Les rôle des anticorps monoclonaux dans la transplantation d

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Forum Med Suisse 2008;8(11):204–209
Le rôle des anticorps monoclonaux
dans la transplantation d’organes
Thomas Fehr, Rudolf P. Wüthrich
Klinik für Nephrologie, Universitätsspital Zürich
Quintessence
( En raison de l’amélioration constante de la survie à un an dans tous les types
de greffes, les spécialistes de la transplantation d’organes sont de plus en plus
souvent confrontés à la morbidité et à la mortalité associées à l’immunosuppression de longue durée.
( Grâce à leur grande spécificité, les anticorps monoclonaux ont un fort potentiel de réduction de la toxicité non spécifique de l’immunosuppression tout en
préservant l’effet primaire de celle-ci. Ils prennent ainsi une importance croissante dans différentes indications lors de la greffe d’organes.
( En Suisse, nous disposons actuellement, au niveau clinique, de deux anticorps
du récepteur de l’interleukine-2, le daclizumab et le basiliximab pour le traitement d’induction, de l’anticorps OKT3 déplétant les cellules T pour le traitement
du rejet aigu résistant aux corticostéroïdes, ainsi que du rituximab, un anticorps
déplétant les cellules B et ayant des indications variées (induction dans la transplantation rénale ABO-incompatible, traitement du lymphome post-transplantation et du rejet humoral, prévention/thérapie de la glomérulonéphrite récurrente).
( L’établissement d’une tolérance spécifique au donneur reste l’objectif ultime
de la médecine de transplantation, car elle seule permettrait de renoncer complètement à l’immunosuppression non spécifique. C’est dans cette démarche que
s’inscrit le développement de nouveaux anticorps monoclonaux hautement spécifiques – en particulier des anticorps pour le blocage de la costimulation des
cellules T.
Summary
Monoclonal antibody therapy in organ transplantation
( With the continual improvement in 1-year survival in all organs, transplantation teams are increasingly confronted with morbidity and mortality induced by
long-term immunosuppression.
( Due to their high degree of specificity, monoclonal antibodies have major
potential for reducing the toxicity of unspecific immunosuppression while
simultaneously retaining their primary effect, and are thus assuming evergrowing importance for organ transplantation in various spheres of application.
( In clinical use in Switzerland are the two interleukin-2-receptor antibodies
daclizumab and basiliximab for induction therapy, the T-cell-depleting antibody
OKT3 for the treatment of steroid-resistant rejection episodes, and the B-celldepleting antibody rituximab for various indications (induction in AB0-incompatible renal transplantation, therapy of post-transplantation lymphoma and
humoral rejection, and prevention/therapy of recurrent glomerulonephritis).
( Establishment of donor-specific tolerance remains the ultimate goal of transplantation medicine, since only in this way would it be possible to dispense entirely with antigen-unspecific immunosuppression. In the work to this end the
development of new, highly specific monoclonal antibodies – in particular antibodies for blockade of T-cell costimulation – also plays a central role.
Situation actuelle: dans quel but les
anticorps monoclonaux sont-ils utilisés
lors de transplantations d’organes?
Depuis la première greffe de rein réussie chez
l’homme en 1954, la transplantation d’organes
solides est devenue le mode de traitement privilégié chez les patients atteints d’une insuffisance
rénale, cardiaque, pulmonaire ou hépatique terminale. La transplantation du pancréas ou des cellules d’îlots du pancréas ouvre en outre la porte à
une véritable guérison de la maladie de base chez
les patients souffrant d’un diabète de type 1. Il n’en
reste pas moins que la transplantation d’organes
ne peut pas vraiment être considérée à l’heure actuelle comme une intervention curative, dans la
mesure où elle implique obligatoirement un traitement immunosuppresseur à vie. Or, ce traitement suppressif est associé à des effets indésirables importants qui influencent directement la
morbidité et la mortalité des patients greffés ainsi
que la survie du greffon [1]:
– complications directes de l’immunosuppression: augmentation de la fréquence des infections et des tumeurs malignes (surtout cutanées
et tumeurs lympho-hématopoïétiques)
– effets indésirables des médicaments: augmentation du risque cardiovasculaire (hypertension
artérielle, diabète, hyperlipidémie), ostéoporose et néphrotoxicité.
La médecine des transplantations tente de résoudre ce problème de trois façons. Par ordre de
complexité:
– une minimisation et une personnalisation du
traitement d’entretien [2]: l’immunosuppression de base englobe, dans la majorité des protocoles standards de greffes d’organes, une
trithérapie combinant un inhibiteur de la calcineurine (CNI; cyclosporine ou tacrolimus),
un anti-métabolite (mycophénolate ou azathioprine) et un corticostéroïde. Un inhibiteur du
mTOR (sirolimus ou éverolimus) peut être utilisé en lieu et place de la CNI ou de l’anti-métabolite. De nombreuses études sur la réduction
ou même l’arrêt complet de ces différentes
classes de médicaments (surtout des corticostéroïdes ou de la CNI) ont montré qu’une réduction par étapes de l’immunosuppression au
Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 201 ou sur internet sous www.smf-cme.ch.
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cours des années est possible de manière personnalisée, avec une amélioration correspondante du profil de risque chez nombre de patients.
– le développement de nouveaux immunosuppresseurs hautement spécifiques de certaines
lignées cellulaires [3]: si l’azathioprine et les corticostéroïdes agissent pratiquement sur toutes
les cellules du système immunitaire, le mycophénolate développe une activité spécifique
sur les lymphocytes, et la CNI sur les cellules
T. Cette spécificité ne doit cependant pas être
confondue avec une spécificité antigénique!
– le développement de protocoles thérapeutiques visant à induire une tolérance immunologique [4]: l’établissement d’une tolérance spécifique au donneur serait le but ultime visé, car
elle seule est spécifique de l’antigène et permettrait de complètement abandonner l’immunosuppression à vie. Dans le contexte clinique,
une seule étude est parvenue jusqu’ici à ce résultat avec l’induction simultanée d’un chimérisme mixte par une greffe de moelle osseuse
non myéloablative.
Le recours aux anticorps joue un rôle de plus en
plus important dans cette approche:
– le traitement d’induction par anticorps monoclonaux ou polyclonaux autorise une réduction
de l’immunosuppression à suivre et/ou rend
possible une transplantation d’organe chez des
patients à haut risque immunologique;
– les anticorps monoclonaux permettent un blocage encore plus spécifique des cellules T (par
ex. belatacept pour le blocage de la costimulation) ou encore la déplétion d’autres populations de cellules cibles (par ex. le rituximab
pour les cellules B);
– enfin les anticorps monoclonaux forment une
base solide dans pratiquement tous les protocoles de tolérance ayant fait leurs preuves dans
les modèles expérimentaux chez la souris et
jusque chez les primates.
durant la phase péri-transplantation, ensuite
dans le traitement d’entretien au cours de l’immunosuppression à long terme et enfin dans le
traitement des crises de rejet résistant à la corticothérapie. Les traitements d’induction et les
traitements des rejets sont limités dans le temps
et constituent donc un terrain privilégié pour les
anticorps monoclonaux. Leur utilisation dans le
traitement au long cours paraît en revanche
moins évidente, puisque les anticorps monoclonaux ne peuvent être administrés que par voie intraveineuse, ce qui nécessiterait l’administration
répétée de perfusions durant des mois, voire des
années.
La plupart des anticorps monoclonaux utilisés en
médecine des transplantations sont dirigés contre
les cellules T. Les cellules T ont besoin de trois signaux pour être entièrement activées (fig. 1 x [4]):
– le signal 1 passe par le récepteur des cellules T,
capable de reconnaître certaines molécules
MHC et par conséquent de transmettre la spécificité antigénique.
– le signal 2 est le signal dit de costimulation. Une
cellule T qui capte le signal 1 sans le signal 2 est
mise au repos (anergie), alors que la réception
combinée des signaux 1 et 2 active la cellule. Le
CD28 et le CD154 sont les molécules costimulatrices classiques des cellules T, mais des molécules d’adhésion, par ex. le LFA-1, peuvent également remplir une telle fonction.
– le signal 3 est transmis par des facteurs solubles (cytokines) permettant l’activation complète et la prolifération d’un clone spécifique
de cellules T. Le principal facteur soluble est
l’interleukine-2.
APC
IL-2
MHC/pep
1
TCR
CD3
Les domaines d’utilisation des anticorps
monoclonaux dans la greffe d’organe
Cet article se limite à traiter des anticorps monoclonaux testés chez des patients transplantés
dans le cadre d’études cliniques. En général, la
première utilisation d’un anticorps se fait dans le
cadre de protocoles pour la greffe de rein, dans
la mesure où il existe toujours la possibilité de
recourir à une méthode thérapeutique de remplacement efficace (dialyse), et que l’on peut par
conséquent accepter un risque légèrement plus
élevé, inhérent à l’introduction de nouvelles substances. Le tableau 1 p donne un aperçu des anticorps monoclonaux ayant passé cet obstacle. Ils
sont globalement utilisés dans trois types d’indications: d’abord dans le traitement d’induction
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CD80
3
CD40
2
IL-2R
CD154
CD28
T cell
NFAT
TOR
Cell cycle
Figure 1
Schéma de l’activation des cellules T.
L’activation des cellules T nécessite 3 signaux, désignés
par des numéros: le signal 1 est spécifique de l’antigène et
est transmis par le récepteur spécifique des cellules T,
capable de reconnaître des molécules MHC chargées de
peptides; les signaux 2 et 3 n’ont pas de spécificité antigénique, le signal 2 étant déclenché par contacts cellulaires
directs et le signal 3 étant transmis par des facteurs solubles.
APC
MHC
NFAT
IL-2R
TOR
=
=
=
=
=
cellule présentatrice d’antigène,
major histocompatibility complex, pep = peptide,
nuclear factor of activated T cells,
récepteur de l’interleukine-2,
target of rapamycin.
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Tableau 1. Aperçu des anticorps monoclonaux utilisés en clinique dans la transplantation d’organes.
Principe
d’utilisation
Traitement
d’induction
Traitement
d’entretien
Traitement
du rejet
Molécule Expression
cible
cellulaire
CD25
Cellules T
activées
Anticorps
Action
Champ
d’applications
Réf.
Nom
générique
Nom
commercial
Isotype
Provenance
Déplétion
Daclizumab
Zenapax®
IgG1
Humanisé
Non
Rein, foie, cœur, pou- [11]
mon, cellules des îlots
Basiliximab
Simulect®
IgG1
Chimérique
Non
Rein, foie, cœur,
poumon
IgG1
Humanisé
Oui
Rein, foie, cœur,
poumon , pancréas
CD52
Cellules T,
cellules B,
monocytes,
cellules NK,
granulocytes
Alemtuzumab
MabCampath®
CD4
Cellules T helper
OKT4
Orthomune®
IgG2b
Souris
Non
Rein (stop phase I)
[12]
ICAM-1
Endothéliums
Enlimomab
–
IgG2a
Souris
Non
Rein (stop phase I)
[13]
LFA1a
Cellules T
Odulimomab
–
IgG1
Souris
Non
Rein (stop phase I/II)
[14]
Efalizumab
Raptiva®
IgG2a
Humanisé
Non
Rein (phase I/II)
[15]
CD80/86 Cellules
présentatrices
Belatacept
(LEA29Y)
–
Protéine de
fusion: CTLA4
muté avec
huIgG1
Chimérique
Non
Rein (phase III)
[9]
CD154
(CD40L)
Cellules T
activées
Hu5c8
–
IgG2a
Humanisé
Non
Rein (stop phase I)
[16]
CD3
Cellules T
Muronomab
(OKT3)
Orthoclone
OKT3®
IgG2a
Souris
Oui
Rejet cellulaire
résistant aux
stéroïdes: rein, foie,
cœur, poumon
[17–20]
CD20
Cellules B
Rituximab
MabThera®
IgG1
Chimérique
Oui
Rejet humoral:
cœur, rein
[21, 22]
TCRab
Cellules T
T10B9.1A
–
IgM
Souris
Oui
Rejet résistant au
OKT3: rein (phase II)
[23]
TNFa
Facteur
soluble
Infliximab
Remicade®
IgG1
Chimérique
NA
Rejet résistant au
OKT3: intestin
[24]
Seulement deux anticorps monoclonaux non spécifiques des cellules T sont utilisés dans la greffe
d’organes: le rituximab, un anticorps spécifique
des cellules B dirigé contre le CD20, et l’infliximab, qui fixe le facteur soluble TNF-a et qui n’a
été utilisé jusqu’ici que contre le rejet aigu résistant à la corticothérapie dans la greffe d’intestin
grêle.
Le tableau 2 p donne un aperçu des anticorps
utilisés en clinique, classés en fonction de leur
spécificité. Le chapitre suivant va commenter un
peu plus en détail les anticorps figurant en caractères gras dans le tableau 1. Pour les autres, le
lecteur voudra bien consulter les références auxquelles renvoie ce même tableau.
Utilisation en pratique clinique
de certains anticorps lors de greffes
d’organes
Les anticorps monoclonaux dans le traitement
d’induction
Lors de la transplantation d’organes allogènes,
le risque de rejet aigu grave est maximal dans
la phase immédiatement postopératoire. Cela
[8]
tient au fait que la greffe de l’organe s’accompagne forcément du transfert simultané d’un
certain nombre de leucocytes du donneur – les
passenger leukocytes –, qui peuvent parvenir
jusqu’aux organes lymphatiques secondaires et
activer directement les cellules T alloréactives du
receveur. Pour prévenir ce rejet, on recourt souvent à une thérapie d’induction péri-transplantation, dans certains centres dans le cadre de protocoles standards, dans d’autres uniquement dans
les cas de transplantations à haut risque immunologique (par ex. greffes secondaires ou transplantations chez un receveur sensibilisé). Aux EtatsUnis, une induction a été mise en route en 2003
dans 70–80% des greffes de rein, de pancréas et
d’intestin grêle, dans 40–50% des greffes de cœur
et de poumon et dans 20% des greffes de foie [5].
En Europe, ces chiffres sont nettement plus bas.
Un anticorps murin, puissant et très efficace,
l’OKT3 (anti-CD3), qui était utilisé initialement, a
été remplacé entre-temps par une préparation
polyclonale nettement mieux tolérée, la globuline
anti-thymocytes (ATG). Aujourd’hui, ce traitement
n’est plus seulement utilisé dans la prévention du
rejet aigu, mais aussi dans le cadre du développement de protocoles de base destinés à réduire
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Tableau 2. Spécificité des anticorps monoclonaux utilisés en clinique dans la transplantation d’organes.
Cellules cibles
Blocage
Cible
Exemples
CellulesT
Signal 1
Récepteur des cellules T
(toutes les cellules T)
Anti-CD3 (OKT3), anti-TCRab (T10B9.1A)
CD4 (uniquement les cellules helper)
Anti-CD4 (OKT4)
CD28-CD80/86 pathway
(costimulation classique)
CTLA4-Ig (belatacept)
CD154-CD40 pathway
(costimulation classique)
Anti-CD154 (Hu5c8)
ICAM1-LFA1 pathway (adhésion)
Anti-ICAM1 (enlimomab)
Anti-LFA1 (odulimomab, efalizumab)
Signal 3
CD25
(chaîne a du récepteur de l’interleukine-2)
Anti-CD25 (basiliximab, daclizumab)
(Déplétion)
Signal 2
CD52 (fonction inconnue)
Anti-CD52 (alemtuzumab)
Cellules B
CD20
Anti-CD20 (rituximab)
Facteurs solubles
TNF-a
Anti-TNF-a (infliximab)
la corticothérapie ou à épargner les inhibiteurs de
la calcineurine pour minimiser les effets indésirables de ces médicaments.
Deux anticorps monoclonaux dirigés contre la
chaîne a du CD25, un récepteur de l’interleukine-2 à forte affinité, sont arrivés sur le marché
dans les années 90. L’expression de ce récepteur
est particulièrement élevée à la surface des cellules T activées. Le daclizumab, un anticorps entièrement humanisé, et le basiliximab, un anticorps chimérique, ont été les premiers anticorps monoclonaux humanisés utilisés dans la transplantation
d’organes. Si ces substances sont inefficaces dans
le traitement du rejet résistant à la corticothérapie, ils se sont par contre solidement établis dans
le traitement d’induction. Deux grandes métaanalyses de la greffe de rein, dont l’une a été publiée par le Cochrane Renal Group, ont mis en évidence une réduction consistante et significative
des rejets aigus durant la première année, mais
aucune différence en ce qui concerne l’incidence
des pertes de greffons, des infections (en particulier par le CMV) et des tumeurs malignes, par rapport au traitement standard sans induction [6].
De plus, leur efficacité était comparable à l’anticorps polyclonal ATG. Ce dernier, comme d’ailleurs l’OKT3, augmente cependant le risque de
lymphomes post-transplantation. Dans une étude
parue récemment, le basiliximab a été comparé
à l’ATG faiblement dosée (5 doses aux jours 0–4):
l’incidence de rejet aigu a été plus faible dans le
groupe ATG, mais cela au prix d’une augmentation significative du taux d’infections [7]. La
question de savoir quel médicament entraîne une
induction optimale dans chaque cas pris individuellement lors d’une greffe de rein reste ainsi
ouverte. Toutefois, les anticorps du récepteur de
l’interleukine-2 ont ici clairement leur place, surtout en raison de leur très bonne tolérance. Dans
la transplantation d’autres organes, la situation
est moins claire: l’induction avec les anticorps
du récepteur de l’interleukine-2 dans la trans-
plantation de poumon semble revêtir un certain
intérêt, mais ces substances paraissent moins efficaces que l’ATG. Aucun bénéfice évident n’a en
revanche pu être mis en évidence lors de transplantations cardiaques, et l’expérience est encore
extrêmement mince dans la greffe de foie, car le
nombre de patients sous induction est très faible.
L’alemtuzumab est un autre anticorps monoclonal utilisé de préférence dans le cadre du traitement d’induction. Il est dirigé contre la molécule
CD52 – une glycoprotéine exprimée non seulement
sur les cellules T, mais aussi sur les cellules B, les
monocytes, les macrophages et les granulocytes,
et dont la fonction n’est pas clairement établie.
Contrairement aux anticorps anti-CD25, l’alemtuzumab entraîne une déplétion massive durant
plusieurs mois des cellules T du sang périphérique [8]. R. Calne a été le premier à publier son
expérience dans la greffe rénale chez 31 patients
traités par alemtuzumab et cyclosporine faiblement dosée avec un excellent résultat sur le plan
de l’évolution (seulement six rejets, tous sensibles
aux corticostéroïdes; fonction rénale normale
chez 29/31 patients 21 mois après la greffe). Cet
état a été qualifié par Calne de «prope tolerance»,
car l’immunosuppression a pu être réduite à un
minimum, soit à une monothérapie de cyclosporine. Ces résultats qui laissaient espérer que
l’alemtuzumab allait pouvoir entraîner une tolérance immunologique, seul ou en association avec
la désoxyspergualine, n’ont malheureusement pas
été confirmés. S. Knechtle a par la suite publié les
résultats d’une série rétrospective comportant
plus de 1200 transplantés rénaux traités selon
un schéma standard basé sur la cyclosporine. Le
traitement d’induction par alemtuzumab y était
comparé aux anticorps anti-récepteur de l’interleukine-2, à l’ATG et à l’absence d’induction. Dans
cette étude, le taux des rejets a été le plus faible
sous alemtuzumab, et ce sont les patients dont la
fonction rénale a repris le plus tardivement qui
en ont le plus profité. Compte tenu de ces bons
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résultats, l’alemtuzumab a été par la suite également utilisé dans les greffes de poumon et du foie.
Dans la greffe de poumon, on a pu démontrer la
supériorité de l’alemtuzumab versus ATG en combinaison avec une immunosuppression standard
(taux de rejet inférieur et meilleure survie du greffon). Dans deux grandes études sur la greffe du
foie, on a trouvé un taux de rejet plus bas lorsque
l’alemtuzumab, combiné à une immunosuppression réduite constituée de tacrolimus et d’une corticothérapie, était comparé à une immunosuppression standard, mais cela uniquement dans
les cas HCV négatifs. Malgré ces bons résultats,
de nombreux centres hésitent encore à appliquer
systématiquement l’alemtuzumab par crainte
d’infections graves suite à la déplétion de longue
durée des cellules T. Un travail paru récemment,
consacré à l’analyse systématique des infections
chez plus de 500 patients sous alemtuzumab, n’a
cependant pas confirmé le bien-fondé de ces
craintes. En Suisse, l’alemtuzumab est, pour l’instant, admis dans le traitement des lymphomes
mais pas dans le traitement d’induction lors de
transplantations.
Les anticorps monoclonaux dans le traitement
d’entretien
L’utilisation des anticorps monoclonaux dans le
traitement immunosuppresseur d’entretien est
difficile, car ils doivent être administrés par des
perfusions intraveineuses régulières. Une substance a cependant été testée dans cette indication
dans le cadre d’essais cliniques de phase III lors
de greffe rénale. Il s’agit du belatacept, qui n’est
pas un anticorps monoclonal dans le sens classique du terme, mais une protéine de fusion comprenant une variante mutante de la molécule de
costimulation CTLA4 et un fragment Fc d’IgG1
humaine, appelé CTLA4-Ig. Lié au CD80/CD86,
le belatacept est capable de bloquer le signal 2
d’activation des cellules T émis par les cellules présentatrices d’antigène (fig. 1). R. Schwartz a montré en 1990 que le blocage de la costimulation des
cellules T entraîne une inhibition antigénique spécifique des cellules T, autrement dit une anergie.
Après plus de quinze ans de recherches chez les
rongeurs et les primates, le belatacept est le premier agent bloquant classique de costimulation
utilisé avec succès dans la pratique clinique de la
transplantation. Une étude de phase II portant
sur la greffe rénale a comparé le belatacept en
combinaison avec le mycophénolate et les corticostéroïdes au traitement standard cyclosporine,
mycophénolate plus corticostéroïdes. Il n’y avait
aucune différence entre les deux groupes en termes de survie des patients et/ou des greffons, ni
d’incidence des rejets aigus. En revanche, la fonction rénale était meilleure à un an, et l’importance
de la néphropathie chronique de l’allogreffe, prouvée par biopsie, était significativement moindre
dans le groupe belatacept [9]. Cette molécule prometteuse est actuellement testée dans des essais
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cliniques de phase III, qui examinent notamment
un avantage éventuel par rapport au régime thérapeutique basé sur un inhibiteur de la calcineurine dans la greffe de reins marginaux.
Les anticorps monoclonaux dans le traitement
des rejets
L’anticorps monoclonal murin OKT3 (muronomab)
a été le premier anticorps monoclonal à trouver
une application dans la médecine des transplantations. Il est très efficace dans le traitement primaire de la réaction cellulaire du rejet aigu après
greffe de rein et dans le traitement d’induction
lors de greffe rénale, de greffe du foie et de transplantation cardiaque, mais il a aussi de nombreux
effets indésirables graves, tels que le «systemic
inflammatory response syndrome» (SIRS), les
infections par des germes opportunistes et le développement de tumeurs malignes (surtout des
lymphomes post-transplantation). C’est la raison
pour laquelle l’OKT3 n’est plus du tout utilisé
aujourd’hui dans le traitement d’induction. Les
anticorps anti-récepteur de l’interleukine-2 sont
en effet très efficaces et présentent des taux d’effets indésirables nettement plus faibles. L’OKT3
est actuellement encore utilisé principalement
dans le traitement des rejets sévères résistant
aux corticostéroïdes, lorsque l’ATG a également
échoué, ou en cas de contre-indication pour d’autres raisons (par ex. allergie). Concernant l’efficacité du traitement en cas de rejet de la greffe rénale
résistant à la corticothérapie, l’OKT3 et l’ATG se
valent plus ou moins. L’OKT3 peut également être
utilisé dans la même indication, que ce soit après
transplantation cardiaque, pulmonaire ou hépatique.
Après sa première description par P. Halloran, le
rejet humoral associé à certains anticorps HLA,
en plus du rejet cellulaire, est devenu un sujet d’intérêt primordial en immunologie de la transplantation durant ces quinze dernières années. De
nouvelles méthodes diagnostiques de cette entité
ont de plus été développées: mise en évidence des
dépôts de C4d dans le matériel de biopsie par immunofluorescence et immunohistochimie; nouvelles techniques très sensibles pour la recherche
d’anticorps spécifiques du donneur (FACS crossmatch et technologie Luminex). La classification
de Banff du rejet aigu des greffons rénaux a été
adaptée en conséquence. Les anticorps sont produits par des plasmocytes qui constituent la dernière étape de la cascade du développement des
lymphocytes B. Avec l’anticorps monoclonal rituximab, qui reconnaît le CD20, on dispose actuellement d’une alternative pour la déplétion des cellules B – analogue au OKT3 du côté des cellules
T. Le CD20 est exprimé à la surface des cellules B
dans la plupart de leurs stades de développement,
sauf à leurs stades tout à fait initiaux et à l’exception des plasmocytes. Le rituximab a d’abord
été admis en pratique clinique dans le traitement
des lymphomes à cellules B. Sa première utilisa-
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tion en médecine de transplantation a été le traitement du rejet humoral des transplants cardiaques, puis plus tard celui des greffons rénaux.
Comme le rituximab n’exerce toutefois pas d’action directe sur les plasmocytes sécrétant des anticorps, il doit être combiné avec des techniques
visant à éliminer des allo-anticorps (plasmaphérèse, immuno-adsorption) et nécessite une adaptation de l’immunosuppression (en règle générale,
passage à l’association tacrolimus, mycophénolate et corticostéroïdes). Dans cette application,
le traitement du rejet aigu humoral est efficace à
70–80%.
En plus de son utilisation dans le rejet humoral, le
rituximab trouve actuellement un domaine d’application dans de nombreuses autres indications
de la médecine de transplantation [10]: traitement
d’induction en cas de transplantation rénale ABO-
Références
Correspondance:
PD DrThomas Fehr
Klinik für Nephrologie
Universitätsspital
Rämistrasse 100
CH-8091 Zürich
[email protected]
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incompatible, élément des protocoles de désensibilisation après transplantation chez des patients
hautement sensibilisés aux HLA, traitement des
lymphomes post-transplantation EBV-positifs et
traitement des gloméruloscléroses focales segmentaires récurrentes du greffon rénal. Comme
c’est le cas de l’alemtuzumab pour les cellules T,
le rituximab entraîne une déplétion périphérique
presque complète des cellules B durant plusieurs
mois. La tolérance est bonne, mais on ne sait encore que très peu de choses sur les problèmes liés
au traitement au long cours, notamment les infections. Les premières publications indiquent
que le risque d’infections pourrait être augmenté.
La prudence est par conséquent de mise, jusqu’à
ce que nous disposions de séries plus grandes sur
les effets indésirables du rituximab dans cette population de patients.
14 Hourmant M, Bedrossian J, Durand D, Lebranchu Y, Renoult
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