de presse, on mesure le degré de sensationnalisme des articles (surface des 115 articles, taille des titres, emplacement, etc.). Ensuite, vient l’analyse de la propagande. Le premier nom qui illustre l’analyse de contenu est sans doute celui d’Harold Lasswell. Il fait des analyses de presse et de propagande depuis 1915. Lasswell poursuit ses travaux sur l’analyse des symboles et des mythologies politiques. Il insiste sur les premiers travaux en matière d’analyse de contenu notamment en matière de propagande. Ce qu’il est intéressant de noter pour l’instant, c’est que l’analyse de contenu à ses débuts est liée à une demande sociale, une des plus connues est celle émanant de la Federal Communications Commission du ministère de la justice américain qui durant la deuxième guerre mondiale a engagé un grand nombre de chercheurs pour étudier la propagande ennemie et amie. Il était en effet important pour les Etats-Unis de connaître les méthodes et thèmes de propagande ennemie afin de bâtir une contre-propagande ou d’abolir les sources de propagande. Répondant à une demande sociale, l’analyse de contenu ne pouvait que développer une méthode la plus fiable possible pour satisfaire des exigences de coût et d’objectivité, d’où l’accent mis sur l’objectivité, la systématisation et la capacité de généralisation qui incitent notamment Harold Lasswell, mais il n’est pas le seul, à justifier une analyse de contenu quantitative. II – Les documents non écrits Les objets : les ethnographes étudient avec beaucoup de soins les objets pour situer le niveau d’évolution d’une civilisation et le sens de cette évolution, étude portant sur la signification des objets. L’iconographie : documentation par l’image, la photographie, dessins, gravures, peintures… Les chansons Le cinéma, radio, télévision : aspect vivant et dynamique Le contenu s’analyse comme celui des documents écrits : recherche de symboles, mythes, thèmes… Les entretiens 116 III – L’analyse des communications Dans une approche sociologique, on considère le document comme une communication entre individu ou groupe. Et donc, tout document est considéré comme un message impliquant un émetteur et un récepteur. Une communication renvoie à une diversité de pôles d’analyse : C’est ce qu’a mis en évidence Harold Lasswell en résumant la communication sous forme d’une série de questions : Qui parle ? A Qui ? Pour dire quoi ? Comment ? Avec quel effet ? et on peut ajouter Dans quel contexte ? Qui parle ? : l’émetteur ou le producteur du message Groupe d’individus ou un individu : dans ce cas on insiste sur la fonction expressive ou représentative de la communication. En effet, on peut faire l’hypothèse que le message exprime ou représente l’émetteur. Ex : l’analyse du discours politique renseigne sur l’orateur. 2 situations possibles : l’émetteur réagit à un stimulus plus ou moins contrôlé par l’observateur : un entretien dirigé par un psychothérapeute. l’analyste n’a aucun contact avec l’émetteur et cherche d’après le contenu du message à déterminer certaines de ses caractéristiques, comme l’analyse de discours. A qui ? : le récepteur Récepteur : groupe plus ou moins restreint d’individus ou une masse d’individus. Donc : on insiste sur le fait que le message se dirige vers cet individu dans le but d’agir sur lui ou de s’adapter à lui. L’étude du message pourra apporter des informations sur le public ou le récepteur. L’étude du message destiné à tel public permet d’étudier celui-ci, de reconstituer les valeurs et intérêts des groupes sociaux qui le composent. 117 Ex : les messages publicitaires parce qu’ils essaient de cerner une cible afin de mieux agir sur elle donnent des indications sur les consommateurs mais aussi sur les publicitaires (leurs stratégies, leur force économique, leur vision du monde…exemple Benetton) Quoi et comment ? : question du message Toute analyse de contenu passe par l’analyse du message lui-même. 2 niveaux d’analyse possible : le contenant / signifiant le contenu / signifié Il convient de noter que pour atteindre le contenu il faut passer par le contenant, c’est-à-dire que toute signification est véhiculée par un signifiant ou un assemblage de signifiants, que tout message se délivre par un code, c’est-à-dire une forme. Le code ou signifiant On se sert du code comme d’un indicateur capable de révéler des réalités sousjacentes. Ex : Que nous révèle le vocabulaire employé par Balzac sur lui-même et ses lecteurs ? Comment varie la longueur des phrases dans un discours politique ? En quoi la longueur des phrases d’un discours politique renseigne-t-elle sur l’orateur et son public ? Ex : :Georges Bush. Phrases courtes, formulation simple au possible, le contenu comporte souvent une référence messianique, vision binaire du monde (bien/mal), discours accessible aux classes populaires…électorat de Bush) La signification ou les signifiés 118 L’analyse de contenu peut se faire à partir des significations que le message délivre. Quels sont les thèmes présents dans le discours publicitaire ? Famille, amour, richesse… Quelles valeurs sont véhiculées par les messages publicitaires ? (significations secondes) : solidarité, patriotisme…. Quel résultat ? effet du message On s’intéresse aux différentes influences : influences de l’environnement de l’émetteur et du récepteur sont prises en considération. Analyse du récepteur : sur le plan individuel, chaque individu sélectionne, trie, perçoit, comprend, déforme la communication en fonction de ses besoins ; sur le plan du groupe : on tend à prendre en compte la notion de groupe de référence, celui auquel on désire adhérer et les groupes d’appartenance qui déterminent un certain nombre de valeurs qui ont une influence sur la communication. Analyse de l’émetteur : on s’intéresse plus particulièrement au problème de l’influence des mass media sur le public. Par quel vecteur ? Par quel canal, instrument : voir les différences entre les messages selon le vecteur de communication utilisé (Tv, presse écrite…). Voir l’article d’Arnaud Mercier qui, dans le cadre de l’analyse du journal télévisé, s’interroge également sur ces différents pôles d’analyse de manière à préciser sa recherche. Voir également l’étude Eric Darras sur les guignols de l’info. Chacune des questions peut renvoyer à un ou plusieurs des trois buts possibles et suivants de l’analyse de contenu : 119 analyser les caractéristiques du texte en tant que tel : première démarche qui donne lieu à des comparaisons : celle de documents issus d’une même source ou celle de documents issus de différentes sources. les causes et antécédents du message : deuxième démarche revient à chercher les conditions de production du message analyser les effets de la communication : troisième démarche s’intéresse aux rôles des groupes d’appartenance, à l’incidence persuasive d’un message, mais dans ce dernier domaine, d’autres techniques d’investigation doivent être associées à l’analyse de contenu pour une recherche complète. La spécificité de la situation d’enquête Dans le cas de l’analyse de l’entretien, la question qui paraît à première vue la plus importante est le quoi ? On sait qui a parlé et à qui (définition dans la méthodologie de l’enquête). Mais le comment et avec quels effets sont moins bien définis. Le sujet parle parce qu’on le lui a demandé. Comment ? la réponse se trouve dans le discours lui-même. Cela fait davantage référence à la forme mais dans le cas de l’entretien, ce qui nous intéresse c’est ce qui est dit plus que comment cela est dit. L’effet produit : généralement négligeable parce le seul but de l’enquêteur est de faire parler l’enquêté. Question qui peut être ramené à l’analyse des effets de relance. Il ne faut pas s’arrêter à ces évidences, cela dépend des entretiens, de la problématique de l’enquête donc il faut également tenir compte des contraintes de rôle. IV – Méthodologie de l’analyse de contenu Le chercheur en sciences sociales va analyser ces différents matériaux de manière à dépasser son impression de départ, mais avec rigueur. L’analyse de contenu a 120 voulu substituer à l’intuition, dépendant des qualités personnelles de l’observateur, des procédés plus standardisés tendant à convertir les matériaux bruts en données pouvant être traitées scientifiquement. Il s’agit donc par l’analyse de contenu de dépasser l’incertitude et d’enrichir sa lecture d’un document écrit ou visuel, d’où un désir de découverte mais aussi de rigueur comme dans toute démarche de recherche. Il s’agit de traiter les informations contenues dans le message mais pas seulement, l’analyse ne se limite pas au contenu, elle prend aussi en compte le contenant. 2 fonctions distinctes et complémentaires : L’analyse de contenu dispose d’un cadre d’analyse préétabli, ce qui donne à l’analyse de contenu une perspective d’administration de la preuve : il s’agit par l’analyse de contenu de vérifier des hypothèses. Mais l’analyse de contenu peut intervenir dans un objectif exploratoire donc on ne dispose pas de cadre spécifique d’analyse. L’analyse de contenu a une fonction heuristique : on part de la mise en évidence de propriétés des textes, le cadre d’analyse n’est pas défini préalablement. A – Analyse quantitative Ce qui sert d’information, c’est la fréquence d’apparition de certaines caractéristiques du contenu. Née d’une réaction contre l’analyse littéraire ancienne trop subjective et d’un besoin de systématisation imposé par la multiplication des communications, l’analyse de contenu va d’abord quantifier. La fin des années 40-50 est surtout marquée par les règles d’analyse posées par Berelson aidé de Lazarsfeld. La définition de l’analyse de contenu par Berelson résume assez bien les préoccupations épistémologiques de cette époque : 121 « L’analyse de contenu est une technique de recherche pour la description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste d’une communication ». En France, jusque dans les années 73-74, on continue d’obéir à la norme berelsonienne. Les exigences de rigueur et d’objectivité prennent un caractère obsessionnel qui masque les autres possibilités et nécessités. Les limites de la quantification étant aujourd’hui mieux connues, on la complète par une analyse qualitative. B – L’analyse qualitative C’est la présence ou l’absence d’une caractéristique de contenu dans un certain fragment de message qui est prise en considération. L’exigence d’objectivité devient plus souple et on ne se limite plus à la description donc l’analyse de contenu prend à ce moment là une visée explicative et dépasse la visée descriptive prônée par Berelson. Plus que la notion de présence ou d’absence, la différence entre les 2 approches réside dans la façon dont elles conçoivent la notion d’importance : Analyse quantitative : ce qui importe c’est le nombre de fois qu’apparaît tel élément Analyse qualitative : on fait place à la nouveauté, l’intérêt, la valeur d’un thème sera critère d’importance, critère éminemment subjectif. Cette approche permet une analyse plus fine. Pour Pierre Favre, l’analyse de discours est qualitative, l’analyse de contenu, non, il est certain que l’analyse de discours est généralement plus précise, plus fine, l’objectif n’est pas statistique comme dans le cas d’une analyse de la presse par exemple. Mais faire cette distinction est quelque peu réducteur, les limites de la quantification étant aujourd’hui mieux connues, on accepte de la compléter par une analyse qualitative. 122 Rq : on peut faire ici un parallèle avec l’évolution plus générale des sciences sociales. Après une longue période d’engouement pour le questionnaire, les sondages, l’accumulation de résultats statistiques, on s’est aperçu de l’incertitude des résultats et on s’est orienté vers des techniques plus souples, plus qualitatives, des entretiens semi-directifs. La recherche semble trouver aujourd’hui un équilibre entre qualitatif et quantitatif. Définition de Laurence Bardin : « l’analyse de contenu, c’est un ensemble de techniques d’analyse des communications visant par des procédures systématiques et objectives de description du contenu des messages à obtenir des indicateurs quantitatifs ou non permettant l’inférence de connaissances relatives aux conditions de production / réception de ces messages ». L’analyse quantitative directe s’intéresse au contenu manifeste mais le contenu latent n’est pas l’apanage de l’approche qualitative. L’analyse quantitative indirecte peut parfois aller au-delà de ce qui est manifeste, atteindre ce que l’auteur a voulu taire. L’analyse s’intéresse alors aux silences, rythmes, caractéristiques formelles. Les 2 procédés se complètent plus qu’ils ne s’excluent, leur usage dépend de ce que l’on recherche. V – Le codage Après avoir formulé objectifs et hypothèses et déterminé l’univers de documents (genre de documents que l’on va soumettre à l’analyse), on va découper le texte et le coder pour aboutir à une représentation du contenu étudié. A – Les unités d’enregistrement, de contexte, d’énumération Le support choisi est étudié et analysé en fonction de l’objectif recherché : comment découper le texte ? 123 Donc : le choix des unités d’enregistrement et de contexte doivent être pertinentes en fonction de l’objectif de la recherche et du matériel utilisé. Pour l’analyse proprement dite, 3 types d’unités sont prises en compte : 1 – L’unité d’enregistrement C’est la 1ère unité d’analyse : c’est l’unité de signification à coder. Ces unités peuvent être de taille variable. Différentes unités d’enregistrement peuvent être choisies comme critère de découpage du contenu : le mot : unité la plus petite. On peut considérer le mot comme un mot clé ou mot thème, effecteur une analyse sur une catégories de mots : verbes, substantifs… le thème : de taille variable, il peut être exprimé de manière plus ou moins longue (2 lignes ou 3 pages). C’est plus subjectif. Le thème est utilisé pour les études de motivation, d’opinions, de valeurs, de croyances, pour analyser des questions ouvertes, des entretiens, des communications de masse… on peut distinguer thèmes principaux et thèmes secondaires. Ex : valeurs universelles : thème principal Thème secondaire : droits de l’Homme l’objet ou référent : il s’agit de thèmes pivots autour desquels s’organise le discours, unité encore plus large. le personnage : l’acteur ou l’actant peut être choisi comme unité d’enregistrement comme les œuvres de fiction, les articles de presse… l’événement : dans le cas des récits, cela peut être plus pertinent de les découper en unités d’action comme les films ou romans 124 2 – L’unité de contexte C’est le plus large segment de contenu auquel on se réfère pour comprendre l’unité d’enregistrement. Elle sert d’unité de compréhension pour coder l’unité d’enregistrement. Ex : la phrase pour le mot, le paragraphe pour le thème… il s’agit de se référer au contexte proche ou lointain pour être compris dans leur juste sens : des mots tels que la liberté, la démocratie…. ont besoin de leur contexte pour être compris dans leur juste sens. Pour la détermination de l’unité de contexte, tout dépend de votre matériel et de votre objectif. 3 – Les règles d’énumération Il ne s’agit pas de la signification de ce que l’on va compter mais de la façon dont on va compter. L’unité d’enregistrement représente le découpage de l’élément significatif, la règle d’énumération concerne la façon de mesurer ces différents morceaux, c’est l’indicateur retenu. La règle d’énumération concerne le temps ou l’espace : paragraphe, ligne, cm, min d’enregistrement, cm2 pour un journal…. Plusieurs indicateurs possibles : L’indicateur fréquentiel : C’est la régularité quantitative d’apparition qui est considérée comme significative, cela suppose que chaque unité d’enregistrement a la même valeur, ce qui n’est pas toujours le cas. On part du principe que l’importance d’une unité d’enregistrement croît avec sa fréquence d’apparition. L’importance de l’unité d’enregistrement croît avec sa fréquence d’apparition La co-occurrence : c’est la présence simultanée de 2 ou plusieurs unités d’enregistrement dans une unité de contexte. La mesure de co-occurrence rend compte de la distribution des éléments et de leur association (association, opposition, équivalence). Ex : république / laïcité, vote / abstention….. 125 Ces indicateurs sont souvent ceux qui interviennent dans une analyse thématique, on compte le nombre d’apparition d’un thème et le nombre de co-occurrence, l’analyse thématique est alors quantitative, mais l’analyse thématique peut être plus qualitative, l’indicateur d’une telle analyse sera la présence ou l’absence d’un élément de contenu, c’est la présence ou l’absence de tel élément qui sera alors significative et non sa répétition. On peut donc ajouter l’analyse : de l’intensité : des puissances dans l’analyse des valeurs et des attitudes, les temps du verbe, les adjectifs… c’est indispensable. la direction : favorable / défavorable / neutre, on met un signe pour coder + : positif - : négatif 0 : neutre + / - : ambivalent l’ordre : ordre d’apparition des unités d’enregistrement dans un récit. Dans un entretien, c’est un peu moins pertinent dans la mesure où les thèmes suivent en général le plan d’entretien. B – La catégorisation Les catégories sont des rubriques qui rassemblent un groupe d’éléments (unités d’enregistrement dans le cas de l’analyse de contenu) sous un titre générique, rassemblement effectué en fonction du caractère commun de ces éléments. Les catégories peuvent être : sémantiques ou linguistiques : elle recoupe des catégories thématiques (l’abstention) 126 syntaxique : recoupe les unités d’enregistrement comme les verbes, adjectifs…. expressives : catégories qui classent divers troubles du langage (ben, heu…) de fond ou de forme Ex : unité d’enregistrement = thème (valeurs universelles) unité d’enregistrement = espace en cm2 dans un journal La catégorisation a pour objectif premier de condenser les données brutes et d’aboutir à une représentation du contenu. 2 démarches : le système de catégories est donné et l’on répartit de la meilleure façon possible les éléments au fur et à mesure de leur rencontre. C’est la procédure par « boîte » le système de catégories n’est pas donné mais la résultante d’une classification analogique et progressive des éléments. C’est la procédure par « tas ». Le titre générique n’est défini qu’en fin d’opération, on part des propriétés du texte. Ex d’ensembles catégoriels : En général, il est nécessaire de créer une nouvelle grille de catégories pour chaque nouvelle analyse mais on peut s’inspirer des analyses antérieures. Pour une analyse de valeurs : on peut s’inspirer de la grille de White qui s’est spécialisé dans l’analyse de valeurs à partir de différents supports : propagande d’Hitler, discours de Kennedy…. valeurs physiologiques : nourriture, sexe, repos, santé, sécurité, confort valeurs sociales : amour sexuel, amour familial, amitié valeurs relatives au moi valeurs pratiques : travail, possession… 127 valeurs cognitives : connaissances… Tout dépend de votre objectif de recherche et de votre support matériel. C – L’informatisation Elle est utile quand : l’unité d’analyse est le mot et l’indicateur fréquentiel l’analyse est complexe et comporte un grand nombre de variables à traiter (nombre élevé de catégories et d’unités à enregistrer) on désire effectuer une analyse de co-occurrences la recherche implique plusieurs analyses successives l’analyse requiert des opérations statistiques Elle est inutile quand : l’analyse est exploratoire et la technique non définitive l’unité d’enregistrement est grande : discours ou article Avantages de l’outil informatique : rapidité, rigueur, flexibilité (on peut réutiliser les données) ; l’échange de données entre chercheurs est facilitée. La manipulation complexe devient possible, la créativité est valorisée puisque le chercheur est débarrassé des tâches laborieuses et parfois ingrates. Mais pour cela, il faut bien préparer les données que l’on entre dans l’ordinateur, il ne peut pas travailler à notre place, c’est un outil. L’ordinateur est par exemple capable de localiser certains mots et de les replacer dans leur contexte, il sort ainsi la liste de ceux-ci dans leur environnement linguistique, ce qui est susceptible de servir de base à son interprétation ou au développement ultérieur d’un système de catégories. L’ordinateur peut mettre à jour les co-occurrences entre mots, certaines associations riches de sens. 128 D – Traitement des résultats obtenus et interprétation Opérations statistiques (analyse quantitative) : informations mises sous forme de tableaux, de figures qui condensent les résultats et mettent en relief les informations apportées par l’analyse. Puis interprétation des résultats : on avance des interprétations par rapport à l’objectif prévu ou concernant d’autres découvertes imprévues. La presse : source d’information très utile : rapporte les déclarations et propos de responsables politiques commentaires et analyses de spécialistes reflète d’une manière plus ou moins consciente l’état de l’opinion à un moment donné L’étude de la presse revêt 2 aspects : l’analyse de la presse en tant que reflet des tendances et des divers secteurs d’une époque analyse de la presse comme source d’information Sur le plan pratique : quand il s’agit d’éléments aussi nombreux que plusieurs années d’un journal ou aussi variés qu’une propagande, on est forcé de délimiter sa recherche soit : en sélectionnant le contenu de la source : tel type de journal et même telle rubrique en élaborant un échantillon représentatif du journal entier : un échantillon au hasard (1 n° sur 7) Attention pour la presse à la particularité du n° du dimanche donc avant l’échantillonnage, il faut bien se renseigner sur la source qu’on utilise. Ensuite, dans le journal considéré pour la période choisie : quel va être le contenu observé ? il doit tenir compte des caractéristiques du journal (typographie, emplacement, …). 129 On peut prendre en compte : la Une la typographie : page paire et impaire , en haut à gauche…. Présence de caricaturistes, photos…. Sur un événement, on peut considérer : mobilisation des rédactions en terme de : signatures (spécialistes de la rédaction, intervenants externes…) précision de l’information : communiqués, déclarations officielles, dépêche, rappel chronologique, cartes… rubrique spéciale : la guerre en Irak proximité de la rédaction : envoyés spéciaux, correspondants… durée de la couverture (utile quand comparaison de plusieurs journaux) les différents types d’articles : éditorial (indique la position du journal), tribunes libres (mais dès qu’elles sont publiées, elles sont assumées par la ligne éditoriale du journal), analyses, communiqués, emplacement de l’article Il va de soi que la prise en compte de ces éléments dépend grandement de votre objet de recherche. On peut se limiter à un travail sur un événement particulier qui fait la Une de l’actualité et savoir comment s’est positionné le journal, quelles positions il a véhiculé…. Donc : l’unité d’information doit répondre de la façon la plus élémentaire à la question de quoi parle-t-on par opposition aux unités des contenants (phrase, paragraphe, article). 130