PROPRIETES DE LA SURFACE DES OBJETS TRANSNEPTUNIENS ET DES CENTAURES. Frédéric Merlin1, Maria Antonietta Barucci1, Catherine de Bergh 1 et Alain Doressoundiram1. 1LESIA (Observatoire de Paris, section Meudon. 5, Place J. Janssen 92195 Meudon Principal Cedex France. [email protected]). Introduction: Les objets trans-neptuniens sont des corps dont le diamètre peut atteindre plusieurs centaines à quelques milliers de kilomètres de diamètre. Ces derniers orbitent au delà de Neptune sur des orbites dont les excentricités et les inclinaisons sont variées [1]. La connaissance de leur surface est encore limitée [2], dû à leur faible luminosité (possédant un albédo relativement faible sauf rares exceptions) et à leur grande distance à la Terre. Ces objets, qui sont toujours restés à grande distance du soleil, font partie des corps les plus primitifs du système solaire, leur surface étant peu exposée au rayonnement de notre étoile. Ils devraient donc conserver les traces des constituants initiaux de notre système planétaire et permettre de contraindre les modèles de formation du système solaire. Les Centaures sont des objets plus petits (le plus gros mesure près de 250 kilomètres de diamètre) et orbitent entre Jupiter et Neptune. Leur durée de vie est relativement courte dynamiquement, à l’échelle de l’âge du système solaire. Ils proviendraient directement du réservoir des Objets Trans-Neptuniens (OTNs) [3]. Observations: Pour permettre de déterminer les propriétés de leurs surfaces, l’utilisation de la spectroscopie combinée à celle des grands télescopes s’avère nécessaire pour observer ces objets lointains. Le domaine spectral choisi est celui combinant le visible et le proche infrarouge, permettant l’observation de différents composés de surface par la détection de bandes d’absorption. Figure 1 : Spectres des OTNs obtenus au VLT (ESO) sur lesquels sont superposés les modèles calculés . PROPRIETES DE LA SURFACE DES OTNs ET DES CENTAURES. F. Merlin, M.A. Barucci, C. de Bergh et A. Doressoundiram. Figure 2 : Spectres des Centaures obtenus au VLT (ESO) sur lesquels sont superposés les modèles calculés. Ces dernières années, une vingtaine d’objets ont été observés par notre équipe au VLT (ESO), ce qui a permis d’améliorer considérablement nos connaissances sur les propriétés de surface de ces corps glacés. Nous avons mis en évidence la variété des spectres des OTNs et des Centaures (figures 1 et 2). Certains présentent des pentes positives importantes dans le visible (objets rouges), alors que d’autres peuvent présenter des pentes légèrement négatives (objets neutres ou légèrement bleus). Ces observations ont mené à une classification de ces objets en quatre groupes taxonomiques [4], des plus bleus aux plus rouges. Les différentes pentes observées dans le visible trahissent fort probablement la présence plus ou moins importante de matières organiques (de type tholins ou kérogènes) ou d’autres composés carbonés (charbons). Les observations ont mis en évidence également des bandes d’absorption dans la partie visible pouvant être attribuées à la présence de minéraux hydratés [5]. Ces minéraux hydratés ont également été détectés dans les poussières interplanétaires. Il reste cependant à savoir s’ils ont été produits par chauffage récent, par altération aqueuse (comme sur Terre) ou alors ont été créés dans la nébuleuse solaire. Enfin, d’autres bandes d’absorption, majoritairement dans la partie du proche infrarouge, ont permis de détecter la présence de différentes glaces. La glace d’eau a été découverte sur plusieurs objets [6 et 7] et même sous l’état cristallin (2003 EL61 et peut être Orcus [8],). Cela laisse à supposer l’existence de sources de chaleur permettant d’élever la température de la glace de 30-40K (température environnante où devrait s’observer uniquement de la glace d’eau amorphe) à 110-130K, nécessaire à la création de la glace d’eau sous forme cristalline. Le méthane a été détecté sur des objets de grand diamètre (Sedna [9], 2003 UB313, 2005 FY9) comme on en trouve sur Pluton. Du méthanol a été mis en évidence à la surface de Pholus et 2002 VE95 [10] ce qui montre la nature primitive de la chimie à la surface de ces objets. Jusqu’à présent, le manque d’observations spectroscopiques répétées ne permet de noter le comportement hétérogène que de quelques cas, dont le Centaure Thereus [11] où la présence de glace à sa surface semble bien corrélée à sa période de rotation, impliquant un coté révélant plus facilement la glace d’eau. De manière générale, la surface des OTNs et des Centaures subit une altération plus ou moins importante, produite à partir du rayonnement solaire ou des particules énergétiques du milieu interstellaire. Un processus de rajeunissement (lié à la déposition en surface de matériaux provenant de couches plus profondes) localisé à la surface des objets conduirait, temporairement, à une surface hétérogène. Modélisations: Nous avons entrepris une modélisation des spectres des objets en utilisant deux modèles basés sur la théorie du transfert de rayonnement pour le cas de surfaces solides (Hapke [12] et Shkuratov [13]). Nous avons pris en compte à la fois le proche infrarouge, donnant des renseignements quant à la nature des glaces de surface, et le visible dont le profil donne une contrainte très importante. La connaissance de l’albédo permet également de contraindre les modèles, déterminant la quantité de lumière réfléchie par l’objet. Cette donnée essentielle a été mesurée pour quelques objets (OTNs et Centaures) par SPITZER. Nous nous sommes intéressés en particulier à ces objets afin d’affiner leur propriétés de surface (e.g : taille des grains, concentration…) et de confronter les modèles d’Hapke et de Shkuratov entre eux, qu’ils soient de type géographique ou intime. Les mélanges géographiques correspondent à une surface dont les composés sont spatiallement séparés, contrairement aux mélanges intimes. Cette étude montre que la proportion entre les matériaux sombres (matériaux organiques, carbone amorphe…) et brillants (glaces…) dépend fortement des modèles. La comparaison de la surface d’un objet avec un autre réclame donc l’utilisation de modèles analogues. Discussion: En prenant en compte l’ensemble des données spectroscopiques existantes jusqu’à présent, dans les domaines visible et proche infrarouge, on peut noter quelques tendances. Dans un premier temps, aucune relation claire n’a été trouvée entre la présence de glace en surface et les groupes taxonomiques. Aucune relation n’a été déterminée non plus entre les éléments orbitaux des objets (excentricité, inclinaison, périhélie) et la présence de glace en surface. Par contre, la taille des objets semble jouer un rôle important. En effet, les plus gros OTNs semblent présenter plus de glace, comme on peut le voir sur la figure 3. Figure 3 : La figure montre la distribution des objets selon leur magnitude apparente au cours des observations en fonction du périhélie et en fonction aussi de la taille des objets et de leur état de surface. Les objets indiqués en blanc représentent les objets laissant apparaître la trace probable de glace contrairement aux objets indiqués en noir, enfin les objets indiqués en hachuré correspondent aux objets où la détection de glace demande confirmation. Cette tendance pourrait s’expliquer en prenant en compte divers processus de re-surfaçage tels que les collisions non destructives, le cryo-volcanisme (observé par exemple sur Encelade) , l’apparition temporaire d’une atmosphère par sublimation des glaces très volatiles près du périhélie (comme on pense que c’est le cas pour Pluton), l’existence de sources thermiques internes (due à des forces de marées ou à de la radioactivité). Tous ces processus, supposés avoir lieu plus facilement sur les gros objets, pourraient en effet modifier globalement ou localement la surface des OTNs ou des Centaures. Des observations avec des nouveaux instruments seront nécessaires pour étudier les variations de surface et améliorer la statistique, étape importante vers une compréhension plus globale des processus affectant ces objets. Citations: [1] Morbidelli A. et Levison H. F. (2003) C.R. Physique 4, 809-817. [2] Barucci M.A. et Peixinho N. (2005) IAU 229 Cambridge University Press, 171-190. [3] Levison H. F. et Duncan M.J. (1998) Icarus 127, 13. [4] Barucci M.A. et al., (2005) A.J. 130, 129. [5] de Bergh C. et al., (2004) A&A 416, 791-798. [6] Dotto E. et al., (2003) Icarus 162, 408-414. [7] Doressoundiram A. et al., (2005) P.A.S.S. 53, 1501-1509. [8] de Bergh C. et al. (2005) A&A 437, 1115-1120. [9] Barucci M.A. et al., (2005) A&A 439, L1-L4. [10] Barucci M.A. et al. (2006) A&A sous presses. [11] Merlin F. et al. (2005) A&A 444, Issue 3, 977-982. [12] Hapke B., (1993) Topics in remote sensing 3, Cambridge University Press. [13] Shkuratov Y. et al. (1999) Icarus 137, 235-246.