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« Pierre Lévy : L’énergie nucléaire n’est pas une question de foi »
Interview de l’Ambassadeur de France à Prague, M. Pierre Lévy,
pour le quotidien E15 du 23 mai 2012
Par Jan Zizka
Il ne s’agit pas uniquement de l’appel d’offres de Temelin, dit l’Ambassadeur de France à Prague, M.
Pierre Lévy, dont le pays soutient la volonté de la société Areva de participer à l’achèvement de la
construction de cette centrale tchèque. L’énergie nucléaire européenne fait face à une toujours plus
forte concurrence asiatique, par exemple celle de la société Kepco sud-coréenne. Les Français et les
Tchèques devraient développer ensemble le savoir-faire, la base industrielle et attirer la nouvelle
génération vers l’atome.
Q : Le thème essentiel des relations franco-tchèques est l’intérêt de la société Areva de construire
les nouveaux réacteurs de la centrale nucléaire de Temelin. D’un autre côté nous entendons que le
nouveau Président François Hollande est sceptique en ce qui concerne l’énergie nucléaire. Cela
pourrait-il influencer l’intérêt français pour Temelin ?
R : Je voudrais souligner notamment la tendance à long terme de développer les relations économiques
entre la France et la RT. Les échanges commerciaux sont entre huit et neuf milliards d’euros par an.
Les sociétés françaises investissent en RT. Par exemple le producteur de matériaux de construction
Saint-Gobain a récemment élargi ses activités et les sociétés françaises ont investi dans l’industrie
automobile.
Q : Les relations économiques ne dépendent donc pas de l’énergie nucléaire …
R : Non. Quant à l’énergie nucléaire, Areva s’active beaucoup pour présenter la meilleure offre pour
l’extension de Temelin que ce soit du point de vue du prix, de la technologie ou de la part des
livraisons locales. Pendant la campagne électorale, il y a eu beaucoup de débats sur la politique
énergétique et ce débat est légitime.
La politique énergétique est le thème clé du point de vue de la compétitivité, de l’emploi et du savoirfaire de la France et de l’Europe, ce qui a justement été souligné par F. Hollande pendant sa campagne
présidentielle. Nous construisons une centrale de troisième génération à Flamanville en Normandie et
ce projet sera achevé. Areva propose les mêmes réacteurs pour Temelin.
Q : Un autre thème est à l’ordre du jour en France également, à savoir la fermeture des centrales
nucléaires plus anciennes…
R : Oui, François Hollande a indiqué que nous pourrions fermer notre plus ancienne centrale à
Fessenheim en Alsace, près de la frontière allemande et ce en dépit du fait que de nombreux tests de
résistance ont déjà confirmé sa sûreté. La transformation énergétique est un autre sujet débattu. Nous
devons être actifs, prévoyants et compter sur l’existence des ressources renouvelables. Je n’ai jamais
eu de doutes quant à la détermination du gouvernement français à poursuivre le développement de
l’énergie nucléaire. Et j’ai toujours dit que le soutien à l’énergie nucléaire n’était pas une question de
confession ou de foi, que c’était une question de l’approche pragmatique.
Q : Les Verts qui sont critiques à l’égard de l’atome n’ont pas connu le succès à l’élection
présidentielle mais les socialistes de F. Hollande continueront probablement à avoir besoin de leur
soutien.
R : Certainement, cela va de soi. Dans un pays démocratique, il est nécessaire de discuter et de tenir
compte de tous les paramètres. La France est déterminée à soutenir une énergie nucléaire compétitive
et sûre. François Hollande a également rappelé que nous obtiendrions le savoir-faire dans le domaine
de la fermeture des centrales nucléaires ce qui est en soi un grand marché. Il faut prévoir que toute
centrale devra être arrêtée un jour.
Q : Vous-êtes donc persuadé qu’Areva poursuivra à cent pour cent ses efforts visant à décrocher
l’appel d’offres relatif à Temelin ?
R : Je n’en doute pas. Je suis convaincu aussi qu’Areva sera officiellement soutenue par l’Etat
français. Ce n’est pas un seul contrat qui est en jeu. Du point de vue de l’ensemble de l’Europe,
beaucoup d’autres choses sont en jeu. La concurrence d’Asie monte, il nous faut le savoir-faire, attirer
et former une nouvelle génération, développer notre base industrielle. Et nous nous y concentrons
même dans nos relations avec la RT, y compris l’envoi d’étudiants tchèques en France.
Q : La société CEZ a annoncé qu’elle préparait un autre appel d’offres relatif cette fois-ci au
partenaire stratégique pour la construction de Temelin. Prévoyez-vous que l’EDF souhaite prendre
part à cet appel d’offres ?
R : EDF et CEZ ont de bonnes relations depuis longtemps. Les deux sociétés se connaissent bien et
échangent leur expérience. L’information sur la possibilité que CEZ choisisse un partenaire est tout à
fait récente. Il s’agit de savoir si ce partenaire investirait, apporterait lui-même des avoirs ou
participerait à l’exploitation de la centrale. Je ne doute pas que les sociétés françaises pèseront
sérieusement cette possibilité. CEZ est un partenaire très sérieux et crédible et le projet de Temelin est
également très important.
Q : Ces derniers temps, on parle beaucoup en RT du fait que ses exportations sont excessivement
dépendantes des marchés européens, et notamment de ceux allemands. Dans un certain sens, la
situation en France est semblable – l’Allemagne est aussi votre grand partenaire commercial…
R : Le commerce extérieur de la plupart des Etats-membres de l’Union européenne est en fait de 70 à
85% formé par les échanges au sein de l’UE. C’est normal, nos économies sont étroitement
interconnectées. En même temps, nous savons que dans les zones plus éloignées – en Asie de l’Est, en
Inde – les marchés sont en plein essor. Et il est compréhensible que les sociétés françaises et tchèques
cherchent à pénétrer sur ces marchés. Mais il est tout aussi vrai que pour être fort, vous devez être fort
sur le marché intérieur. Pour les sociétés tchèques et françaises cela signifie d’être fort sur le marché
européen. Il est sage d’exporter vers l’étranger, dans des pays non-européens, mais parfois c’est plus
compliqué ou plus cher.
Q : Certes, c’est plus cher pour les sociétés basées dans un petit pays tel que la RT, notamment si on
considère le soutien des entreprises françaises ou allemandes par leurs gouvernements respectifs.
R : C’est pourquoi il est important de créer des programmes communs, de travailler sur des projets
communs. C’est le cas du nucléaire aussi.
Q : Vous parlez de projets communs entre les sociétés françaises et tchèques au nom de la conquête
des marchés non-européens ?
R : Exactement. Les sociétés françaises et tchèques opèrent sur le marché libre, au sein d’une
économie de marché. C’est à elles qu’il revient de travailler là-dessus. Les bases d’une telle
coopération sont constituées par le marché commun européen, ce qui veut également dire que nous
avons un intérêt commun à la stabilité de la zone euro, même si certains pays tels que la RT ne sont
pas ses membres. C’est bien que les Tchèques eux-aussi en sont conscients.
Q : François Hollande souligne qu’après le Pacte fiscal, l’Europe doit adopter également des
mesures de soutien à la croissance. C’est un unisson intéressant – également le gouvernement
tchèque propose quelque chose de semblable malgré son orientation politique différente. Qu’est-ce
que vous en pensez ?
R : En début de sa campagne électorale, François Hollande a évoqué une chose simple – la croissance
est nécessaire si vous voulez réduire l’endettement. Ce sont le numérateur et le dénominateur. Sinon
vous risquez d’être guéri mais mort, comme on dit. Il faut trouver une bonne proportion entre la
consolidation fiscale et la croissance. Quel sens aurait un bon traité européen si les économies de
certains pays membres s’effondraient ?
En outre, vous devez prendre en considération qu’un tel accord doit être ratifié par les parlements
nationaux. Successivement, les parlements votent les budgets et les impôts. Le débat sur ces affaires
est tout aussi légitime.
Q : Au cours de votre carrière, vous avez dédié beaucoup de temps à l’économie. N’avez-vous pas
peur que les stimules à la croissance adoptés par l’Europe soient finalement contreproductifs et
augmentent l’endettement, les déficits ? Voyez-vous ce danger ?
R : Ce danger est là, vous avez parfaitement raison. On doit être très prudent sur le choix des
investissements à soutenir. Par exemple la BEI devrait être active, ses capitaux devraient être
renforcés. Il faut investir dans l’avenir, dans la compétitivité, on doit lutter contre le chômage. Il est
bien sûr très difficile de choisir des investissements convenables. Il s’agit aujourd’hui de la question
clé de l’économie européenne.
Q : Etes-vous convaincu que la zone euro peut survivre ? Peut-elle survivre même avec la Grèce ?
R : Je suis d’un naturel optimiste et, par conséquent, je suis convaincu que la zone euro non seulement
survivra, mais aussi qu’elle se stabilisera. A Berlin et à Paris on voit que l’on comprend très bien qu’il
s’agit d’un sujet stratégique dont dépend l’avenir des pays européens, y compris de la RT. Mais il faut
renforcer la coordination économique. L’ex-président de la Commission européenne, Jacques Delors,
disait que l’on devait marcher sur deux jambes. Cependant l’une d’entre elles est plus courte. L’union
monétaire ne peut pas fonctionner sans une forte union économique.
Pierre Lévy (56)
Diplômé en sciences politiques et en économie de prestigieuses grandes écoles françaises dont la
fameuse ENA, P. Lévy a exercé de nombreuses fonctions dans la diplomatie et au ministère de
l’Economie. Il a enseigné les affaires européennes et internationales. Au tournant du millénaire, il a
été directeur-adjoint du cabinet de Pierre Moscovici, ancien ministre délégué chargé des Affaires
européennes qui dirige le ministère de l’Economie, des Finances et du Commerce extérieur au
nouveau gouvernement. Pierre Lévy est marié, père d’une fille, Charlotte, et d’un fils, Victor. Il aime
la musique classique et les arts plastiques. Il joue au golf.
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