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EVOLUTION ET ADAPTATION DES PLANTES
AUX CONDITIONS HYDRIQUES LIMITANTES
Jean Garbaye
INRA Nancy
Les origines
La paléobotanique c’est-à-dire l’étude des végétaux fossi-
les nous apprend que les plantes vertes terrestres actuelles
(les Embryophytes) descendent toutes de représentants très
anciens du groupe des algues vertes (Chlorophytes). C’est
ainsi que deux petites algues vertes très communes dans les
eaux douces de nos régions tempérées (Chara vulgaris et Coleo-
chaete orbicularis, Figure 1) ressemblent beaucoup aux ancêtres
aquatiques des Embryophytes qui vivaient il y a 500 millions
d’années.
Figure 1 Deux algues vertes d’eau douce ressemblant aux ancêtres des
plantes actuelles : Coleochaete orbicularis (à gauche) et Chara vulgaris (à droite).
La conquête des continents
Les premières plantes terrestres sont apparues à l’ère pri-
maire, vers la fin de l’Ordovicien (il y a 450 millions d’an-
nées), accompagnées dans leur conquête des continents par
des champignons et des arthropodes. Leur diversification a
été extrêmement rapide à l’échelle des temps géologiques,
avec de nombreuses lignées déjà bien représentées dès le
Dévonien inférieur (-400 millions d’années). Au Carbonifère
(-350 millions d’années), les continents étaient couverts de
forêts de plantes à spores et à graines de toutes tailles (Figure
2), accompagnées de champignons, d’insectes et de batra-
ciens. À titre de comparaison et pour fixer les idées en termes
de durée, les dinosaures se sont éteints il y a "seulement" 65
millions d’années…
Figure 2 Vue d’artiste de la végétation au Carbonifère. C’est
l’accumulation de ces végétaux morts, pendant de très longues
périodes de stabilité climatique, qui a donné lieu aux gisements
actuels de charbon.
Les défis de la vie à l’air libre
Un tel passage de la vie aquatique à la vie à l’air libre
n’a pas pu se faire sans de très nombreuses réponses
adaptatives. En effet, les plantes, ne baignant plus dans
un milieu liquide, ont dû faire face à de redoutables
difficultés :
La gravité, qui provoque l’effondrement des tissus. Réponse :
la lignification, qui rigidifie les organes.
Les radiations ultra-violettes, qui endommagent les molé-
cules d’ADN porteuses de l’information nétique. Réponse :
les polyphénols, substances brunes qui interceptent les radia-
tions nuisibles.
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Dès le but de la sortie de l'eau et de la colonisation des continents par les plantes, l'évolution a développé de nombreux
caractères contribuant à limiter la dessiccation des tissus et à mieux exploiter une ressource hydrique irrégulière.
La combinaison de ces caractères contribue fortement à la grande diversité actuelle du monde végétal, qui est essentielle-
ment façonné et structuré par son rapport à l'eau.
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La difficulté d’accès aux éléments nutritifs, qui sont -
questrés dans des minéraux insolubles au lieu d’être sous
forme d’ions libres en solution dans l’eau. Réponse : l’associa-
tion avec les champignons, capables d’altérer les minéraux
(symbiose mycorhizienne).
L’atmosphère desséchante, privant rapidement les tissus
du précieux liquide par simple évaporation. De très nom-
breuses solutions adaptatives sont apparues en réponse à ce
dernier défi et sont encore à l’œuvre chez les plantes actuel-
les. Dans ce qui suit, nous passerons en revue les sept princi-
pales d’entre elles en les illustrant par des exemples typiques
d’adaptation à la contrainte hydrique née de la vie à l’air libre.
Première réponse : la structure parenchymateuse
Les algues vertes aquatiques se présentent sous forme de
filaments (structure monodimensionnelle) ou de lames
(structure bidimensionnelle), comme déjà vu sur la Figure 1.
Ces structures ne sont pas du tout adaptées à la vie à l’air
libre car elles offrent une trop grande surface d’évaporation
par rapport au volume. L’évolution des plantes terrestres a
donc conduit à des formes plus compactes, rendues possibles
par les tissus à structure tridimensionnelle que sont les paren-
chymes (Figure 3).
Figure 3 — Un cas extrême d’adaptation à une atmosphère desséchante par
le recours à une forme compacte : plante du désert de la famille des Aizo-
ceae. Pour les mêmes raisons, les Cactacées et d’autres familles crassulescen-
tes ont suivi une évolution convergente avec celle-ci.
Deuxième réponse : la cuticule
Une autre façon pour les plantes de se protéger contre une
atmosphère desséchante est de s’envelopper d’une couche
imperméable à la vapeur d’eau. C’est ce que réalise la cuticule,
pellicule de cutine hydrophobe recouvrant tous les organes
aériens des plantes (Figure 4).
Figure 4 Coupe transversale d’une feuille de graminée adaptée à la
sécheresse. La cuticule, particulièrement épaisse sur la face supérieure de
la feuille, est colorée en orange.
Troisième réponse : le stomate
La photosynthèse, processus métabolique propre aux végé-
taux chlorophylliens, nécessite la pénétration du dioxyde de
carbone dans les feuilles, donc des discontinuités dans la
cuticule. Mais ces mêmes discontinuités permettent égale-
ment la sortie de la vapeur d’eau, dangereuse pour l’équilibre
hydrique des tissus. La solution évolutive à ce dilemme phy-
siologique est le stomate, perforation active qui régule et opti-
mise les flux croisés d’eau et de dioxyde de carbone grâce à
deux cellules de garde à géométrie variable (Figure 5).
Figure 5 Stomate (photographie en microscopie électronique à ba-
layage). La perforation qui permet les échanges gazeux malgré la cuticule est
délimitée par deux cellules de garde déformables en forme de croissants.
Quatrième réponse : la protection des cellules reproduc-
trices
Les cellules clés du cycle reproductif des plantes terrestres
sont protégées des radiations et du dessèchement soit par
enfouissement et tention dans les tissus de la plante (cas de
l’embryon dans la graine ou de l’ovule dans l’ovaire : Figure
6), soit par une couche protectrice de sporopollénine, polymère
hydrophobe et imperméable comme la cutine de la cuticule
(cas des cellules de dissémination comme les grains de pollen
des plantes à fleurs ou les spores des fougères, mousses et
hépatiques).
Il est d’ailleurs intéressant de remarquer qu’au cours de l’évo-
lution, c’est toujours le sporophyte qui s’est adapté à la vie ter-
restre. Le gamétophyte, dont les gamètes mâles motiles ont
besoin d’eau libre, ne subsiste comme phase importante du
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cycle que chez les hépatiques et les mousses. Chez les fougè-
res, il est déjà beaucoup plus discret (prothalle). Dans les au-
tres groupes plus évolués, le gamétophyte est de très petite
taille et vit brièvement en parasite du sporophyte (par exem-
ple, le tube pollinique des phanérogames).
Figure 6 Coupe dans un ovaire de lis montrant comment l’ovule (grosse
cellule centrale) est protégé du milieu extérieur desséchant par les replis des
tissus de l’ovaire.
Cinquième réponse : les tissus conducteurs
À l’exception des hépatiques et de certaines mousses qui
vivent dans des milieux très humides, toutes les plantes ter-
restres sont des Trachéophytes, c’est-à-dire des végétaux pour-
vus de tissus conducteurs. Ceux-ci sont nécessaires pour
transporter l’eau (ressource rare) à l’intérieur de la plante et
sans déperdition à partir des sites d’absorption spécialisés
(racine : voir plus loin), alors que les Chlorophytes aquatiques
ancestraux étaient en contact avec l’eau liquide par la totalité
de leur surface.
Figure 7 Trachéi-
des (vaisseaux du bois
conduisant la sève
brute) présentant des
épaississements spira-
lés de la paroi. Ces
espèces de ressorts,
comme dans un tuyau
de douche, empêchent
l’aplatissement des
vaisseaux soumis à la
pression négative qui
y règne.
Sixième réponse : la racine
Les végétaux terrestres ont dès le but de leur évolution
développé des organes spécialisés dépourvus de cuticule
pour absorber l’eau retenue dans la porosité du sol et des
roches. Ce furent d’abord les rhizoïdes, simples excroissances
en forme de poils des cellules basales du thalle du gaméto-
phyte (que l’on trouve encore chez les mousses et hépatiques
actuelles : Figure 8 à gauche), puis les racines vraies, pluricel-
lulaires et formées d’un assemblage complexe de tissus absor-
bants, de soutien et de transport, caractéristiques de tous les
trachéophytes à partir des fougères (Figure 8 à droite).
Figure 8 À gauche : rhizoïdes rougeâtres sous un thalle de mousse. À
droite, coupe transversale d’une racine de fougère (Polypodium sp.) montrant
un épais cortex parenchymateux et les tissus conducteurs centraux : xylème
(gros vaisseaux) et phloème (petits vaisseaux).
Septième réponse : la mycorhize
Les champignons sont pourvus de mécanismes physiologi-
ques particulièrement efficaces pour se procurer et conserver
l’eau dans les milieux secs (filaments très fins pénétrant dans
des pores de très petit diamètre, accumulation d’osmoprotec-
tants, etc.) C’est pourquoi les plantes se sont associées aux
champignons dès le début de leur évolution continentale
(Figure 9).
Figure 9 Struc-
ture fongique typi-
que d’une associa-
tion endomycorhi-
zienne, trouvée
dans un fossile de
racine vieux de 460
millions d’années
l’Ordovicien, soit
au tout début de la
colonisation des
continents par les
plantes vertes).
Les mycorhizes, c’est-à-dire les associations symbiotiques entre
les champignons et les racines, concernent maintenant la
totalité des plantes terrestres. Elles sont apparues plusieurs
fois dans des groupes fongiques et végétaux très différents,
ce qui prouve la cessité évolutive de cette association dans
laquelle la plante alimente le champignon en sucres qu’elle a
photosynthétisés, en échange d’eau et de nutriments que le
champignon extrait du sol. La morphologie des structures
symbiotiques racine-champignon est très variable selon les
groupes concernés (Figure 10).
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Figure 10 Diversité morphologique des structures mycorhiziennes chez
les seules Angiospermes.
L’analogie des mycorhizes avec les lichens est frappante, et
démontre encore plus la tendance évolutive forte vers ce type
de symbiose : c’est dans les deux cas une association entre un
organisme photosynthétique d’une part, et un champignon
d’autre part, mais c’est le rapport de taille qui est opposé :
grand gétal et petit champignon dans le cas des mycorhi-
zes, contre petite algue verte unicellulaire incluse dans le
thalle macroscopique d’un champignon chez les lichens.
Figure 11 coupe transversale d’un lichen. On voit l’algue verte unicellu-
laire emprisonnée dans le réseau des filaments du champignon qui constitue
la plus grande partie du tissu.
Conclusions
Dès le début de la sortie de l’eau et de la colonisation des
continents par les plantes, l’évolution a donné naissance à de
nombreux caractères contribuant à limiter la dessiccation des
tissus et à mieux exploiter une ressource hydrique irrégulière.
La combinaison de ces caractères contribue fortement à la
grande diversité actuelle du règne végétal, qui est essentielle-
ment façonné et structuré par son rapport à l’eau.
L’EAU EN HORTICULTURE : ECONOMISER MAINTENANT
9e COLLOQUE DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE LA SNHF
11 MAI 2007
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