5
procès d’hérésie, et elle ne comprendra pas plus Béranger en cellule que Galilée en
prison...Unité de langue, unité de monnaie, unité de mètre, unité de méridien, unité de
code, la circulation financière à son plus haut degré, une incalculable plus-value résultant
de l’abolition des parasitismes ; plus d’oisiveté, l’arme au bras ; la gigantesque dépense
des guérites supprimée, les quatre milliards que coûtent actuellement les armées
permanentes, laissés dans la poche des citoyens ; les quatre millions de jeunes travailleurs
qu’annule honorablement l’uniforme, restitués au commerce, à l’agriculture et à
l’industrie ; partout le fer à disparu sous la forme de glaive et chaîne et reforgé sous la
forme charrue, la paix, déesse à huit mamelles, majestueusement assise au milieu des
hommes...
Pour guerre, l’émulation. L’émeute des intelligences vers l’aurore. L’impatience
du bien gourmandant les erreurs et les timidités. Toute autre colère disparue. Un peuple
fouillant les flancs de la nuit et opérant, au profit du genre humain, une immense
extraction de clarté. Voilà quelle sera cette nation.
Et cette nation s’appellera l’Europe. »
Qu’entré dans sa seconde moitié, le XXe siècle en question se sente beaucoup
plus menacé de finir au milieu d’une Europe slave et soviétisée par surcroît que
soutenu par l’espoir de cette Europe-là, dit assez l’ampleur de la mésaventure
posthume qui arrive à Victor Hugo pour que point ne soit besoin d’insister.
De ce grand espoir ainsi formulé, ce qu’il faut donc seulement retenir, c’est
l’intention et le niveau d’expression. Le niveau d’expres[9]sion surtout : les
nationalités, les frontières naturelles, l’unité allemande, l’unité italienne, etc. si on lui
avait fait remarquer qu’il n’en faisait pas mention, j’imagine assez qu’Hugo eut
répondu par le même haussement d’épaules que si on lui avait propose d’apporter
une solution définitive au problème des Guelfes et des Gibelins, des Armagnacs et
des Bourguignons — Picards et Bourguignons, dit-il d’ailleurs — de Richelieu et de
la Maison d’Autriche, de la guerre de Cent Ans ou, que sais-je, du sacre de Clovis,
par exemple.
Et pourtant... Les nationalités, les frontières naturelles, etc. c’était encore, pour
l’Europe, se chercher à un niveau intellectuel qui, par comparaison avec celui auquel
elle se cherche aujourd’hui, peut paraître relativement élevé. Je ne veux parler net, ni
des hommes d’État qui ne la conçoivent que coupée au minimum en deux, ni des
marchands dont le seul souci semble bien ne plus être que la multiplicité des
frontières parce que, par le truchement des licences d’importation ou d’exportation,
elles permettent un marché noir de l’or et des devises d’autant plus fructueux qu’elles
sont plus nombreuses : dans les nations modernes, les hommes d’État et les
marchands ne sont pas — ou plus — l’élite. Mais que penser des intellectuels ?
Si, la guerre de 1939-1945 terminée, les intellectuels ont recommencé à prôner
l’Europe, ils ne l’ont, dans leur écrasante majorité, plus jamais fait qu’en mettant
systématiquement en évidence les raisons de ne pas la faire et seulement celles-là :
les crimes allemands, les camps de concentration allemands, une infinité d’Oradours,
le militarisme prussien, etc. Tout récemment, ils en étaient à essayer de mobiliser
l’opinion mondiale sur le comportement dans la guerre d’un simple lieutenant-