Je ne suis pas certain de bien parler de la philosophie

Je ne suis pas certain de bien parler de la
philosophie...
Je glisse ici quelques réflexions au sujet de la philosophie, de quelle manière j'entend l'aborder. Ce ne
sera qu'une amorce, une lancée. Et pourtant, paradoxalement, je pense que je suis bien placé pour en
parler parce que je ne suis pas philosophe. Si je dis bien placé c'est pour dire que cette position me
semble être instructive, non pour dire que j'ai la compétence, je ne suis pas philosophe, comme je l'ai
écris. Vous y discernerez certainement des carences. Je le conçois et je l'accepte. Et en même
temps, j'ai le sentiment, l'intuition peut-être, que réfléchir, comprendre, analyser, m'étonner, puiser
dans les ressources que je trouve, que je rencontre, en dedans comme en dehors, est un champ
énorme de possibilité de philosopher. Peut-être il y a là une route faussée. Je suis prêt à écouter.
cela va-t-il mener ?
Je ne suis pas très loin de la mer et je connais des surfeurs. Deux choses sont essentielles pour eux
et pour la pratique de ce sport, de cette passion : leur planche et le mouvement de la vague. Ils
expérimentent le lien entre deux. Frôler les vagues, passer d'une vague à l'autre, avoir le plaisir de se
sentir porter et avancer sur l'océan, sur le pli des vagues. Cet océan qui produit ces mouvements, qui
respire pourrais-je dire. Cette vie là passionne le surfeur. Oui, mais tout cela ne se fait pas au hasard.
La méthode, la connaissance de l'élément est important. La planche et son ergonomie. La planche et
son matériau. La planche et l'adhérence aux pieds, la planche et fluidité sur la vague. La notion
d'équilibre est à comprendre : le cerveau doit capter la physique et la transmettre en attitude de corps.
C'est la compréhension intellectuelle et physique. Parfois, c'est plus une compréhension
physique qu'intellectuelle. Ne serait-ce pas là, quelque part, une métaphore de l'acte de penser, de
philosopher ?
Je trouve que philosopher, ou entrer en philosophie, si vous voulez, c'est un acte particulier qui nous
est donné de produire. C'est même étrange que de parler d'acte. Pour moi, le fait de parler d'acte c'est
pour contenir la pensée en harmonie avec ce qui me constitue. Ce qui fait que mon bras, mes yeux,
ma pensée, tout cela est relié et l'acte signifie cet ensemble. Mais la pensée a quelque chose de
puissant, très puissant qui déclanche le corps. Certains même savent contrôler les impulsions
intrinsèques du corps pour l'influencer par la pensée. Que peut un corps ? Si ce n'est qu'exprimer
l'harmonie des causes et dont la pensée, mode influent de nos existences, en serait le mouvement.
La philosophie, je l'ai vu s'activer en la personne de mon père qui était un spinoziste vivant. Je dirai
qu'il avait cette attitude qui faisait ressortir la philosophie de Spinoza. Vous le ressentiez. Vous
l'entendiez. Alors c'est le premier livre que j'ai lu. J'ai compris rapidement ce que signifiait ces degrés
de puissance, ces genre de connaissance, la connaissance intellectuelle de l'amour, la notion du
corps... J'entrevoyais assez bien les contours d'une politique de multitude. Je l'ai trouvé limpide et
ardu en même temps ce Baruch. Ensuite j'ai voulu en savoir sur ces personnages qui formulait une
vision des choses, du monde. Alors j'ai fait ce que j'ai pu pour rencontrer des écris : Platon,
Montaigne, Pascal, Machiavel , Hume, Locke, Kant, Nietzsche, Schopenhauer, Bergson, ..., Deleuze,
Foucault ( était-il philosophe ? artificier peut-être, pour reprendre ces termes) et d'autres encores... et
puis j'ai aussi rencontrer la Chine, ses philosophes et la pratique du Wu-Shu.
La lecture est peut-être un luxe pour certain, une habitude pour d'autres. Pour moi c'est un privilège
que je profite quand je peux. La lecture est pour moi comme une énergie permettant un sursaut dans
ma pensée. Cela traverse mes facultés de perceptions, de compréhension établies pour redonner un
autre espace de vision sur les choses, les événements. Parfois cela restructure, parfois cela refonde.
Parfois c'est nul à jeter...Voilà donc une source où puiser.
Je pense qu'il faut savoir mélanger les savoirs. C'est à dire composer avec des différents types de
savoir. Ceux qui sont d'excellentes formations, provenant d'un travail acharné, suivant une rythmique
cohérente de liaisons de connaissances approfondies, une érudition posée. Il y a aussi ceux qui ne
payent pas trop de mine, des expositions mineures, à la limite de l'opinion. Des schémas mentaux vite
parcourus mais, qu'on ne sait d'où, vont déclancher quelque chose en nous et apporter des éléments
dans notre réflexion. Mineur et majeur ensemble, sans lien apparent que tout au contraire séparerait.
Je m'expérimente plutôt comme mineur...Je trouve là qu'il y a un apport à la réflexion philosophique.
Je veux dire par là que c'est justement ces rencontres qui produisent du nouveau dans la réflexion
philosophique qui est pour moi une joie et une peine. Peine ( au sens de travail) car c'est comme un
enfantement ( même si je ne suis pas une femme). Joie parce que vous défiez, vous attendez, vous
parcourez. La joie du nomade, du chercheur, la joie de vivre finalement...
Chaleureusement,
Christian PRADEL
Table ronde « Sens et territoires », colloque du 7 décembre 2006 : Patrimoine, créativité et territoires.
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