K-THEORIE EQUIVARIANTE D’ESPACES VECTORIELS ET D’ESPACES
PROJECTIFS REELS
Par Max Karoubi
Dans leurs recherches sur un théorème de l’indice pour les variétés à coins, Pierre-Yves
Le Gall et Bertrand Monthubert [9] ont été amenés à étudier le groupe de K-théorie équivariante
K n
*(Rn), où le groupe n symétrique opère naturellement sur Rn par permutation des
coordonnées. Soit pn le nombre de partitions de n du type n = λ1 + ... + λ2k avec
1 λ1 < ... < λ2k
et soit in le nombre de partitions de n du type n = λ1 + ... + λ2k+1 avec
1 λ1 < ... < λ2k+1
A l’aide de la version du caractère de Chern équivariant due à Baum et Connes [4], un résultat
démontré dans [9] est par exemple le calcul du rang du groupe de type fini K n
*(Rn) : il est égal
à pn en dimension 0 et à in en dimension 1 (il s’agit ici de la K-théorie complexe qui est une
théorie cohomologique équivariante périodique de période 2). Dans cet article, nous démontrons
un résultat général qui complète celui-ci en montrant notamment que ces groupes de K-théorie
sont libres de type fini (théorème 1.1). Nous profitons de cette occasion pour améliorer des
théorèmes énoncés dans [1], [6] et [7], en relation avec les méthodes précédentes. Nous
explicitons notamment la KG-théorie d’espaces vectoriels et d’espaces projectifs réels, G étant
un sous-groupe fini quelconque du groupe orthogonal O(n). Inversement, ces calculs de nature
topologique impliquent des résultats algébriques sur le nombre de classes de conjugaison de G
qui se décomposent dans une extension centrale (cf. 2.12 par exemple).
De manière précise, les résultats de cet article sont organisés de la manière suivante :
dans le premier paragraphe nous déterminons la K-théorie équivariante KG(V) où G est un
groupe fini opérant sur un espace vectoriel réel V de dimension finie. Du théorème général 1.8,
nous déduisons facilement le théorème de Le Gall et Monthubert pour G = n. Dans le
deuxième paragraphe, nous interprétons algébriquement une partie des résultats précédents
grâce au revêtement à deux feuillets du groupe G par le “groupe de Schur”
G ; celui-ci est
l’image réciproque du revêtement classique du groupe orthogonal O(n) par le groupe Pin(n)
(théorèmes 2.11 et 2.14). Enfin, dans le troisième paragraphe, nous revenons à la topologie en
déterminant le groupe de K-théorie équivariante KG(P(V)), où P(V) est l’espace projectif réel de
V (théorème 3.4). Ce calcul permet de retrouver par des méthodes topologiques le théorème
2.14. En particulier, dans le § 3.11, nous déterminons complètement la K-théorie de l’algèbre
produit croisé n C(Rn), où C(Rn) est l’algèbre de Clifford de Rn.
1
1. K-théorie équivariante d’espaces vectoriels réels.
1.1. THEOREME. Soit G un groupe fini quelconque opérant linéairement sur un espace
vectoriel réel V de dimension finie. La K-théorie équivariante complexe KG
*(V) est alors un
Z-module libre de type fini. En particulier, si G = n et V = Rn, on a
K G
0(Rn) = Zpn et KG
1(Rn) = Zin
1.2. Ce théorème est en fait une conséquence du théorème 1.8 démontré plus loin (qui implique
aussi le théorème de Le Gall et Monthubert mentionné dans l’introduction) et d’un théorème
plus général sur la K-théorie équivariante de l’espace de Thom d’un fibré vectoriel réel V de
base un espace compact X (cf. [1] et [7]). Dans ce contexte, X est un G-espace et G opère sur V
de manière linéaire, compatible avec l’action de G sur X. On peut alors munir V d’une métrique
définie positive invariante par l’action de G et considérer le fibré en algèbres de Clifford C(V)
associé à cette métrique ; le groupe G y opère aussi de manière naturelle. On note G
V(X) la
catégorie des fibrés vectoriels E où opèrent simultanément le groupe G et le fibré en algèbres de
Clifford C(V) ; ces deux actions sont compatibles entre elles grâce à la formule
g*(a.e) = (g*a).(g*e)
où le symbole * (resp. .) désigne l’action de G (resp. de C(V)). Si X est réduit à un point, cette
catégorie est notée simplement G
V .
La méthode développée dans [8] § 1 permet de montrer que G
V(X) est équivalente à la
catégorie des modules projectifs de type fini sur l’algèbre produit croisé G
C(V), où
C(V) est
l’algèbre des sections continues du fibré C(V). Par ailleurs, si “1” désigne le fibré trivial de
rang 1 sur X (avec action triviale de G), on a un foncteur “restriction des scalaires”
ϕ : G
V1(X) G
V(X)
Le théorème suivant est démontré dans [7] (en K-théorie réelle aussi bien que complexe).
1.3. THEOREME. Le groupe
K G
*(V) est naturellement isomorphe au groupe de
Grothendieck K*(ϕ) associé au foncteur banachique ϕ. Si désigne la catégorie
G
V1(X) et la catégorie G
V(X) , on a donc la suite exacte
Ki-1( ’) Ki-1( ) K G
i(V) Ki( ’) Ki( )
2
1.4. Supposons maintenant que X soit réduit à un point. La catégorie (et bien entendu ’) est
alors semi-simple (toute suite exacte est scindée) ; elle est donc équivalente à une catégorie de
modules sur une algèbre semi-simple, c’est-à-dire produit d’algèbres de matrices sur C dans le
cas complexe, sur R, C ou H dans le cas réel. Dans le cas complexe, il en résulte que K0(’)
est libre de type fini et que K1() = 0. Par conséquent, KG
0(V) = K0(ϕ) =
Ker[K0(’) K0()] est libre de type fini. Plus généralement, KG
-p(V) est le groupe de
Grothendieck du foncteur restriction des scalaires
G
Vp1(X) G
Vp(X)
où “p” représente le fibré trivial de rang p, avec action triviale de G. Le groupe KG
1(V) =
KG
-p(V) pour p impair (dans le cas complexe) est donc libre lui aussi par le même argument. Le
théorème 1.1 résulte immédiatement de ces considérations et du théorème de Le Gall et
Monthubert (voir aussi 1.8).
1.5. Remarque. Supposons que G opère sur V par des automorphismes de déterminant +1 et
que le rang n de V soit pair, égal à 2r. Si e1, ..., en est une base orthonormale de V, le produit
(i)re1. .. en dans l’algèbre de Clifford C(V) est de carré +1 et anticommute à chaque eα. Il en
résulte que la catégorie G
V1(X) se scinde en le produit G
V(X) x G
V(X), le foncteur
ϕ : G
V1(X) G
V(X) s’identifiant alors au foncteur “somme”. Le groupe K G
i(V) est
donc isomorphe au groupe Ki de la catégorie de Banach G
V(X). En particulier, si X est réduit à
un point, le groupe K G
1(V) est identiquement nul, en contraste avec le théorème 1.1. Dans le cas
de la K-théorie réelle (et toujours X réduit à un point), le même raisonnement montre que les
groupes K G
i(V) sont nuls si i 1 mod. 4 et libres de type fini si i 0 mod. 4.
1.6. Il reste à déterminer de manière plus précise le rang des groupes K G
i(V), du moins dans le
cas de la K-théorie complexe, pour G quelconque. Pour cela, nous pouvons utiliser
l’isomorphisme de Baum-Connes [4][9] entre la K-théorie équivariante tensorisée par C d’une
part et la cohomologie équivariante complexe “délocalisée” d’autre part. De manière précise,
soit <G> l’ensemble des classes de conjugaison de G et soit g1, ..., gp un système de
représentants. D’après [4], l’espace vectoriel KG
*(V) C est isomorphe à la somme directe
suivante d’espaces de cohomologie
K G
*(V) C =
gi<G> H c*(Vgi/Cgi ; C)
où Cgi désigne le centralisateur de gi (les groupes de cohomologie pairs contribuant pour K G
0 et
les groupes impairs pour KG
1).
3
1.7. Posons maintenant la définition suivante : la classe de conjugaison <gi> est dite paire (resp.
impaire) si la dimension de Vgi est paire 0 (resp. impaire). Elle est dite orientée1 si tous les
éléments de Cgi opèrent sur Vgi avec la même orientation.
1.8. THEOREME. Le groupe K G
0(V) (resp. KG
1(V)) est un Z-module libre de rang égal au
nombre de classes de conjugaison gi orientées paires (resp. impaires).
Démonstration. La cohomologie H c
*(Vgi/Cgi ; C) s’identifie à la cohomologie en degré q =
dim(Vgi) de Sq/Γ , où Γ = Cgi. Il est facile de voir que celle-ci s’identifie à la partie invariante de
Hq(Sq) par l’action de Γ. Elle est donc de dimension 1 si gi est une classe de conjugaison
orientée et 0 sinon, d’où le théorème.
1.9. Remarque. Si G = n, le théorème de [9] énoncé au début en résulte aisément, en
analysant l’action (orientée ou non) des éléments de Cgi sur Vgi.
1.10. Revenons aux notations de 1.2. Si T est un espace de représentations spinorielles de G de
dimension paire 2r, les catégories G
W et G
TW sont alors équivalentes. En effet, soit M un
C(T)-module irréductible et soit
σ : G Spin(T) un relèvement de l’homomorphisme
σ : G O(T), O(T) désignant le groupe orthogonale de T. L’équivalence de catégories φ :
G
W G
TW est alors définie en associant à un objet E de G
W l’objet M E de G
TW.
Dans cette formule, G opère sur M via la représentation
σ ; l’action de l’algèbre de Clifford
C(T W) se déduit de l’homomorphisme T W End(M E) défini ainsi
(t, w) t 1 + ε w
ε = ir e1 ...e2r et (eα) une base orthonormale orientée de T. Remarquons que cette
équivalence φ s’étend aux catégories de modules gradués. On en déduit les isomorphismes
K G
0(W) KG
0(T W) et KG
1(W) KG
1(T W) d’après le théorème 1.3. Il en résulte le
théorème algébrique suivant.
1.11. THEOREME. Pour tout G-module W désignons par a0(W) (resp. a1(W) le
nombre de classes de conjugaison gi orientées paires (resp. impaires) avec les notations de
1.7. Considérons par ailleurs deux G-modules V et V’ de même dimension tels que w1(V)
= w1(V’) et w2(V) = w2(V’), w1 et w2 sont les deux premières classes2 de Stiefel-
Whitney des G-modules V et V’. On a alors a0(V) = a0(V’) et a1(V) = a1(V’).
1 On peut dire aussi positivement orientée , si l’on veut se conformer aux conventions utilisées plus loin dans
l’article (cf. 3.3).
2 appartenant donc à Hi(G ; Z/2) avec i = 1, 2.
4
Démonstration. D’après 1.10, il suffit de trouver deux espaces de représentations spinorielles
T et T’ de dimensions paires tels que V T soit isomorphe à V’T’. Pour cela, on choisit
T = V V V’ V’ et T’ = V V V V’
Les espaces de représentations T et T’ sont bien spinoriels, car leurs deux premières classes de
Stiefel-Whitney sont nulles.
1.12. Remarque sur les opérations cohomologiques en K-théorie complexe. Pour chaque
entier i, il existe des opérations cohomologiques
γi : K1(X) K1(X)
issues du calcul bien connu de la K-théorie complexe du groupe unitaire infini : celle-ci
s’identifie à une algèbre extérieurs en les γi. Le produit x γλ1(x)...γλs(x) pour λ1 <…< λs
définit donc une opération de K1(X) dans K[s](X), où [s] est la parité de s. Par ailleurs, en
suivant la méthode décrite par Atiyah [2], on voit qu’un élément du groupe K n
*(Rn), associé à
une partition λ1< ... < λs , définit aussi une opération en K-théorie complexe de K1(X) dans
K[s](X) d’après le théorème 1.1. Il est raisonnable de conjecturer que celle-ci correspond à
l’opération x γλ1(x)...γλs(x) définie précédemment.
1.13. Autre remarque sur les opérations cohomologiques. Il existe un cup-produit évident
K G
*(Rn) x K G
*( R n ) K G
*( R 2n)
où le deuxième groupe s’identifie à l’anneau des représentations de G, car la représentation de
G dans R2n est complexe. Si G = n, notons que le rang de R(G) est égal au nombre total P(n)
de partitions de n. Il serait intéressant de déterminer de manière explicite les accouplements
Zpn x Zpn ZP(n) et Zin x Zin ZP(n)
qu’on en déduit, ainsi que la structure de R(G) -module de Zpn et Zin.
5
1 / 16 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !