Propos recueillis par Valérie Devillechabrolle

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Non, les licenciements ne sont pas dictés par les marchés financiers (Tristan Boyer)
L’annonce de réduction d’effectifs satisfait-elle les marchés financiers ?
Les marchés financiers apprécient toujours les annonces, au sens où elles représentent un gage de transparence de la part
des entreprises cotées. Sur le fond, en revanche, les décideurs d’entreprise se trompent quand ils pensent satisfaire les
marchés en annonçant des réductions d’effectifs. Les suppressions d’emploi sont avant tout le signe des difficultés
économiques, sociales, financières de l’entreprise qui en annonce. Or, les études montrent que la rentabilité à trois ans des
entreprises qui licencient est inférieure à celle des sociétés qui réduisent leurs actifs et a fortiori de celles qui se
développent. Les réductions d’effectifs ne sont pas, à eux seuls, une bonne nouvelle car ils ne suffisent pas à redresser la
rentabilité trop basse d’une entreprise. D’ailleurs, en étudiant l’évolution du cours de bourse après l’annonce d’un
licenciement, on s’aperçoit que les marchés financiers ne réagissent pas de façon aussi simpliste qu’on le croit. En
reprenant l’exemple de Michelin, on s’aperçoit que si, au lendemain de l’annonce de suppressions d’emplois, le cours avait
bel et bien pris 12 %, le surlendemain, il en avait perdu 10 % et trois mois plus tard, l’action Michelin avait perdu
davantage que ce que l’annonce lui avait fait gagner.
Les marchés financiers devraient pourtant se satisfaire des réductions d’effectifs visant à rétablir la compétitivité
des entreprises…
Il convient de distinguer. S’agissant de plans sociaux décidés de façon conjoncturelle en réponse à l’annonce de mauvais
résultats, la réaction des marchés est presque toujours négative. En revanche, quand les réductions d’effectifs s’inscrivent
dans une stratégie cohérente et de long terme capable d’impliquer toutes les parties prenantes de l’entreprise (actionnaires,
mais aussi les salariés, les clients, les fournisseurs…), les marchés financiers anticipent en effet une amélioration des
résultats à venir.
Les annonces de réductions d’emploi continuent d’être légitimées par la satisfaction de l’actionnaire ?
Il ne faut pas se tromper : en dépit du discours dominant tendant à faire accréditer cette idée, la baisse du cours de l’action
n’a aucune raison de provoquer à elle seule des licenciements. Jamais un fonds de pension n’a demandé à une entreprise de
licencier. Ils ne sont d’ailleurs pas équipés pour prendre de telles décisions de gestion dans l’entreprise. Ils peuvent certes
contrôler la gestion, la sanctionner en vendant les actions, mais en aucun cas ils ne peuvent se substituer au dirigeant de
l’entreprise à qui il appartient in fine de choisir les outils de gestion.
Comment expliquez-vous l’omni-présence de la «dictature» des marchés financiers ?
Ce discours dominant résulte moins de leur fonctionnement réel des marchés financiers que de la représentation que les
conseils d’administration et les dirigeants d’entreprise se font des attentes des actionnaires. Ainsi, pour se conformer à ce
que ces dirigeants pensent être l’exigence de « création de valeur » des grands fonds de pension américains, en particulier,
des entreprises sont amenées à mettre en place des moyens d’un rendement rapide pour l’actionnaire, à travers des mesures
d’économie de masse salariale, par exemple. C’est oublier que les décisions d’investissement à moyen ou long terme de
ces gestionnaires de porte-feuilles ne reposent pas que sur des données
financières et comptables,
mais aussi sur la qualité de la stratégie, la crédibilité du management,
la capacité d’innovation de l’entreprise ou celle à retenir les gens
talentueux. Leur intérêt pour les politiques d’emploi montre qu’ils ont
un point de vue beaucoup plus riche sur les décisions d’emploi des
entreprises que ne le laisse supposer toute la littérature sur la corporate
governance.
Propos recueillis par Valérie Devillechabrolle
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