1 22. LA FONCTION DE SOUTIEN LE SQUELETTE Premières traces : 800 millions d’années. Eaux douces et salées. La fonction de soutien est celle qui, avec plus ou moins de bonheur,négocie avec la gravitéet permet ainsi la locomotion. Elle est assurée par le squelette. Et des squelettes, il en de tous les styles ! Contentons-nous d’en citer quelques uns chez les Invertébrés, pour avoir le loisir de nous pencher profitablement sur celui des Vertébrés. En dépit de leur petite taille, beaucoup de Protozoaires ont un squelette calcaire ou siliceux, qui offre souvent une architecture merveilleuse, les Eponges ont un squelette souple ou fait d’aiguilles minérales, les Cnidaires construisent patiemment les récifs coralliaires et la grande barrière d’Australie, les Arthropodes se revêtent d’un squelette de chitine,les Mollusquesde valves ou d’une coquille … Toutes ces solutions aux deux problèmes du soutien et de la locomotion fonctionnent, et fonctionnent fort bien, mais elles pâlissent au regard du squelette interne de Vertébrés, qui sont sur ce point les meilleurs des artisans. 1. LES TISSUS SQUELETTIQUES Les tissus squelettiques sont le tissu cartilagineux et le tissu osseux. Le tissu embryonnaire qui leur donne naissance est le tissu mésenchymateux. Il est fait de cellules étoilées, les cellules mésenchymateuses, qui sécrètent autour d’elles des fibres entrelacées et résistantes à la traction, les fibres collagènes. Chez l’adulte, le tissu mésenchymateux ne garde sa belle jeunesse qu’autour des vaisseaux sanguins. Partout ailleurs, il se convertit en tissu conjonctif. Dans le tissu conjonctif, les cellules mésenchymateuses se spécialisent quelque peu en fibroblastes et les fibres collagènes, plus nombreuses, forment un tapis dense. Un bon exemple de tissu conjonctif est celui du derme de la peau, dont l’industrie de la tannerie fait le cuir. Le tissu conjonctif peut évoluer en tissu cartilagineux et en tissu osseux. Le tissu cartilagineux est compact et rigide, mais ne se refuse pas à une certaine souplesse. Chez l’embryon, il préfigure la plus grande partie des pièces osseuses, il en assure la croissance, puis se convertit en tissu osseux. L’adulte ne conserve que peu de localisations cartilagineuses, ce sont entre autres les pavillons des oreilles, les surfaces articulaires des os, les disques intervertébraux, les ménisques des genoux … Les os engendrés par des cartilages sont les os endochondraux. Donnons en quelques exemples : ce sont eux qui forment le plancher et la région occipitale de la boîte crânienne, les vertèbres, les os longs des membres … 2 Mais il est des os qui, pendant le développement embryonnaire, ne sont pas esquissés par une maquette cartilagineuse, ils sont construits directement par le derme de la peau. De tels os, les os dermiques, sont évidemment périphériques et minces, ils constituent la voûte du crâne et le squelette de la face. Un mot encore : les os méritent notre considération et notre reconnaissance. Il se prêtent volontiers à la fossilisation et ce sont ces vestiges qui, exhumés et étudiés par les paléontologues, permettent de retracer l’histoire de la vie animale depuis ses lointains débuts. 2. LE SQUELETTE CEPHALIQUE Le squelette céphalique comporte la boîte crânienne, le squelette de la bouche et le squelette branchial. Ces trois composants sont présents chez les embryons de tous les Vertébrés. Le squelette branchial persiste chez les Poissons adultes et les larves d’Amphibiens, il se réduit et est mis au service d’autres fonctions chez tous les Vertébrés aériens, soit les Amphibiens adultes, les Reptiles, les Oiseaux et les Mammifères. L’évolution du squelette céphalique doit être racontée en essayant de respecter la chronologie des opérations qui façonnent le crâne humain. J’essayerai de vous la raconter comme une pièce de théâtre dont les actes se succèdent avec une belle logique. Acte I L’apparition de la mâchoire inférieure Les premiers Vertébrés sont les Agnathes. Rassemblés sous le nom d'Ostracodermes, ils ont l'aspect de Poissons longs d'une quinzaine de centimètres, larges et aplatis, dépourvus de mâchoire inférieure et de nageoires paires. Leur tête est percée d'un orifice antérieur, la bouche, dépourvue de tout squelette propre. Leur squelette céphalique se limite donc à une boîte crânienne et à un squelette branchial. Les Ostracodermes restent confinés au fond des plans d'eau, où, la bouche toujours béante, ils sont condamnés à avaler patiemment la boue qui détient leur substrat alimentaire. Les Ostracodermes, ces esclaves de la microphagie, donnent naissance aux Poissons les plus anciens. Ceux-ci introduisent une innovation capitale : une mâchoire inférieure dont le squelette est suspendu par des ligaments à la boîte crânienne. Grâce à elle les Poissons deviennent prédateurs, ils abandonnent le fond, poursuivant et capturant des proies. Outre que les voici capables de se défendre par la morsure … Acte II L’évolution du squelette de la bouche Le premier soin du squelette de la bouche sera de renoncer à sa suspension par des ligaments et de se souder à la boîte crânienne, cette soudure n’impliquant évidemment que les mâchoires supérieures. Originellement, la mâchoire inférieure est une mosaïque de pièces articulée à la boîte crânienne par l’intermédiaire de deux cartilages ou de deux os de petite 3 taille. Cette articulation fonctionne à la satisfaction des Poissons, des Amphibiens, des Reptiles et des Oiseaux. Elle souffre toutefois d’une faiblesse : elle ne permet que les mouvements d’ouverture et de fermeture dans le plan vertical. Chez les Mammifères, la mâchoire inférieure n’est faite que de deux os symétriques, les dentaires. Le dentaire, os exclusif de l'hémimandibule, est articulé au temporal, os duflanc de la boîte crânienne. Cette articulation, qui est considérée par les paléontologues comme le critère d'identification du niveau mammalien, est d’une haute qualité mécanique, elle autorise les mouvements de latéralité. La réforme articulaire innovée par les Mammifères est coupléeà la différenciation dentaire. Les mâchoires portent typiquement, de l'avant vers l'arrière, des incisives, des canines et des molaires, lesquelles ont une surface triturante et permettent la mastication. Cette aptitude est propre aux Mammifères, ceux-ci s'offrent ainsi le luxe de broyer les aliments, au lieu de les avaler, grossièrement déchirés, comme le font pratiquement tous les autres Vertébrés. Et 500 millions d’années plus tard, la mâchoire inférieure interviendra comme un acteur de choix dans la genèse du langage articulé … Acte III La mobilisation du crâne Chez les Poissons osseux, qui sont nos ascendants, la tête n’a pas d’indépendance. La boîte crânienne est soudée à la première vertèbre et liée vers l’arrière aux os dermiques des opercules, qui protègent les branchies. De plus, à gauche et à droite, le segment antérieur de la colonne vertébrale offre appui aux arcs branchiaux, qui ne lui consentent pas de mobilité. Il y a 400 millions d’années, les premiers Amphibiens adoptent la respiration pulmonaire, ils abandonnent les branchies, de ce fait les arcs branchiaux et les opercules, voici deux contraintes levées. Mais il y a plus : la boîte crânienne est articulée à la première vertèbre par deux petites éminences osseuses qui encadrent le trou occipital, ce sont les condyles occipitaux, qui nous ont été transmis. Cette innovation n’est guère exploitée par les Amphibiens, qui gardent le cou court. Elle révèlera sa valeur fonctionnelle chez les Reptiles, qui, multipliant le nombre des vertèbres cervicales, sont à proprement parler les inventeurs du cou. Pourquoi ne pas en donner un exemple impressionnant ? Le Plésiosaure, un Reptile marin fossile, qui évoquait le fruit des amours d’un serpent et d’une tortue ne disposait pas de moins de 77 vertèbres cervicales pour orienter la tête ! Sur ce point, les Mammifères sont plus sobres, ils ont tous 7 vertèbres cervicales, même la Giraffe. Acte IV L’expansion de la boîte crânienne Les Poissons, les Amphibiens, les Reptiles et les Oiseaux ont une boîte crânienne très menue et donc un cerveau de faible volume. Ce propos, le Tyrannosaure l’illustrera plus qu’à suffisance. Disparu depuis 60 4 millionsd’années, le Tyrannosaure était et reste le plus grand des Reptiles carnivores aériens, c’était un monstre long de 12 mètres, qui devait à sa bipédie d’atteindre une hauteur de 6 mètres. Sa tête n’était qu’une gueule, cette gueule n’était que dents, elle abritait un cerveau de la taille du poing. Cette brute sanguinaire n’avait ainsi qu’un comportement élémentaire, essentiellement basé sur les réflexes de la moelle épinière. Dans la lignée des Mammifères, la boîte crânienne grandit, ce penchant est manifeste chez lesSinges et atteint son sommet chez les Singes anthropomorphes. Sous la forme d’un message télégraphique, donnons un aperçu de l’expansion de la boîte crânienne et, par là, de l’expansion du cerveau, en nous limitant aux espèces qui ont quelque droit à figurer dans le processus de l’hominisation, leur succession ne traduisant pas nécessairement leurs filiations, qui restent souvent hypothétiques : Les espèces du genre Proconsul, 20 millions d’années, Afrique, capacité crânienne : de 260 à 300 millilitres; Sahelanthropus tchadensis, 7 millions d’années, Afrique, capacité crânienne : de 360 à 370 millilitres; Orrorin tugerensis, 6 millions d’années, Afrique, capacité crânienne : inconnue, aucun crâne n’étant actuellement mis à jour; Ardipithecus ramidus, 6 millions d’années, Afrique, capacité crânienne : inconnue, aucun crâne n’étant actuellement mis à jour; Australopithecus afarensis, 4 millions d’années, Afrique, capacité crânienne : 450 millilitres; Australopithecus bahrelghazali, 6 millions d’années, Afrique, capacité crânienne : inconnue, aucun crâne n’étant actuellement mis à jour; Australopithecus africanus, 3 millions d’années, Afrique, capacité crânienne : 450-530 millilitres; Homo habilis, 2 millions d’années, Afrique, capacité crânienne : 550-680 millilitres; Homo rudolphensis, 2 millions d’années, Afrique, capacité crânienne : 650-750 millilitres; Homo georgicus, 1,8 millions d’années, Europe, capacité crânienne : 700-800 millilitres; Homo ergaster, 1,8 millions d’années, Afrique, capacité crânienne : 850 millilitres; Homo erectus, 450.000 ans, Afrique, Europe et Asie, capacité crânienne : 1.100-1.300 millilitres; Homo sapiens neanderthalensis, l’Homme de Neanderthal, 80.000 ans, Europe et Asie, capacité crânienne : 1.500-1.750 millilitres; Homo sapiens sapiens, l’Homme moderne, 30.000 ans, tous les continents, capacité crânienne : 1.500millilitres. Acte V Le modelage de la face humaine Ceux qui ont déjà rencontré un Chien le savent : le Chien, comme tous les Vertébrés d’ailleurs, ont lesmâchoires qui se projettent vers l’avant et dessinent un museau. Ce prognathisme se perpétue chez les Singes et même chez des Singes aussi évolués que le Gorille, le Chimpanzé et l’Orang Outan. Le prognathisme s’efface lentement dans la lignée des Hominidés, il ne disparaît définitivement qu’il y a 35.000 ans, quand émerge l’Homme 5 d’aujourd’hui. Ce n’est donc que tout récemment que nous jouissons du privilège de n’avoir pas l’air trop bestial … Le retrait des mâchoires est lié au retrait des orifices internes des fosses nasales, ceux-ci sont reportés vers l'arrière, en regard de la trachée. Cette compartimentation entraîne bien sûr une certaine indépendance des fonctions respiratoire et digestive. Enfin, chez les Singes, les orbites délaissent les faces latérales du crâne, elles siègent en façade, encadrant le squelette du nez. Ainsi devenus proches voisins, les yeux peuvent converger et donner d’un objet tenu dans la main une image nette et en trois dimensions. C’est là un préalable à la confection d’un outil intentionnel. Mais voici une autre histoire, qui réclame que la main soit préhensile et … n’anticipons pas ! 3. LA COLONNE VERTEBRALE Nous voici sortis de l’enfer du squelette céphalique, que j’ai simplifié avec bonheur je l’espère, nous quittons ce chapitre qui est en biologie l’un des plus difficiles à exposer et nous nous réjouissons d’entrer dans les paisibles paysages de l’histoire de la colonne vertébrale. Organe souple et robuste, la colonne vertébrale est une suite de vertèbres, associées par des ligaments, et fermement maintenues par les muscles puissants du dos. La partie la plus massive d’une vertèbre ressemble à un cylindre court, le corps vertébral, qui prend la place occupée par la corde à l'état embryonnaire. Les faces antérieure et postérieure du corps vertébral sont concaves chez les Poissons, alors qu’elles sont planes chez les Mammifères. Les corps vertébraux sont séparés par des coussinets articulaires, les ménisques intervertébraux, et détache deux apophyses latérales. A la face dorsale, le corps vertébral est garni d’une sorte d’arcade, l'arc neural. Celui-ci délimite un canal, le canal neural, qui abrite la moelle épinière. L’arc neural détache une apophyse, l'apophyse neurale. L'histoire de la colonne vertébrale est surtout marquée par un penchant à la régionalisation. La colonne vertébrale des Poissons comprend deux régions, les régions troncale et caudale. Entre ces deux régions, les Amphibiens interposent une région sacrée, qui offre appui à la ceinture pelvienne. Chez les Reptiles apparaît la région cervicale et, chez les Mammifères, la région lombaire. Cette régionalisation améliore la fonction locomotrice. Elle est liée au développement des côtes et du sternum, qui finissent par intervenir dans la fonction respiratoire. Par l'extrémité dorsale, les côtes s'articulent aux apophyses latérales des vertèbres. A l'extrémité ventrale, elles sont libres ou liées au sternum, formant alors avec lui une cage thoracique dont les variations de volume participent à l'inspiration et à l'expiration. 6 4. LES CEINTURES ET LES MEMBRES Les ceintures sont les pièces cartilagineuses ou osseuses qui s’appuient à la colonne vertébrale et offrent articulation aux membres. Il a deux ceintures, l’uneantérieure, qui reçoit le nom de ceinture scapulaire, l’autre postérieure, reçoit celui de ceinture pelvienne. Chez les Poissons osseux La ceinture scapulaire compte deux moitiés symétriques unies à la face ventrale, elle frange le bord postérieur des opercules. La ceinture pelvienne reste, elle, un arc d'os confiné à la face ventrale. La nageoire paire ancestrale est un éventail de grands rayons articulés à des pièces basales. Bien plus évoluée est la nageoire des Crossoptérygiens du Dévonien, auxquels elle donne la capacité de se déplacer en milieu aérien. C'est elle qui devient le membre pentadactyle des premiers Amphibiens 7 Chez les Amphibiens Le squelette appendiculaire des Amphibiens, qui s’émancipent vaille que vaille des eaux, fait face à la perte des avantages du principe d'Archimède. La ceinture scapulaire s'appuie sur les vertèbres antérieures et, éventuellement, sur les côtes.A la face ventrale, elle prend appui sur le sternum. Celui-ci est une pièce squelettique, située à la partie antérieure et ventrale du tronc, il protège le cœur et se lie aux côtes quand elles sont présentes. La ceinture pelvienne est, comme chez tous les Tétrapodes du reste, soumise, par l'intermédiaire des membres postérieurs, à d'intenses efforts de sustentation et de locomotion. Aussi ses deux moitiés, l'une droite, l'autre gauche, sont-elles liées aux apophyses latérales de la vertèbre sacrée et unies à la face ventrale. Elles forment ainsi un anneau, l’anneau pelvien, qui circonscrit la partie postérieure de la cavité abdominale transmet une bonne partie du poids du corps à la colonne vertébrale. Il y a 400 millions d’années, ce sont les premiers Amphibiens qui inventent le membre pentadactyle. Celui-ci sera transmis à tous leurs descendants les Vertébrés Tétrapodes. Qu'il soit antérieur ou postérieur, le membre pentadactyle offre trois segments articulés et terminés par cinq doigts. Le segment proximal est le bras ou la cuisse, il est soutenu par un os long, l'humérus ou le fémur. Le segment moyen est l'avant-bras ou la jambe. L'avantbras comporte deux os, le radius et le cubitus. La jambe comporte elle aussi deux os, le tibia et le péroné. Le segment distal est la main ou le pied. La main est faite du carpe, du métacarpe et de cinq doigts, le pied du tarse, du métatarse et de cinq orteils. Le carpe correspond au poignet, il est une mosaïque de petits os, dont cinq carpiens. Le métacarpe constitue le squelette de la paume de la main, il compte cinq métacarpiens. Le doigt est formé de trois phalanges. Le doigt n° 1 est interne et réduit à deux phalanges, c'est le pouce. Le tarse correspond à la cheville, il est, lui aussi, un assemblage de petits os, dont cinq tarsiens. Le métatarse constitue le squelette de la plante du pied, il compte cinq métatarsiens. L'orteil est formé de trois phalanges. Le membre pentadactyle innové par les Stégocéphales est transversal, son segment proximal est horizontal, son segment distal seul est vertical. Il est donc tenu d'assurer la suspension du corps selon des angles très défavorables, sa musculature est largement détournée de la fonction locomotrice. La démarche est laborieuse, souvent rampante. Le membre ancestral des Stégocéphales est conservé par bien des Tétrapodes évolués, tels que les Crocoliles par exemple. D'autres Tétrapodes au contraire optent pour le membre parasagittal. Chez celui-ci, le segment proximal est rabattu vers le plan de symétrie et axé sur le segment distal. Le squelette est le principal responsable de la suspension du corps, la musculature peut investir ses efforts dans la fonction locomotrice. Le membre parasagittal, comme celui du 8 Cheval entre autres, permet évidemment une course rapide, avantage considérable pour un prédateur … et pour une proie. Il devient le membre typique de la plupart des Mammifères. 5. LA STATION VERTICALE Il y a 5 millions d’années, dans les savanes torrides de l’Afrique Centrale, des Singes, les Australopithèques, trottinent sur les deux pattes de derrière, ils sont bipèdes … mais est-ce là une véritable originalité ? Que non ! Tous les Oiseaux et bien des Dinosaures sont bipèdes …mais les Australopithèques ont plus : ils ont la colonne vertébrale verticale, ils sont les premiers Primates à station verticale. Position difficile et dangereuse ! Car celui qui en dispose ne jouit que de deux faibles surfaces de sustentation, celles des pieds, et expose toute la face ventrale, qui est particulièrement vulnérable, et non pas la gueule et les dents comme le font les loups par exemple. Et d’autre part, quel nouveau problème d’équilibration à résoudre par le cervelet ! Enfin, la position du crâne est toute autre que chez un Mammifère quadrupède. Il repose sur la colonne vertébrale, le trou occipital et les condyles occipitaux occupent le centre du plancher crânien. Un australopithèque peut donc, comme vous et moi, lever les yeux vers le ciel alors même que tellement d’autres animaux restent prostrés vers le sol. Toute malaisée qu’elle soit, l’adoption de la station verticale est un événement riche d’avenir, qui porte la promesse de l’apparition de l’Homme. Quelles ne sont pas ses conséquences !Citons-en quelques unes. Les muscles de la nuque n’ont plus à porter un crâne en porte-à-faux, ils s’allègent et, par là, ceux qui les prolongent en emprisonnant la tête. Libérée de ce carcan, celle-ci pourra gonfler comme une bulle et accroître le volume mis à la disposition d’un cerveau en quête de cérébralisation. Les mains peuvent s’adonner à bien d’autres fonctions que celle de la locomotion, elles peuvent notamment porter la nourriture à la bouche, qui est soustraite à l’obligation de la saisir elle-même. La bouche aura ainsi le loisir de participer à l’expression verbale. Les mains deviennent les organes, à la fois légers, adroits et robustes, qui expriment la conscience réflexive en confectionnant l’outil intentionnel. Attardons-nous en Afrique Centrale. Il y a 2,5 millions d’années, nous croiserons encore des Australopithèques, mais nous rencontrerons aussi les premiers Hommes. Regardons un petit tailleur de pierre, il est assis, asseyonsnous à ses côtés, raisonnons simplement et, surtout, refusons tout langage compliqué. Pour tailler une pierre, il a besoin de deux pierres. Il doit tenir d’une main, la gauche, la pierre dont il veut faire un outil tranchant. Il doit donc avoir la main gauche conformée comme une pince et il l’a ainsi faite puisqu’il est un Primate et que ce sont les Primates qui ont inventé l’opposabilité du pouce 60 millions d’années plus tôt. De la main droite, il saisit une autre pierre et percute la première à petits 9 coups, puisqu’il ne veut faire sauter que des éclats. Pour qu’un tel travail des deux mains se déroule bien, il doit voir les deux pierres avec netteté à une distance de 20 à 30 centimètres, il doit avoir les deux yeux orientés vers l’avant, de part et d’autre de la racine du nez, et cette orientation est, comme le détachement du pouce, un héritage des premiers Primates. Mais il y a plus. Il doit voir les deux pierres en relief, il doit les voir des deux yeux, il doit donc avoir les yeux convergents, ce qui serait évidemment impossible s’il avait les yeux plantés sur les côtés du crâne, comme les ont tant d’autres Mammifères. Et bien sûr ses yeux ne pourraient converger s’ils n’étaient commandés par des centres nerveux hautement spécialisés. Et depuis ces timides débuts, que n’est-il sorti de l’extraordinaire dialogue qu’entretiennent le cerveau et la main ? Parmi ces innombrables fruits, quels sont-donc vos préférés ? La transmission des images virtuelles ? La Joconde ? La Tour Eiffel ? L’écriture ? Notre-Dame de Paris ? Faites un choix, c’est aussi une manifestation de la conscience réflexive, la vôtre. 10