22. LA FONCTION DE SOUTIEN LE SQUELETTE

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22. LA FONCTION DE SOUTIEN
LE SQUELETTE
Premières traces : 800 millions d’années. Eaux douces et salées.
La fonction de soutien est celle qui, avec plus ou moins de bonheur,négocie
avec la gravitéet permet ainsi la locomotion. Elle est assurée par le squelette. Et
des squelettes, il en de tous les styles ! Contentons-nous d’en citer quelques uns
chez les Invertébrés, pour avoir le loisir de nous pencher profitablement sur celui
des Vertébrés.
En dépit de leur petite taille, beaucoup de Protozoaires ont un squelette
calcaire ou siliceux, qui offre souvent une architecture merveilleuse, les Eponges
ont un squelette souple ou fait d’aiguilles minérales, les Cnidaires construisent
patiemment les récifs coralliaires et la grande barrière d’Australie, les
Arthropodes se revêtent d’un squelette de chitine,les Mollusquesde valves ou
d’une coquille … Toutes ces solutions aux deux problèmes du soutien et de la
locomotion fonctionnent, et fonctionnent fort bien, mais elles pâlissent au regard
du squelette interne de Vertébrés, qui sont sur ce point les meilleurs des
artisans.
1. LES TISSUS SQUELETTIQUES
Les tissus squelettiques sont le tissu cartilagineux et le tissu osseux. Le tissu
embryonnaire qui leur donne naissance est le tissu mésenchymateux. Il est fait
de cellules étoilées, les cellules mésenchymateuses, qui sécrètent autour d’elles
des fibres entrelacées et résistantes à la traction, les fibres collagènes.
Chez l’adulte, le tissu mésenchymateux ne garde sa belle jeunesse qu’autour
des vaisseaux sanguins. Partout ailleurs, il se convertit en tissu conjonctif. Dans
le tissu conjonctif, les cellules mésenchymateuses se spécialisent quelque peu en
fibroblastes et les fibres collagènes, plus nombreuses, forment un tapis dense.
Un bon exemple de tissu conjonctif est celui du derme de la peau, dont l’industrie
de la tannerie fait le cuir.
Le tissu conjonctif peut évoluer en tissu cartilagineux et en tissu osseux.
Le tissu cartilagineux est compact et rigide, mais ne se refuse pas à une
certaine souplesse. Chez l’embryon, il préfigure la plus grande partie des pièces
osseuses, il en assure la croissance, puis se convertit en tissu osseux. L’adulte ne
conserve que peu de localisations cartilagineuses, ce sont entre autres les
pavillons des oreilles, les surfaces articulaires des os, les disques
intervertébraux, les ménisques des genoux …
Les os engendrés par des cartilages sont les os endochondraux. Donnons en
quelques exemples : ce sont eux qui forment le plancher et la région occipitale
de la boîte crânienne, les vertèbres, les os longs des membres …
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Mais il est des os qui, pendant le développement embryonnaire, ne sont pas
esquissés par une maquette cartilagineuse, ils sont construits directement par le
derme de la peau. De tels os, les os dermiques, sont évidemment périphériques
et minces, ils constituent la voûte du crâne et le squelette de la face.
Un mot encore : les os méritent notre considération et notre reconnaissance.
Il se prêtent volontiers à la fossilisation et ce sont ces vestiges qui, exhumés et
étudiés par les paléontologues, permettent de retracer l’histoire de la vie animale
depuis ses lointains débuts.
2. LE SQUELETTE CEPHALIQUE
Le squelette céphalique comporte la boîte crânienne, le squelette de la bouche
et le squelette branchial. Ces trois composants sont présents chez les embryons
de tous les Vertébrés. Le squelette branchial persiste chez les Poissons adultes et
les larves d’Amphibiens, il se réduit et est mis au service d’autres fonctions chez
tous les Vertébrés aériens, soit les Amphibiens adultes, les Reptiles, les Oiseaux
et les Mammifères.
L’évolution du squelette céphalique doit être racontée en essayant de
respecter la chronologie des opérations qui façonnent le crâne humain.
J’essayerai de vous la raconter comme une pièce de théâtre dont les actes se
succèdent avec une belle logique.
Acte I
L’apparition de la mâchoire inférieure
Les premiers Vertébrés sont les Agnathes. Rassemblés sous le nom
d'Ostracodermes, ils ont l'aspect de Poissons longs d'une quinzaine de
centimètres, larges et aplatis, dépourvus de mâchoire inférieure et de nageoires
paires. Leur tête est percée d'un orifice antérieur, la bouche, dépourvue de tout
squelette propre. Leur squelette céphalique se limite donc à une boîte crânienne
et à un squelette branchial.
Les Ostracodermes restent confinés au fond des plans d'eau, où, la bouche
toujours béante, ils sont condamnés à avaler patiemment la boue qui détient leur
substrat alimentaire.
Les Ostracodermes, ces esclaves de la microphagie, donnent naissance aux
Poissons les plus anciens. Ceux-ci introduisent une innovation capitale : une
mâchoire inférieure dont le squelette est suspendu par des ligaments à la boîte
crânienne. Grâce à elle les Poissons deviennent prédateurs, ils abandonnent le
fond, poursuivant et capturant des proies. Outre que les voici capables de se
défendre par la morsure …
Acte II
L’évolution du squelette de la bouche
Le premier soin du squelette de la bouche sera de renoncer à sa suspension
par des ligaments et de se souder à la boîte crânienne, cette soudure
n’impliquant évidemment que les mâchoires supérieures.
Originellement, la mâchoire inférieure est une mosaïque de pièces articulée à
la boîte crânienne par l’intermédiaire de deux cartilages ou de deux os de petite
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taille. Cette articulation fonctionne à la satisfaction des Poissons, des
Amphibiens, des Reptiles et des Oiseaux. Elle souffre toutefois d’une faiblesse :
elle ne permet que les mouvements d’ouverture et de fermeture dans le plan
vertical.
Chez les Mammifères, la mâchoire inférieure n’est faite que de deux os
symétriques, les dentaires. Le dentaire, os exclusif de l'hémimandibule, est
articulé au temporal, os duflanc de la boîte crânienne. Cette articulation, qui est
considérée par les paléontologues comme le critère d'identification du niveau
mammalien, est d’une haute qualité mécanique, elle autorise les mouvements de
latéralité.
La réforme articulaire innovée par les Mammifères est coupléeà la
différenciation dentaire. Les mâchoires portent typiquement, de l'avant vers
l'arrière, des incisives, des canines et des molaires, lesquelles ont une surface
triturante et permettent la mastication. Cette aptitude est propre aux
Mammifères, ceux-ci s'offrent ainsi le luxe de broyer les aliments, au lieu de les
avaler, grossièrement déchirés, comme le font pratiquement tous les autres
Vertébrés.
Et 500 millions d’années plus tard, la mâchoire inférieure interviendra comme
un acteur de choix dans la genèse du langage articulé …
Acte III
La mobilisation du crâne
Chez les Poissons osseux, qui sont nos ascendants, la tête n’a pas
d’indépendance. La boîte crânienne est soudée à la première vertèbre et liée vers
l’arrière aux os dermiques des opercules, qui protègent les branchies. De plus, à
gauche et à droite, le segment antérieur de la colonne vertébrale offre appui aux
arcs branchiaux, qui ne lui consentent pas de mobilité.
Il y a 400 millions d’années, les premiers Amphibiens adoptent la respiration
pulmonaire, ils abandonnent les branchies, de ce fait les arcs branchiaux et les
opercules, voici deux contraintes levées. Mais il y a plus : la boîte crânienne est
articulée à la première vertèbre par deux petites éminences osseuses qui
encadrent le trou occipital, ce sont les condyles occipitaux, qui nous ont été
transmis.
Cette innovation n’est guère exploitée par les Amphibiens, qui gardent le cou
court. Elle révèlera sa valeur fonctionnelle chez les Reptiles, qui, multipliant le
nombre des vertèbres cervicales, sont à proprement parler les inventeurs du cou.
Pourquoi ne pas en donner un exemple impressionnant ? Le Plésiosaure, un
Reptile marin fossile, qui évoquait le fruit des amours d’un serpent et d’une
tortue ne disposait pas de moins de 77 vertèbres cervicales pour orienter la
tête ! Sur ce point, les Mammifères sont plus sobres, ils ont tous 7 vertèbres
cervicales, même la Giraffe.
Acte IV
L’expansion de la boîte crânienne
Les Poissons, les Amphibiens, les Reptiles et les Oiseaux ont une boîte
crânienne très menue et donc un cerveau de faible volume. Ce propos, le
Tyrannosaure
l’illustrera
plus
qu’à
suffisance.
Disparu
depuis
60
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millionsd’années, le Tyrannosaure était et reste le plus grand des Reptiles
carnivores aériens, c’était un monstre long de 12 mètres, qui devait à sa bipédie
d’atteindre une hauteur de 6 mètres. Sa tête n’était qu’une gueule, cette gueule
n’était que dents, elle abritait un cerveau de la taille du poing. Cette brute
sanguinaire n’avait ainsi qu’un comportement élémentaire, essentiellement basé
sur les réflexes de la moelle épinière.
Dans la lignée des Mammifères, la boîte crânienne grandit, ce penchant est
manifeste chez lesSinges et atteint son sommet chez les Singes
anthropomorphes. Sous la forme d’un message télégraphique, donnons un
aperçu de l’expansion de la boîte crânienne et, par là, de l’expansion du cerveau,
en nous limitant aux espèces qui ont quelque droit à figurer dans le processus de
l’hominisation, leur succession ne traduisant pas nécessairement leurs filiations,
qui restent souvent hypothétiques :
Les espèces du genre Proconsul, 20 millions d’années, Afrique, capacité
crânienne : de 260 à 300 millilitres;
Sahelanthropus tchadensis, 7 millions d’années, Afrique, capacité crânienne :
de 360 à 370 millilitres;
Orrorin tugerensis, 6 millions d’années, Afrique, capacité crânienne :
inconnue, aucun crâne n’étant actuellement mis à jour;
Ardipithecus ramidus, 6 millions d’années, Afrique, capacité crânienne :
inconnue, aucun crâne n’étant actuellement mis à jour;
Australopithecus afarensis, 4 millions d’années, Afrique, capacité crânienne :
450 millilitres;
Australopithecus bahrelghazali, 6 millions d’années, Afrique, capacité
crânienne : inconnue, aucun crâne n’étant actuellement mis à jour;
Australopithecus africanus, 3 millions d’années, Afrique, capacité crânienne :
450-530 millilitres;
Homo habilis, 2 millions d’années, Afrique, capacité crânienne : 550-680
millilitres;
Homo rudolphensis, 2 millions d’années, Afrique, capacité crânienne : 650-750
millilitres;
Homo georgicus, 1,8 millions d’années, Europe, capacité crânienne : 700-800
millilitres;
Homo ergaster, 1,8 millions d’années, Afrique, capacité crânienne : 850
millilitres;
Homo erectus, 450.000 ans, Afrique, Europe et Asie, capacité crânienne :
1.100-1.300 millilitres;
Homo sapiens neanderthalensis, l’Homme de Neanderthal, 80.000 ans, Europe
et Asie, capacité crânienne : 1.500-1.750 millilitres;
Homo sapiens sapiens, l’Homme moderne, 30.000 ans, tous les continents,
capacité crânienne : 1.500millilitres.
Acte V
Le modelage de la face humaine
Ceux qui ont déjà rencontré un Chien le savent : le Chien, comme tous les
Vertébrés d’ailleurs, ont lesmâchoires qui se projettent vers l’avant et dessinent
un museau. Ce prognathisme se perpétue chez les Singes et même chez des
Singes aussi évolués que le Gorille, le Chimpanzé et l’Orang Outan.
Le prognathisme s’efface lentement dans la lignée des Hominidés, il ne
disparaît définitivement qu’il y a 35.000 ans, quand émerge l’Homme
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d’aujourd’hui. Ce n’est donc que tout récemment que nous jouissons du privilège
de n’avoir pas l’air trop bestial …
Le retrait des mâchoires est lié au retrait des orifices internes des fosses
nasales, ceux-ci sont reportés vers l'arrière, en regard de la trachée. Cette
compartimentation entraîne bien sûr une certaine indépendance des fonctions
respiratoire et digestive.
Enfin, chez les Singes, les orbites délaissent les faces latérales du crâne, elles
siègent en façade, encadrant le squelette du nez. Ainsi devenus proches voisins,
les yeux peuvent converger et donner d’un objet tenu dans la main une image
nette et en trois dimensions. C’est là un préalable à la confection d’un outil
intentionnel. Mais voici une autre histoire, qui réclame que la main soit
préhensile et … n’anticipons pas !
3. LA COLONNE VERTEBRALE
Nous voici sortis de l’enfer du squelette céphalique, que j’ai simplifié avec
bonheur je l’espère, nous quittons ce chapitre qui est en biologie l’un des plus
difficiles à exposer et nous nous réjouissons d’entrer dans les paisibles paysages
de l’histoire de la colonne vertébrale.
Organe souple et robuste, la colonne vertébrale est une suite de
vertèbres, associées par des ligaments, et fermement maintenues par les
muscles puissants du dos.
La partie la plus massive d’une vertèbre ressemble à un cylindre court,
le corps vertébral, qui prend la place occupée par la corde à l'état
embryonnaire. Les faces antérieure et postérieure du corps vertébral sont
concaves chez les Poissons, alors qu’elles sont planes chez les
Mammifères. Les corps vertébraux sont séparés par des coussinets
articulaires, les ménisques intervertébraux, et détache deux apophyses
latérales.
A la face dorsale, le corps vertébral est garni d’une sorte d’arcade, l'arc
neural. Celui-ci délimite un canal, le canal neural, qui abrite la moelle
épinière. L’arc neural détache une apophyse, l'apophyse neurale.
L'histoire de la colonne vertébrale est surtout marquée par un penchant
à la régionalisation. La colonne vertébrale des Poissons comprend deux
régions, les régions troncale et caudale. Entre ces deux régions, les
Amphibiens interposent une région sacrée, qui offre appui à la ceinture
pelvienne. Chez les Reptiles apparaît la région cervicale et, chez les
Mammifères, la région lombaire.
Cette régionalisation améliore la fonction locomotrice. Elle est liée au
développement des côtes et du sternum, qui finissent par intervenir dans
la fonction respiratoire. Par l'extrémité dorsale, les côtes s'articulent aux
apophyses latérales des vertèbres. A l'extrémité ventrale, elles sont libres
ou liées au sternum, formant alors avec lui une cage thoracique dont les
variations de volume participent à l'inspiration et à l'expiration.
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4. LES CEINTURES ET LES MEMBRES
Les ceintures sont les pièces cartilagineuses ou osseuses qui s’appuient à la
colonne vertébrale et offrent articulation aux membres. Il a deux ceintures,
l’uneantérieure, qui reçoit le nom de ceinture scapulaire, l’autre postérieure,
reçoit celui de ceinture pelvienne.
Chez les Poissons osseux
La ceinture scapulaire compte deux moitiés symétriques unies à la face
ventrale, elle frange le bord postérieur des opercules. La ceinture pelvienne
reste, elle, un arc d'os confiné à la face ventrale.
La nageoire paire ancestrale est un éventail de grands rayons articulés à des
pièces basales. Bien plus évoluée est la nageoire des Crossoptérygiens du
Dévonien, auxquels elle donne la capacité de se déplacer en milieu aérien. C'est
elle qui devient le membre pentadactyle des premiers Amphibiens
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Chez les Amphibiens
Le squelette appendiculaire des Amphibiens, qui s’émancipent vaille que vaille
des eaux, fait face à la perte des avantages du principe d'Archimède.
La ceinture scapulaire s'appuie sur les vertèbres antérieures et,
éventuellement, sur les côtes.A la face ventrale, elle prend appui sur le sternum.
Celui-ci est une pièce squelettique, située à la partie antérieure et ventrale du
tronc, il protège le cœur et se lie aux côtes quand elles sont présentes.
La ceinture pelvienne est, comme chez tous les Tétrapodes du reste, soumise,
par l'intermédiaire des membres postérieurs, à d'intenses efforts de sustentation
et de locomotion. Aussi ses deux moitiés, l'une droite, l'autre gauche, sont-elles
liées aux apophyses latérales de la vertèbre sacrée et unies à la face ventrale.
Elles forment ainsi un anneau, l’anneau pelvien, qui circonscrit la partie
postérieure de la cavité abdominale transmet une bonne partie du poids du corps
à la colonne vertébrale.
Il y a 400 millions d’années, ce sont les premiers Amphibiens qui inventent le
membre pentadactyle. Celui-ci sera transmis à tous leurs descendants les
Vertébrés Tétrapodes.
Qu'il soit antérieur ou postérieur, le membre pentadactyle offre trois segments
articulés et terminés par cinq doigts.
Le segment proximal est le bras ou la cuisse, il est soutenu par un os long,
l'humérus ou le fémur. Le segment moyen est l'avant-bras ou la jambe. L'avantbras comporte deux os, le radius et le cubitus. La jambe comporte elle aussi
deux os, le tibia et le péroné.
Le segment distal est la main ou le pied. La main est faite du carpe, du
métacarpe et de cinq doigts, le pied du tarse, du métatarse et de cinq orteils.
Le carpe correspond au poignet, il est une mosaïque de petits os, dont cinq
carpiens. Le métacarpe constitue le squelette de la paume de la main, il compte
cinq métacarpiens. Le doigt est formé de trois phalanges. Le doigt n° 1 est
interne et réduit à deux phalanges, c'est le pouce.
Le tarse correspond à la cheville, il est, lui aussi, un assemblage de petits os,
dont cinq tarsiens. Le métatarse constitue le squelette de la plante du pied, il
compte cinq métatarsiens. L'orteil est formé de trois phalanges.
Le membre pentadactyle innové par les Stégocéphales est transversal, son
segment proximal est horizontal, son segment distal seul est vertical. Il est donc
tenu d'assurer la suspension du corps selon des angles très défavorables, sa
musculature est largement détournée de la fonction locomotrice. La démarche
est laborieuse, souvent rampante.
Le membre ancestral des Stégocéphales est conservé par bien des Tétrapodes
évolués, tels que les Crocoliles par exemple. D'autres Tétrapodes au contraire
optent pour le membre parasagittal. Chez celui-ci, le segment proximal est
rabattu vers le plan de symétrie et axé sur le segment distal. Le squelette est le
principal responsable de la suspension du corps, la musculature peut investir ses
efforts dans la fonction locomotrice. Le membre parasagittal, comme celui du
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Cheval entre autres, permet évidemment une course rapide, avantage
considérable pour un prédateur … et pour une proie. Il devient le membre
typique de la plupart des Mammifères.
5. LA STATION VERTICALE
Il y a 5 millions d’années, dans les savanes torrides de l’Afrique Centrale, des
Singes, les Australopithèques, trottinent sur les deux pattes de derrière, ils sont
bipèdes … mais est-ce là une véritable originalité ? Que non ! Tous les Oiseaux et
bien des Dinosaures sont bipèdes …mais les Australopithèques ont plus : ils ont
la colonne vertébrale verticale, ils sont les premiers Primates à station verticale.
Position difficile et dangereuse ! Car celui qui en dispose ne jouit que de deux
faibles surfaces de sustentation, celles des pieds, et expose toute la face
ventrale, qui est particulièrement vulnérable, et non pas la gueule et les dents
comme le font les loups par exemple. Et d’autre part, quel nouveau problème
d’équilibration à résoudre par le cervelet !
Enfin, la position du crâne est toute autre que chez un Mammifère
quadrupède. Il repose sur la colonne vertébrale, le trou occipital et les condyles
occipitaux occupent le centre du plancher crânien. Un australopithèque peut
donc, comme vous et moi, lever les yeux vers le ciel alors même que tellement
d’autres animaux restent prostrés vers le sol.
Toute malaisée qu’elle soit, l’adoption de la station verticale est un événement
riche d’avenir, qui porte la promesse de l’apparition de l’Homme. Quelles ne sont
pas ses conséquences !Citons-en quelques unes.
Les muscles de la nuque n’ont plus à porter un crâne en porte-à-faux, ils
s’allègent et, par là, ceux qui les prolongent en emprisonnant la tête. Libérée de
ce carcan, celle-ci pourra gonfler comme une bulle et accroître le volume mis à la
disposition d’un cerveau en quête de cérébralisation.
Les mains peuvent s’adonner à bien d’autres fonctions que celle de la
locomotion, elles peuvent notamment porter la nourriture à la bouche, qui est
soustraite à l’obligation de la saisir elle-même. La bouche aura ainsi le loisir de
participer à l’expression verbale.
Les mains deviennent les organes, à la fois légers, adroits et robustes, qui
expriment la conscience réflexive en confectionnant l’outil intentionnel.
Attardons-nous en Afrique Centrale. Il y a 2,5 millions d’années, nous
croiserons encore des Australopithèques, mais nous rencontrerons aussi les
premiers Hommes. Regardons un petit tailleur de pierre, il est assis, asseyonsnous à ses côtés, raisonnons simplement et, surtout, refusons tout langage
compliqué.
Pour tailler une pierre, il a besoin de deux pierres. Il doit tenir d’une main, la
gauche, la pierre dont il veut faire un outil tranchant. Il doit donc avoir la main
gauche conformée comme une pince et il l’a ainsi faite puisqu’il est un Primate et
que ce sont les Primates qui ont inventé l’opposabilité du pouce 60 millions
d’années plus tôt.
De la main droite, il saisit une autre pierre et percute la première à petits
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coups, puisqu’il ne veut faire sauter que des éclats.
Pour qu’un tel travail des deux mains se déroule bien, il doit voir les deux
pierres avec netteté à une distance de 20 à 30 centimètres, il doit avoir les deux
yeux orientés vers l’avant, de part et d’autre de la racine du nez, et cette
orientation est, comme le détachement du pouce, un héritage des premiers
Primates.
Mais il y a plus. Il doit voir les deux pierres en relief, il doit les voir des deux
yeux, il doit donc avoir les yeux convergents, ce qui serait évidemment
impossible s’il avait les yeux plantés sur les côtés du crâne, comme les ont tant
d’autres Mammifères. Et bien sûr ses yeux ne pourraient converger s’ils n’étaient
commandés par des centres nerveux hautement spécialisés.
Et depuis ces timides débuts, que n’est-il sorti de l’extraordinaire dialogue
qu’entretiennent le cerveau et la main ? Parmi ces innombrables fruits, quels
sont-donc vos préférés ? La transmission des images virtuelles ? La Joconde ? La
Tour Eiffel ? L’écriture ? Notre-Dame de Paris ? Faites un choix, c’est aussi une
manifestation de la conscience réflexive, la vôtre.
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