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égalité civile et politique, responsabilité ministérielle, indépendance des tribunaux, équilibre
du budget, décentralisation, conseils élus à tous les niveaux de l’administration territoriale…
Certes, le sultan Abdulhamid II (1876-1909), qui vient de monter sur le trône et qui s’est
laissé forcer la main par son grand vizir, Midhat Pacha, conserve à la monarchie l’essentiel de
ses prérogatives ; le souverain peut dissoudre le parlement, suspendre la constitution et punir
de bannissement toute personne susceptible de mettre en danger les institutions et la sécurité
de la monarchie. Il n’en demeure pas moins que la Turquie peut à présent se flatter d’être le
premier État musulman à bénéficier d’un régime constitutionnel, à l’image de la plupart des
Puissances européennes.
Les élites réformatrices, et notamment le groupe d’intellectuels et de personnalités politiques
connu sous le nom de « jeunes ottomans », ont largement contribué au triomphe de l’esprit
nouveau. Depuis le début des années 1860, ils sont nombreux à se battre, à grand renfort de
libelles et de memoranda, pour obtenir du pouvoir qu’il s’engage plus fermement qu’il ne
l’avait fait jusque-là dans la voie du progrès et de l’instauration d’un État de droit. Mais ce ne
sont pas seulement ces pressions internes qui ont joué. Une fois de plus, ce sont aussi les
circonstances qui ont dicté à la Sublime Porte la marche à suivre. De fait, l’Empire est à
nouveau en guerre. A nouveau, il se heurte aux nations balkaniques, soutenues par la Russie.
Dans cette conjoncture délicate, il lui faut, comme en 1856, s’assurer la sympathie des
puissances susceptibles de l’aider à faire front à l’offensive slave.
Peine perdue. Accourue à la rescousse de l’« homme malade », la diplomatie européenne
allait s’avérer incapable d’éteindre le brasier balkanique et de freiner l’avancée russe. Cette
nouvelle crise d’Orient s’achèvera, du point de vue ottoman, par un désastre : en mars 1878,
les forces du tsar Alexandre II campent dans la banlieue d’Istanbul et dictent au sultan une
paix honteuse qui sanctionne la perte d’une bonne partie des Balkans et de trois provinces de
l’Anatolie orientale. Il faudra bien se rendre à l’évidence : les rouages du concert européen
n’ont pas fonctionné à temps.
Toutefois, quelques semaines plus tard, à Berlin, les Puissances vont s’employer à rafistoler le
dogme de l’intégrité ottomane et à contenir la poussée russe, tout en prenant acte de la
nouvelle répartition des cartes en Méditerranée orientale et dans les Balkans. Pour la Sublime
Porte, l’heure des concessions est revenue. Soucieuse de s’assurer, dans la partie qui l’oppose
à la Russie, le soutien de l’Angleterre, elle conclut avec celle-ci une alliance défensive et