L’eau et la dynamique lithosphérique page 16 Quality of our Groundwater Resources: Arsenic and Fluoride page 82 Ressources en eau : une gestion nécessairement locale dans une approche globale page 94 La revue du BRGM pour une Terre Durable BRGM's journal for a sustainable Ear th N° 13 > juillet 2011 > 8 Publicité L’école Nationale d’Applications des Géosciences Cycle de formation « Gestion durable des ressources minérales » L’ENAG est une école d’applications dont l’objectif est d’apporter à des étudiants de haut niveau une formation répondant aux besoins de l’industrie et de la société dans le domaine de la gestion durable des ressources minérales. Dans un contexte de tension sur l’approvisionnement en ressources minérales et de prise en compte des aspects environnementaux, sociétaux et éthiques, l’école offre un enseignement d’excellence et une ouverture sur le monde industriel. Le cycle de formation ‘‘ Gestion durable des ressources minérales ’’ a pour vocation de former des spécialistes adaptables et responsables, pour répondre aux nouveaux besoins des États, des services géologiques nationaux et des industriels du secteur. personnes titulaires de diplôme d’ingénieur, Master ou titre équivalent (niveau BAC+5) et cadres français ou étrangers. Ce cycle, à finalité professionnelle, est d’une durée de 16 mois dans le cadre d’une scolarité en continu ou de 22 mois dans le cadre d’un contrat d’apprentissage. Il conduit à un Diplôme Universitaire délivré sous la responsabilité conjointe de l’ENAG et de la composante OSUC de l’Université d’Orléans. Les intervenants sont issus d’organismes, d’entreprises ou d’universités françaises ou étrangères et contribuent ainsi à ouvrir l’ENAG et ses étudiants sur le monde professionnel et académique ainsi qu’à l’international. Les partenaires de l’ENAG : L’ENAG prépare à la conduite de projets, au sein d’équipes multiculturelles, par une maîtrise des concepts les plus récents dans le domaine de la R&D et une connaissance du fonctionnement des structures économiques. Les diplômés auront donc une triple compétence : géologique, économique et managériale. La formation s’adresse aux Début des cours le 10 septembre 2012 Candidatures du 30 novembre 2011 au 31 mars 2012 Dossiers de candidatures et informations sur le site web : www.enag-brgm.fr Contact : [email protected] Tél : (+33) (0) 02.38.64.47 90 Publicité MINISTÈRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE école de terrain de l’ENAG Reconnaissance cartographique dans le sud marocain (Jbel Saghro) N°13 Édito - Nathalie Kosciusko-Morizet 04 Le mot du rédacteur en chef - Jacques Varet 06 Introduction scientifique - Ghislain de Marsily 08 16 24 30 L’eau dans le système solaire, des glaces cométaires aux manteaux planétaires - Jean Duprat L’eau et la dynamique lithosphérique - Laurent Jolivet De l’eau dans les magmas - Michel Pichavant The role of non-magmatic water in volcanic hazards Franco Barberi, Maria Luisa Carapezza La convection 48 De nouvelles perspectives pour l’exploitation des ressources géothermales sommaire 40 hydrothermale et les ressources associées Laurent Guillou-Frottier Frédérik Bugarel, Éric Lasne, Dominique Tournaye 56 Fluides et genèse des concentrations minérales 64 Dynamique de l’eau, de l’érosion à la sédimentation 72 Les grands systèmes fluviaux del’Holocène à l’Anthropocène, indicateurs des changements globaux Michel Cathelineau, Marie-Christine Boiron, Johann Tuduri Philippe Négrel, Christophe Rigollet Michel Meybeck, Hans Dürr 82 Quality of our Groundwater Resources: Arsenic and Fluoride 88 Les travaux souterrains : perturbations hydrodynamiques et risques de pollution 94 102 104 Dr. D. Kirk Nordstrom Robert Fabriol, Emmanuel Ledoux Ressources en eau : une gestion nécessairement locale dans une approche globale Nathalie Dörfliger, Jérôme Perrin Tribune - Les terriens et l’eau - Jean Margat Points de vue croisés - Le rôle de l’eau sur la planète Terre Jean-François Minster, Bernard Rousseau, Dr Alice Aureli 109 Chiffres clés 111 Brèves G é o s c ie n ce s • n u m é ro 1 3 • j u i l l e t 2 0 11 Le rôle de l’eau dans le Système Terre 03 Juillet 2011 • numéro 13 Stalactite en construction (grotte du Cirque, Assier, Lot). Stalactite under construction (Cirque cave, Assier, Lot, France). © J.-F. Fabriol. Direction de la Communication et des Éditions du BRGM - 3 av. Cl. Guillemin - 45060 Orléans Cedex 2 - Tél. : 02 38 64 37 84 - [email protected] Directeur de la rédaction : Jacques Varet • Responsables du numéro « Le rôle de l’eau dans le système Terre » : Hélène Pauwels, Philippe Négrel • Directrice de la publication : Florence Vanin • Comité de rédaction : Philippe Dutartre (Service Public), Catherine Truffert (Recherche), Jean-Claude Guillaneau (International), Hervé Gaboriau (Pollution, déchets), Nathalie Dörfliger (Eau), Hormoz Modaressi (Risques naturels), Pierre Nehlig (Géologie, cartographie), Patrice Christmann (Ressources minérales), Fabrice Deverly (Actions régionales) • Coordination et secrétariat de rédaction : Françoise Trifigny • Révision : Olivier Legendre, Françoise Trifigny • Responsable d’édition : Pierre Vassal • Maquette et réalisation : Chromatiques éditions 01 43 45 45 10 • Impression : Imprimerie Vincent – Tours – Imprimerie certifiée Imprim’Vert • ISSN 1772-094X • ISBN 978-2-7159-2513-7 • Dépôt légal à parution • Référencée dans la base Scopus d’Elsevier. Toute reproduction de ce document, des schémas et infographies, devra mentionner la source « Géosciences, la revue du BRGM pour une Terre durable » • Le comité de rédaction remercie les auteurs et les relecteurs pour leur contribution • Les propositions d’articles sont à envoyer à [email protected] Liste des annonceurs : BRGM Formation c.2 • BRGM éditions c.3 • SDEC p.15 01 Nathalie Kosciusko-Morizet Ministre de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement Des enjeux de première importance D ans le système Terre, l’eau joue un rôle essentiel : Géosciences lui consacre un dossier attendu. en mars 2012 à Marseille, sera, je l’espère, l’occasion d’évoquer ces enjeux et de proposer des solutions. Le BRGM s’est très tôt penché sur la question de l’eau, et en particulier de l’eau souterraine. Il s’est mesuré ainsi à des enjeux internationaux de première importance, puisque bon nombre des grands bassins hydrographiques ou d’aquifères sont transfrontaliers. Des enjeux d’actualité, en France comme dans le reste du monde. Le 6e Forum mondial de l’eau, que la France organise En Europe, nous disposons aujourd’hui de la directivecadre sur l’eau qui demande aux État membres de maintenir ou de restaurer le bon état des eaux. La France s’est fixée comme objectif d’atteindre ce bon état pour au moins deux tiers de ses masses d’eau d’ici 2015. C’est un objectif ambitieux qui a besoin du concours résolu de tous les acteurs de l’eau. La directive édito © William Beaucardet / EDF européenne relative à l’évaluation et la gestion des risques d’inondation demande, pour sa part, aux États membres de réduire les conséquences négatives des inondations sur la santé humaine, l’environnement, le patrimoine culturel et l’activité économique. C’est un vaste chantier qui montre combien la connaissance des aléas actuels et futurs et des impacts du changement climatique, est devenue un enjeu majeur. De la même manière, il nous faut faire progresser notre connaissance des interactions entre l’eau et l’énergie. Parce que la production d’énergie dépend souvent de la ressource en eau, et parce que la production d’énergie doit être respectueuse de l’eau. Le développement des énergies renouvelables, telles que la géothermie, ou de sources non conventionnelles, comme les gaz et huiles de schistes, ne peuvent pas déroger à ce principe. Cette connaissance repose sur la recherche scientifique, par exemple sur la manière dont les différents types d’eau interagissent. Ainsi, les eaux souterraines peuvent par leur composition chimique avoir un impact tant sur les eaux superficielles que sur les écosystèmes associés. Ces prélèvements peuvent par ailleurs avoir une influence sur les aquifères proches du littoral et provoquer des intrusions salines. Tous ces enjeux montrent combien nous ne pouvons nous satisfaire d’une gestion de l’eau à court terme. Il nous appartient de préserver la ressource en eau pour les générations futures, en prenant dès maintenant et sans attendre les mesures qui s’imposent. L’expertise scientifique du BRGM est un atout pour y parvenir. 03 G é o s c ie nce s • n um é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 Paysage de bord de Loire à proximité de la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux. Landscape along the banks of the Loire River near the Saint-Laurent-des-Eaux nuclear power plant. le mot du rédacteur en chef le mot du rédacteur en chef 04 Jacques Varet Conseiller du Président, BRGM [email protected] L’eau, aussi essentielle à la vie qu’à la dynamique même de notre planète A lors que l’on fête cette année le 50e anniversaire du premier vol habité, on garde en mémoire le choc de ces premières images satellites de la terre caractérisée par ces couleurs bleue et blanche, qui la distinguent si bien des autres planètes. C’est la présence de l’eau, qui incontestablement a été à la source de la vie, et qui se déploie sous diverses formes, déterminant l’image que l’on a désormais de l’eau sur notre planète terre : nuages atmosphériques et brumes ; mers et océans ; cours d’eaux, lacs et zones humides des continents ; glaces des pôles et des sommets les plus élevés ! On pourrait en déduire – n’est-ce pas l’impression, voire la connaissance du plus grand nombre ? – que l’eau caractérise l’enveloppe fluide, la plus externe, de notre planète. Mais il est de notre devoir de rappeler, et de bien montrer que son rôle ne s’arrête pas là ! En effet, c’est moins connu mais tout aussi puissant : l’eau est aussi un agent moteur du système terre lui-même, du plus profond que l’on en connaisse jusqu’au plus superficiel. Cette eau méconnue contenue dans les profondeurs de la terre – d’une abondance sans Un agent moteur du système terre, du plus profond au plus superficiel. doute égale à celle que nous connaissons en surface – n’est pas seulement le composant passif d’une masse supposée inerte. C’est bien un élément moteur déterminant de nombreuses caractéristiques parmi les plus importantes de notre notre bonne vieille terre. Nous l’avons appris à l’école : à travers l’érosion, elle modèle le relief présent, et par son action elle est venue à bout de nombreuses chaînes de montagnes aujourd’hui arasées. Mais on sait aussi, depuis quelques années déjà, que l’eau joue un rôle majeur dans la dynamique même de la lithosphère et de l’asthénosphère, comme dans le mouvement des plaques et dans ceux du manteau. À diverses profondeurs, par sa présence, elle modifie la nature des mécanismes, cassants ou non ; elle a donc un rôle important dans les risques sismotectoniques et technologiques. L’eau joue aussi, bien souvent, un rôle déterminant dans l’origine et la nature même des magmas et leur évolution. L’exemple du volcan islandais nous a montré qu’elle intervenait dans le caractère plus ou moins explosif des éruptions et donc des risques volcaniques ; en outre, c’est un facteur déterminant pour les applications de la géothermie. En effet, l’eau est bien présente, pratiquement à toute profondeur et à toute température dans le manteau et dans la croûte terrestre. Mise en mouvement par la thermique profonde, elle-même vecteur de chaleur, et interagissant avec les roches qu’elle traverse, elle joue en conséquence un rôle majeur dans les mécanismes de transformation des roches et les phénomènes métallogéniques. le mot du rédacteur en chef de l’eau dans le système terre. Le changement climatique aura non seulement une incidence sur l’eau de surface et les aquifères, mais en outre les politiques d’adaptation nécessiteront un recours accru – par une gestion à la fois active et éclairée – aux réservoirs profonds. Certes tous les mécanismes géologiques ne sont pas maîtrisables par l’homme, mais une bonne connaissance est néanmoins nécessaire pour comprendre les phénomènes en cause, s’assurer d’un bon usage des ressources, si Agir à son égard avec précaution, pour la partie dont la responsabilité nous incombe. Si une gestion par bassin se justifie aujourd’hui du point de vue administratif, notamment pour maîtriser les pollutions, organiser un retour à la qualité des masses d’eau et développer un bon usage des aquifères profonds, c’est avec un regard plus porté encore vers l’intérieur de notre planète que nous devrons, demain, considérer la gestion abondantes et diversifiées, mais qu’il faut néanmoins savoir dénicher. L’eau est un composant essentiel, non seulement de la planète terre dans son ensemble, mais aussi de la relation que nous entretenons avec elle. Dès lors, il nous revient d’agir à son égard avec précaution, au moins pour la partie dont la responsabilité nous incombe. n Lagon Bleu, Islande. Ce site de balnéothérapie et récréatif a été développé à partir des eaux de rejet de la centrale géothermique thermoélectrique voisine. Blue Lagoon, Iceland. This balneotherapy and recreational site was developed from waste waters from the nearby geothermal thermoelectric plant. © iStockphoto. Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2011 Dans ce n°13 de Géosciences, nous avons essayé de faire le tour, avec les meilleurs spécialistes, de la plupart des mécanismes et phénomènes géologiques dans lesquels l’eau joue un rôle déterminant. Le lecteur pourra ainsi vérifier que, soit que l’on considère la recherche fondamentale, ou que l’on s’intéresse aux applications les plus finalisées, une bonne connaissance du rôle de l’eau est essentielle pour tout travail géoscientifique. Il en résulte que la gestion de l’eau par nos sociétés ne peut pas s’arrêter à des questions de surface. 05 L’eau sur Terre : abondance et pénurie intro scientifique intro scientifique 06 Ghislain de Marsily Professeur émérite à l’Université Paris VI Membre des Académies des Sciences et des Technologies La planète possède aujourd’hui environ 29 500 barrages, stockant un volume d’eau total de 8 500 km3. Beaucoup d’eau… Une eau source d’énergie… ela tient presque du miracle, il y a de l’eau, beaucoup d’eau sur la planète Terre. Si l’on arasait tous les continents et comblait toutes les fosses océaniques, la Terre serait recouverte d’un océan unique d’environ 2,6 km d’épaisseur. C’est beaucoup, et encore est-il probable qu’autant ou même plus d’eau soit stockée dans le manteau… Le miracle, c’est que cette eau soit encore là… En effet, dans la haute atmosphère des planètes telluriques, la dissociation de la molécule d’eau par le rayonnement solaire libère de l’hydrogène, léger, que ne retient pas la gravité. C’est vraisemblablement par ce mécanisme que Mars et Mercure, plus petites et donc de gravité plus faible, ont perdu leur eau. Vénus aussi a perdu beaucoup d’eau, mais cela proviendrait de la composition de son atmosphère qui contient beaucoup d’eau à haute altitude. Pour la Terre, la quantité d’eau perdue par ce processus en 4,6 milliards d’années a été estimée à 3 mètres d’eau, par rapport aux 2,6 km qui nous restent… C’est là le miracle ! L’eau et l’énergie, un autre grand sujet actuel sur lequel il faut réfléchir. La planète possède aujourd’hui environ 29 500 grands barrages, qui produisent de l’énergie électrique ou assurent l’irrigation, en stockant un volume d’eau total de 8 500 km3. La plupart d’entre eux ont été construits entre 1950 et 2000, avec un pic de construction annuel de 800 barrages en 1975, contre moins de 20 aujourd’hui. 70 % du potentiel hydroélectrique est exploité en Europe et en Amérique du Nord, contre 35 % en Amérique du Sud, 20 % en Asie et 10 % en Afrique. Nul doute que la planète va bientôt reprendre la construction de ces équipements, tant pour l’énergie que pour l’irrigation. En France, il reste peu de sites à équiper, mais il serait indispensable de construire et d’équiper des sites avec des couples de barrages, reliés, à des altitudes différentes, pour « turbiner » les eaux dans les C Une eau qui sculpte… De très nombreux aspects du rôle de l’eau sur la planète sont remarquablement traités dans ce numéro. Il semble utile d’en rappeler un de plus, celui de façonner le relief de la Terre, à part égale avec la tectonique, l’une érodant ce que l’autre a formé. Cette érosion peut être lente, progressive ou au contraire soudaine et catastrophique : on pense aux Missoula Floods, aux États-Unis, qui ont créé des chenaux gigantesques, par vidanges de grands lacs glaciaires lors de la dernière déglaciation, il y a entre 13 000 et 15 000 ans. Avec le changement climatique, de semblables accidents catastrophiques pourraient se produire prochainement dans l’Himalaya, et il semblerait que le creusement de la Manche soit le résultat d’un tel phénomène… Cascade du Ray Pic, Ardèche. The Ray Pic waterfall (Ardèche Department). © J. Tuduri. Lac et barrage de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes). The Serre-Ponçon dam and reservoir lake (Hautes-Alpes Department). © Fotolia. deux sens afin de stocker de l’énergie. Avec un rendement énergétique de l’ordre de 70 %, c’est la seule façon connue de stocker l’énergie à grande échelle et de façon efficace, ce dont nous avons un urgent besoin pour pouvoir développer les énergies renouvelables, qui sont intermittentes. Ce type d’aménagement devrait être imposé par la puissance publique en même temps que sont autorisés les équipements de production d’énergie renouvelable, éolienne ou solaire. Sinon, ce sont les énergies fossiles qui seront amenées à palier l’intermittence des énergies renouvelables. Une eau pour nous nourrir… irriguées. Tout ceci aura un coût écologique élevé (déforestation, barrages…), mais que faire ? Laisser la famine réguler la démographie ? N’oublions pas que la remontée du niveau des mers par suite du changement climatique, à l’heure actuelle de 3 mm/an, fera aussi perdre des deltas fertiles à l’agriculture. Danger : une eau venant à manquer… Dernier problème lié à l’eau, celui de sa rareté occasionnelle. De tout temps, la Terre a connu des périodes de vaches grasses suivies de période de vaches maigres. Les dernières grandes périodes de famines connues sont D’ici 2050, il faudra trouver 4 500 km3 d’eau douce supplémentaire par an pour nourrir la population mondiale. quatre ingrédients pour juguler la crise alimentaire qui s’annonce à grands pas : éradiquer le gaspillage de nourriture (environ 30 % de la quantité commercialisée dans les pays développés) et réduire la consommation de produits d’origine animale, augmenter le rendement des cultures, augmenter les surfaces cultivées en agriculture pluviale et les surfaces celles du XIXe siècle (1876-1878 et 1896-1900), qui ont frappé simultanément l’Inde, la Chine, le Brésil et l’Éthiopie (et peut-être d’autres régions où les données font défaut), comme l’a étudié Aramtyra Sen (1999) et qu’il a appelé « le déclin de disponibilité alimentaire ». Chaque épisode de famine a entraîné le décès de 30 millions de personnes, en Chine et en Inde seulement, soit 4 % de la population mondiale de l’époque. Cette simultanéité des déficits hydriques dans au moins trois continents, dans la zone de mousson, peut s’expliquer par des événements « El Niño » particulièrement intenses ces années-là. Les travaux d’Ortlieb (2000) en Amérique du Sud ont montré que de tels événements sont rares, en moyenne deux par siècle depuis 1500. Mais on peut craindre que le changement climatique perturbe cette statistique. Demain peut-être, dans cinq ans, dans dix ans, des événements climatiques extrêmes se chargeront de nous rappeler la sévérité occasionnelle de notre planète, le fait qu’il nous faut absolument de l’eau, beaucoup d’eau pour vivre, d’autant plus que la population mondiale continue d’augmenter. Si nous n’avons pas eu la sagesse de la stocker, cette eau, sous la forme de grains dans nos greniers, quand elle était abondante, ce seront sans doute les famines qui se chargeront de réguler une démographie que nous n’aurons pas su contrôler nous-mêmes. n Bibliographie : Leridon, H., Marsily, G. de, coordonnateurs (2011) – Démographie, climat, alimentation mondiale. Rapport pour la Science et la Technologie de l’Académie des Sciences. Publié par EDP Sciences, Paris, 313 p. Marsily, G. de (2009) – L’eau, un trésor en partage. Dunod, Paris, 256 p. Ortlieb, L. (2000) – The documented historical period of El Niño events in Peru: an update of the Quinn record (16th to 19th centuries). In: El Niño and southern oscillation. Multiscale variability and local and regional impacts. H.F. Diaz and V. Markgraf, ED., Cambridge University Press. Sen, A., Drèze, J. (1999) – Omnibus. Oxford University Press, New Delhi. 07 Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 Du point de vue des consommations, la grande question actuelle liée à l’eau est la production alimentaire, comme le signale Jean Margat (page 102) dans ce numéro. Environ 90 % de l’eau que nous consommons sert à nous nourrir, si on compte les agricultures irriguées et pluviales. D’ici 2050, quand la Terre comptera probablement un peu plus de 9 milliards d’habitants, il faudra en gros doubler la production agricole par rapport à 2000, pour tenir compte de l’augmentation du nombre d’habitants, de leur âge, de l’éradication de la malnutrition, qui frappe aujourd’hui près de 1 milliard d’habitants, ce qui est intolérable, et enfin du changement des habitudes alimentaires, qui hélas se traduit par une augmentation excessive de la consommation de produits d’origine animale. C’est ainsi qu’il faudra trouver d’ici 2050 environ 4 500 km3 d’eau douce supplémentaire par an pour nourrir la population mondiale. Est-ce possible ? Oui, probablement, en utilisant simultanément l’eau dans le système solaire, des glaces cométaires aux manteaux planétaires La molécule d’eau a joué un rôle majeur dans la formation des planètes et de leur évolution. Dans le disque d’accrétion qui entourait le jeune soleil, la ligne des glaces marque la séparation entre la zone de formation des planètes telluriques et celle des planètes géantes gazeuses et glacées. Les différents objets du système solaire (planètes, satellites, astéroïdes et comètes) présentent des contenus en eau très différents. Certains ont acquis leur eau dès leur formation, alors que pour d’autres, dont la Terre, il s’agit très probablement d’un processus secondaire. L’eau dans le système solaire, des glaces cométaires aux manteaux planétaires système solaire 08 À l’origine de l’architecture du système solaire : la ligne des glaces L’ Jean Duprat Centre de Spectrométrie Nucléaire et de Spectrométrie de Masse IN2P3, CNRS, Université Paris Sud XI [email protected] Le monde des glaces. Image d’Encelade, satellite de Saturne, prise en 2004 par la sonde Cassini. A world of ice. A view of Encelades, one of Saturn’s natural satellites, taken by the Cassini probe in 2004. © NASA. eau est une molécule abondante dans la plupart des environnements astrophy­ siques. Ses constituants, l’hydrogène et l’oxygène, sont des éléments majeurs des phases gazeuses et solides de l’Univers. Issu du big bang, l’hydrogène représente 9 atomes sur 10 : c’est le constituant principal de la matière. L’oxygène est l’élément le plus abondant résultant de la nucléosynthèse stellaire et le constituant majeur des phases minérales. Par rapport aux autres molécules simples telles que l’ammoniac ou le méthane, l’eau possède la température de condensation la plus haute. L’ensemble de ces propriétés remarquables, ainsi que sa haute solvabilité et sa faible viscosité, confèrent à L’eau a un rôle fondamental cette molécule un rôle fonda­ dans l’architecture du système mental dans l’architecture du système solaire et l’évolution solaire et l’évolution planétaire. planétaire. water in the solar system, from cometary ice to planetary mantles Dans leurs grandes lignes, les séquences qui jalonnent l’évolution du nuage de gaz et de poussières de la nébuleuse protosolaire au système solaire actuel sont comprises. Les étoiles telles que le Soleil se forment dans des régions froides(1) et denses du milieu inter­ stellaire : les cœurs moléculaires. Durant les premiers millions d’années qui suivent son effondrement gravitationnel, le jeune système stellaire est constitué d’une étoile centrale entourée d’un disque d’accrétion. La température et la densité surfacique de ce disque décroissent avec la distance à la protoétoile. C’est au sein de ce disque que s’agglomèrent de petits corps jusqu’à former des planétésimaux de quelques dizaines, voire centaines de kilomètres. À partir de cette taille, le couplage aérodynamique de ces objets avec le disque gazeux devient négligeable et leur évo­ lution orbitale est dictée par leurs interactions gravitationnelles mutuelles. Ce sont ces planétési­ maux qui, par chocs successifs, ont formé les planètes rocheuses et les cœurs solides des planètes géantes. Dans son architecture actuelle, le système solaire présente une discontinuité remarquable : en dessous de 2 UA(2), les planètes telluriques, au­delà de 5 UA, le monde des géantes gazeuses et glacées (figure 1). La molécule d’eau est responsable de cette frappante césure. En effet, le processus de croissance planétaire (1) – Quelques dizaines de degrés kelvins (K). 0 K correspond à -273,15 degrés Celsius. (2) – L’Unité Astronomique (UA) est la distance Soleil-Terre, soit 150 106 kms. est, dans un premier temps, gouverné par l’accrétion de solides. Dans le disque protoplanétaire, il existait une distance héliocentrique à partir de laquelle la température était suffisamment basse pour que l’eau se trouve sous forme de glace. Cette distance cor­ respond à une discontinuité où, localement, la densité surfacique de solides augmente : c’est la ligne des glaces. L’évolution temporelle de la localisation de la ligne des glaces reste une question difficile. Les pressions dans le disque protoplanétaire étant très inférieures à la pression terrestre, l’eau se trouvait très probablement sous forme gazeuse pour des tempé­ ratures supérieures à 150­170 K. Au moment de la formation des planètes, il est probable que cette limite se situait autour de 2­3 UA, c’est­à­dire dans la région de l’actuelle ceinture d’astéroïdes. Les planètes situées en deçà de cette limite se sont formées à partir d’une masse moins abondante de solides, essentiellement composés de silicates et de métaux. Ceci explique la densité élevée (4 à 5,5 g/cm3) et les masses peu importantes des planètes tellu­ riques (de 0,06 à 1 masse terrestre, M ⊕ (3)). Leurs atmosphères sont secondaires, c’est­à­dire issues du dégazage des roches qui ont contribué à la formation planétaire. Elles sont composées majo­ ritairement de molécules lourdes et complexes : CO2, N2, O2… (3) – La masse de la Terre est M⊕ = 5,97 1024 kg. Fig. 1: The solar system in its present configuration (the relative sizes of the planets have been respected approximately, but not the distances between them). From the sun outwards, the cutoff point is clearly visible between the small, rocky planets (Mercury, Venus, Earth and Mars) and the four giant planets (Jupiter, Saturn, Uranus and Neptune). © Lunar and Planetary Institute. 09 Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 Les atmosphères des planètes géantes sont constituées d’hydrogène et d’hélium primordiaux. Fig. 1 : Le système solaire dans sa configuration actuelle (la taille relative des planètes est approximativement respectée mais pas leurs distances). En partant du Soleil, on distingue la séparation entre les planètes telluriques de petite taille (Mercure, Vénus, la Terre et Mars) et les quatre planètes géantes (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune). l’eau dans le système solaire, des glaces cométaires aux manteaux planétaires 10 Par opposition, les planètes géantes gazeuses (Jupiter et Saturne) et géantes glacées (Uranus, Neptune) ont des masses considérablement plus élevées (318, 95, 14 et 17 M⊕ pour Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune respectivement) et des densités faibles (entre 0,69 et 1,64). Au­delà de la ligne des glaces, l’importante quan­ tité de solides (constitués d’une large fraction de glace d’eau) a permis aux embryons planétaires de croître rapidement jusqu’à dépasser la masse critique de 10­15 M⊕. Au­delà de cette limite, la masse de l’objet est suffisante pour localement capturer le gaz du disque. Ainsi les atmosphères des planètes géantes sont dites « primaires », c’est­à­dire constituées d’hydrogène et d’hélium primordiaux. Le disque gazeux d’accrétion local (une subnébuleuse) qui entourait Jupiter et Saturne a donné naissance à certains de leurs satellites ainsi qu’à leur système d’anneaux. Uranus et Neptune ont connu une croissance plus lente : lorsque leur masse a atteint la valeur critique, une large partie du gaz du disque avait été éjectée par les intenses vents stellaires émis par le proto­soleil (cet épisode d’activité intense, dite phase T-Tauri, a duré quelques millions d’années). Ainsi, la masse d’Uranus et de Neptune est essentiel­ lement contenue dans leur noyau glacé (entouré d’une atmosphère ténue), alors que celle de Jupiter et de Saturne est contenue dans leur atmosphère. Entre sa condensation sur les grains de silicates du disque protoplanétaire dans les premiers millions d’années du système solaire et son incorporation dans les océans terrestres, les calottes polaires martiennes ou le manteau glacé d’Europe, l’eau du système solaire a vécu une longue histoire, essentiellement dépen­ dante de la taille et de l’orbite de son corps parent. La suite de cet article présente un panorama succinct du contenu en eau des différents objets planétaires. Le lecteur intéressé pourra trouver de plus amples informations dans Encrenaz 2004. En deçà de la ligne des glaces : le monde des roches Nos voisins : Mercure, Venus, Mars et les astéroïdes Ressemblant de façon frappante à la Lune, Mercure est quasiment dépourvue d’atmosphère. Ses condi­ tions de surface sont, a priori, incompatibles avec la présence d’eau. Pourtant, des observations suggèrent la présence ténue de glace d’eau dans les régions Entre Mars et Jupiter, la ceinture d’astéroïdes marque la frontière entre le monde des roches et celui des glaces. polaires (très probablement apportée par des asté­ roïdes hydratés ou des comètes). Sur Vénus, la situation est différente. De taille comparable à la Terre, l’atmosphère de cette planète est principale­ ment constituée de gaz carbonique. Masquée par des nuages d’acide sulfurique, sa surface présente des conditions infernales (des températures supérieures à 740 K et une pression de 93 bars). L’eau est présente dans l’atmosphère vénusienne sous forme de traces (environ 30 ppm(4)). Le contenu en eau de Mars a fait couler beaucoup d’encre. Plus éloignée du Soleil et de masse dix fois plus petite que la Terre, Mars présente un fort gradient thermique de surface variant de 150 K aux pôles en hiver à 300 K aux basses latitudes en été. L’atmosphère martienne composée à 95 % de CO2 est ténue (6 mbar). Sa teneur en vapeur d’eau est extrêmement faible (environ 100 µm précipitables à comparer à 2 700 m sur Terre). Depuis plusieurs décennies, de considérables efforts ont été entrepris par les agences spatiales européennes et américaines pour connaître le cycle de l’eau martienne. Le contenu en eau des calottes polaires a été étudié en détail par la caméra OMEGA de la mission Mars Express, ce qui a permis de montrer que de la glace d’eau est effectivement présente sous la glace de CO2. Entre Mars et Jupiter, la ceinture d’astéroïdes marque la frontière entre le monde des roches et celui des glaces. Les tailles des astéroïdes observés sont typi­ quement kilométriques (1 000 km pour le plus gros, Ceres). Nous connaissons leurs propriétés grâce aux données spectroscopiques des missions spatiales et à l’étude des météorites. La teneur en eau des astéroïdes est très variable : les astéroïdes de type silicatés (S), dont sont probablement issues la grande majorité des météorites, sont quasiment totalement secs, alors que les astéroïdes de type C et D peuvent contenir une proportion conséquente d’eau ( jusqu’à 10 %). Récemment, de la glace d’eau a été détectée à la sur­ face de l’astéroïde 24 Themis. Cette grande disparité montre que cette population contient très probable­ ment des objets s’étant agglomérés de part et d’autre de la ligne des glaces. (4) – ppm : partie par million (10-6). water in the solar system, from cometary ice to planetary mantles Un cas tellurique particulier, la Terre Dans Jupiter, les abondances élémentaires de diffé­ rents éléments (C, N, S Ar, Kr, Xe) présentent des enrichissements remarquablement constants (d’un facteur 3­4) par rapport aux valeurs solaires déterminées par les mesures sur les météorites primitives (les chondrites carbonés de type CI). De tels enrichissements sont effectivement attendus lors d’une formation par accrétion d’un cœur solide de planétésimaux glacés suivi d’un effondrement gravi­ tationnel local du gaz du disque protoplanétaire. Pourtant, les rapports oxygène/hydrogène (O/H) mesurés dans la troposphère des planètes géantes sont très inférieurs à ceux attendus dans cette même hypothèse. Ainsi, le rapport O/H de Jupiter est infé­ rieur de plus d’un facteur 2 à celui du gaz protosolaire. Il est très probable que l’eau de Jupiter soit en fait condensée dans des nuages d’eau ou d’ammoniac et que les rapports O/H observés à ce jour ne soient pas représentatifs du rapport O/H global de la planète. De très faibles traces d’eau troposphérique ont été détectées dans Saturne. Sur Uranus et Neptune, l’eau se trouve condensée dans leurs couches profondes non accessibles à l’observation. L’eau profonde est l’un des agents majeurs de la dynamique terrestre. En revanche, de la glace d’eau a été identifiée à la surface de la quasi­totalité des satellites de Jupiter (à l’exception d’Io), Saturne et Uranus. La présence de glace dans ces objets est corroborée par leurs faibles Au-delà de la ligne des glaces : le monde des glaces Les géantes gazeuses et glacées Photo 1 : Le satellite de Jupiter Europa photographié par la mission spatiale Galileo (NASA) le 28 juin 1996. Les couleurs ont été modifiées pour mettre en relief les irrégularités de surface. Les plaines glacées apparaissent en bleu et les lignes et sillons marbrés rouges et bruns indiquent la présence de contaminants à la surface de la glace. La dimension de la zone imagée est de 1 260 km. Photo 1: Jupiter’s satellite, Europa, photographed on 28 June 1996 by NASA’s Galileo spacecraft. False color has been used here to enhance the visibility of surface irregularities. Icy plains appear in bluish hues and lineae and troughs in mottled red and brown indicate the presence of contaminants in the ice. The area covered is about 1,260 km across. © NASA/JPL/University of Arizona. 11 G é o s c i e nce s • n u m é ro 1 3 • j u i l le t 201 1 La Terre se distingue des autres planètes car l’eau y est présente sous ses trois formes : gazeuse, liquide et solide. C’est un cas remarquable qui résulte de la combinaison de différents facteurs : la taille de notre planète, son orbite, l’effet de serre, etc. La masse d’eau contenue dans les sédiments, les océans et l’atmos­ phère est bien connue et représente 280 ppm (soit 1,7 x 1021 kg). La quantité d’eau contenue dans la Terre profonde est plus difficile à estimer. Son évaluation repose sur des études expérimentales sur la capacité de rétention d’eau dans les minéraux du manteau. À des profondeurs dépassant 90 km, l’eau se com­ porte comme le cérium (Ce). Selon certains auteurs, l’invariance du rapport H2O/Ce dans les échantillons provenant du manteau terrestre supérieur et dans ceux provenant du manteau terrestre inférieur suggère une distribution homogène de l’eau dans le manteau correspondant à une proportion de 150­350 ppm (rapportée à la masse totale de la Terre), ce qui représente l’équivalent d’un océan enfoui. En revanche, selon d’autres auteurs, les études à haute pression des minéraux de la zone de transition (wads­ leyite et ringwoodite) et du manteau profond (Mg­perovskite, Ca­perovskite et magnesiowustite) suggèrent que la teneur en eau de la terre profonde est inhomogène, avec un manteau supérieur sec, une zone de transition et un manteau profond riches en eau. Dans cette hypothèse, la masse totale d’eau contenue dans le manteau serait nettement supé­ rieure (7­11 x 1021 kg, répartie en part comparable entre la zone de transition et le manteau profond). Dans tous les cas de figure, l’eau profonde est l’un des agents majeurs de la dynamique terrestre. Le lecteur intéressé trouvera de plus amples détails dans F. Albarède 2009 et H. Rollinson 2006. l’eau dans le système solaire, des glaces cométaires aux manteaux planétaires > Des poussières cométaires dans les neiges antarctiques Grâce au soutien de l’Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV), des collectes de poussières interplanétaires sont régulièrement organisées dans les calottes polaires arctiques et antarctiques. Très récemment, des poussières d’origine très probablement cométaire ont été découvertes dans les neiges des régions centrales du continent antarctique [Duprat et al. (2010)]. La collecte a été effectuée à proximité de la base permanente franco-italienne CONCORDIA, située au Dôme C à 1 100 km des côtes de Terre-Adélie. Sur place, la neige de surface y est exceptionnellement bien protégée de la contamination par des poussières terrestres. Certaines de ces micrométéorites présentent des teneurs en carbone très élevées (environ 50 % en volume) comparables à celles des grains CHON observés par les sondes spatiales Vega et Giotto lors du passage de la comète de Halley. Ce carbone est sous forme de matière organique très désorganisée. La teneur en deutérium de cette matière organique est extrêmement élevée (D/H de 10 à 30 fois la valeur SMOW). n Collecte de micrométéorites à proximité de la station CONCORDIA (régions centrales antarctiques 75°S, 123°E). Collecting micrometeorites near CONCORDIA station (central Antarctica 75°S, 123°E). © J. Duprat, CSNSM. 12 Micrométéorite à grain fin (collection CONCORDIA). Certaines de ces particules ont des compositions chimiques et isotopiques suggérant fortement une origine cométaire. A fine-grained micrometeorite (CONCORDIA Collection). Some of these particles display chemical and isotopic compositions strongly suggesting a cometary origin. © C. Engrand, CSNSM. Dans les calottes polaires, sur Mars, la glace d’eau est présente sous la glace de CO2. water in the solar system, from cometary ice to planetary mantles Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 13 densités (par exemple la densité de Titan est de 1,9 g/cm3). Europa et Encelade sont deux exemples embléma­ tiques de ces objets glacés. Les mouvements des plaques de glaces à la surface d’Europa suggérant l’existence d’eau liquide dans les profondeurs de ce satellite de Jupiter ont déclenché un intérêt considé­ rable (photo 1). Les anneaux de Saturne, Uranus et Neptune sont principalement constitués de glace d’eau. La mission Cassini a récemment permis l’observation de phénomènes spectaculaires de cryo­volcanisme au pôle sud d’Encelade. La signature de la glace d’eau s’affaiblit avec la distance héliocentrique, les satellites d’Uranus en montrent encore quelques signes dans le proche infrarouge alors que ceux de Neptune présen­ tent principalement les signatures de glaces d’azote et de méthane. Les comètes, une fenêtre sur les régions froides du disque protoplanétaire Au­delà de l’orbite de Neptune survivent les résidus solides qui ont échappé à l’accrétion stellaire et planétaire, les comètes (photo 2). Constituées de glaces et de roches en proportions comparables, les comètes ont des diamètres ne dépassant pas quelques kilomètres. Contrairement aux planètes (ou aux astéroïdes de grande taille), elles sont trop petites pour avoir subi un processus de différenciation. On distingue un premier réservoir de comètes situé entre 30 et 70 UA qui comprend la ceinture de Edgeworth­ Kuiper et, un peu plus loin, le disque épars. Le second réservoir cométaire, le nuage de Oort, se trouve aux confins du système solaire (de 5 000 à 200 000 UA). Photo 2 : Comète Hale-Bop photographiée lors de son passage en avril 1997. Photo 2: The comet Hale-Bop photographed as it passed in April 1997. © J. Mouette, IAP. l’eau dans le système solaire, des glaces cométaires aux manteaux planétaires 14 > Les rapports deutérium/hydrogène (D/H) de l’eau Les rapports deutérium/hydrogène (D/H) dans différents composants planétaires fournissent de précieuses informations sur les réservoirs dont ils sont issus ainsi que sur les processus secondaires qui les ont affectés. Le rapport D/H de l’eau cométaire est 2 fois supérieur à la valeur SMOW(1). Des enrichissements supérieurs ont été observés (un facteur 15) pour la molécule HCN ainsi que dans la matière organique de météorites et de poussières interplanétaires primitives (micrométéorites antarctiques). Ces enrichissements ont très probablement pour origine des réactions ion-molécules à basses températures (environ 30 K) qui ont eu lieu soit dans les régions froides (externes) du disque protoplanétaire soit dans le cœur du nuage moléculaire interstellaire parent. Ces mêmes rapports D/H fournissent par ailleurs une contrainte sur la proportion « d’eau cométaire » dans les océans terrestres (environ < 10 %, Robert, 2001). Les rapports D/H des atmosphères planétaires sont extrêmement riches en informations : l’atmosphère jovienne permet de connaître le D/H de la nébuleuse protosolaire (~ 2 x 10-5, soit 10 fois inférieur à SMOW) ; ceux de Mars et de Venus reflètent probablement l’échappement d’une large partie de leur proto-atmosphère. n (1) – Le rapport D/H SMOW (1.5 x 10-4) est celui des océans terrestres (Standard Mean Ocean Water). Les comètes se sont très probablement agrégées à proximité des orbites actuelles des planètes géantes puis, sous l’influence gravitationnelle de la migration de ces dernières, elles ont soit migré vers l’extérieur pour s’accumuler vers une centaine d’UA soit ont été expulsées à très grandes distances héliocentriques pour former le nuage de Oort. L’eau cométaire fut identifiée pour la première fois (sous forme de vapeur) lors du passage de la comète de Halley en 1986. Depuis de nombreuses années, différentes missions spatiales ou collectes dans les régions polaires ont pour objet l’étude des matériaux cométaires (encadré page 12). En janvier 2006, la mission Stardust (NASA) a permis le retour en laboratoire de poussières préle­ vées dans l’atmosphère de la comète 81P/Wild2. En 2014, la mission Rosetta permettra d’observer in situ la comète 67P/Churyumov Gerasimenko. dans la haute atmosphère de ces planètes. Dans le cas de Mars, cet échappement est favorisé par la faible gravité et l’arrêt précoce de la dynamo interne qui pro­ tégeait sa haute atmosphère du rayonnement ionique solaire. Cet échappement est en accord avec l’enrichis­ sement en deutérium observé dans l’atmosphère résiduelle de ces deux planètes, la perte de l’isotope léger (H) étant favorisé par rapport au lourd (D) (encadré ci-dessus). Pourtant, l’hypothèse d’une accré­ tion à partir d’un matériau humide paraît en désaccord avec les faibles rapports volatils/réfractaires de la Terre, de la Lune et de Mars comparés à celui des chondrites carbonées. De même, les compositions iso­ topiques de différents éléments volatils (K, Zn) ne montrent pas l’enrichissement en isotopes lourds attendu dans le cas d’un échappement [F. Albarède (2009)]. D’où viennent les océans terrestres ? S’il n’existe pas à l’heure actuelle de consensus sur la teneur initiale en eau des planètes telluriques, en revanche une large partie de la littérature considère que l’eau « moderne » actuellement observée a été apportée tardivement, alors que les planètes avaient déjà acquis une grande partie de leur masse. C’est l’hypothèse dite du vernis tardif. Les simulations numériques montrent que l’évolution de l’orbite des planètes géantes a perturbé les orbites des petits corps situés au­delà de la ligne des glaces et, qu’une partie d’entre eux a ainsi pu être propulsée vers le sys­ tème solaire interne et délivrer leur eau aux planètes L’apport de l’eau sur les planètes telluriques reste une question controversée de la planétologie moderne. Pendant longtemps, l’approche communément admise était celle d’une accrétion humide où Vénus, la Terre et Mars auraient débuté avec des proto­ atmosphères riches en eau issues du dégazage de leurs constituants. Dans ce scénario, l’absence d’eau dans les atmosphères vénusienne et martienne modernes peut être expliquée par un échappement massif par photodissociation de la molécule d’eau Publicité water in the solar system, from cometary ice to planetary mantles telluriques [Morbidelli et al. (2000)]. De nombreuses questions concernant les conditions de cet apport restent à élucider : à quel moment de la formation pla­ nétaire a­t­il eu lieu ? Quelle en a été la durée ? A­t­il pris la forme d’un ou plusieurs planétésimaux de grande taille ? Quelle a été la contribution des pous­ sières ? L’apport d’eau aux minéraux du manteau a eu pour conséquence d’en diminuer la viscosité et a très probablement déclenché la dynamique planétaire qui a abouti au régime de tectonique des plaques que nous connaissons aujourd’hui. Ainsi, si l’eau a littéralement façonné notre planète et reste l’un des ingrédients cruciaux ayant permis l’émer­ gence de la vie telle que nous la connaissons, cette même molécule a joué un rôle non moins fondamen­ tal dans l’architecture du système solaire lui­même à l’époque plus reculée où les planètes se formaient. n L’apport d’eau aux minéraux du manteau a très probablement déclenché la dynamique planétaire. Water in the solar system, from cometary ice to planetary mantles Water was an abundant molecule in the accretion disc surrounding the proto-sun during the first millions of years after the gravitational collapse of the solar nebula. It played a crucial role in the formation of planets and their subsequent evolution. The snowline marks the limit where this molecule changes from a gaseous to a solid state (i.e. ice). Inside the snowline, dry planetesimals slowly accreted to form small, high-density, rocky planets, while beyond extended the realm of low-density, gaseous and icy giant planets. Compared to Earth, all other telluric planets are dry, for any water that may have been present in their initial atmospheres (degassed from their forming rocks) most probably escaped. The water content in the mantle of terrestrial planets is still poorly constrained: minerals in the Earth’s mantle may contain up to several oceans-worth of water. The rocky core of the giant planets accreted rapidly from icy planetesimals and reached a critical mass limit triggering a local gravitational collapse of gas from the protoplanetary disk. The water in these large planets is confined at high pressure at depths inaccessible to observation. Water ice is detected, however, on most of their satellites. Like asteroids, comets are small bodies that avoided accretion into the central star or the planets. While asteroids exhibit a wide range of types, from dry to moderately moist compositions, comets are composed of about half water ice. They most probably formed at a few tens of AU from the protosun and were subsequently expelled by the giant planet migration to form the Kuiper belt and the Oort cloud. Well preserved, comets provide a unique window of observation into the cold regions of the protoplanetary disk. The water currently observed on rocky planets (including Earth) was most probably supplied totally or in large part in the late stages of their formation by water rich planetesimals. Bibliographie : F. Albarède (2009) – Volatile accretion history of the terrestrial planets and dynamic implications. Nature 461(7268):1227­33. J. Duprat et al. (2010) – Extreme Deuterium Excesses in Ultracarbonaceous Micrometeorites from Central Antarctic Snow. Science. 328: 742. T. Encrenaz, (2004) – À la recherche de l’eau dans l’Univers, Belin, 176 p. A. Morbidelli et al. (2000) – Source regions and timescales for the delivery of water to the Earth. MAPS 35: 1309­1320. F. Robert (2001) – The Origin of Water on Earth, Science 293, 1056. H.-R. Rollinson (2006) – Early Earth Systems: A Geochemical Approach Blackwell Publishing Ltd, 296p. l’eau et la dynamique lithosphérique Concentrée à la surface du Globe, l’eau n’en est pas moins présente en grande quantité à l’intérieur de la Terre. Elle y joue un rôle majeur en diminuant la résistance des roches, en permettant leur fusion partielle et en transportant des éléments chimiques. Elle interagit à toutes les échelles d’espaces et de temps dans les profondeurs de la croûte et du manteau, que ce soit pendant les séismes, la formation des chaînes de montagnes ou des rifts. Sans eau, il est probable que la tectonique des plaques serait très différente, voire absente de la dynamique terrestre. L’eau et la dynamique lithosphérique géodynamique 16 Où trouve-t-on l’eau à l’intérieur de la Terre ? Laurent Jolivet Professeur Institut des sciences de la Terre d’Orléans (ISTO) Université d’Orléans/INSU-CNRS [email protected] Schiste bleu de l’île de Syros dans les Cyclades. Le fond de la roche est constitué essentiellement de grenats et de glaucophane, un minéral hydraté bleu (de la famille des amphiboles) qui est stable dans des conditions de pression et de température caractéristiques de la subduction. Les grands minéraux clairs sont des lawsonites, un silicate calcique très riche en eau (environ 14 %), qui reste stable dans les grandes profondeurs (plus de 200 km) des zones de subduction. Blueschists from Syros Island in the Cyclades. The rock’s matrix consists essentially of garnets and glaucophane, a blue hydrated mineral (of the amphibole family) which is stable under the high-pressure and low-temperature conditions characteristic of subduction zones. The large, light-coloured minerals are lawsonites, a highly water-rich (approximately 14%) calcium silicate, which remains stable at the great depths (exceeding 200 km) prevailing in subduction zones. © L. Jolivet. L’ eau libre est abondante à la surface de la Terre, mais on pense qu’elle est aussi présente en grandes quantités et sous diverses formes à très grande profondeur, jusqu’à la base du manteau, voire jusque dans le noyau [Bolfan-Casanova (2005) ; Ohtani et al., (2005)]. Dans les dix à vingt premiers kilomètres de la croûte terrestre, l’eau circule en empruntant les fractures qui forment un réseau plus ou moins interconnecté. On estime en général que la limite inférieure de pénétration des fluides libres correspond à la zone de transition entre le régime de déformation cassante et le régime ductile plus profond. Même si, dans les profondeurs du manteau, la Le volume d’eau concentration des fluides aqueux est faible, le volume du manteau est tel que les quantités stocké dans le manteau d’eau stockées sont très importantes, au moins est au moins équivalent équivalentes au volume d’eau visible en surface. au volume d’eau visible en surface. On trouve l’eau sous diverses formes dans la Terre profonde. Tout d’abord, elle circule librement dans les fractures ou dans les veines des roches métamorphiques. Si on entre plus avant dans l’intimité des roches, on trouve de l’eau sous forme de films très minces entre les grains minéraux. Cette eau joue un rôle majeur dans la dissolution et l’hydrolyse des minéraux, dans le transport et le dépôt des éléments chimiques dans les roches, ainsi que dans les processus tectoniques. Une grande part de water and lithospheric dynamics Fig. 1 : Répartition et circulation de l’eau dans la lithosphère et une partie du manteau profond. Les termes en bleu correspondent à des minéraux qui contiennent de l’eau sous forme dissoute comme l’olivine, la wadsleyite et la ringwoodite. Les flèches bleues indiquent les principaux trajets suivis par l’eau. Fig. 1: Distribution and circulation of water within the lithosphere and part of the lower mantle. Terms in blue correspond to minerals containing water in dissolved form such as olivine, wadsleyite and ringwoodite. Blue arrows indicate the main pathways followed by water. Source : L. Jolivet, V. Famin, P. Philippot et Ph. Agard. Au plus profond de la Terre. Pour la Science, n° 58, janvier-mars 2008. cette eau est intégrée à la roche dès la formation des sédiments. L’eau de mer, piégée dans la porosité des roches lors de la diagenèse, se retrouve ainsi entraînée en profondeur. L’eau est présente dans les minéraux essentiellement sous deux formes. Elle peut faire partie intégrante de leur formule chimique, l’ion OH- étant intégré dans la structure cristalline. Les exemples les plus classiques sont les micas ou les argiles, mais des minéraux moins connus comme les amphiboles, la lawsonite, la chlorite contiennent également des proportions d’eau importantes (jusqu’à 14 % dans la lawsonite ou la chlorite). L’eau peut également être sous forme dissoute dans des minéraux dont la formule chimique n’en contient pas. On peut ainsi observer des proportions significatives d’eau dans des minéraux normalement anhydres tels que l’olivine ou le quartz. Dans ces deux cas, l’eau contenue dans les minéraux joue un rôle majeur dans les processus de déformation et de recristallisation métamorphique. L’eau entre dans les profondeurs de la Terre par les failles normales comme celles qui fracturent la croûte océanique dans les rifts médio-océaniques. Cette eau peut descendre profondément dans la croûte, voire Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 17 l’eau et la dynamique lithosphérique Dans les régions de magmatisme d’arc, la richesse en eau des magmas est à l’origine d’un volcanisme explosif très dangereux. 18 jusque dans le manteau. Mais c’est essentiellement par les zones de subduction qu’une grande partie de l’eau s’introduit dans le manteau [Schmidt et Poli (1998)]. L’eau emprisonnée dans les sédiments, dans la croûte ou dans le manteau pénètre à l’intérieur de la Terre, où elle est stockée au sein de phases minérales hydratées telles que la lawsonite, les amphiboles ou la serpentine. Elle se répartit dans le manteau grâce à la convection, en particulier dans la zone de transition entre le manteau supérieur et le manteau inférieur, entre 450 et 670 km de profondeur. Lors de la subduction, une part importante de cette eau est relâchée par des réactions de déshydratation. Elle provoque la fusion partielle du manteau situé au-dessus de la plaque plongeante et, en conséquence, facilite l’émission de produits volcaniques en surface : c’est le magmatisme d’arc. Dans ces régions, la richesse en eau des magmas est à l’origine d’un volcanisme explosif très dangereux. Il est difficile de faire le bilan volumétrique de l’eau qui entre et qui ressort du manteau, mais il est vraisemblablement équilibré. Où est l’eau dans la lithosphère ? La question se pose différemment pour la lithosphère continentale et la lithosphère océanique. Dans le cas des océans, le problème est relativement simple car la lithosphère est renouvelée en permanence. L’eau pénètre essentiellement dans la croûte et dans le manteau par les failles et les fractures de la région du rift médio-océanique. Un circuit de type convectif s’établit avec une descente d’eau de mer froide et une remontée d’eau chaude chargée en éléments métalliques par les sources hydrothermales telles que les fumeurs noirs. Les observations des séries ophiolitiques affleurant dans les chaînes de montagnes montrent que l’eau de mer pénètre jusqu’à la base de la croûte (entre 4 et 10 km) et parfois au sommet du manteau, transformant les gabbros en amphibolites et les péridotites en serpentinites. Cette injection d’eau dans le manteau, et la transformation des roches en serpentinites, a des conséquences très importantes sur la géodynamique interne, car les phases hydratées sont en général peu résistantes. Photo 1 : Quartzite à pyrope et phengite (mica blanc) du massif de Dora Maira dans les Alpes occidentales. Malgré un enfouissement supérieur à 100 km, cette roche contient des minéraux hydratés (micas blancs) en proportions importantes. Photo 1: Quartzite containing pyrope and phengite (white mica) from the Dora Maira Massif in the western Alps. Although buried at depths exceeding 100 km, this rock contains hydrated minerals (white mica) in large proportions. © L. Jolivet. Le cas de la lithosphère continentale est plus complexe. Son histoire géologique peut être très longue, de plusieurs milliards d’années dans certains cas, et sa structure beaucoup plus hétérogène. L’eau de la lithosphère continentale a trois origines : l’eau des sédiments, l’eau circulant dans les failles et les zones de déformation en général, et l’eau contenue dans les magmas, qu’ils soient d’origine mantellique ou crustale. Tant que les sédiments ne sont pas impliqués dans des processus tectoniques, l’eau des sédiments ne joue pas de rôle majeur dans la géodynamique. Mais, lorsqu’ils sont enfouis en profondeur, parfois sous une chaîne de montagne, une série de réactions métamorphiques conduisant souvent à la déshydratation des roches va redistribuer cette eau. Les phyllosilicates (argiles, micas…) sont les porteurs privilégiés de l’eau dans la croûte continentale. Une part significative de l’eau reste intégrée à des phases minérales hydratées jusqu’à de grandes profondeurs, puisque les roches métamorphiques d’ultra-haute pression du massif de Dora Maira, dans les Alpes, enfouies à plus de 100 km de profondeur, conservent des quantités importantes de micas blancs [Chopin et Schertl (1999)]. Photo 2 : Comportement des roches en fonction de leur composition minéralogique et de leur teneur en eau. Dans ce gneiss, les parties les plus riches en micas (en blanc), sont partiellement fondues, alors que les parties les plus basiques, anhydres, restent intactes (affleurement de la Province des Gneiss dans l’ouest de la Norvège). Photo 2: Behaviour of rocks according to their mineralogical composition and water content. In this gneiss, the portions containing the most mica (white) have been partially melted, whereas the drier, more basic, anhydrous portions have remained unaltered (the Gneiss Province outcrop in western Norway). © L. Jolivet. Gé o sci e n ce s • nu m é ro 13 • ju i l l et 2011 water and lithospheric dynamics 19 l’eau et la dynamique lithosphérique > L’origine des eaux profondes déterminée à partir des isotopes de l’oxygène et de l’hydrogène Catherine Lerouge – BRGM – [email protected] L’eau présente à la surface de la Terre résulte pour une grande part de l’intense dégazage qui a eu lieu après son accrétion. De nos jours, le volume d’eau libéré par le globe, dû essentiellement au dégazage des magmas (figure 1), équivaut à peu près au volume d’eau entrant. De grands volumes d’eau pénètrent en effet dans la lithosphère en passant par les pores, les fractures de la couverture sédimentaire (330 106 km3) (1) et les structures tectoniques (dorsales médio-océaniques, décollements lithosphériques), jusque dans l’asthénosphère via les zones de subduction. Ensemble, lithosphère et asthénosphère contiennent un volume d’eau évalué à 400 106 km3 (1). La géochimie des isotopes stables de l’oxygène (rapport isotopique 18O/16O) et de l’hydrogène (rapport isotopique D/H) permet de retracer l’origine de ces eaux (figure 2). Les eaux de surface, eau de mer et eaux météoriques, ont été échantillonnées sur l’ensemble de la surface de la Terre et ont fait l’objet d’analyses systématiques. Les eaux d’origine mantellique ont été essentiellement analysées par extraction de l’eau contenue dans les roches volcaniques telles que les basaltes des rides médio-océaniques. Les eaux présentes dans la lithosphère ont souvent une origine mixte. Ce sont : 1) des eaux de surface ayant pénétré dans la croûte par les réseaux de fractures et failles, ou 2) des eaux résultant de la déshydratation des roches profondes ou du dégazage magmatique, et remontant via des structures tectoniques. Ces eaux circulant à travers la lithosphère interagissent avec les roches. Elles sont à l’origine de précipitations dans les fractures et de modifications minéralogiques ; une partie est piégée dans les minéraux soit sous la forme d’inclusions fluides, soit incorporée dans leur réseau cristallin (minéraux hydroxylés). Les compositions isotopiques en oxygène et en hydrogène de ces eaux peuvent être mesurées directement à partir de l’eau contenue par Atmosphère Arc insulaire Continent Zone d’accrétion Lithosphère Glace Dorsale Medio-océanique Zone de subduction Océan Océan Granite issu de fusion partielle de croûte Continent Fusion partielle de plaque subductée Complexe mafique Asthénosphère Eaux d’origine magmatique mantellique (juvéniles). Eaux métamorphiques (eaux d’origine mantellique, eaux issues de la déshydratation de la croûte inférieure ou associée à la fusion crustale). Eaux météoriques. Eau de mer. Fig. 1 : Coupe simplifiée de la surface de la Terre montrant les principales circulations d’eau entre atmosphère, lithosphère et asthénosphère. Fig. 1: Schematic cross-section of the Earth showing the major water fluid transferts between atmosphere, lithosphere and asthenosphere. © C. Lerouge, BRGM. © C. Lerouge, BRGM -10 ea ux mé téo riq u es -15 ed Dr oit Fig. 2: Oxygen and hydrogen isotopic compositions of the main water reservoirs: asthenosphere, lithosphere and atmosphere. Isotopic data are given in the standard d notation relative to the international standard SMOW, following the equation: ([18O/16O]sample/[18O/16O]standard – 1) x 1 000 (‰ SMOW) 20 es Fig. 2 : Compositions isotopiques en oxygène et hydrogène des principaux réservoirs d’eau connus : asthénosphère, lithosphère -20 et atmosphère. Les compositions isotopiques de l’eau sont exprimées en unités d pour mille par rapport au standard international SMOW (Standard Mean Ocean Water), définies par l’équation : ([18O/16O]échantillon/[18O/16O] standard – 1) x 1 000 (‰ SMOW) -5 0 -20 Eau de mer 0 5 10 d18O (‰ SMOW) 15 -40 -60 -80 -100 -120 Eaux d’origine magmatique mantellique (H2O asthénosphère ) -140 -160 dD (‰ SMOW) 20 25 Eaux métamorphiques (lithosphère 300-600 °C) les inclusions fluides, mais les volumes sont infimes. Elles peuvent aussi être déterminées indirectement à partir des minéraux issus des fluides aqueux. En effet, ces minéraux ont une composition isotopique représentative de celle du fluide, qui dépend de la température de formation du minéral. L’origine des eaux peut ensuite être déterminée en comparant leur composition isotopique avec celle des principaux réservoirs connus (figure 2). n (1) – Données provenant du site http://www2. ggl.ulaval.ca/personnel/bourque/s3/cycle.eau. html. water and lithospheric dynamics La partie supérieure de la croûte continentale est parcourue d’un réseau de failles et de veines plus ou moins interconnectées qui autorise la circulation de l’eau à grande échelle. Lorsque la fusion partielle et la production de magma granitique sont importantes – comme c’est le cas dans les chaînes de montagnes très matures ou pendant les épisodes d’écroulement post-orogénique –, la montée des magmas riches en eau vers les parties supérieures de la croûte va contribuer à « assécher » la croûte inférieure. Celle-ci est alors caractérisée par des lithologies plus anhydres comme des granulites par exemple. Par ailleurs, l’observation de zones de déformation intense – grands chevauchements, grandes failles normales à faible pendage, grands décrochements – révèle des phases minérales hydratées et des veines minéralisées, montrant que de l’eau a circulé jusqu’à des profondeurs supérieures à 20 km [Famin et al., (2004)]. La partie supérieure de la croûte continentale est parcourue d’un réseau de failles et de veines plus ou moins interconnectées qui autorise la circulation de l’eau à grande échelle. Plus profondément, à des températures supérieures à 350-400 °C, la circulation des fluides est beaucoup plus limitée ; la production de fluides par des réactions métamorphiques est essentiellement locale. Dans la croûte continentale, la zone de transition entre la déformation cassante et la déformation ductile joue donc un rôle majeur dans la répartition de l’eau et, comme nous le verrons par la suite, dans la déformation. Il y a également de l’eau dans le manteau, sous la lithosphère continentale, comme le montrent les enclaves remontées par certains volcans. Il s’agit d’une question de première importance, car la présence ou l’absence d’eau dans le manteau lithosphérique souscontinental conditionne en grande partie sa résistance. Comment l’eau interagit-elle avec la déformation ? L’eau joue un très grand rôle dans les processus tectoniques en rendant les roches plus facilement déformables. C’est un point d’importance majeure car, pour que de grands déplacements soient possibles (déplacements des plaques les unes par rapport aux autres, glissements de plusieurs centaines de kilomètres le long de grandes failles), il faut que les roches soient, localement, suffisamment peu résistantes pour être fortement déformées. Or, l’eau est au premier plan des acteurs de ces processus de déformation. Par sa seule présence, et en dehors de toute modification de la minéralogie, l’eau rend les roches plus déformables. Sous la forme de films très minces entre les grains, l’eau est un agent lubrifiant qui se révèle très efficace. Par ailleurs, l’eau transporte des éléments chimiques en solution d’un point à l’autre de la roche, entraînant des dissolutions à certains endroits et des recristallisations en d’autres. Un deuxième processus contribue à affaiblir les roches. Lors de l’enfouissement, la minéralogie des roches se transforme en s’adaptant à l’augmentation de la pression et de la température : c’est le métamorphisme. En présence d’eau, des phases cristallines hydratées, comme les micas, vont se former. L’eau ayant tendance à s’insinuer le long des zones de déformation principales, au travers des failles et des veines, c’est surtout dans ces zones que vont se former les associations minérales riches en micas ou autres phases hydratées. Par exemple, on observe souvent que la déformation d’un granite – composé en majorité de quartz et de L’eau joue un très grand rôle dans les processus tectoniques en rendant les roches plus facilement déformables. G é o s c i e n ce s • n u m é ro 1 3 • j u i l l e t 2 0 11 Une part importante de l’eau peut être relâchée dans la croûte (zone de subduction), auquel cas elle va diminuer le point de fusion des roches de composition granitique, provoquant une fusion partielle et donnant naissance à des magmas granitiques tels que ceux du Baltoro ou du Manaslu en Himalaya. 21 l’eau et la dynamique lithosphérique 22 feldspath potassique anhydres, avec un faible pourcentage de mica (qui contient 3 à 4 % d’eau) –, se traduit par la formation (par hydratation) d’une nouvelle roche, un micaschiste, beaucoup plus riche en micas. Lors de la déformation, qui peut être tout d’abord cassante, l’eau pénètre la roche et transforme par hydrolyse des feldspaths anhydres en micas hydratés. Ces derniers, constitués en outre de feuillets superposés, sont beaucoup moins résistants aux contraintes mécaniques que les feldspaths. Une instabilité peut alors se créer et la déformation se localiser dans une zone privilégiée. Ce type d’interaction est couramment observé aux profondeurs de la transition ductilecassant et dans les zones de subduction où les recristallisations métamorphiques soulignent la zone de décollement des grands chevauchements. Lors des séismes, des fractures s’ouvrent et se referment en permanence, créant des variations rapides de pression des fluides. Un troisième type d’interaction est à prendre en compte dans les processus de fracturation. De façon générale, les roches sont d’autant plus résistantes à la fracturation que la pression, et donc la profondeur, qu’elles subissent est élevée. Dans le cas où des fluides sont piégés dans une formation rocheuse, ils vont supporter une part de la charge (on dit qu’ils sont en surpression) et diminuer d’autant la pression effective supportée par la roche, qui sera de fait plus facile à fracturer. Or, lors de la déformation de la croûte, en particulier au moment des séismes, des fractures s’ouvrent et se referment en permanence, créant des variations rapides de pression des fluides. Lors du fonctionnement sismique d’une faille, ces variations de pression et de déformation des roches sont parfois appelées pompage sismique. Les données de la sismologie montrent que les zones de failles sismiques sont en effet riches en fluides, en particulier vers la base du domaine cassant. Photo 3 : (haut) Granulites précambriennes anhydres parcourues de fractures le long desquelles se développe une minéralogie de haute pression partiellement hydratée, dans le faciès métamorphique des éclogites (parties sombres). (bas) Quand la déformation devient plus intense, les zones éclogitisées, hydratées et moins résistantes, sont davantage déformées et suivent la déformation, ce qui induit une recristallisation métamorphique plus poussée. Photo 3: (Top) Precambrian anhydrous granulites crisscrossed with cracks along which a high-pressure mineralogy has developed that is partially hydrated in the metamorphic facies of the eclogites (dark-coloured parts). (Bottom) When deformation intensifies, the zones with eclogite, which are hydrated and less resistant, are more strongly deformed and follow the deformation, thereby causing a more pronounced metamorphic re-crystallization. © L. Jolivet. water and lithospheric dynamics Water and lithospheric dynamics La faille de San Andreas en Californie est très active et bien visible dans le paysage. L’intensité de l’activité sismique le long de la faille est notamment conditionnée par la présence d’eau dans les formations rocheuses en profondeur. The San Andreas Fault in California is very active and is clearly visible in the landscape. Earthquake intensity along the fault is notably conditioned by the presence of water in the rocky formations at depth. © http://earthobservatory.nasa.gov Quelles conséquences pour la géodynamique ? On voit donc se dessiner une série d’interactions entre les fluides et la déformation, depuis les domaines cassant et sismique jusqu’aux domaines ductiles plus profonds. Ces processus, qui conduisent à la localisation de la déformation par les fluides, sont reconnus sur de nombreux exemples. La faille de San Andreas possède des portions le long desquelles le glissement est permanent et régulier, produisant une multitude de petits séismes souvent non ressentis par les populations. En revanche, certaines de ses portions sont très dangereuses, caractérisées par des séismes rares mais violents. La nature des roches en profondeur, mais aussi leur richesse en fluides contrôlent ces différences de comportement. À une échelle plus vaste, la présence de phases hydratées en profondeur, comme la serpentine dans les zones de subduction, contribue fortement à lubrifier les grands contacts tectoniques. On retrouve dans les chaînes de montagnes des roches ayant fait un aller-retour supérieur à 80-100 km de la surface vers des profondeurs, puis à nouveau vers la surface où on les trouve aujourd’hui. La subduction explique facilement le trajet des roches vers la profondeur. Mais il faut aussi qu’elles se détachent de la plaque plongeante, puis qu’elles remontent. Dans le cas de la subduction océanique, la lithosphère plongeante comporte un niveau riche en serpentine au sommet du manteau ; ce niveau peu résistant peut être le siège d’un décollement et faciliter le décrochage d’unités tectoniques qui remontent ensuite vers la surface grâce aux forces de flottabilité. L’eau joue donc un rôle majeur à tous les niveaux de la géodynamique, depuis les failles de la croûte supérieure jusqu’aux grandes profondeurs des zones de subduction. Elle est présente en quantités importantes dans le manteau et y joue un rôle en diminuant la résistance, mais aussi en facilitant la fusion des roches et la formation de magmas qui rejoignent la surface. Il y a donc plusieurs échelles de circulation de l’eau dans la Terre, allant des petites cellules de convection observées au niveau des dorsales médioocéaniques jusqu’à la grande circulation impliquant la subduction et le magmatisme d’arc. n Concentrated mainly at the surface, water is nevertheless present deep inside the Earth where it plays a prominent role by lowering the mechanical resistance of rocks, by allowing partial melting of the crust and mantle and by transporting chemical elements. Present in large quantities in sediments, as well as in the oceanic crust and serpentinised mantle, it enters the depths of the Earth through subduction zones. Part of this water can plunge to depths of several hundreds of kilometres, where it modifies the mechanical properties of the mantle; the remainder is expelled towards the surface in magma. Via faults, it also penetrates the crust, where it facilitates deformation in the uppermost 10-20 km of the continental crust. An interaction is observed at all spatial scales between deformation (faults and ductile shear zones) and the circulation of aqueous fluids from the surface towards the depths of the crust and mantle. Similarly, fluids interact with the deformation of the lithosphere at different time-scales, ranging from earthquakes (a few seconds or minutes) to the uplift of mountain belts or the formation of rifts (a few tens of millions of years). It is likely that, without water, plate tectonics would be very different, or even non-existent in the Earth dynamics. Bibliographie : Bolfan-Casanova, N. (2005) – Water in the Earth’s mantle. Mineralogical Magazine, 69(3): 229-257. Burov, E.-B. and Watts, A.-B. (2005) – The long-term strength of the lithosphere: «jelly-sandwich» or «crème brulée”? GSA Today, 16(1): http://dx.doi.org/10.1130/1052-5173(2006)016<4:tltSOc>2.0.cO;2. Chopin, C. and Schertl, H.-P. (1999) – The UHP Unit in the Dora-Maira Massif, Western Alps. International Geology Review, 41: 765-780. Famin, V., Philippot, P., Jolivet, L. and Agard, P. (2004) – Evolution of hydrothermal regime along a crustal shear zone, Tinos Island, Greece. Tectonics, 23: http://dx.doi.org/10.1029/2003TC001509. Ohtani, E., Hirao, N., Kondo, T., Ito, M. and Kikegawa, T. (2005) – Iron-water reaction at high pressure and temperature, and hydrogen transport into the core. Phys Chem Minerals (2005) 32: 77-82, http://dx.doi.org/10.1007/s00269004-0443-6. Schmidt, M.-W. and Poli, S. (1998) – Experimentally based water budgets for dehydrating slabs and consequences for arc magma generation Earth and Planet. Sci. Lett., 163: 361-379. Szeliga, W., Melbourne, T.-I., Miller, M.-M. and Santillan, V.-M. (2004) – Southern Cascadia episodic slow earthquakes Geophysical Research Letters, 31: L16602, http://dx.doi.org/10.1029/2004GL020824. de l’eau dans les magmas La présence de concentrations importantes en eau dissoute ( jusqu’à environ 10 % du poids) dans les magmas terrestres est une des caractéristiques spécifiques de notre planète. Plus que tout autre constituant, l’eau modifie en profondeur les propriétés physiques et chimiques des magmas. Elle affecte des processus géologiques fondamentaux comme la fusion partielle, l’ascension, l’éruption, le dégazage et la cristallisation des magmas. C’est un agent essentiel dans le transport et la redistribution des métaux dans les gisements magmatiques-hydrothermaux. De l’eau dans les magmas liquide silicaté 24 Des observations de terrain à la mesure de la concentration en eau des magmas Michel Pichavant Directeur de Recherche CNRS Institut des Sciences de la Terre d’Orléans, UMR 6113 [email protected] Éruption vulcanienne du 8 janvier 2010 à Soufrière Hills, Montserrat. Vulcanian eruption on 8 January 2010, Soufrière Hills volcano, Montserrat. © Montserrat Volcano Observatory (MVO). L’ idée que des quantités significatives d’eau puissent être présentes dans les magmas terrestres ne s’est imposée que récemment. Nourrie à l’origine de certaines observations de terrain, pegmatites et manifestations hydrothermales associées aux granites, ou roches migmatitiques interprétées en terme « d’anatexie humide » (fusion partielle en présence d’une phase fluide libre), la notion de magma hydraté est ensuite confortée par les mesures de composition des gaz volcaniques, dont les premières datent du début du XXe siècle. Toutefois, ce sont surtout les données expérimentales et les développements analytiques qui vont fournir les preuves concrètes. Les premières mesures de solubilité à haute pression établissent la possibilité d’une dissolution de quantités importantes d’eau, jusqu’à plusieurs % poids, dans les liquides silicatés [Goranson (1931)]. La démonstration expérimentale [Tuttle and Bowen (1958)] que la majorité des roches granitiques et rhyolitiques coïncide avec la composition des points minima et eutectiques du système quartz-albite-orthose en présence d’un excès d’eau établit à la fois l’origine magmatique du granite et le caractère fortement hydraté des liquides silicatés impliqués. Par la suite, il faudra le développement d’approches théoriques, principalement thermodynamiques, expérimentales et analytiques combinées, pour quantifier la teneur en eau des magmas water in magma Kilauea Mélange de produits de fusion du manteau et de sédiments subductés 5 000 La Réunion 4 000 E-MORB 3 000 Les teneurs en eau des magmas naturels 2 000 Les données dont on dispose actuellement sont encore très loin de couvrir le spectre complet des magmas naturels. Cette base de données, bien que fragmentaire, montre toutefois clairement que les concentrations en eau dans les magmas terrestres sont variables et dépendent à la fois du type de série magmatique et, au sein d’une même série, de la composition du liquide silicaté. Une compilation récente des données des inclusions vitreuses (figure 1) montre que les concentrations en eau les plus élevées (de l’ordre de 10 % poids au maximum) se rencontrent dans les séries magmatiques des zones de subduction. Notons toutefois que des concentrations comparables à ces dernières se trouvent également dans d’autres séries magmatiques, qu’il s’agisse de séries plutoniques à caractère anorogénique avec amphibole exprimée (H2O > 5-6 % poids, [Dall’Agnol et al. (1999)]) ou de produits leucogranitiques à biotite et muscovite issus de l’anatexie crustale (H2O = 6-8 % poids, [Scaillet et al. (1995)]). Il importe de souligner que les concentrations en eau élevées ne se limitent pas aux compositions de magmas différenciés. Les liquides basaltiques de l’arc des Petites Antilles présentent ainsi des concentrations de l’ordre de 6-8 % poids pour les basaltes alumineux, et autour de 4-5 % poids pour les basaltes primitifs [Pichavant et al. (2002 ; 2007)], les valeurs obtenues expérimentalement et par analyse des inclusions vitreuses [Bouvier et al. (2008)] étant en bon accord. On voit donc que les magmas basaltiques terrestres peuvent être hydratés même si des différences importantes apparaissent avec le type de lignée magmatique et le contexte géodynamique (figure 1). Mentionnons ici la controverse actuelle sur la teneur en eau des liquides parents des komatiites [Arndt et al. (1998)], avec la possibilité que des taux de fusion élevés puissent s’expliquer par une fusion partielle hydratée du manteau à l’Archéen. 1 000 0 Minimum pour les magmas d’arc, basé sur le flux de CO2 5 kb Guat (BVF) c, e c o Stromb N-MORB 2 kb Mexico G Cas OIB 0 1 Dégazage Cerro Negro 25 Fg 2 3 4 H2O (wt. %) 5 6 7 Fig. 1 : Compilation des données de concentration en eau et en CO2 dans les inclusions vitreuses des basaltes. Données des volcans d’arc d’Amérique Centrale (Fuego, Fg ; Cerro Negro ; Guatemala en arrière du front volcanique, Guat BVF), de la ceinture volcanique trans-mexicaine (Mexico), du Stromboli (Stromb) et du Galunggung (G). À titre de comparaison, les données pour les basaltes océaniques (MORB, point et rectangle), et pour le Kilauea, La Réunion et un basalte de type île océanique de la chaîne des Cascades (Cas OIB) sont figurées. D’après Wallace (2005). Fig. 1: Compilation of water and CO2 concentration data in glass inclusions from basalts. Data for arc volcanoes from Central America (Fuego, Fg; Cerro Negro; Guatemala behind the volcanic front, Guat BVF), from the trans-Mexican volcanic belt (Mexico), Stromboli (Stromb) and from Galunggung (G). For comparison, data for MORBs (dot and rectangle), Kilauea, Reunion Island and for one OIB from the Cascades (Cas OIB) are shown. From Wallace (2005). Les concentrations en eau les plus élevées (de l’ordre de 10 %) se rencontrent dans les séries magmatiques des zones de subduction. Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 6 000 CO2 (ppm) naturels. Parmi les approches les plus utilisées à l’heure actuelle pour mesurer les concentrations en eau des magmas, mentionnons notamment (1) les méthodes expérimentales basées sur la détermination des équilibres de phases en fonction de la teneur en eau dissoute et (2) les techniques d’analyse directe des inclusions vitreuses piégées dans les phénocristaux des roches magmatiques, avec des méthodes comme la microspectroscopie infra-rouge et, plus récemment, la microspectroscopie Raman. 7 000 de l’eau dans les magmas 9.0 Fig. 2 : Variation de la concentration en eau dissoute en fonction de la pression pour différents liquides silicatés de composition (1) basaltique, (2) andésitique, (3) granitique et (4) pegmatitique. Données à 1 100 °C et à l’équilibre avec une phase vapeur composée essentiellement d’eau pure (définition de la solubilité de l’eau). Les données montrent le rôle essentiel de la pression et, dans une moindre mesure, de la composition du liquide sur la solubilité de l’eau. From Burnham (1979). Basalte Andésite Granite 3 7.0 2 6.0 D’après Burnham (1979). Fig. 2: Variation of dissolved water concentration versus pressure for various silicate melts of (1) basaltic, (2) andesitic, (3) granitic and (4) pegmatitic composition. Data at 1100°C and at equilibrium with excess vapour (definition of the solubility of water). The data show the critical influence of pressure and, to a lesser extent, of melt composition on the solubility of water. 1 100°C 8.0 Pression (kbar) 26 1 5.0 4 Pegmatite 4.0 3.0 2.0 1.0 Ces données soulignent le contraste important entre les concentrations en eau des liquides magmatiques naturels, telles qu’elles peuvent être évaluées à partir des approches expérimentales ou analytiques modernes, et les concentrations en eau conventionnelles, obtenues à partir de méthodes globales de géochimie en roche totale. Ce contraste est évidemment pour l’essentiel imputable au caractère généralement fortement dégazé (et donc déshydraté) des roches magmatiques, en particulier des roches plutoniques. La concentration en eau d’une granodiorite contenant 10 % poids d’amphibole est environ vingt fois inférieure à celle du liquide silicaté à partir duquel ce minéral a cristallisé. Ceci souligne les limitations de l’utilisation des données en roche totale pour estimer la concentration en eau des magmas naturels. Dans le même ordre d’idées, certains indicateurs minéralogiques comme la présence de minéraux hydroxylés dans l’assemblage des phases (amphibole ou biotite) sont à manipuler avec précaution. L’approche expérimentale nous renseigne que la cristallisation de liquides silicatés fortement hydratés n’est pas toujours susceptible de fournir ces phases hydroxylées dont la stabilité dépend de plusieurs paramètres. Par ailleurs, l’amphibole peut cristalliser à partir de clinopyroxène en conditions subsolidus et la muscovite être secondaire dans de nombreux granites. Ces considérations soulignent la principale difficulté quand on aborde la question de l’eau dans les magmas, à savoir l’estimation précise des concentrations impliquées, dans la mesure où l’empreinte des conditions lors de l’évolution magmatique est en grande partie effacée dans les stades finaux de la cristallisation. 0 0 2.0 4.0 6.0 8.0 10.0 % poids H2O Il convient de noter que des concentrations en eau de l’ordre de 5 voire de 10 % poids dans les magmas terrestres représentent des valeurs tout à fait considérables quand on les exprime en grandeurs molaires. À titre d’exemple, dans un liquide silicaté de composition albitique (NaAlSi3O8) contenant 10 % poids d’eau dissoute, 34 % des unités silicatées seront hydroxylées (calculs faits sur la base d’un oxygène dans la formule chimique et en supposant que l’eau se dissout uniquement sous la forme d’espèces hydroxylées OH). Il est clair que de telles concentrations vont nécessairement conduire à des modifications extrêmement marquées dans la spéciation (à l’échelle atomique) et la structure du silicate fondu. On comprend mieux l’influence considérable de l’eau sur les propriétés physiques et chimiques des magmas (cf. ci-après). Enfin, il est important de bien faire la distinction entre concentration en eau d’un liquide silicaté (l’eau est un constituant chimiquement dissous dans la structure du silicate fondu) et concentration en eau d’un magma, système polyphasé pouvant comprendre un liquide silicaté (qui peut être partiellement hydraté), une phase gazeuse (généralement constituée en majorité d’eau et dans une moindre mesure de CO2 et d’espèces soufrées) et des phases cristallisées pouvant être soit anhydres soit hydroxylées. 12.0 14.0 water in magma L’eau exerce une influence considérable sur la cinétique de cristallisation. Rôle de l’eau sur les propriétés physiques et chimiques des liquides silicatés Tout aussi marquée est l’influence de l’eau sur les propriétés chimiques des liquides silicatés. L’abaissement des températures liquidus (de début de cristallisation) en présence d’eau dissoute est une des caractéristiques les mieux établies par les expérimentations, que ce soit pour des systèmes simples ou pour des compositions de liquides silicatés naturels. Là encore, des différences existent dans le détail sur l’importance des modifications introduites par la présence d’eau, ces dernières tendant à être plus importantes pour les compositions de liquides silicatés granitiques ou rhyolitiques que pour les basaltiques. Ces différences de « susceptibilité » des liquides silicatés vis-à-vis de l’eau dissoute sont bien illustrées par les données expérimentales dans le système diopside-anorthite (figure 4). Le constituant anorthite du liquide silicaté est fortement affecté par la présence Fig. 3 : Variation de la viscosité d’un liquide silicaté de composition andésitique en fonction de la teneur en eau dissoute à différentes températures. Andésite 9 7 5 1 000 K 3 1 250 K 1 -1 D’après Mysen et Richet (2005). 1 700 K 0 2 4 6 8 % poids H2O 10 Fig. 3: Variation in the viscosity of an andesite melt with the amount of dissolved water at different temperatures. From Mysen and Richet (2005). 1 600 1 500 Fig. 4 : Diagramme de phases du système diopside (Di) – anorthite (An) (1) à sec à 0,1 MPa (1 atmosphère), (2) à sec à 1 GPa et (3) avec un excès d’eau à 1 GPa (PH2O = Ptotale). sec 1 GPa 1 400 1 300 sec 0.1 MPa D’après Winter (2001). Fig. 4: Phase diagram of the diopside (Di) – anorthite (An) system for (1) dry conditions at 0.1 MPa (1 atmosphère), (2) dry conditions at 1 GPa and (3) wet conditions at 1 GPa (PH2O = Ptotal). 1 200 1 100 1 000 PH2O = 1 GPa Di 20 40 % poids 60 80 An From Winter (2001). Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • ju i l l et 2011 11 log viscosity (Pa.s) L’influence de l’eau sur la viscosité (figure 3) est emblématique des modifications concernant les propriétés physiques. L’addition d’eau conduit à des abaissements de la viscosité de plusieurs ordres de grandeur, d’autant plus importants que la température décroît, du liquide stable jusqu’au liquide surfondu. Les abaissements de viscosité les plus importants sont observés pour les premiers 2 ou 3 % poids d’eau ajoutés. Les données dont on dispose maintenant sur la viscosité des liquides magmatiques hydratés montrent que l’effet de l’eau varie en importance avec la composition. L’abaissement de la viscosité est d’autant plus marqué que le liquide silicaté est polymérisé (granites, rhyolites). Pour les compositions dépolymérisées (basaltes), la diminution de la viscosité est moins importante, les données pour l’andésite (figure 3) illustrant un cas intermédiaire. 13 T°C L’eau exerce une influence considérable sur la viscosité, la conductivité électrique, la température de début de cristallisation, la nature de l’assemblage de phases apparaissant dans la course de cristallisation, la diffusivité chimique des cations, la cinétique de cristallisation, pour ne citer que quelques propriétés essentielles des silicates fondus. Il est important de préciser que, dans ce qui suit, le rôle de l’eau sera uniquement considéré via les modifications apportées aux propriétés du silicate fondu. Les caractéristiques des systèmes magmatiques multiphasés (mousses, émulsions) ne seront pas abordées ici. 27 Ponces de l’activité récente du complexe volcanique de l’île de Pantelleria (Italie). Ce dépôt résulte du dégazage et de la fragmentation d’un magma hydraté dans le conduit. Pumice stone from recent activity in the volcanic complex on Pantelleria Island (Italy). This deposit results from the degassing and fragmentation of water-rich magma in the conduit. © M. Pichavant. 28 d’eau, comme le montre l’abaissement très important de la température liquidus de l’anorthite à 1 GPa (environ 375 °C), et le rétrécissement très net du domaine de cristallisation primaire de l’anorthite en conditions saturées en eau. En comparaison, le constituant diopside est beaucoup moins affecté par l’addition d’eau. Ce type d’interaction « sélective » de l’eau vis-à-vis des différents constituants du liquide silicaté est à l’origine de l’effet modificateur de H2O sur les diagrammes de phases, propriété qui peut être directement exploitée pour la détermination précise des concentrations en eau des magmas naturels. Les séries magmatiques d’arc reflètent le caractère hydraté des magmas et des liquides. Quelques implications pour le système Terre L’importance des modifications apportées aux propriétés physiques et chimiques des magmas confère à l’eau un rôle particulier dans de nombreux processus pétrogénétiques tels que la fusion partielle, les mécanismes d’ascension, de mise en place et d’éruption, dans le dégazage et la cristallisation des magmas. Le magmatisme d’arc fournit une remarquable illustration de ces processus. Les zones de subduction sont un contexte géodynamique d’importance clé pour la formation de la croûte continentale, dont la composition dans le cas de la Terre est très particulière. Bien que certains aspects des processus à l’origine de la croûte continentale soient encore en discussion, il est clair que des mécanismes de fusion partielle hydratée, soit de sources mantelliques, soit de mélanges de roches basaltiques et sédimentaires subductées, sont impliqués. L’abaissement préférentiel des températures de cristallisation du plagioclase par rapport à celles des pyroxènes water in magma Water in Magma et de l’olivine en présence d’eau (figure 4) conduit à des liquides résiduels appauvris en constituants ferromagnésiens et enrichis en Ca et Al, deux caractéristiques chimiques importantes de la lignée calco-alcaline et de la croûte continentale dans son ensemble. Les séries magmatiques d’arc se distinguent aussi par des assemblages de phases spécifiques, qui reflètent le caractère hydraté des magmas et des liquides silicatés impliqués. L’amphibole peut ainsi apparaître dans la course de cristallisation dès les compositions basaltiques évoluées. La conséquence directe est une augmentation très importante de la teneur en silice des liquides résiduels, avec l’obtention de liquides dérivés typiques de la composition des roches intermédiaires de la série calco-alcaline (andésite basaltique, andésite, dacite). À titre de comparaison, dans le cas des séries basaltiques pauvres en eau, les lignées de différenciation ne montrent des enrichissements en silice (couplés avec une importante augmentation de la concentration en fer) que très tardivement, pour des taux de cristallisation importants. La plupart des roches andésitiques récentes en contexte d’arc provient donc de la différenciation de liquides basaltiques hydratés. Il convient toutefois de distinguer ici le cas des adakites, roches intermédiaires qui sont interprétées comme des produits de fusion partielle de sources métabasaltiques subductées et dont les signatures en éléments traces sont spécifiques. Les mécanismes d’ascension, de mise en place et d’éruption des magmas d’arc se distinguent par des manifestations explosives typiques (produits pyroclastiques, dômes de lave) qui traduisent le caractère hydraté des magmas et dont la variabilité est imputable à la complexité des modalités de dégazage, ces derniers impliquant essentiellement l’eau mais aussi les autres constituants volatils présents. Certains constituants des phases fluides magmatiques (soufre) jouent un rôle important dans le contrôle de la chimie de l’atmosphère, ainsi que dans les processus de transfert des métaux vers l’encaissant. Le magmatisme d’arc est en effet La cristallisation de magmas hydratés libère des quantités importantes d’eau. un important pourvoyeur de substances minérales et d’éléments métalliques (Au, Cu, Ag, Mo…). Ici, l’eau intervient à plusieurs titres. Tout d’abord, sa capacité de contrôler la structure des liquides silicatés affecte l’incorporation et la concentration au stade magmatique des éléments métalliques. Ceci peut conduire dans certaines conditions favorables (de composition et structure du liquide silicaté, et des paramètres rédox) à la genèse de magmas spécialisés qui constituent de véritables pré-concentrations pour certains éléments métalliques. Ensuite, la cristallisation de magmas hydratés va pouvoir libérer des quantités importantes d’eau et de fluides dans la périphérie des corps magmatiques. Ces systèmes magmatiques-hydrothermaux (la phase fluide étant principalement d’origine magmatique) vont être susceptibles de transférer le stock métal, de le redistribuer et le redéposer sous la forme de gisements porphyriques et épithermaux. Toutefois, bien que l’eau intervienne de façon déterminante dans ces processus de concentration et de transfert des éléments métalliques, il est clair que d’autres constituants volatils sont impliqués de façon active dans la genèse de ces gisements métalliques en contexte d’arc. C’est le cas en particulier du soufre dont le rôle dans les mécanismes de complexation des métaux est critique. En tant que constituant volatil majeur, l’eau a une influence déterminante sur l’ensemble de la gamme des processus pétrogénétiques, et les données dont on dispose maintenant permettent d’en mieux cerner les différents effets. Mais, les progrès réalisés dans notre connaissance de l’influence de l’eau peuvent être vus comme une étape vers la nécessaire prise en compte du rôle de l’ensemble des constituants volatils majeurs dans les processus magmatiques. n The idea that significant amounts of water can be present in terrestrial magmas is relatively new. Initially based on field observations, the concept of hydrous magma was first supported during the last century by volcanic gas data. Later, decisive proof was brought by experimental results and analytical measurements. Today, precise quantification of the water concentration in natural magmas has become the challenging task. To achieve this goal, modern approaches include experimental phase equilibria and the direct analysis of water in glass inclusions. Although the current database is not yet complete, available data stress the variability of water concentrations in terrestrial magmas. Many magmatic series, either from plutonic or volcanic environments, are relatively water-rich. Basaltic compositions from subduction zone settings can have water concentrations exceeding 5 wt %. When recast in mole fractions, these concentration data show that water in melts can be present in the same range of concentrations as silicate units, explaining its dramatic influence on the physical and chemical properties. For example, water can lower the viscosity of silicate melts by several orders of magnitude. The liquidus temperatures of silicate melts can be depressed by several hundreds of degrees. As a consequence, water exerts a specific influence on a wide range of petrogenetic processes such as partial melting, ascension, emplacement and eruption of magmas on Earth, as well as on magma crystallization, degassing and transfer of metals towards magmatic-hydrothermal ore deposits. Bibliographie : Arndt N., Ginibre C., Chauvel C., Albarède F., Cheadle M., Herzberg C., Jenner G., Lahaye Y. (1998) – Were komatiites wet? Geology, 26, 739-742. Bouvier, A.-S., Metrich, N., Deloule, E. 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Explosive eruptions occurring in a crater lake or causing the sudden and massive melting of a glacier near the crater, produce very hazardous lahars (mudflows), which can also be generated when rain mobilizes loose volcanic deposits on steep mountain slopes. In confined geothermal aquifers, steam pressure may exceed the lithostatic load, thereby generating phreatic explosions with a dangerous emission of solid rock fragments and carbon dioxide clouds. The role of non-magmatic water in volcanic hazards phreatic explosions 30 Explosive magma-water interaction W Franco Barberi Professor of Volcanology University of Rome Tre, Italy [email protected] Maria Luisa Carapezza Senior Researcher Istituto Nazionale Geofisica e Vulcanologia, Roma, Italy [email protected] A violent emission of steam and ash produced in 2001 by a phreatomagmatic flank eruption of Mt. Etna, Italy. The small cone was formed by accumulation of pyroclastic ejecta. Une émission violente de vapeur et de cendres en 2001 suite à une éruption phréatomagmatique latérale de l’Etna, Italie. Le petit cône est formé par l’accumulation d’éjecta pyroclastiques. © M.-L. Carapezza. ater plays a major role in volcanic activity, as this is largely controlled by the viscosity and volatile content of the magma, and the juvenile water contained in the magmatic liquid since its primary generation is the most abundant volatile component of magmas [Papale et al. (1998)]. At depth, magma is under-saturated in water which is totally dissolved in the magmatic liquid and may produce crystals when cooled. Because of the pressure decrease during its ascent toward the Earth’s surface, the magmatic liquid becomes saturated in water at a depth dependent on the magma’s initial water content. Any further pressure decrease that occurs as the magma rises produces the exolution from the liquid of gas bubbles composed of water and other volatiles such as carbon dioxide (vesiculated magma). The magma then becomes a biphase (liquid plus gas) or a multiphase (liquid plus gas plus crystals) system. The lighter gas bubbles tend to rise more rapidly than the liquid generating them, their ascent being Water plays a major role controlled by the magma’s viscosity. The in volcanic activity. magma’s initial content in water and other volatiles and its viscosity control the type le rôle de l’eau non magmatique dans le risque volcanique volcanic plume volcanic vent fragmentation surface exsolution surface magma reservoir of volcanic activity that will occur. As magma continues to rise to the surface, more and more gas bubbles will be produced. If their volume in the liquid is not too high, a continuous flow of magmatic liquid with suspended gas bubbles will be emitted at the surface. These are the lava flows characteristic of effusive volcanic activity. If, on the contrary, the initial water content is high and the magmatic liquid has a high viscosity that prevents the gas from escaping, the gas bubbles will increase in number and size until a critical value (about 70-80% of the total volume) is reached that causes the sudden fragmentation of the magma [Cashman et al. (2000)]. A mixture of gas and liquid fragments results which mounts very rapidly to the surface, giving rise to the explosive activity of volcanoes (figure 1). The preceding brief description pertains to purely magmatic volcanic activity, and we will now address the problem of “hydromagmatic explosions” resulting from the interaction of magma with external water. It has long been known that an exceptional emission of steam and ash occurs when an eruptive vent opens beneath a surface water-body, as in submarine eruptions (e.g. Capelinhos, Azores 1957; Surtsey, Iceland 1963), in eruptions in a crater lake (e.g. Taal, Philippines 1965) or in subglacial eruptions (like the 2010 Eyjafjallajokull eruption in Iceland, see boxed Figure 1 : Processus se produisant dans les conduits volcaniques lors d’éruptions explosives. Au niveau de la surface de saturation, le magna est saturé en composants volatils. Des bulles de gaz commencent à se former un peu au-dessus (surface d’exsolution). Le magma se fragmente lorsque le gaz occupe 70-80 % du volume (surface de fragmentation). À cet endroit, le magma passe subitement d’un liquide contenant des bulles de gaz en suspension à un gaz contenant des fragments de liquide en suspension, processus qui s’accélère fortement vers la cheminée (d’après Cashman et al., 2000). 31 The deep-seated aquifer interacting with the rising magma may be a high-temperature geothermal reservoir. text). More recently, it has become clear that magma can also interact explosively with subsurface water within deep-seated aquifers cut by the volcanic conduit (phreatomagmatic activity) and that at least a small phreatomagmatic phase can occur in practically all types of explosive eruptions ranging from high-energy Plinian (as in Vesuvius prototype of 79 AD), to Vulcanian (La Fossa, Vulcano 1888-1890) and Strombolian (Etna, 2000) [Barberi et al. (1988)]. It has been proposed [Sheridan and Wohletz (1983)] that hydromagmatic explosions are the natural equivalent of the so-called fuel-coolant interaction, an explosive physical process observed in industrial contexts when a hot liquid (the fuel) accidentally comes into contact with a cold vaporizable liquid (the coolant). The explosion results from the rapid conversion of thermal energy into mechanical energy, produced by the sudden vaporization of the coolant, possibly at a superheated liquid state. In hydromagmatic explosions, magma is the fuel and water the coolant. G é os c i e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 saturation surface Figure 1: Processes occurring in volcanic conduits during explosive eruptions. At the saturation surface, magma is saturated in volatile components. Gas bubbles start to nucleate at a slightly higher level (exsolution surface). Magma fragmentation occurs when gas occupies 70-80% of the volume (fragmentation surface). Here the magma suddenly transforms from a liquid with suspended bubbles to a gas with suspended fragments of liquid that strongly accelerates towards the vent (after Cashman et al., 2000). the role of non-magmatic water in volcanic hazards 32 Magma interact explosively with subsurface water within deep-seated aquifers. It is important to stress that a simple magma-water contact, such as a lava flow entering the sea or flowing over a glacier, is not sufficient to produce a hydromagmatic explosion (photo 1). Explosive interaction can occur only if the magma is already fragmented by the exsolution of juvenile volatiles, offering a very large contact surface for heat exchange with water. This is supported by the following natural evidence: – in submarine eruptions such as at Capelinhos and Surtsey (photo 2), when the seawater no longer had access to the vent, because this had been insulated by the accumulation and rapid alteration of ash, it became clear that the eruption had a primarily Strombolian explosive character. The primarily fragmented nature of the magma is also confirmed by the vesiculated nature of the juvenile clasts that were emitted; – there are many examples of lava domes which have grown within a crater lake with no explosive interaction with water (e.g. the lava dome that formed in 1971-1972 in the crater lake of the Soufrière volcano on St. Vincent Island): the same is true for lava flows entering water (photo 1); – there are countless examples of effusive eruptions fed by basaltic magma rising along conduits or fissures cut through underground aquifers (e.g. Etna, the Canary Islands, Hawaiian volcanoes) with no explosive activity being generated despite the contact between the (non-fragmented) magma and the water. These basaltic, mostly effusive volcanoes Photo 1: The Stromboli 2007 eruption: a lava flow enters the sea, producing water vaporization but no explosive activity. Photo 1 : L’éruption du Stromboli en 2007 : une coulée de lave atteint la mer, déclenchant la vaporisation de l’eau mais aucune activité explosive. © F. Barberi. display phreatomagmatic explosive phases only when groundwater flows into the conduit above the fragmentation surface of a magma column feeding Strombolian activity [Barberi et al. (1988)] (see header photo). The study of the deposits of many hydromagmatic eruptions has shown that the explosive magma-water interaction causes the following hazard-increasing effects: – an increase in magma fragmentation, with generation of a huge quantity of fine-grained ash and consequent increase in ash dispersal; – a decrease in the ratio between juvenile magma fragments and xenoliths from the country rocks fragmented by the explosions, particularly in phreatomagmatic eruptions; the deep-seated aquifer interacting with the rising magma may be a high-temperature geothermal reservoir, and analysis of the hydrothermal minerals of the ejected xenoliths yields important information on its temperature, thereby providing a valuable tool for geothermal exploration [Barberi et al. (1988)] (see boxed text); – frequently overpressured eruptive jets are emitted (eruptive gas pressure higher than atmospheric pressure), with generation of very dangerous pyroclastic base surges, which are ground-hugging, expanding rings of gas and volcanic debris at the base of an explosion column with a high-velocity horizontal component. Eruptions resulting from the explosive interaction of magma with groundwater are fairly common. Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2011 le rôle de l’eau non magmatique dans le risque volcanique 33 Photo 2: Left: The submarine eruption that formed Surtsey Island, south of Iceland, in 1963. Near the end of the hydromagmatic explosive phase ( jet of steam laden with black ash), the seawater no longer had access to the vent, and it became clear that the magma interacting with water was primarily fragmented ( jet of glowing fragments). © J.-F. Guest. Right: Also in the 2001 phreatomagmatic activity of Etna, the magma interacting with groundwater was primarily fragmented ( jet of glowing scoriae). © M.-L. Carapezza. Photo 2 : À gauche : L’éruption sous-marine qui a donné naissance à l’île de Surtsey, au sud de l’Islande, en 1963. Vers la fin de la phase hydromagmatique explosive (jet de vapeur chargé de cendres noires), l’eau de mer n’avait plus accès à la cheminée. Il s’est avéré que le magma, avant son interaction avec l’eau, était fragmenté (jet de fragments incandescents). © J.-F. Guest. À droite : De même lors de l’activité phréatomagmatique de l’Etna en 2001, le magma entrant en interaction avec les eaux souterraines était déjà fragmenté (jet de scories incandescentes). © M.-L. Carapezza. >Phreatomagmaticeruptions andgeothermalexploration In order for a high or medium enthalpy geothermal field to be capable of generating electricity, all the following elements must be present: (a) a deep heat source transferring heat to the overlying rocks and their fluids; this source is provided by a recent shallow magmatic intrusion or volcanic magma chamber; (b) a geothermal reservoir, i.e. an adequate volume of fractured permeable rocks containing the hot fluid that will be extracted to the surface by wells; (c) a cover of impermeable rocks atop the reservoir, to prevent heat dissipation. The geothermal exploration activity consists first in ascertaining the existence of these elements through geological, geochemical and geophysical investigations, after which the reservoir is tested via high-cost deep drilling. In volcanic areas, where most of the geothermal systems are located, important low-cost information on the presence of a deep-seated reservoir and on its temperature (T) can be obtained by studying the volcanic products emitted during phreatomagmatic eruptions, i.e. generated by the explosive interaction of magma with a deep aquifer. These products contain abundant fragments of the rocks hosting the aquifer and of its impervious cover, which thus can be easily recognized. In addition, the study of the hydrothermal minerals, i.e. minerals produced by the circulation of hot water through the underground rocks, provides information on the permeability and T of these rocks. Basically three main hydrothermal zones can be recognized: (1) argillitic, characterized by the dominance of such clay minerals as montmorillonite, which is stable at T<150-180 °C; (2) phyllitic, dominated by phyllosilicates such as chlorite and sericite; (3) propylitic, with dominant Ca-Al silicates such as epidote, albite, etc., which form at T>200-220 °C. The first two zones are impermeable and constitute the cap-rock of the geothermal system, whereas the third can maintain fracture permeability and represents the typical reservoir of a high enthalpy geothermal field. n Geothermal reservoir Rain water Rain water Hot water Hot rock Phreatomagmatic plume of the Grimsvötn volcano (Iceland), in May 2011. Panache phréatomagmatique du volcan Grimsvötn (Islande), mai 2011. © T. Gudmundsson, Univ. of Iceland. Hot rock General scheme of a high-temperature geothermal field. Meteoric rain water infiltrates and is heated at the contact with hot rocks near the magmatic source. Geothermal production is enhanced by natural fracturation of the rocks. Schéma de principe d’un gisement géothermique de haute température. L’eau de pluie s’infiltre et se trouve réchauffée au contact de la roche portée à haute température par la proximité du réservoir magmatique. La production géothermale est facilitée par la fracturation naturelle des roches. Source : La géothermie, collection Enjeux des Géosciences, BRGM Editions, 2005. le rôle de l’eau non magmatique dans le risque volcanique Photo 3: Fine-grained phreatomagmatic surges emitted at the end of large Plinian eruptions. Left: The transition from pumice fragments to fine surges in the Minoan eruption of Santorini, Greece. Right: The pyroclastic surges on the caldera rim of Tambora volcano, Indonesia, emitted in the final phreatomagmatic phase of the 1815 eruption. Phreatomagmatic eruptions resulting from the explosive interaction of magma with groundwater are fairly common volcanic phenomena, although their energy and eruptive dynamics may differ considerably. There are some common fundamental aspects controlling the incorporation of subsurface water into these explosions: the explosive interaction with water, for the reasons already discussed, can occur only if the magma is primarily fragmented. Therefore it can occur only with aquifers located at depths lower than that of the magma-fragmentation surface in the conduit. The magma-water interaction can take place only if the volatile pressure of the fragmented magma in the conduit is lower than the hydrostatic pressure of the involved aquifer. The different behaviours observed in phreatomagmatic explosive eruptions are mostly controlled by the depth of the magma fragmentation surface in the conduit, which is in turn an expression of intrinsic properties of the magma, such as juvenile volatile content, viscosity and the solubility of volatiles in the melt. In high-energy explosive eruptions (Plinian or sub-Plinian), the phreatomagmatic phase, when present, characteristically occurs at a late stage after an important initial magmatic phase producing pumice fallout and pyroclastic flows, during which most of the juvenile gases are released. There are very many examples of this behaviour, e.g. all the Plinian or sub-Plinian eruptions of Vesuvius [Sheridan et al., (1981)], the big 1815 eruption of Tambora in Indonesia and the famous 17th Century BC Minoan eruption of Santorini in Greece (photo 3). In these eruptions, the magma fragmentation surface was very deep, near or at the magma chamber level as indicated by the erupted xenoliths [Barberi et al. (1988)]. Under such conditions, the initial volatile pressure in the conduits is high, well above the hydrostatic pressure, and the interaction with water cannot take place until late in the eruption when the juvenile gases are nearly exhausted. It has to be noted that pyroclastic base surges produced in this late phreatomagmatic phase may travel farther than the early magmatic © F. Barberi. G é o s c i e nce s • nu mé ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 Explosive phreatomagmatic eruptions Photo 3 : Déferlantes phréatomagmatiques à grains fins émises en phase finale des grandes éruptions pliniennes. À gauche : La transition fragments de pierre ponce et déferlantes fines lors de l’éruption minoenne du Santorin, Grèce. À droite : Déferlantes pyroclastiques émises en phase phréatomagmatique finale sur la marge de la caldeira du volcan Tambora en Indonésie (éruption de 1815). 35 Photo 4: The plaster cast of the body of a Pompeii inhabitant killed by the final phreatomagmatic pyroclastic surges of the Vesuvius 79 AD eruption. Photo 4 : Moulage en plâtre du corps d’un habitant de Pompéi tué par les derniers déferlements pyroclastiques de l’éruption du Vésuve en 79 AD. the role of non-magmatic water in volcanic hazards >L’éruptionphréatomagmatiqueduvolcanEyjafjöll Jacques Varet – Conseiller du Président, BRGM – [email protected] L’éruption du volcan islandais Eyjafjöll a fortement perturbé le trafic aérien pendant plusieurs mois en 2010. Une activité sismique a commencé à se manifester fin 2009 et s’est brutalement intensifiée le 26 février suivant, premier signe avant-coureur de l’éruption. Dans une première phase, l’éruption était principalement effusive avec des fontaines de laves basaltiques atteignant 200 mètres de hauteur. De type sub-aérien classique, située dans une zone dépourvue de couverture glaciaire, elle s’est poursuivie jusqu’au 12 avril. Une soudaine reprise de l’activité est observée plus à l’ouest, sous couverture glaciaire à partir d’une fissure N-S de 2 km de long. Les caractéristiques de l’éruption ont alors soudainement changé : de l’eau fondue émise sous la calotte glaciaire et un panache éruptif de cendres sont observés dès le matin du 14 avril ; d’importantes coulées boueuses se développent, ces phénomènes résultant de l’interaction de la lave avec la glace. Cette deuxième phase se traduit également par une modification de la nature des laves, qui s’enrichissent en silice et présentent un caractère plus explosif. Le contact de la glace (0 °C) et du magma explosif (à plus de 1 000 °C) détermine une éruption phréatomagmatique(1) avec la formation d’un panache de cendres qui a pu atteindre 10 000 mètres d’altitude. 36 L’Islande est avec l’Afar – également un « point chaud » – le seul segment émergé de dorsale océanique. Une des zones les plus actives de la planète où l’on observe régulièrement des phénomènes tectoniques, volcaniques et phréatiques spectaculaires. Mais, se produisant à l’air libre, ils n’ont pas les mêmes caractéristiques que sous plusieurs milliers de mètres de fonds marins. Dans le cas de l’Islande, la couverture glaciaire joue en outre un rôle déterminant. Lorsque l’épaisseur de glace est importante, l’éruption peut rester sous-glaciaire, constituant ces thuyas aux formes caractéristiques (très fortes pentes) ; lorsqu’elle est plus modeste, apparaissent ces émissions atmosphériques de grande ampleur, inhabituelle pour les dorsales, sauf lorsqu’elles se produisent à faibles profondeur, comme ce fut le cas aux Açores (éruption du Capelinhos, île de Faial, Açores, documentée par H. Tazieff en 1957-1958) ou au sud de l’Islande (éruption de Surtsey, 1963-1967). Le panache de cendres en route vers l’Europe, tel qu’il fut visible par les satellites le 15 avril 2010 vers midi. The cinder plume headed for Europe as it appeared on April 15, 2010, midday, on satellite images. © Photo/NEODAAS/University of Dundee. Le volcan Eyjafjöll se situe à l’extrémité méridionale du segment de dorsale traversant l’Islande de part en part selon un axe nord-sud. Cette dorsale est relayée, à l’ouest, par un système volcano-tectonique disposé « en échelon », jusqu’à la péninsule de Reykjanes d’où elle se prolonge dans l’océan par la dorsale médio-atlantique. Morphologiquement, l’Eyjafjöll est un édifice allongé en direction est-ouest qui constitue plutôt l’équivalent d’une zone de fracture que d’une dorsale ; ses laves de type alcalines(2) avec différenciation magmatique vers des compositions trachytiques sont bien différentes des basaltes fissuraux de l’axe occidental de Reykjanes. n L’éruption phréatomagmatique du volcan Eyjafjöll le 15 avril 2010. (1) – www.brgm.fr/dcenewsFile?ID=1097 (2) – Barberi F., Bonatti E., Marinelli G. & Varet J. (1974) – Transverse tectonics during the split of a continent data from the Afar Rift. Tectonophysics, 23, p. 17-29. Phreatomagmatic eruption at Eyjafjöll on April 15, 2010. © quitsmokingaidsreviewed.info. le rôle de l’eau non magmatique dans le risque volcanique pyroclastic flows, as was the case during the 79 AD Vesuvius eruption, when most of the Pompeii inhabitants who survived the initial phase of the eruption were killed in the late phreatomagmatic phase (photo 4). In other phreatomagmatic eruptions, such as at Monte Nuovo (Campi Flegrei, Italy in 1538 and at La Fossa, Vulcano Island in 1888-1890), the explosive water-magma interaction occurred in an early phase. In both cases, the nature of the lithic ejecta indicates that the magma fragmentation surface was very shallow and that interaction occurred with shallow aquifers either confined or not. At La Fossa, the reason for the early interaction has been found in initial phreatic explosions that reduced the overburden, creating immediate conditions of volatile pressure in the conduit lower than the hydrostatic pressure of even a shallow aquifer. Finally we should mention that the phreatomagmatic phase of an explosive eruption may evolve in very different ways, depending on the hydrogeological (availability of water) and the primary magmatic conditions (basically the juvenile gas content and gas solubility in the melt). Two contrasting behaviours have been observed: a) the quantity of water interacting with the magma decreases with time. A transition is observed from wet (coexistence of steam and liquid water) to dry (presence of only superheated steam) phreatomagmatic products and then to magmatic tephra. This transition has been observed only when the interaction occurs within shallow aquifers (e.g. Campi Flegrei; Vulcano); b) the quantity of interacting water increases with time. An inverse transition from magmatic tephra to dry and then to wet phreatomagmatic tephra is observed. This behaviour seems typical of interaction with deep aquifers having a good transmissivity (e.g. Vesuvius Plinian eruptions). Phreatic explosions may precede and even favour a true volcanic eruption. Volcanic mud flows (lahars) Another aspect of the role of external water in enhancing volcanic hazards is the generation of very dangerous mud-flows, called “lahar” by volcanologists from the Indonesian term. Lahars are water flows laden with solid materials of volcanic origin (ash, lapilli, blocks) or taken from the soil as they flow downhill. They can travel for long distances at velocities of up to 30 meter per second, destroying everything in their path. The most common mechanisms of lahar generation are summarized hereinafter. Eruptions in a crater lake Typical examples are those of Kelut in Indonesia, Taal in the Philippines and Ruapehu in New Zealand, where sub-lacustrine eruptions suddenly empty the water of the crater lake, generating catastrophic floods. In 1919, the violent emission of 39 million cubic meters of water from the Kelut crater lake caused the destruction of 104 villages with 5110 victims up to 30 km from the volcano. In order to prevent the risk of new lahars, the Dutch excavated a drainage tunnel to maintain the water in the lake at a low level. This has long been considered the first work of the mankind to reduce volcanic risk, but actually a similar work, with the same purpose, had been carried out in the 4th Century BC by the Romans at the Albano crater lake, near Rome. Melting of glaciers atop the volcano The 1985 explosive eruption of Nevado del Ruiz in Colombia melted tens of millions of cubic meters of the summit glacier. A flood was generated with a discharge peak estimated at 30,000 cubic meters per second, that destroyed the village of Armero, 70 km from the crater, causing 2500 victims. Tremendous destructions were caused in 1877 and 1980 by lahars generated by the eruptive melting of the summit glacier of respectively the Cotopaxi volcano in Ecuador and Mt. St. Helens volcano in USA. The study of these and other similar eruptions has shown that in order to obtain, by the melting of ice, the quantity of water needed to produce a lahar, pyroclastic flows must be emitted by the volcano, i.e. high-temperature gas clouds laden with glowing magma fragments which flow very rapidly over wide zones of the glacier surface. A simple lava flow cannot generate a lahar, for its contact surface with the glacier is too small. Géosci ences • n u méro 13 • ju i l l et 2011 37 the role of non-magmatic water in volcanic hazards Mobilization by heavy rains of loose volcanic material deposited on steep slopes All high-energy explosive eruptions deposit thick layers of loose volcanic deposits made of ashes, scoriae and lapilli on the flanks of the volcano and of the down-wind relief. This material may be mobilized by heavy syn- or post-eruption rains and transported down valleys as dense mud flows. The mobilization by rain of loose pyroclastic material deposited on the volcano’s steep slopes by the 1992 eruption of Pinatubo, in the Philippines, generated great lahars in the following two years. Lahars of this type have been generated in many explosive eruptions of Vesuvius and in May 1998, 54 years after its most recent eruption, 160 persons were killed by mud flows caused by rain transporting old pyroclastic tephra on the steep Apennines slopes. Steam explosions from geothermal reservoirs 38 Finally, in this short review devoted to the role of external water in volcanic hazards, we should mention the so-called phreatic eruptions or explosions, although many of them arise from shallow confined geothermal reservoirs without involving magma, like the explosion that occurred in 1282 at the geothermal (non-volcanic) field of Larderello, Italy. Phreatic eruptions are localized phenomena that only affect a limited area surrounding the explosive vent. In densely populated zones, however, they may represent highly dangerous events. Aside from the hazard due to the fall of solid blocks ejected by the explosions (e.g. Etna, 1979: 9 deaths; Agua Shuca, El Salvador, 1990: 26 deaths), the major dangers connected with phreatic eruptions are: – the discharge of gas clouds rich in carbon dioxide: e.g. Dieng, Indonesia, 1987, 147 victims; – the production of base surges, lahars and directional blasts, sometimes accompanied by debris avalanches: e.g. Bandai, Japan,1888, 461 victims. Phreatic explosions occur when the steam and gas pressure within a confined, shallow, high-temperature geothermal reservoir exceeds the lithostatic pressure of the impermeable rock cover. This may happen Photo 5: Left: Phreatic explosion at Guagua Pichincha volcano, Ecuador, in 1981. Right: The Stephanos phreatic explosion crater in the island of Nisyros, Greece. Photo 5 : À gauche : Explosion phréatique au volcan de Guagua Pichincha, Équateur, en 1981. À droite : Cratère de l’explosion phréatique de Stephanos, sur l’île de Nisyros, en Grèce. © F. Barberi. Le rôle de l’eau non magmatique dans le risque volcanique An eruption of Mount Etna (Sicily, Italy). Ash laden with water vapour rising from the crater while the anhydrous basalt magma flows out through a lateral crack. Éruption de l’Etna (Sicile, Italie). Des cendres chargées en vapeur d’eau sortent du cratère tandis que le magma basaltique anhydre est émis par une fissure latérale. © BRGM Im@gé, P. Lachassagne, 12 mars 2000. because of an increase in steam production within the confined aquifer due to seismic events, which reduce the lithostatic load by fracturing the cover and/or increase the heat flux by deep hot fluid ascent through the fractured basement. An example is the 1976-1977 seismo-phreatic crisis of La Soufrière in Guadaloupe. In volcanic areas, the heating of the shallow confined aquifer generating the steam overpressure can be due to magma uplift, and in this case the phreatic explosions may precede and even favour a true volcanic (magmatic or phreatomagmatic) eruption because they reduce the lithostatic load, as occurred in 1888 at Vulcano (Italy), in 1980 at Mt. St. Helens (USA) and in 1985 at Nevado del Ruiz (Colombia). The phreatic explosions at active volcanoes with magma at a high level in the conduit, such as those of 1979 at Etna and of 1924 at Kilauea, Hawaii, are caused by infiltration from the surface of meteoric water or of the water of a crater lake (e.g. Ruapehu, New Zealand, 1969 and 1975) down to very hot fractured rocks, the impervious cover often being created by the plugging of the conduit due to wall collapses. A review of 132 phreatic historic events [Barberi et al. (1992)] shows that most of these (115) were not followed by magmatic or phreatomagmatic eruptions. Phreatic explosions characteristically produce a wide crater with a breccia ring, made of fragments of the rocks hosting the hot aquifer and of its impervious cover, with no juvenile magmatic material (photo 5). The study of the hydrothermal minerals of these ejecta provides useful information on the temperature of the confined geothermal aquifer. n L’interaction explosive entre le magma et les eaux de surface – mers, lacs, glaciers – ou souterraines recoupées par le conduit volcanique donne naissance à des jets violents, souvent sous haute pression et dangereux, de vapeur chargée de cendres fines (activité hydromagmatique ou phréatomagmatique). Cette interaction n’a lieu que si le magma mis en contact avec l’eau est déjà fragmenté (activité volcanique explosive) de sorte qu’une surface de contact importante existe entre le magma et l’eau, facilitant ainsi un transfert efficace de la chaleur. Des cendres sont produites par une fragmentation explosive consécutive du magma et de la roche encaissante. L’étude des fragments éjectés lors d’éruptions phréatomagmatiques permet d’évaluer par ailleurs l’intérêt de l’aquifère d’un point de vue géothermique. Les phénomènes volcaniques les plus dévastateurs sont les lahars (ou coulées de boue) résultant des éruptions explosives sous-lacustres, de la fonte de glaciers au sommet des volcans, ou du transport par les eaux de pluie de débris volcaniques non consolidés provenant de cônes volcaniques à pentes raides ou de montagnes avoisinantes. Dans des aquifères géothermaux peu profonds confinés sous une couverture de roches imperméables, la réduction de la charge lithostatique, du fait de la fracturation sismique ou de l’augmentation du flux de chaleur provenant du magma ascendant, peut déclencher des explosions phréatiques accompagnées d’émissions dangereuses d’éjecta solides et de nuées mortelles de dioxyde de carbone. References: Barberi F., Navarro J. -M., Rosi M., Santacroce R., Sbrana A. (1988) – Explosive interaction of magma with groundwater: insights from xenolithes and geothermal drillings. Rend. Soc. It. Mineral. Petrol., Vol. 43-4, p. 901-926. – Barberi F., Bertagnini A., Landi P., Principe C. (1992) – A review on phreatic eruptions and their precursors. J. Volcanol. Geotherm. Res., Vol. 52, p. 231-246. – Cashman K. -V., Sturtevant B., Papale P., Navon O. (2000) – Magmatic fragmentation. In Encyclopedia of Volcanoes, Academic Press, p. 421-430. – Papale P., Neri A., Macedonio G. (1998) – The role of magma composition and water content in explosive eruptions I. Conduit ascent dynamics. J. Volcanol. Geotherm. Res., Vol. 85, p. 75-93. – Sheridan M.-F., Barberi F., Rosi M., Santacroce R. (1981) – A model for Plinian eruptions of Vesuvius. Nature, Vol. 298, p. 282-285. – Sheridan M.-F., Wohletz K.-H. (1983) – Hydrovolcanism: basic considerations and review. J. Volcanol. Geotherm. Res., Vol. 17, p. 1-29. la convection hydrothermale et les ressources associées Au niveau des dorsales océaniques, les fumeurs noirs rejettent un fluide sulfuré à des températures relativement constantes, autour de 350-380 °C. Les propriétés physiques de l’eau, si particulières, expliquent ce phénomène. Sur les continents, les systèmes géothermaux montrent tous des signatures thermiques typiques de la convection hydrothermale. L’étude de ce phénomène complexe et discontinu, par le biais de la modélisation numérique, permet de mieux comprendre les circulations de fluide, et donc les caractéristiques des ressources minérales et énergétiques associées. La convection hydrothermale et les ressources associées métallogénie 40 Les circulations de fluides dans la croûte Laurent Guillou-Frottier Géophysicien Service des Ressources Minérales – BRGM [email protected] Cheminées hydrothermales au large des îles de Wallis-etFutuna, identifiées lors de la campagne océanographique Futuna 2010. Ici, le rejet des fluides sulfurés s’est arrêté, démontrant le caractère transitoire des circulations hydrothermales. Quelques kilomètres plus loin, les cheminées actives rejettent un fluide sombre à 347 °C. © J. Gouin, communication personnelle, membre de la campagne Futuna 2010. Hydrothermal chimneys off the Wallis-et-Futuna Islands, identified during the Futuna 2010 oceanographic campaign. Here, the discharge of sulphide-rich fluids has ceased, showing the transient character of hydrothermal circulation. A few kilometers away, active chimneys release black fluid at 347°C. © J. Gouin, pers. comm., member of the Futuna 2010 campaign. L’ eau circule à la surface de la Terre, dans les profondeurs de la croûte terrestre ainsi que dans le manteau sous-jacent, notamment par le biais des zones de subduction (voir article Jolivet, ce volume). Mis à part les écoulements créés par la topographie (ruissellement et infiltration des eaux superficielles), le moteur de la circulation des fluides dans la croûte profonde peut être thermique ou mécanique, c’est-à-dire que des différences de température, ou des différences de pression, vont guider les écoulements des fluides. En revanche, les propriétés physiques du fluide et de la roche peuvent freiner ou accélérer ces circulations, tout comme les réactions chimiques liées aux interactions entre l’eau et la roche (dissolution et précipitation). Enfin, l’état du fluide (liquide, gazeux, ou supercritique) peut influencer fortement la dynamique des écoulements. Ainsi, la circulation des fluides crustaux fait intervenir des processus physiques et chimiques qui interagissent les uns avec les autres (voir article Pichavant, ce volume). Le long des dorsales océaniques, par exemple, les roches du manteau sont altérées par l’eau de mer (serpentinisation), et les transformations minérales qui en résultent correspondent à des réactions fortement exothermiques. Ce dégagement de chaleur très important alimente à son tour le moteur thermique des circulations de fluide, et le processus de hydrothermal convection and associated resources Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 41 serpentinisation peut alors s’auto-entretenir. Sur les continents, l’altération hydrothermale des granites fait également intervenir des réactions fortement exothermiques, comme la chloritisation de la biotite, ce qui pourrait expliquer la présence d’eaux tièdes à faible profondeur. La compréhension de ces phénomènes couplés nécessite la simulation numérique des écoulements, en prenant en compte au mieux les conditions physico-chimiques du fluide et des roches encaissantes. Les vitesses de circulation des fluides peuvent s’échelonner de quelques cm/an (remontées de fluides chauds dans les zones fracturées) à plusieurs m/s (geysers et fumerolles, photo 1). Selon des études expérimentales récentes, la croissance cristalline nécessiterait des vitesses locales des fluides de plusieurs dizaines de m/an [Sizaret et al. (2009)]. Le caractère discontinu de ces circulations pourrait expliquer ces différences, ce qui souligne l’importance de simuler les écoulements en régime transitoire. Les ressources hydrothermales de la Terre, qu’elles soient minérales ou énergétiques, se concentrent là où les circulations de fluide sont les plus « efficaces ». Par exemple, un refroidissement rapide des fluides minéralisés pourra conduire à la formation d’un gisement métallifère, et une remontée rapide de fluides chauds concentrera une ressource géothermale potentielle. Il est donc essentiel de comprendre la dynamique et l’évolution temporelle de ces systèmes pour mieux évaluer, voire prédire, le potentiel de ces ressources hydrothermales. Photo 1 : Geyser de Geysir, en Islande, éjectant de la vapeur d’eau à plusieurs dizaines de mètres de haut. Photo 1: The Geysir geyser, in Iceland, ejecting hot water and steam up to several tens of meters. © F. Michel, BRGM Im@gé Le moteur de la circulation des fluides dans la croûte profonde peut être thermique ou mécanique. G é o s c i e nce s • nu m éro 1 3 • j u il l et 2 0 11 41 la convection hydrothermale et les ressources associées >Unetempératuremaximalepourlesfumeursnoirs Quelle que soit la température du magma sous-jacent, les fluides hydrothermaux sulfurés provenant des cheminées hydrothermales de la croûte océanique (les fumeurs noirs) ont des températures qui ne dépassent pas 400 °C, et qui sont le plus souvent comprises entre 350 et 380 °C. Parmi diverses hypothèses, il apparaît que les propriétés physiques du fluide hydrothermal fournissent la meilleure explication. Lorsque le fluide passe de 10 à 200 °C, sa densité ne baisse que de 10 % alors que sa viscosité décroît d’un facteur 10, facilitant la descente de fluides à 200 °C. La densité chute à partir de 300 °C environ, ce qui favorise fortement l’ascension. En fait, il apparaît que la résistance hydraulique est minimale à 400 °C pour l’écoulement ascendant, et minimale à 200 °C pour l’écoulement descendant. Ces températures permettent donc de maximiser l’efficacité du transport énergétique. n 1 000 10-3 Densité r (kg/m3) 800 r 600 400 µ 200 o 200 b) 42 10-4 400 600 800 1 000 1 200 Température (°C) Viscosité µ (Pa.s) a) a) Densité et viscosité dynamique de l’eau pour une pression de 30 MPa (environ 3 km de profondeur) ; b) Modèle numérique de circulation hydrothermale dans un fumeur noir, où les isothermes 100, 300 et 380 °C sont représentées (bleu, orange et vert clair) et où les flèches illustrent le flux massique. D’après Coumou et al. (2008). a) Water density and dynamic viscosity at a pressure of 30 MPa (at depths of approximately 3 km); b) Numerical model of hydrothermal circulation in a black smoker, where 100, 300 and 380°C isotherms are illustrated (blue, orange and light green) as well as mass fluxes (arrows). After Coumou et al. (2008). hydrothermal convection and associated resources Bien qu’à la surface de la croûte terrestre la chaleur s’évacue principalement par conduction thermique, des conditions géologiques locales particulières peuvent mener aux transferts de chaleur par convection thermique. La convection hydrothermale est un mode de transfert de chaleur qui s’effectue par le mouvement des fluides. Lorsqu’un fluide est chauffé, sa densité diminue, et la force d’Archimède qui en résulte peut l’emporter sur les forces résistantes au mouvement, comme celle due à la viscosité du fluide ou à une perméabilité trop faible. Dans ce cas, le système évacue sa chaleur par la circulation du fluide : les fluides chauds légers remontent, se refroidissent en surface du système, deviennent alors suffisamment froids et denses pour redescendre vers la base du système convectif. Les variations locales du flux de chaleur océanique reflètent les circulations convectives de fluide hydrothermal, celles-ci comprenant des circulations latérales de grande échelle, ainsi que des écoulements verticaux localisés au niveau des cheminées hydrothermales. Lorsque les fluides qui sont expulsés de ces cheminées sont riches en sulfures (les fumeurs noirs) leurs températures sont comprises entre 350 et 380 °C, et ce quelle que soit la température du magma sous-jacent. Ce phénomène a été expliqué grâce à des simulations numériques qui prennent en compte les propriétés physiques des fluides hydrothermaux (encadré p. 42), mais également par des études de géo-thermobarométrie de ces systèmes [Fontaine et al. (2009)]. À la surface des continents, le flux de chaleur montre également des variations qui peuvent être dues à la présence d’une chambre magmatique sous-jacente. Les températures alors engendrées peuvent faire remonter les fluides crustaux par instabilité gravitaire au travers des zones les plus perméables. Les systèmes hydrothermaux continentaux sont qualifiés de systèmes géothermaux dès que les conditions profondeurtempérature permettent, économiquement, une exploitation de leur chaleur. À titre d’exemple, le réservoir géothermal de Bouillante en Guadeloupe correspond à un système en convection hydrothermale où des températures de 250 °C sont présentes à 600 mètres de profondeur. Si les systèmes géothermaux n’ont pas tous les mêmes températures (voir article Barberi et Carapezza, ce volume), les allures des profils thermiques verticaux qu’on y mesure (figure 1) montrent tous un gradient thermique faible au sein du réservoir, ce qui reflète l’homogénéisation thermique créée par la circulation convective. Fig. 1 : Géothermes mesurés dans des forages d’exploration géothermique (traits pleins) en comparaison avec un géotherme sans convection thermique (trait pointillé). Fig. 1: Temperature profiles (solid lines) measured in geothermal exploration boreholes compared with a temperature profile where no convection occurs (dotted line). 43 Géo sci ences • n u méro 13 • ju i l l et 2011 La convection hydrothermale la convection hydrothermale et les ressources associées z=0 Unité supérieure peu perméable • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • Aquifère (Bundsandstein) ++++++++++++++ +++++++++++++ Granite homogène perméable Forte production de chaleur +++++++++++++ ++++++++++++++ + + +Granite + + + + homogène +++++++ + + + perméable ++++++++ moins + + + Production + + + + + + +de + chaleur + + + + +plus + + faible ++++++ ++++++++++++++ +++++++++++++ Granite peu perméable +++++++++++++ 5 km + + + + + + + + + + + + + + Les simulations permettent de délimiter les zones possédant un potentiel important. Fig. 2 : En haut, données de température dans le graben du Rhin et profil mesuré à Soultz-sous-Forêts (trait plein) ; structure géologique simplifiée à droite. En bas, modèle numérique de convection hydrothermale. Le profil thermique obtenu en présence de convection (en vert) reproduit les mesures. Fig. 2: Top: temperature data in the Rhine graben with the temperature profile measured at Soultz-sous-Forêts (solid line); right: simplified geological structure. Bottom: numerical model of hydrothermal convection. The temperature profile obtained where convection occurs (green line) fits the measured temperature profile. hydrothermal convection and associated resources Néanmoins, la reproduction de données à partir de simulations numériques ne suffit pas à valider le modèle proposé : d’une part, plusieurs modèles peuvent aboutir au même résultat, et d’autre part plusieurs hypothèses simplificatrices peuvent être avancées (fluide non salé, monophasique, pas d’apport extérieur, etc). Aujourd’hui, les codes numériques les plus poussés fonctionnent avec des équations d’état du fluide qui prennent en compte les variations de composition (proportions entre H2O, NaCl et CO2), mais aussi les changements d’état (liquide, vapeur ou état supercritique) en fonction de la pression et de la température [Ingebritsen et al. (2010)]. Fig. 3: a) Temperatures (top) interpolated over a 200 km long, west-east section of France’s South-East Basin cutting across 4 faulted zones (dotted lines), and associated thermal anomalies (bottom); b) Models of hydrothermal convection in a faulted zone with variable permeability. The three cases, depicting, right to left, 4, 6 and 8 convective cells, correspond to different numerical procedures chosen to obtain a solution. En dehors des systèmes géothermaux, des circulations de fluides chauds au sein des zones fracturées ont été suggérées pour expliquer les signatures thermiques identifiées à partir de mesures en fond de forage pétrolier [Garibaldi et al. (2010)]. En particulier, la superposition d’anomalies positives et négatives de l’ordre de ± 20 °C par rapport à la moyenne régionale (figure 3a) peut s’expliquer dans le cadre de la convection hydrothermale, dès que la diminution de la perméabilité avec la profondeur est prise en compte (figure 3b). En réalité, les zones faillées représentent bien des couloirs perméables, mais sur une période déterminée. Les successions d’épisodes de cristallisation et de dissolution font que la perméabilité est une propriété physique qui dépend du temps, ce qui modifiera inéluctablement la dynamique du système hydrothermal. G é o s c i e n ce s • n u m é ro 1 3 • j u il l et 201 1 Ces profils thermiques servent de données de calage pour les modélisations numériques qui tentent de reproduire la physique de la convection hydrothermale. La figure 2 illustre un exemple numérique de la circulation hydrothermale générée au sein d’un granite perméable. En considérant un modèle géologique, certes simplifié, mais contraint par les observations de terrain et des mesures sur échantillons, ce cas particulier pourrait correspondre au système géothermal de Soultz-sous-Forêts, car les données thermiques sont reproduites par la simulation. Fig. 3 : a) Températures (haut) interpolées sur une coupe ouest-est du bassin du Sud-Est de la France, de largeur 200 km, traversant 4 zones faillées (traits pointillés), et anomalies thermiques associées (bas) ; b) Modèles de convection hydrothermale dans une zone faillée de perméabilité variable. Les trois cas, qui montrent de gauche à droite 4, 6 et 8 cellules convectives, correspondent à différentes procédures numériques choisies pour obtenir une solution. 45 la convection hydrothermale et les ressources associées 46 Selon les récentes modélisations en régime transitoire, les anomalies thermiques générées laissent leur empreinte thermique pendant plusieurs dizaines de milliers d’années après la fin des écoulements. Ainsi, les mesures de température réalisées aujourd’hui peuvent apporter des informations sur les paléocirculations de fluides. Malgré les progrès réalisés dans la compréhension de la convection hydrothermale, le phénomène reste difficile à modéliser. Les exemples montrés en figure 3b correspondent aux mêmes paramètres physiques, mais la procédure numérique choisie pour arriver à une solution stable est différente. Autrement dit, on obtient différentes solutions stables pour un même jeu de paramètres, ce qui rend la compréhension de ces phénomènes encore plus complexe. D’autres ressources hydrothermales énergétiques ? La circulation des fluides de la croûte peut s’effectuer à différentes échelles. L’anomalie géothermique de Soultz-sous-Forêts pourrait ne représenter que l’un des chemins verticaux empruntés par les fluides circulant dans l’ensemble du graben du Rhin. Les mesures de températures dont nous disposons ne sont pas toutes corrigées de façon homogène, et les incertitudes peuvent atteindre 20 à 30 °C à 2 km de profondeur. En d’autres termes, il n’est pas exclu que d’autres systèmes géothermaux exploitables existent en Alsace, mais leur exploration doit commencer par une mise à jour des corrections des données disponibles. De la même manière, la recherche d’autres sites géothermiques exploitables en Guadeloupe est dépendante de la compréhension du système magmatique-hydrothermal de Bouillante. La grande inconnue reste la géométrie du réservoir magmatique sous-jacent, car si une seule poche magmatique peut n’engendrer qu’une ascension de fluide géothermal, une intrusion magmatique allongée, qui correspondrait à une ramification latérale souterraine, comme sous le Kilauea à Hawaï, pourrait déclencher plusieurs remontées de fluide hydrothermal (figure 4). D’autres ressources hydrothermales minérales ? Comme pour les ressources géothermales, la potentialité de découvrir de nouvelles ressources minérales dépend également de la compréhension des mécanismes de circulation des fluides crustaux. Fig. 4 : En haut : modèle géologique simplifié de Bouillante, avec un réservoir magmatique de taille variable. Au-dessous, modèles de convection hydrothermale à Bouillante dans le cas d’une poche magmatique isolée (milieu) ou d’un réservoir allongé de 6 km de rayon (en bas). Les courants ascendants (bleu clair) ont tous une température moyenne de 250 °C. Fig. 4: Top: Simplified geological model of the Bouillante area, with a magma reservoir of variable size. Below: Numerical models of hydrothermal convection in the case of a small (middle) or a 6 km-long (bottom) magma reservoir. All upwellings (light blue) present average temperatures around 250 °C. Hydrothermal convection and associated resources La centrale géothermique de Soultz-sous-Forêts exploite la chaleur profonde des granites sous le graben du Rhin ; cette chaleur est apportée par les fluides chauds circulant dans le granite fracturé. Soultz geothermal plant (EGS: enhanced geothermal system) is exploiting the heat from deep granite underneath the Rhine graben; this heat comes from hot fluids flowing through the fractured granite. © BRGM Im@gé. Les gisements aurifères orogéniques, qui se localisent le long des grandes failles crustales montrent une répartition plus ou moins régulière, avec des espacements d’environ 20, 45, et 50 km pour les failles de Boulder-Leroy en Australie, de Cadillac au Québec, et d’Ashanti au Ghana, respectivement. Des modèles de convection hydrothermale en trois dimensions ont montré que la variation spatiale de la perméabilité pouvait expliquer la localisation des zones de refroidissement rapide, là où le potentiel de minéralisation est le plus élevé [Harcouët-Menou et al. (2009)]. D’autres modèles récents de convection hydrothermale autour des intrusions granitiques ont permis de retrouver les zones qui ont le meilleur potentiel de minéralisation. Les simulations réalisées prennent alors un caractère prédictif, puisqu’elles permettent ensuite de délimiter d’autres zones possédant a priori un potentiel important, mais qui sont inconnues des gîtologues. Même si la compréhension des circulations hydrothermales ne cesse de progresser, il semble nécessaire de considérer aujourd’hui l’évolution spatiale et temporelle de la perméabilité du système hydrothermal, tout comme le rôle exothermique de certaines réactions chimiques associées aux interactions fluide-roche. Depuis plusieurs années, les études des systèmes hydrothermaux commencent à se multiplier. Il est à noter que ces développements se réalisent parallèlement aux études des réservoirs géothermiques ou à celles des risques associés au stockage de CO2. Dans un futur proche, il est probable que d’autres domaines touchant aux problèmes énergétiques, comme la quantification des flux d’hydrogène émis lors des réactions de serpentinisation de la croûte océanique, bénéficient des simulations numériques des processus hydrothermaux où les réactions chimiques seraient prises en compte. n La potentialité de découvrir de nouvelles ressources dépend également de la compréhension des mécanismes de circulation des fluides. Fluid circulation in the Earth’s crust involves heat and mass transfer mechanisms which could lead to the formation of hydrothermal resources, either energetic or mineral in nature. When temperature contrasts and rock permeability are strong enough, hydrothermal convection sets in and regulates heat and compositional transfer mechanisms. Besides depending on local geological conditions, features of hydrothermal convection are also described by physical properties of fluids and of embedding rocks. In particular, spatial and temporal evolution of rock permeability controls the conditions for fluid circulation. Moreover, permeability can be affected by chemical reactions occurring during hydrothermal convection. On the one hand, mineral transformations resulting from hydrothermal convection can thermally feed the system thanks to the associated heat production, but on the other, they can also slow down fluid circulation by mineral precipitation which induces a permeability decrease. Thanks to numerical modelling of the involved physical mechanisms, such complex processes are now better understood. Thus, studies on the evolution of hydrothermal systems help in understanding the formation of ore deposits and the concentration of anomalously hot fluids at shallow depths. In addition to the difficulties inherent to the numerical modelling of these processes, it now seems necessary to account for the temporal evolution of physical properties, and consequently to consider the role of chemical exothermic reactions involved during water-rock interactions. Bibliographie : Coumou D., Driesner T., and C.-A. Heinrich (2008) – The structure and dynamics of mid-ocean ridge hydrothermal systems, Science, 321, 1825-1828. – Fontaine F.-J., Wilcock W.-S.-D., Foustoukos D.-E., and D.-A. Butterfield (2009) – A Si-Cl geothermobarometer for the reaction zone of high-temperature, basaltic-hosted mid-ocean ridge hydrothermal systems, Geochem. Geophys. Geosys., 10, 5, Q05009, doi:10.1029/2009GC002407. – Garibaldi C., Guillou-Frottier L., Lardeaux J.-M., Bonté D., Lopez S., Bouchot V., and P. Ledru (2010) – Thermal anomalies and geological structures in the provence basin: implications for hydrothermal circulations at depth, Bull. Soc. Geol. Fr., 181, 4, 363-376. – Harcouet-Menou V., Guillou-Frottier L., Bonneville A., Adler P.-M. and V. Mourzenko (2009) – Hydrothermal convection in and around mineralized fault zones: insights from two- and three-dimensional numerical modeling applied to the Ashanti belt, Ghana, Geofluids, 9, 116-137. – Ingebritsen S.-E., Geiger S., Hurwitz S. and T. Driesner (2010) – Numerical simulation of magmatic hydrothermal systems, Rev. Geophys., 48, RG1002, doi: 10.1029/2009RG000287 – Sizaret S., Branquet Y., Gloaguen E., Chauvet A., Barbanson L., Arbaret L. and Y. Chen (2009) – Estimating the local paleo-fluid flow velocity: new textural method and application to metasomatism, Earth Planet. Sci. Lett., 280, 71-82. de nouvelles perspectives pour l’exploitation des ressources géothermales Depuis 2007, la relance de la géothermie basse température, initiée par le Grenelle de l’environnement, permet la réalisation de nouveaux projets de géothermie profonde en Île-deFrance. Grâce à la modélisation des réservoirs, on peut désormais optimiser l’exploitation de la ressource en tenant compte des dispositifs en activité ou à venir. Le schéma d’exploitation utilisé pour le Dogger depuis plus de quarante ans pourrait être appliqué à d’autres aquifères sur l’ensemble des bassins sédimentaires français ou proposé à d’autres pays européens. Vue d’ensemble du chantier sur le site d’Aéroports de Paris à Orly (avril-juillet 2010). An overall view of the Aéroports de Paris drilling site at Orly (April-July 2010). © Aéroports de Paris. De nouvelles perspectives pour l’exploitation des ressources géothermales dogger du bassin de paris 48 Frédérik Bugarel Hydrogéologue, Chef de projets CFG Services* [email protected] Éric Lasne Géochimiste, Directeur de projets Responsable du service Production et Gestion de Chaleur CFG Services* [email protected] Dominique Tournaye Directeur de projets, Responsable du service Ingénierie Géothermique CFG Services (*) [email protected] * Compagnie Française de Géothermie L’ eau dans le système Terre n’est pas seulement importante pour ce qui concerne ses impacts géologiques, ou encore son usage en tant que ressource. C’est aussi un vecteur énergétique essentiel. La géothermie s’est développée jusqu’à ce jour grâce à l’existence de systèmes de circulation hydrothermale et de réserves d’eau chaude stockée dans des réservoirs géothermiques. Nous avons choisi l’exemple du Bassin parisien pour montrer l’importance que peut avoir un bon usage de l’eau présente dans les couches sédimentaires en tant que ressource énergétique, notamment pour le chauffage urbain (ndlr). Deux ans et demi après le lancement du projet, la mise en service, en novembre 2010, du doublet géothermique sur le site d’Aéroports de Paris à Orly (encadrés ci-contre) ouvre l’exploitation d’un nouveau gisement dans l’aquifère du Dogger. Cette ressource est utilisée en région parisienne pour le chauffage et la production d’eau chaude sanitaire (ECS) de logements et de bâtiments collectifs au moyen de réseaux de chaleur. Elle alimente aujourd’hui l’équivalent de 150 000 logements franciliens. Il s’agit de la quatrième opération depuis 2007, mais la deuxième opération nouvelle après celles d’Orly Nouvelet (2007) et de Sucy-en-Brie (2008) qui correspondent à new prospects for geothermal resources exploitation L’opération de géothermie profonde au Dogger sur le site aéroportuaire d’Orly a été menée par les services techniques des Aéroports de Paris et le bureau d’études CFG Services, respectivement pour les aspects valorisation thermique et ressource géothermale. À partir d’une plate-forme unique, proche de la centrale thermique existante, deux puits symétriques, déviés et orientés, ont été forés jusqu’à une profondeur verticale d’environ 1 750 mètres. Pour un budget global d’investissement de l’ordre de 12 M€ HT, ces forages, réalisés de mai à juillet 2010, permettent de pomper et de réinjecter 250 à 300 m3/h d’une eau à 74 °C. Le taux de couverture visé pour la géothermie est de 30 % des consommations totales d’énergie sur le site aéroportuaire. Ceci permet d’éviter le rejet d’environ 10 500 tonnes de CO2 dans l’atmosphère, soit une réduction de 68 % par rapport à une solution de référence « gaz » actuelle. n ORLYTECH Zone d’activités ORLY OUEST Terminal Échangeur CENTRALE THERMIQUE CŒUR D’ORLY Futur quartier d’affaires Doublet géothermique ORLY SUD Terminal 1 40 0m 1 74 0m Eau puisée à 74° Eau restituée à 35° Nappe géothermique du Dogger Représentation schématique du doublet géothermique et du réseau de chaleur mis en service en 2010 sur le site d’Aéroports de Paris, à Orly. L’énergie thermique (74°C) est puisée à 1740 m de profondeur dans la couche calcaire du Dogger. © Document Aéroport de Paris Schematic view of the geothermal doublet and of the heating network operating since 2010 for the Orly Airport site, south of Paris. The geothermal heat (74°C) is produced from Dogger limestones layer, 1740 m deep. © Document Aéroport de Paris des réhabilitations, et celle de Paris Nord-Est (Porte d’Aubervilliers, 2009). Ces réalisations témoignent de la relance de l’exploitation industrielle de la géothermie basse température 1 en Île-de-France, après deux décennies au cours desquelles l’activité s’est principalement concentrée sur la maintenance des dispositifs créés dans les années 1980. Trente-cinq exploitations, principalement localisées dans les départements de Seine-Saint-Denis et du Valde-Marne, sollicitent la ressource géothermale du Dogger. Le contexte aujourd’hui favorable au développement des énergies renouvelables devrait permettre la réalisation de nouveaux projets à court terme. (1) Selon la température du fluide géothermal, les applications se déclinent en géothermie très basse température (inférieure à 30 °C), basse température (entre 30 et 90 °C) et haute température (supérieure à 90 °C). > Le principe de fonctionnement d’un doublet géothermique conventionnel Un doublet géothermique est un système fermé constitué d’un puits producteur qui extrait le fluide géothermal, d’un échangeur de chaleur assurant le transfert des calories du fluide géothermal vers l’eau du réseau de chaleur, et d’un puits injecteur qui réinjecte l’intégralité du fluide géothermal refroidi dans l’aquifère d’origine. Pour des raisons environnementales liées à sa nature corrosive, le fluide est réinjecté dans la nappe. L’avantage est de recharger l’aquifère, mais l’inconvénient est de créer une « bulle froide » au niveau du puits injecteur, qui va se développer pendant toute la durée de l’exploitation jusqu’à atteindre le puits producteur. Cette « percée thermique » signe la fin de vie du dispositif, qui doit être conçu de manière à ce qu’elle ne se produise pas lors des trente premières années d’exploitation (durée correspondant au permis d’exploitation), au risque de remettre en cause la rentabilité économique du projet. n 49 Géosci ences • n u méro 13 • ju i l l et 2011 > Le doublet géothermique sur le site d’aéroports de paris, à orly de nouvelles perspectives pour l’exploitation des ressources géothermales Massifs volcanique récents Chaînes récentes : aquifères superficiels discontinus Site géothermique en cours d’étude Bassins sédimentaires peu profonds (aquifères continus) Source thermale 25°C < T° < 80°C Gisement de vapeur Bassins sédimentaires profonds (aquifères continus) La France métropolitaine recèle dans son sous-sol un potentiel géothermique important dont une infime partie est aujourd’hui exploitée. Les principales ressources sont localisées dans les deux grands bassins sédimentaires français, Bassin parisien et Bassin aquitain, ainsi qu’en Alsace dans des structures en relation avec le Fossé rhénan (figure 1). Aquifères continus profonds, ressources prouvées ou probables (température > 70°C) Dans d’autres régions, les ressources potentielles sont encore peu sollicitées et les projets de géothermie profonde n’ont à ce jour pas abouti. Le potentiel géothermique « profond » (ressource exploitable à partir d’une température minimale de 30 °C) permet d’alimenter un réseau de chaleur à partir d’aquifères présentant une température inférieure à 50 °C, comme par exemple à Châteauroux (Indre), où la température du fluide géothermal est de 34 °C. Pour que le fluide géothermal soit à une température supérieure à 60 °C, permettant ainsi une exploitation géothermique par échange direct au travers d’échangeurs de chaleur, il est nécessaire d’exploiter un aquifère plus profond. Compte tenu du gradient géothermique moyen (augmentation de la température de 3 °C par 100 mètres de profondeur), cette ressource se situe à plus de 1 500 mètres de profondeur. Senonian Source : site Internet www.geothermie-perspectives.fr 100 km Buntsandstein Permian Paris Oligocene Kimmeridgian Eocene 3 km Keuper Muschelkalk Cenomanian Albian Lower Cretaceous Upper Jurassic E Upper Cretaceous Lower Cretaceous W Dogger Malm Fig. 1: The geothermal resource potential in France. Turonian Tithonian JURASSIC Dogger Fig. 1 : Le potentiel géothermique en France. o Triassic Liassic CRETACEOUS TERTIARY Oxfordian Callovian Bathonian Bajocian Aalenian Lias Toarcian Carboniferous basin Lower Lias Rhaetian TRIASSIC 50 Massifs cristallins : aquifères superficiels discontinus Le potentiel géothermique « profond » en France métropolitaine Keuper Fig. 2 : Coupes géologiques du Bassin parisien avec localisation des principaux aquifères. Fig. 2: Geological cross-sections of the Paris Basin showing the locations of the main aquifers. Bundsandstein Permian Carboniferous Basement Eau douce Eau saline © BRGM, Département Géothermie. new prospects for geothermal resources exploitation En raison du contexte urbain des opérations de géothermie, une étude d’impact environnemental est effectuée, s’intéressant notamment aux impacts temporaires des travaux de forage et des activités liées à l’exploitation. L’étude propose des mesures compensatoires adaptées aux nuisances générées par l’activité. Dans le cadre des opérations de géothermie profonde en Île-de-France, des subventions peuvent être accordées par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), la région Île-de-France et le FEDER (Fonds européen de développement régional). Le Fonds Chaleur, par exemple, est un outil financier géré par l’ADEME qui a été mis en place à la suite des engagements du Grenelle de l’environnement d’octobre 2007, afin de développer la production de chaleur à partir des énergies renouvelables. > Le Trias du bassin de Paris : un nouveau réservoir géothermique ? Vincent Bouchot – BRGM – Département Géothermie – [email protected] pour l’équipe de projet CLASTIQ-2, BRGM Les formations argilo-gréseuses du Trias sont des réservoirs géothermiques qui pourraient être exploités comme ceux du Dogger. Plus profond (jusqu’à 3 200 m) et plus chaud (jusqu’à 125 °C), le Trias s’étend largement sous le Dogger, notamment en région parisienne. Compte tenu de sa profondeur et du nombre réduit d’opérations géothermiques (Achères, Cergy et Melleray) conduites sur ces formations, le Trias reste méconnu. C’est pourquoi le BRGM a lancé en 2009 le projet CLASTIQ-2, cofinancé par l’ADEME, dont l’objectif est d’améliorer la connaissance des réservoirs profonds des bassins sédimentaires du territoire métropolitain. Il a notamment été décidé de construire, avec le logiciel PETREL, un modèle prédictif 3D des réservoirs clastiques du Trias, qui couvre une superficie d’environ 12 000 km2 entre les villes de Paris, Sens, Épernay et Reims. Dans un premier temps, à partir d’informations extraites de 70 forages pétroliers, un modèle géométrique 3D a été élaboré contenant 12 séquences stratigraphiques corrélées les unes aux autres. Ce modèle géométrique maillé a ensuite été renseigné avec les propriétés des roches (température, perméabilité, transmissivité), afin de prévoir quantitativement la ressource géothermale. Au final, on aboutira à un modèle susceptible de prévoir la transmissivité des réservoirs argilo-gréseux du Trias, avec une probabilité qui variera en fonction de la distance aux forages. Ce travail sera finalisé fin 2011, date à laquelle les données du modèle 3D seront mises à disposition des opérateurs (projet ADEME de mise en ligne des données Thermo2Pro). n Le contexte géologique du Bassin parisien et la ressource géothermale du Dogger La stratigraphie du Bassin parisien est largement dominée par des dépôts sédimentaires du Secondaire. Un certain nombre d’aquifères sont contenus dans les formations perméables du bassin dont les flancs se relèvent à l’est et à l’ouest (figure 2). Les aquifères susceptibles de fournir un fluide géothermal à une température minimale de 30 °C sont les sables de l’Albien/Néocomien, les calcaires du Lusitanien, les calcaires du Bathonien (Dogger) et les grès du Trias. L’aquifère albien/néocomien est utilisé pour l’alimentation en eau potable de la région parisienne. Les aquifères du Lusitanien et du Trias sont potentiellement intéressants en terme de température, compte tenu de leur profondeur, mais ils restent mal connus à ce jour (encadré ci-contre). L’aquifère du Dogger est une ressource largement exploitée en Île-de-France pour Top Trias Argiles Rhétien Donnemarie progradant (D1R et D2P) Chaunoy progradant (C1P et C2P) Donnemarie retrogradant (D1R et D2R1 et 2) Chaunoy retrogradant (C1R et C2R) Coupe stratigraphique N-S de Melun-Meaux (vue de l’est), montrant la succession des séquences clastiques du Trias du bassin de Paris. Les principales formations réservoirs sont les « grès du Chaunoy » et les « grès de Donnemarie ». Source : Coupe extraite du modèle 3D réalisé sous PETREL dans le cadre du projet CLASTIQ-2 (Bouchot et al., 2010). N-S stratigraphic section between Melun and Meaux (viewed from the east), showing the succession of clastic sequences in the Triassic formation of the Paris Basin. The main reservoirs are located in the Chaunoy and the Donnemarie sandstones. Source: Cross section derived from the 3D model built under PETREL in the framework of the CLASTIQ-2 project (Bouchot et al., 2010). 51 Géosci ences • n u méro 13 • ju i l l et 2011 Du point de vue réglementaire, l’objectif de la géothermie étant la récupération de chaleur souterraine, assimilée à une substance minérale qualifiée de « gîte géothermique », c’est le Code minier (voir article Pichavant, ce volume) qui s’applique. La DRIEE (Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie) d’Île-de-France et les DREAL (Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement) sont en charge du suivi des installations géothermiques existantes et de l’instruction des dossiers relatifs aux nouveaux projets : demandes de permis de recherche d’un gîte géothermique et d’autorisation d’ouverture de travaux de forage. de nouvelles perspectives pour l’exploitation des ressources géothermales les besoins de la géothermie basse énergie. Son potentiel géothermique, assimilable à un couple débit-température, répond aux besoins de réseaux de chaleur conséquents. Cette ressource est donc mieux connue [Lopez et al. (2010)] que les trois autres aquifères, qui représentent plutôt des ressources potentielles. À l’échelle du Bassin parisien, l’aquifère du Dogger est constitué de plusieurs couches productives (6 à 13), d’épaisseurs et de débits variables selon les secteurs [Rojas et al. (1989)] et dont les perméabilités peuvent varier d’un facteur 200 (0,2 à 40 Darcy). Schématiquement, la succession stratigraphique des calcaires du Bathonien (dans le Dogger) est la suivante, du haut vers le bas : – l’ensemble du Comblanchien (figure 3), qui compte jusqu’à cinq niveaux producteurs et totalise 25 % de la production d’eau de l’aquifère ; – l’ensemble oolithique (figure 3), constitué de calcarénites à forte porosité, qui regroupe jusqu’à 7 horizons producteurs et assure les deux tiers environ de la production ; – l’ensemble des alternances marno-calcaires dans lesquelles quelques niveaux producteurs peuvent être identifiés. 52 Les débits d’exploitation du Dogger peuvent atteindre 300 m3/h, et la température du fluide varie entre 57 et 84 °C (figure 4) en fonction de la profondeur du réservoir (entre 1 600 et 1 800 mètres). Avec plus de 110 forages profonds réalisés en Île-deFrance, les nouveaux projets bénéficient d’une solide information géologique et hydrogéologique à partir de laquelle sont déterminés l’architecture des puits (profondeurs des tubages, déviation des puits), les programmes de forage et les consommations électriques prévisionnelles du dispositif. Toutes ces informations permettent d’évaluer les coûts d’investissement et de fonctionnement de l’exploitation. Le BRGM a ainsi pu déterminer les secteurs favorables au développement de la géothermie du Dogger en région parisienne, en réduisant les incertitudes relatives à la ressource géothermale en termes, notamment, de productivité des ouvrages (débit d’eau exploitable) et de température du fluide. L’étude de faisabilité technico-économique permet de concevoir le dispositif qui offre une performance thermique optimale et qui garantit des impacts hydrauliques et thermiques faibles sur les exploitations géothermiques les plus proches. Le choix de la configuration finale dépend des résultats de la modélisation du réservoir qui constitue de ce fait un outil d’aide à la décision. Enfin, le suivi géologique du forage, les diagraphies et les essais de production des ouvrages permettent de déterminer les caractéristiques réelles des ouvrages et du réservoir. La modélisation numérique devient par la suite un outil de gestion de la ressource (encadré ci-contre). Fig. 3 Fragment du niveau comblanchien Fragment du niveau oolithique L’optimisation de l’exploitation du Dogger 0,5 mm Fig. 4 Fig. 3 : Observation à la loupe binoculaire d’un échantillon prélevé en cours de forage au niveau du réservoir du doublet géothermique sur le site d’Aéroports de Paris, à Orly (mai 2010). Fig. 3: Observation with a stereo microscope of a sample taken at the reservoir level during the drilling of the Aéroports de Paris doublet on the Orly site (May 2010). © CFG Services. Fig. 4 : Température du Dogger. Fig. 4: Temperatures in the Dogger aquifer. © BRGM, Département Géothermie. new prospects for geothermal resources exploitation > Développement des « bulles froides » dans l’aquifère du Dogger Virginie Hamm – BRGM – Département Géothermie – [email protected] Le contexte de relance de la géothermie profonde en Île-de-France, avec les lois du Grenelle de l’environnement et la mise en place du Fonds Chaleur en 2009, nécessite une gestion efficace de l’aquifère du Dogger et une connaissance des « bulles froides » qui se sont développées autour des puits injecteurs depuis le démarrage de l’exploitation des doublets, soit pour la plupart entre 1980 et 1985. Sur les 35 doublets actuellement en exploitation dans la région parisienne, 27 sont localisés dans le Val-de-Marne et la SeineSaint-Denis. Depuis 2009, un modèle de gestion de la ressource a été mis en place à l’échelle de ces deux départements afin, d’une part, de mieux connaître l’amplitude des zones refroidies en vue d’optimiser l’implantation de forages dans le cadre de nouvelles opérations ou de réhabilitations et, d’autre part, de prévoir le début de refroidissement aux puits producteurs. Ce modèle est alimenté par la base de données DOGGER, créée en 2001, qui capitalise l’ensemble des informations relatives au fonctionnement des opérations (données d’exploitation, données sur les ouvrages et sur les paramètres du réservoir, données physico-chimiques, etc.). Le projet est cofinancé par une convention pluriannuelle entre l’ADEME et le BRGM dans le cadre du Centre technique géothermie créé en juillet 2008 pour répondre aux besoins des professionnels de la géothermie. n Cartographie des « bulles froides » dans les départements de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne après 30 ans d’exploitation géothermique. Distribution of cooled bodies in the Seine-Saint-Denis and Val-de-Marne Departments after 30 years of geothermal exploitation. © BRGM, Département Géothermie. Géosci ences • n u méro 13 • ju i l l et 2011 53 de nouvelles perspectives pour l’exploitation des ressources géothermales 54 Fig. 5 : Simulation des impacts hydraulique (en haut) et thermique (en bas) d’un projet géothermique. La modélisation numérique du réservoir Fig. 5: Simulation of hydraulic (top) and thermal (bottom) impacts of a geothermal project. L’objectif de la modélisation numérique du réservoir est de déterminer la configuration optimale du nouveau dispositif : – l’écartement minimal nécessaire entre les points d’impact des forages du doublet, afin d’éviter tout risque de percée thermique pendant une période inférieure à trente ans ; – les impacts hydraulique et thermique (figure 5) sur les exploitations voisines (et réciproquement), en orientant le nouveau dispositif de manière adéquate. © CFG Services. La simulation numérique du réservoir intègre l’historique des exploitations géothermiques voisines du projet. Afin de minimiser le risque de sous-dimensionnement du dispositif, des marges de sécurité sont retenues pour tenir compte de l’hétérogénéité du réservoir (perméabilité, nombre et épaisseur des niveaux producteurs…) et des modes de fonctionnement des exploitations géothermiques simulées (débits, températures d’injection). Le choix du modèle conceptuel dépend de la connaissance locale du réservoir et notamment du nombre de niveaux producteurs. Un modèle multicouches permet généralement de rendre compte des amplitudes thermiques entre niveaux producteurs et interstrates sous l’effet de la réinjection. Les phénomènes physiques restitués dans le modèle numérique prennent en compte l’écoulement du fluide géothermal dans le milieu poreux et le transport de chaleur. Celui-ci intègre la convection et la dispersion thermique dans l’aquifère, ainsi que la conduction dans l’aquifère et dans les épontes (roches encaissantes) (figure 6). Le suivi géologique de forage et les essais de puits Les données géologiques sont obtenues en cours d’opération par l’analyse des déblais du forage (figure 3) et par l’interprétation de diagraphies différées. Les programmes actuels de développement des puits (par acidification du réservoir calcaire) et de diagraphies Fig. 6 : Exemple de structure et maillage d’un modèle numérique à deux niveaux producteurs prenant en compte le transport de chaleur. Fig. 6: Example of structure and meshing for a numerical model with two feeding levels taking into account heat transport. © CFG Services. Injecteur Éponte supérieure Niveau producteur 1 Producteur { { Éponte inférieure Éponte supérieure { Niveau producteur 1 Éponte inférieure (mur = plan de symétrie) Injecteur new prospects for geothermal resources exploitation sont similaires à ceux pratiqués il y a trente ans. Ils permettent d’identifier et de caractériser les différents niveaux producteurs du Dogger. Les opérations de forage se terminent avec les essais de puits, au moyen desquels on détermine les caractéristiques réelles de productivité et d’injectivité des ouvrages. Les outils informatiques et les méthodes d’interprétation, héritées du domaine pétrolier, permettent désormais d’obtenir des résultats fiables très rapidement, en prenant en compte des modèles de réservoir complexes. Le protocole d’essai est proche de celui qui est mis en œuvre par les pétroliers en milieu sédimentaire. Cependant, la productivité des ouvrages est supérieure à celle des ouvrages pétroliers compte tenu des forts diamètres mis en œuvre, et l’évacuation des eaux géothermales produites s’avère plus difficile en milieu urbain en raison de contraintes environnementales plus strictes. Les perspectives de développement de la géothermie basse température dans les bassins sédimentaires Les perspectives de développement de la géothermie basse température sont multiples en France métropolitaine. Dans le Bassin parisien, c’est le cas des aquifères de l’Albien/Néocomien, du Lusitanien et du Trias, qui présentent des potentialités intéressantes, notamment là où le Dogger s’avère moins favorable ou est déjà fortement exploité. Pour les aquifères moins profonds que le Dogger (dont les niveaux de température sont inférieurs), ces potentialités sont d’autant plus intéressantes que les besoins de chaleur sont en diminution dans les bâtiments du fait de l’évolution des réglementations thermiques et des objectifs du Grenelle de l’environnement. Dans le Bassin aquitain, une douzaine de forages, principalement localisés en Gironde, exploitent les ressources géothermales depuis une trentaine d’années. Les perspectives de développement de la géothermie basse température sont multiples en France. Le contexte diffère nettement de celui du Bassin parisien dans la mesure où toutes les exploitations fonctionnent en puits unique, c’est-à-dire sans réinjection du fluide. Aujourd’hui, les services de l’État font pression sur les maîtres d’ouvrage dans l’optique des renouvellements des permis d’exploitation pour que ceux-ci mettent en œuvre la réinjection en complément d’une meilleure valorisation de la ressource en surface. Dans le département des Landes, la ville de Mont-de-Marsan, qui compte deux forages profonds captant les aquifères calcaires du Sénonien inférieur et du Cénomanien, élabore un schéma directeur de gestion de la ressource géothermale exemplaire de cette volonté de gérer la ressource à l’échelle régionale. Enfin, l’Alsace et le Fossé rhénan présentent un potentiel géothermique déjà exploité en Allemagne (site de Bruchsal au nord-est de Karlsruhe). Un forage profond (de l’ordre de 2 000 mètres) dans la région de Rittershoffen, près de Strasbourg, permettra de le vérifier sur le territoire national. Au niveau international, le schéma d’exploitation réussi du Dogger dans le Bassin parisien pourrait servir d’exemple pour les pays d’Europe centrale et orientale, bien pourvus en ressources géothermales de basse et moyenne température. On pense notamment au Bassin pannonien, au bassin de Podhale et au bassin des Carpates. Le développement des réseaux de chaleur alimentés par géothermie devrait être promu rapidement dans les pays de l’Union européenne comme la Bulgarie, la république Tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Cette action de promotion/développement concerne aussi d’autres pays de l’Union Europénne (Danemark, Royaume-Uni, Irlande) ayant des ambitions affirmées vis-à-vis des énergies renouvelables à l’horizon 2020. L’action peut être réalisée via des études et projets bilatéraux, mais aussi lors de programmes européens ambitieux permettant de créer les synergies nécessaires entre partenaires des pays concernés. n New prospects for geothermal resources exploitation The new Aéroports de Paris doublet on the Orly site is the fourth deep geothermal operation since 2007 involving the Dogger aquifer (Bathonian limestone), evidence of increasing recourse to low-energy resources in the île-de-France region. In this area, where fluid temperature varies between 57 and 84°C according to reservoir depth, the resource has been in use for over forty years providing heat and domestic hot water to some 150,000 residences. This has been made possible by a thorough knowledge of the aquifer’s geological and hydrogeological characteristics gained from drilling operations (geological surveys and production tests). This information concerning the reservoir is subsequently used as input for numerical modelling, a decisionmaking tool used to support device design and resource management. This global approach that has been applied to the Dogger aquifer opens up fresh perspectives for tapping low-temperature geothermal energy in other deep aquifers in French sedimentary basins, notably in the Paris, Aquitaine and Rhine areas, where new projects are under consideration in the near future. Bibliographie : Lopez S., Hamm V., Le Brun M., Schaper L., Boissier F., Cotiche C. and Giuglaris E. (2010) – 40 years of Dogger aquifer management in Ile-de-France, Paris Basin, France. Geothermics,Volume 39, Issue 4, December 2010, pp.339-356. Special Issue on the Sustainable Utilization of Geothermal Energy. – Rojas J., Giot D., Le Nindre Y.-M. et al. (1989) – Caractérisation et modélisation du réservoir géothermique du Dogger, Bassin parisien, France. Rapport final. Report BRGM/RR-30169-FR, BRGM, Orléans, France, 240 pp. fluides et genèse des concentrations minérales Fluides et genèse des concentrations minérales La Terre est un système complexe qui évolue depuis près de 4,5 milliards d’années et dans lequel nous puisons notamment nos ressources minérales. Depuis toujours, l’eau joue un rôle majeur dans la genèse de ces ressources. Elle transporte des ions et des gaz, formant des fluides qui circulent à toutes les profondeurs de la croûte terrestre, sous des conditions de pression et de température plus ou moins élevées. Ces circulations de fluides sont à l’origine de concentrations hydrothermales qui procurent l’essentiel des ressources en Zn, Pb, Ag, Ge, U, Ba ou F, et plus de 50 % des ressources en Cu, Co, Au, Sn et W. Inclusion fluide multiphasée dans du quartz montrant un cristal de halite et de calcite, une phase liquide et une bulle de vapeur. Gisement de talc de Trimouns (Ariège, Pyrénées). Taille de l’inclusion 30 µm. A multiphase fluid inclusion in quartz displaying a halite and calcite crystal, a liquid phase and a vapour bubble. The Trimouns talc deposit (Ariège, French Pyrenees). Inclusion size 30 µm. © M.-C. Boiron. inclusions fluides 56 Michel Cathelineau Directeur de recherche – UMR7566 – CNRS Géologie et Gestion des Ressources Minérales et Energétiques [email protected] Marie-Christine Boiron Chargée de recherche – UMR7566 – CNRS Géologie et Gestion des Ressources Minérales et Energétiques [email protected] Johann Tuduri Directeur adjoint ENAG – BRGM SCHOOL [email protected] L es gisements métalliques de la partie supérieure de la lithosphère, à l’exception de ceux strictement liés à la cristallisation d’un magma, sont pour la plupart associés à l’existence d’une phase fluide, qui a extrait les métaux à partir d’une roche source, les a transportés puis déposés dans un piège. Les processus d’extraction, de transport et de dépôt sont particulièrement efficaces puisque les teneurs en métaux des gisements multiplient par des facteurs de 103 à 106 les concentrations L’eau est un acteur initiales des roches sources (tableau 1). majeur de la genèse des ressources minérales. Les concentrations minérales sont en général le résultat d’une longue histoire polyphasée. La reconstruction de cette histoire, souvent complexe, nécessite : i) de connaître les conditions physico-chimiques liées au transport et au dépôt des métaux, ii) d’évaluer les concentrations en métaux dans les fluides géologiques et iii) d’apprécier l’aptitude de ces fluides, issus de différents réservoirs, à transporter ces métaux. fluids in ore forming processes Élément Or Argent Uranium Plomb Cuivre Zinc Baryum Fer Concentration moyenne dans la croûte terrestre Teneur d’exploitation 0,1 g/t 100 à 600 g/t 16 g/t 8% 0,0003 g/t 1 g/t 1 à 30 g/t Facteur d’enrichissement 1 000 à 6 000 0,02 à 20 % 200 à 200 000 50 g/t 0,5 à 5 % 100 à 1 000 400 g/t 30 à 80 % 60 g/t 50 000 g/t = 5 % 5 à 20 % 30 à 65 % Or, il ne reste plus de traces de ces phases fluides, à l’exception : – des perturbations créées lors de leur passage (filons, brèches, zones de dissolution) ; – des inclusions fluides dans les minéraux néoformés. Les inclusions fluides (encadré ci-dessous) constituent Tab. 1 : Illustration de l’importance des mécanismes d’enrichissement conduisant à la formation d’un gîte minéral : concentration moyenne dans la croûte terrestre et teneur d’exploitation de huit éléments métalliques. 3 000 à 100 000 5 000 Tab. 1: Illustration of the importance of the enrichment mechanisms that result in the formation of an ore deposit: mean concentration in the Earth’s crust and grade in mined deposits for eight metallic substances. 900 à 3 500 800 à 2 000 10 ainsi des objets de choix pour la reconstitution des paléocirculations et la compréhension des interactions physico-chimiques entre le fluide et la roche percolée à l’origine des concentrations métalliques. Des inclusions fluides aussi vieilles que 2 milliards d’années peuvent être ainsi préservées et constituer d’inestimables témoins du passé. > Des témoins exceptionnels de la circulation des fluides Les inclusions fluides sont des cavités intracristallines qui renferment une ou plusieurs phases fluides (liquide, gaz) et parfois des phases solides à température ambiante. La taille de ces inclusions est généralement comprise entre 2 et 20 µm, et peut atteindre exceptionnellement quelques centaines de micromètres. Les inclusions fluides se forment au cours de la croissance du minéral hôte, souvent à la faveur de défauts cristallins. Elles peuvent également se former dans des microfractures, après la cristallisation du minéral. L’étude des inclusions fluides a connu un grand essor durant ces dernières décen- nies. Leur caractérisation est possible grâce à des techniques comme la microthermométrie (observation des changements de phase sous microscope) ou par des techniques plus pointues de microanalyse. Les études d’inclusions fluides peuvent être réalisées sur la plupart des minéraux transparents sous lumière visible (quartz, fluorine, calcite, barytine, halite) et dans certains minéraux opaques (sphalérite, stibine, pyrite) sous infrarouge. La connaissance de la chimie des paléofluides permet d’obtenir des données quantifiées de concentrations en gaz et sels pour modéliser les réactions entre fluides et minéraux. Elle permet également d’estimer les conditions de pression, de température et de profondeur de circulation des fluides. Enfin, le couplage entre études structurales et caractérisation des paléofluides permet de relier les événements de déformation avec les différents épisodes de percolation des fluides. Les champs d’application sont divers et variés en Sciences de la Terre : pétrologie des roches magmatiques, métamorphiques ou sédimentaires, formation des gisements de métaux, diagenèse des bassins et formation des réservoirs d’hydrocarbures. n Inclusions fluides de la mine de cobalt, nickel, argent et or de Bou Azzer (2,5 Mt @ 1,27 % Co, 1 % Ni, 50 g/t Ag, 6 g/t Au) dans le sud du Maroc. A) Veine de calcite, quartz et arséniures de cobalt. © A. Chauvet. B) Bandes de croissance soulignées par des inclusions fluides et des arséniures opaques. © J. Tuduri. C) Inclusion fluide triphasée (Liquide-Vapeur-Halite). © M.-C. Boiron. Fluid inclusions in the Bou Azzer cobalt, nickel, silver and gold mine (2.5 Mt @ 1.27% Co, 1% Ni, 50 g/t Ag, 6 g/t Au) in southern Morocco. A) A vein containing calcite, quartz and cobalt arsenides. B) Growthbands enhanced by fluid inclusions and opaque arsenides. C) Three-phase fluid inclusion (Liquid-Vapour-Halite). fluides et genèse des concentrations minérales 58 1 4 1 km 5 1 6 7 H2O-CO2-CH4-N2 Circulation hydrothermale convective CO2-H2O H2O 7 CO2 100 km Les grands réservoirs de fluides de la lithosphère L’identification des réservoirs sources de fluides au moyen de leurs signatures géochimiques est essentielle pour mieux comprendre les processus de migration des fluides, leurs interactions avec les roches traversées et les mécanismes nécessaires à la genèse des concentrations minérales. Selon leur localisation dans la croûte, les fluides ont des compositions et des origines variées (figure 1). Dans les tous premiers kilomètres de la lithosphère, les fluides dominants (1) sont des fluides de recharge qui percolent à partir de la surface (fluides météoriques). Ils sont relativement dilués, appartiennent au système H2O-sels (Na dominant), avec de très faibles quantités de gaz (CO2, CH4). Ils sont piégés dans des conditions de pression de quelques dizaines à quelques centaines de bars et à des températures variant entre 50 et 350 °C. C’est le domaine des fluides des systèmes géothermiques actifs ou des systèmes hydrothermaux des provinces volcaniques auxquels sont associés les dépôts de métaux (Au, Ag, Cu…). Dans les niveaux superficiels, des processus d’ébullition peuvent être observés lorsque la température est élevée. L’ébullition a pour conséquence de libérer les gaz dissous dans la solution hydrothermale. Il aboutit à la précipitation des éléments restant en solution (Au, As, Sb, Ag). 3 4 H2O-sels-CH4-HC H2O-sels (Na, Ca, Mg) Socle granitique 6 50 km H2O-sels (Na) 4 5 H2O-sels (Na, K, Li) 2 Bassin sédimentaire 4 5 km 10 km H2O Domaine orogénique déformé Composition et direction d’écoulement des principaux fluides rencontrés dans la croûte 4 Principaux réservoirs 1 Eau météorique 2 Eau de mer évaporée 3 Eau de mer 4 Fluides de bassins 5 Fluides magmatiques 6 Fluides métamorphiques 7 Fluides profonds Dans les bassins sédimentaires, les fluides (4) appartiennent au système H2O-gaz-(hydrocarbures)-sels et dérivent en partie de l’eau de mer. Na, Ca et Mg sont les ions dominants de la phase liquide. La salinité est variable, car trois types de fluides peuvent interagir : i) l’eau de mer (3), ii) l’eau de recharge provenant des aquifères affleurant (1), et iii) les eaux issues de l’évaporation de l’eau de mer (2) ou des eaux piégées dans des minéraux évaporitiques (gypse, anhydrite, halite, sylvite, etc.). CO2, CH4, (± N2) et hydrocarbures trouvent leur origine dans la maturation de la matière organique présente dans les sédiments. Ces fluides sont piégés dans des conditions de pression de l’ordre de quelques centaines de bars à des températures relativement basses (50-250 °C). Fig. 1 : Coupe présentant les principaux réservoirs fluides, les circulations des solutions hydrothermales et leurs compositions dans la croûte terrestre. Fig. 1: A cross-section depicting the main fluid reservoirs, hydrothermal circulations and their compositions in the lithosphere. © M.-C. Boiron. Les fluides hydrothermaux d’origine magmatique (5) sont issus de la séparation d’une phase fluide lors de la cristallisation de magmas. Ces fluides de moyenne à haute température (350 °C à plus de 600 °C) sont généralement enrichis en K et peuvent posséder des teneurs non négligeables en Li. Accumulés au toit des plutons, Les fluides dans les différents niveaux de la croûte ont des compositions et des origines variées. fluids in ore forming processes Photo 1 : Mine de molybdène de Climax (≈1Gt @ 0.4 % Mo) située à près de 3 500 m d’altitude au cœur des montagnes Rocheuses (Colorado, États-Unis). À l’aube du XXIe siècle elle avait produit près de 60 % du Mo mondial. Photo 1: The Climax molybdenum mine (≈1Gt @ 0.4% Mo) situated at an altitude of almost 3500 m in the heart of the Rocky Mountains in the state of Colorado (United States). At the dawn of the 21st century, it had already yielded nearly 60% of the world’s Mo. © J. Tuduri. leur libération s’effectue lorsque leur pression excède la pression de confinement, provoquant d’importantes fracturations, appelées stockworks une fois minéralisées. Ces gîtes comptent parmi les plus importants gisements au monde de Cu, Mo et Au (Chuquicamata au Chili, Climax aux États-Unis et Grasberg en Indonésie, photo 1). À plus grande profondeur (5-15 km), les fluides (6) sont généralement en équilibre avec les roches encaissantes (métamorphiques ou granitiques). Les compositions chimiques sont dominées par H2O, CO2, CH4 et N2. Les fluides sont associés au métamorphisme prograde (fluides métamorphiques où l’eau est issue de processus de déshydratation) ou rétrograde (fluides pseudo-métamorphiques, équilibrés avec leurs encaissants). Les fluides sont piégés sous des pressions de l’ordre de 2 à 5 kbars et à des températures relativement élevées (300-500 °C). Les gîtes aurifères des cratons africains, canadiens ou australiens se sont mis en place dans ces conditions le long de grandes failles crustales (photo 2). À quelques dizaines de kilomètres de profondeur (7), des fluides de forte densité à CO2 (± H2O) sont observés. Dans des conditions réputées anhydres et peu favorables à la mise en place de minéralisations économiques, la présence d’eau et les rapports H2O-CO2 dans ces fluides font l’objet de débat. Photo 2 : Or dans des échantillons de veines de quartz et carbonate de la mine d’or de Daisy Milano (≈ 200 000 t @ 40 g/t Au) située près de Kalgoorlie dans le craton du Yilgarn en Australie occidentale. Photo 2: Gold in samples of quartz and carbonate veins from the Daisy Milano (≈ 200 000 t @ 40 g/t Au) gold mine located near Kalgoorlie in the Yilgarn craton, western Australia. © A. Caté. Géosci ences • n u méro 13 • ju i l l et 2011 59 fluides et genèse des concentrations minérales 60 Du transfert des métaux par les fluides à leur précipitation Fertilité des roches sources La « fertilité » de certaines parties de la lithosphère augmente non seulement quand la concentration en métal augmente, mais aussi lorsque le porteur du métal est potentiellement soluble dans des conditions physico-chimiques qui rendent le métal facilement et naturellement extractible. Dans le cas de l’uranium, dont les roches sources sont parmi les mieux connues, la présence d’uraninite, très sensible aux conditions d’oxydo-réduction, est un facteur beaucoup plus important que la concentration elle-même du métal. À l’inverse, des roches fortement concentrées en uranium, du fait de la présence de thorite, ne constituent généralement pas une source fertile, car la phase renfermant le métal est très stable, à moins que ce minéral soit dans un état de déstabilisation avancée du fait du rayonnement alpha de l’uranium et du thorium. Le processus de dépôt Le dépôt et la concentration d’un minerai dans un piège nécessitent une combinaison de facteurs favorables : durée du processus, efficacité du fractionnement… La précipitation des métaux à partir de la phase fluide est avant tout un processus thermodynamique ; la déstabilisation des porteurs de métaux en solution est favorisée par la modification de la phase fluide et par celle des conditions physico-chimiques externes (réactions avec les roches encaissantes, mélange de fluides, variation de température, pression, ébullition). Ainsi, des fluides en équilibre à relativement haute température et/ou faible pH peuvent engendrer des concentrations hydrothermales s’ils migrent dans des zones de plus faible température et/ou de pH plus élevé. Le dépôt peut également être favorisé par des processus de dilution à faible température lorsqu’elles favorisent la déstabilisation des complexes chlorurés. Un nouvel exemple où les fluides sont à l’origine d’un gisement de classe mondiale : la mine d’argent d’Imiter (8 Mt @ 550 g/t Ag) située dans le sud marocain (Anti-Atlas oriental). Connue depuis le Moyen Âge, elle est la première mine productrice d’argent en Afrique. Yet another example where liquids have created a world-class deposit: the Imiter silver mine (8 Mt @ 550 g/t Ag), located in southern Morocco (western Anti-Atlas). Known since medieval times, it is the foremost silverproducing mine in Africa. © BRGM Im@gé, J. Tuduri. Les roches sources des autres métaux, en revanche, sont bien souvent hypothétiques. Ceci est lié au fait que, leurs concentrations dans les roches sources sont très faibles, souvent inférieures aux limites de détection. Elles ne sont donc généralement pas analysables en routine. Rôle des fluides Les phases fluides issues des grands réservoirs ne jouent un rôle dans l’extraction des métaux que si leurs concentrations en ligands (soufre ou chlore, par exemple) permettent d’envisager un transport efficace du métal et si elles sont en déséquilibre avec les phases porteuses de métaux (extraction par déstabilisation, dissolution des porteurs primaires). Les concentrations les plus riches sont à mettre en relation avec des fluides soit de très forte salinité, soit de haute température, ces deux paramètres ayant un rôle positif sur la capacité des fluides à transporter les métaux (figure 2). Le soufre est nécessaire à la précipitation des sulfures, porteurs de l’essentiel des métaux. Il peut être issu du dégazage des magmas ou, dans les environnements sédimentaires, de la sulfato-réduction bactérienne et de la réduction thermochimique. Le chlore peut être d’origine marine, concentré par évaporation (saumure dite primaire) ou issu de la dissolution d’évaporites (saumure dite secondaire) ; il peut aussi être d’origine magmatique. Fig. 2 : Relations entre concentration en Cl, en métaux (Pb) et température des fluides de différents systèmes hydrothermaux (d’après Yardley, 2005). Fig. 2: The relationships between Cl and metal (lead) concentrations and the temperature of fluids in various hydrothermal systems (from Yardley, 2005). fluides et genèse des concentrations minérales 62 L’eau dans les bassins Surface : eaux de pluies, eau de mer. Réservoirs : aquifères conés, issus de la compaction des sédiments. Interactions entre eaux et roches (évaporites) : formation de solutions saumâtres enrichies en Cl, Na, Mg, K +/- Pb, Zn, Ag, Ba, F, U. Calcaires Marnes Argilites, matière organique, soufre Grès Circulations et interactions Infiltrations des solutions dans le sous-bassement constitué de granitoïdes et de schistes. Interactions saumures/roches encaissantes. Altérations (remplacements) et mise en solution de métaux. Na Na Na Formations des minéralisations Dolomitisation, mélange de fluides (surface/profonds) et mise en place de cellules de convections. Optimisation de la mise en solution des métaux (zone d’altération) et précipitation contrôlée à l’interface socle-sédiments. Ba, F, Pb, Zn, Ag Ca (K ) S Saum ures e nrichie s Évaporites et formations silico-clastiques Socle (roches magmatiques et métamorphiques) + régolites Les fluides à l’interface socle-couverture L’action des fluides d’origine sédimentaire ne se limite pas exclusivement au bassin : elle peut affecter le socle sous-jacent à la faveur de fractures. C’est dans ce contexte que se forme une grande partie des minéralisations de Pb, Zn, Cu, Co, Ag, U de basse à moyenne température [Essarraj et al. (2005), Piqué et al. (2008), Richard et al. (2010)]. Les circulations de fluides à l’interface socle-couverture sont un thème de recherche de première importance (figure 3). Deux types de fluides de composition contrastée sont fréquemment rencontrés dans ces environnements : des fluides dilués, correspondant à des fluides de recharge météorique, et des saumures, résultant de l’évaporation de l’eau de mer et expulsées durant des épisodes de compaction et/ou d’extension associés à des événements géodynamiques majeurs. Ces saumures montrent des potentialités à mobiliser, transporter puis déposer les métaux [Wilkinson et al. (2009)]. Les processus de dilution et/ou les variations des paramètres redox représentent ici les principaux mécanismes à l’origine des concentrations minérales Ainsi, en Europe de l’Ouest, les minéralisations à Pb, Zn, et Ag ainsi que celles à F et Ba sont associées aux phases de rifting (ouverture de l’océan Atlantique, puis du golfe de Gascogne) [Boiron et al. (2010)]. Au Canada, les minéralisations à U des bassins d’âge Protérozoïque résultent de mécanismes similaires. S U, F K K K Mg Mg Mg Mg Chaleur Étudier la chaîne « source, extraction, transport, piégeage, préservation » est un objectif majeur pour la compréhension de la genèse des ressources minérales. Cette démarche est la clé de la découverte de ressources nouvelles, situées à des profondeurs toujours plus grandes, aux teneurs plus faibles ou provenant de gisements encore mal connus du point de vue de leur mécanisme de genèse. L’étude de la phase fluide (eau, gaz, sels) est l’une des sources d’informations les plus riches, comme l’ont montré les pétroliers. Il reste encore à déterminer, pour de nombreux métaux, leur source, la nature de leurs porteurs, et comment les concentrations en métaux ont été acquises par les fluides percolants. La collaboration étroite entre métallogénistes, géophysiciens et modélisateurs de l’évolution de la lithosphère est nécessaire pour comprendre le couplage entre géodynamique et mouvements des fluides. Il est pour cela essentiel de se situer dans un cadre lithosphérique, beaucoup de gisements étant décrits sans être replacés précisément dans la formation des orogènes ou des bassins. Progresser dans la datation des objets minéralisés euxmêmes sera pour cela déterminant afin de connaître les relations entre la circulation des fluides minéralisateurs, la déformation de la lithosphère et la déformation localisée, source de formation des pièges structuraux. C’est le défi de ce XXIe siècle : accomplir des progrès décisifs pour améliorer la prospection des gisements métalliques. n Fig. 3 : Les circulations de fluides à l’interface entre socle et couverture. Fig. 3: Fluid circulations at the interface between basement and cover. fluids in ore forming processes > L’hydrogéochimie à l’échelle de quelques micromètres cube Durant la dernière décennie, le développement des techniques d’ablation laser (LA) et de rayonnement synchrotron a permis d’apporter des données quantifiées sur la composition chimique des fluides notamment pour les éléments majeurs et certains éléments en trace. Les premiers travaux ont porté sur l’analyse des métaux (notamment Cu) dans les inclusions magmatiques, puis sur les fluides associés aux gisements de type MVT. Enfin, des concentrations en uranium variant de la dizaine à plusieurs centaines de ppm ont pu être analysées par LA-ICPMS dans les saumures sodi-calciques des gisements d’uranium en Athabasca, au Canada [Richard et al. (2010)]. La compréhension des processus à l’origine du transport et du dépôt des métaux a ainsi été largement améliorée avec l’avènement de l’étude de la chimie des paléofluides. En effet, le couplage des études des paragenèses métalliques et des minéraux de gangue ou d’altération associé à la caractérisation de la chimie des fluides ayant circulé à différentes époques de l’histoire des transferts d’éléments constitue un axe de recherche essentiel pour la compréhension des processus impliqués dans ces transferts. L’ablation laser couplée à l’ICPMS est devenue une technique reconnue et efficace pour analyser les éléments mineurs et traces dans les minéraux et dans les solutions piégées sous forme d’inclusions fluides. En combinant la forte résolution spatiale des lasers avec la sensibilité des systèmes d’analyses multi-élémentaires des ICPMS, elle est un outil absolument indispensable pour accéder à la chimie détaillée des paléofluides. Le système d’analyse élémentaire localisée (échelle de quelques micromètres à 200 micromètres) est constitué de deux équipements couplés : i) un laser d’ablation équipé d’une optique de focalisation et de traitement du faisceau et d’une chambre d’ablation et de collection de la matière ablatée ; ii) un spectromètre ICPMS quadripolaire utilisant un dispositif de collision-réaction. n 20 µm Début de l'ablation laser 1 000 000 Intensité (coups) 100 000 20 µm Ouverture de l'inclusion fluide 10 000 – Na – Si –K – Cu – Sr – Ag 1 000 100 10 1 0 11 22 Temps (s) 33 44 Photographie de l’équipement d’ablation laser couplée à l’ICPMS (LA-ICPMS) installé au laboratoire G2R, Nancy. Photographie de l’inclusion fluide avant et après ablation. Spectre de masse obtenu après ablation laser et analyse d’une inclusion fluide. Photo of the laser ablation inductively coupled plasma mass spectrometry equipment (LA-ICPMS) installed in the G2R laboratory in Nancy. Photo of the fluid inclusions before and after laser ablation. Mass spectrum obtained after fluid inclusion laser ablation and analyis. © M.-C. Boiron. Fluids in ore forming processes Water-gas-salt fluids are the most common metal carriers and cause of metal enrichments in the crust, being the main agent in extracting ore metals from source rocks, transporting them in drainage zones, and finally precipitating them in chemical and structural traps. Meteoric waters, seawater and basinal brines, as well as magmatic and metamorphic fluids in deeper structural levels, may predominate in several distinct fluid reservoirs, but may interact at depth with host rocks and mix when geologic processes favour mass and heat transfer via thermal gradients. While high-temperature (350-650°C) magmatic hydrothermal systems may provide considerable amounts of precious and base metal stocks and are frequently considered to be one of the main factors favouring economic concentrations, other widely varied processes occur at lower temperatures (100-250°C), particularly in domains along faults, at the interface between the basement and the sedimentary cover. Ore-forming fluids are now better known thanks to a nearly complete reconstruction of the fluid chemistry of inclusion fluids, with pH, ligand (chlorine, sulphide) concentration, temperature and redox processes being important agents in the transport and deposition of ore minerals. Processes that may change one or more of these parameters are of crucial importance for the metal deposition, this encouraging more accurate micro-analysis and thermodynamic modelling. Moreover, research today should also focus on the links between ore systems, fluid flow and geodynamics, and must take advantage of new non-conventional dating techniques for fluid-rock interactions to fully reconstruct ore systems at the scale of crustal provinces. Bibliographie : Boiron M.-C., Cathelineau M., Richard A. (2010) – Fluid flows and metal deposition near basement / cover unconformity: Lessons and analogies from Pb-Zn-F-Ba systems for the understanding of Proterozoic U deposits. Geofluids, 10, 270-292. Essarraj S., Boiron M.-C., Cathelineau M., Banks D.-A., Benaharref M. (2005) – Penetration of surface – evaporated brines into the Proterozoic basement and depositon of Co and Ag at Bou Azzer (Morocco): Evidence from fuid inclusions. Journal of African Earth Sciences, 41, 25-39. Piqué A., Canals A., Grandia F., Banks D.-A. (2008) – Mesozoic fluorite in NE Spain record regional base metal-rich brine circulation through basin and basements during extentional events. Chemical Geology, 257, 139-152. Richard A., Pettke T., Cathelineau M., Boiron M.-C., Mercadier J., Cuney M., Derome D. (2010) – Brine-rock interaction in the Athabasca basement (McArthur River U deposit, Canada): consequences for fluid chemistry and uranium uptake. Terra Nova, 22, 303-308. Wilkinson J.-J., Stoffell B., Wilkinson C.-C., Jeffries T.-E., Appold M.-S. (2009) – Anomalously metal-rich fluids form hydrothermal ore deposits. Science, 323, 764-767. Yardley B.-W.-D. (2005) – Metal concentrations in crustal fluids and their relationship to ore formation. Economic Geology, 100, 613-632. dynamique de l’eau, de l’érosion à la sédimentation L’eau recouvre les trois quarts de la surface de notre planète et son action est primordiale dans les processus d’altération, d’érosion, de transport et de sédimentation. Elle est le moyen de transport des particules par les fleuves vers le milieu marin, elle participe à la diagenèse qui transforme les sédiments : l’eau est au cœur de la plupart des processus d’évolution sédimentaire. Dynamique de l’eau, de l’érosion à la sédimentation érosion 64 Le cycle de l’eau L’ eau couvre les trois quarts de la surface de notre planète. Elle constitue les rivières, les nappes souterraines, les lacs, les mers, les océans ; elle est présente dans les sols et est constitutive des êtres vivants. Sous toutes ces formes, l’eau participe à ce que l’on appelle le cycle de l’eau. Depuis quelques 4 milliards d’années, la quantité d’eau présente sur la planète, évaluée à Depuis 4 milliards d’années, plus d’un milliard de km3 au total, n’a pas changé. C’est toujours le même volume la quantité d’eau présente d’eau qui ne cesse de se transformer, sur la Terre n’a pas changé. passant par les états de vapeur, d’eau liquide, de neige et de glace, qui entretient le cycle permanent de l’eau. Philippe Négrel BRGM, Adjoint au chef de Service Métrologie, Monitoring, Analyse [email protected] Christophe Rigollet BRGM, Adjoint au chef de Service Géologie [email protected] Érosion fluviatile dans les coulées récentes des volcans d’Islande. Fluvial erosion in recent lava flows from volcanoes in Iceland. © Ph. Négrel. L’eau est omniprésente dans tous les processus géodynamiques internes et externes. Il est bien rare que l’explication d’un phénomène géologique ne fasse pas intervenir l’eau, à quelque échelle que ce soit. water dynamics, from erosion to sedimentation processes déterminent à eux seuls l’écoulement des eaux. Le réseau hydrographique superficiel est composé d’arborescences de courants plus ou moins denses et ramifiés. Selon le système fluviatile, le réseau peut disperser ou concentrer les eaux avec une capacité de transport très variable. Les aquifères souterrains sont constitués par des formations poreuses, des fractures ouvertes et des réseaux karstiques. Là aussi, de fortes hétérogénéités géologiques influent sur les volumes et l’écoulement des eaux souterraines. Les rivières et les aquifères (photos 1a, 1b et 2) occupent une fonction centrale dans ce système et sont le lieu de processus variés : de l’amont vers l’aval, la rivière est successivement un lieu d’érosion, de transit, puis de dépôt. Dans la partie amont des rivières, les phénomènes Photos 1a et 1b : Des petits ruisseaux drainant les planèzes d’Auvergne (gauche) à la fonte des neiges hivernales (débit d’une centaine de litres par seconde) aux rapides du fleuve Congo à Brazzaville (droite) en période de hautes eaux (débit de plus de 55 000 m3/s). Photos 1a and 1b: (left) Small streams draining the Auvergne Planezes during the winter snow melt (flow rate of the order of 100 l/s) and (right) the rapids of the Congo River at Brazzaville during a high-water period (flow rate of more than 55,000 m3/s). © Ph. Négrel. Photo 2 : Aquifère karstique, Bayahibe, République Dominicaine. Photo 2: Karst aquifer at Bayahibe, Dominican Republic. © C. Rigollet. 65 Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 La surface de la Terre peut être considérée comme une interface physique entre la lithosphère, l’hydrosphère et l’atmosphère. La connaissance des interactions entre fluides (au sens large) et roches est importante pour comprendre les phénomènes actuels et déchiffrer les phénomènes passés. En effet, les fluides jouent un rôle fondamental dans la plupart des processus physicochimiques qui affectent la croûte terrestre. Le cycle de l’eau, ou cycle hydrologique, comprend tous les phénomènes intervenant dans la circulation de l’eau. Les précipitations se transforment en eau de ruissellement, en humidité du sol et en eau souterraine. L’eau souterraine remonte pro-parte vers la surface ; à la surface, l’eau des rivières, des nappes, du sol et de la végétation retourne à l’atmosphère par évaporation et transpiration. Le réseau hydrographique et les aquifères dynamique de l’eau, de l’érosion à la sédimentation 66 d’érosion, qu’ils soient chimiques ou mécaniques, prédominent. La charge naturelle d’une rivière apparaît donc comme le produit de l’interaction, soit chimique soit mécanique, entre l’eau de ruissellement et les roches. Dans le premier cas, ce produit est sous forme dissoute [Drever (1988)]. Dans le second, il est sous forme particulaire [Berner et Berner (1987)]. Dans un système fluviatile et son bassin versant, le cheminement de l’eau est un continuum depuis les précipitations atmosphériques jusqu’à l’océan, à travers le ruissellement, l’évapotranspiration, l’infiltration, l’écoulement dans les rivières, la zone non saturée (ZNS) et les systèmes aquifères. À la surface de la Terre, on ne compte plus les torrents, ruisseaux et rivières qui dévalent des montagnes ou les grands cours d’eau qui serpentent en plaine [Gordon et al. (1992)] (photos 1a et 1b). Toute rivière est un ensemble fonctionnel dont les caractéristiques géomorphologiques évoluent progressivement de la source à l’embouchure. La partie la plus amont du système hydrographique correspond au bassin versant. Les processus d’érosion dominent, c’est de là que provient l’essentiel de la charge sédimentaire du système hydrographique. Les torrents convergent vers l’exutoire, transition entre le relief et la plaine d’inondation, où l’écoulement diverge, la capacité de transport chute et les sédiments les plus grossiers s’accumulent, édifiant un cône alluvial (photo 3). Au-delà du cône alluvial, à mesure que la pente s’amenuise, les courants, qui ont déposé leur charge la plus grossière, perdent leur énergie. Ils déposent des particules de plus en plus fines et la base des chenaux est de moins L’étude des interactions entre les fluides et les roches est nécessaire pour comprendre les phénomènes actuels et déchiffrer les phénomènes passés. Photo 3 : Érosion torrentielle et dépôt d’un cône alluvial, Vallée de la Mort, États-Unis. Photo 3: Torrential erosion and deposition of an alluvial cone in Death Valley, USA. © C. Rigollet. water dynamics, from erosion to sedimentation processes En période de crue, les courants sortent des chenaux et déposent leur charge dans la plaine d’inondation. en moins érosive. En période de crue, les courants sortent des chenaux et déposent leur charge dans la plaine d’inondation (photo 4). Altération et érosion continentale La destruction mécanique et chimique des roches constitue la source principale des matériaux des sols et par là même des solides transportés par les rivières. Ce phénomène affecte tous les types de roches, qu’elles soient magmatiques, métamorphiques ou sédimentaires. L’érosion mécanique produit des fragments de roche. Les variations de température entraînent la dilatation ou la contraction des roches. Soumises à des variations de volume, les roches se fissurent, puis éclatent. Dans les roches composées de minéraux n’ayant pas le même coefficient de dilatation, des microfissures peuvent apparaître à la limite entre les minéraux. Si de l’eau pénètre dans les fissures et gèle, la roche peut éclater par cryofracturation. Photo 4 : Alternance de grès chenalisés lenticulaires, de grès de débordement tabulaires et d’argiles rouges de plaine d’inondation, Olson, Espagne. Photo 4: Alternating layers of lenticular channel sandstone, tabular overflow sandstone and red clay from the floodplain (Olson, Spain). © C. Rigollet. L’eau joue également un grand rôle dans l’altération chimique des roches. En raison de la liaison covalente asymétrique qui unit les atomes d’hydrogène à l’oxygène, la molécule d’eau est un dipôle. Cette nature bipolaire permet l’établissement de liaisons hydrogène entre les molécules d’eau qui s’organisent en groupes tétraédriques, une structure lui conférant des propriétés de solvant [Drever (1988)]. L’hydratation consiste en l’incorporation de molécules d’eau à certains minéraux peu hydratés, ce qui produit un gonflement du minéral et favorise la destruction de la roche. L’hydrolyse consiste en la destruction, par l’eau, d’un édifice moléculaire et sa transformation en d’autres édifices moléculaires (photo 5). Enfin, la dissolution produit la solubilisation des calcaires, des dolomies et des roches évaporitiques, grâce à l’action du CO2 dissous dans l’eau (photo 6). L’altération des roches produit des particules qui sont transportées par les processus physiques (cours d’eau, vent ou glace) vers le milieu de dépôt pour former un sédiment (photo 5). Finalement, les processus de diagenèse transforment le sédiment en roche [Campy et Photo 5 : Argiles d’altération (altérites de micaschistes précambriens), forêt de Leppo, France. Photo 5: Clay deposit produced by weathering (Precambrian micaschist alterites), (Leppo Forest, France). © C. Rigollet. dynamique de l’eau, de l’érosion à la sédimentation Photo 6 : Altération actuelle, par dissolution, d’une formation évaporitique éocène, Cardona, Espagne. Photo 6: Present-day weathering, by dissolution, of an Eocene evaporite (Cardona, Spain). © C. Rigollet. 68 Macaire (1989)]. Envisagé d’un point de vue dynamique, le couple érosion-sédimentation dépend fondamentalement des conditions tectoniques et bioclimatiques. Le point d’entrée vers le milieu océanique Les produits de l’altération chimique et de l’érosion mécanique, transportés par les rivières, rejoignent le milieu océanique au niveau des estuaires ou des deltas, zones de transition entre milieu continental et marin [Meybeck et Ragu (1996)]. En règle générale, lorsque le fleuve a une influence dominante, un delta se forme ; si l’influence marine est dominante, l’embouchure du fleuve a la morphologie d’un estuaire. Les estuaires sont caractérisés par un fort contraste hydrodynamique entre des marnages importants et des courants de haute énergie (crues, marées). Le marnage a lieu sur toute la surface de l’estuaire à marée étale et/ou dans les zones calmes et protégées, lorsque les conditions hydrodynamiques sont favorables à la décantation des particules en suspension. Lorsqu’elles sont encore en suspension dans l’eau, ces particules constituent un « bouchon vaseux » situé à la transition entre les eaux marines salées et les eaux douces chargées de matière en suspension et de nutriments en solution. Zone de turbidité maximale, le bouchon vaseux se déplace au rythme des marées. La sédimentation des estuaires est également caractérisée par d’importantes accumulations de sables transportés par les courants de marée. Dans le cas des deltas, la partie visible (la plaine deltaïque et la côte) présente une morphologie caractéristique en éventail. La plaine deltaïque est composée de chenaux sableux et d’une plaine d’inondation argileuse. Les courants fluviatiles, lorsqu’ils arrivent au niveau du delta, sont freinés par une eau de mer « immobile » et perdent leur charge sédimentaire. La fraction granulométrique la plus grossière se dépose et constitue le front de delta (accumulations sableuses). Au-delà, Lorsque le fleuve a une influence dominante, un delta se forme ; si l’influence marine est dominante, l’embouchure est un estuaire. water dynamics, from erosion to sedimentation processes plateau continental. En revanche, les particules les plus fines et les éléments dissous migrent bien au-delà du plateau continental. Au niveau du front de delta, la morphologie du trait de côte dépend du volume des apports de matière solide par les rivières, de l’énergie relative des rivières, de la houle, des courants littoraux et de la marée. Le volume de sédiments préservés au niveau d’un delta dépend de trois paramètres physiques : le taux de sédimentation, le niveau marin relatif et le taux de subsidence. La progradation du delta est la plus forte en période de stabilité ou de descente du niveau marin, avec un apport détritique suffisant à partir du continent par les processus d’érosion. Lorsque le niveau marin est stable, les chenaux se multiplient et migrent latéralement, la surface du delta augmente et son taux de croissance ralentit. Dans le milieu marin profond Les particules les plus grossières (sables) arrachées au continent se déposent au niveau des estuaires ou des deltas, ou sont déplacées le long de la côte et sur le Bien au-delà des côtes agitées, la sédimentation est dominée par la décantation des particules en suspension dans l’eau de mer. Une partie de ces particules, dites terrigènes, vient du continent (origine fluviatile ou éolienne), avec une dilution croissante vers le centre du bassin. Une autre partie, qui vient de la sédimentation dite pélagique, se répartit uniformément à l’échelle de tout l’océan. Elle provient de la décantation des particules d’origine biologique qui nagent et flottent dans la tranche d’eau (necton et plancton). Lorsque les dépôts sont composés à la fois par la décantation de particules fines d’origine terrigène et de particules pélagiques, on parle d’hémipélagites (photo 7). Parfois la tranquillité du milieu est perturbée par l’arrivée d’un courant turbide qui apporte des sédiments plus grossiers (les turbidites). 69 Photo 7 : Hémipélagites dans le bassin vocontien, avec intercalation de grès turbiditiques, Rosans, France. Photo 7: Hemipelagites in the Vocontian Basin, interbedded with turbiditic sandstones (Rosans, France). © C. Rigollet. Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 l’énergie s’affaiblit considérablement et la partie profonde du delta n’est plus qu’une accumulation de particules fines (silts et argiles). dynamique de l’eau, de l’érosion à la sédimentation 70 Altération des matériaux et érosion Fraction terrigène Transport Sédimentation Précipitation chimique Fraction allochimique Fraction orthochimique Dépôt Diagenèse Autant les sédiments terrigènes peuvent être classés par leur granulométrie (galets, sables, silts, argiles…), autant les sédiments hémipélagiques sont classés selon leur nature : lithogènes (dérivés de l’érosion des roches) ; biogènes (dérivés d’organismes vivants, fraction allochimique) ; bio-chimiques (précipités dans l’eau de mer, fraction orthochimique) (figure 1). Le rôle de l’eau est multiple : agent de transport, de précipitation, d’altération… Le matériel transporté finit par s’accumuler dans un bassin de sédimentation pour former des dépôts stratifiés sur des épaisseurs qui peuvent atteindre plusieurs milliers de mètres [Chamley (1990)]. Les sédiments gorgés d’eau se déposent en couches successives dont la composition, la taille des particules, la couleur, etc., varient selon la nature des sédiments apportés. Il est essentiel de considérer un dépôt comme un ensemble composé, à l’origine, de particules et d’eau. Dans certains sédiments, comme les boues argileuses, l’eau peut représenter plus de 90 % du volume total du sédiment. L’eau et la diagenèse La diagénèse regroupe l’ensemble des processus qui contribuent à l’évolution des sédiments après leur dépôt : compaction, déshydratation, dissolution, cimentation, épigénisation et métasomatose. L’eau est impliquée dans la plupart des phénomènes diagénétiques. On distingue la diagenèse précoce, qui a lieu immédiatement après le dépôt des sédiments, et la diagenèse tardive qui a lieu plus en profondeur, au cours de l’enfouissement. Au cours de la diagenèse précoce, l’évolution du sédiment est principalement contrôlée par des phénomènes biologiques et la circulation des fluides. La saturation et l’origine de l’eau permettent de distinguer quatre environnements : phréatique marin, vadose marin, phréatique météoritique et vadose météorique. Les ciments précoces présentent des spécificités minéralogiques, cristallographiques et géométriques parfaitement identifiables en lames minces. Fig. 1 : Cycle continent-océan des sédiments. Fig. 1: Sediment cycling in the continent-ocean continuum. Les effets de la diagenèse tardive se superposent à ceux de la diagenèse précoce. La compaction par exemple correspond au tassement d’une couche sous l’action des sédiments qui lui sont superposés. Par la pression exercée, l’eau interstitielle du sédiment est expulsée. La compaction peut provoquer des phénomènes de dissolution des grains et ciments précoces et des phénomènes de dissolution au contact entre les grains. Ces processus de dissolution enrichissent les eaux interstitielles en éléments dissous. Associée à la compaction, la précipitation des substances dissoutes dans les eaux interstitielles contribue à la Dans certains sédiments, comme les boues argileuses, l’eau peut représenter plus de 90 % du volume total du sédiment. water dynamics, from erosion to sedimentation processes lithification des sédiments. Dans les milieux poreux, la cimentation réduit la porosité par précipitation minérale sous forme cristalline (cimentation de calcite ou de silice par exemple). De même, le phénomène inverse à la précipitation, la dissolution des ciments et/ou des grains, permet de créer une porosité secondaire dans la roche. Au cours de la diagenèse, on assiste également à des processus d’épigénisation correspondant à la transformation d’un minéral en un autre de même composition, mais avec un changement de structure cristalline (par exemple, l’aragonite se transforme en calcite). Le phénomène se produit soit par une dissolution préalable du minéral préexistant, soit par un simple échange (diffusion). Enfin, la métasomatose a lieu à plus grande échelle. Elle correspond à la substitution d’un minéral par un autre, sans changement de volume… Dans ces deux derniers cas, l’eau joue un rôle prépondérant. Le devenir des sédiments dans le cycle géodynamique Zones de subduction et rides médio-océaniques sont des mécanismes structurants de la dynamique terrestre. Les zones de subduction permettent le retour de la lithosphère océanique vers le manteau, compensant ainsi l’accrétion au niveau des rides océaniques. Ce cycle des matériaux qui constituent la lithosphère subdivisée en plaques tectoniques mobiles est appelé cycle de Wilson. La subduction et la fusion de la lithosphère océanique sont associées à une activité magmatique forte donnant naissance aux arcs volcaniques édifiés sur la plaque chevauchante. Deux chemins s’offrent aux sédiments marins dans les fosses océaniques : former des prismes d’accrétion (structures tectoniques compressives qui comblent la fosse de subduction) ou s’enfoncer dans la zone de subduction en accompagnant la plaque plongeante. Le rôle des sédiments marins dans la genèse des laves d’arc volcanique le long des zones de subduction est important. En accompagnant la plaque plongeante, les sédiments terrigènes et pélagiques gorgés d’eau, dont l’épaisseur peut dépasser les 1 000 mètres, favorisent la fusion des roches grâce à l’eau qu’ils apportent et participent aux matériaux qui constitueront des magmas. Ces sédiments étant plus riches que le manteau en éléments traces, leur participation à la genèse des laves d’arc peut avoir d’importantes conséquences sur la signature chimique de ces laves. Comme les sédiments associés aux zones de subduction ont des compositions chimiques variables d’une zone à l’autre, cette variabilité se retrouve dans les laves des différents arcs volcaniques. Pour en savoir plus sur ce sujet, voir l’article de L. Jolivet « L’eau et la dynamique lithosphérique » dans ce numéro. Dans le cycle de Wilson, les séries sédimentaires peuvent également être remaniées lors des phénomènes de surrection, comme par exemple les orogènes ou les déformations intraplaques de grande longueur d’onde (flambage lithosphérique, ≥ 500 km). Ces exhaussements des terrains, soumis à l’érosion, ont eu pour conséquence de modifier les sens d’écoulement et les caractéristiques chimiques des aquifères, conditionnant l’évolution diagénétique des sédiments et des profils d’altération. L’érosion des sédiments anciens alimente alors de nouveaux systèmes sédimentaires, dont les directions de transport d’écoulement et les aires de dépôts seront contrôlées par la topographie résultant des mêmes contraintes tectoniques. Le devenir d’une partie des sédiments dans la dynamique lithosphérique et le dépôt des sédiments terrigènes sont donc intimement liés aux grandes périodes érosives des temps géologiques. Ainsi, au Crétacé inférieur, en liaison avec l’ouverture du golfe de Gascogne, la marge nord du rift formait un épaulement axé sur la Bretagne méridionale et l’ouest du Massif central. Cette zone élevée, dont l’altitude pouvait atteindre 1 500 à 3 000 mètres (par analogie avec les rifts actuels), était soumise à l’érosion et à l’altération. Au nord-est de cet épaulement s’individualisa une gouttière orientée vers les bassins de Londres et de Paris, recueillant les produits d’érosion de ces zones plus élevées et s’ouvrant vers le sud-est en direction de l’océan téthysien, à travers l’actuel seuil de Bourgogne. Au Tertiaire, les contraintes tectoniques compressives à l’origine de la formation des Alpes et des Pyrénées provoquèrent une importante déformation intraplaque à grande longueur d’onde qui flexura le bassin de Paris et supprima progressivement sa subsidence. Les séries sédimentaires mésozoïques, comme par exemple celles du seuil de Bourgogne, furent alors altérées et remaniées pour alimenter de nouveaux systèmes sédimentaires qui comblèrent les bassins voisins. n Water dynamics, from erosion to sedimentation processes The water cycle plays a central role in the Earth system. Weathering and erosion of all rock types are the main source of soils and solid matter transported by rivers, and the role of water is predominant in these processes. Erosion, transit and sediment deposition punctuate the land-ocean continuum. Once they have moved beyond the barrier between continent and ocean (estuaries or deltas), suspended solids transported by rivers combine with particles that are solely marine in origin and, through sedimentary and diagenetic processes, form sediment. The sediment cycle continues with the passage of materials into oceanic trenches and subduction zones. Another aspect of sediment behavior in lithospheric dynamics concerns extended erosive periods that occurred in the course of geologic time. Isostatical variations in seawater levels and large lithospheric strains (≥ 500 km) induced changes in the aquifer chemistry, diagenetic impact, weathering profiles and creation of erosional surfaces. Bibliographie : Berner, E.-K., Berner, R.-A. (1987) – The Global Water Cycle: Geochemistry and Environment. Prentice-Hall Inc., Englewood Cliffs, New Jersey, 396 p. Campy, M., Macaire, J.-J. (1989) – Géologie des formations superficielles ; géodynamique, faciès, utilisation. Masson, Paris, 448 p. Chamley, H. (1990) – Sédimentologie. Bordas Collection : Géosciences, 175 p. Drever, J.-I. (1988) – Geochemistry of Natural Waters. Prentice-Hall, Inc., Englewood Cliffs, New Jersey, 437 p. Gordon N., McMahon T.-A., Finlayson B.-L. (1992) – Stream Hydrology. An introduction for ecologists. John Wiley & Sons, 526 p. Meybeck, M., Ragu, A. (1996) – River discharges to the oceans: an assement of suspended solids, major ions and nutrients. United Nations environment program. 245 p. les grands systèmes fluviaux de l’holocène à l’anthropocène, indicateurs des changements globaux Les grands systèmes fluviaux reflètent les changements naturels et anthropiques du système Terre. Leur dynamique naturelle sur les derniers 20 000 ans montre des bouleversements sur plus de la moitié des continents. Mais au cours du dernier siècle, l’Homme est devenu un agent géologique majeur : il est à l’origine de changements encore plus marqués et bien plus rapides. Les grands systèmes fluviaux de l’Holocène à l’Anthropocène, indicateurs des changements globaux Le système du fleuve Jaune (Huang He) en Chine est très sensible aux variations climatiques et aux impacts anthropiques. Le delta se construit par l’apport d’un milliard de tonnes par an de sédiments arrachés au plateau de loess. Cet apport a considérablement augmenté depuis 1 000 ans en raison de la déforestation. Toutefois, ce vaste transfert de sédiments diminue depuis vingt ans grâce aux mesures de protection des sols et à la rétention par les barrages. The Yellow River (Huang He) system in China is very reactive to climate variability and human impacts. The river delta forms by the contribution of one billion metric tons of sediment per year, torn away from the loess plateau. This phenomenon has increased substantially over the past 1000 years, due to deforestation. Twenty years of soil conservation measures and reservoir retention, however, are now cutting back on this enormous sediment transfer. © NASA. endoréisme 72 Michel Meybeck Directeur de recherche CNRS Université Pierre et Marie Curie, Paris 6 UMR 7619 Sisyphe [email protected] Hans Dürr Department of Earth Sciences Utrecht University (ND) [email protected] O n distingue schématiquement plusieurs parties dans un système fluvial naturel (figure 1). Dans la partie amont, de plus fort relief, les flux d’eau et de matières sont importants ; l’érosion mécanique domine. La partie médiane est caractérisée par les apports des tributaires principaux ; les sédiments transportés deviennent plus fins. Dans la partie aval, la plaine d’inondation s’élargit et s’accompagne souvent de zones humides étendues ; les vitesses du courant ne permettant plus que le transport des argiles et des limons, sauf lors des crues. Enfin, les estuaires, interfaces entre les eaux marines et les eaux douces, filtrent les flux de matière reçus par les fleuves. Le système fluvial est donc un ensemble hydrologique qui relie une multitude de têtes de bassin à un point de rencontre unique : la zone côtière, parfois une mer intérieure ou un aquifère. Dans un tel système, les eaux courantes, les lacs, les zones humides et les eaux souterraines superficielles (encadré, page 80) sont en connexion et dépendent du cycle hydrologique dont le fonctionnement est étroitement lié aux conditions climatiques. Le fonctionnement d’un système fluvio-lacustre est étroitement lié aux conditions climatiques. great fluvial systems fom the holocene to the anthropocene as indicators of global changes Les ruptures de lacs glaciaires correspondent à la dynamique la plus rapide des systèmes fluvio-lacustres. La nature et la position des lacs dans les systèmes fluviaux sont déterminantes. Les lacs sont en effet des trappes à sédiment très efficaces, des réacteurs biogéochimiques, des régulateurs de débit et de température. On en distingue plusieurs types. Les lacs d’origine glaciaire, qui ont moins de 10 000 ans, sont situés sur les boucliers continentaux anciennement englacés de Scandinavie, du Canada ou de Sibérie (photo 1). Ils ont parfois donné naissance à de grands lacs, comme les Grands Lacs nord-américains, source du Saint-Laurent, qui « interceptent » un bassin de près de 500 000 km2 pour une superficie lacustre totale de 246 000 km2. Les lacs de rift et la plupart des lacs d’origine tectonique ont en commun leur très grande profondeur. Ce sont tous des lacs anciens, âgés de 1 à 25 millions d’années. Parmi les principaux, citons les lacs Baïkal, Tanganyika, Titicaca, mais aussi la mer Caspienne, la mer Morte… Les lacs d’origine fluviale, souvent très récents, ne sont parfois âgés que de quelques siècles. Ils sont peu profonds et leur taille varie considérablement avec le niveau de crue du fleuve. À notre échelle humaine, ces systèmes fluvio-lacustres nous paraissent immuables, même s’ils font l’objet de grandes crues. Mais à d’autres échelles de temps, ce n’est pas du tout le cas. Les ruptures glaciaires : des événements cataclysmiques Lors des derniers 20 000 ans, les systèmes fluviaux exoréiques, c’est-à-dire tournés vers l’océan mondial, ont connu de grands bouleversements en raison de la déglaciation et des fluctuations concomitantes du niveau marin. Pendant les périodes glaciaires, les systèmes fluvio-lacustres tels que nous les connaissons aujourd’hui étaient profondément différents à cause du recouvrement par les glaces des inlandsis sur l’Amérique du Nord, l’Europe du Nord et une partie de la Sibérie (figure 2). Photo 1 : Paysage fluvial en Alaska. De tels systèmes fluviaux ne sont pas encore anthropisés et fonctionnent comme à l’Holocène. Ils sont menacés par la construction de barrages ou par les activités minières. Photo 1: A natural river landscape in Alaska. Such river systems are still in pristine condition and function as they did during the Holocene. However, they are at threat from hydropower dams and mining operations. © Fotolia. 73 Fig. 1 : Systèmes fluviaux à l’Holocène et à l’Anthropocène. À l’Holocène, les différents éléments des systèmes fluviaux sont connectés entre eux, assurant une régulation hydrologique, biogéochimique, morphologique et écologique depuis les têtes de bassin jusqu’à la côte. Les systèmes répondent graduellement aux variations séculaires ou millénaires du climat. À l’Anthropocène, l’action de l’Homme modifie les systèmes fluviaux par la déforestation A , la mise en culture B , la disparition des zones humides C , l’artificialisation du cours fluvial D , les rejets miniers E , industriels F et urbains G . La connectivité est contrariée par des barrages H , les diversions d’eau pour l’irrigation I , les prélèvements excessifs dans les nappes aquifères J . À ces effets directs s’ajoutent au XXIe siècle ceux du changement climatique mondial dont le réchauffement K , le changement des précipitations L et l’élévation du niveau marin M . Sur la côte, la rétention des sédiments dans les réservoirs H conduit à une reprise de l’érosion N et les apports de nutriments et de polluants ( B , E , F , G …) à l’altération des écosystèmes côtiers O . Les eaux souterraines sont soumises à des contaminations multiples provenant des mines P , des industries Q , de l’agriculture R et de l’urbanisation S . © BRGM - Kalanka 74 – – – : Limites du bassin versant. Fig.1: Fluvial systems, during the Holocene and the Anthropocene. In the Holocene, the various components of fluvial systems are fully interconnected, ensuring hydrological, biogeochemical, morphological and ecological regulations from the headwaters to coast. Systems slowly respond to secular or millennial climate variations. In the Anthropocene, human activities impact fluvial systems through deforestation A , agriculture B , wetland reduction C , river course artificialization D , and mining E , industrial F , and urban wastes G . The connectivity is altered by dams H , water diversion for irrigation I and excessive groundwater withdrawal J . With the advent of the 21st century, these direct impacts due to global climate change include warming K , modification of precipitations L and a rise in sea level M . Distal impacts on the coastal zone include enhanced erosion N due to sediment retention in reservoirs H and alteration of coastal ecosystems O due to nutrients and pollutants inputs from multiple sources ( B , E , F , G …). Aquifer contaminations originate from multiple sources: mining P , industries Q , agriculture R and urbanization S . – – – : Limits of the watershed. © BRGM - Kalanka HoLoCène AnTHRoPoCène great fluvial systems fom the holocene to the anthropocene as indicators of global changes Les ruptures glaciaires – ou glacial burst – ont longtemps paru improbables aux yeux des scientifiques. La crue de Missoula, dans la partie supérieure du fleuve Columbia, fut décrite pour la première fois par le géologue J.-H. Bretz dans les années 1920. À la fin de la déglaciation des Rocheuses canadiennes (15 000 à 13 000 BP), le barrage par les glaciers d’un grand lac de retenue (7 770 km2, volume estimé à 2 184 km3, soit 25 fois celui du lac Léman) situé dans la gorge de Kalama (État de Washington) a cédé à plusieurs reprises. L’onde de crue a atteint une cote de 280 à 300 mètres au-dessus du lit actuel du fleuve Columbia. Les estimations du débit maximum s’expriment en millions de m3/s. En raison du réchauffement climatique, de telles ruptures catastrophiques pourraient se multiplier dans le siècle à venir. Au Népal, le lac de Tsho Rolpa, situé à 4 580 mètres d’altitude, formé par un barrage morainique et profond de 150 mètres, s’étend chaque année un peu plus du fait de la fonte glaciaire. Son volume d’une centaine de millions de mètres cubes représente une menace croissante pour la vallée de Rolwaling. Endoréisme et lacs salés : une dynamique typique de l’Holocène L’écoulement des fleuves vers les dépressions internes des continents – lacs salés, déserts ou « mers » intérieures (mer Caspienne, mer d’Aral, mer Morte) – est appelé endoréisme (figure 3). Il ne peut exister que si le bilan hydrologique du bassin de réception final le permet, c’est-à-dire que l’évaporation et/ou l’infiltration excèdent la somme des apports fluviaux des bassins amont. Les lacs salés, dont la salinité est supérieure à 3 g/L, sont situés en position terminale des systèmes fluviaux endoréiques. Leur salinité est régulée par leur bilan hydrique. Pour le lac Tchad, dont les eaux s’infiltrent sous les cordons inter-dunaires, la salinité est à peine plus élevée que celle de ses affluents. Celle de la mer Caspienne ne dépasse pas 12 g/l, car la précipitation finale des sels s’effectue dans le Kara Bogaz, un grand lac salé situé quelques mètres sous le niveau de la mer Caspienne et qui atteint une salinité extrême (300 g/l), du même ordre de grandeur que celle de la mer Morte (400 g/l). Enfin, l’aréisme a été défini par les géographes tel De Martonne (1873-1955), comme une absence totale d’écoulement. Les modèles d’écoulement globaux [Vörösmarty et Meybeck (2004)] permettent de carter les régions endoréiques, exoréiques et aréiques (écoulement inférieur à 3 mm par an) sur les 133 millions km2 de surfaces continentales non glacées (figure 3). Sur une grande partie du Sahara, de l’Arabie, du Rajasthan, du bassin du Tarim et, en général, de l’Asie centrale, on trouve ainsi d’anciens réseaux qui se sont progressivement asséchés. Les observations satellites permettent de reconstituer ces réseaux fluviaux fossiles sur tous les continents (figure 2). Les modèles d’écoulement globaux permettent de carter les régions endoréiques, exoréiques et aréiques. Le niveau des océans influe aussi sur l’extension des bassins fluviaux. À la dernière période glaciaire, il était de 120 mètres plus bas qu’aujourd’hui, dégageant d’immenses plate-formes continentales (figure 2) souvent entaillées par des vallées fluviales. Certains réseaux fluviaux, aujourd’hui séparés, pouvaient être réunis. La tectonique quaternaire, les rebonds isostatiques et le volcanisme sont d’autres facteurs de contrôle des systèmes fluvio-lacustres. C’est particulièrement le cas pour les grands lacs du Rift est-africain ou pour les Jökulhaupts islandais provoqués par des éruptions volcaniques sous-glaciaires. En novembre 1996, la rivière Skeidara, qui draine le grand glacier Vatnajökul, a vu son débit multiplié par plus de cent en quelques Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 1 1 La paléogéographie de ces systèmes est complexe à retracer, car pendant la déglaciation, qui s’acheva il y a 6 000 ans, des lacs immenses se formaient puis disparaissaient. En Amérique du Nord, le lac Agassiz, qui couvrait 440 000 km2, s’est vidé de façon catastrophique et à plusieurs reprises entre 13 000 et 8 400 BP. Sa vidange ultime se serait déroulée en un temps très court, de l’ordre de l’année, avec un débit dépassant largement le pic de crue actuel de l’Amazone (180 000 m3/s). Ces cataclysmes auraient élevé le niveau des océans de 1 à 3 mètres et brusquement modifié la circulation thermohaline de l’Atlantique Nord, concourant au refroidissement général du Younger Dryas. 75 Fig. 2 : Aspect des continents au dernier maximum glaciaire : couverture par les glaces et régions exposées par l’abaissement du niveau marin (en vert). L’ensemble du réseau fluvial est représenté, y compris dans les régions actuellement désertiques. Dürr et Meybeck, en préparation. Fig. 2: Continental features at the Last Glacial Maximum: ice cover and continental platforms (in green) resulting from a drop in sea level. The river network is represented, including in present-day arid regions. Dürr and Meybeck, in prep. Total area 133 M km2 Arheic Rheic S Exo (%) 25,7 Endo (%) S 9,0 34,8 60,1 5,2 65,2 85,8 14,2 100 % River network Fig. 3 : Réseau actuel des principaux fleuves. Limites des régions exo-endoréiques et réiques-aréiques (seuil d’écoulement occasionnel fixé à 3 mm par an) et leurs proportions relatives à la surface du globe, inlandsis exclus. Dürr et Meybeck, en préparation. 76 heures, atteignant un pic de 45 000 m3/s, transportant en moins de trois jours environ cent millions de tonnes de matériaux volcaniques à l’océan. Le forçage tectonique des systèmes fluviaux doit surtout être pris en considération sur le long terme géologique, exprimé en millions d’années. À des échelles plus courtes, ce sont les forçages climatiques, le niveau des océans, la déglaciation et les changements de bilan hydrologique, qui dominent largement la dynamique des systèmes fluviaux à l’échelle globale. Fig. 3: Present-day fluvial networks. Limits of exorheic-endorheic and arheic-rheic regions (threshold for occasional runoff: 3 mm/year) and their proportions relative to that of the earth’s surface exclusive of areas covered by ice sheets. Dürr and Meybeck, in prep. Les systèmes fluviaux sous la pression des hommes Avec le développement des sociétés humaines, les fleuves ont progressivement été aménagés, régulés et souvent contaminés (figure 1). Pour répondre à la demande croissante d’eau, de nourriture, de sécurité, d’énergie ou de transport, l’ingénieur utilise les eaux fluviales comme une ressource à exploiter. Il considère les crues et les étiages comme un risque à minimiser, le fleuve comme une voie de navigation à aménager et la plaine alluviale comme un gisement de granulats. L’aménageur du territoire a longtemps considéré les rivières et les fleuves comme un moyen privilégié pour évacuer les déchets de la société (figure 1, E , F , G ). Les fleuves entravés Les grands barrages constituent le plus grand bouleversement des systèmes fluviaux à l’échelle globale. Le premier d’entre eux fut construit en 1935 sur le fleuve Colorado (photo 2). Après 1950, les plus grands fleuves de la planète ont vu leur cours principal barré et occupé par des réservoirs d’un volume dépassant parfois 10 km3 (tableau 1). Aujourd’hui, les petits cours d’eau sont équipés de dizaines de milliers de petites retenues. Rien qu’aux États-Unis, on en recense 85 000. Désormais, l’homme contrôle, via les multiples barrages, plus de la moitié des réseaux hydrographiques des continents. La durée de vie des réservoirs est de quelques dizaines d’années à plusieurs siècles. À l’échelle des sociétés humaines, les impacts des barrages sur les systèmes fluviaux seront effectifs à très long terme. Les régimes hydrologiques sont décalés de plusieurs mois, les régimes thermiques modifiés, le transit sédimentaire des fleuves, à l’aval des réservoirs, est diminué d’un facteur dix, voire cent, souvent jusqu’à la zone côtière, entraînant une reprise de l’érosion (figure 1, N ). Les réservoirs stockent les nutriments provenant de l’amont (azote, phosphore…) et émettent des gaz à effet de serre (méthane). Ils constituent des obstacles à la circulation des poissons, en particulier aux migrateurs, et altèrent la biodiversité. La création de nouvelles zones humides en région tropicale peut s’accompagner de maladies spécifiques de ces milieux. La prise en compte de ces impacts à très long terme est rarement réalisée. Photo 2 : Le barrage du Hoover Dam (en 2008), qui a créé le lac Mead sur le Colorado en 1935, est le premier d’une série de barrages géants ayant considérablement altéré les fonctions naturelles des plus grands systèmes fluviaux. Photo 2: Hoover Dam (in 2008), which created Lake Mead on the Colorado River in 1935, is the first of a long series of giant dams. Such reservoirs have much altered the natural functions of the biggest river systems. © Fotolia. Les impacts à long terme des barrages sur les systèmes fluviaux sont rarement pris en compte. les grands systèmes fluviaux de l’holocène à l’anthropocène, indicateurs des changements globaux 78 Tableau 1 : Principaux systèmes fluviaux exoréiques du monde, par ordre décroissant de superficie, avec leurs lacs, zones humides et réservoirs (Meybeck, in Likens, 2009). Table 1: Main exorheic fluvial systems in the world by decreasing order of surface area, including their lakes, wetlands and reservoirs (Meybeck, in Likens, 2009). Flux sédimentaire Superficie du Débit actuel à avant construction bassin l’embouchure des barrages Mkm2 km3/an 106t/an Lacs naturels Marais Réservoirs/ Barrages sur Tapajpos 1 Amazone 6,1 6 600 1 200 Nombreux dans la plaine inondable Varzea 2 Congo 3,7 1 200 23 Kivu, Tanganyika Cuvette centrale 3 Ob 3,0 404 16,5 4 Mississipi 3,0 529 500 5 Nil 2,87 0,3* 120 6 Parana 2,78 568 79 7 Iénisséi 2,59 620 5,9 8 Léna 2,49 525 17,6 9 Amour 1,85 344 25 10 Yang-Tsé-Kiang 1,81 928 480 Dong Ting, Poyang, Tai Mackenzie 1,71 308 42 Great Bear, Great Slave, Atabaska 12 Zambèze 1,33 106 20 Malawi Niger 1,2 154 40 11 13 14 Nelson 15 Orénoque 1,13 89 Pur-Mensi Novosibirsk R. sur Missouri et Arkansas Victoria, Tana, Albert, Edouard Sudd Nasser R. + nombreux autres Pantanal Krasnoyarsk R, Bratsk R Baïkal Kariba R. Delta Central Winnipeg, Winnipegosis, Manitoba 1,1 1 135 150 sur Caroni 16 Murray 1,06 7,9* 30 nombreux Gange 1,05 493 520 1,02 337 17 18 Saint-Laurent Supérieur, Huron, Michigan, Ontario, Erié 19 Orange 1,0 11,4* 89 nombreux 20 Indus 0,91 (57)* 250 nombreux nombreux 21 Rio Grande 0,87 0,72* 20 23 Danube 0,82 207 68 24 Mekong 0,79 467 150 Tonle Sap sur haut bassin 26 Fleuve Jaune 0,75 41* 1 100 nombreux 28 Columbia 0,67 236 15 nombreux 30 Colorado 0,64 0,10* 120 Mead R, Powell R. nombreux 31 São Francisco 0,63 90* 6,0 32 Brahmapoutre 0,58 510 540 33 Tigre/Euphrate 0,54 46* 105 * Très forte réduction des débits naturels. (delta) sur haut bassin great fluvial systems fom the holocene to the anthropocene as indicators of global changes a Mise en opération du barrage Hoover 200 100 0 Fig. 4 : Évolution du fleuve Colorado au XXe siècle, à la frontière États-Unis/Mexique. 1910 1920 1930 1940 1950 Mt/an 300 b : Flux de sédiments (millions t/an). Mise en opération du barrage Hoover, 1935. D’après Meade et Parker, in Vörösmarty et Meybeck, 2004. b 200 Fig. 4: Evolution of the Colorado River at the U.S./Mexican border in the 20th century. a: Annual discharge at the river mouth (km3/year). 100 0 a : Débits annuels à l’embouchure (km3/an). 1960 b: Annual sediment discharge (million tons/year). Hoover Dam began operation in 1935. From Meade and Parker, in Vörösmarty et Meybeck, 2004. 1910 1920 1930 Des fleuves asséchés Les dérivations pour l’irrigation, qui vont souvent de pair avec les barrages, sont à l’origine d’une diminution des débits fluviaux sur des territoires de plusieurs dizaines de millions de km2 partout dans le monde. La diminution des débits naturels du Colorado (figure 4), du Nil et de l’Amou-Daria, dépasse 90 %. Elle est du même ordre de grandeur pour les flux sédimentaires. Dans les dernières décennies, le fleuve Jaune a été à sec pendant plusieurs mois chaque année ; la permanence de ses débits vient juste d’être rétablie. 1940 1950 1960 Sur les fleuves équipés de réservoirs pour l’irrigation, les apports d’eau, de carbone, de sédiments et de nutriments sont considérablement réduits. L’exemple le plus souvent cité des effets de l’irrigation non maîtrisée est la disparition de la mer d’Aral. Mais la disparition du Colorado est tout aussi spectaculaire. Les impacts de ces assèchements et des modifications des apports de nutriments se font souvent sentir très à l’aval : reprise de l’érosion littorale (Nil, photo 4), disfonctionnements affectant les zones côtières deltaïques (Danube, Mississipi). Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 km3/an 300 79 Photo 4 : Vue satellite du delta du nil et du Caire. Les cultures irriguées consomment plus de 90 % de l’eau du nil sortant du lac nasser : les apports fluviaux à la Méditerranée sont aujourd’hui presque nuls. Photo 4: Satellite image of the Nile delta and Cairo. Irrigated crops use up over 90 % of the river’s waters leaving Lake Nasser: fluvial transfers to the Mediterranean today are all but nonexistent. © J. Descloitres – MODIS Rapid Response Team, NASA/GSFC. les grands systèmes fluviaux de l’holocène à l’anthropocène, indicateurs des changements globaux > Les eaux souterraines Jean Margat – Hydrogéologue – BRGM – [email protected] Au cours de l’Holocène, seules les eaux souterraines liées aux systèmes fluviaux ont subi des changements de régime hydrographique. Les grands systèmes aquifères des bassins sédimentaires ont été soumis à des variations d’apport en raison des changements climatiques, mais leur dynamique profonde, ne dépendant que de leur structure, est restée stable. L’âge (supérieur à 40 000 ans) de l’eau profonde actuelle ne témoigne pas des changements de climat au cours de l’Holocène, mais plutôt de conditions structurales stables. Les durées de déplacement des eaux souterraines profondes ne dépendent que des transmissivités et des longueurs de trajet, et non des variations d’apport aux aires de recharge. En revanche, les conditions hydrogéologiques des zones littorales, notamment des massifs calcaires côtiers, ont été très sensibles aux variations du niveau de la mer, comme cela avait déjà été le cas en Méditerranée lors de l’épisode messinien : karstification approfondie et avancée des émergences en période de régression marine, puis invasion d’eau marine et remise en émergence d’anciennes pertes en période de remontée du niveau des mers, avec conservation de quelques sources sous-marines… Quant aux influences anthropiques sur les eaux souterraines, elles ne commencent à être visibles qu’au cours du XXe siècle : 80 « Source vauclusienne » ou « exsurgence », la Fontaine de Vaucluse émerge au pied d’une falaise de 230 m de haut. Unique point de sortie d’un massif karstique de 1 100 km2 récupérant les eaux du Mont Ventoux, des monts du Vaucluse, du plateau d’Albion et de la montagne de la Lure, son débit annuel est de 630 millions de m3. Cette source est la plus importante de France. Typical «vauclusian spring» or «exsurgence», the fountain of Vaucluse, situated at the feet of a steep cliff 230 metres high, is the biggest spring in France, with an annual flow of 630 million cubic metres. Its karstic basin, 1 100 km2 wide, is fed by surrounding mountains of Ventoux, Vaucluse, Lure and Albion plateau. © Fotolia. – incidence de l’exhaure minière, parfois intensive, mais assez localisée et suivie, lors de « l’aprèsmine », d’inondation locale du sol affaissé ; – découverte, exploitation, puis épuisement assez rapide des grands bassins artésiens où les pompages ont relayé les jaillissements (Australie, Sahara…) ; – exploitation intensive de nombreux aquifères, à ressources renouvelables ou non, qui a entraîné des chutes de niveau de l’ordre de 100 mètres Une qualité des eaux durablement compromise Au cours des cent dernières années, et particulièrement depuis 1950, la qualité générale des fleuves s’est profondément modifiée. Le premier inventaire global de la qualité des eaux est très récent [Meybeck et al., (1989)]. Sur certains fleuves, on a pu reconstituer et analyser l’évolution de la qualité sur un siècle : c’est le cas pour la Seine grâce au programme PIREN–Seine 1 qui se poursuit depuis 1989 [Billen (2007)]. En prenant la Seine comme exemple type de l’évolution des fleuves des pays industrialisés, on observe un impact maximum des activités humaines dès 1870. Le taux d’oxygène dissous, indispensable aux poissons, était déjà très faible en été à l’aval de Paris. 1 – PireN-Seine (2009-2011) - http://www.sisyphe.upmc.fr/piren/; http://www.piren-seine.fr/fascicules en un siècle en plusieurs régions du monde, provoquant des tarissements de sources, des appauvrissements de débit de cours d’eau et parfois des affaissements du sol (Mexico, Venise…). En un siècle, plus de 1 000 km3 d’eau souterraine ont été soustraits aux réserves de différents aquifères, principalement aux États-Unis, en Chine, en Inde, en Arabie… n Cette pollution organique était accompagnée d’une augmentation d’un facteur mille et parfois plus, de la contamination bactérienne. Cette hypoxie chronique, qui a duré près d’un siècle, ne s’est réduite que dans les années 1980 grâce au développement sans précédent du traitement des eaux usées. Les concentrations en nutriments ont également beaucoup augmenté dans tous les fleuves français : à partir de 1950 pour l’azote et un peu plus tard pour le phosphore. Elles sont à l’origine de l’eutrophisation fluviale, puis côtière à l’origine des marées vertes en Bretagne. La contamination nitrique des fleuves a pendant longtemps été gérée sur la base du seul critère de santé publique, en ignorant les effets sur l’eutrophisation. Pourtant, depuis 1970, les limnologues ont établi des critères de gestion vingt fois plus sévères pour great fluvial systems fom the holocene to the anthropocene as indicators of global changes Les changements anthropiques observés depuis moins d’un siècle sont dix à cent fois plus rapides que les grands changements des derniers 20 000 ans. l’azote et recommandé l’interdiction des détergents phosphatés. Aujourd’hui, les flux de nutriments commencent à décroître dans nos fleuves mais les quantités d’azote et de phosphore accumulées dans les abers bretons, les estuaires et les aquifères limitent les espoirs d’une restauration de ces milieux avant des décennies. L’évolution de la contamination métallique des fleuves est plus encourageante. Dans les fleuves de l’Europe de l’Ouest, les carottes de sédiments fluviaux montrent une très forte augmentation, en général entre 1900 et 1950, des teneurs de certains métaux (Ag, Cd, Hg, Pb, Zn) par rapport au bruit de fond naturel. Les flux de ces métaux du continent vers l’océan ont alors été multipliés par dix. À partir de 1960-1980, cette tendance s’inverse en raison de l’arrêt des extractions minières, de la réduction des fonderies, des changements de procédés industriels et du recyclage des métaux dans les industries et dans l’usage public (batteries, piles). Enfin, à partir des années 1980, de nombreuses directives européennes ont imposé des mesures de contrôle. Les eaux des fleuves reçoivent aussi toutes les substances synthétiques utilisées par l’agriculture (pesticides), l’industrie (solvants, plastifiants, isolants électriques ou thermiques) ou destinées à la santé humaine et vétérinaire (médicaments, hormones) (figure 1, B , F , G ). La directive-cadre sur l’eau de l’Union européenne fait obligation de surveiller et de quantifier des dizaines de ces molécules. Pour les micropolluants persistants comme les PCB et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), on note, comme pour les métaux, des maxima de contamination entre 1950 et 1970. Mais de nouveaux problèmes, peut-être aussi graves que les précédents, sont aujourd’hui mis en avant par les scientifiques, telle que la pollution par les phtalates, signalée depuis quarante ans déjà, et par certains résidus médicamenteux. La prise de conscience des sociétés a permis, du moins dans nos pays anciennement industrialisés, de dégager à partir des années 1970 des moyens financiers et administratifs pour lutter contre la dégradation de la qualité des eaux. Toutefois, l’ampleur du problème de la qualité des fleuves n’est connue qu’à partir des années 1990. Les métaux, PCB, pesticides, HAP, n’étaient pas analysés et/ou analysables avant cette période. L’Homme apparaît désormais comme un agent géologique majeur, voire dominant, sur bien des aspects. Si son impact sur le climat global est connu et largement pris en compte, son impact sur les fleuves reste difficile à apprécier. Une première étude en ce sens vient de paraître [Vörösmarty et al., (2010)] ; elle ouvre des perspectives encourageantes. Les changements anthropiques observés depuis moins d’un siècle sont dix à cent fois plus rapides que les grands changements des derniers 20 000 ans liés aux variations climatiques, à la tectonique ou au volcanisme. Ils se produisent à une échelle globale et sur tous les continents. On observe une accélération des cycles de matière, avec une augmentation générale des concentrations (sels dissous, nutriments, métaux, micropolluants organiques) dans les fleuves. L’évolution des flux de matières est plus complexe, car elle dépend de la présence des réservoirs et de l’irrigation, qui limitent les flux nets vers les océans. À l’échelle globale, on estime que les flux de nutriments aux océans ont été multipliés par deux ou trois et que les teneurs moyennes des sédiments en métaux comme le mercure, le cadmium ou le plomb, ont sans doute augmenté dans les mêmes proportions. L’inclusion de cette nouvelle période de l’histoire de la Terre, nommée Anthropocène dans l’échelle des temps géologiques, fait aujourd’hui l’objet d’une discussion parmi les géologues [Zalasiewicz et al., (2010)]. n Great fluvial systems fom the Holocene to the Anthropocene as indicators of global changes Fluvial systems link rivers, lakes, wetlands and groundwater together and convey water and products of erosion to coastal and endorheic regions, i.e. those unconnected to oceans. These systems provide unique insight into the evolution of the earth System, integrated over their drainage basin. Between the Last Glacial Maximum and 6000 years BP, some 20 million km2 of new fluvial systems have been generated and about as much have been lost due to Sea Level rise. Sudden glacial outbursts lead to cataclysmic floods affecting millions of km2. During the Holocene, slower dynamics, due to changes of the water balance, lead to the gradual disconnection and drying up of fluvial networks in regions that are currently arheic or endorheic, affecting 20 à 30 millions of km2. These natural changes, mostly climate-driven, have been greatly accelerated in the last 100 years by a new global change affecting fluvial systems that results from such human activities as damming, pollution and runoff reduction due to irrigation. in some regions, concentrations of salts, nutrients, metals, have been increased by an order of magnitude. in others, the net fluxes to coastal zone have decreased in similar proportions. Many of these changes, affecting more than half the world’s river basins, will be permanent, such as damming, determining a new state of fluvial systems for the Anthropocene era. Bibliographie : Billen G. (Ed.) 2007 – The Seine River. Sciences of the Total Environment, 375, p1-300. Meybeck M., Chapman D., Helmer R. (1989) (Eds) – Global Assessment of Fresh Waters Quality – A first Assessment. Basil Blackwell, Oxford, 307 p. Meybeck M. (2003) – Global analysis of river systems: from Earth system controls to Anthropocene controls. Phil. Trans. Royal Acad. London B, 358, 1440, 1935-1955. Vörösmarty C.-J., Meybeck M. (2004) – Responses of continental aquatic systems at the global scale: new paradigms, new methods. Chapter D4 in: Kabat P. et al. (eds), Vegetation, Water, Humans and the Climate: a New Perspective on an Interactive System Springer, Verlag IGBP Synthesis Series, 375-413. Likens G. E. (2009) – Encyclopedia of Inland Waters, Rivers and Streams chapters, Elsevier, Oxford, p318-437. Vörösmarty C.-J. et al. (2010) – Global threats to human water security and river biodiversity, Nature, 467, 555-561 Zalasiewicz et al. (2008) – Are we now living in the Anthropocene? GSA Today, 18, 2, 4-8. quality of our groundwater resources: arsenic and fluoride Quality of our Groundwater Resources: Arsenic and Fluoride Groundwater often contains arsenic or fluoride concentrations too high for drinking or cooking. These constituents, often naturally occurring, are not easy to remove. The right combination of natural or manmade conditions can lead to elevated arsenic or fluoride which includes continental source rocks, high alkalinity and pH, reducing conditions for arsenic, high phosphate, high temperature and high silica. Agencies responsible for safe drinking water should be aware of these conditions, be prepared to monitor, and treat if necessary. water quality 82 Our Groundwater Resources Dr. D. Kirk Nordstrom Hydrogeochemist US Geological Survey, Boulder, Colorado, USA [email protected] Tubewell in Bangladesh. Puits d’alimentation au Bangladesh. © D. Kirk Nordstrom. T he future outlook for the quantity and quality of our global water resources to meet human demand is grim. The former head of the UNEP (United Nations Environment Programme), Mostafa Tolba, stated in 1998 “We used to think that energy and water would be the critical issues for the next century. Now we think water will be the critical issue.” Currently the United Nations estimates that between 1.5 and 2 billion people, some 25% of the world population, have no access to safe water, and by 2025 about the same number of people are estimated to be living under conditions of absolute water scarcity [Gleick (2009]. Also, approximately 2.6 billion people lack safe water sanitation facilities (Ban Ki-moon, UN headquarters speech, September 22, 2010). The United Nations Many surface-water supplies have dried up, been polluted, or diverted. Hence, there has been an unprecedented increase in the exploitation of groundwater resources, often without proper management, necessary controls, or characterization. An estimated 2 billion people worldwide estimates that some 25% of the world population have no access to safe water. la qualité de nos ressources en eaux souterraines : arsenic et fluor Anthropogenic degradation of groundwater quality happens for many reasons: excessive exploitation, agricultural activities, mining activities, major changes in land use, landfill leachates, and chemical spills and discharges. Less well-known are natural sources of aquifer contamination which are more widespread than previously recognized, especially for arsenic and fluoride (see boxed text p. 86). Many tens to hundreds of millions of people worldwide suffer from excessive exposure to arsenic and fluoride found in groundwater Many tens to hundreds of millions of people worldwide suffer from excessive exposure to arsenic and fluoride found in groundwater drinking supplies. 83 Gé o sci ences • n u méro 13 • ju i l l et 2011 depend on groundwater for drinking water. Water tables have dropped dramatically causing subsidence and salinization. Disposal of contaminants into the subsurface continually interferes with groundwater that is needed for drinking and agricultural usage. Water quality is not determined adequately or routinely in many regions. Even when a groundwater contains water-quality contaminants and facilities for treating groundwater do not exist, the water is withdrawn for drinking purposes anyway because there are no feasible alternatives. drinking supplies. The most well-known example is the Bengal Delta where tens of millions of people use shallow groundwater for their drinking and cooking water, and most wells contain arsenic concentrations higher than the drinking water standard (10 µg/L). Also many parts of northern China also rely on groundwater for drinking water, and arsenic frequently contaminates these wells (photo 1): at least a million people in China are exposed to excess arsenic. Symptoms of arsenic poisoning include skin disorders (melanosis or hyperpigmentation followed by keratosis or skin lesions and open sores, skin cancer, and gangrene requiring amputation (photo 2). Late-stage symptoms include cancer of lungs, bladder, kidneys, and liver. World Map showing high arsenic and fluoride concentrations. Carte du monde indiquant les fortes concentrations en arsenic et fluor. source: Smedley and Kinniburgh, British Geological Survey. Fairbanks, Alaska Aleutian Islands Western USA Gaspé Peninsula, Quebec, Canada British Columbia Western USA Coeur d'Alene Clark Fork River Nova Scotia Yellowstone Ohio Northern Mexico Coastal and confined aquifers England England Romania, Hungary Massif Central, France Massif Central France Greece Mexico Xinjiang,China Northern China Dominica Salvador Ecuador Kamchatka Shanxi, China Geothermal Kyushu, Japan sources Taiwan Bengal Vietnam Delta, Philippines Bangladesh Tibet North Africa Zimapan Mongolia Andhra Pradesh Eastern Karnataka and Tamil Nadu, India Senegal Northern Ghana Ivory Coast Ghana Sri Lanka Thailand East African Rift Valley Java Peru Chile Zimbabwe Bolivia South Africa Argentina Bushveld, South Africa Chaco-Pampean Plain, Argentina Arsenic affected aquifers Aquifères contaminés en arsenic Arsenic related to mining and mineralization Pollution en arsenic liée aux minéralisations et à leur exploitation As-rich geothermal waters Eaux géothermales riches en arsenic Wairakei, New Zealand Geothermal sources, New Zealand Groundwater with fluoride concentrations > 1.5 mgl-1 Concentrations en fluor > 1,5 mgl-1 dans les eaux souterraines Arsenic in Groundwater 84 The average concentration of arsenic in the Earth is only about 1.8 ppm (parts per million) or 37th in abundance, yet [Ravenscroft et al., (2009)] make an alarming statement that “Naturally occurring arsenic in groundwater used for drinking and cooking is a catastrophe of global proportions.” They support their statement with a table of 222 locations in about 70 countries that have documented examples of higharsenic groundwaters. Although toxicologists and epidemiologists have recommended drinking water standards or guidelines as low as 3 and 5 µg/L, most regulatory agencies have adopted 10 µg/L. As more groundwater analyses become available, more of these waters are found to contain arsenic concentrations higher than 10 µg/L. Why is an element that is present in only trace quantities in the Earth’s crust so prevalent in groundwaters? If we consider the average arsenic concentration in just the upper part of the Earth’s crust, the most recent estimate is 4.8 ppm, substantially enriched relative to the mantle’s estimated concentration of 0.066 ppm. Basalts and ultramafic rocks typically have the lowest arsenic concentrations of any rock. Hence, arsenic favored the lighter outer skin of the Earth during its early formation, and about 4.5 billion years of the geological cycle of rock weathering, deposition, metamorphism, and magmatism contributed to this enrichment. Fluid-rock processes operating within the Earth’s crust over long periods of time can substantially increase the arsenic concentrations in both rocks and natural waters. Source rocks that contain the highest arsenic concentrations are gold mineral deposits. Arsenic accompanies gold mineralization in minerals such as arsenopyrite, FeAsS, and arsenian pyrite, Fe(As, S)2. There are some gold deposits in which the ore-bearing mineralization consists of only arsenopyrite, gold, and quartz. The close association of arsenic with hydrothermal gold deposits occurs because both gold and arsenic strongly complex with dissolved sulfide at elevated temperatures, keeping them both soluble until temperature and pressure conditions are low enough and oxidizing conditions strong enough that they can precipitate in a mineral deposit. Weathering and oxidation of these sulfide minerals cause mobilization of arsenic although much of it tends to be strongly sorbed onto insoluble hydrous ferric oxides (HFOs) as arsenate (AsV). Fine-grained clays, enriched in HFOs, are likely to contain high concentrations of several trace elements through sorption. As these clays are transported to large lakes, seas, and coastal marine areas they will deposit and form siltstones and mudstones which will eventually become shales when consolidated. During diagenesis, sulfate reduction will reduce the iron and arsenic to form arsenian pyrite. Arsenian pyrite, whether from a hydrothermal or diagenetic origin can contain up to 10-15% arsenic. Carbonaceous shales are known to have the second highest arsenic concentrations after gold mineral deposits. A thick shale unit can contain a very large mass of arsenic and other trace metals. If this shale is heated from metamorphism or intrusion from a magmatic body, the hydrothermal fluids circulating through it will extract arsenic from the rock because arsenic prefers the fluid phase at elevated temperatures. The leaching of most rocks at high temperatures (>200ºC) will extract the more volatile and water-soluble constituents. The leaching of a large mass of rock into a smaller fracture porosity is another enrichment process. Finally, when an arsenic-rich hydrothermal fluid rises to the surface, it cools down and mixes with shallow and cold groundwaters causing sulfide mineral precipitation or discharge as a thermal fluid. Photo 1: Researchers from China University of Geosciences Wuhan sampling a high-arsenic well in the Hetao Plain, Inner Mongolia, northern China. Photo 1 : Chercheurs de l’université des géosciences de Wuhan, Chine, en train de prélever des échantillons dans un puits à fort taux d’arsenic dans la plaine d’Hétao, en MongolieIntérieure, Chine du Nord. © D. Kirk Nordstrom. Photo 2: Cracked and calloused hands (keratosis) and amputated finger of resident in the countryside of the Hetao Plain, Inner Mongolia, northern China. Symptoms developed from drinking high-arsenic groundwater for more than 20 years. Photo 2 : Mains fissurées et calleuses (kératose) avec un doigt amputé d’un résident de la campagne de la plaine d’Hétao en MongolieIntérieure, Chine du Nord. Symptômes dus à plus de 20 ans de consommation d’eau fortement contaminée en arsenic. © D. Kirk Nordstrom. Arsenic in the Bengal Delta How does this explanation of the rock cycle and hydrothermal processes account for the high-arsenic concentrations in groundwaters such as the Bengal Delta? High-arsenic groundwaters in Bangladesh and West Bengal are mostly in shallow aquifers, less than 150 m depth, of Holocene age. High-arsenic concentrations are also found in alluvial aquifers in localized pockets upstream in the Ganges, Brahmaputra, and Megna drainage basins. It is also found in the Red River delta around Hanoi, the Mekong River delta in Cambodia and Vietnam, in the Indus River basin in Pakistan, and in Nepal. Arsenic is found as arsenate adsorbed onto HFOs and, less commonly, as arsenian pyrite. Mobilization in these aquifers is often associated with high organic concentrations that promote reductive iron dissolution. The reduced form of arsenic, AsIII, or arsenite, adsorbs weakly compared to arsenate, making it more soluble and the HFOs dissolve during reduction. The presence of high concentrations of negatively charged ions such as carbonate and phosphate, also common in the Bengal Delta, compete with arsenic for mineral surfaces so that sorption is less effective in removing arsenic from the water column. How did the arsenic end up in these alluvial aquifers? The common source of these rivers is the Himalayan Mountains and plateau. Tibet and Nepal are part of the juncture of the Indian continent that has been colliding with the Euro-Asian continent for the last 50 million years. Very large amounts of continental rock have built up from the Main Frontal Thrust through the suture zone and into the Himalayan plateau. Beneath this thick crust is a high heat flux which has produced hydrothermal mineralization and current hot springs and geysers that are being tapped for geothermal energy. These thermal features have high arsenic concentrations and surface transport would carry them to the headwaters of the Ganges, Indus, Brahmaputra, Megna, Red, and Mekong Rivers. Arsenic mineralization in the Himalayas is not well documented but more than 150 years ago the Indian Geological Survey reported occurrences of realgar, orpiment, and arsenopyrite. There is a known belt of gold-antimony mineral deposits that extends over much of the same area as this continental juncture. Arsenic is associated with these deposits. Both water transport and solid-phase erosional transport would move arsenic to downstream deltas over many thousands of years. The rest of the arsenic mobilization in aquifers is revealed through the redox cycles that many researchers have already described [Smedley and Kinniburgh (2002); Ravenscroft et al. (2009)]. Most researchers agree that the primary mechanism for arsenic mobilization is reductive iron dissolution driven either by natural organics or by manmade organics from the green revolution, landfills and other trash disposals, and human and animal wastes, likely all of these to varying degrees depending on location. An additional factor that complicates interpretations is seawater transgression which would have reduced arsenic in the delta sediments to arsenian pyrite. Framboidal authigenic arsenic-bearing pyrite and 85 Photo 3: The Ganges Delta, very fertile and inhabited, concentrates several geological problems, including arsenic pollution of the aquifers and risks of marine transgression due to climate change. Photo 3 : Le delta du Gange, très fertile et habité, concentre néanmoins plusieurs problèmes géologiques : pollutions à l’arsenic de l’eau souterraine et risques de remontées marines dues au changement climatique. © earthobservatory.nasa.gov. The highest naturally occurring arsenic concentration in a groundwater is 20-50 mg/L in the hot springs of El Tatio. Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 Thermal fluids from worldwide occurrences typically contain the highest arsenic concentrations of any natural water and the more continental crustal material that the fluid reacts with, the higher the arsenic concentration tends to be [Webster and Nordstrom (2003)]. Hot springs and geysers in Yellowstone, New Zealand, Chile, and Kamchatka have mg/L concentrations of arsenic whereas thermal waters in Hawaii, associated with mantle-derived basalts have a few tens of µg/L or less. Thermal features in Iceland have, on average, slightly more arsenic but still in the tens of µg/L. Although Iceland’s volcanoes are dominated by basalts, there is a small amount rhyolite suggesting residual continental material that might explain this slight difference. The highest naturally occurring arsenic concentration in a groundwater is 20-50 mg/L in the hot springs of El Tatio, northern Chile above a thick sequence of continental crust. The highest known arsenic concentration in groundwater from anthropogenic sources is about 4,000 mg/L in the underground mine workings of the Giant Mine near Yellowknife, Northwest Territories, Canada. Arsenic trioxide wastes were stored underground for many years without barriers from groundwater seepage. There is no current human or environmental threat and it is undergoing remediation. quality of our groundwater resources: arsenic and fluoride > Les polluants géogéniques 86 Dr Romain Millot – BRGM – Service Métrologie, Monitoring, Analyse, Orléans – [email protected] Pr. Laurent Charlet – Université Joseph-Fourier, Grenoble – [email protected] Pr. David Polya – Université de Manchester – [email protected] Une pollution « naturelle » des sols et de l’eau Les polluants géogéniques sont des éléments chimiques (arsenic, sélénium, fluor, manganèse) que l’on trouve naturellement dans les eaux souterraines ou dans les sols, et qui peuvent engendrer de graves problèmes environnementaux et sanitaires. Les expositions aux éléments géogéniques provoquent des milliers de morts chaque année. On estime qu’environ 100 millions de personnes sont exposées au risque à l’arsenic à travers le monde, en consommant une eau ayant des teneurs en arsenic supérieures à 10 µg/L (norme de potabilité fixée par l’Organisation mondiale de la santé). Au Bangladesh, par exemple, les eaux souterraines ont même le plus souvent des teneurs très supérieures à 50 µg/L ! Facteur aggravant, la croissance démographique et l’augmentation de la demande en eau ont conduit au forage de centaines de milliers de puits, ce qui a entraîné une libération massive de l’arsenic présent dans les sédiments. par micro ou nanoparticules de fer en présence de bactéries (bioremédiation), décontamination par filtration après pompage. La modification des pratiques agricoles (choix de parcelles et de variétés de riz plus adaptées, diminution de l’irrigation…) permettrait aussi de réduire l’exposition des populations à une eau souterraine polluée. n Toxicité et mobilité des polluants La toxicité aiguë et chronique d’un élément dépend fortement de la forme chimique sous laquelle il est présent dans l’environnement (la spéciation). Dans un aquifère, la mobilité et par conséquent la biodisponibilité d’un polluant dépend des paramètres physico-chimiques de l’eau (température, pH, état rédox…) et des propriétés d’adsorption des phases solides présentes dans le milieu (oxy-hydroxydes métalliques, argiles, matière organique). Dépollution et limitation de l’exposition Différentes techniques de dépollution (remédiation) existent pour réduire les teneurs en polluants de l’eau ou pour limiter le risque d’exposition à ces polluants. Les méthodes de traitement des eaux souterraines consistent en général à modifier les conditions d’oxydo-réduction de l’aquifère, afin de piéger les polluants par adsorption, précipitation ou floculation : injection directe d’oxygène, très efficace mais très coûteuse, traitement detrital pyrite have been found in the Bengal sediments and during marine regression this pyrite would have oxidized again by inflowing oxygenated freshwaters reverting the arsenic to arsenate sorbed on HFOs. Fluvial excursions cutting deeply through the sediments during major flood events would further oxidize any buried pyrite. All of these processes along with the intense pumping, water-table drawdown, and heavy irrigation in many areas would produce a heterogeneous distribution of arsenic. Fluoride in Groundwater Fluorine is much more abundant, 14th, in the Earth’s crust than arsenic at about 557 ppm and fairly uniform throughout the crust. It is, like arsenic, a lithophile element with mantle fluoride concentration more than an order of magnitude less than that in the crust. Unlike arsenic, fluoride has been considered an essen- Expériences de bioremédiation sur des colonnes de sols dans lesquelles circule une eau polluée en présence de particules de fer et de bactéries qui vont accélérer le processus de dépollution. Bioremediation experiments conducted on soil columns in which polluted water is circulating in the presence of iron particles and of bacteria that will accelerate the remediation process. © BRGM. tial element in the human diet and many water supplies have been fluoridated. Concentrations of 1-1.5 mg/L are usually considered optimal for drinking water purposes. However, it is highly contentious as to whether some small amount of fluoride in drinking water is necessary or not. Detrimental effects of dental and skeletal fluorosis begin at concentrations of around 1.5 mg/L and higher, but there is a growing amount of evidence that lower concentrations in drinking water supplies may not be beneficial. It has been shown to reduce the incidence of dental caries in children [Freeze and Lehr (2009)] but in many countries today there is often plenty of fluoride in food, tea, and drinking water. The question of fluoride essentiality is still in need of further studies, especially in groundwaters. Fluoride has some similarities to arsenic in its geochemical pathways, which would be expected based on the The most common control on fluoride concentrations is the solubility of fluorite, CaF2. la qualité de nos ressources en eaux souterraines : arsenic et fluor fact that they are both negatively charged ions when dissolved in water. Fluoride also sorbs strongly onto fine-grained clays and is released from rocks during hydrothermal alteration. Where arsenic is present at high concentrations in thermal waters, so is fluoride. In Yellowstone National Park, thermal features contain up to 48 mg/L fluoride and up to 15 mg/L arsenic. Many springs contain 20-30 mg/L fluoride. The most common control on fluoride concentrations is the solubility of fluorite, CaF2. If mineral-water equilibrium is maintained then fluoride concentrations would increase if another mineral such as calcite or gypsum/ anhydrite decreases calcium concentrations. Both of these minerals exhibit retrograde solubility, i.e. decreased solubility with increased temperature. Quite commonly calcium concentrations are low in many thermal waters. At Yellowstone, for example, calcium concentrations are usually around 1 mg/L or less for neutral to basic waters. Even acid hot springs have only slightly higher calcium concentrations. The highest concentration of naturally occurring fluoride is over 2,000 mg/L in the alkaline saline lakes and groundwaters in the East African Rift Valley of Kenya which are influenced by high-pH, high-fluoride, and high-bicarbonate thermal waters and undergo strong evaporation. Fluoride in non-thermal groundwaters can have a large range of concentration from considerably less than a mg/L to several mg/L and less commonly 10-20 mg/L. For several groundwaters, it has been shown that an inverse relation exists between calcium and fluoride concentrations, which would be expected if equilibrium solubility with fluorite was maintained. Other important factors that lead to high fluoride concentrations are high pH and high alkalinity. Many groundwaters are of a Ca-HCO3 type near their areas of recharge and evolve with time to a Na-HCO3 type from reactions involving ion exchange, organic matter decomposition, and calcite precipitation. Waters of a Na-HCO3 type also have higher pH values and higher fluoride concentrations. Many groundwaters throughout the world have higher fluoride concentrations than the recommended drinking water limit, especially India where an estimated 65 million people are exposed to excessive fluoride in their groundwater drinking supply. Several million people in China and Africa (northern Africa and countries lying on the East African Rift, Senegal, Ghana, Ivory Coast, and South Africa) are also exposed to excessive fluoride. High-fluoride concentrations have also been reported in groundwaters or springs in the USA, La qualité de nos ressources en eaux souterraines : arsenic et fluor L’augmentation drastique de l’exploitation des eaux souterraines comme source d’eau potable n’a pas été accompagnée de l’augmentation des procédés de traitement et de contrôle de sa qualité chimique. Ainsi, des millions de personnes à travers le monde se trouvent être exposées à des taux élevés et dangereux de substances polluantes tant d’origine Canada, UK, Norway, France, Germany, Finland, Estonia, Russia, Portugal, Taiwan, Japan, South Korea, Thailand, Australia, New Zealand, the Middle East (from Turkey through Afghanistan), Mexico, and Argentina [Edmunds and Smedley (2005); Fawell et al. (2006); Igrac (2009)]. Other countries in Central and South America are undoubtedly affected. Although fluorite is a common mineral source of fluoride, other important sources include fluorapatite, fluorine-rich micas, and fluorine-rich amphiboles, especially hornblende. Future Prospects Groundwater is an important source of water supply and, in many parts of the world, the only source. However, we must recognize that it can be unfit for drinking, cooking, and sometimes even unusable for agricultural purposes unless properly treated for naturally occurring contaminants, especially arsenic and fluoride. To guard against afflicting large populations with unfit water, there must be a vigilant water-quality monitoring program in every country where public groundwater supplies are a major source and water treatments systems where needed. With the exponential increase in groundwater resources and limited water-quality facilities in many countries, such programs will be extremely difficult to deploy and maintain. Ultimately, the population growth may overwhelm the finite supply of water as seems the situation in many arid parts of the world today. A recent Google search for water wars led to 31 million results. The water wars appear to have begun as predicted and some of that water doesn’t even have the quality worth fighting for. n naturelle (géogénique) qu’anthropique. Les deux éléments que l’on retrouve le plus souvent dans les eaux souterraines à des taux dépassant les normes de potabilité sont l’arsenic et le fluor. Ces éléments lithophiles s’adsorbent sur les sédiments à grain fin comme les argiles, les limons, les siltites, les argilites et les grauwackes. Mais, au cours de l’activité tectonique ou magmatique, ils sont libérés dans les fluides hydrothermaux et on les retrouve dans de nombreuses sources thermales et geysers, et concentrés dans certains gisements (or, cuivre, argent, mercure, antimoine) après la précipitation des minéraux de l’arsenic (arsénopyrite, orpiment, réalgar) et fluorés (fluorite, fluorapatite, biotite, etc.). L’arsenic et le fluor se retrouvent ainsi dans les eaux souterraines et de surface par mélange avec des sources thermales ou à la suite de l’altération chimique des phases minérales. La mobilisation de ces éléments dans le milieu aquatique dépend principalement de la chimie de l’eau : le pH, le redox, les concentrations en bicarbonates, phosphates ou silice. L’arsenic et le fluor étant des anions ils sont d’autant plus solubles que le pH est élevé. Les eaux souterraines constituent une ressource nécessaire, mais il faut reconnaître que la qualité peut-être insuffisante pour une consommation sans traitement préalable. Afin d’assurer la protection sanitaire du public, la qualité de l’eau devrait être en permanence surveillée et contrôlée. Bibliographie : Edmunds, M., Smedley, P.-L. (2005) – Fluoride in natural waters, In Essentials of Medical Geology: Impacts of the Natural Environment on Public Health, O. Selinus (ed.-in-chief), B.-J. Alloway, J.-A. Centano, R.-B. Finkelman, R. Fuge, U. Lindh, and P. Smedley (eds.), Elsevier Academic Press, Amsterdam, p. 301-330. Fawell, J., Bailey, K., Chilton, J., Dahi, E., Fewtrell, L., Magara, Y. (2006) – Fluoride in Drinking-water, World Health Organization, IWA Publishing, London, 134 p. Freeze, R.-A., Lehr, J.-H. (2009) – The Fluoride Wars: How a Modest Public Health Measure Became America’s Longest Running Political Melodrama, Wiley & Sons, New York, 383 p. Gleick, P.-H. (ed.) (2009) – The World’s Water 2008-2009: The Biennial Report on Freshwater Resources, Island Press, Washington, D.C., 402 p. Igrac (2009) – fluoride map <http://www.igrac.net/publications/411>. Ravenscroft, P., Brammer, H., Richards, K. (2009) – Arsenic Pollution: A Global Synthesis, Chichester, UK, Wiley-Blackwell, 588 p. Smedley, P.-L. and Kinniburgh, D.-G. (2002) – A review of the source, behaviour and distribution of arsenic in natural waters, Applied Geochemistry 17, 517-568. Webster-Brown, J., Nordstrom, D.-K. (2003) – Geothermal arsenic, In Arsenic in Ground Water, A.H. Welch, K.G. Stollenwerk, (eds.), Kluwer Academic Press, Amsterdam, p. 101-125. les travaux souterrains : perturbations hydrodynamiques et risques de pollution Les travaux souterrains (tunnels, mines, stockages souterrains, exploitations de gisements géothermiques ou d’hydrocarbures) provoquent des discontinuités dans le sous-sol qui jouent le rôle de drain pour l’eau. Ces drains modifient les écoulements et entraînent un rabattement du niveau piézométrique des aquifères environnants. Ils modifient également les cours d’eau en surface en créant des pertes ou des résurgences. Enfin, les travaux souterrains introduisent généralement de l’air dans le sous-sol, ce qui provoque des réactions d’oxydation de la roche et modifie en conséquence la qualité de l’eau. Les travaux souterrains : perturbations hydrodynamiques et risques de pollution travaux souterrains 88 L’eau dans les roches D’ Robert Fabriol Ingénieur géochimiste [email protected] Emmanuel Ledoux Directeur de recherche École des Mines de Paris [email protected] Effluent coulant à la base du terril du site des Farges (Limousin). La couleur rouge est due au fer en solution. Discharge flowing at the foot of the tailings heap on the Les Farges mine site (Limousin region). The red colouring is due to iron in solution. © R. Fabriol. une manière générale, l’eau est toujours présente au sein des massifs rocheux en profondeur. Elle sature les interstices de la roche (pores, fissures) et occupe ainsi un volume pouvant représenter entre quelques pourcents et quelques dizaines de pourcents du volume total de la roche selon sa nature pétrophysique. La fraction volumique occupée par l’eau est appelée « porosité ». Lorsque l’eau peut circuler facilement au sein du massif rocheux, celui-ci est qualifié de perméable et constitue un aquifère. Lorsque le milieu est peu perméable, il constitue un Les tunnels de plusieurs aquitard capable d’isoler hydrauliquement, à des degrés divers, les formations aquifères les unes des dizaines de kilomètres autres. En règle générale, plus les roches comde long recoupent portent des interstices grossiers, plus elles sont inévitablement perméables. C’est le cas des sables, des grès ou des roches compactes fortement fissurées. Plus les des roches aquifères interstices sont fins, moins la roche est perméable. et des zones faillées. C’est le cas des argiles. L’hétérogénéité lithologique des formations géologiques organise ainsi le milieu underground works: hydrodynamic disturbances and pollution risks Aiguille du Midi Italie France Vallée Blanche Glacier du Géant Aiguille de Toule Zone tectonisée 3 000 2 000 1 000 S.-E. ˙ Glacier de Toule Entrée française Entrée italienne 24 L/s 34 L/s Schistes cristallins souterrain en aquifères et aquitards. La qualité de l’eau contenue dans la porosité dépend aussi de la lithologie ; elle résulte de réactions chimiques entre l’eau et les minéraux constituant la roche. La loi de Darcy décrit les écoulements au sein d’un massif rocheux. Elle constitue une relation reliant le débit au gradient de charge hydraulique dans le milieu par l’intermédiaire d’un coefficient appelé perméabilité. La mesure de la charge hydraulique en différents points d’un aquifère au moyen de forages équipés de piézomètres associée à la connaissance de la porosité et de la perméabilité permet de quantifier l’écoulement par application de la loi de Darcy. Impacts hydrodynamiques sur les écoulements souterrains Rabattement de nappe lié aux tunnels (routiers, ferroviaires, hydrauliques) La réalisation de tunnels pour le transport routier ou ferroviaire, ou pour le transfert de l’eau entre vallées, crée des drains dans les massifs rocheux traversés. Bien que les tracés soient optimisés pour minimiser les risques d’impact, les tunnels de plusieurs dizaines de kilomètres de long (Saint-Gothard 57 km, Lyon-Turin 53 km, sous la Manche 50 km, Seikan 54 km) recoupent inévitablement, suivant le contexte géologique, des roches aquifères et des zones faillées. Le creusement a pour effet de mettre l’eau contenue sous pression dans les pores ou les fractures de la roche, à la pression atmosphérique de la galerie. La conséquence est de voir apparaître, parfois brutalement, un écoulement d’eau qui peut gêner la progression des travaux voire l’arrêter. Pendant le creusement du tunnel du MontBlanc côté italien, de très fortes arrivées d’eau (1 m3/s) 14 L/s 81 L/s Granite 18 L/s 10 L/s 1 084 L/s 10 L/s 100 L/s 80 L/s Calcaire ont surpris : elles étaient liées à un grand accident tectonique subvertical inconnu à l’époque. Le débit s’est par la suite stabilisé à 0,2 m3/s ; son alimentation provient du bassin du glacier de Toule situé 2 000 mètres au-dessus (figure 1). Les arrivées d’eau très abondantes nécessitent de prendre des précautions particulières pendant le creusement. C’est le cas de la galerie hydraulique de Salazie-Amont (île de la Réunion) qui fait partie du dispositif de transfert de l’eau des cirques de Mafate et Salazie vers le littoral ouest de l’île. Au cours du creusement, sous 1 000 mètres de basaltes, l’avancement des travaux a été rendu très difficile par de nombreuses arrivées d’eau (photo 1) alimentées par des aquifères à forte pression hydrostatique (jusqu’à 3 MPa, équivalent d’une colonne d’eau de 300 mètres). Pour minimiser les risques liés à de telles arrivées d’eau, une reconnaissance par forages longs est réalisée à l’avancement pour caractériser les aquifères au front des travaux [Giafferi et al., (2008)]. Pour diminuer le drainage dans les tunnels en réduisant la perméabilité du massif, des traitements spécifiques sont réalisés (par injection des terrains, par revêtements étanches des parois, etc.). Photo 1 : Venues d’eau sous pression au cours du creusement de la galerie hydraulique de Salazie-Amont. Photo 1: Gush of pressurized water while the Salazie-Amont hydraulic gallery was being excavated. © J.-L. Giafferi. 89 Fig. 1 : Principales arrivées d’eau rencontrées au cours du creusement du tunnel du Mont-Blanc (Maréchal, 2000). Fig. 1: Main water inflows encountered while the Mont-Blanc tunnel was being excavated (Maréchal, 2000). Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 Altitude (m) 4 000 N.-O. ˙ les travaux souterrains : perturbations hydrodynamiques et risques de pollution Les galeries de mines ont le même effet drainant que les tunnels, avec cependant un résultat amplifié suivant le type d’exploitation. 90 Rabattement de nappe lié aux mines Les galeries de mines ont le même effet drainant que les tunnels, avec cependant un résultat amplifié suivant le type d’exploitation. La technique en « chambres et piliers », qui n’affaisse normalement pas les terrains, draine efficacement la couche aquifère dans laquelle la mine est creusée, mais n’influence généralement pas, ou faiblement, les aquifères alentour. Par contre, les méthodes avec foudroyage à l’avancement ou dépilage et foudroyage, telles que celles pratiquées dans les mines de charbon et de fer en Lorraine, déstructurent les terrains sus-jacents et créent une liaison hydraulique entre les aquifères de la couverture et les vides miniers. Il en résulte un rabattement des nappes par écoulement gravitaire de l’eau vers le point bas de la mine. Pour maintenir les chantiers à sec pendant l’exploitation, l’eau des mines doit être pompée et rejetée en surface (l’exhaure). La quantité d’eau extraite d’une mine peut être considérable ; ainsi les mines de fer en Lorraine ont produit en moyenne 100 millions de m3 d’eau par an, soit autant de tonnes d’eau que de minerai de fer au maximum de l’extraction. Le cône de rabattement créé par l’exhaure du bassin houiller lorrain dans la nappe des grès du Trias inférieur est de l’ordre de 100 mètres (figure 2), faisant quasiment disparaître la nappe au droit de Forbach et Merlebach [Vaute (2003)]. Fig. 2 : Cône de rabattement dans l’aquifère des grès du Trias inférieur dû à l’exhaure pour l’exploitation du charbon dans le bassin houiller lorrain (Vaute, 2003). Fig. 2: The drawdown cone in the Lower Triassic sandstone aquifer due to dewatering when coal was being mined in the Lorraine basin (Vaute, 2003). L’arrêt de l’exploitation des mines conduit généralement à l’arrêt de l’exhaure et à un ennoyage des vides miniers sous l’effet de la remontée des eaux. Il se constitue alors un réservoir d’eau qui se déverse le plus souvent en surface par une galerie de débordement (photo 2). La remontée du niveau d’eau dans la mine abandonnée va permettre une reconstitution partielle des nappes sus-jacentes et la réactivation de sources asséchées par l’exhaure. Elle peut aussi conduire à l’inondation de zones basses ou de zones affaissées à la suite des travaux miniers. Photo 2 : Débordement du bassin nord à la galerie de la Paix (bassin ferrifère lorrain) ; le débit annuel moyen est de l’ordre de 1 m3/s. Photo 2: Overflow from the northern basin at the Gallery de la Paix (Lorraine iron-bearing basin); the annual flow rate is approximately 1 m3/s. © R. Fabriol. underground works: hydrodynamic disturbances and pollution risks Quotidiennement, des forages profonds sont réalisés pour l’exploitation du pétrole, du gaz et de la géothermie, pour stocker du méthane ou, dans le futur, pour séquestrer du CO2. Pour atteindre leurs cibles, qui peuvent se localiser à plusieurs kilomètres de profondeur, les forages traversent différents horizons géologiques dont certains sont aquifères. Les fluides remontés par le forage peuvent être agressifs et corroder le tubage ou le ciment jusqu’à leur percement. Ainsi, les fluides géothermaux profonds, chauds et salés, sont très corrosifs vis-à-vis des tubages classiques en acier (photo 3). Une fois percé, le forage joue le rôle de drain et, en fonction des charges hydrauliques des aquifères mis en communication, ceux-ci peuvent être drainés ou envahis par le fluide circulant. Même en l’absence de percement du tubage, une perte d’étanchéité de la cimentation à l’extrados peut mettre en relation deux aquifères superposés. Ce mécanisme conduit immanquablement à des situations critiques associant des instabilités mécaniques et des pollutions si l’eau d’un aquifère est mise en contact avec une roche soluble Photo 3 : Tubage en acier (type K55) du forage géothermique de production de Villeneuve-la-Garenne, percé par corrosion. Ce tubage n’assure plus l’étanchéité vis-à-vis des aquifères traversés et peut conduire à une pollution de ceux-ci par le fluide géothermal. comme le sel ou le gypse. Les techniques modernes de forages permettent d’assurer la protection des aquifères par une cimentation soigneuse contrôlée par des méthodes géophysiques (diagraphies) et par l’utilisation de tubages insensibles à la corrosion. Impact sur la qualité de l’eau Le drainage minier acide (DMA) La mise en contact de la roche initialement saturée en eau souterraine dans des conditions réductrices, avec l’oxygène de l’air qui circulent dans les galeries provoque des réactions d’oxydation. Le phénomène > L’Allier, rivière mémoire du minier Sétareh Rad – Service Géologie, Unité Régolithe et Réservoirs – [email protected] L’eau des précipitations peut soit s’infiltrer et circuler sous la forme d’eau souterraine, soit ruisseler en surface sous la forme de rivière. Au sein des massifs rocheux, ces cours d’eau s’imprègnent de la composition chimique de leur encaissant. Ainsi, au travers des analyses chimiques des phases dissoutes et des sédiments des rivières, on est à même de comprendre, quantifier et identifier l’origine des éléments chimiques présents dans l’environnement, à l’instar des compositions chimiques des métaux issus d’anciens sites d’exploitation minière. L’Allier, principal affluent de la Loire, parcourt une grande partie du Massif central, qui fut la plus importante région minière de France pour les métaux de base. Le cours de l’Allier traverse ainsi d’anciens sites d’exploitation remontant parfois de l’époque romaine. Les analyses en éléments majeurs, traces ou isotopiques effectuées dans la rivière, nous révèlent l’histoire géologique des surfaces interagissant avec l’eau. Il a ainsi été démontré que le transfert des polluants métalliques issus de ces anciens sites d’exploitation demeure ponctuel au regard de la taille du bassin et du cours de la rivière qui s’étend sur plus de 400 km. Les analyses isotopiques du lithium montrent qu’une partie de ces métaux provient de l’activité hydrothermale du Massif central. Les compositions géochimiques permettent ainsi d’avoir une approche intégrée qui s’appuie sur des points d’analyses dans le cours principal de l’Allier. Elle permet une compréhension du système, non seulement actuel, mais également sur des temps historiques (plusieurs siècles) ou géologiques (plusieurs millions d’années). n Localisation d’anciennes provinces minières dans le bassin de l’Allier. L’antimoine représente le minerai le plus exploité. Locations of historical mining zones in the Allier basin. Antimony was the most intensively extracted ore. Source : S. Rad, Projet TRANSPOSA. Provinces minières Antimoine Arsenic Barytine, fluorine Charbon Plomb, zinc Uranium Tungstène Lithologie Basaltes Granites Complexe leptyno-amphibolique Mugéarites et trachytes Roches basiques Rhyolites et dacites Photo 3: Steel piping (K55 type) in the geothermal production borehole at Villeneuve-la-Garenne, breached due to corrosion. These pipes no longer ensure leak-tightness with respect to the aquifers through which they pass and are liable to cause these to be polluted by the geothermal fluid. © BRGM / CFG. 91 Géosci ences • n u méro 13 • ju i l l et 2011 Connexion hydraulique entre aquifères Photo 4 : Écoulement d’eau en paroi d’une galerie de la mine de fluorine du Burg (Tarn) ; la couleur verte est due à l’altération d’une veine de chalcopyrite voisine (sulfure de fer et de cuivre). Photo 4: Water seeping through the wall of a gallery in the Burg fluorite mine (Tarn Department); the green colour is due to the weathering of an adjacent vein of chalcopyrite (iron and copper sulphide). © J.-M. Schmitt. le plus répandu est l’oxydation des sulfures contenus dans la roche et dont l’un des produits est l’acide sulfurique. L’acidité ainsi engendrée favorise la dissolution des autres minéraux constitutifs de la roche et libère les constituants chimiques dont certains, comme les métaux lourds (plomb, zinc, arsenic, chrome, etc.), sont toxiques. Cette chaîne de réactions est souvent catalysée par des bactéries. Le sulfure concerné est généralement la pyrite (sulfure de fer), présente en abondance dans les roches. Dans le domaine minier, ce mécanisme chimique est appelé drainage minier acide (DMA) [Schmitt et al., (2004)]. C’est lui qui est à l’origine des effluents miniers acides aux couleurs souvent spectaculaires liées aux métaux en solution (photo 4). L’impact des effluents issus du DMA est dévastateur pour la faune et la flore ; seules des bactéries et certaines algues se développent dans un tel milieu. Les pollutions salines En contexte salifère, le risque de pollution de l’eau souterraine par des travaux miniers est particulièrement accentué sous l’effet de la saumure qui peut atteindre la saturation (320 g/L) au sein de cavités ennoyées. Si les cavités sont stables mécaniquement, la circulation de la saumure est ralentie, voire inhibée, par l’effet gravitaire qui a tendance à maintenir l’eau salée dense en profondeur. L’émission de saumure est lente et essentiellement due à la diminution de volume des cavités provoquée par le fluage du sel. Si les cavités sont instables et évoluent jusqu’à l’effondrement, l’expulsion de saumure dans le système aquifère environnant est inévitable. Cette situation est observée dans le gisement de sel lorrain exploité dans la région de Dombasle-sur-Meurthe (figure 3). R (ruissellement) D (drainage du lac) E (exutoire Rhétien) A (apport eau salée) F1 (fuite lac) F2 (fuite Rhétien) 92 Dans certains contextes géologiques où les roches carbonatées (calcaires et dolomies) sont abondantes, l’acidité peut être neutralisée naturellement par attaque des carbonates. Il en résulte une eau à pH neutre, riche en sulfates et dans certains cas en éléments métalliques. Ce mécanisme est appelé drainage minier neutre (DMN) ; il est présent dans le bassin ferrifère lorrain où l’eau des réservoirs des mines ennoyées est à pH 7 avec une concentration élevée en sulfate de calcium pouvant dépasser 1 g/L [Collon et al., (2004)]. Nappe salée Terrains perméabilisés I (infiltration) Fig. 3 : Schéma conceptuel des processus de salinisation d’un aquifère au sein de la couverture d’un gisement salifère exploité par cavité lixiviée effondrée – exemple de la Lorraine dans la région de Dombasle-sur-Meurthe. L’exploitation du sel par injection d’eau douce conduit à terme, selon la méthode employée, à la formation d’une cavité qui s’effondre lorsqu’elle atteint la taille critique. L’effondrement affecte la surface du sol et produit un cratère qui est généralement occupé par un lac dont l’eau est salée en profondeur sous l’effet de l’expulsion de la saumure au moment de l’effondrement. Le lac salé peut alors contaminer les formations aquifères avec lesquelles il est en contact hydraulique, tel que l’aquifère des grès rhétiens dans le cas de la Lorraine. Fig. 3: A diagram depicting salinisation processes in an aquifer in the cover of a salt-bearing deposit worked by cavity leached until collapse – example from the Dombasle-sur-Meurthe area in the Lorraine region. Extracting salt by injecting fresh water eventually results in forming a cavity which, according to the method used, collapses once it reaches a critical size; the collapse affects the ground surface, producing a crater generally occupied by a lake containing saline water at depth due to the expulsion of brine when the collapse occurs. The salt lake may subsequently contaminate the aquifer formations with which it is in hydraulic contact, like the Rhaetian sandstone aquifer in the case of the Lorraine region. underground works: hydrodynamic disturbances and pollution risks Nappe alluviale 2 1 Pliocène intermédiaire (20-40 m) 3 Crépine Pliocène profond (70-90 m) Miocène Pollution des aquifères par les forages Chaque forage est une intrusion dans les aquifères traversés, et il peut devenir un vecteur de pollution si l’étanchéité du tubage et de la cimentation n’est pas assurée. Le cas de pollution de forages AEP (alimentation en eau potable) par une contamination provenant de la surface, et dont la cause est un mauvais état du forage, n’est pas rare. Les dénombrer n’est pas aisé car, dès qu’ils sont considérés comme trop pollués pour une utilisation pour l’AEP, ils ne sont plus suivis ni comptabilisés. Les grands aquifères comme celui du Roussillon peuvent compter plusieurs centaines de forages d’exploitation dont les plus anciens, souvent dégradés, permettent le transfert de nitrates d’origine agricole vers les niveaux les plus profonds (figure 4). Les travaux souterrains au cours de leur période d’exploitation comme après leur abandon sont la cause d’impacts qui peuvent être importants sur le régime des eaux souterraines et superficielles aussi bien sur le plan de la quantité que de la qualité. Ces phénomènes sont inéluctables et l’on doit chercher à les minimiser par des études hydrogéologiques, géomécaniques et géochimiques approfondies dès la phase de conception des ouvrages. Dans certains cas, des impacts préjudiciables ne pourront pas être complètement évités et des mesures compensatoires, appuyées par des dispositifs de surveillance, devront être mises en œuvre. n Fig. 4 : Schéma des transferts de pollutions entre aquifères du Roussillon à cause de forages défectueux anciens ou mal isolés (Ladouche et al., 2003). Fig. 4: A diagram of pollution transfers between aquifers in the Roussillon Department caused by old defective boreholes or by ones that are improperly sealed (Ladouche et al., 2003). Chaque forage est une intrusion et peut devenir un vecteur de pollution si l’étanchéité du tubage et de la cimentation n’est pas assurée. Underground works: hydrodynamic disturbances and pollution risks Underground works (tunnels, mines, underground storage facilities, and the tapping of geothermal or hydrocarbon reservoirs) create discontinuities in the subsurface which act as drains for water. Their impacts are both hydrodynamic and chemical. Amongst the hydrodynamic impacts, lowered levels of aquifers are the most visible. They are observed when the galleries of large tunnels or underground mines are excavated. Although less obvious, the hydraulic connection that may form via defective boreholes has considerable effect on groundwater use. Moreover, underground works promote chemical reactions between water, rock and the oxygen in the air. This leads to deteriorated water quality, in some cases involving the solution of toxic elements like heavy metals. Acid mine drainage (AMD) is a classic example of this type of reaction, which may at times have a dramatic impact on flora and fauna. Boreholes, much more numerous than large-scale underground works, can cause chemical or bacteriological pollutions passing from one aquifer to another when they are interconnected where piping or cementation is not leak-tight. When the rocks penetrated are soluble, like salt or gypsum, improperly sealed boreholes are liable to give rise to strong interactions with groundwater. Underground works, once abandoned, can significantly impact the regime of both groundwater and surface waters, both quantitatively and qualitatively. While such phenomena are unavoidable, every effort must be made to hold these to a minimum by undertaking detailed hydrogeological and geochemical studies when the structures are still in the design phase. Bibliographie : Collon P., Fabriol R., Buès M. (2004) – Ennoyage des mines de fer lorraines : impact sur la qualité de l’eau. C.R. Geoscience 336 (2004) p 889-899. Giafferi J.-L., Defargues D., Piedevache M., Cachau P., Lettry Y., (2008) – Reconnaissances à l’avancement dans la la galerie hydraulique Salazie-Amont (île de la Réunion). AFTES, Tunnels et ouvrages souterrains. N° 209. Ladouche B., Duvail C., Marchal J.-P., Le Strat P. (2003) – Détermination de l’origine des nitrates dans l’aquifère du Roussillon par traçage isotopique des sources d’azote (commune de Pia, Pyrénées-Orientales). Rapport BRGM/RP-52745-FR 54 p. Maréchal J.-C. (2000) – Massif du Mont-Blanc : identification d’une structure hydrogéologique majeure. La Houille Blanche 6 (2000) p 78-86. Schmitt J.-M., Ledoux E., Combes P., (2004) – Qualité des eaux après fermeture des mines : remplissage initial, évolution transitoire, stabilisation à long terme et gestion environnementale, Revue Française de Géotechnique, N° 106-107, 1er et 2e trimestres 2004, p.95-101. Vaute L. (2003) – Révision du modèle hydrogéologique de gestion de la nappe des grès du Trias inférieur en Lorraine. Rapport final. BRGM/RP-51355-FR, 59 p. ressources en eau : une gestion nécessairement locale dans une approche globale Ressources en eau : une gestion nécessairement locale dans une approche globale L’eau sur la Terre est une matière première exceptionnelle. Mobile, indestructible et renouvelable, elle se prête à de multiples utilisations, parfois antagonistes. Les ressources en eau douce sont réparties de manière très contrastée autour du globe. L’eau est un milieu de vie, mais peut aussi constituer une menace : inondations, contaminations. Comment concilier les différents usages et services de cette matière première unique dans un contexte de changement global ? Qu’est-ce qu’une bonne gestion, à quelle échelle spatiale et par le biais de quelles institutions ? eau souterraine 94 L’ eau recouvre près des trois quarts de la surface du globe (voir article Duprat J., ce volume) dont seulement 2,8 % d’eau douce, répartis en eau de surface et eau souterraine. L’eau voyage entre ciel et terre par divers processus physiques : évaporation, condensation, précipitations, ruissellement, infiltration… L’eau de surface est issue du ruissellement des eaux pluviales, mais aussi d’une alimentation par les eaux souterraines, notamment en période d’étiage, qui joue un rôle déterminant dans les flux d’eau de surface et la préservation des zones humides. Ainsi, 90 % des écoulements souterrains du monde aboutissent aux cours d’eau de surface : seuls 10 % s’écouleraient directement dans les mers ou seraient soustraites par évaporation au niveau de bassins fermés [Margat (2008)]. Nathalie Dörfliger Hydrogéologue BRGM, Chef service EAU [email protected] Jérôme Perrin Hydrogéologue BRGM, Service EAU [email protected] Les utilisations de l’eau divergent mais ne sont pas nécessairement conflictuelles… un puits d’irrigation récréatif dans le sud de l’Inde. The uses of water are varied but not necessary mutually exclusive… a dug well used for irrigation and for recreational purposes in southern India. © J. Perrin. L’eau a permis le développement de la vie sur Terre. Elle joue un rôle dans la préservation de la biodiversité, ainsi que dans le développement économique des sociétés humaines (De Marsily G., ce volume). Si les ressources en eau sur la planète sont importantes, leur répartition est très contrastée, car fortement conditionnée par la diversité climatique et la nature géologique des aquifères et des sols. Cette disparité peut s’exprimer en termes de disponibilité en eau douce per capita (figure 1). Elle montre que plusieurs régions du monde sont actuellement en stress hydrique (inférieur à 1 700 m3 par an par personne) voire en pénurie (inférieur à 1 000 m3), ce qui correspond à environ 40 % de la population 1 000 mondiale. Les projections montrent qu’à l’horizon 2025 cette proportion passera à 63 % à cause de l’accroissement de la population et de la croissance concomitante des besoins en eau. Parmi tous les secteurs économiques, l’agriculture est de loin le plus consommateur (70 % des ressources mondiales) ; il faut 1 000 fois plus d’eau pour nourrir l’humanité que pour la désaltérer… Contrairement à certaines idées reçues, la « rareté » de l’eau n’entrave pas directement le développement économique d’une région [Margat & Andréassian (2008)]. Les sociétés ont toujours su s’adapter à cette Il faut 1 000 fois plus d’eau pour nourrir l’humanité que pour la désaltérer. Vulnérabilité 1 700 2 500 6 000 15 000 70 000 684 000 contrainte, et les premières grandes civilisations se sont développées dans des régions pauvres en eau (Euphrate, Nil, fleuve Jaune) ! La gestion de l’eau : historique et réglementations L’aménagement des eaux par des équipements hydrauliques (barrages, digues, aqueducs, drainage, etc.) est pratiqué depuis des millénaires à des fins d’alimentation en eau potable, d’irrigation et de maîtrise des risques dus à l’eau. Les aqueducs romains, les réservoirs villageois dans les campagnes indiennes ou les qanâts dans les régions semi-arides du Moyen-Orient en sont autant d’exemples (photo 1). Ces aménagements n’entrent pas dans le cadre de la gestion de l’eau, qui est un concept relativement récent né au cours du XXe siècle de l’expérience et de la perception des sociétés de situations de déficit, d’excès ou de détérioration dans certaines régions et à certaines périodes. Données non disponibles ou non significatives Fig. 1 : Disponibilité en eau douce par pays (en m3 par personne sur un an) : les populations des régions en jaune sont en stress hydrique et celles des régions en orange en situation de pénurie. Fig. 1: Availability of fresh water per country (m3 per person over one year): in yellow, countries in hydric stress and in orange, those in shortage. Source : World Resources Institute, FAO, 2007. G é o s c ie nce s • n um é ro 1 3 • j u ill e t 2 0 1 1 0 Stress hydrique Pénurie water resource: a need for local management within a global approach 95 96 Gérer l’eau signifie d’accorder les diverses actions sur l’eau à des objectifs spécifiques et s’inscrit dans quatre dimensions : territoriale (unité de gestion), stratégique (objectif), institutionnelle (autorité) et opérationnelle (instruments réglementaires, financiers, culturels, etc.). La nécessité d’une gestion de l’eau peut avoir des raisons diverses : déficit ou excès d’eau, détérioration de la qualité, conflits entre différentes utilisations parfois rivales. Les problématiques de gestion de l’eau ont une forte connotation régionale, voire locale, en fonction des zones climatiques, de la variabilité spatiale des contaminations (figure 2), des risques (sécheresse, inondations, pollutions), des pressions dues aux activités humaines, etc. Les outils de gestion de l’eau vont ainsi diverger selon les objectifs à atteindre : par exemple, optimisation de la demande et de l’approvisionnement dans le cas de stress hydrique, établissement de cartes de vulnérabilité et mise en place de zones de protection des captages pour ce qui concerne les problèmes de qualité, arbitrages politiques par des instances nationales ou internationales dans le cas de conflits… Une gestion intégrée de la ressource en eau (GIRE) est de plus en plus privilégiée, tenant compte à la fois des eaux de surface et souterraines, des objectifs d’approvision- nement et de qualité. Pour gagner en efficacité, les coûts d’approvisionnement, de gestion, de préservation ou d’amélioration de la qualité sont pris en compte et pondérés. Au cours des deux dernières décennies, des instruments législatifs ont été mis en place pour soutenir les efforts de gestion de la ressource en eau. Sur le plan national, la loi sur l’eau de 1992 consacre l’eau en tant que « patrimoine commun de la Nation », et la loi de 1964 a posé les bases d’une gestion de l’eau décentralisée. Les agences de l’eau ont pour mission d’initier, à l’échelle de leur bassin versant, une utilisation rationnelle des ressources en eau, la lutte contre leur pollution et la protection des milieux aquatiques. Elles sont chargées notamment de la coordination de schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Depuis 2008, l’Onema (Office national de l’eau et des milieux aquatiques) s’appuie sur l’analyse Photo 1 : Exemples d’aménagement des eaux a) Bassin d’irrigation en Inde. © J. Perrin b) Aqueduc Pont du Gard. © PicasaWeb, Marie-T. Favre. c) Peignes de répartition – Sebkha de Timimoun, Sahara, Algérie. © PicasaWeb. Photo 1: Examples of water management structures a) Irrigation pond in India. b) Pont du Gard aqueduc. c) Water repartition comb, Timimoun Sebkha, Sahara, Algeria. Quatre dimensions de gestion : territoriale, stratégique, institutionnelle, opérationnelle. water resource: a need for local management within a global approach Fig. 2 : Qualité des cours d’eau au regard de la menace pour l’approvisionnement en eau potable (HWS, Human Water Security) et pour la biodiversité (BD). Fig. 2: Water quality in rivers as regards threats to water supply (HWS, Human Water Security) and biodiversity (BD). source : www.riverthreat.net prospective des défis scientifiques et techniques, et produit de nouveaux savoirs pour atteindre ces objectifs de préservation des milieux. Au niveau européen, la directive-cadre sur l’eau (DCE) du 22 décembre 2000 vise à prévenir et réduire la pollution des eaux, promouvoir son utilisation durable, protéger l’environnement, améliorer l’état des écosystèmes aquatiques et atténuer les effets des inondations et des sécheresses. Un objectif est d’atteindre le bon état chimique et écologique des milieux aquatiques et des bassins versants à l’horizon 2015. Malgré les efforts consentis, il semble d’ores et déjà que tous les objectifs ne seront pas atteints… Le conseil mondial de l’eau (www.worldwatercouncil. org), établi en 1996, a pour mission de sensibiliser aux problématiques de l’eau. Il encourage en particulier la gestion et l’usage efficaces de l’eau sur une base durable et organise un forum tous les trois ans. Adjusted HWS Threat BD Threat Quelle échelle optimale pour la gestion de l’eau ? Quelles sont les unités de gestion appropriées ? Quelles sont les conditions nécessaires pour une gestion adéquate de la ressource sur le long terme ? Dans un contexte de changement climatique, les pressions sur la ressource en eau actuelle et à venir impliquent-elles une gestion plus globale, régionale, transfrontalière ? Qui sont les acteurs les plus à même de prendre en charge la gestion de l’eau et dans quel cadre légal/administratif ? Nous allons tenter d’apporter des éléments de réponse à ces questions à l’aide de cas emblématiques. En zone aride et semi-aride, où la rareté des ressources face à des besoins croissants, crée des situations de pénurie qui s’aggravent, l’objectif principal est de garantir la durabilité de l’approvisionnement par une gestion autant des demandes que des ressources. Des outils d’aide à la décision peuvent s’avérer utiles en associant la connaissance du fonctionnement du système et les décisions de politiques de gestion. Par exemple, le CEFIRES a développé un tel outil pour la gestion des aquifères de socle du sud de l’Inde surexploités par la pression croissante de l’agriculture irriguée (figure 3). 2002 Fig. 3 : Multiplication du nombre de forages fermiers sur le bassin versant expérimental de Maheshwaram, sud de l’Inde, CEFIRES(1). Fig. 3: Increase in the number of dug wells over the experimental Maheshwaram watershed in southern India, CEFIRES(1). (1) – Centre Franco-Indien de recherche sur les eaux souterraines, collaboration entre le NGRI, partenaire indien, et le BRGM basé à Hyderabad depuis 1999. 0 1 2 3 km 800 700 600 500 400 300 200 100 0 1975 1980 1985 1990 1995 2000 ressources en eau : une gestion nécessairement locale dans une approche globale En Méditerranée, certains aquifères karstiques disposent de réserves de quelques dizaines de millions de mètres cubes offrant des possibilités de gestion active encore peu pratiquée [Bakalowicz et Dörfliger, (2005)]. Une gestion active permettrait de s’affranchir de variations saisonnières du débit à l’exutoire par des prélèvements saisonniers au sein du réseau karstique, compensés par une recharge lors des hautes eaux et de veiller ainsi à respecter les conditions de reconstitution des réserves en s’opposant à toute surexploitation. La source du Lez à Montpellier, avec un prélèvement de 1 300 l/s à la source, est un exemple de ce type de gestion. Des recherches sur la gestion intégrée de la ressource en eau sont menées à l’échelle de bassins versants en Afrique ou dans les Andes. Le projet Aguandes en Équateur (région de Quito), par exemple, piloté par l’IRD, vise à encourager la mise en place d’outils de gestion tels que des modèles d’aide à la décision dans des bassins hydrographiques. En régions tempérées, aux ressources plus abondantes et plus régulières, la conservation de la qualité de l’eau et la protection des écosystèmes sont des objectifs prioritaires. Les actions menées par les agences de l’eau à l’échelle du bassin ont permis d’améliorer la qualité des eaux de surface, grâce à la mise en place de stations d’épuration adaptées. Concernant la protection des aquifères, un aspect de la gestion consiste à caractériser le temps de transfert des contaminants dans les aquifères, à établir des cartes de vulnérabilité des aires d’alimentation des captages afin de définir les actions prioritaires à mener sur des zones critiques. 640 – –0 – – – – 500 – – – Altitude moyenne ––– 1 000 – – Base de l'horizon de saprolite ––– 1 500 – – – – – – – Scénario 2 – – – – – – – – Scénario 1 – – – – – – – – – – – – – – – Base de l'horizon fissuré – – – – – Ces exemples montrent que la bonne gestion de la ressource en eau s’effectue à l’échelle locale/régionale du bassin hydrographique ou de l’aquifère. L’option qui consiste à acheminer de l’eau sur de grandes distances n’est pas une solution satisfaisante, et les quelques projets dans ce sens n’ont rencontré que des succès limités et fait émerger des situations potentiellement conflictuelles. Vers une « bonne » gestion de l’eau : une affaire locale aux conséquences potentiellement globales Les processus physico-chimiques contrôlant les différents compartiments du cycle de l’eau sont globaux ; cependant, la diversité des contextes climatique, géologique, économique, institutionnel et humain fait qu’une gestion adéquate de la ressource en eau douce doit se faire à l’échelle géographique correspondante. Pour garantir cette bonne gestion, les organismes doivent pouvoir implémenter leur action à cette échelle, comme les agences de bassin en France, par le biais de structures de gestion ad hoc ou les ONG à l’échelle de la communauté dans le sud de l’Inde. Au vu de la disparité des contextes et des problématiques de gestion, une étape primordiale préalable à toute gestion est d’avoir une connaissance précise de la ressource grâce à des études de caractérisation des milieux, au suivi de l’état des ressources sur le long terme et à la mise en place d’outils de modélisation (encadré M. Lambert, page 101). Sur cette base, des outils robustes d’aide à la décision, éléments essentiels à 2019 – 2020 – 2017 – 2018 – 2015 – 2012 – 2013 – 2011 – 2010 – 2009 – 2007 – 2008 – 2005 – 2006 – 2003 – 2004 – 2001 – Piézométrie simulée Maheshwaram 2016 _ Scénario de référence 2014 – Niveaux piézométriques observés 2002 – 2000 – – – – 630 –– – – – 620 –– – – – 610 –– – – – 600 –– – – – 590 –– – – – 580 –– – – – 570 –– – – – 560 –– mm Cet outil permet de visualiser, à l’échelle du bassin versant (10-100 km2), l’évolution de la nappe en fonction de différents scénarios de prélèvements, de gestion active (recharge artificielle), de variabilité climatique, etc. (figure 4) tout en intégrant les concepts récents d’hydrogéologie de socle [Lachassagne & Wyns (2005)]. Même si des institutions gouvernementales sont en charge du développement et du suivi de la ressource en eaux souterraines, elles n’ont pas su jouer un rôle significatif pour sa gestion. Les ONG se sont montrées plus efficaces en réalisant des expériences pilotes d’éducation des communautés rurales autour d’une gestion communautaire de la ressource. En Tunisie, autre région confrontée à un déficit d’eau, une approche participative entre agriculteurs et autorités a récemment été testée avec succès en utilisant un outil de simulation permettant d’évaluer différents scénarios de gestion. Cette étude offre des perspectives intéressantes de gestion concertée de la ressource en eau [Le Bars et al., (2011)]. Niveau piézométrique (masl) 98 Fig. 4 : Scénarios d’utilisation de l’eau souterraine pour le bassin expérimental de Maheshwaram. D’après Dewandel et al., 2010. Fig. 4: Scenarios of groundwater use for the experimental Maheshwaram watershed. After Dewandel et al., 2010. water resource: a need for local management within a global approach la bonne gestion de la ressource dans un cadre socioéconomique durable, peuvent être mis au point et simuler différents scénarios de demande et d’approvisionnement. Ils peuvent ainsi encourager le dialogue entre les acteurs concernés, caractériser la vulnérabilité économique des usagers ou encore évaluer les coûts et bénéfices des mesures à mettre en place pour assurer ou restaurer le bon état chimique d’une masse d’eau. Cette gestion locale de la ressource n’exclut pas l’existence d’institutions de gouvernance supranationale ou mondiale ; de telles institutions peuvent faire office de plateforme d’échanges d’informations et d’expériences. Des réflexions sont menées dans un cadre international pour la bonne gestion des aquifères transfrontaliers ou la gestion amont-aval des bassins de grands fleuves traversant plusieurs pays. L’objectif du FFEM (Fonds > Recharge artificielle et gestion active des nappes en zone littorale Joël Casanova – Géochimiste – Chef de projet – BRGM Service Eau – [email protected] La préservation des ressources en eau souterraine constitue un enjeu environnemental et économique dans les zones littorales. La demande croissante en eau en raison d’un afflux saisonnier de population peut en effet conduire à une salinisation des ressources lorsqu’elles sont surexploitées de manière chronique. Limiter la salinisation des nappes côtières est ainsi cohérent avec l’objectif de la directive-cadre européenne qui est d’atteindre, pour les eaux souterraines, un bon état écologique en 2015. L’intérêt économique de préserver ces ressources en eau est de pérenniser une ressource en eau locale et d’éviter le recours à des transferts d’eau. Ces derniers peuvent en effet représenter des investissements de deux à dix fois supérieurs à la maîtrise du Pilote REUSE : colonne de sol reconstitué avec infiltration d’eau usée traitée et monitoring par bougies poreuses (R&D Veolia-BRGM). REUSE pilot plant: reconstituted soil column with infiltration by treated waste water and monitoring via porous plugs (Veolia-BRGM R&D). biseau salé. Dans ce contexte, le recyclage des eaux usées (REUSE) constitue un moyen prometteur pour créer de nouvelles ressources permettant de juguler le stress hydrique et de sortir de la spirale « traiter de plus en plus une eau de plus en plus polluée ». L’avantage décisif du recyclage des eaux usées est qu’il crée un « gisement » d’eau précisément là où les besoins s’expriment, et de taille proportionnelle à ces derniers. Le plus souvent développés à petite échelle les projets de REUSE sont destinés à des usages non potables (irrigation, arrosage de terrains de golf…). L’objectif est de passer d’une gestion passive du biseau salé (réduire les pompages pour l’alimentation en eau potable) à une gestion dynamique : optimiser les pompages et les réalimentations en fonction des prévisions apportées par la modélisation et le suivi en continu de l’aquifère. L’approche opérationnelle consiste à : (1) développer un système de gestion active des aquifères côtiers permettant au gestionnaire d’injecter de l’eau douce en fonction des prélèvements d’eau potable, de façon à maîtriser (repousser, stabiliser ou ralentir) la progression de l’intrusion saline ; (2) étudier la possibilité de recourir à des eaux résiduaires urbaines prétraitées pour la réalimentation des nappes côtières, en intégrant les impacts sanitaires et environnementaux liés à une injection dans la zone non saturée. n 99 En km3/an ■ -100 / -50 ■ -50 / -25 ■ -25 / -10 ■ -10 / -5 ■ -5 / 0 ■ 0/5 ■ 5 / 25 ■ 25 / 50 ■ 50 / 100 ■ Données absentes Français pour l’environnement mondial) est ainsi de contribuer à une meilleure gestion des eaux internationales en privilégiant les projets qui donnent une place importante à la collaboration entre États, renforcent les réseaux de mesure et les systèmes de suivi, et contribuent à diminuer les sources de pollution. échanges d’eau sous forme de produits consommateurs d’eau (essentiellement des denrées) entre les différentes parties du monde, l’illustre bien (figure 5). L’eau utilisée pour la production de viande, de fruits et de légumes peut représenter la moitié de la consommation en eau des pays importateurs ! Même si des démarches améliorant la gestion de l’eau se mettent en place, la question des stress hydriques croissants dans certaines parties du monde reste prépondérante et il faut explorer d’autres pistes pour y répondre : maîtriser la demande (irrigation au goutte à goutte, réduction des fuites), faire appel à des ressources non conventionnelles (recyclage des eaux usées, dessalement…) (encadré J. Casanova, page 99). L’amélioration de la qualité de l’eau peut également accroître l’offre disponible. Cependant, l’assainissement est une priorité négligée par les gouvernements, et les investissements consentis à ce jour sont bien loin de garantir l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement fixés par les Nations unies. L’utilisation des réserves d’eaux souterraines dans les régions arides à semi-arides, en augmentation au cours des dernières décennies, peut avoir des conséquences globales. Les travaux de Wada et al., (2010) ont permis d’estimer à 0,8 mm (±0,1) par an la contribution de l’exploitation des eaux souterraines soit 25 % (±3) de l’augmentation totale du niveau des océans (3,1 mm/an). Une gestion adéquate passe aussi par une démarche économique (investissements, partage équitable des coûts, etc.). Une approche possible est de mettre en place de mesures contraignantes accompagnées de contreparties financières. Ce modèle a été appliqué avec succès à l’échelle de petits bassins versants pour limiter les pollutions agricoles diffuses dans les captages et pourrait être reproduit pour limiter les prélèvements agricoles dans les nappes surexploitées [Montginoul (2011)]. La gestion locale ou régionale de la ressource en eau a des conséquences à l’échelle planétaire. Le concept d’eau virtuelle développé par J.-A. Allan (1993) pour décrire les En ce début de XXIe siècle, les pressions sur les ressources minérales s’accentuent et l’eau douce n’y fait pas exception : croissance économique, démographie, changement climatique mettent les ressources en eau douce à rude épreuve surtout dans les pays émergents. L’eau douce, ressource minérale exceptionnelle, nécessite une gestion adéquate à une échelle locale ou régionale, afin de garantir l’harmonie du « village global » sur la durée. Les sociétés ont su s’adapter par le passé, mais de nouveaux plans d’adaptation entraînant des choix, des coûts et des compromis sont indispensables. La réduction des pertes dans les réseaux et dans les systèmes d’irrigation est à rechercher, tout comme l’utilisation d’eaux de différentes qualités pour différents usages et le stockage saisonnier d’eau de surface ou d’eau recyclée pour permettre la recharge des aquifères. n Les auteurs remercient chaleureusement J. Margat pour ses discussions et sa relecture. Fig. 5 : Carte du monde montrant les échanges d’eau virtuelle. Fig. 5: Word map of virtual water trades. Source www.waterfootprint.org water resource: a need for local management within a global approach > Les géosciences au service de la gestion des eaux Marc Lambert – Ingénieur ENSG Nancy – Directeur du Syndicat des eaux du Vivier (SEV) – [email protected] Le Syndicat des eaux du Vivier (SEV) est la plus grosse collectivité productrice et distributrice d’eau en régie des Deux-Sèvres, incluant Niort et quelques communes du marais poitevin (environ 100 000 habitants interconnectés concernés). La compétition entre irrigation et eau potable, utilisant des ressources souterraines karstiques de faible réserve, à faible protection et à remplissage annuel, a occasionné dans les dernières décennies des situations critiques pour l’alimentation en eau potable de Niort (notamment en 2005) qui ont pu être gérées grâce à une approche « géoscientifique » prévisionnelle. La définition de crise quantitative pour un service d’eau peut se résumer par le franchissement d’un simple ratio : Ressources instantanées disponibles / Besoins totaux en pointe < 1 Les géosciences ont ainsi été mises en œuvre sur ce volet pour : – étudier le bassin versant, la cinétique de remplissage de la ressource karstique et la modéliser mathématiquement (figure) ; – comprendre le comportement des consommateurs, modéliser et prévoir les jours de pointe et les tendances à moyen et long terme ; – élaborer des scénarios de franchissement du ratio précité en intégrant les stockages naturels (niveau annuel des réserves en nappe) et humains (châteaux d’eau, barrages…), et dimensionner les secours ; – aider à l’élaboration d’indicateurs de suivi, sur la consommation et les prélèvements agricoles (en été, 50 exploitations qui irriguent consomment autant d’eau que 100 000 habitants), pour anticiper et gérer, via la fixation d’arrêtés préfectoraux de limitation des usages… Ces approches scientifiques ont donné lieu à plusieurs publications et formations (ENGREF, ENSOSP…) et ont reçu le prix de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne 2007 pour leur utilisation dans la gestion de la crise de l’étiage centennal 2005. Elles sont actuellement étendues à la compréhension de l’évolution des pollutions aux nitrates et pesticides dans le cadre du projet de recherche CAMERA, co-financé par la région, le FEDER et le BRGM. n Bibliographie : Lambert Marc – Géologues n° 167, décembre 2010 – www.revue.ufg-asso.com. Lambert Marc – Actes du colloque H2karst, septembre 2011 à Besançon, à paraître fin 2011. http://sites.google.com/site/h2karst/ Rabattement piezométrique de Niort souche (m/sol) 0 -5 -10 –– Modèle (outil Neuro one, Netral) –– Mesures (moyenne hebdomadaire) ● Bonne reproduction des minimas incluant l’effet de l’irrigation -15 -20 -25 01/01 2004 01/07 2004 01/01 2005 01/07 2005 01/01 2006 01/07 2006 01/01 2007 01/07 2007 01/01 2008 Modélisation par réseau de neurones des effets de l’irrigation sur la nappe en amont de la source du Vivier. Neural network modelling of irrigation effects on the groundwater level upstream from the Vivier spring. © SEV. Water resource: a need for local management within a global approach Water is a unique mineral resource, mobile and renewable and used for various applications that may be conflicting. The fresh water resource is essential to life; however, its integrity is under increasing pressure due to the development of modern societies. In response to this situation, the concept of sustainable water resource management has gained momentum over recent years. The question addressed here is to try to define good practice in water resource management, at an appropriate scale and within a suitable regulatory framework, as the fresh water resource is unevenly distributed around the world. Existing water resource management approaches are diverse, as they have to be tailored to the local/regional context: a community-based approach in rural southern India to deal with groundwater overexploitation, aquifer vulnerability mapping to protect groundwater from agricultural or industrial contaminants, active karstic aquifer management throughout the Mediterranean region, integrated water resource management at an Andes’ river basin scale, water agency actions at a river basin scale in France to restore the good ecological status of water bodies, etc. The regulatory framework is adapted to this variability; it may be situated at local or regional scale, but also at an international one (large river basins or transboundary aquifers). These examples show that efficient water resource management is achieved at the natural scale of the system and should be aligned with the quantitative or qualitative issues at stake. Adequate monitoring and modeling efforts to achieve an appropriate understanding of the hydrological systems is a prerequisite to the use of management tools.Good practice in water resource management is a local or regional affair that becomes an essential part of sustainable development in the 21st century. Fresh water resource stress and scarcity will remain high in different parts of the world, and additional measures will be required such as changes in behavior to reduce water consumption or the development of non-conventional resources. Bibliographie : M. Bakalowicz, N. Dörfliger (2005) – Ressources en eau du karst : un enjeu pour le bassin méditerranéen. Géosciences n° 2 : 26-31. B. Dewandel, J. Perrin, S. Ahmed, S. Aulong, Z. Hrkal, P. Lachassagne, M. Samad, S. Massuel (2010) – Development of a Tool for managing groundwater resources in semi-arid hard rock regions. Application to a rural watershed in south India. Hydrological Processes 24: 2784–2797. P. Lachassagne, R. Wyns (2005) – Aquifères de socle : nouveaux concepts – Application à la prospection et la gestion de la ressource en eau. Géosciences n° 2 : 32-37. M. Le Bars, P. Le Grusse, L. Albouchi, J.-C. Poussin (2011) – Un jeu de simulation pour préparer une gouvernance de l’eau : une expérience en Tunisie centrale. Cahiers Agricultures 20 (1-2): 105-111. J. Margat (2008) – Les eaux souterraines dans le monde. BRGM éditions, 187 p. J. Margat & V. Andréassian (2008) – L’eau. Coll. Idées reçues, Le cavalier bleu éditions, 125 p. M. Montginoul (2011) – Des accords entre parties prenantes pour gérer l’impact des prélèvements agricoles individuels dans les nappes phréatiques ? Cahiers Agricultures 20 (1-2): 130-135. Y. Wada, L.-P.-H.van Beek, C.-M. van Kempen, J.-W.-T. Reckman, S. Vasak, M.-F.-P. Bierkens (2010) – Global depletion of groundwater resources, Geophysical Research Letters, Vol. 37, 5p. tribune tribune J ean Margat Les terriens et l’eau Jean Margat Hydrogéologue [email protected] tribune C’ 102 est parce que la Terre est la planète de l’eau que la vie y est née, en évoluant sous des formes multiples, d’abord aquatiques puis sur les terres émergées où la vie végétale et animale s’est multipliée et où finalement l’espèce humaine s’est répandue. Les eaux douces continentales sont si nécessaires à l’humanité qu’elle les identifie souvent à des ressources, en oubliant qu’elles sont également vitales pour la biosphère terrestre mais aussi dangereuses. L’évaluation du flux moyen de toutes les eaux continentales en circulation – les « eaux bleues » – est une vue de l’esprit, car sa répartition est le contraire de l’uniformité dans l’espace et de la constance dans le temps. Selon les régions du monde, ces flux varient de 1 à 100. Ainsi les zones arides et semi-arides qui s’étendent sur près du tiers des continents, ne recueillent que 2,5 % de ce flux. Cette répartition très inégale et irrégulière qui se manifeste par des sécheresses et des inondations est bien antérieure à l’apparition de l’homme qui s’est installé sans s’adapter aux variétés d’occurrence terrestres de l’eau, surtout dans les temps modernes. Ainsi, 20 % de la population mondiale vit dans les zones arides et semi-arides où les ressources en eau sont inférieures à 1 000 m3 annuels par habitant. Pour s’approvisionner, les terriens se branchent depuis toujours sur toutes les étapes du cycle de l’eau : de la récolte d’eau pluviale et des essais de récupération de rosée, au captage des sources et aux prises au fil des rivières, à la maîtrise des eaux fluviales irrégulières par des barrages-réservoirs, au puisage ou pompage des eaux souterraines, voire à leur exploitation par galerie, ou par forage artésien, jusqu’au dessalement d’eau de mer. Sans relation avec les ressources locales ou avec les niveaux de développement socioéconomique l’humanité prélève à peine 10 % de l’écoulement mondial, mais près d’un tiers des eaux formant des ressources mobilisables (figure). L’utilisation prédominante est l’irrigation (66 % au plan mondial, 90 % en zone aride et semi-aride), avant l’industrie (20 %) et l’eau potable (10 %) : l’humanité utilise beaucoup plus d’eau pour se nourrir que pour boire. Les eaux continentales sont sujettes à des degrés de pression quantitative variés, mais croissants. Les ratios prélèvements/ressources potentielles renouvelables s’échelonnent selon les pays de 1 à 100 % et même au-delà avec les déstockages d’eau souterraine. L’humanité n’est donc plus seulement tributaire des eaux continentales pour sa vie, ses activités et son développement, elle est devenue un facteur du cycle de l’eau dont elle influence le fonctionnement. Le cycle de l’eau dénaturé ? Pendant des millénaires, les êtres humains ont adapté leur mode de vie aux variétés de répartition des eaux terrestres pour s’en servir ou s’en défendre. Les utilisations humaines de l’eau avaient des impacts négligeables, compatibles avec les besoins des autres convives de la biosphère. Ces temps sont révolus. À l’époque moderne, les hommes ont commencé à s’affranchir des conditions naturelles pour s’approvisionner en eau, à « aménager et maîtriser » les eaux de la nature. En moins d’un siècle, l’humanité a davantage aménagé et mobilisé les eaux terrestres que durant les millénaires antérieurs. Dans une large partie du monde, l’asservissement des eaux a commencé à transformer significativement leur régime et à perturber leurs fonctions naturelles. Les endiguements de nombreux fleuves ont réduit leur « espace de liberté », en déplaçant souvent les zones inondables. Aujourd’hui, des barrages artificialisent le régime de milliers de cours d’eau tandis que l’évapotranspiration naturelle des terres émergées progresse tout comme le drainage et l’assèche de terres et zones humides. Dans le même temps, les voies d’eau artificielles ont déstructuré les réseaux hydrographiques avec des transferts d’eau massifs entre bassins sur de grandes distances. Les eaux souterraines n’ont pas été épargnées avec une exploitation particulièrement croissante au cours de la seconde moitié du Jean Margat Dans nombre de bassins, ces consommations ont détourné de leur exutoire primitif une partie appréciable des eaux continentales qui ne participe plus au cycle de l’eau via les océans. Avec l’hydroélectricité l’humanité asservit aussi une part de l’énergie des flux d’eau naturels : ce qui peut affaiblir les capacités de transport de sédiments et favoriser le comblement des réservoirs. Le cycle de l’eau terrestre. Flux moyens globaux chiffrés en milliards de m3 par an (synthèse réalisée d’après les chiffres de l’IWMI et de la FAO). Plus indirectement, les activités humaines pèsent sur la qualité des eaux. Les pressions humaines varient beaucoup et sont plus élevées dans les régions à eaux peu abondantes P r é ci p i t n atio ens at i o Neige Glace ora tion Écoulement superficiel et souterrain (« eaux bleues ») . . . . 43 659 –Prélèvements autres . . . . . . . . . 1 174 io n s + Apports artificiels par déstockage et production d’eau douce par dessalement . . . . . . . . . . . . . . . 188 Écoulement final réel à la mer . . . . 38 496 Évaporation . . . . . . . . . . . . . . . ap Év or ation Lac o Éc Précipitations . . . . . . . . . . . . . . 119 000 –Prélèvements agricoles . . . . . . . 2 844 Infiltrat Év ap Éva pora tion L’homme est devenu ainsi un agent non négligeable du cycle de l’eau dont sa vie dépend. L’avenir de cette dénaturation est un objet majeur de prospective, indissociable de l’avenir des approvisionnements en eau de l’humanité. dont : en ts n Évapotranspiratio et à forte population. Dans ces régions, plusieurs fleuves sont détournés et n’aboutissent presque plus à leur exutoire naturel (Colorado, Nil, Euphrate, Amou-Daria et Syr-Daria). Le cas des deux derniers est spectaculaire, parce qu’ils se déversaient dans une mer fermée, la mer d’Aral en voie de disparition, comme c’est aussi le cas du Jourdain pour la mer Morte et aussi en partie de celui du lac Tchad. Bilan d’eau des terres émergées (moyennes annuelles en milliards de m3) ns ul em © M. Villey, BRGM. d Les quantités d’eau retournées après usages sont une source majeure de pollutions, y compris sur le littoral. Dans les pays développés (mais pas seulement), on pollue plus d’eau qu’on en utilise : un m3 d’eau prélevé puis rejeté après usage peut en polluer cinq à six fois plus dans les cours d’eau récepteurs. Rui ssel leme nts Earth's water cycle. Mean flow worldwide amounting to billions of m3 per year (a composite view based on WMI and FAO statistics). n Co L’agriculture pluviale est aussi branchée sur le cycle de l’eau, en participant à l’évapotranspiration des sols et des végétaux qu’on appelle « l’eau verte » et qui consomme deux fois plus que les prélèvements pour l’irrigation. dont : Océan 80 692 –Évaporation des forêts et zones incultes . . . . . . . . . . 68 941 –Déperditions d’écoulement notamment en bassins fermés . . 3 300 –Pâturages . . . . . . . . . . . . . . . . 840 –Agriculture pluviale . . . . . . . . . 5 560 –Agriculture irriguée . . . . . . . . . 1 700 –Consommations par les autres utilisations . . . . . . . 143 Stockages –Évaporation des réservoirs . . . . . . 208 [soit 8 451 induits par l’humanité] Bibliographie : Anonyme/FAO (1974) – Influence de l’homme sur le cycle hydrologique (FAO, Bull. irrigation et drainage, n° 17 – Rome). Blanchon D. (2009) – Atlas mondial de l’eau (Éd. Autrement, Paris). CIGB/ICOLD (2007) – Les barrages et l’eau dans le monde (Commission Internationale des Grands Barrages, Paris). FAO (2003) – Review of world water resources by country. (FAO, Water Reports 23, 110 p., Roma). Margat J. (2005) – Le cycle de l’eau : un fragile équilibre (« Pour » ; n° 185, pp. 82-87 – Paris). Margat J., Andreassian V., (2008) – L’eau (le Cavalier Bleu, coll. « idées reçues », Paris). Margat J. (2008) – Les eaux souterraines dans le monde (UNESCO/BRGM Ed., Paris, Orléans). Margat J. (2009) – Population et ressources en eau (Géopolitique, « Histoires d’eau », Oct., Paris). Renaud J.-L. (2000) – Planète eau : repères pour demain (Ed. Johanet, Paris). Shiklomanov I.-A., Rodda J. (2003) – World Water Resources at the beginning of the 21e Century (Unesco/Cambridge Univ. Press). UN (2009) – Water in a changing world. The United Nations World Water Development Report n° 3 (Unesco/Earth scan). 103 Géosci ences • n u méro 13 • ju i l l et 2011 XXe siècle. En un siècle, plus de 1 000 km3 d’eau ont été soustraits aux réserves de différents aquifères, ce qui a entraîné des baisses de niveau et des ruptures locales du cycle de l’eau avec des effets préjudiciables : tarissement de sources, invasion d’eau de mer dans les aquifères littoraux, subsidences et affaissement du sol, etc. points de vue croisés points de vue points de vue croisés 104 Le rôle de l’eau sur la planète Terre À la lecture de ce numéro de Géosciences, nos lecteurs auront pris conscience de l’extraordinaire équilibre sur lequel est bâtie notre planète, depuis ses profondeurs les plus grandes jusqu’à ses enveloppes atmosphériques externes, et du rôle essentiel joué par l’eau dans pratiquement tous les processus géologiques. Et ce, qu’ils soient telluriques, climatiques ou anthropiques. Chacun a pu prendre connaissance des ordres de grandeur des stocks et des flux, de la part jouée désormais par l’homme dans un nombre croissant de processus, et mesurer la fragilité de l’ensemble, et sa responsabilité. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé, avant de clôturer cette revue, à trois personnalités issues de différents cercles concernés de donner leur point de vue d’acteurs (entreprise industrielle, association environnementale, organisation internationale) concernant l’eau dans le système Terre. Jacques Varet, rédacteur en chef La noria du lavoir de Salinelles (Gard), permettait de relever l'eau pour l'irrigation des terres situées plus haut que le ruisseau. The noria at the Salinelles washing place (Gard Department), which lifts water to irrigate land situated higher than the stream. © D. Villafruela. points de vue croisés Jean-François Minster Total … – Direction scientifique [email protected] … Les enjeux de l’eau et de l’énergie, toutes deux composantes fondamentales de la vie et du développement, sont étroitement liés de multiples façons, à l’échelle mondiale. La croissance de la population, le développement économique souhaité par tous, ou simplement la satisfaction des besoins essentiels des plus démunis ne peuvent en effet s’envisager sans un accès accru à l’eau et à l’énergie. Cette perspective mondiale doit s’accompagner de progrès majeurs, à réaliser dans la durée, en matière d’efficacité énergétique et de réduction des pertes d’eau, avec récupération des énergies perdues et réutilisation bien plus systématique des eaux usées. La production pétrolière extrait environ trois fois plus d’eau que de pétrole. Cette eau inutilisable est pour l’essentiel traitée et réinjectée dans le sous-sol. Dans le même temps, la production et le traitement des énergies nécessitent des quantités d’eau importantes et en fait croissantes avec la nature toujours plus lourde des ressources fossiles. La consommation d’eau va de 0,1 m3/MWh pour les sables bitumineux à 0,5 à 2 pour le charbon… et de 16 à 500 m3/MWh pour les biocarburants. Cela reste heureusement très faible en comparaison à l’usage agricole. Cependant, on ne peut oublier que bien des activités du secteur énergétique se développent dans des zones de stress hydrique. L’eau elle-même est source d’énergie puisque 20 % de l’électricité est hydroélectrique, et constitue 80 % de l’électricité d’origine renouvelable. À l’inverse, on ne peut imaginer de gérer le problème de l’eau sans lien avec l’énergie : le pompage et l’irrigation, le traitement de l’eau potable, et le dossier si essentiel du retraitement des eaux usées consomment de l’énergie. Cette relation entre eau et énergie est même plus profonde puisque l’effet le plus sensible du changement climatique induit par les émissions des gaz à effet de serre est la modification 105 du cycle de l’eau – avec les effets de sécheresse des zones subtropicales et de précipitations accrues, voire d’inondations plus fréquentes aux latitudes plus élevées. Faire face à ce changement global nécessitera de l’énergie. Il est bien impossible de travailler sur le sujet de l’eau sans prendre en compte les multiples interactions du fonctionnement de nos sociétés et de l’environnement. Les entreprises comme Total ont la responsabilité d’appliquer partout les bonnes pratiques – comme celles de la directive-cadre européenne sur l’eau. Dans le cadre qui est le leur, elles se doivent de progresser continuellement dans la réduction de leur utilisation de ressources nouvelles et de l’impact environnemental de leur activité. Consommation d'eau liée à la production d'énergie en gallon par million de British Thermal Unit (1 Gal/MMBTU ≈ 0,013 m3/MWh). Gé o sci e n ce s • nu m é ro 13 • ju i l l et 2011 L’eau et l’énergie, point de vue d’un industriel de l’énergie Water footprint of energy production in gallons per million BTU. Source : DOE (Department of Energy, USA) 2006. Biodiesel Refining Soya Irrigation Ethanol Processing Corn Irrigation Hydrogen Electrolysis Hydrogen Reforming Uranium Processing Uranium Mining Oil Storage in Salt Cavern Oil Sands Oil Shale In-Situ Oil Share Surface Retort Refining Enhanced Oil Recovery Petroleum Extraction Gas Storage in Salt Cavern Natural Gas Pipeline Operations Natural Gas Extraction & Processing Coal Gasification Coal Slurry Coal Liquefaction Coal Washing Coal Mining 1 10 100 1 000 Gal/MMBTU 10 000 100 000 points de vue croisés Bernard Rousseau France Nature Environnement [email protected] points de vue croisés 106 Il sera très difficile d’atteindre l’objectif de 66 % de masses d’eau superficielles « en Bon État » en 2015. L’action de France Nature Environnement prend appui sur la DCE (directrice-cadre européenne sur l’eau) et sur l’objectif d’atteinte du bon état de la qualité des eaux en 2015. Nous en sommes très loin, la qualité des eaux est très dégradée. Ainsi, 54 % du bassin de la Loire sont aujourd’hui classés en « zone vulnérable » à la pollution par les nitrates d’origine agricole, avec des taux qui dépassent les 50 mg/l. Les produits phyto-sanitaires sont présents pratiquement partout, d’où le déclassement des masses d’eau. Nous nous appuyons sur une autre priorité de la DCE : la reconquête de la morphologie des cours d’eau dégradée par les barrages. On recense 60 000 barrages en France dont seulement 10 % ont une utilité économique, mais qui influent négativement sur la biodiversité et la qualité chimique et physico-chimique des eaux, autre cause de déclassement. manque de financements de certains acteurs, ce qui fera que toutes les actions identifiées dans les Sdage ne seront pas conduites, et ceci d’autant moins que la lutte contre les pollutions diffuses est quasiment insoluble dans le contexte économique et idéologique actuel. Pour la qualité des eaux, nous sommes toujours en phase de dégradation, pas d’amélioration biologique réelle. Certes, les pollutions visuelles, urbaines ou industrielles ont régressé, mais les pollutions diffuses se généralisent et atteignent même les têtes de bassin des rivières : en Margeride, en Aubrac, des tonnes d’engrais sont répandues sur l’herbe des prés aujourd’hui cultivés. Pour les prélèvements, l’évolution est également inquiétante, c’est pourquoi nous sommes mobilisés contre la multiplication des retenues de substitution largement financées par des fonds publics. Dans ces conditions, il sera très difficile d’atteindre l’objectif 2015 qui se heurte aux résistances sociales et économiques, et aussi au Face à cette situation dégradée, FNE agit sur tous les fronts, notamment celui de l’opinion publique avec des campagnes d’information, de formation dans les écoles, de publications. L’opinion a son mot à dire comme le rappelle la DCE qui fait de la consultation du public une obligation. L'eutrophisation est due à l'enrichissement d'un écosystème en nutriments chimiques, généralement des composés contenant de l'azote ou du phosphore. Le phénomène se produit en période très chaude et dure peu – de quelques jours à une semaine. Ici, en sous-bois, dans une mare riche en feuilles mortes. Eutrophisation is caused by the enrichment of an ecosystem with chemical nutrients, typically compounds containing nitrogen or phosphorus. This phenomenon occurs during periods of hot weather and does not last long – a few days to one week. Here, in a woodland pond with many fallen leaves. © F. lamiot, Wikimedia Commons points de vue croisés Dr Alice Aureli Chief, Groundwater Resources and Aquifer Systems Section International Hydrological Programme (IHP) Unesco – Division of Water Sciences – Paris Les ressources en eau : une responsabilité partagée. L’eau est essentielle à la vie sur la planète Terre, autant pour la survie de l’espèce humaine que pour celle de notre écosystème. Le cycle de l’eau joue un rôle majeur dans le maintien des écosystèmes naturels riches en biodiversité, qui doivent être préservés. Dans plusieurs régions, une mauvaise gestion de l’eau a accéléré la détérioration des écosystèmes qui dépendent de ressources en eau douce. L’eau est une source de dignité, de sécurité et d’égalité des chances. Il n’y a pas de développement possible sans les ressources en eau que la mise en œuvre de nos programmes économiques et sociaux nécessite. Mais les ressources en eau de surface (fleuves, lacs) et souterraines (aquifères) sont limitées. Les eaux souterraines constituent la plus grande réserve en eau douce liquide de la planète. Comme les bassins hydrographiques, mais de manière moins visible, des systèmes aquifères de toutes étendues peuvent être partagés entre plusieurs pays. Cela complique leur gestion, et le partage de l’eau peut générer des conflits qu’il est préférable d’identifier et de prévenir. La gestion de ces systèmes est une responsabilité partagée. Cette situation risque même de s’empirer avec le « changement climatique », voire avec le « changement global ». En effet, c’est principalement par son impact sur la disponibilité des ressources en eau que le changement climatique affectera le développement économique, social et l’environnement de la planète. Il doit donc y avoir davantage de transferts d’informations entre science du climat et gestion de l’eau. Les problèmes auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés sont considérables. Dans certains pays, le manque d’eau signifie parcourir chaque jour de longues distances à pied afin de collecter de l’eau parfois insalubre. Pour d’autres, cela signifie souffrir de maladies provoquées par des systèmes d’assainissement inappropriés. Il existe donc un nombre important de questions essentielles auxquelles il faut répondre. En d’autres termes, il faut considérer la question de l’eau dans un contexte plus large. Notre approche doit inclure la compréhension des phénomènes d’interaction entre la disponibilité de la ressource, l’évolution de la demande, de l’approvisionnement en eau et d’autres dynamiques mondiales, comme la croissance démographique progressive qui entraîne l’augmentation de la consommation alimentaire et énergétique. Cette situation a des Mali, between Gao and Menaka. © Chattange, Fotolia. implications potentielles accablantes pour le développement humain. Les décisions importantes qui influent sur l’utilisation de l’eau sont prises par des dirigeants du secteur public, privé et de la société civile. L’eau est une composante des différents secteurs de la société et de l’économie ; elle doit en conséquence être partie intégrante de la planification et des investissements. Une crise majeure de l’eau nous attend si nous ne changeons pas notre attitude à l’égard de l’eau douce. Or, le sous-investissement et la mauvaise gouvernance observés dans de nombreux endroits du monde privent des centaines de millions de personnes de leur droit à l’eau potable et à un assainissement de base. Des populations sont ainsi exposées à des risques de catastrophes naturelles, de dégradation de l’environnement et de conflits. Le Programme Hydrologique International de l’Unesco a formulé une série de messages à l’intention de différents acteurs, montrant comment on peut intégrer la prise en compte de l’eau dans l’élaboration des décisions. Le prix de l’inaction pourrait être très lourd : en termes de vies perdues, d’économies ruinées, et de sociétés brisées par des conflits et des déplacements massifs. Pour en savoir plus : cartes des aquifères transfrontaliers sur : http://www.whymap.org et http://www.igrac.net 107 Gé o sci e n ce s • n u m é ro 13 • j u i l l e t 2 0 11 Mali, entre Gao et Ménaka. Le lac Tchad, entouré de terrains marécageux, a été lourdement sollicité comme source pour de nombreux projets d’irrigation ; il subit un climat aride qui a connu une réduction pluviométrique dramatique durant les quarante dernières années. La zone ridée verte et brune au nord et au nord-ouest du lac matérialise sa superficie d’autrefois. Lake Chad, surrounded by wetlands, has been taxed heavily as a source for numerous irrigation projects; it is subject to an arid climate that has endured a dramatic decrease in rainfall over the past forty years. The green and brown rippled area to the north and northwest of the lake suggests the lake's previous surface area. © J. Descloitres, MODIS Land Rapid Response Team at NASA/GSFC. chiffres clés chiffres clés annuel de toutes les eaux continentales superficielles et souterraines en circulation. > 1 000 m3 à 10 millions de m3 : 2 variations d’apports annuels par km . > 17 % : pourcentage d’exploitation du potentiel hydraulique « sauvage » global chiffres clés > 45 000 milliards de m3 : flux moyen 109 par l’hydroélectricité. > 2 500 km3 par an : eau consommée et non retournée au milieu naturel dans le monde. > 8 000 milliards de m3 : flux moyen annuel3 > 275 millions d’hectares : de ressources au Brésil contre 20 millions de m au Koweït. > 50 à 1 000 000 m3 : ressource moyenne surface des terres irriguées dans le monde. > 50 000 grands barrages annuelle par habitant selon les pays. et 100 000 plus petits pour une superficie totale des retenues de 500 000 km2. > 10 % : prélèvement moyen de l’écoulement > 7 000 milliards de m3 : volume total mondial. des réservoirs de barrage. > 4 000 milliards de m3 par an : quantité d’eau prélevée dans le monde. 230 grands cours d’eau fragmentés par des réservoirs ou endigués. > 75 milliards de m3 par an : > 1 000 km3 par an : utilisation mondiale quantité d’eau potentielle perdue par la Méditerranée par réduction des apports fluviaux. > d’eaux souterraines. Sources : FAO – statistiques actuelles L´Ebre retenu en Aragon (Espagne) par le barrage de Mequinenza. 193 barrages jalonnent ce fleuve. The Ebro River reservoir lake in Aragon, Spain, formed by the Mequinenza dam. A succession of 193 dams line this river. © Ch. Coutinho. Lac de Canelles en Aragon (Espagne). © Panoramio, navarito79 les brèves du brgm brèves capable d’observer et d’anticiper en continu au niveau mondial, les tendances, les ruptures, l’employabilité, les compétences et les métiers, au plus haut niveau, dans le domaine des géosciences et de l’environnement. Contacts : Elisabeth Vergès, responsable LABEX Voltaire, OSUC, [email protected] Pol Guennoc, BRGM, Direction de la recherche, [email protected] Carnot 2 Conférence finale du projet AquaTRAIN, Orléans, juillet 2010. Polluants géogéniques AquaTRAIN (Geogenic chemicals in groundwaters and soils: a research training network) Les polluants géogéniques sont des éléments chimiques d’origine naturelle (arsenic, sélénium, fluor, manganèse…) qui peuvent engendrer de graves problèmes environnementaux et sanitaires lorsqu’ils sont présents en excès dans les eaux souterraines ou les sols (voir encadré p. 86). Les eaux souterraines constituant le plus souvent la seule et unique ressource en eau potable, les expositions aux éléments géogéniques sont à l’origine de milliers de morts chaque année dans le monde. Le projet européen AquaTRAIN (www.aquatrain.eu), qui s’est achevé fin 2010, a permis de faire le point sur les connaissances scientifiques concernant ces éléments polluants en Europe. Comment les populations sont-elles exposées ? Quels sont les risques sanitaires encourus ? Peut-on définir des zones à risque ? Quelles sont les techniques de dépollution ? Contact : Romain Millot, BRGM, [email protected] Géofluides VOLTAIRE (Étude des géofluides et des VOLatils – Terre, Atmosphère et Interfaces – Ressources et Environnement) Dans le cadre du Grand Emprunt « Investissement d’avenir » et de l’appel à projets « Laboratoires d’excellence » (LABEX), le projet VOLTAIRE, porté par l’université d’Orléans, le CNRS, en partenariat avec le BRGM et l’Inra a été retenu. Il bénéficie d’une enveloppe de 11 millions d’euros sur dix ans et a pour ambition d’étudier les fluides naturels complexes et leurs applications diverses : ressources minérales, stockage du CO2, géothermie, qualité de l’eau et de l’air, préservation des milieux, suivi de la couche d’ozone… VOLTAIRE porte également un volet formation qui intègre des filières supérieures et des formations métiers au sein de l’IUT du Loiret, de l’OSUC et Polytech Orléans ainsi qu’à l’ENAG. Le retour sur investissement du projet se fera au travers du CIPEGE (Centre de prospectives pour l’emploi en géosciences et en environnement). VOLTAIRE propose un outil original, Le BRGM de nouveau labellisé « Institut Carnot » pour 5 ans Le BRGM figure parmi les 34 organismes de recherche retenus à l’issue de l’appel à candidatures « Carnot 2 » lancé fin 2010. Ce renouvellement de la labellisation « Institut Carnot » par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est de cinq ans (2011-2015). Une reconnaissance qui prend en compte l’évaluation de ses bonnes performances dans le cadre du premier dispositif Carnot (2006-2010) et vient récompenser sa collaboration efficace avec les partenaires socio-économiques, le développement de l’innovation et le transfert de technologies. Le BRGM a pour objectif dans cette deuxième phase d’étendre et de dynamiser ses partenariats et ses projets collaboratifs (notamment avec les TPE et PME) et d’assurer un ressourcement scientifique permanent. L’organisme souhaite également accroître les activités de recherche pour le compte des acteurs socioéconomiques et mettre en place des actions de valorisation et de transfert de sa R&D. Contact : Dominique Quiniou, BRGM, [email protected] les brèves du brgm 111 les brèves du brgm brèves Préparation d’un champ de riz dans le bassin versant de Kudaliar au sud de l’Inde. © Joana Guerrin, 2009. les brèves du brgm Les eaux en Inde 112 SHIVA – Évaluation de la vulnérabilité des agriculteurs indiens aux changements globaux. Dans le cadre d’une coopération entre le Centre franco-indien de recherche sur les eaux souterraines (CEFIRES) et le BRGM, le projet de recherche SHIVA, cofinancé par l’ANR, a pour objectif d’évaluer la vulnérabilité des agriculteurs du sud de l’Inde aux changements globaux sur une période de quatre ans (20092012). Le projet est labellisé par le pôle de compétitivité « Gestion des risques, vulnérabilité des territoires » de Marseille. SHIVA est un projet à dominante économique qui mobilise quatre centres de recherche français (BRGM, IFP, CSH, CEFIRES), une entreprise privée (SIRS) et trois centres de recherche indiens (NGRI, CESS et IISc). Le BRGM assure la coordination et apporte ses compétences en hydrogéologie, interprétation des scénarios de changement climatique, prospective économique et analyse coûts-bénéfices. Les résultats sont disponibles sur le site : http://www.shiva-anr.org. Contact : Stéphanie Aulong, BRGM, [email protected] Modélisation de la vulnérabilité VULCAIN : une étude prospective sur la ressource en eau dans les Pyrénées-Orientales Le projet VULCAIN, financé par l’ANR VMC 2006(1) et coordonné par le BRGM, étudie la vulnérabilité de la ressource en eau des Pyrénées-Orientales en combinant des scénarios climatiques et des scénarios d’évolution socio-économiques. Des modèles hydrologiques, hydrogéologiques et de demande en eau ont permis de décrire le fonctionnement des hydrosystèmes et de caractériser l’évolution future de cette demande pour les usages eau potable et agricole. Les cinq scénarios climatiques considérés prédisent une poursuite du réchauffement et un déficit de précipitations ne s’exprimant qu’à moyen terme. L’impact de ces scénarios se traduit par des réductions d’écoulement dans les fleuves de l’ordre de 20 % à court terme et de 40 % à moyen terme. Concernant les eaux souterraines, l’influence du climat et celle des prélèvements est similaire. La ressource en eau de surface devrait diminuer à un niveau que les stratégies d’économie d’eau actuellement envisagées ne permettront probablement pas de compenser et ce, dès le court terme. Contact : Yvan Caballero, BRGM, [email protected] (1) – ANR VMC : Agence nationale de la recherche – Programme vulnérabilité milieux climat http://agire.brgm.fr/VULCAIN.htm Gorges de Galamus sur l’Agly, Aude (11). © Alain Baschenis / Francedias.com Publicité Vient de paraître ! Curiosités géologiques du Pays bigouden Partez au bout du monde et découvrez 22 sites géologiques remarquables. Une belle invitation au tourisme, à travers des paysages uniques qui résultent d’une histoire géologique longue de plusieurs centaines de millions d’années : la rivière de Pont-l’Abbé, les rochers de Saint-Kodelig, les sculptures naturelles de Saint-Guénolé, les prasinites de Tréogat, … Curiosités géologiques de la Guadeloupe Coédition BR GM - APOG ÉE Format : 12 x 23 cm - 120 pages Prix public : 19 € TTC Partez à la découverte de cet archipel des Antilles en visitant 18 sites spectaculaires de Grande-Terre, Basse-Terre, les Saintes, Marie-Galante et la Désirade. Une belle invitation au voyage à travers des paysages uniques qui résultent d’une longue et fascinante histoire géologique : les chutes du Carbet, le dôme de la Soufrière, la pointe des Châteaux, … Ouvrage réalisé à l’occasion de l’année des Outre-mer. GM - PLB Coédition BR cm - 100 pages 23 x Format : 12 € TTC 19 : ic bl pu Prix Guide géologique Découvrez le Jura de façon originale avec 10 itinéraires de randonnée proposés. Des parcours présentés de manière pédagogique avec des cartes, des conseils pratiques, des encadrés sur la flore, la faune, l’élevage, les activités humaines de la région… De belles photographies, des explications géologiques simples, un glossaire et un recueil d’adresses utiles font de cet ouvrage ‘‘le guide du Jura pour randonneurs’’. Pour commander : BRGM Éditions - 3, av. Claude-Guillemin - BP 36009 - 45060 Orléans cedex 2 Tél. 02 38 64 30 28 - Fax : 02 38 64 36 82 - Courriel : [email protected] www.brgm.fr/editions.jsp Coédition BR GM - OMN IS C IENC E Format : 13 x 21 cm - 256 pages Prix public : 25 € TTC Les produits de l’éruption de 1902 de la montagne Pelée constituent les terrasses cultivées au-dessus de la ville de Saint-Pierre (Martinique). The cultivated terraces above Saint-Pierre (Martinique) were developed on the pyroclastic products from the 1902 eruption of the montagne Pelée. © oceandimages.com prochain numéro décembre 2011 Géodiversité des Outre-mer français Abonnez-vous à Géosciences sur notre site Internet : www.brgm.fr Siège Tour Mirabeau, 39-43 quai André-Citroën 75739 Paris Cedex 15 - France Tél. : (33) 1 40 58 89 00 - Fax : (33) 1 40 58 89 33 Centre scientifique et technique 3, avenue Claude-Guillemin - BP 36009 45060 Orléans Cedex 2 - France Tél. : (33) 2 38 64 34 34 - Fax : (33) 2 38 64 35 18 www.brgm.fr