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La Clémence de Titus au Théâtre des Champs-Elysées : les
passions aux racines du pouvoir
Jusqu’au 18 décembre, le théâtre de l’avenue Montaigne accueille une nouvelle production du
dernier opéra de Mozart.
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« Comme le destin de ceux qui règnent est malheureux ! », se lamente le roi Titus, meurtri par
les conspirations de son entourage. Forcé de bannir celle qu’il aime parce qu’elle est une reine
étrangère de Rome, Titus cherche femme sans grande conviction, rêve à Bérénice tout en
jetant son dévolu sur Servilia, puis Vitellia. Un souverain qui, pour porter les augustes lauriers
romains, n’en est pas moins homme, amant et ami : tel est le drame de La Clémence de Titus.
Créé en 1791 à Prague, le dernier opéra de Mozart s’apparente au genre seria, déjà quelque
peu passé de mode à l’époque. Les déboires de rois et reines roulés dans leurs antiques toges
semblent bien peu modernes, en comparaison de la pétillante inventivité de La Flûte
enchantée, créée pourtant la même année ! Malgré son succès – « Tous les morceaux ont été
applaudis », raconte le compositeur dans sa correspondance – l’œuvre est restée depuis mal-
aimée. Et ce ne sont pas les commentaires de Charles Rosen, éminent musicologue, qui
l’aideront à redorer son blason : « opéra extraordinairement oubliable », voilà pour le verdict en
forme d’assassinat. Pour compléter le tableau, une légende clame, comme le précise la note
de programme, que La Clémence « aurait été un four complet de sa première à sa dernière
représentation ». On aurait voulu jeter une partition dans les poubelles de l’histoire qu’on ne
s’y serait pas mieux pris !
Pas de toges au Théâtre des Champs-Elysées mercredi soir, mais des costumes style années
trente signés Christian Lacroix et le décor d’un hôtel luxueux aux lambris bruns et lourds. Le
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personnel, femmes de chambre, serveurs et grooms s’y affairent en permanence, au milieu de
clients en pleine crise politique et sentimentale. Si la transposition historique n’est pas d’un
intérêt évident, la mise en scène intelligente de Denis Podalydès rend compte avec finesse de
la perpétuelle tension entre sphère publique et sphère privée qui innerve l’opéra. Titus fait-il sa
première entrée en scène, accompagné des sénateurs romains, que toutes les portes
s’ouvrent sur l’espace d’un bâtiment que l’on devine vaste. Doute-t-il de la loyauté de son ami
Sextus, que ces mêmes portes se referment sur l’intimité de la confiance blessée. Idem
lorsque Annius et Servilia chantent un amour, qu’ils croient interdit, en un tendre duo.
Ce petit miracle musical est servi par les voix somptueuses de Julie Boulianne et Julie Fuchs.
C’est assez rare pour être signalé : tout est parfait dans une distribution (pour une fois) bien
dirigée ! La Vitellia de Karina Gauvin est impériale : on retiendra son délicieux numéro de
séduction au premier acte, où la trahison de Sextus se noue autour de hanches
voluptueusement drapées… Même sans grand air solo, Julie Fuchs irradie, et le Titus de Kurt
Streit convainc par son humanité, là où les aigus s’éteignent parfois. Mais la véritable
découverte de la soirée, c’est Kate Lindsey ! Gagnante à l’applaudimètre, elle incarne, par son
phrasé souple et son timbre lumineux de mezzo-soprano, l’idée même du plus pur chant
mozartien. Son Sextus, presque chétif dans le costume du traître qu’il peine à endosser,
s’impose par des complaintes aussi déchirantes que « Deh per questi instante solo ». Avec une
direction tout en rondeur et sérénité à la tête du Cercle de l’Harmonie, Jérémie Rhorer confirme
son statut de Maître ès Mozart : c’est clair, brillant, sans chichis. Même les récitatifs avancent,
sans pour autant être expédiés.
Pour plaire au Sénat et honorer ses lauriers, Titus renonce et pardonne. Il apparaît divin aux
yeux du peuple romain, mais au prix de doutes et de douleurs bien humains : telle est la leçon
que Mozart offre à méditer, peut-être même jusqu’au théâtre de l’Elysée…
Visuels: © Vincent Pontet Wikispectacle
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